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Date : 20010627

Dossier : T-836-01

Référence neutre : 2001 CFPI 713

ENTRE :

                                             ERIC WHITE,

                                                                                                demandeur,

                                                    - et -

    E.B.F. MANUFACTURING LIMITED, ELECTROBRAID

                   FENCE LIMITED, E. DAVID BRYSON et

                             NOVATEC BRAIDS LIMITED

                                                                                                défendeurs.

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ :

[1]    Les défendeurs E.B.F. Manufacturing Limited (EBF), Electrobraid Fence Limited et E. David Bryson demandent une suspension d'instance en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi), L.R.C. (1995), ch. F-7, au motif que la demande du demandeur Eric White, actuellement en instance devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, est maintenant intentée devant la Cour fédérale.


1. Instances

[2]    Le 9 mai 2000, le demandeur a intenté, contre la première défenderesse (EBF), une procédure devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, réclamant, conformément à un contrat de licence daté du 29 janvier 1998, des redevances impayées se montant à 73 966 $ au 3 mai 2000. En mai 2000, EBF a déposé une défense et une demande reconventionnelle assorties de listes de documents échangés en août.

[3]    Dans la procédure qui se déroule en Nouvelle-Écosse, les interrogatoires préalables ont eu lieu en mars 2001 et d'autres interrogatoires sont prévus pour le début de juillet. En mars 2001 également, le demandeur a modifié sa déclaration dans la procédure engagée en Nouvelle-Écosse afin de plaider la nullité du contrat de licence en raison du défaut de paiement de EBF. EBF a déposé une défense et une demande reconventionnelle modifiées le 6 juin 2001.


[4]                 Le 17 mai 2001, le demandeur a engagé la présente instance en Cour fédérale réclamant les redevances impayées, des dommages-intérêts, une déclaration portant que le contrat de licence conclu entre le demandeur et EBF est nul en raison du défaut de paiement ainsi qu'une injonction enjoignant à EBF et aux autres défendeurs de s'abstenir de continuer à fabriquer ou à vendre de la clôture de corde tressée électrique. Il a également notifié la Cour fédérale de son intention de présenter une requête en injonction interlocutoire enjoignant aux défendeurs de s'abstenir de contrefaire, où que ce soit au Canada, les droits que lui confèrent ses lettres patentes n º 2,267,771 délivrées le 27 février 2001. Il demande que l'audition de sa requête soit fixée à la date la plus rapprochée possible.

2. La loi et la jurisprudence

[5]                 L'alinéa 50(1)a) de la Loi prévoit que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal. La jurisprudence à ce sujet a établi plusieurs critères utiles pour décider de l'opportunité d'accorder une telle suspension (voir la décision Discreet Logic Inc. c. Canada (Registraire des droits d'auteur) 1993 CarswellNat 1930, 51 C.P.R. (3d) 191, confirmée par (1994), 55 C.P.R. (3d) 167 (C.A.F.); la décision Plibrico (Canada) Limited c. Combustion Engineering Canada Inc., 30 C.P.R. (3d) 312, à la page 315; la décision Ass'n of Parents Support Groups c. York, 14 C.P.R. (3d) 263; la décision Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc., 1997 CarswellNat 2482, 77 C.P.R. (3d) 451, 143 F.T.R. 19; la décision 94272 Canada Ltd. c. Moffatt, 31 C.P.R. (3d) 95 et l'arrêt General Foods c. Struthers, [1974] R.C.S. 98). Ces critères sont résumés et réunis de la manière suivante pour plus de commodité.


1. La poursuite de l'action causerait-elle un préjudice ou une injustice (non seulement des inconvénients et des frais additionnels) au défendeur?

2. La suspension créerait-elle une injustice envers le demandeur?

3. Il incombe à la partie qui demande la suspension d'établir que ces deux conditions sont réunies.

4. L'octroi ou le refus de la suspension relèvent de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge.

5. Le pouvoir d'accorder une suspension peut seulement être exercé avec modération et dans les cas les plus évidents.

6. Les faits allégués, les questions de droit soulevées et la réparation demandée sont-ils les mêmes dans les deux actions?

7. Quelles sont les possibilités que le deux tribunaux tirent des conclusions contradictoires?

8. À moins qu'il y ait un risque que deux tribunaux différents rendent prochainement une décision sur la même question, la Cour devrait répugner fortement à limiter le droit d'accès d'une partie en litige à un autre tribunal.

9. La priorité ne doit pas nécessairement être accordée à la première instance par rapport à la deuxième ou vice versa.


3. Observations

[6]                 Les trois premiers défendeurs prétendent que le fait que deux tribunaux différents rendent des décisions sur les mêmes faits et les mêmes questions de droit présente un risque d'abus du processus judiciaire et de conclusions contradictoires. Il est également évident que l'instance engagée en Nouvelle-Écosse est plus avancée que celle de la Cour fédérale qui vient simplement de commencer. Cette dernière se résume uniquement au dépôt de la déclaration du demandeur. Le délai prévu pour le dépôt de la défense n'est pas encore expiré.

[7]                 La quatrième défenderesse, Novatec Braids Limited (Novatec), représentée à part à l'audience, a déposé un affidavit selon lequel, en 1998, un contrat a été conclu entre le demandeur et le défendeur E. David Bryson avec Novatec, par lequel cette dernière s'engageait à fabriquer de la clôture de corde tressée électrique, l'invention actuellement brevetée. Novatec a continué à fabriquer de la clôture de corde tressée électrique conformément à son contrat avec EBF jusqu'en mars 2001. À ce moment-là, Novatec a accédé à la demande d'EBF, a cessé de fabriquer de la clôture de corde tressée électrique et a mis à pied six employés. Novatec allègue également que, pendant toute la période en cause en l'espèce, le demandeur était au courant des relations contractuelles qui existaient entre EBF et Novatec et que, par son action, il a nuit à ces relations, causant à Novatec des pertes et des dommages permanents.


[8]                 C'est pourquoi, Novatec serait fortement en faveur de la suspension de l'action engagée devant la Cour fédérale.

[9]                 Dans son affidavit, le demandeur déclare que les lettres patentes de l'invention en question ont été délivrées après qu'il a engagé son action devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. Sa demande en Cour fédérale en vue d'obtenir une injonction nationale reposera sur le brevet récemment enregistré. Il a décidé d'engager l'action en Cour fédérale [TRADUCTION] « parce que EBF et Electrobraid Fence Limited vendaient le produit au Canada, aux États-Unis et même dans le monde entier » . Il avait l'impression qu' [TRADUCTION] « il serait plus facile de faire exécuter une ordonnance enjoignant aux défendeurs de s'abstenir d'agir de la sorte si elle était prononcée par la Cour fédérale du Canada » . Il prétend que la Cour fédérale, compte tenu de ses connaissances spécialisées en matière de litiges sur les brevets, semble le tribunal le plus indiqué. Il ajoute qu'il [TRADUCTION] « est impératif que sa requête en injonction procède sans retard parce que [...] les temps forts de la production et des ventes de clôture de corde tressée électrique sont l'été et le début de l'automne » .


[10]            Durant l'audience, l'avocat d'EBF a précisé qu'il avait fait parvenir à l'avocat du demandeur un chèque de 73 966 $, représentant les redevances passées dues au demandeur au 3 mai 2000, accompagné d'une indication portant que d'autres chèques allaient suivre.

4. Analyse

[11]            À mon avis, la poursuite de la présente action devant la Cour fédérale ne causerait pas de préjudice aux défendeurs. Bien sûr, elle peut entraîner, pour les défendeurs, des frais supplémentaires et d'autres inconvénients, mais il est toujours possible de remédier à ceux-ci au moyen des dépens. Le pouvoir d'accorder une suspension ne peut réellement être exercé qu'avec modération et dans les cas les plus évidents : il ne s'agit pas d'un cas évident en faveur d'une suspension. Il y a deux différences flagrantes entre l'instance engagée en Nouvelle-Écosse et celle engagée devant la Cour fédérale : trois défendeurs ont été ajoutés dans l'affaire fédérale et le demandeur demande maintenant une injonction applicable à l'échelle nationale dans son action devant la Cour fédérale. Même si les faits et certaines questions de droit peuvent être semblables dans les deux actions, la réparation sollicitée est différente.


[12]            Quant aux possibilités de conclusions contradictoires tirées dans les deux cours, il y a lieu de préciser que l'on doit s'attendre à ce que le demandeur se concentre sur son injonction fédérale avant d'obtenir un jugement du tribunal néo-écossais. Il n'y a pas de risques que les deux tribunaux rendent prochainement leur décision et, dans ce sens, il serait prématuré pour moi de limiter le droit du demandeur d'avoir accès à la Cour fédérale. On doit supposer qu'il est maintenant plus intéressé à solliciter une injonction nationale et qu'il agira en conséquence.

[13]            Finalement, même s'il s'avère que le demandeur se trompe en poursuivant les deux réparations, les défendeurs pourront adéquatement être indemnisés par des dépens.

5. Dispositif

[14]            Il s'ensuit que la demande de suspension est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

OTTAWA (Ontario)

Le 27 juin 2001

                                                                                                             Juge

Traduction certifiée conforme :

____________________________

Richard Jacques


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE DOSSIER :                                T-836-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :             ERIC WHITE et E.B.F. MANUFACTURING LTD., ELECTROBRAID ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 20 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS par le juge Dubé, en date du 27 juin 2001.

ONT COMPARU :

Colin Piercey                                                  POUR LE DEMANDEUR

Michael J. Wood                                        POUR LES DÉFENDEURS

                                                                     (E.B.F. Electrobraid - David

                                                                           Bryson et Novatec et al.)

Clifford Hood                                            POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                                 (Novatec Braids Ltd.)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

STEWARD McKELVEY STIRLING SCALES POUR LE DEMANDEUR

Halifax (Nouvelle-Écosse)

BURCHELL GREEN HAYMAN PARISH POUR LES DÉFENDEURS

Halifax (Nouvelle-Écosse)                                                                         

HOOD & ASSOCIATE                          POUR LA DÉFENDERESSE

Halifax (Nouvelle-Écosse)


Date : 20010627

Dossier : T-836-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 27 JUIN 2001

EN PRÉSENCE du juge Dubé

ENTRE :

                                             ERIC WHITE,

                                                                                                demandeur,

                                                    - et -

    E.B.F. MANUFACTURING LIMITED, ELECTROBRAID

                   FENCE LIMITED, E. DAVID BRYSON et

                             NOVATEC BRAIDS LIMITED

                                                                                                défendeurs.

                                           ORDONNANCE

La demande de suspension est rejetée et les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                                             Juge

Traduction certifiée conforme :

__________________________________

Richard Jacques, LL.L.

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