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Date : 20030401

Dossier : IMM-2751-02

Référence neutre : 2003 CFPI 385

Ottawa (Ontario), le mardi 1er avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                             EDWIN OMAR FIGUEROA RAUDALES

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Figueroa Raudales sollicite le contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration, datée du 29 mai 2002, de ne pas lui accorder sa demande de dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, qui visait à le soustraire à l'obligation légale de solliciter le droit d'établissement depuis l'extérieur du Canada.


LES FAITS

[2]                 Dans sa demande de dispense fondée sur des considérations humanitaires, M. Figueroa Raudales déclare qu'il est né en 1983 dans la capitale du Honduras, Tegucigalpa. Jusqu'à l'âge de 15 ans, il a vécu dans la pauvreté avec sa mère, son grand-père et deux frères et soeurs dans l'un de quartiers les plus pauvres et les plus dangereux de la ville. En août 1998, M. Figueroa Raudales a quitté le Honduras, pour se rendre à Vancouver, où vivaient ses deux oncles. M. Raudales a marché et fait de l'auto-stop jusqu'à Vancouver, pour arriver au Canada en janvier 1999. Durant cette période de cinq mois, M. Raudales a été volé deux fois et détenu dans une prison mexicaine.

[3]                 Après avoir revendiqué sans succès le statut de réfugié et avoir reçu en septembre 2001 une décision défavorable en réponse à sa demande d'inclusion dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, M. Figueroa Raudales a présenté sa demande fondée sur des considérations humanitaires.


[4]                 Depuis son arrivée au Canada, M. Figueroa Raudales a vécu tantôt avec des amis, tantôt avec des parents, tantôt seul. Il a vécu avec ses oncles à Vancouver jusqu'en novembre 2000, date à laquelle il a emménagé avec un oncle, et l'épouse de celui-ci, à Nelson (Colombie-Britannique). Le demandeur a vécu à Nelson avec sa tante et son oncle pendant trois mois. En raison du manque d'espace après que sa tante eut donné naissance à un enfant, M. Figueroa Raudales a vécu, de mars 2001 à novembre 2001, chez une institutrice à la retraite de Nelson. Puis il a emménagé chez une autre institutrice de Nelson, chez qui il vivait encore lorsqu'a été examinée sa demande fondée sur des considérations humanitaires.

[5]                 M. Figueroa Raudales fréquente l'école secondaire depuis qu'il est arrivé au Canada. Il est dans le premier quartile de sa classe, et il se consacre entièrement à ses études. Il est maintenant très à l'aise en anglais, une langue qu'il ne parlait pas avant d'arriver au Canada. Il a suivi un cours de dynamique de la vie au centre communautaire, et un délégué à la jeunesse affirme qu'il est maintenant capable de gérer un budget, de se fixer des buts et un plan de carrière, d'écrire un curriculum vitae et de subir des entretiens d'embauche. Il a occupé un travail à temps partiel et il a eu un travail d'été. Également, il dirige l'équipe senior de basket-ball de l'école secondaire, il participe au conseil des élèves et il envisage de devenir infirmier.

[6]                 Dans sa demande fondée sur des considérations humanitaires, M. Figueroa Raudales était appuyé par le rapport favorable d'un psychologue. Le psychologue mentionnait que, vu sa capacité d'adaptation avérée, l'obligation de quitter le Canada ne serait pas nécessairement une épreuve pour lui, mais le psychologue était d'avis qu'il valait beaucoup mieux pour lui qu'il vive au Canada, libéré de toute crainte.


DÉCISION DE L'AGENT D'IMMIGRATION

[7]                 La décision motivée de l'agent d'immigration apparaît ainsi dans le dossier :

[Traduction] J'ai été prié, dans cette affaire, de tenir compte de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Je constate que, dans la partie 1, article premier, de la Convention, le mot « enfant » signifie tout être humain âgé de moins de 18 ans. Edwin a atteint l'âge de 19 ans en avril 2002 et n'est pas par définition un enfant.

Edwin a bénéficié des formes régulières prévues par le programme des réfugiés. Les efforts qu'il a faits pour rester au Canada grâce à ce programme sont épuisés. Il n'a pas été déclaré un réfugié et n'a pas demandé un contrôle judiciaire, et l'agent de révision a estimé qu'il n'était pas vraiment exposé à un risque s'il devait retourner au Honduras.

Après examen de tous les renseignements concernant la crainte d'Edwin de devoir retourner au Honduras (conclusions de l'avocat, motifs de l'agent de révision, et déclarations faites lors de l'entrevue du 19 février 2002), et aucun nouvel aspect n'ayant été soulevé, je constate que l'on n'a découvert aucun risque exceptionnel ou particulier auquel il pourrait être exposé personnellement. Je ne crois pas qu'Edwin serait davantage exposé que les autres habitants du Honduras.

Le gouvernement du Honduras a accru ses dépenses dans les domaines de la santé et de l'éducation, et je ne crois pas qu'Edwin a été moins avantagé que les autres citoyens du Honduras. Le gouvernement offre une éducation gratuite, universelle et obligatoire jusqu'à l'âge de 13 ans. La demande d'Edwin montre qu'il était âgé de 15 ans et qu'il en était à sa 10e année de scolarité en juin 1998. Il a quitté le Honduras en août 1998 à destination du Canada.

Une personne qui se trouve au Canada et qui revendique le statut de réfugié est autorisée à travailler ou étudier, selon le cas, pour qu'elle puisse devenir autosuffisante et s'intégrer dans la collectivité. Comme la revendication du statut de réfugié requiert plusieurs années pour arriver à son terme, on peut croire qu'un certain niveau d'établissement sera atteint durant cette période. Je pense qu'Edwin s'est établi comme l'aurait fait tout étudiant, mais il ne peut justifier d'un niveau appréciable d'établissement. Il n'est pas resté au Canada assez longtemps ni n'a établi dans ce pays des liens assez étroits au point qu'il serait déraisonnable pour lui de retourner au Honduras.

Edwin est un jeune homme qui se consacre à ses études, et il a bénéficié d'une aide sociale pendant la majorité du temps qu'il a passé au Canada. Depuis novembre 2001, Mme Nancy Pulsifer l'héberge chez elle. En novembre 2001, le groupe « Les Amis d'Edwin Raudales » a été formé et a constitué un fonds d'affectation spéciale pour subvenir à ses besoins fondamentaux durant le traitement de sa demande. Ce groupe subvient à ses besoins scolaires et alimentaires tant qu'il fréquente l'école, et il assume les frais de traitement de sa demande d'immigration.


Edwin n'habite pas avec des membres de sa famille élargie, qui ne sont d'ailleurs pas en mesure de lui apporter un soutien financier, mais il dit qu'il les visite souvent.

Depuis qu'il est au Canada, il a vécu la plupart du temps par lui-même ou avec des amis. Tous les membres de sa famille proche habitent la maison familiale au Honduras, ou à peu de distance.

J'ai examiné le rapport d'évaluation psychologique daté du 26 avril 2002 et remis par l'avocat, et je relève, comme l'indique le médecin dans ses conclusions, que ce rapport était fondé sur les propres déclarations d'Edwin et sur celles de quatre personnes qui le soutiennent sans réserve dans son désir de rester au Canada. Les cinquième et sixième paragraphes de la section intitulée SOMMAIRE ET CONCLUSIONS décrivent l'état d'Edwin s'il devait être expulsé, mais indiquent également des facteurs qui laissent prévoir un rétablissement affectif graduel et relativement sans complication, facteurs auxquels il faut ajouter une capacité d'adaptation avérée et des antécédents psychologiques relativement sains. Ce rapport ne mentionne pas l'existence d'une situation défavorable et ne dit pas que des effets négatifs à long terme sont à prévoir s'il devait retourner au Honduras.

J'ai examiné toute l'information versée dans le dossier, notamment les conclusions et les réponses aux questions posées durant l'entrevue. Il n'a pas été démontré que des motifs impérieux justifient le traitement de cette affaire depuis le Canada ou qu'il existe des difficultés inhabituelles, injustes ou indues qui ne sont pas prévues par la Loi sur l'immigration ou par le Règlement. On ne m'a pas convaincu que ce cas fait ressortir des considérations humanitaires suffisantes pour justifier une dispense de l'obligation d'obtenir un visa. [C'est moi qui souligne.]

POINTS EN LITIGE

[8]                 On fait valoir au nom de M. Figueroa Raudales que l'agent d'immigration a commis une erreur dans les aspects suivants :

1.          L'agent n'aurait pas dû évaluer la demande en considérant M. Figueroa Raudales comme un adulte.

2.          L'agent n'a pas bien interprété le rapport d'évaluation psychologique produit au soutien de la demande.

3.          L'agent s'est trompé en affirmant que M. Figueroa Raudales n'était pas établi au Canada.


NORME DE CONTRÔLE

[9]                 Depuis l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 857, il est bien établi que la norme de contrôle à appliquer aux décisions prises par les agents d'immigration en réponse aux demandes fondées sur des considérations humanitaires est le critère de la décision raisonnable simpliciter.

[10]            Sur la question de savoir ce qu'est une décision déraisonnable, Monsieur le juge Iacobucci, s'exprimant pour la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, écrivait, au paragraphe 56 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion au regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve.

[11]            Une cour de justice qui examine une décision dans une procédure de contrôle judiciaire ne peut modifier la manière dont un pouvoir discrétionnaire a été exercé simplement parce qu'elle aurait apprécié la situation différemment et serait arrivée à une décision différente. La décision doit cependant résister à un examen assez poussé.


ANALYSE

[12]            S'agissant de la première erreur alléguée, l'agent a estimé que M. Figueroa Raudales, âgé de 19 ans, n'était pas un enfant au sens de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Il s'agirait là d'une erreur parce que, selon le Age of Majority Act, R.S.B.C. 1996, ch. 7, une personne n'est plus un enfant lorsqu'elle atteint l'âge de 19 ans, et M. Figueroa Raudales n'avait que 18 ans lorsqu'il a présenté sa demande. M. Figueroa Raudales s'appuie sur un arrêt de la Cour d'appel fédérale, Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Brar (1993), 152 N.R. 157, pour affirmer que la date à retenir en matière d'âge est la date de présentation d'une demande.

[13]            Je ne crois pas que l'agent ait ici commis une erreur. Dans l'affaire Brar, il s'agissait de savoir si une personne était une « personne à charge » au sens du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172. Ce précédent n'est donc pas d'une utilité directe, et je crois qu'il n'est d'aucune aide ici.

[14]            Dans une demande fondée sur des considérations humanitaires, l'âge du revendicateur principal constitue plutôt l'un des facteurs à retenir, surtout s'il présente un intérêt particulier. En l'espèce, l'agent a consciencieusement pris en compte l'âge de M. Figueroa Raudales.

[15]            S'agissant de la deuxième présumée erreur, l'agent a pris en compte le rapport d'évaluation psychologique et n'a pas mal interprété son contenu. Il avait le loisir de dire que le rapport n'indiquait pas que des conséquences préjudiciables à long terme étaient à prévoir pour le cas où M. Figueroa Raudales serait tenu de retourner au Honduras. L'agent n'a pas ici commis d'erreur.

[16]            Je suis cependant d'avis que la conclusion factuelle de l'agent selon laquelle [traduction] « ... Edwin s'est établi comme l'aurait fait tout étudiant... » ne résiste pas à l'examen assez poussé qu'avait à l'esprit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Southam, précité.

[17]            Sur ce point, outre l'information susmentionnée, l'agent d'immigration avait devant lui la preuve non contestée suivante :

·            Un fonds d'affectation spéciale avait été établi pour M. Figueroa Raudales par les habitants de Nelson (Colombie-Britannique), destiné à payer ses frais de scolarité et frais juridiques, afin de lui éviter de recevoir une aide sociale pour poursuivre ses études. Les sommes versées dans le fonds d'affectation spéciale étaient recueillies au moyen de levées de fonds, de rassemblements et de donations de membres de la collectivité.

·                        Outre le fonds d'affectation spéciale, environ 1 800 habitants de la région de Nelson ont signé une pétition appuyant la demande de M. Figueroa Raudales fondée sur des considérations humanitaires.

·                        Les professeurs de M. Figueroa Raudales, ainsi que le proviseur de son école secondaire et le surintendant de la division scolaire, ont écrit des lettres au soutien de sa demande fondée sur des considérations humanitaires. C'est ce qu'a fait également le président du conseil des étudiants, qui a tenu à dire que [traduction] « Edwin Raudales est très important pour notre école » .


·                        Le conseil municipal de la ville de Nelson a adopté une résolution demandant qu'une lettre de soutien à M. Figueroa Raudales appuyant sa demande de statut d'immigrant au Canada soit envoyée au ministre de l'Immigration.

·                        Lorsqu'elle a rejeté sa revendication du statut de réfugié, la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, tout en reconnaissant qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur les demandes fondées sur des considérations humanitaires, avait noté qu'elle était très impressionnée par le caractère et l'esprit d'initiative de M. Figueroa Raudales et que [traduction] « ... sa situation au Honduras est peu enviable » .

[18]            À mon avis, vu l'ensemble de la preuve dont il disposait, l'agent a tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable lorsqu'il a dit que M. Figueroa Raudales ne s'était pas établi au Canada plus que ne l'aurait fait tout autre élève d'école secondaire. Quand la collectivité donne de l'argent et fournit directement les ressources nécessaires pour subvenir aux frais de subsistance et d'éducation de M. Figueroa Raudales, quand le conseil municipal écrit au ministre de l'Immigration pour soutenir sa demande d'immigration, et quand le directeur et le surintendant d'une école écrivent eux aussi pour soutenir la demande fondée sur des considérations humanitaires, on ne saurait dire que l'établissement de M. Figueroa Raudales dans la collectivité n'est pas significative et ne se distingue pas de celle de tout autre élève. La conclusion tirée va à l'encontre de l'essentiel de la preuve.


[19]            L'établissement est, d'après les lignes directrices du ministre qui figurent au chapitre 5 du Guide du traitement des demandes au Canada, un facteur à considérer dans l'évaluation d'une demande fondée sur des considérations humanitaires. Sans une bonne évaluation du niveau d'établissement, il était impossible à mon avis, dans le cas présent, de dire si le fait d'obliger M. Figueroa Raudales à demander la résidence permanente depuis l'étranger entraînerait pour lui des difficultés inhabituelles, injustes ou indues.

[20]            Finalement, en dépit des conclusions adroites de l'avocate du ministre, la demande de contrôle judiciaire est accordée.

[21]            Les avocats n'ont posé aucune question à certifier, et aucune question n'émane de ce dossier.

                                           ORDONNANCE

[22]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accordée et la décision de l'agent d'immigration datée du 29 mai 2002 est annulée.

2.          L'affaire est renvoyée pour nouvelle décision devant un autre agent d'immigration.

                                                                             « Eleanor R. Dawson »             

                                                                                                             Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-2751-02

INTITULÉ :                                              Edwin Omar Figueroa Raudales c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 11 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           Madame le juge Eleanor R. Dawson

DATE DES MOTIFS :                           le 1er avril 2003

COMPARUTIONS :

Mme Emma Andrews                                                                                   POUR LE DEMANDEUR

M. Halldor Bjarnason

Mme Helen Park                                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Andrews, Bjarnason                                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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