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Date : 20040609

Dossier : T-25-03

Référence : 2004 CF 830

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2004

En présence de monsieur le juge James Russell

ENTRE :

                           LA COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada sollicite le contrôle judiciaire d'une décision du Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (le « Commissaire de la GRC » ) de refuser une demande présentée conformément à l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10 (la « Loi » ) par la présidente (la « présidente » ) de la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada (la « Commission des plaintes » ou la « demanderesse » ). La présidente voulait que lui soient communiqués certains documents qui relevaient de la GRC et qui, selon elle, intéressaient la plainte d'un plaignant (dossier de la Commission n ° 2000-0624).


LES FAITS

Le mandat de perquisition

[2]                Cette demande de contrôle judiciaire a pour origine une plainte déposée auprès de la Commission des plaintes à la suite d'une perquisition menée conjointement par la GRC et par la Police provinciale de l'Ontario (la PPO) sur la propriété du plaignant. La perquisition, menée en marge de l'enquête d'une cellule d'enquête tripartite composée de la GRC, de la PPO et du Service de police de Thunder Bay, était autorisée par un mandat décerné par la Cour de justice de l'Ontario conformément à l'article 487.3 du Code criminel. La GRC et la PPO avaient demandé aussi, mais sans succès, l'autorisation de perquisitionner au domicile du plaignant.

[3]                L'agent Delahey et l'agent Kovacs, de la GRC, ont témoigné qu'ils avaient reçu de quelqu'un, dans l'exercice de leurs fonctions, un renseignement qui, d'après eux, révélait l'existence de motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction au paragraphe 7(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, avait été commise ou était en train d'être commise sur un bien immobilier appartenant au plaignant.

[4]                S'agissant de la personne qui avait communiqué le renseignement, l'agent Delahey a dit que cette personne avait demandé à conserver l'anonymat et qu'il lui avait promis de garder secrète son identité.

[5]                L'affidavit de l'agent Delahey ne dit pas pourquoi, selon lui, l'auteur du renseignement était une source humaine confidentielle.

[6]                Se fondant sur le renseignement fourni par la source humaine confidentielle, l'agent Delahey a déposé une dénonciation sous serment en vue d'obtenir un mandat de perquisition, et le juge P. S. Glowacki, de la Cour de l'Ontario, Division provinciale, lui a délivré un mandat général de perquisition (le « mandat de perquisition » ).

[7]                À la demande de l'agent Delahey, la dénonciation produite sous serment au soutien du mandat de perquisition fut frappée d'une ordonnance de non-communication par le juge Glowacki, conformément au paragraphe 487.3(2) du Code criminel.

[8]                Le 21 décembre 1999, l'agent Delahey et l'agent Holland, accompagnés de membres de la PPO, exécutaient le mandat de perquisition en procédant à des fouilles dans une grange verte appartenant au plaignant.

[9]                Le 21 décembre 1999, après l'exécution du mandat de perquisition, l'agent Delahey a demandé, mais sans succès, un mandat additionnel de perquisition pour le domicile du plaignant.

Dépôt de la plainte

[10]            La GRC et la PPO ont perquisitionné sur la propriété du plaignant, mais n'ont trouvé aucune preuve de perpétration d'une infraction criminelle. Le 17 février 2000, le plaignant, qui était le propriétaire de la grange verte et de l'habitation en question, déposait une plainte auprès du Bureau des plaintes du public contre la Police provinciale de l'Ontario (le « Bureau des plaintes contre la PPO » ), dans laquelle il affirmait notamment que l'agent Delahey avait irrégulièrement obtenu le mandat de perquisition se rapportant à sa grange verte. La plainte a été traitée séparément par la GRC et par la PPO, selon leurs procédures respectives de traitement des plaintes du public.

[11]            La plainte déposée contre la GRC soulevait sept (7) questions, dont six (6) concernaient la manière dont la perquisition avait été menée, ainsi que ses suites. Seule une (1) question intéressait les raisons d'obtenir un mandat de perquisition :

6.              POURQUOI LA POLICE A-T-ELLE AU DÉPART OBTENU UN MANDAT DE PERQUISITION POUR MA GRANGE? MA QUESTION EST LA SUIVANTE : EST-CE LA SEULE FOIS OU Y EN AURA-T-IL D'AUTRES?

Dossier du demandeur, onglet 24, pièce annexée au reçu de la plainte portée contre la GRC.

[12]            Le 23 février 2000 ou vers cette date, le Bureau des plaintes contre la PPO renvoyait la plainte au Commissaire de la GRC conformément au paragraphe 45.35(3) de la Loi.

[13]            Par lettre datée du 19 juin 2000, le sous-officier compétent de la GRC, Section des plaintes et des enquêtes internes (le « sous-officier compétent » ), disposait de la plainte en application de l'article 45.4 de la Loi. La lettre de décision concluait à l'absence d'une conduite répréhensible de la part de l'agent Delahey. Au lieu de répondre à l'affirmation selon laquelle le mandat de perquisition avait été irrégulièrement obtenu, le sous-officier compétent écrivait que « le renseignement ayant servi à obtenir le mandat de perquisition pour la [grange verte du plaignant] et à fonder des motifs raisonnables venait de sources confidentielles et ne pouvait donc être communiqué au [plaignant] » .

[14]            Contrairement à ce que requiert l'article 45.4 de la Loi, la lettre de décision de la GRC ne dit rien sur les conclusions de l'enquête concernant l'affirmation selon laquelle l'agent Delahey aurait obtenu irrégulièrement le mandat de perquisition. En fait, selon la demanderesse, la lettre de décision ne dit nulle part que la GRC a examiné cet aspect.

[15]            Par lettre datée du 26 juin 2000, le plaignant demandait à la Commission des plaintes, en application du paragraphe 45.41(1) de la Loi, d'examiner sa plainte.

[16]            Par lettre datée du 10 juillet 2000, et conformément à l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi, la Commission des plaintes demandait le rapport du Commissaire de la GRC dont parle l'article 45.4, ainsi que les autres documents relevant de la GRC qui intéressaient la plainte.

[17]            Le 29 septembre 2000 ou vers cette date, la Commission des plaintes recevait de la GRC ce qu'elle appelle une mallette incomplète de documents se rapportant à la plainte. Plus précisément, la mallette ne renfermait pas les documents établis sous serment au soutien du mandat de perquisition applicable à la grange verte ou à l'habitation du plaignant. Elle ne comprenait que des copies expurgées des notes du membre de la GRC qui se rapportaient au jour de l'incident. La lettre à laquelle était jointe la mallette de documents ne disait pas à la Commission des plaintes que les documents pertinents n'accompagnaient pas la lettre, et elle n'expliquait nulle part pourquoi les notes du membre avaient été expurgées, ni n'indiquait qui les avait expurgées. La demanderesse est d'avis qu'aucun des affidavits produits par la GRC dans la présente procédure n'explique clairement le refus de remettre à la Commission des plaintes les documents pertinents.

[18]            Le 30 octobre 2000 ou vers cette date, la Commission des plaintes concluait qu'une enquête complémentaire sur la plainte était justifiée, et le personnel de la Commission des plaintes fut prié d'enquêter davantage ainsi que le prévoit l'alinéa 45.42(3)c) de la Loi.


[19]            Ce complément d'enquête fut entrepris à l'égard d'autres allégations contenues dans la même plainte. L'allégation selon laquelle le mandat de perquisition avait été irrégulièrement obtenu n'a pu être pleinement étudiée ou examinée parce que la GRC refusait toujours de communiquer tous les documents pertinents, notamment la dénonciation établie sous serment et le texte intégral des notes consignées par les membres concernés de la GRC.

[20]            Au cours de ce complément d'enquête, le personnel de la Commission des plaintes a recueilli les preuves assemblées par le Bureau des plaintes contre la PPO. Selon la demanderesse, ces preuves montrent sans équivoque que l'enquêtrice de la PPO, le sergent-major Sandra McNamara, qui avait examiné la plainte déposée contre les agents de la PPO, avait pu accéder à l'information que recherche la présidente, notamment l'identité de la source confidentielle. La demanderesse dit aussi que le sergent-major McNamara a manifestement eu l'occasion aussi de conférer avec la source confidentielle afin de pouvoir s'acquitter de ses fonctions selon le mécanisme de traitement des plaintes contre la PPO.

[21]            Comme la dénonciation sous serment renfermait une information qui pouvait indirectement révéler l'identité de la source humaine confidentielle, la Cour de justice de l'Ontario a rendu, conformément au paragraphe 487.3(2) du Code criminel, une ordonnance de non-communication de la dénonciation produite sous serment (l' « ordonnance de non-communication » ).


[22]            Comme elle jugeait probable que la GRC hésiterait à communiquer à la Commission des plaintes les documents pertinents, puisqu'ils étaient sujets à l'ordonnance de non-communication, la présidente a prié son avocat de solliciter devant la Cour de justice de l'Ontario la modification de l'ordonnance de non-communication de telle sorte que la présidente obtienne pleinement accès aux documents visés par l'ordonnance en question. Cependant, lorsque la présidente rencontra le 4 décembre 2002 le Commissaire de la GRC pour examiner avec lui les points soulevés par cette demande de modification, le Commissaire de la GRC lui signifia clairement que, à son avis, la présidente n'avait pas droit à la communication des documents. La position du Commissaire sur ce point fut confirmée dans une lettre datée du 18 décembre 2002. La présidente a donc décidé de retirer la demande de modification déposée devant la Cour de justice de l'Ontario et de soumettre à la Cour fédérale les questions générales soulevées par le Commissaire de la GRC.

[23]            Le 2 mai 2003 ou vers cette date, la GRC communiquait à la Commission des plaintes une copie expurgée du projet d'appendice A d'une dénonciation non revêtue du serment (la « dénonciation sans serment » ) qui devait servir à obtenir un mandat autorisant une perquisition au domicile du plaignant. Avant la remise de la dénonciation sans serment à la Commission des plaintes, la GRC en avait expurgé le contenu pour en supprimer toute information qui d'après la GRC pouvait permettre d'identifier la source humaine confidentielle. Avant d'inclure dans le dossier de la présente demande la dénonciation sans serment, la GRC a estimé nécessaire d'expurger de nouveau le contenu de la dénonciation pour s'assurer de la suppression des mentions pouvant directement ou indirectement désigner une source humaine confidentielle.

[24]            Le 15 mai 2003 ou vers cette date, la GRC remettait à la Commission des plaintes une copie expurgée de l'appendice A de la dénonciation sous serment qui devait servir à obtenir un mandat autorisant une perquisition dans la grange verte du plaignant.

[25]            La dénonciation sous serment fut remise à la Commission des plaintes en conformité avec l'ordonnance du juge R. J. Walneck, de la Cour de justice de l'Ontario, datée du 14 mai 2003, et après avoir été expurgée par la GRC et un procureur fédéral par suppression des mentions pouvant directement ou indirectement désigner la source humaine confidentielle.

DISPOSITIONS APPLICABLES

[26]            La demanderesse est autorisée par la Loi à fonctionner en tant qu'organe impartial et indépendant lorsqu'elle enquête sur les plaintes du public qui concernent la manière dont les membres et officiers de la GRC accomplissent leurs fonctions (paragraphe 45.35(1)). Sur la foi de ses conclusions, la demanderesse présente des recommandations au Commissaire de la GRC et au solliciteur général. Pour permettre à la demanderesse d'accomplir son mandat, la partie VII de la Loi lui confère certains pouvoirs.


[27]            La demanderesse est habilitée à recevoir les plaintes de tout membre du public se rapportant à la conduite de la GRC, ainsi qu'à enquêter sur telles plaintes (paragraphes 45.35(1) et 45.41(1)). La Commission des plaintes peut aussi déposer elle-même une plainte si elle est convaincue qu'il y a des motifs raisonnables d'enquêter sur la conduite de la GRC (paragraphe 45.37(1)).

[28]            Les plaintes sont d'abord examinées par la GRC (paragraphe 45.37(4) et article 45.36). Le Commissaire de la GRC communique alors au plaignant les conclusions de l'enquête (paragraphe 45.36(6)). Si le plaignant n'est pas satisfait du rapport du Commissaire de la GRC, il peut alors soumettre l'affaire à la Commission des plaintes pour examen complémentaire (paragraphe 45.41(1)). La Commission des plaintes peut :

a.              demander à la GRC de faire une enquête plus approfondie si l'enquête semble déficiente (paragraphe 45.42(3)),

b.              faire sa propre enquête (paragraphe 45.42(3)c)), ou

c.              tenir une audience publique (paragraphe 45.42(3)c)).

[29]            Le paragraphe 45.41(2) de la Loi est ainsi formulé :


(2) En cas de renvoi devant la Commission conformément au paragraphe (1) :

(2) Where a complainant refers a complaint to the Commission pursuant to subsection (1),

a) le président de la Commission transmet au commissaire une copie de la plainte;

(a) the Commission Chairman shall furnish the Commissioner with a copy of the complaint; and

b) le commissaire transmet au président de la Commission l'avis visé au paragraphe 45.36(6) ou le rapport visé à l'article 45.4 relativement à la plainte, ainsi que tout autre document pertinent placé sous la responsabilité de la Gendarmerie.

(b) the Commissioner shall furnish the Commission Chairman with the notice under subsection 45.36(6) or the report under section 45.4 in respect of the complaint, as the case may be, and such other materials under the control of the Force as are relevant to the complaint.


[30]            Le paragraphe 45.42(1) de la Loi est ainsi formulé :


(1) Le président de la Commission examine chacune des plaintes qui sont renvoyées devant la Commission conformément au paragraphe 45.41(1) ou qui sont portées en application du paragraphe 45.37(1), à moins qu'il n'ait déjà fait enquête ou convoqué une audience pour faire enquête en vertu de l'article 45.43.

(1) The Commission Chairman shall review every complaint referred to the Commission pursuant to subsection 45.41(1) or initiated under subsection 45.37(1) unless the Commission Chairman has previously investigated, or instituted a hearing to inquire into, the complaint under section 45.43.


[31]            La Commission des plaintes peut aussi, à tout moment, instituer une audience publique concernant une plainte (article 45.43), même avant l'enquête de la GRC, et, en application du paragraphe 45.45(4) de la Loi, elle a les pouvoirs conférés à une commission d'enquête par les alinéas 24.1(3)a), b) et c). Les pouvoirs d'une commission d'enquête sont énumérés au paragraphe 24.1(3) :


a) assigner des témoins, les enjoindre à témoigner sous serment, oralement ou par écrit, et à produire les documents et pièces dont ils ont la responsabilité et que la commission estime nécessaires à une enquête et étude complètes;

(a) to summon any person before the board and to require that person to give oral or written evidence on oath and to produce such documents and things under that person's control as the board deems requisite to the full investigation and consideration of that matter;

b) recevoir des serments;

(b) to administer oaths;

c) recevoir et accepter les éléments de preuve et renseignements, fournis sous serment ou sous forme d'affidavit, qu'elle estime indiqués, qu'ils soient ou non recevables devant un tribunal;

(c) to receive and accept on oath or by affidavit such evidence and other information as the board sees fit, whether or not such evidence or information is or would be admissible in a court of law; and

d) procéder à l'examen des dossiers ou registres et aux enquêtes qu'elle juge nécessaires.

(d) to make such examination of records and such inquiries as the board deems necessary.



[32]            Après une audience, la Commission des plaintes expose ses conclusions et recommandations dans un rapport adressé au Commissaire de la GRC, au solliciteur général, au plaignant et aux membres de la GRC qui sont l'objet de la plainte (paragraphe 45.45(14)). Le Commissaire de la GRC est tenu de répondre au rapport, en précisant si la GRC donnera suite aux conclusions et recommandations de la Commission des plaintes (paragraphe 45.46(2)). Si le Commissaire de la GRC refuse d'agir, il doit en indiquer les raisons. Après avoir examiné la réponse du Commissaire de la GRC, la Commission des plaintes rend un rapport final (paragraphe 45.46(3)).

POINTS LITIGIEUX

[33]            Selon la demanderesse, le Commissaire de la GRC a négligé de se plier à son obligation, selon l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi, de communiquer à la présidente tous les documents relevant de la GRC qui intéressent la plainte.

[34]            La demanderesse dit aussi que l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi énonce une obligation absolue et n'autorise pas le Commissaire de la GRC à refuser la communication des documents se rapportant à la plainte.

[35]            Finalement, la demanderesse dit que la communication à la présidente de tous les documents pertinents ne porte pas atteinte au privilège relatif aux indicateurs de police ni à l'intérêt public sur lequel il est fondé. La présidente jure que l'information qu'elle demande lui sera communiquée sous le sceau du secret et que l'identité de l'indicateur demeurera confidentielle.

[36]            La demanderesse sollicite notamment :


1.          une ordonnance de la nature d'un mandamus, enjoignant au Commissaire de se conformer à l'obligation que lui fait l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi sur la GRC de communiquer à la présidente de la Commission des plaintes tous les documents relevant de la GRC qui intéressent une plainte soumise à la demanderesse le 6 juillet 2000 conformément au paragraphe 45.41(1) de la Loi sur la GRC;

2.          une déclaration selon laquelle le Commissaire ne peut pas refuser de communiquer à la présidente les documents qui intéressent une plainte et qui doivent être communiqués en application du paragraphe 45.41(2) de la Loi sur la GRC.

ARGUMENTS

La demanderesse

[1]                La demanderesse avance des arguments puissants et convaincants selon lesquels la présidente devrait pouvoir obtenir l'information demandée.

Les personnes qui ont eu accès à l'information en cause

[2]                La demanderesse relève qu'un bon nombre de personnes ont déjà eu accès à l'information qu'elle recherche.


[3]                L'agent Kovacs a d'abord reçu l'information de l'indicateur, et cela seul ou en compagnie de l'agent Delahey. Il y a ici contradiction entre l'affidavit de l'agent Delahey et la dénonciation sous serment, mais, quoi qu'il en soit, il est clair que l'agent Kovacs et l'agent Delahey ont partagé l'information.

[4]                Par la suite, l'agent Delahey a partagé l'information avec l'agent Holland. L'agent Holland a obtenu l'information parce qu'il était un dactylographe plus expérimenté que l'agent Delahey. L'agent Holland n'a reconnu ce fait qu'en réponse à des interrogatoires écrits.

[5]                Le juge Glowacki, de la Cour provinciale de l'Ontario, a eu accès à l'information lorsque l'agent Delahey a sollicité le mandat de perquisition.

[6]                À la suite de la plainte déposée au Bureau des plaintes contre la PPO, le sergent-major Sandra McNamara, de la PPO, a obtenu communication de l'information. En fait, elle a conféré avec l'indicateur lorsqu'elle enquêtait sur la plainte en application de la loi ontarienne.

[7]                M. Ronald J. Poirier a été engagé par la GRC pour obtenir une ordonnance se rapportant à l'information confidentielle. Cette demande a été présentée par la GRC, en l'absence de la partie adverse, puis a été instruite par le juge Walneck, de la Cour provinciale de l'Ontario, qui a vu l'information confidentielle dans son intégralité, puis modifié l'ordonnance de non-communication.

[8]                Le greffier de la Cour provinciale a été prié d'ouvrir la mallette scellée renfermant l'information confidentielle.


[9]                Un double de l'information confidentielle, ou une copie certifiée conforme préparée par le greffier, a été remise à M. Poirier.

[10]            Conformément à l'ordonnance du juge Walneck, le procureur fédéral Roderick Sonley a eu accès à l'information confidentielle, en vue de l'expurger.

[11]            Selon la demanderesse, le dossier révèle que l'information que demande la présidente afin de pouvoir faire son travail a été vu par trois membres de la GRC, un membre de la PPO, deux juges, un greffier de tribunal, un avocat du secteur privé agissant comme mandataire du procureur général, et un procureur fédéral travaillant pour le ministère de la Justice du Canada. Il n'y a aucune raison pour laquelle cette information ne devrait pas également être mise à la disposition de la présidente, qui est un auxiliaire de la justice totalement digne de confiance et qui veillera à ce que l'information reste confidentielle.

Capacité et volonté de la présidente de préserver l'information sensible


[12]            Les personnes susmentionnées sont présumées disposées et aptes à préserver l'information sensible. En toute justice, cette présomption devrait également s'appliquer à la présidente. Quoi qu'il en soit, la présidente, le vice-président et les employés de la Commission des plaintes ont des habilitations de sécurité adaptées à leurs niveaux et à leurs responsabilités. La présidente a une habilitation de sécurité du niveau « très secret » , de même que les enquêteurs et les employés qui requièrent cette habilitation. Les bureaux de la Commission des plaintes ont été conçus pour tenir compte de la nature sensible des informations de ce genre qui peuvent être reçues, et un niveau élevé de sécurité matérielle est maintenu pour les locaux comme pour la conservation des archives.

[13]            Dans le passé, au cours d'examens, la Commission des plaintes a reçu des informations très sensibles se rapportant à des techniques d'enquête de la GRC et à des questions de sécurité nationale. La Commission des plaintes a alors pris les précautions nécessaires pour que l'information sensible ne se glisse pas dans un rapport de la Commission des plaintes et donc ne tombe dans le domaine public.

[14]            Selon la demanderesse, si la Cour juge à propos de faire droit à la présente demande, la présidente continuera de veiller à l'intégrité de tous les documents remis à la Commission des plaintes en conformité avec la Loi.

Position des parties


[15]            Selon la demanderesse, lorsque la présidente entreprend un examen, elle est fondée à recevoir du Commissaire de la GRC toute l'information se rapportant à la plainte, sans exceptions et sans suppressions. La présidente reconnaît qu'elle est soumise aux mêmes contraintes que tout fonctionnaire à qui sont communiqués des renseignements relevant du privilège relatif aux indicateurs de police.

[16]            La GRC cependant est d'avis que, nonobstant le texte inconditionnel de l'alinéa 45.41(2)b), les contraintes imposées par le privilège relatif aux indicateurs de police empêchent la GRC de communiquer à la présidente tous les documents pertinents susceptibles de servir à l'examen de la plainte déposée dans cette affaire.

[17]            Selon la demanderesse, le véritable point à régler ici est fondamental. C'est celui de savoir si la présidente de la Commission des plaintes devrait elle aussi recevoir l'information afin d'accomplir les tâches que lui a assignées le législateur, et cela sans qu'il soit porté atteinte à la garantie de confidentialité à laquelle a droit l'indicateur, et sans le consentement de l'indicateur. Le privilège relatif aux indicateurs de police n'a pas empêché la GRC de partager l'information avec toutes les personnes mentionnées précédemment. Par conséquent, d'affirmer la demanderesse, ce même privilège ne devrait pas empêcher la GRC de la partager avec la présidente.

Le privilège relatif aux indicateurs de police


[18]            L'attribut essentiel du privilège relatif aux indicateurs de police est la garantie de confidentialité à laquelle a droit l'indicateur. Le privilège en question est une règle juridique qu'un juge ne saurait ignorer et auquel ne peut renoncer la Couronne sans le consentement de l'indicateur. L'intérêt public sur lequel repose le privilège est le suivant : (a) la protection de l'indicateur, et (b) la communication de renseignements à la police pour aider celle-ci à élucider les crimes et à les empêcher : R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281.

[19]            Aux fins de la présente affaire, la demanderesse est disposée à admettre qu'un indicateur a communiqué à la police des renseignements auxquels s'applique le privilège et que l'indicateur a droit à une garantie de confidentialité, garantie que la Couronne ne peut rompre sans le consentement de l'indicateur.

[20]            Puisque les policiers, les juges et les procureurs de la Couronne ont coutume de partager l'information relevant du privilège, il est clair que cette information peut être partagée, en deçà de certaines limites, sans que soit rompue la garantie et sans le consentement de l'indicateur. En fait, le cercle de gens qui sont fondés à recevoir l'information s'élargit avec le temps, en fonction des circonstances. L'élargissement de ce cercle se fait sans violation de la garantie, et sans le consentement de l'indicateur et, qui plus est, sans qu'il soit porté atteinte à l'intérêt public sur lequel repose le privilège. Le procureur de la Couronne par exemple, dans la présente demande, pourrait devoir modifier la présentation de ses arguments afin de respecter le privilège : R. c. Hunter (1987), 59 O.R. (2d) 364, à la page 376 (C.A.)


[21]            En l'espèce, la GRC doit adopter le point de vue selon lequel le privilège a pris naissance au moment où l'indicateur a communiqué l'information au premier policier. À ce stade, l'indicateur avait droit à une garantie de confidentialité, à laquelle la Couronne ne pouvait pas renoncer sans son consentement. Finalement, au moins deux autres membres de la GRC ont reçu l'information, ainsi que deux juges, un greffier de tribunal, un membre du Bureau des plaintes contre la PPO, un mandataire du procureur général et un avocat travaillant pour le ministère de la Justice. Nonobstant cette diffusion étendue de l'information, la garantie n'a pas été rompue et le consentement de l'indicateur n'a pas été nécessaire.

[22]            La demanderesse fait valoir que, puisque les policiers, les juges et les procureurs de la Couronne ont coutume de partager l'information, nous devons en conclure que les tribunaux s'accommodent de ce partage parce qu'il ne met pas en péril l'intérêt public sur lequel repose le privilège. Lorsque ces gens partagent l'information, l'indicateur n'est pas exposé à un risque, et le public n'est pas dissuadé de communiquer des renseignements à la police.

[23]            L'agent Delahey a remis l'information à l'agent Holland, qui l'a dactylographiée. On ne sait pas quelles normes l'agent Delahey a appliquées pour savoir s'il était opportun de partager l'information avec l'agent Holland ou, à plus forte raison, avec le sergent-major de la PPO. En fait, les tribunaux n'ont donné aucune directive explicite sur la manière d'exercer ce pouvoir discrétionnaire, mais l'on peut tirer certains indices de ce que les précédents ont autorisé et imposé.


[24]            La demanderesse propose des normes qui puissent s'appliquer dans la présente affaire et dans d'autres afin que le principe à l'origine du privilège demeure sacro-saint. La présidente, comme le Commissaire de la GRC, est déterminée à ce que le nom de l'indicateur ainsi que tout renseignement susceptible d'identifier l'indicateur ne soient jamais révélés au grand public, ni au plaignant.

[25]            La première norme que l'on puisse inférer des précédents se rapporte à la personnalité du destinataire de l'information. Le destinataire est-il digne de confiance? Pour ce qui est des policiers, des juges et des procureurs de la Couronne, le destinataire est un représentant consciencieux de l'État et il est présumé digne de confiance.

[26]            La deuxième norme requiert d'examiner la raison pour laquelle le destinataire se voit confier l'information. Le destinataire doit justifier d'un intérêt public légitime à partager l'information. La demanderesse dit que, pour savoir s'il existe un tel intérêt public légitime, il conviendra, au moment de décider de l'opportunité du partage de l'information, d'apprécier et de mettre en équilibre divers intérêts publics, notamment l'intérêt public sur lequel repose le privilège. C'est pourquoi, nonobstant le privilège, les policiers ont coutume de partager l'information, afin de prévenir les crimes et de les élucider. Parfois, comme c'est le cas ici, et là encore nonobstant le privilège, les policiers s'échangent l'information afin d'accomplir leurs tâches dans le cadre des plaintes du public en matière d'inconduite policière. De même, les juges partagent l'information pour s'assurer que la loi est appliquée, dans le respect des droits fondamentaux des personnes ciblées, et les procureurs de la Couronne partagent l'information pour s'assurer que les poursuites engagées contre l'accusé sont équitables. Dans chaque cas, le destinataire justifie d'un légitime « besoin de connaître » l'information afin d'accomplir les tâches qui lui sont assignées.


[27]            La troisième norme proposée par la demanderesse imposerait des contraintes au destinataire, pour s'assurer qu'il est disposé à se conduire, dans sa vie professionnelle, ainsi que dans sa vie personnelle, d'une manière qui ne trahisse pas l'identité de l'indicateur, ni l'intérêt public sur lequel repose le privilège. Par exemple, un policier ne sera peut-être pas en mesure d'arrêter immédiatement un présumé criminel si l'arrestation immédiate risque de trahir l'identité de l'indicateur. Un juge pourrait devoir revêtir du sceau de la confidentialité l'information à l'origine d'un mandat de perquisition, pour s'assurer que le nom de l'indicateur ne fera pas la une des journaux. Un procureur de la Couronne pourrait devoir modifier la manière dont il conduit un dossier afin de ne pas divulguer, par inadvertance, l'identité de l'indicateur au moment d'interroger les témoins, de déposer des pièces à conviction ou de présenter des arguments.

Ces normes s'appliquaient à la présidente de la Commission des plaintes

[28]            Selon la demanderesse, le partage de toute l'information pertinente avec la présidente de la Commission des plaintes, y compris de l'information susceptible de désigner l'indicateur, ne mettrait pas en péril la politique sur laquelle repose le privilège relatif aux indicateurs de police.

[29]            D'abord, en tant qu'avocate et que personne nommée par le gouverneur en conseil, détentrice d'une habilitation de sécurité du niveau « très secret » , la présidente est une représentante consciencieuse de l'État.


[30]            Deuxièmement, la présidente justifie d'un intérêt public légitime dans l'acquisition de l'information. En fait, sur le plan général, il s'agit du même intérêt public que celui qu'avait le sergent-major de la PPO à acquérir l'information, savoir l'accomplissement de la fonction assignée par le législateur fédéral ou provincial en matière de traitement des plaintes du public. À la lumière de la décision de la GRC de partager l'information avec le sergent-major du Bureau des plaintes contre la PPO, il semblerait, d'affirmer la demanderesse, que la légitimité de l'intérêt public de la présidente à acquérir l'information est incontestable.

[31]            Finalement, la présidente est disposée à se conduire d'une manière garantissant que l'identité de l'indicateur ne sera pas divulguée et que le privilège relatif aux indicateurs de police sera respecté. On peut présumer que, comme tous les représentants consciencieux de l'État, elle se conduira ainsi, mais, en tout état de cause, elle a bien fait comprendre à la Cour, dans la présente instance, et par un engagement précis, qu'elle prendra tous les moyens nécessaires pour empêcher la divulgation de l'information.

Un examen n'est pas une procédure publique

[32]            L'examen que fait la présidente en application du paragraphe 45.42(1) de la Loi n'est pas une procédure publique. Si c'était une procédure publique, l'information ne pourrait pas faire partie du dossier public.


[33]            La présidente a toute latitude de déterminer la forme et le fond de l'examen, et toute latitude de déterminer la forme et le fond du rapport qui suit l'examen. Elle peut donc mener l'examen comme elle l'entend et elle est libre de rendre compte ou non de faits, comme elle le juge à propos. Tout en préservant le privilège relatif aux indicateurs de police, la présidente est libre d'exposer ses conclusions sans se référer à la preuve ou d'une autre manière donner ses motifs.

Aucun précédent ne régit la présente demande

[34]            Dans l'arrêt Leipert, précité, la Cour suprême du Canada a réitéré l'importance du privilège relatif aux indicateurs de police. La demanderesse accepte sans réserve les conclusions et le raisonnement de cet arrêt. Cependant, dans cette affaire, l'accusé avait présenté une demande de communication de renseignements qui comprenaient l'identité d'un indicateur. Selon la demanderesse, si l'accusé avait dans cette affaire obtenu communication des renseignements demandés, il y aurait eu contravention au principe sur lequel repose le privilège. En bref, l'accusé n'était pas digne de confiance, il n'avait pas un intérêt public légitime à acquérir les renseignements et l'on ne pouvait compter sur lui pour préserver l'identité de l'indicateur. Ainsi, d'affirmer la demanderesse, l'arrêt Leipert n'est pas applicable à la présente affaire.


[35]            La demanderesse avance des arguments semblables à propos des arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans l'affaire des Dossiers de santé et dans les affaires qui l'ont suivie. Dans chacun de ces précédents, le destinataire des renseignements avait jugé de son devoir de diffuser publiquement les renseignements confidentiels. Manifestement, le partage des renseignements avec ces personnes aurait transgressé l'intérêt public à l'origine du privilège. (Voir les arrêts suivants : Canada (Solliciteur général) c. Ontario (Commission royale d'enquête sur la confidentialité des dossiers de santé en Ontario), [1981] 2 R.C.S. 494, Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, Canada (Gendarmerie royale du Canada) c. Saskatchewan (Commission d'enquête sur le décès de Leo La Chance), [1992] 6 W.W.R. 62 (C.A. Sask.)).

[36]            La demanderesse affirme que, puisque les arrêts Leipert et Dossiers de santé ne sont ici d'aucune aide au vu des circonstances de la présente affaire, et puisqu'aucun autre précédent n'est à propos, la Cour doit adopter l'approche raisonnée exposée ci-dessus pour savoir si la présidente de la Commission des plaintes est fondée à recevoir, sans exceptions et sans suppressions, tous les renseignements pertinents demandés au Commissaire de la GRC.

Le rôle critique et croissant de la présidente dans l'examen de la conduite policière


[37]            Lorsque le solliciteur général avait déposé à l'origine le projet de loi instituant la Commission des plaintes, il avait reconnu l'importance d'une surveillance civile autonome des activités policières. Plus récemment, avec la mise en place, dans la nouvelle législation antiterroriste et dans des modifications apportées au Code criminel, de vastes pouvoirs de détention, ainsi que du pouvoir d'arrêter les personnes suspectées de vouloir faciliter des activités terroristes ou de vouloir s'engager dans de telles activités, la ministre de la Justice s'était exprimée ainsi lorsqu'elle avait témoigné devant le Comité sénatorial chargé d'examiner le projet de loi C-36 :

Honorables sénateurs, un examen et une surveillance adéquats des pouvoirs prévus dans le projet de loi C-36 permettront également de veiller à la bonne application de ces pouvoirs. À cet égard, j'insiste sur le fait que divers mécanismes de reddition de comptes déjà existants dans le droit canadien s'appliqueront à l'exercice des pouvoirs prévus dans ce projet de loi. Il s'agira notamment de mécanismes comme celui de la Commission des plaintes du public contre la GRC et des divers mécanismes de plainte et d'examen s'appliquant aux corps policiers relevant de la compétence provinciale.

[38]            Le solliciteur général avait lui aussi fait ressortir devant le Comité sénatorial l'importance du rôle de la Commission des plaintes dans la surveillance des activités de la GRC :

Les tribunaux et les organismes de surveillance civils possèdent les mécanismes essentiels afin d'assurer l'intégrité de toutes les activités policières. Cette possibilité d'enquêter sur toute faute perçue est cruciale dans un système d'application de la loi qui reflète et protège nos valeurs fondamentales que sont la liberté, la démocratie et l'égalité.

Les activités policières visant à combattre les terroristes et à mettre fin à leurs agissements seront assujetties aux mêmes mécanismes de contrôle. Ainsi, les organismes d'examen indépendants, comme la Commission des plaintes du public contre la GRC, continueront de jouer un rôle extrêmement important en obligeant les services de police à rendre compte de leurs activités à la population qu'ils se sont engagés sous serment à servir.

Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, modifiant le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46.


[39]            Ainsi que la ministre de la Justice et le solliciteur général l'ont reconnu, une surveillance efficace et impartiale de la police est quelque chose d'important. Elle permet de réfréner les éventuels abus policiers, mais elle est également importante comme moyen de renforcer l'efficacité policière et la confiance du public dans les activités de la police. Dans un discours prononcé devant la Huitième Conférence annuelle de l'Association nationale des organismes civils de surveillance des autorités policières, tenue à Cambridge, au Massachusetts (États-Unis), le 1er novembre 2002, l'ombudsman de la police pour l'Irlande du Nord s'était exprimé ainsi :

[traduction] Il importe de vous dire qu'il n'y a pas contradiction naturelle entre des services policiers efficaces, même dans le contexte du terrorisme ambiant, et des enquêtes efficaces et impartiales sur les plaintes déposées contre la police. Des enquêtes professionnelles impartiales et rigoureuses ne peuvent que contribuer à l'amélioration des services policiers et à l'accroissement de la confiance du public dans la police. Les enquêtes impartiales menées en Irlande du Nord n'ont causé aucune difficulté aux organes chargés d'enquêter sur les actes terroristes. Elles ont permis de concentrer les esprits et ont donné de meilleures procédures d'enquête. La lutte au terrorisme ne devrait jamais être invoquée pour refuser un examen impartial des plaintes déposées contre la police.

[40]            La demanderesse fait observer que l'efficacité du régime civil de surveillance que le législateur fédéral a institué dans les parties VI et VII de la Loi est tributaire d'un accès total à tous les documents en la possession de la GRC qui intéressent une plainte. Sans un accès à tous les documents intéressant la plainte en question, la présidente de la Commission des plaintes ne pourra faire un examen de la plainte qui soit indépendant de la GRC. Cela revient en fait à contrecarrer l'intention du législateur telle qu'elle est exprimée dans la Loi.

[41]            La demanderesse dit que, en exprimant l'avis que la Commission des plaintes ne peut avoir accès à des renseignements susceptibles d'identifier une source confidentielle, la GRC interdit en fait à la Commission des plaintes d'examiner les plaintes portées contre des membres de la GRC qui prétendent agir d'après des renseignements fournis par de telles sources. Une telle plainte pourrait être valide si, par exemple, la source n'était pas fiable ou était motivée par la malveillance ou un désir de vengeance et si le membre de la GRC a négligé de révéler pleinement ce fait au tribunal au moment d'obtenir un mandat de perquisition.


[42]            La demanderesse invite la Cour à prendre notre que, pour l'instant, il n'existe aucun mécanisme quel qu'il soit permettant d'évaluer une affirmation de la GRC selon laquelle le dossier renferme des renseignements confidentiels. En l'espèce, la GRC dit que les portions expurgées de la dénonciation sans serment et de la dénonciation sous serment pourraient désigner l'indicateur. Mais la présidente n'est pas en mesure d'évaluer si tel est le cas.

[43]            Lorsqu'une personne est accusée d'un acte criminel, elle a la protection du tribunal et elle dispose d'un lieu pour faire valoir que ses droits fondamentaux ont été ignorés, et le tribunal peut exercer des pouvoirs de surveillance à l'égard de la conduite policière. Il peut notamment donner à l'accusé l'accès à la totalité ou à une partie des documents confidentiels à l'origine du mandat de perquisition, et il peut aussi, selon l'article 24 de la Charte, écarter les éléments de preuve qui ont été illégalement obtenus, ou suspendre la procédure si leur utilisation risque de déconsidérer l'administration de la justice. On trouvera dans l'arrêt R. c. Duncan, [2002], M.J. No. 425, un exemple récent de l'exercice des pouvoirs de surveillance d'une cour de justice sur un membre de la GRC.

[44]            La demanderesse fait valoir qu'une personne qui est l'objet d'une fouille ou perquisition ou d'une autre activité policière importune, notamment une arrestation, mais qui n'est jamais accusée, doit pouvoir compter, ainsi que le faisaient remarquer le ministre de la Justice et le solliciteur général, sur le droit de déposer une plainte en application de la partie VII de la Loi.


[45]            Finalement, la demanderesse fait observer que la nouvelle Loi antiterroriste souligne l'importance d'une surveillance civile véritable de la conduite policière parce que, ainsi que l'ont dit à maintes reprises de hauts fonctionnaires du ministère de la Justice, l'objet de la Loi antiterroriste est la prévention, non les poursuites. Cela signifie que les activités de la GRC destinées à prévenir le terrorisme ne signifient pas que la GRC peut systématiquement recourir aux tribunaux en déposant des accusations. Comme pour la présente affaire, où aucune accusation n'a été déposée, les tribunaux n'auront pas la possibilité d'exercer leurs pouvoirs normaux de surveillance sur la conduite policière. L'importance de la présente demande est accentuée par le fait que ce nouveau texte législatif donne à penser que de nombreux cas impliqueront une conduite policière inopportune sans que des accusations soient déposées.

Le défendeur

Généralités

[46]            Les arguments de la demanderesse sont raisonnables et tout à fait persuasifs, mais le défendeur dit que plusieurs raisons les rendent discutables.


[47]            La GRC a rencontré le plaignant pour discuter avec lui de ses préoccupations et lui expliquer les circonstances entourant la perquisition menée dans sa grange, notamment le fait que certains des renseignements utilisés pour obtenir le mandat de perquisition ne pouvaient lui être communiqués parce qu'ils avaient été donnés par une source humaine confidentielle. La GRC a conclu que ses membres étaient autorisés à perquisitionner sur la propriété du plaignant et n'a constaté aucune inconduite dans la manière dont la perquisition avec été menée.

[48]            Le plaignant a demandé à la Commission des plaintes d'examiner sa plainte parce que selon lui la GRC n'avait pas dissipé ses inquiétudes. Résumant ses griefs d'examen, le plaignant a dit qu'il n'était pas satisfait de la manière dont le mandat avait été exécuté, en affirmant que la GRC avait perquisitionné chez lui sans y être autorisée.

[49]            Informée de la demande d'examen présentée par le plaignant, la GRC a remis à la Commission des plaintes un exemplaire des documents se rapportant à la plainte. Une copie de la dénonciation sous serment et une copie non expurgée des notes des agents étaient absentes de ces documents. La copie des notes des agents remise à la demanderesse était expurgée par suppression des mentions susceptibles de révéler l'identité de la source confidentielle.

[50]            La demanderesse a prétendu que la GRC était tenue, de par l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi, de lui remettre une copie de la dénonciation sous serment et une copie non expurgée des notes des agents. En réponse, le Commissaire de la GRC a exprimé l'avis que la demanderesse n'a pas le pouvoir d'exiger la production de ces documents et que le privilège relatif aux indicateurs de police interdit au défendeur de les communiquer.

[51]            La demanderesse a prié la Cour de justice de l'Ontario de rendre une ordonnance modifiant l'ordonnance de non-communication, afin que la Commission des plaintes puisse obtenir une copie de la dénonciation sous serment. La demanderesse a ensuite retiré sa demande, décidant plutôt d'introduire la présente demande de mandamus et de jugement déclaratoire.

[52]            Pour faciliter l'enquête de la demanderesse, et pour limiter les points soulevés dans la présente demande, le défendeur a remis à la demanderesse autant de renseignements que le permettaient les restrictions imposées par le privilège relatif aux indicateurs de police. Voici ce qu'il a fait :

a. il a remis à la demanderesse une copie expurgée d'un projet d'appendice A d'une dénonciation non solennelle ( « dénonciation sans serment » ) qui devait servir à obtenir un mandat autorisant une perquisition au domicile du plaignant, mandat qui, comme il est indiqué ci-dessus, a été refusé par la Cour de justice de l'Ontario. La dénonciation sans serment a été expurgée par la GRC, par suppression des renseignements qui selon elle pouvaient permettre d'identifier une source humaine confidentielle; et

b. il a modifié les conditions de l'accès à la dénonciation sous serment, en demandant à la Cour de justice de l'Ontario, en application du paragraphe 487.3(4) du Code criminel, de modifier les conditions de l'ordonnance. La Cour de justice de l'Ontario a fait droit à la demande, et le défendeur a remis à la demanderesse une copie expurgée de la dénonciation sous serment, qui, selon les directives de la Cour de justice de l'Ontario, a été expurgée par la GRC et un procureur fédéral, par suppression des mentions susceptibles d'identifier une source humaine confidentielle.

[53]            Malgré les efforts accomplis par la GRC pour remettre à la demanderesse autant de renseignements et de documents que le permettait le privilège relatif aux indicateurs de police, la demanderesse a décidé d'aller de l'avant avec la présente demande.


La demanderesse n'a pas la compétence et la capacité requises pour présenter cette demande

[54]            Le défendeur dit que, en présentant cette demande de contrôle judiciaire, la demanderesse cherche à étendre les pouvoirs qui lui sont conférés par la partie VII de la Loi, alors que, par principe, le législateur fédéral a jugé à propos de ne pas lui accorder la capacité d'introduire des procédures judiciaires (Canada (Commissaire à la vie privée) c. Canada (Procureur général), [2003] B.C.J. 1344 (C.S.)). La demanderesse ne saurait avoir gain de cause dans cette demande, parce qu'elle n'a pas la capacité de la présenter.

[55]            La Loi décrit clairement et intégralement les pouvoirs de la demanderesse, et le pouvoir d'introduire des procédures judiciaires n'en fait pas partie. La demanderesse n'a donc pas la capacité de déposer la présente demande et elle a aussi agi sans y être habilitée lorsqu'elle a demandé, en vertu du paragraphe 487.3(4) du Code criminel, une copie de la dénonciation sous serment, laquelle était l'objet d'une ordonnance de non-communication rendue par la Cour de justice de l'Ontario.

[56]            Le défendeur dit que la Cour fédérale a déjà statué sur le fait que la demanderesse est malvenue à déposer une demande à la Cour en application de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada pour qu'elle juge de la validité d'une opposition de la GRC -- selon l'article 37 de la même Loi -- à la communication de renseignements qui seraient préjudiciables à l'intérêt public. La Cour d'appel fédérale a par la suite confirmé les motifs et les conclusions de la Section de première instance en la matière. La même analyse et les mêmes conclusions sont ici applicables.


[57]            Le défendeur dit qu'il est maintenant clairement établi qu'il est mal à propos pour la demanderesse de s'employer à recueillir des preuves en déposant une demande d'ordonnance de la nature d'un mandamus ou d'un jugement déclaratoire (Re Canada (GRC), Commission des plaintes du public, [1992] A.C.F. n ° 502 (C.A.), confirmant [1990] A.C.F. n ° 915 (1re inst.)). En sa qualité de tribunal quasi judiciaire, la demanderesse a l'obligation de comparaître et d'agir d'une manière impartiale.

La demande ne remplit pas les conditions apparentes du prononcé d'un mandamus ou d'un jugement déclaratoire

[58]            Le défendeur dit que les points de droit et de fait soulevés dans cette demande découlent du redressement sollicité par la demanderesse.

[59]            En sollicitant une ordonnance de la nature d'un mandamus, la demanderesse voudrait forcer le Commissaire de la GRC à lui remettre une copie de la dénonciation sous serment et une copie des notes des agents. Les conditions que la demanderesse doit remplir pour que puisse être rendue une ordonnance de mandamus sont cumulatives et doivent être strictement réunies (Apotex c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), et Rocky Mountain Ecosystem Coalition c. Canada (Office national de l'énergie), [1999] A.C.F. n ° 1223 (1re inst.)). Entre autres, la demanderesse doit prouver que :


a. le Commissaire de la GRC a l'obligation légale de remettre à la demanderesse une copie de la dénonciation sous serment et des notes des agents;

b. le Commissaire de la GRC est débiteur de cette obligation envers la demanderesse; et

c. aucun autre recours adéquat n'est offert à la demanderesse.

[60]            Les mêmes conditions sont applicables à une demande de jugement déclaratoire. La différence réside dans le redressement demandé, à savoir une déclaration selon laquelle le Commissaire de la GRC ne peut refuser de communiquer à la demanderesse une copie de la dénonciation sous serment et des notes des agents (Bande indienne de Montana c. Canada, [1991] 2 C.F. 30 (C.A.), Administration de pilotage des Laurentides c. Pilotes du Saint-Laurent Central Inc (1993), 74 F.T.R. 185 (1re inst.) et Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 144 (1re inst.)). Le défendeur affirme que la demanderesse ne répond à aucune des exigences en question.


[61]            D'abord, le défendeur dit que l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi n'impose pas au Commissaire de la GRC une obligation légale dont la demanderesse serait créancière. La demanderesse prétend effectivement que le Commissaire de la GRC a l'obligation de lui remettre les documents qui relèvent de la GRC et qui, de l'avis de la présidente, intéressent une plainte, mais ce n'est pas ce que dit l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi. Cet alinéa dit que la GRC a l'obligation légale de remettre à la demanderesse les documents qui sont sous sa responsabilité et qui intéressent une plainte. Sans autres directives du législateur, le point de savoir ce qui intéresse une plainte est un aspect à propos duquel peuvent surgir des désaccords légitimes entre le Commissaire de la GRC et la demanderesse. Dans de tels cas, la demanderesse ne saurait imposer son interprétation de ce qui intéresse une plainte aux fins de l'alinéa 45.41(2)b).

[62]            Le défendeur fait aussi valoir que, si le législateur avait voulu imposer au Commissaire de la GRC une obligation légale dont la demanderesse serait créancière, il aurait formulé l'alinéa 45.41(2)b) de la même manière que l'alinéa 24.1(3)a) de la Loi (lequel s'applique aux audiences tenues en vertu du paragraphe 45.45(4)), qui autorise la demanderesse à assigner toute personne pour qu'elle témoigne sous serment, oralement ou par écrit, et produise les documents et pièces dont cette personne a la responsabilité et que la Commission juge nécessaires pour une enquête et une étude complètes.

[63]            Deuxièmement, le défendeur dit que le Commissaire de la GRC n'a pas l'obligation légale de remettre à la demanderesse une copie de la dénonciation sous serment et des notes des agents, parce que ces documents n'intéressent pas la plainte visée par l'enquête. Le plaignant ne trouve rien a redire aux motifs d'après lesquels le mandat de perquisition a été délivré. En poussant plus loin l'affaire auprès de la GRC, le plaignant a posé plusieurs questions, dont une seulement se rapportait aux motifs ayant donné lieu à la perquisition. En poussant l'affaire encore plus loin auprès de la demanderesse, le plaignant a souligné que son problème concerne la manière dont le mandat de perquisition a été exécuté, et non les raisons pour lesquelles il a été délivré. La dénonciation sous serment et les notes des agents n'intéressent donc pas la plainte et, par conséquent, ne sont pas pertinents selon ce que prévoit l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi.


[64]            Troisièmement, le défendeur dit que le seul recours dont dispose la demanderesse si elle ne se satisfait pas des documents qu'elle reçoit en vertu de l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi consiste à convoquer directement une audience selon l'article 45.43. Elle pourra alors assigner devant elle des membres ou agents de la GRC et leur demander de produire des documents précisés. La demanderesse ne l'a pas fait.

La communication des documents recherchés par la demanderesse est proscrite par le privilège relatif aux indicateurs de police

[65]            Le défendeur fait observer que la demanderesse admet que les renseignements supprimés de la dénonciation sous serment et des notes des agents sont sujets au privilège relatif aux indicateurs de police et que l'échange de tels renseignements, dans des limites raisonnables, entre policiers et procureurs de la Couronne, ne contrevient pas au privilège. La demanderesse fait valoir cependant qu'elle n'est pas soumise au privilège et qu'elle a le droit d'accéder sans entraves à la dénonciation sous serment et aux notes des agents.


[66]            Le défendeur fait observer que la Cour suprême du Canada a, en trois occasions, examiné la nature et l'étendue du privilège relatif aux indicateurs de police et a confirmé que ce privilège est défini et régi selon les principes énoncés dans l'arrêt R. c. Leipert (1997), 112 C.C.C. (3d) 385 (C.S.C.), aux pages 4 à 10, dans l'arrêt Canada (Solliciteur général) c. Ontario (Commission royale d'enquête sur la confidentialité des dossiers de santé), [1981] 2 R.C.S. 494, aux pages 23 à 28, et dans l'arrêt Bisaillon c. Keable et autres, 7 C.C.C. (3d) 385 (C.S.C), aux pages 24 à 26 :

a.              le privilège relatif aux indicateurs de police est une règle juridique qui est essentielle pour l'administration de la justice pénale;

b.             le privilège est celui de la Couronne, qui reçoit des renseignements sous le sceau du secret et qui empêche la divulgation non seulement de l'identité de l'indicateur, mais également de tout renseignement susceptible de révéler son identité;

c.             le privilège reconnaît l'importance des indicateurs dans l'aide qu'ils apportent à la police pour prévenir, détecter et élucider les crimes. Sans le privilège, la police ne serait pas en mesure de disposer de sources de renseignements, sources qui ne seraient pas empressées de coopérer à moins d'être assurées de leur anonymat;

d.             le privilège se présente lorsque des agents de paix obtiennent des renseignements d'un indicateur, dans l'exercice de leurs fonctions, et il ne peut, sans le consentement de l'indicateur, être l'objet d'une renonciation par la Couronne ni d'une réduction par un tribunal;

e.              le privilège relatif aux indicateurs de police est de portée générale et s'applique à toutes les procédures judiciaires. Il a notamment été invoqué dans des poursuites criminelles, des actions civiles et des enquêtes publiques, et les tribunaux en ont confirmé la validité. L'intérêt public qui a donné lieu au privilège est le même, quelle que soit la forme que prend une procédure;

f.               l'application du privilège relatif aux indicateurs de police n'est subordonnée à aucune exigence officielle et, si nul ne l'invoque, le tribunal doit l'appliquer de sa propre initiative;

g.             la common law fait relever le secret qui entoure l'indicateur de police d'un système spécial ayant ses propres règles, des règles qui diffèrent de celles qui sont applicables au privilège de la Couronne. Contrairement au privilège de la Couronne, qui réside soit dans la sécurité nationale soit dans la conduite effective de l'administration, la manière d'invoquer le privilège relatif aux indicateurs de police ne requiert ni la déclaration sous serment d'un ministre de la Couronne, ni l'examen par un tribunal des documents ou renseignements en cause;

h.             les tribunaux n'ont pas le pouvoir d'apprécier ou d'évaluer les divers aspects de l'intérêt public qui sont en conflit puisque la loi a déjà résolu elle-même la question. La loi a décidé une fois pour toutes, jusqu'à son éventuelle modification, que les renseignements touchant l'identité des indicateurs de police formeront une catégorie de renseignements qu'il est dans l'intérêt public de garder secrets, et que cet intérêt aura préséance sur la nécessité de garantir la norme de justice la plus élevée possible; et


i.               le privilège ne souffre qu'une seule exception, à savoir les poursuites criminelles dans lesquelles la divulgation de l'identité d'un indicateur est nécessaire pour démontrer l'innocence d'un accusé. Il n'y a pas d'exception dans les procédures autres que les procédures criminelles.

[67]            De l'avis du défendeur, il ressort clairement de ce qui précède que, bien que, selon l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi, le Commissaire de la GRC doive transmettre au président de la Commission « ... relativement à la plainte, ... tout autre document pertinent placé sous la responsabilité de la Gendarmerie » , cette disposition est loin d'être assez précise pour soustraire la demanderesse à une règle aussi importante et aussi absolue que le privilège relatif aux indicateurs de police (voir par exemple l'arrêt Bisaillon, précité).

[68]            Même si la demanderesse avait convoqué une audience et assigné un membre de la GRC pour qu'il produise des copies non expurgées de la dénonciation sous serment et des notes des agents, à supposer que ces documents fussent à propos dans l'enquête de la demanderesse, le privilège de common law qui s'attache à l'identité d'un indicateur de police aurait fait obstacle à la communication de ces documents à la demanderesse.

[69]            Le pouvoir de la demanderesse d'assigner des personnes pour qu'elles témoignent sous serment, oralement ou par écrit, et pour qu'elles produisent durant une audience les documents et pièces dont elles ont la garde est subordonné au paragraphe 45.45(8) de la Loi, qui prévoit que la Commission ne peut recevoir au cours d'une enquête des éléments de preuve qui seraient irrecevables devant un tribunal en raison d'un privilège selon le droit de la preuve.


[70]            Le défendeur fait valoir que la demanderesse ne bénéficie manifestement pas de l'exception énoncée par la Cour suprême du Canada en ce qui concerne le privilège relatif aux indicateurs de police, puisque ni l'enquête menée par la demanderesse ni la demande dont il s'agit ici ne constituent un procès criminel. La non-divulgation d'une copie intégrale de la dénonciation sous serment et des notes des agents n'empêche pas non plus de démontrer l'innocence du plaignant, puisqu'aucune charge n'a été retenue contre lui à la suite de la perquisition contestée.

[71]            La demanderesse rejette les arguments susmentionnés, affirmant que les décisions de la Cour suprême du Canada concernant le privilège relatif aux indicateurs de police ne sont pas applicables à la présente affaire parce qu'elles concernent soit la requête d'un accusé qui cherche à connaître l'identité d'un indicateur, soit la demande d'une commission d'enquête qui entend diffuser dans le public le renseignement en cause. Cependant, le défendeur fait remarquer que la Cour suprême du Canada a déjà étudié et rejeté les moyens avancés par la demanderesse pour élargir les cas de non-application du privilège relatif aux indicateurs de police.

[72]            Dans l'arrêt Ontario (Commission royale d'enquête sur la confidentialité des dossiers de santé), précité, une Commission royale établie en vertu de la Loi sur les enquêtes publiques pour évaluer si les lois appliquées par le ministre de la Santé protégeaient suffisamment les dossiers médicaux des patients cherchait également à connaître l'identité d'un indicateur de police.

[73]            La Commission royale fonctionnait selon un régime semblable à celui de la demanderesse. Elle pouvait assigner toute personne pour qu'elle témoigne sous serment ou pour qu'elle dépose comme preuve les documents que la Commission royale précisait, pour autant qu'ils fussent utiles à son enquête, et quand bien même des éléments de preuve non recevables devant une cour de justice en raison de l'existence d'un privilège eussent été également irrecevables devant la Commission royale. Les travaux de la Commission pouvaient également se dérouler à huis clos, au besoin.

[74]            L'identité de l'indicateur de police n'était demandée ni par une personne accusée dans un procès criminel ni par un plaideur dans un procès civil, mais plutôt par la Commission royale, mais, de l'avis de la Cour suprême, cela ne changeait en rien l'application du privilège relatif aux indicateurs de police. La Cour suprême a confirmé que la Couronne ne peut être tenue de divulguer le nom d'un indicateur à qui elle a garanti l'anonymat.

[75]            Le défendeur fait aussi observer que la Cour d'appel de la Saskatchewan a adopté le même raisonnement et est arrivée à la même conclusion dans l'arrêt Gendarmerie royale du Canada c. Saskatchewan (Commission d'enquête), précité. Dans cette affaire, il s'agissait de savoir si une commission d'enquête établie en vertu de la Public Inquiries Act, R.S.S., ch. P-38, pour examiner les techniques d'enquête policière et les méthodes du service des poursuites pouvait forcer la divulgation de l'identité d'un indicateur de police. Compte tenu des arrêts antérieurs de la Cour suprême du Canada sur la question, la Cour d'appel de la Saskatchewan a refusé d'élargir les cas de non-application du privilège relatif aux indicateurs de police.


[76]            La demanderesse dit aussi que, puisque le privilège relatif aux indicateurs de police n'empêche pas l'information privilégiée de circuler parmi les membres de la GRC, les procureurs de la Couronne et les fonctionnaires judiciaires occupés à obtenir le mandat de perquisition en cause, puis à faire modifier l'ordonnance de non-communication se rapportant à la dénonciation sous serment, il s'ensuit nécessairement que le cercle de gens fondés à voir les renseignements expurgés devrait être élargi pour inclure la Commission des plaintes. De l'avis de la demanderesse, il est juste d'accroître la portée de l'exception au privilège relatif aux indicateurs de police pour y englober la présidente de la Commission des plaintes, et cela parce qu'elle est digne de confiance, qu'elle a un intérêt légitime à obtenir les renseignements et qu'elle s'engage à ne pas révéler l'identité de l'indicateur ni à mettre en péril l'intérêt public sur lequel repose le privilège.


[77]            Le défendeur dit que l'argument de la demanderesse révèle une méconnaissance fondamentale de la nature et du fonctionnement du privilège relatif aux indicateurs de police. Le privilège n'appartient qu'à la Couronne et à l'indicateur, et le droit des agents de la paix et des procureurs de la Couronne de connaître des renseignements privilégiés leur vient uniquement de leur statut et de leur rôle d'agents de la Couronne chargés de faire appliquer et d'administrer le droit criminel (Bisaillon c. Keable, précité, aux pages 421 et 422). Le privilège prend naissance et devient applicable par l'effet de la loi, quand des agents de la paix obtiennent des renseignements d'un indicateur, dans l'exercice de leurs fonctions, et les droits et obligations qu'il entraîne ne peuvent être étendus à des personnes autres que les agents de la paix et les procureurs de la Couronne par l'effet d'attributs personnels tels que la loyauté ou l'intégrité personnelle ou professionnelle. L'intérêt légitime à obtenir des renseignements privilégiés n'est pas lui non plus pertinent. Le privilège relatif aux indicateurs de police est d'une telle importance qu'il ne saurait être mis en équilibre avec d'autres intérêts.

[78]            La dénonciation sous serment déposée à la Cour de justice de l'Ontario contient des renseignements susceptibles de révéler l'identité de l'indicateur, mais cela ne vient pas non plus en aide à la demanderesse. Gardant à l'esprit que des faits inoffensifs en apparence peuvent suffire pour que des sources confidentielles soient identifiées par quelqu'un qui les connaît ou qui connaît leur situation (arrêt Leipert, précité, aux paragraphes 16 et 32), la GRC a pris la précaution supplémentaire de faire déclarer incommunicable la dénonciation sous serment, en application du paragraphe 487.3(2) du Code criminel, même si la dénonciation ne désignait pas une source confidentielle. La GRC a par la suite estimé qu'une copie expurgée de la dénonciation sous serment pouvait être divulguée sans risque de révéler l'identité d'une source confidentielle. Rien de ce qui précède ne peut constituer, ni ne constitue, une renonciation au privilège ou une réduction du privilège.


[79]            La demanderesse fait valoir que, si elle ne peut accéder aux renseignements et documents susceptibles d'identifier une source confidentielle, elle ne sera pas en mesure d'examiner les plaintes portées contre des membres de la GRC qui prétendent agir sur la foi de renseignements fournis par de telles sources. De l'avis de la demanderesse, ce problème est amplifié par la récente Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, une loi qui donne à penser que de nombreux cas impliqueront une conduite policière inopportune sans que des charges soient portées.

[80]            Cependant, le défendeur prétend que la Cour suprême du Canada a jugé qu'il est toujours contraire à l'intérêt public d'obliger un agent de la paix à divulguer des renseignements susceptibles de révéler l'identité d'un indicateur de police, et que cet aspect de l'intérêt public a toujours préséance sur la nécessité de rendre meilleure justice (arrêt Leipert, précité au paragraphe 12, page 6, et arrêt Bisaillon, précité, aux pages 415 et 419). La Cour suprême du Canada a dit aussi que le privilège relatif aux indicateurs de police se justifie encore davantage au regard de la protection de la sécurité nationale contre la violence et le terrorisme (Canada (Solliciteur général) c. Ontario (Commission royale d'enquête sur la confidentialité des dossiers de santé), précité, page 27).

[81]            Le défendeur admet que la capacité de la demanderesse d'enquêter sur une plainte est sans conteste restreinte par le privilège relatif aux indicateurs de police, mais la Commission des plaintes est loin d'être rendue impuissante par cette restriction, ainsi qu'en témoigne la divulgation obtenue dans la présente affaire. Quoi qu'il en soit, le défendeur dit que c'est au législateur, et non à la Cour, de décider si la demanderesse devrait continuer de faire son travail avec les moyens dont elle dispose actuellement.


La communication des documents recherchés par la demanderesse est empêchée par une ordonnance judiciaire

[82]            Quand la demande de contrôle judiciaire a été déposée, la divulgation de la dénonciation sous serment et des notes des agents était également régie par une ordonnance de non-communication rendue par la Cour de justice de l'Ontario en application du paragraphe 487.3(2) du Code criminel, qui prévoit notamment que « [l'ordonnance interdisant la communication de renseignements utilisés pour obtenir un mandat] au motif que cette communication serait préjudiciable aux fins de la justice peut être fondée sur les raisons suivantes : a) la communication, selon le cas : (I) compromettrait la confidentialité de l'identité de l'informateur... » L'ordonnance de non-communication renferme ce qui suit :

[traduction] J'ordonne que ce paquet, avec son contenu, soit placé sous la garde de la Cour, dans les bureaux du greffier, en un endroit privé et sûr auquel le public n'a pas accès, afin de préserver la confidentialité du contenu, et le paquet ne doit être remis à personne ni ouvert par personne, sauf sur l'ordre ultérieur d'un fonctionnaire de l'ordre judiciaire.


[83]            Les parties ne contestent pas que le paquet mentionné dans l'ordonnance de non-communication renferme la dénonciation sous serment. Mais le défendeur est d'avis que les conditions de l'ordonnance de non-communication, considérées sous l'angle des objets pour lesquels l'ordonnance a été obtenue en vertu du paragraphe 487.3(2), ne souffrent pas d'exceptions pour ce qui est des personnes qui peuvent accéder à la dénonciation sous serment ou à son contenu. Par déduction nécessaire, d'affirmer le défendeur, l'interdiction dont parle l'ordonnance de non-communication s'étend aussi aux notes des agents, qui contiennent les renseignements ayant servi à préparer la dénonciation sous serment.

[84]            Pour faciliter l'enquête de la demanderesse, le défendeur a demandé à la Cour de justice de l'Ontario, en vertu du paragraphe 487.3(4) du Code criminel, de modifier les conditions de l'ordonnance de non-communication. Estimant que l'identité des sources confidentielles pouvait être protégée par des suppressions dans la dénonciation sous serment, la Cour a demandé à un procureur fédéral de procéder aux suppressions requises, tout en laissant à la demanderesse assez de renseignements lui permettant de dire s'il y avait des motifs suffisants de délivrer le mandat sans mettre en péril l'identité de la source confidentielle, puis de remettre à la demanderesse une copie expurgée de la dénonciation sous serment.

[85]            Bien qu'elle eût reçu une copie de la dénonciation sous serment, expurgée en conformité avec les directives de la Cour de justice de l'Ontario, la demanderesse croit semble-t-il qu'il lui est encore impossible, sans les renseignements supprimés, d'enquêter adéquatement sur les doutes du plaignant. Quel que soit le bien-fondé de cette prétention, le défendeur est d'avis que ni l'alinéa 45.41(2)b) ni aucune autre disposition de la Loi ne force le défendeur à contrevenir à une ordonnance judiciaire qui lui enjoint de préserver la confidentialité de documents et de renseignements protégés par le privilège relatif aux indicateurs de police. La demanderesse semble penser différemment, mais elle ne dit pas pourquoi.


Analyse

A.         Questions préliminaires

Champ de la plainte

[86]            Dans sa plainte initiale déposée à la GRC, le plaignant soulevait les points suivants :

1.              Pourquoi ai-je été arrêté?

2.              Pourquoi y a-t-il eu perquisition à mon domicile?

3.              Pourquoi ma chambre à coucher fermée à clé a-t-elle été fouillée?

4.              Qui va payer ma serrure, que la GRC a forcée?

5.              J'ai perdu trois heures de travail (heures non rémunérées);

6.              Pourquoi la police a-t-elle au départ obtenu un mandat de perquisition pour ma grange? Ma question est la suivante : Est-ce la seule fois ou y en aura-t-il d'autres?

7.              Pourquoi ai-je été expulsé de mon domicile et de ma propriété pendant que la police attendait un deuxième mandat, sous la menace d'une nouvelle arrestation?

Affidavit de Shirley Heafey, le 6 février 2003, paragraphe 16, pièce B.

[87]            Par lettre datée du 19 juin 2000, le sous-officier compétent de la GRC, à la Section des plaintes et des enquêtes internes, a disposé de cette plainte conformément à l'article 45.4 de la Loi. Le sous-officier compétent n'a constaté aucune conduite répréhensible de la part du membre de la GRC et a envoyé la lettre suivante au plaignant :

[traduction] Cette lettre vous informe des conclusions de l'enquête menée à la suite de votre plainte contre l'agent [nom supprimé] concernant sa participation à l'exécution d'un mandat de perquisition dans votre grange le 21 décembre 1999.


Au cours de votre rencontre, le 28 mars 2000, avec l'enquêteur assigné à ce dossier, le sergent Matchett vous a expliqué les circonstances entourant cette perquisition, le rôle des agents de la GRC qui ont participé à cette opération, et les résultats de l'enquête menée à la suite de votre plainte.

En fait, l'enquête a révélé que les membres de la GRC présents à ce moment-là avaient agi régulièrement et qu'ils avaient le pouvoir légal de se trouver sur votre propriété. Le sergent Matchett vous a aussi expliqué que certains des renseignements utilisés pour obtenir le mandat de perquisition concernant votre grange et pour tenir lieu de motifs raisonnables venaient de sources confidentielles et ne pouvaient donc vous être communiqués. L'enquêteur a relevé que les explications qui vous ont été données ne vous ont causé aucune difficulté. Par conséquent, cette affaire sera classée, sans autre action de notre part.

Si vous n'êtes pas satisfait des conclusions de cette enquête, vous avez le droit de soumettre votre plainte par écrit à la Commission des plaintes du public contre la GRC, pour examen, à l'adresse suivante : ...

[88]            Selon moi, cette lettre dit que la GRC estimait avoir des motifs raisonnables d'obtenir le mandat, mais que certains des renseignements utilisés pour établir les motifs raisonnables venaient de sources confidentielles qui ne pouvaient être révélées au plaignant.

[89]            Le plaignant s'est alors adressé à la Commission des plaintes et, dans une lettre du 26 juin 2000, il exposait les points suivants :

[traduction] À la Commission des plaintes contre la GRC :

Je voudrais que la Commission examine la décision de V.L. Couture, sergent responsable des plaintes et des enquêtes internes, région du centre. Le dossier de la GRC porte le numéro 2000-LINT-057.

D'après la lettre de M. Couture, je suis d'avis que ma plainte n'a pas été le moindrement étudiée.

Selon M. Couture, je n'ai jamais fait état de difficultés à propos des explications que m'avait données M. Matchett. Cela n'est pas vrai. J'étais totalement insatisfait de ses explications.


En conclusion, je n'ai pas été satisfait de la manière dont le mandat a été exécuté, mais qu'importe. Mon problème, c'est la manière dont ils avaient fouillé ma maison avant que j'arrive chez moi (à l'exception de ma chambre à coucher fermée à clé), pour ensuite m'arrêter sur la foi d'un mandat qui était invalide, et pour finalement prendre mes clés et entrer dans ma chambre à coucher, tout cela sans mandat.

Vous trouverez ci-joints les documents suivants : le mandat de perquisition, mes sujets d'inquiétude, le rapport de la GRC sur la plainte, le reçu de ma plainte à l'encontre de la GRC.

Je n'ai jamais accepté la manière dont la GRC a traité ma plainte.

[90]            Le défendeur accorde beaucoup d'importance aux mots « En conclusion, je n'ai pas été satisfait de la manière dont le mandat a été exécuté... » , et il dit que le fond de la plainte ne concerne pas la manière dont le mandat de perquisition a été obtenu, mais la manière dont il a été exécuté.

[91]            C'est là un raisonnement étrange. Quand le plaignant dit qu'il n'était pas satisfait « de la manière dont le mandat a été exécuté » , cela ne veut pas dire qu'il était satisfait de la manière dont le mandat avait été obtenu. En fait, se référant à sa plainte et à la réaction de la GRC, il affirme catégoriquement : « ma plainte n'a pas été le moindrement étudiée » . En tout état de cause, selon l'article 45.41 de la Loi, c'est la « plainte » qui est renvoyée à la Commission des plaintes, et, selon l'alinéa 45.41(2)b), les renseignements et documents que doit fournir le Commissaire de la GRC sont ceux qui concernent la plainte.

[92]            En l'espèce, la « plainte » est la lettre initiale du plaignant adressée à la GRC, où il pose la question suivante : « pourquoi la police a-t-elle au départ obtenu un mandat de perquisition pour ma grange? »


[93]            Les efforts que fait le défendeur pour réduire les motifs de la plainte de manière à exclure les renseignements et documents susceptibles de répondre à cette question fondamentale sont déconcertants.

Pertinence

[94]            Réagissant au renvoi de la plainte par le plaignant le 26 juin 2000, la Commission des plaintes présentait, par lettre datée du 10 juillet 2000, la demande suivante au Commissaire de la GRC, en application de l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi :

[traduction] Nous avons récemment reçu du plaignant susmentionné une lettre dans laquelle il se déclare insatisfait de la manière dont la GRC a disposé de sa plainte. Le plaignant voudrait que cette affaire soit examinée. Vous trouverez ci-joint une copie de sa demande écrite adressée à la Commission. Ce document vous est communiqué en application de l'alinéa 45.41(2)a) de la Loi sur la GRC. Nous joignons aussi à la présente pour votre information une copie de la plainte de M. [nom omis] et une copie de la lettre faisant état de la décision de la GRC.

Nous voudrions attirer votre attention sur l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi sur la GRC, qui vous oblige à transmettre au président de la Commission le rapport prévu par l'article 45.4, qui concerne la plainte, ainsi que tout autre document pertinent relevant de la responsabilité de la Gendarmerie. Nous comptons bien recevoir ces documents dans les meilleurs délais.

Nous vous saurions gré également de bien vouloir informer de cette demande d'examen les membres concernés.

[95]            Encore une fois, cette demande d'envoi de documents indique sans équivoque que ce qui est examiné c'est la « plainte » tout entière et que les renseignements et documents demandés se rapportent à la « plainte » tout entière.


[96]            En réponse à la demande de la Commission des plaintes en date du 10 juillet 2000, la GRC a envoyé la lettre suivante, datée du 27 septembre 2000 :

[traduction] Je me réfère à votre lettre du 10 juillet 2000, qui faisait suite à la demande de [nom supprimé] pour que la Commission des plaintes du public procède à un examen.

Conformément à votre demande, veuillez trouver ci-joint une copie des documents se rapportant à la plainte déposée par M. [nom supprimé].

Je vous saurais gré de bien vouloir accuser réception de ces documents dès que possible.

[97]            Cette réponse suscite plusieurs points importants à considérer. D'abord, elle prétend constituer une réponse complète à la lettre de la Commission des plaintes du 10 juillet 2000 : « Conformément à votre demande, veuillez trouver ci-joint une copie des documents se rapportant à la plainte déposée par [le plaignant] » . Elle ne dit pas que les documents ont été expurgés. Elle ne dit pas que certains documents n'ont pas été joints. Elle ne dit pas que, « selon la connaissance directe de la GRC et selon les renseignements qu'elle tient pour véridiques, et après examen de tous les dossiers pertinents » , les documents joints constituent tous les documents existants en réponse à la demande de la Commission des plaintes. Le lecteur de cette lettre présumera immanquablement qu'elle constitue une réponse complète et sans restriction à la demande selon ce que prévoit l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi. Mais ce n'était pas le cas.

[98]            Les renseignements et documents suivants étaient absents :


1.          la dénonciation en vue d'obtenir un mandat de perquisition, dénonciation produite sous serment par l'un des agents concernés de la GRC;

2.          les notes de l'agent de la GRC avaient été expurgées par suppressions de certains renseignements;

3.          d'autres documents pertinents n'accompagnaient pas la réponse.

[99]            L'absence des documents nos 1 et 2 serait tout de suite évidente après examen des documents envoyés. Le destinataire n'avait aucun moyen de savoir si les documents n ° 3 étaient absents. La lettre aurait pu facilement expliquer pourquoi certains documents étaient absents, ou du moins avertir la Commission des plaintes qu'il était difficile de s'assurer de l'intégralité des documents demandés. Mais la lettre ne dit rien. La réponse prétend être une réponse à la demande formulée par la Commission des plaintes, et cette demande se référait expressément à l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi, qui dit que le Commissaire de la GRC « transmet au président de la Commission... relativement à la plainte,... tout autre document pertinent placé sous la responsabilité de la Gendarmerie » .

[100]        Ainsi que le fait remarquer le défendeur, il est permis de diverger sur la question de savoir ce en quoi consiste un document « pertinent » . Partant, l'alinéa 45.41(2)b) laisse la Commission des plaintes largement dépendante de la GRC pour ce qui est d'inventorier et de communiquer les documents pertinents. D'après les faits portés à ma connaissance, il n'y a aucun moyen de savoir si tous les documents pertinents ont été intégralement communiqués ainsi que le prévoit l'alinéa 45.41(2)b).


[101]        À mon avis, c'est là un problème significatif en ce qui concerne le régime de surveillance civile mis en place dans la partie VII de la Loi. Ce régime donne à la GRC le pouvoir de déterminer quels sont les documents qui concernent ou ne concernent pas une plainte déposée contre un membre de la GRC. La GRC est totalement maîtresse des documents et des renseignements que la Commission des plaintes est autorisée à voir. S'agissant de la perception qu'a le public de ce régime, cela ne peut qu'affaiblir la confiance de la population dans le mécanisme des enquêtes civiles. C'est là un problème qui est aggravé ici par plusieurs autres facteurs. En pratique, la Commission des plaintes est presque entièrement dépendante de la qualité des renseignements et documents fournis par la GRC. Rien de valable ne peut être fait sous le régime des enquêtes institué par la Loi à moins que la Commission des plaintes n'ait accès à tous les renseignements pertinents et, généralement parlant, la GRC est en position de déterminer ce qui est pertinent ou non et ce qui doit être communiqué ou non.

[102]        Le rôle que la « pertinence » peut jouer dans le mécanisme des enquêtes est considérablement amplifié par les circonstances de la présente affaire. Après le dépôt de cette demande de contrôle judiciaire, la Commission des plaintes a eu connaissance d'une dénonciation non solennelle faite en vue d'obtenir un mandat autorisant une perquisition au domicile du plaignant. Ce mandat de perquisition a été refusé par un juge de la Cour de l'Ontario, Division provinciale.

[103]        Le mandat général de perquisition délivré par le juge Glowacki, de la Cour provinciale, le 21 décembre 1999, n'autorisait que deux choses : entrer dans la grange verte du plaignant et prendre note de ce qui s'y trouvait. L'autorisation de perquisitionner au domicile du plaignant a été refusée.

[104]        Or, les renseignements et documents concernant le domicile du plaignant ne figuraient pas dans la lettre de la GRC du 27 septembre 2000, qui prétendait répondre à la lettre de la Commission des plaintes du 10 juillet 2000, dans laquelle la présidente de la Commission demandait tous les documents se rapportant à la plainte. Et la plainte concerne manifestement les activités se rapportant au domicile du plaignant ainsi qu'à sa grange, sans compter que l'opération menée contre la grange faisait partie d'une opération générale menée contre la propriété du plaignant et qu'il serait extrêmement important de savoir qu'un tribunal avait refusé un mandat de perquisition pour le domicile du plaignant.

[105]        Le défendeur pourrait objecter que les documents se rapportant au domicile du plaignant sont sans rapport avec la grange. Mais ce serait là adopter une vue très étroite (et à mon avis déraisonnable) de la plainte et des documents s'y rapportant. Elle donne à penser que, si la conduite de la GRC est l'objet d'une enquête de la Commission des plaintes et que la GRC est priée de communiquer tous les documents pertinents, l'interprétation du mot « pertinence » ne sera peut-être pas celle d'une partie désintéressée demandant communication de ces mêmes documents. La présente demande de contrôle judiciaire révèle ici un autre aspect déconcertant du mécanisme des plaintes.


Contradictions

[106]        Le dossier montre que, le 30 octobre 2000 ou vers cette date, la Commission des plaintes décidait qu'un examen complémentaire de la plainte était justifié, et elle priait son personnel d'ouvrir une enquête en application de l'alinéa 45.42(3)c) de la Loi.

[107]        Au cours de ce complément d'enquête, les employés de la Commission des plaintes obtenaient les éléments de preuve qu'avait assemblés le Bureau des plaintes contre la PPO. D'après les preuves en question, le sergent-major enquêteur de la PPO, Sandra McNamara, qui avait étudié la plainte portée contre les agents de la PPO responsables de la perquisition sur la propriété du plaignant, avait obtenu accès aux renseignements (dont le nom de la source confidentielle) que recherche par la présente demande la présidente de la Commission des plaintes, et elle avait aussi eu l'occasion d'interroger la source confidentielle dans le cadre de son rôle d'enquêtrice selon le régime provincial de traitement des plaintes du public.


[108]        La raison pour laquelle la PPO était intervenue dans la perquisition menée sur la propriété du plaignant était l'existence d'un protocole d'accord entre la GRC, la PPO et la police de Thunder Bay, protocole qui concernait la cellule antidrogue composée des trois corps policiers. Ce protocole d'accord prévoit expressément que « les agents et sources qui possèdent des renseignements ou qui sont susceptibles de communiquer des renseignements touchant une enquête seront traités en conformité avec la politique du corps de police qui détient tels renseignements » :

[traduction] Les plaintes portées contre des membres de la Police provinciale de l'Ontario ou du corps policier de Thunder Bay seront étudiées en conformité avec la Loi sur les services policiers. Une plainte portée contre un membre de la Gendarmerie royale du Canada sera étudiée en conformité avec la politique de la Gendarmerie royale du Canada.

[109]        L'agente qui avait enquêté sur la plainte portée contre la PPO a présenté le rapport suivant :

[traduction] En ma qualité d'enquêtrice pour cette plainte d'un membre du public, j'ai interrogé les agents concernés et j'ai examiné leurs notes.

À l'exception du détective [nom supprimé], je n'ai pas reproduit ni inclus les notes portées sur les calepins parce qu'autrement cela aurait permis d'identifier une source confidentielle. Je suis persuadée que les notes que j'ai examinées rendent compte fidèlement des renseignements de l'indicateur et constitueraient des motifs raisonnables et probables de croire à la présence de marihuana à la fois dans la grange et au domicile du plaignant. Ces notes ont été consignées bien avant que M. [nom supprimé] ne dépose sa plainte, et rien ne permet de croire qu'elles sont autre chose que le compte rendu factuel de renseignements valides reçus.

J'ai également interrogé la source confidentielle et je crois que les renseignements que les agents affirment avoir reçus de cet indicateur leur ont été communiqués par l'indicateur.

Eu égard aux entrevues que j'ai eues avec les agents concernés et avec l'indicateur, je crois que le fait de révéler l'identité de l'indicateur causerait un préjudice à celui-ci.

[110]        Le défendeur dit que la différence entre les méthodes du Bureau des plaintes contre la PPO et celles de la Commission des plaintes, selon la Loi sur la GRC, est que, selon les méthodes de la PPO, les renseignements demeurent au sein de la police. La présidente de la Commission des plaintes, contrairement au sergent-major Sandra McNamara, n'est pas un policier.

[111]        Cette distinction aura certainement son utilité pour ce qui concerne l'étendue du privilège relatif aux indicateurs de police, mais, à mon avis, elle n'a aucune incidence sur les questions de pertinence et sur ce dont a besoin la Commission des plaintes pour remplir ses obligations selon la Loi. Les régimes d'enquête étaient différents, mais il est difficile de comprendre la position du défendeur, selon laquelle le Bureau des plaintes contre la PPO devait avoir accès aux documents (et à la source) pour accomplir son travail d'enquête, alors que le mécanisme de la Commission des plaintes ne justifierait pas un tel accès parce que le champ de la plainte et la pertinence des documents ne requièrent aucune divulgation en ce qui concerne la Commission.

Contradiction dans les preuves par affidavit

[112]        S'agissant des méthodes du Bureau des plaintes contre la PPO, les propos du sergent-major McNamara donnent à entendre qu'elle a considéré les renseignements confidentiels et conclu que tout était conforme. À mon avis, cela ne permet nullement de refuser la communication des mêmes renseignements à la Commission des plaintes.


[113]        Le défendeur dit que les renseignements ont été communiqués au Bureau des plaintes contre la PPO parce que le sergent-major McNamara est un policier. Le fait qu'elle soit policier ne permet nullement, comme je l'ai dit, de refuser la communication des mêmes renseignements à la Commission des plaintes en alléguant la pertinence des documents et le champ de la plainte. Le sergent-major McNamara a examiné cette affaire et elle est « persuadée que les notes que j'ai examinées rendent compte fidèlement des renseignements de l'indicateur et constitueraient des motifs raisonnables et probables de croire à la présence de marihuana à la fois dans la grange et au domicile du plaignant » , mais cela veut-il dire qu'il n'y a ici aucune raison de douter? Mon point de vue est que, si l'on ne sait pas ce en quoi a consisté la rencontre du sergent-major McNamara avec l'indicateur, et si l'on ne connaît pas les questions qu'elle lui a posées et les vérifications qu'elle a faites, il est difficile de se fier entièrement à ses conclusions. Par exemple, dans la dénonciation sous serment produite en vue du mandat de perquisition, l'agent Scott Delahey dit que « le caporal Kovacs, de la GRC, a reçu des renseignements d'une source humaine confidentielle » . Dans son affidavit à l'appui de la présente demande, un affidavit daté du 14 mars 2003, l'agent Delahey dit que « l'agent Ron Kovacs, de la GRC, et moi-même, avons reçu, dans l'exercice de nos fonctions, des renseignements d'une personne... La personne en question a demandé que soit préservé son anonymat, et je lui ai promis de garder secrète son identité » .

[114]        Ainsi, même après lecture superficielle de la preuve sous serment produite par l'agent Delahey, ce point fondamental n'est pas exempt de confusion. L'agent Delahey et l'agent Kovacs ont-ils eu tous deux affaire à l'indicateur, ou est-ce l'agent Kovacs qui a traité avec la source confidentielle?


Autres manières de résoudre le problème

[115]        Sans révéler l'identité de la source confidentielle, la GRC aurait pu expliquer davantage, au plaignant et à la présidente, la raison pour laquelle la police avait décidé d'obtenir un mandat de perquisition pour la grange et avait tenté d'en obtenir un pour le domicile du plaignant.

[116]        D'abord, la lettre du 19 juin 2000 adressée par la GRC au plaignant dit ceci : « l'enquêteur a relevé que les explications qui vous ont été données ne vous ont causé aucune difficulté. Par conséquent, cette affaire sera classée, sans autre action de notre part » .

[117]        Dans sa lettre du 26 juin 2000 adressée à la Commission des plaintes, le plaignant écrit : « Selon M. Couture, je n'ai jamais fait état de difficultés à propos des explications que m'avait données M. Matchett. Cela n'est pas vrai. J'étais totalement insatisfait de ses explications » .

[118]        Il y avait donc désaccord fondamental entre la GRC et le plaignant. La présidente était obligée d'enquêter sur cette affaire et d'assurer un suivi avec le Commissaire de la GRC. Ce faisant, et comme le montre sa lettre du 13 décembre 2002 adressée au commissaire Zaccardelli, elle a précisé sans équivoque ce qu'était le problème de fond : « Plus exactement, il m'est impossible de dire si le membre concerné a ou non divulgué totalement, objectivement et franchement tous les faits et circonstances applicables lorsque le mandat de perquisition a été demandé » .

[119]        Particulièrement révélateur est le motif du refus (indiqué dans la même lettre et non réfuté par la GRC) :

[traduction] Au cours de notre rencontre, vous avez confirmé que vous ne me remettriez pas le reste des documents intéressant cette plainte, au motif que, à votre avis, je ne suis pas autorisée à recevoir et à examiner les documents en question lorsqu'ils contiennent des renseignements sur des sources confidentielles. Vous avez dit aussi que mon examen des documents reviendrait pour moi à réformer la décision du juge d'accorder le mandat de perquisition; en fait, naturellement, ce que doit revoir, c'est la conduite du membre concerné de la GRC lorsqu'il a eu affaire au juge.

Je voudrais confirmer que je demeure d'avis que vous êtes tenu de me remettre tous les documents intéressant la plainte de M. [nom supprimé]. Je voudrais aussi vous assurer que je comprends et accepte la nécessité de protéger l'intégrité des moyens d'assurer le respect des lois en général, et en particulier de faire en sorte que l'identité de sources confidentielles ne soit pas révélée. Tous les documents qui me seront remis seront traités en conformité avec toutes les mesures de sécurité qui s'imposeront.

[120]        L'aspect de la pertinence et l'aspect du champ de la plainte ne semblent pas avoir été soulevés à ce stade. La GRC exprime l'avis que la présidente est totalement dépourvue du pouvoir de recevoir et d'étudier les documents, parce que ces documents font état de sources confidentielles, et en raison aussi de l'ordonnance de non-communication rendue par la Cour de l'Ontario.


[121]        Je ne trouve dans le dossier aucun document montrant que la GRC a examiné le sujet principal de préoccupation : l'affirmation selon laquelle le mandat de perquisition a été obtenu irrégulièrement. La GRC affirme simplement que, en raison de l'existence d'une source confidentielle, cette affaire ne peut être revue par la Commission des plaintes. La GRC ne dit pas qu'elle a examiné le sujet principal de préoccupation. Elle semble conclure que l'existence d'une source confidentielle non seulement met cette affaire hors de portée du pouvoir d'enquête de la Commission des plaintes, mais encore dispense la GRC d'expliquer à la Commission des plaintes si l'affaire a été étudiée au niveau interne, et comment elle l'a été.

Les véritables risques

[122]        Comme l'indique clairement aussi la lettre du 13 décembre 2002 adressée au Commissaire de la GRC par la présidente de la Commission des plaintes, nul n'a jamais prétendu ici que la communication à la Commission des plaintes des renseignements demandés pouvait entraîner la divulgation de la source confidentielle à des personnes autres que la présidente de la Commission des plaintes. La GRC ne prétend pas que les renseignements deviendront publics ou tomberont entre les mains du plaignant, et la Commission des plaintes a bien fait comprendre que cela n'arrivera jamais. Nous n'avons pas ici affaire à la divulgation d'une source confidentielle dans un cas où l'identité de cette source sera mise en péril et où l'intégrité des mesures d'application de la loi sera menacée. Il s'agit ici des vues du Commissaire de la GRC sur les renseignements qui devraient être communiqués à la Commission des plaintes à la suite d'une demande selon l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi.


[123]        En l'espèce, le défendeur dit que la Commission des plaintes ne devrait pas recevoir les renseignements, et cela pour diverses raisons, les principales étant les suivantes : la Commission des plaintes n'a pas le pouvoir de recevoir tels renseignements, les renseignements sont soumis au privilège relatif aux indicateurs de police, et l'ordonnance de non-communication rendue par la Cour de l'Ontario empêche une telle divulgation. Le défendeur n'a pas objecté que la communication des renseignements dans cette affaire mettra fin à leur confidentialité ou rendra plus difficiles les mesures d'application des lois. Il se borne à dire qu'il n'est pas tenu de communiquer les renseignements, et à contester la capacité de la Commission des plaintes d'exiger leur divulgation dans le genre de demande dont est saisie la Cour.

B.         Motifs de refus

1.          Capacité et compétence

[124]        Selon le défendeur, la demanderesse n'a pas la capacité de présenter cette demande de contrôle judiciaire et n'a pas le pouvoir de forcer la production d'éléments de preuve (fussent-elles des preuves pertinentes) ni celui de s'occuper d'assembler les preuves. Ce que dit le défendeur, en fait, c'est que cette demande est une tentative de la demanderesse d'étendre les pouvoirs qui lui sont conférés par la partie VII de la Loi alors que, au vu de la politique législative, l'intention du législateur était que la Commission des plaintes n'aurait pas le pouvoir d'introduire des procédures judiciaires.

[125]        L'objet de cette demande de contrôle judiciaire est de forcer le Commissaire de la GRC à communiquer des documents en application de l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi. Cette disposition est ainsi formulée :



(2) En cas de renvoi devant la Commission conformément au paragraphe (1) :

...

(2) Where a Complainant refers a complaint to the Commission pursuant to subsection (1),

...

b) le commissaire transmet au président de la Commission l'avis visé au paragraphe 45.36(6) ou le rapport visé à l'article 45.4 relativement à la plainte, ainsi que tout autre document pertinent placé sous la responsabilité de la Gendarmerie.

(b) the Commissioner shall furnish the Commission Chairman with the notice under subsection 45.36(6) or the report under section 45.4 in respect of the complaint, as the case may be, and such other materials under the control of the Force as are relevant to the complaint.


[126]        La demanderesse fonde sa demande de contrôle judiciaire sur le texte impératif de l'alinéa 45.41(2)b), tandis que, selon le défendeur, la loi ne donne pas à la Commission des plaintes le pouvoir d'introduire des procédures judiciaires. Ce que dit le défendeur, c'est que la demanderesse a agi sans pouvoir quand elle a voulu, en application du paragraphe 487.3(4) du Code criminel, obtenir une copie de la dénonciation sous serment qui était l'objet de l'ordonnance de non-communication rendue par la Cour de justice de l'Ontario.

[127]        Si le défendeur a raison d'affirmer cela, cela voudrait dire que, selon l'article 45.41 de la Loi sur la GRC, la Commission des plaintes n'a aucun droit de forcer le Commissaire de la GRC à lui remettre une copie de la plainte ou un document se rapportant à cette plainte. Tout comme un droit qu'il n'est pas possible de faire respecter équivaut à l'inexistence de ce droit, une obligation dont il n'est pas possible de forcer l'accomplissement équivaut à l'inexistence d'une telle obligation. Cela voudrait dire en fait que le Commissaire de la GRC disposerait d'un pouvoir discrétionnaire absolu, non seulement celui de définir quel document est pertinent et quel autre ne l'est pas, mais également celui de dire si un document doit même être communiqué selon l'article 45.41, quand bien même serait-il pertinent.


[128]        À mon avis, c'est là un argument extraordinaire à avancer pour quiconque se préoccupe de l'intégrité et de la réputation de la GRC, parce que l'effet ultime d'un tel argument est de priver la Gendarmerie d'un moyen véritable de défense à l'encontre des plaintes portées contre ses membres. Si la Commission des plaintes ne peut forcer le Commissaire de la GRC à lui remettre les documents se rapportant à une plainte, et si tout cela dépend du pouvoir discrétionnaire de la GRC, alors toute la notion de surveillance civile est gravement menacée, et ni le plaignant ni le public ne sauront jamais si une plainte a véritablement été étudiée. La Commission des plaintes devient alors un organisme enquêteur de pure forme.

[129]        Le défendeur semble croire que cela n'a pas d'importance parce que la Commission des plaintes peut à tout moment, en vertu de l'article 45.43 de la Loi, convoquer une audience publique à propos d'une plainte, et parce qu'elle a les pouvoirs conférés à une commission d'enquête par les alinéas 24.1(3)a), b) et c) de la Loi. Cela comprend le pouvoir d'assigner toute personne devant la Commission pour qu'elle témoigne sous serment, oralement ou par écrit, et pour qu'elle produise les documents et pièces dont elle a la responsabilité et que la Commission des plaintes juge nécessaires pour une enquête et une étude en règle.


[130]        À mon avis, cette solution proposée comporte plusieurs problèmes. D'abord, une audience selon l'article 45.43 ne peut être convoquée que lorsque le président de la Commission l'estime dans l'intérêt public. Le refus de communiquer des renseignements et documents selon ce que prévoit l'article 45.41 de la Loi ne signifie pas qu'il est judicieux ou conforme à l'intérêt public de convoquer une audience. Les audiences dont parle l'article 45.43 sont rares, et la plupart des plaintes sont étudiées selon l'article 45.41. Il semble tout à fait inopportun de dire que, si la Commission des plaintes n'est pas satisfaite des documents remis par le Commissaire de la GRC en vertu de l'article 45.41, alors la Commission des plaintes ferait bien de convoquer une audience selon l'article 45.43. Tout à fait déplacée sans doute est l'idée selon laquelle le mot « transmet » , dans l'article 45.41, ne veut pas vraiment dire ce qu'il dit, à telle enseigne que le moyen relativement simple et économique de disposer des plaintes, dans l'article 45.41, (et le nombre de plaintes montre à lui seul que, sauf cas véritablement exceptionnel, ce moyen sera la procédure la plus adéquate) n'est pas vraiment efficace et que le législateur ne voulait pas en réalité qu'il le soit. Je crois que, si l'argument avancé ici par le défendeur est juste, alors le public canadien aura des raisons de penser qu'il a été trompé sur le mécanisme d'enquête exposé dans la partie VII de la Loi.

[131]        Mais le défendeur persiste à dire que ce point n'est pas véritablement sujet à controverse parce que la Cour fédérale a déjà jugé que la demanderesse n'est pas fondée à déposer une demande devant la Cour en application de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5, pour qu'elle statue sur la validité d'une opposition de la GRC (en application de l'article 37 de cette même Loi) à la communication de renseignements qui seraient préjudiciables à l'intérêt public. La Cour d'appel fédérale a par la suite confirmé les motifs de la Section de première instance sur ce point, et le défendeur dit que la même analyse et les mêmes conclusions sont applicables ici.

[132]        Le précédent sur lequel le défendeur fonde son point de vue est l'arrêt Gendarmerie royale du Canada (GRC) et Commission des plaintes du public, [1992] A.C.F. n ° 502 (C.A.F.), confirmant [1990] A.C.F. n ° 915 (1re inst.) (l'affaire Rankin). Dans cette affaire, la Commission des plaintes faisait valoir que le paragraphe 38(1) de la Loi sur la preuve au Canada pouvait être invoqué « par demande » et ne renferme aucune restriction sur les qualités à remplir pour déposer une telle demande. Le juge Denault a souscrit à cette proposition, mais il devait décider s'il était opportun pour la Commission des plaintes de déposer une demande semblable, « compte tenu du mandat que lui a conféré le législateur » .

[133]        L'affaire Rankin obligeait la Cour à interpréter les pouvoirs conférés à la Commission des plaintes par le paragraphe 45.45(11) de la Loi. Le juge Denault précise ce point au paragraphe 11 de son jugement :

Cette disposition [45.45(11)] permet à la Commission d'ordonner le huis clos « si elle estime qu'au cours de celle-ci seront probablement révélés » certains renseignements (c'est moi qui souligne). Selon le libellé clair de la disposition, la Commission n'a pas le pouvoir d'exiger une telle preuve. Il s'agit plutôt d'une disposition de forme destinée à aider la Commission à conduire une procédure à huis clos lorsque à son avis, la divulgation d'un renseignement risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la défense du Canada ou d'États alliés ou associés avec le Canada ou d'entraver la bonne exécution des lois. Cette disposition ne confère pas à la Commission le pouvoir d'exiger ce genre de preuve. Le législateur fédéral entendait permettre à la Commission de tenir à sa discrétion la procédure à huis clos. La Commission ne peut pas déposer la présente demande en se fondant sur le paragraphe 45.45(11).


[134]        Une lecture du paragraphe 45.45(11) confirme la conclusion du juge Denault selon laquelle « le texte de l'article ne confère pas à la Commission le pouvoir d'exiger ce genre de preuve » . Cependant, le texte du paragraphe 45.45(11) est très différent du texte du paragraphe 45.41(2), qui dit que « le président de la Commission transmet au Commissaire une copie de la plainte » et que le Commissaire transmet au président de la Commission... tout autre document pertinent placé sous la responsabilité de la Gendarmerie » .

[135]        Je considère les propos tenus par le juge Denault dans l'affaire Rankin comme des propos se rapportant à l'article 45.45 de la Loi. Il n'est pas question de l'article 45.41, une disposition dont le texte est très différent et qui concerne un type d'enquête lui aussi très différent.

[136]        Le défendeur fait valoir que certaines remarques incidentes qui sont faites dans l'affaire Rankin ( « la Commission a l'obligation d'être impartiale et de paraître impartiale en tant qu'organe quasi judiciaire » , et « il est inopportun que la Commission prenne l'initiative » ) peuvent être sorties du contexte de l'article 45.45 et appliquées de manière générale à la Loi, et en particulier à l'alinéa 45.41(2)d), qui est l'objet de la présente demande. Je ne partage pas ce point de vue. L'affaire Rankin se rapporte uniquement à l'article 45.45 et au texte particulier de cette disposition.

[137]        Mais il faut se demander si le législateur voulait que la Commission des plaintes ait le pouvoir de se présenter devant la Cour en vertu du paragraphe 45.41(2) de la Loi pour obtenir les documents recherchés dans la présente demande, documents que le Commissaire de la GRC a refusé de lui transmettre.


[138]        Me fondant sur le jugement Rankin, je crois que la première chose que je me dois de considérer est le « texte même de l'article » . Pour moi, le texte de l'article est sans équivoque. L'intention du législateur était que le Commissaire de la GRC doit « transmettre » une copie de la plainte et les autres documents pertinents placés sous la responsabilité de la Gendarmerie. Il s'agit là d'une disposition impérative, et non facultative. Évidemment, aucune disposition particulière ne dit que, si le Commissaire de la GRC refuse de transmettre les documents, alors la Commission des plaintes a le droit d'introduire une procédure judiciaire pour contraindre le Commissaire de la GRC à se conformer à l'article 45.41. Compte tenu du rôle de la Commission des plaintes dans le contexte de l'article 45.41, la question devient alors la suivante : le législateur voulait-il que ce soit la Commission des plaintes qui engage une procédure pour forcer la communication des documents en cause?


[139]        Le rôle de la Commission des plaintes selon l'article 45.41 est fort différent du rôle que lui assigne l'article 45.43, où, dans le contexte d'une audience publique, la fonction quasi judiciaire de la Commission des plaintes est mise en avant, et où, comme la loi l'indique, une approche beaucoup plus circonspecte s'impose. Mais l'article 45.41 constitue un mécanisme distinct, dans le contexte d'une diversité de cadres destinés à composer avec un plaignant insatisfait. L'article 45.41 est une procédure provisoire qui se situe entre l'enquête interne de la Gendarmerie et la procédure quasi judiciaire en règle prévue par l'article 45.43. Il ressort clairement de la Loi que le législateur entendait que la Commission des plaintes prenne l'initiative de décider si d'autres mesures s'imposent dans une plainte donnée. Le paragraphe 45.42(1) fait de l'examen de la Commission des plaintes un exercice obligatoire : « Le président de la Commission examine chacune des plaintes qui sont renvoyées devant la Commission conformément au paragraphe 45.41(1) ... » , à moins qu'il n'ait déjà fait enquête ou convoqué une audience. Ce mécanisme se distingue nettement des dispositions de la Loi qui concernent les audiences et, considérés ensemble, les articles 45.41 et 45.42 indiquent très clairement que le rôle de la Commission des plaintes dans ce processus consiste à examiner la manière dont une plainte a été étudiée par la GRC. Le rôle unique du plaignant consiste à renvoyer la plainte à la Commission des plaintes pour qu'elle puisse examiner ce que la GRC a déjà fait, et décider si un complément d'enquête est nécessaire. L'interaction est donc totalement entre la Commission des plaintes et la GRC. L'obligation imposée à la Commission des plaintes par les dispositions impératives de l'article 45.42 requiert la communication obligatoire de documents selon l'article 45.41. La Commission des plaintes ne peut s'acquitter de son obligation si le Commissaire de la GRC ne s'acquitte pas de la sienne.

[140]        Si l'on garde à l'esprit l'objet de l'article 45.42, il n'y a rien de fautif à ce que la Commission des plaintes introduise une procédure judiciaire à seule fin d'obtenir de la GRC les documents dont elle a besoin pour s'acquitter de son obligation légale. À mon avis, il n'y a rien ici d'assimilable au processus prévu par l'article 45.43 et aux circonstances de l'affaire Rankin. Conclure autrement, ce serait enlever toute signification aux articles 45.42 et 45.41, parce que la Commission des plaintes ne saurait s'acquitter de son mandat officiel si elle n'a pas le pouvoir d'obliger la GRC à lui communiquer des documents auxquels, selon l'article 45.41, elle a droit pour être en mesure de remplir ce mandat.

[141]        Si l'argument avancé par le défendeur est juste, alors le Commissaire de la GRC pourrait même refuser de transmettre selon l'alinéa 45.41(2)a) une copie de la plainte, et la Commission des plaintes n'aurait aucun moyen réel de le forcer à le faire. Je ne puis croire que le législateur mette expressément en place un mécanisme distinct d'examen (voire ordonne un tel mécanisme) et que simultanément il laisse au Commissaire de la GRC le soin de décider ce qu'il convient de communiquer à la Commission des plaintes en vertu de l'article 45.41. Une obligation impérative requiert un pouvoir correspondant de voir à ce qu'elle soit accomplie. Par conséquent, je suis d'avis que la Commission des plaintes a le pouvoir d'obtenir l'aide de la Cour aux fins d'assurer la conformité avec les articles 45.42 et 45.41 de la Loi.

2.          Conditions du recours

[142]        Le défendeur voudrait ensuite se dispenser de transmettre les documents demandés, au motif que la demanderesse n'est pas en mesure de remplir les conditions juridiques pour que la Cour rende une ordonnance de mandamus et un jugement déclaratoire.

[143]        Le défendeur allègue ici les exceptions d'usage et fait observer en particulier que la demanderesse n'a pas légalement un droit d'obtenir les renseignements recherchés et qu'elle dispose d'un autre recours adéquat puisque selon la Loi elle peut convoquer une audience.

[144]        Je crois que j'en ai déjà dit assez sur l'exception susmentionnée pour préciser le fondement qui fait que je suis en désaccord sur ce point avec le défendeur.

[145]        Je crois que la Loi fait bel et bien obligation au défendeur de transmettre les documents mentionnés dans l'article 45.41. J'ai dit également que, selon moi, le fait que la Commission puisse convoquer une audience en vertu d'autres dispositions de la Loi ne constitue pas un substitut au mécanisme distinct d'examen qui est prévu par les articles 45.42 et 45.41.

[146]        Ici, les renseignements ont été demandés, et le Commissaire de la GRC a refusé de les communiquer à la Commission des plaintes alors qu'il a l'obligation de le faire.

[147]        Je suis d'avis que, d'après les faits, la demanderesse a rempli les conditions d'une ordonnance de mandamus et d'un jugement déclaratoire. Je reconnais avec le défendeur que l'alinéa 45.41(2)b) de la Loi parle de documents « pertinents » placés sous la responsabilité de la Gendarmerie et qu'il peut y avoir désaccord sur ce que signifie un document pertinent.


[148]        Mais je suis en désaccord avec le défendeur lorsqu'il dit que le plaignant ne voit rien à redire aux motifs pour lesquels le mandat de perquisition a été délivré. L'article 45.42 oblige la Commission des plaintes à examiner « chacune des plaintes » renvoyées conformément au paragraphe 45.41(1). Ici la plainte est constituée par la lettre du plaignant reçue le 17 février 2000, lettre où le plaignant demande expressément « pourquoi la police a-t-elle obtenu au départ un mandat de perquisition pour ma grange? » Les documents demandés par la Commission des plaintes intéressent directement cet aspect.

3. Le privilège relatif aux indicateurs de police

[149]        Le défendeur tente également de refuser la communication des renseignements demandés en invoquant le privilège relatif aux indicateurs de police. Le défendeur a fait un examen très utile du champ du privilège ainsi que de la jurisprudence qui le définit. Cette jurisprudence n'appelle pas de développements ici, parce que la demanderesse n'est pas en désaccord avec elle. Le seul point de désaccord entre les parties est celui de savoir si la demande de la présidente ici est sujette au privilège et si le Commissaire de la GRC est juridiquement tenu de refuser la communication des documents en raison de ce privilège. La demanderesse dit que la jurisprudence qui définit et affirme le privilège relatif aux indicateurs de police ne règle pas la situation envisagée par l'article 45.41 de la Loi et que les objectifs à la base du privilège ne seront nullement compromis si la présidente de la Commission des plaintes obtient communication des renseignements.


[150]        Avant d'examiner le point essentiel, il vaut la peine de rappeler que le défendeur n'a pas réellement mis en doute la capacité et l'obligation de la Commission des plaintes de veiller à ce que l'identité de l'indicateur soit protégée si l'information est communiquée à la présidente. Nul ne prétend non plus, me semble-t-il, que la capacité de la police, qui compte sur des renseignements confidentiels pour faire son travail, sera de quelque façon compromise si la présidente de la Commission des plaintes reçoit les documents demandés. Le défendeur prétend simplement que le privilège interdit la communication des documents demandés.

[151]        Il vaut aussi la peine de garder à l'esprit que les renseignements figurant dans les documents ont déjà été communiqués à un bon nombre de personnes, notamment des policiers, des juges, un greffier de tribunal et certains avocats, mais, tout particulièrement, au sergent-major Sandra McNamara, en sa qualité d'enquêtrice pour les plaintes - Bureau des normes professionnelles, un élément du système du Bureau des plaintes contre la PPO.

[152]        Le sergent-major McNamara dit qu'elle a interrogé les policiers concernés et examiné leurs notes et qu'elle a même eu un entretien avec la source confidentielle. Ainsi, dans le système du Bureau des plaintes contre la PPO, les renseignements concernant l'indicateur ont été jugés pertinents, nécessaires et non exclus par le privilège relatif aux indicateurs de police. Or, invoquant les articles 45.42 et 45.41 de la Loi sur la GRC, le défendeur exprime l'avis que ces renseignements ne sont pas pertinents et ne peuvent être divulgués en raison du privilège, même si c'est la même plainte qui est examinée.


[153]        Le défendeur dit que cette différence de traitement au regard du privilège se justifie par le fait que le sergent-major McNamara est un policier. Sans doute, mais, lorsqu'elle a examiné la plainte et qu'elle a eu un entretien avec l'indicateur, elle agissait en sa qualité d'enquêtrice, dans le contexte d'un système d'enquête sur les plaintes. Le défendeur affirme dans ses arguments écrits que la « Cour suprême du Canada a jugé qu'il est toujours contraire à l'intérêt public d'obliger un agent de la paix à révéler des renseignements susceptibles de révéler l'identité d'un indicateur de police, et que cet aspect de l'intérêt public a toujours préséance sur la nécessité d'assurer une justice plus complète » , et que « le privilège ne souffre qu'une seule exception, à savoir les poursuites criminelles où la divulgation de l'identité de l'indicateur est nécessaire pour prouver l'innocence de l'accusé » . On se demande alors pourquoi l'identité de l'indicateur dans le cas qui nous occupe a été si volontiers communiquée à une enquêtrice agissant pour le Bureau des plaintes contre la PPO, alors qu'il n'y a pas d'accusé.


[154]        Comme le fait cependant observer le défendeur, le fait que des documents ont été divulgués dans la présente affaire (même s'ils l'ont été au mépris du privilège) ne porte pas atteinte au privilège lui-même, auquel on ne peut renoncer. Je partage l'avis du défendeur à cet égard, et je crois que le seul point que je dois décider sur ce moyen est celui de savoir si les règles du privilège relatif aux indicateurs de police empêchent effectivement la communication des documents dans la présente affaire, une communication qui à l'évidence révélera à la présidente de la Commission des plaintes l'identité de l'indicateur ainsi que ses paroles. D'une part, je ne crois pas que le texte de l'article 45.41 suspende ou réduise ici le privilège relatif aux indicateurs de police. De l'autre, si l'observation du défendeur est exacte, alors la Commission des plaintes ne sera jamais en mesure d'enquêter adéquatement sur une plainte comme celle dont il s'agit dans la présente affaire, une affaire où un indicateur de police était mis en cause et où les circonstances dans lesquelles la GRC a obtenu le mandat et procédé à la perquisition appellent évidemment une enquête sur les renseignements donnés par l'indicateur, ainsi qu'une appréciation des moyens pris pour s'assurer que lesdits renseignements constituaient des motifs raisonnables et n'étaient pas motivés par la malveillance. C'est donc un point extrêmement important pour la conduite future de la demanderesse et du défendeur.

[155]        Le défendeur a signalé à la Cour plusieurs précédents qui explorent la portée du privilège relatif aux indicateurs de police et font ressortir l'importance historique et actuelle de ce privilège. Cependant, pour la demande dont je suis saisi, on pourra trouver dans l'arrêt R. c. Leipert (1997), 112 C.C.C. (3d) 385, un résumé complet des règles telles que les a exposées la Cour suprême du Canada. Les principes fondamentaux du privilège, exposés dans l'arrêt majoritaire, sont succinctement résumés ainsi dans le sommaire :


Le privilège relatif aux indicateurs de police est d'une importance fondamentale pour le fonctionnement du système de justice criminelle. Ce privilège est d'une telle importance qu'il ne peut être mis en équilibre avec d'autres intérêts. Une fois établi, ni la police ni le tribunal n'a le pouvoir discrétionnaire de le restreindre. Le privilège appartient à la Couronne. Cependant, la Couronne ne peut, sans le consentement de l'indicateur, renoncer au privilège, que ce soit expressément ou par implication, en ne l'invoquant pas. En ce sens, il appartient également à l'indicateur. Cela découle de l'objet du privilège, qui est de protéger ceux qui fournissent des renseignements à la police et d'encourager les autres à en faire autant. Le fait que le privilège appartienne aussi à l'indicateur suscite des questions particulières dans le cas des indicateurs anonyme. Puisque l'indicateur que le privilège est censé protéger, ainsi que sa situation, sont inconnus, il est souvent difficile de prédire avec certitude quel renseignement pourrait permettre à l'accusé d'identifier l'indicateur. Dans ces conditions, les tribunaux doivent prendre particulièrement soin de ne pas priver involontairement les indicateurs du privilège que la loi leur accorde. Sous réserve seulement de l'exception concernant la démonstration de l'innocence de l'accusé, la Couronne et le tribunal doivent s'abstenir de rompre l'anonymat de l'indicateur. Le privilège relatif aux indicateurs de police empêche non seulement la divulgation du nom de l'indicateur, mais la divulgation de tout renseignement susceptible implicitement de révéler son identité. Puisque l'identité de l'indicateur était ici inconnue, la Couronne n'était pas en position de dire si certains des renseignements pouvaient révéler son identité. La Couronne a donc revendiqué le privilège pour tous les renseignements fournis par l'indicateur. L'application du privilège à tous les renseignements susceptibles d'identifier un indicateur justifiait cette revendication dans le cas d'un indicateur anonyme. Lorsque la preuve établit un fondement pour l'exception concernant la démonstration de l'innocence de l'accusé, le privilège doit céder devant le principe selon lequel une personne ne sera pas condamnée quand son innocence peut être démontrée.

[156]        Eu égard aux circonstances de la présente affaire, la demanderesse est disposée à admettre qu'une source confidentielle a communiqué à la GRC des renseignements auxquels s'applique le privilège. Il n'y a pas non plus d'accusé, et l'exception concernant la démonstration de l'innocence de l'accusé ne se pose pas. En outre, je ne vois aucun élément de preuve montrant que l'indicateur a consenti à la divulgation, ni même que son consentement a été recherché.

[157]        La demanderesse soutient que, puisque les policiers, les juges et les procureurs de la Couronne ont coutume de partager des renseignements qui sont sujets au privilège, nous devons conclure que les tribunaux s'accommodent de ce partage parce qu'il ne menace pas l'intérêt public sur lequel repose le privilège. Lorsque ces personnes obtiennent l'accès aux renseignements, l'indicateur n'est pas exposé et la communication de renseignements à la police par le public n'est pas découragée.


[158]        La demanderesse soutient en réalité que les tribunaux n'ont donné aucune indication sur les normes à appliquer lorsque de tels renseignements sont partagés, et elle invite la Cour à donner de telles indications dans le contexte du paragraphe 45.42(1) de la Loi, qui n'est pas une procédure publique, et sans perdre de vue que le partage des renseignements ici avec la présidente de la Commission des plaintes ne menacerait pas l'intérêt public sur lequel repose le privilège.

[159]        Les propositions de la demanderesse me semblent éminemment raisonnables. Cependant, je crois que je suis tenu d'appliquer les règles du privilège telles qu'elles existent, et mon examen des précédents (résumés dans l'arrêt Leipert, précité) me dit que les règles sont claires. Les renseignements, dans cette affaire, ont sans doute été partagés avec d'autres (et d'autres ont coutume de se les communiquer), mais cela à mon avis n'intéresse pas le point essentiel de savoir si le paragraphe 45.42(1) de la Loi constitue une exception au privilège, exception dont la présidente de la Commission des plaintes pourrait tirer parti.

[160]        Dans l'arrêt Leipert, la Cour suprême du Canada a dit, au paragraphe 14, que « le privilège relatif aux indicateurs de police revêt une telle importance qu'il ne saurait être soupesé en fonction d'autres intérêts. Une fois que son existence est établie, ni la police ni les tribunaux n'ont le pouvoir discrétionnaire de le restreindre » . La seule exception reconnue est l'exception concernant la démonstration de l'innocence de l'accusé, exception qui ne se pose pas ici. Je crois donc devoir appliquer les règles dans toute leur rigueur. Si je devais tenir compte des arguments de la demanderesse (aussi raisonnables soient-ils), cela voudrait dire qu'il me faudrait tenir compte d'intérêts rivaux, et les règles, selon mon interprétation, sont catégoriques : cela ne peut pas se faire. Je n'ai pas le pouvoir de restreindre le privilège en faveur de la demanderesse.

[161]        Je reconnais avec la demanderesse que l'application du privilège dans la présente affaire, ainsi que dans d'autres affaires semblables, entravera sérieusement la capacité de la Commission des plaintes d'examiner les plaintes en conformité avec l'article 45.42 de la Loi. Mais tout ce que cela signifie, c'est que l'intérêt public dans la surveillance civile des plaintes portées contre la GRC doit se mesurer aux intérêts que renferme le privilège. Et les règles disent que, lorsque le privilège est en cause, et dans la mesure où l'exception applicable à la démonstration de l'innocence de l'accusé n'intervient pas, je ne puis entreprendre d'apprécier les intérêts en cause et n'ai aucun pouvoir discrétionnaire. Je dois donner effet au privilège. Le remède aux difficultés que cela cause à la Commission des plaintes ne peut être administré par la Cour, il doit venir du Parlement.

[162]        À mon avis, cette conclusion dispose de la demande dont je suis saisi. Cependant, pour le cas où je ferais erreur et où l'affaire serait portée en appel, le défendeur soulève un autre moyen pour justifier son refus de communication, et ce moyen devrait être examiné.

4.          La communication est interdite par ordonnance judiciaire

[163]        L'ordonnance de non-communication rendue par la Cour de justice de l'Ontario en application de l'article 487.3 du Code criminel est ainsi rédigée :

[traduction] J'ordonne que ce paquet, avec son contenu, soit placé sous la garde de la Cour, dans les bureaux du greffier, en un endroit privé et sûr auquel le public n'a pas accès, afin de préserver la confidentialité du contenu, et le paquet ne doit être remis à personne ni ouvert par personne, sauf sur l'ordre ultérieur d'un fonctionnaire de l'ordre judiciaire.

[164]        Le défendeur fait observer que les parties ne contestent pas que le paquet mentionné dans l'ordonnance de non-communication contient la dénonciation sous serment. Le défendeur dit aussi que, par déduction nécessaire, l'interdiction dont parle l'ordonnance de non-communication s'étend aussi aux notes des agents, qui contiennent les renseignements utilisés pour préparer la dénonciation sous serment, et il est d'avis que, quel que soit le bien-fondé des prétentions de la demanderesse, ni l'alinéa 45.41(2)b) ni aucune autre disposition de la Loi ne requièrent du défendeur qu'il ignore une ordonnance judiciaire lui enjoignant de préserver la confidentialité de documents et de renseignements protégés par le privilège relatif aux indicateurs de police.

[165]        Je reconnais avec le défendeur que les renseignements protégés par le privilège ne peuvent être divulgués, mais l'ordonnance de non-communication, en tant que telle, et le paragraphe 487.3(4) du Code criminel précisent que l'ordonnance peut être modifiée par une ordonnance ultérieure. Pour le cas où les renseignements ne seraient pas protégés par le privilège, je ne vois rien qui empêcherait qu'une telle ordonnance soit rendue dans le cadre de la présente demande.

Conclusion


[166]        La Cour est d'avis que cette demande est irrecevable, sur un seul fondement. La demanderesse a admis que, d'après les circonstances de cette affaire, une source confidentielle a communiqué à la GRC des renseignements qui sont sujets au privilège relatif aux indicateurs de police. La conclusion de la Cour selon laquelle le paragraphe 45.42(1) de la Loi ne constitue pas, pour ce privilège, une exception dont la présidente de la Commission des plaintes pourrait tirer parti signifie que l'ordonnance de mandamus et le jugement déclaratoire qu'elle a demandés ne peuvent être rendus.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Le défendeur a droit aux dépens de cette demande.

                                                                                 _ James Russell _              

                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-25-03

INTITULÉ :                COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

                                                                                       demanderesse

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 25 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                       LE 9 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Steven C. McDonell                              POUR LA DEMANDERESSE

Patrick Bendin                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven C. McDonell                              POUR LA DEMANDERESSE

Commission des plaintes du public

contre la Gendarmerie royale du Canada

C.P. 3423, succursale D

Ottawa (Ontario) K1P 6L4

Procureur général du Canada                             POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

284, rue Wellington, 2e étage

Édifice commémoratif de l'Est

Ottawa (Ontario) K1A 0H8


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 20040609

                               Dossier : T-25-03

ENTRE :

LA COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

                                    demanderesse

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                           défendeur

                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                


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