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Date : 20041101

Dossier : T-2371-03

Référence : 2004 CF 1506

ENTRE :

                                                         GÉRARD THÉRIAULT

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

L'OFFICIER COMPÉTENT DE LA DIVISION C

DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE    

Le Juge Lemieux:

A.        Introduction et faits

[1]                Cette demande de contrôle judiciaire vise la décision du Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC » ) qui rejette l'appel du demandeur contre la sanction disciplinaire imposée par un Comité d'arbitrage, soit l'obligation de démissionner de la GRC dans un délai de 14 jours à défaut de quoi il serait renvoyé.


[2]                La question soulevée par cette demande en est une de prescription sousLa Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la « loi » ) et se pose :

La convocation du 23 octobre 2000 en vertu de l'article 43(1) de la loi par le Commandant Lange de la Division "C" de la Gendarmerie royale du Canada, d'une audience par un Comité d'arbitrage afin d'enquêter sur deux contraventions présumées au Code de déontologie de la GRC par Gérard Thériault, membre de la GRC depuis 1981, respecte-t-elle les dispositions du paragraphe 43(8) de la loi ?                              

[3]                Aux paragraphes 2(2) et 2(3) de la loi « officier compétent » signifie un officier désigné par le Commissaire à l'égard d'un membre pour l'application de la loi. Selon l'article 4 des consignes du Commissaire c'est le commandant divisionnaire qui a ce rôle aux fins du paragraphe 43(8) de la loi.

[4]                L'article 43 de la loi sous l'entête « Mesures disciplinaires graves » , se lit :



Initiation

43. (1) Subject to subsections (7) and (8), where it appears to an appropriate officer that a member has contravened the Code of Conduct and the appropriate officer is of the opinion that, having regard to the gravity of the contravention and to the surrounding circumstances, informal disciplinary action under section 41 would not be sufficient if the contravention were established, the appropriate officer shall initiate a hearing into the alleged contravention and notify the officer designated by the Commissioner for the purposes of this section of that decision.

Adjudication board

(2) On being notified pursuant to subsection (1), the designated officer shall appoint three officers as members of an adjudication board to conduct the hearing and shall notify the appropriate officer of the appointments.

Qualifications

(3) At least one of the officers appointed as a member of an adjudication board shall be a graduate of a school of law recognized by the law society of any province.

Notice of hearing

(4) Forthwith after being notified pursuant to subsection (2), the appropriate officer shall serve the member alleged to have contravened the Code of Conduct with a notice in writing of the hearing, together with

(a) a copy of any written or documentary evidence that is intended to be produced at the hearing;

                                                               

(b) a copy of any statement obtained from any person who is intended to be called as a witness at the hearing; and

c) a list of exhibits that are intended to be entered at the hearing.

Contents of notice

(5) A notice of hearing served on a member pursuant to subsection (4) may allege more than one contravention of the Code of Conduct and shall contain

(a) a separate statement of each alleged contravention;

(b) a statement of the particulars of the act or omission constituting each alleged contravention;

©) the names of the members of the adjudication board; and

(d) a statement of the right of the member to object to the appointment of any member of the adjudication board as provided in section 44.

Statement of particulars

(6) Every statement of particulars contained in a notice of hearing in accordance with paragraph (5)(b) shall contain sufficient details, including, where practicable, the place and date of each contravention alleged in the notice, to enable the member who is served with the notice to determine each such contravention so that the member may prepare a defence and direct it to the occasion and events indicated in the notice.

Restriction

(7) No hearing may be initiated by an appropriate officer under this section in respect of an alleged contravention of the Code of Conduct by a member if the informal disciplinary action referred to in paragraph 41(1)(g) has been taken against the member in respect of that contravention.

Limitation period

(8) No hearing may be initiated by an appropriate officer under this section in respect of an alleged contravention of the Code of Conduct by a member after the expiration of one year from the time the contravention and the identity of that member became known to the appropriate officer.

(9) A certificate purporting to be signed by an appropriate officer as to the time an alleged contravention of the Code of Conduct by a member and the identity of that member became known to the appropriate officer is, in the absence of evidence to the contrary, proof of that time without proof of the signature or official character of the person purporting to have signed the certificate.

R.S., 1985, c. R-10, s. 43; R.S., 1985, c. 8 (2nd Supp.), s. 16.

Convocation

43. (1) Sous réserve des paragraphes (7) et (8), lorsqu'il apparaît à un officier compétent qu'un membre a contrevenu au code de déontologie et qu'eu égard à la gravité de la contravention et aux circonstances, les mesures disciplinaires simples visées à l'article 41 ne seraient pas suffisantes si la contravention était établie, il convoque une audience pour enquêter sur. la contravention présumée et fait part de sa décision à l'officier désigné par le commissaire pour l'application du a présent article.

Constitution d'un comité d'arbitrage

(2) Dès qu'il est avisé de cette décision, l'officier désigné nomme trois officiers à titre de membres d'un comité d'arbitrage pour tenir l'audience et en avise l'officier compétent.

Conditions d'admissibilité

(3) Au moins un des trois officiers du comité d'arbitrage est un diplômé d'une école de droit reconnue par le barreau d'une province.

Avis d'audience

(4) Dès qu'il est ainsi avisé, l'officier compétent signifie au membre soupçonné d'avoir contrevenu au code de déontologie un avis écrit de l'audience accompagné des documents suivants :

a) une copie de la preuve écrite ou documentaire qui sera produite à l'audience;

b) une copie des déclarations obtenues des personnes qui seront citées comme témoins à l'audience;

c) une liste des pièces qui seront produites à l'audience.

Contenu de l'avis

(5) L'avis d'audience signifié à un membre en vertu du paragraphe (4) peut alléguer plus d'une contravention au code de déontologie et doit contenir les éléments suivants :

a) un énoncé distinct de chaque contravention alléguée;

b) un énoncé détaillé de l'acte ou de l'omission constituant chaque contravention alléguée;

c) le nom des membres du comité d'arbitrage;

d) l'énoncé du droit d'opposition du membre à la nomination de tout membre du comité d'arbitrage comme le prévoit l'article 44.

Énoncé détaillé

(6) L'énoncé détaillé visé à l'alinéa (5)b) doit être suffisamment précis et mentionner, si possible, le lieu et la date où se serait produite chaque contravention alléguée dans l'avis d'audience, afin que le membre qui en reçoit signification puisse connaître la nature des contraventions alléguées et préparer sa défense en conséquence.

Restriction

(7) L'officier compétent ne peut convoquer une audience en vertu du présent article relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre à qui la mesure disciplinaire simple visée à l'alinéa 41(1)g) a déjà été imposée à l'égard de cette contravention.

Prescription

(8) L'officier compétent ne peut convoquer une audience en vertu du présent article relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre plus d'une année après que la contravention et l'identité de ce membre ont été portées à sa connaissance.

(9) En l'absence de preuve contraire, un certificat présenté comme signé par l'officier compétent et faisant état du moment où ont été portées à sa connaissance une contravention au code de déontologie censément commise par un membre et l'identité de ce dernier, constitue une preuve de ce moment sans qu'il soit nécessaire d'établir l'authenticité de la signature ni la qualité du signataire. [je souligne]

L.R. (1985), ch. R-10, art. 43; L.R. (1985), ch. 8 (2e suppl.), art. 16.


[5]                L'avis de convocation d'un comité d'arbitrage émis par le Commandant Lange allègue deux contraventions par le demandeur au Code de déontologie de la GRC : 1) d'avoir agi comme gérant de soir du bar/restaurant Bellevue, lequel était fréquenté par des motards criminalisés et 2) d'avoir tenté de faciliter une transaction de stupéfiants.


[6]                En termes très simples, le demandeur soutient que la convocation du Commandant Lange était prescrite au motif que bien avant le 23 octobre 1999, le Surintendant Sugrue, officier responsable des enquêtes criminelles (l' « OREC » ) de la Division "C", avait été mis au courant des contraventions alléguées contre lui. Le Surintendant Sugrue aurait pu et devait émettre la convocation sous le paragraphe 43(1) de la loi quand il a remplacé le Commandant Lange conformément à l'article 8 du Règlement de la GRC, durant plusieurs périodes en 1999, lorsque celui-ci était en vacances ou en absences de travail (du 25 mai au 5 juin 1999, du 11 juin au 21 juin 1999, du 16 août au 18 août 1999, du 19 août au 30 août 1999 du 11 au 16 septembre 1999 et du 16 novembre au 4 décembre 1999). Le demandeur prétend que le Surintendant Sugrue était donc officier compétent et commandant intérimaire de la Division "C" à laquelle il était rattaché pour les fins de l'application de l'article 43 de la loi.

[7]                Je résume brièvement les faits que l'on retrouve soit dans le dossier du demandeur ou dans les témoignages des officiers de la GRC sur la requête en prescription déposée par M. Thériault:

1)         Le 18 mars 1999, le Caporal Pierre Verdun adresse une note de service à son supérieur le Sergent État Major ( « SEM » ) Bolduc intitulé « Information reçue sur membre de la GRC » . Cette note se lit:

Le Cst. Roberge de la section de l'Anti-Gang du SPCUM [Service de Police de la communauté urbaine de Montréal] m'avise que le membre de la GRC (suspendu) Gérard Thériault est présentement gérant au bar resto Bellevue... Ce bar est contrôlé par les Rockers MC et connu comme un bar mal fréquenté. Plusieurs incidents sont d'ailleurs reliés à ce bar. De plus, le Cst. Roberge m'avise que Thériault semble être anti policier ayant même fermé la porte au nez aux enquêteurs de la section moralité du SPCUM alors qu'ils étaient dans l'exercice de leurs fonctions.


2)         Cette note de service est acheminée par le SEM Bolduc au Surintendant Fournier qui était à l'époque l'officier responsable des services de renseignements divisionnaires pour la Division "C", ayant un lien hiérarchique avec l'OREC. Le Surintendant Fournier transmet la note du Cpl. Verdun à l'OREC le 18 mars 1999 et écrit ceci à la main:

(OREC transmis 99-03-18) Le sem Bolduc m'avise que d'autres incidents du genre impliquant G. Thériault, nous serons communiqués sous peu; c'est-à-dire aussitôt que les policiers du SPCUM trouveront le temps de faire rapport.

3)         Soit l'après-midi même du 18 mars ou le 19 mars 1999, une réunion a eu lieu au bureau de l'OREC à laquelle ont assisté l'OREC, le Surintendant Dion, un adjoint de l'OREC, responsable des enquêtes criminelles en matière de lutte anti-drogues et de lois fédérales, le Surintendant Fournier et le SEM Walter Wafer des enquêtes spéciales pour la Division "C". Durant cette réunion, l'OREC a mandaté Walter Wafer de faire le suivi avec le SPCUM. Dans son rapport de cette réunion, Walter Wafer écrit « Il a été convenu que cette enquête soit transférée à notre secteur et qu'avant de la débuter, de recueillir toutes les informations en possession du SPCUM » . Règle générale, les Enquêtes spéciales de la Division "C" sont impliquées lorsqu'il y a une enquête concernant les membres de la GRC (dossier du demandeur, pages 24, 49 et 80).


4)         Le 19 mars 1999, Walter Wafer communique avec le Lieutenant Mario Plante du SPCUM. Le rapport du SEM Wafer indique qu'il a été informé que tous les documents ne pourront être disponibles avant une semaine mais que toutefois, le Lieutenant Plante l'a informé que son secteur du SPCUM avait l'intention de procéder à une opération d'infiltration avec un agent double visant le Bar Bellevue. Le SEM Wafer avise immédiatement le Surintendant Dion (dossier du demandeur, page 24).

5)         Le 23 avril 1999, les SEM Wafer et Martel rencontrent le Lieutenant-détective Plante qui les informe du déroulement de l'opération d'infiltration à l'endroit où travaillait le Gendarme Thériault, soit le Bar Bellevue. Dans son rapport de cette journée, le SEM Martel écrit:

L'agent d'infiltration est retourné une deuxième fois au même bar où elle a rencontré le Gend. Gérard Thériault.... Lors de cette rencontre, elle prétexta avoir un appel à faire et à son retour expliqua au Gend. Gérard Thériault ... qu'elle n'avait pu rejoindre son fournisseur et qu'elle désirait de la cocaïne. Le Gend. Gérard Thériault ... fit alors des démarches auprès de ses confrères de travail, afin de tenter de lui en procurer, mais ses démarches se sont avérées infructueuses.

Le SEM Martel ajoute que le Lieutenant Plante fournira à la GRC un rapport détaillé sur les conversations qui eurent lieu entre le Gendarme Thériault et l'agent d'infiltration et note que le Lieutenant Plante demande à la GRC d'évaluer si elle envisage d'autres alternatives dans ce dossier, avant de soumettre son rapport final (dossier du demandeur, pages 25-26).

6)          Le Sergent Hardy des Enquêtes spéciales de la Division "C" remplace le SEM Wafer. C'est le 23 juin 1999 que le Sergent Hardy rencontre le Lieutenant-détective Plante qui lui remet les notes de l'agent double.


7)         Le 27 juillet 1999, le Sergent Hardy voit le S.R.M. Couture des Enquêtes internes « et je lui fais lire les notes de l'agent double de la C.U.M. Couture m'avise que selon lui, il aurait assez d'information pour qu'une enquête sur la partie quatre soit entreprise par leur service. Toutefois Couture m'avise que la demande d'enquête doit provenir de l'officier responsable de Thériault en l'occurrence l'Inspecteur Bernard » [sic lire l'Inspecteur Bénard]. Dans son rapport, l'enquêteur Hardy indique que cette journée même il a essayé de rejoindre l'Inspecteur Bénard à son bureau mais qu'il était parti en vacances jusqu'au 9 août 1999. Il en avise son superviseur le SEM Martel qui « prendra les mesures pour rencontrer Bernard[sic] lorsqu'il reviendra de congé » .

8)         Une enquête interne est ouverte par la GRC à la fin de l'été 1999 sur les activités prétendues du Gendarme Thériault au Resto-Bar Bellevue. Le Surintendant principal Sugrue témoigne qu'il n'avait aucun lien avec les affaires internes qui relèvent de l'Administration centrale à Ottawa et, de ce fait, qu'il n'avait jamais discuté avec le Commandant Lange, maintenant Commissaire-adjoint, ni de l'enquête interne ni de ses résultats. Il témoigne aussi que vers le 3 décembre 1999, l'enquête interne tirait à sa fin (dossier du défendeur, pages 82 à 84).


9)         Le Surintendant Sugrue témoigne qu'il avait discuté avec le Commandant Lange des allégations à l'effet que le demandeur agissait comme gérant du Bar Bellevue et qu'il avait tenté de faciliter une transaction de stupéfiants quelques jours après avoir parlé au Commandant Delorme du SPCUM, le 3 décembre 1999. Suite aux propos du Sergent Lyne Forgues, l'enquêtrice aux affaires internes, il semblerait que le SPCUM ne permettrait pas à l'agent double de témoigner (dossier du défendeur, page 82).

10)       Le Surintendant Sugrue témoigne aussi que l'OREC ou les Enquêtes spéciales, qui relèvent de l'OREC, n'ont jamais enquêté sur les activités du demandeur reliées au Bar Bellevue; les officiers Wafer, Martel et Hardy ont eu simplement des instructions d'être la liaison avec le SPCUM (dossier du défendeur page 83, transcription page 187).

[8]                Le Comité d'arbitrage a ordonné au Commandant Lange de comparaître devant lui pour témoigner sur ses connaissances de l'enquête sur les activités du demandeur au Resto-Bar Bellevue. Il dépose un certificat sous le paragraphe 43(9) de la loi. Il témoigne que c'est seulement le 8 novembre 1999, lors d'une rencontre avec Me Andrégnette qui agissait en tant que représentante de l'officier compétent, qu'il a été informé des faits concernant les allégations contre le demandeur. De plus, il a témoigné à l'effet qu'il n'en avait pas discuté avec le Surintendant principal Sugrue avant cette date.


[9]                Le Commandant Lange reconnaît que le surintendant principal l'avait remplacé à plusieurs reprises comme commandant par intérim et qu'il avait complété un formulaire de « Nomination Intérimaire Autorisée » selon laquelle la personne nommée [le Surintendant principal Sugrue] peut « remplir les fonctions de la nomination temporaire ainsi que les fonctions permanentes du poste » (dossier des défendeurs, page 19).

[10]            Il témoigne aussi avoir demandé cette même journée du 8 novembre 1999, un rapport préliminaire de la Section des enquêtes internes afin d'étudier la question de la suspension, matière qui ne relève pas de la responsabilité de l'OREC.

[11]            J'ai mentionné que l'OREC avait témoigné n'avoir jamais informé le Commandant Lange de l'enquête du SPCUM sur le demandeur. Il en est de même pour Walter Wafer (dossier du demandeur, page 77), le Surintendant Fournier (dossier du demandeur, page 54) et du Sergent Hardy (dossier du demandeur, page 71).

B.        Les décisions

(a)        Du Comité d'arbitrage


[12]            Quant à la prescription sous l'article 43(8) de la loi, le Comité d'arbitrage examine trois questions. En premier lieu, il s'est demandé si le Commandant Lange avait été mis au courant des faits importants des contraventions alléguées et de l'identité du membre à une date antérieure au 23 octobre 1999. Le comité conclut sur la base du témoignage du Commandant Lange et du témoignage du Surintendant Sugrue que le Commandant Lange n'avait pas été mis au courant des faits importants des contraventions avant le 8 novembre 1999, donc à l'intérieur d'un an avant son avis de convocation.

[13]            La deuxième question étudiée par le comité était de savoir si la notoriété du demandeur (en 1999 il avait été traduit devant les instances pénales et son procès était en cours; il fut, par la suite, acquitté) n'a pas fait en sorte qu'il était plus plausible que le Commandant Lange ait été mis au courant et que, s'il ne l'avait pas été, c'était spécifiquement pour éviter de déclencher la période de prescription. Le comité qualifie cette prétention de spéculative et conclut que l'existence en soi d'autres instances disciplinaires et criminelles ne permettent pas au comité, à titre de juge des faits, d'inférer la connaissance par l'officier compétent de l'existence d'une nouvelle enquête criminelle, puis interne en cours. Le comité ajoute que les enquêteurs internes ne relèvent du commandant mais plutôt du Sous-commissaire responsable pour la région du centre.

[14]            Finalement, le comité s'est demandé si la connaissance acquise par le Surintendant Sugrue dans son rôle d'OREC devenait automatiquement la connaissance de l'officier compétent lorsqu'il agissait à titre de commandant divisionnaire intérimaire. Je cite textuellement l'analyse et les conclusions du Comité d'arbitrage sur ce point :


L'office d'officier compétent est une création de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Les devoirs et obligations de l'officier compétent pour les fins disciplinaires sont définis à la partie IV de la Loi. L'office d'officier compétent a été conféré pour l'essentiel aux commandants des divisions selon les Ordres permanents du commissaire (officier compétent). Les commandants ont de vastes responsabilités à l'égard de leur division et doivent rendre compte de leur administration. Le Comité considère que la nomination des commandants à titre d'officier compétent par voie réglementaire démontre qu'ils sont également tenus responsable de l'administration de la discipline au niveau divisionnaire. C'est donc à eux que revient la responsabilité de décider si une audience doit être convoquée dans un cas donné.

L'officier compétent doit convoquer un comité d'arbitrage lorsqu'il ou elle est satisfait que certaines conditions définies au paragraphe 43(1) sont réunies. Les paragraphes 43(7) et (8) limitent la compétence de l'officier compétent à cet égard. Le paragraphe 43(8) définit la prescription et stipule que l'officier compétent « ne peut convoquer » une audience dans certains cas, soit lorsque le recours est prescrit. La prescription a été définie plus à fond par le Comité externe d'examen et le Commissaire dans plusieurs décisions mais la question en litige dans la présente affaire n'a pas été abordée jusqu'à ce jour. La question en litige est la suivante : quand est-ce que le commandant, ou son remplaçant temporaire, agit en tant qu'officier compétent ? Plus particulièrement, est-ce que la connaissance acquise dans les fonctions habituelles d'un membre devient la connaissance de l'officier compétent si ce membre remplace le commandant à titre intérimaire ?

Le paragraphe 43(8) se lit comme suit:

                                                                      . . .

La connaissance en est une des faits essentiels de l'allégation et n'exige pas une connaissance détaillée de la conduite. Par ailleurs la Loi sur l'interprétation stipule :

23(5) Quand il est conféré un pouvoir ou imposé un devoir au titulaire d'un poste en cette qualité, le pouvoir peut être exercé et le devoir doit être accompli par la personne alors chargée de l'exercice des attributions relatives à ce poste.

C'est donc dire que le pouvoir ou devoir de l'officier compétent doit être exercé par la personne alors chargée de l'exercice des attributions de ce poste. La connaissance des faits essentiels et de l'identité du membre sous le paragraphe 43(8) de la Loi sur la GRC doit donc être acquise par la personne « alors » en poste dans la fonction d'officier compétent. Le Comité conclut que cette connaissance, pour être celle qui engage la période de prescription, doit être acquise par la personne « alors en poste au moment où cette connaissance lui est impartie » . La forme (rapport d'enquête, note de breffage, discussion lors d'une rencontre, etc.) importe peu, ce qui importe c'est que la connaissance requise pour engager le par. 43(8) doit être acquise par la personne occupant le poste de commandant au moment même où cette personne est dans ce poste. De plus, il importe peu que la personne en poste en soi le titulaire permanent ou le titulaire intérimaire ou temporaire.


Le surint. pr. Sugrue n'était pas commandant intérimaire lorsqu'il a pris connaissance de la conduite alléguée du gend. Thériault mais agissait plutôt à titre d'OREC et c'est en cette qualité qu'il a été informé puisque les Enquêtes spéciales relevaient de son commandement. Il n'était donc pas l'officier compétent à ce moment, n'agissait pas à ce titre et sa connaissance en était une de l'OREC. Lorsque le surint. pr. Sugrue occupait la fonction de commandant intérimaire, il n'a pas été informé des contraventions au Code de déontologie contre le gendarme Thériault à titre d'officier compétent et n'a donc pas eu à exercer ce rôle. Autrement dit, le surintendant pr. Sugrue n'a pas été saisi de l'affaire disciplinaire concernant le gendarme Thériault en tant que commandant et au moment où il était commandant et sa connaissance des faits n'en était pas une de l'officier compétent, mais plutôt d'OREC. Cette connaissance n'est pas devenue celle de l'officier compétent du seul fait de sa présence à titre intérimaire dans ce poste. [je souligne]

(b) La recommandation du Comité externe d'examen

[15]            Tel qu'exigé par le paragraphe 45.15(1) de la loi, le dossier d'appel au Commissaire fut acheminé au Comité externe d'examen de la Gendarmerie royale du Canada (le Comité externe).

[16]            Le Comité externe se pose la question à savoir si les procédures disciplinaires ont été intentées dans le délai prévu par la loi. Je cite textuellement l'analyse du Président du Comité externe :

Je suis d'accord avec la conclusion du Comité d'arbitrage à l'effet que ce que le surintendant pr. Sugrue savait des allégations avant qu'il n'assume temporairement le commandement de la division en mai 1999 n'a pas eu de répercussions sur le calcul du délai pour intenter des procédures disciplinaires contre l'appelant. Il en aurait été autrement, selon moi, si le poste de commandant divisionnaire avait été vacant lorsque le surintendant pr. Sugrue a assuré l'intérim. Cependant, puisqu'il n'était pas appelé à remplacer temporairement le commandant et pour de brèves périodes seulement, les seuls renseignements dont il a eu connaissance qui devrait influencer le calcul du délai prévu par le paragraphe 43(8) de la loi sont ceux qui étaient destinés au commandant adj. Lange.


[13]    Tout comme je l'avais indiqué dans l'affaire Pratt, (2001) 12 D.A. (3e) 111, il serait inacceptable que le délai de prescription puisse être repoussé de plusieurs mois du simple fait que le titulaire du poste de commandant divisionnaire était absent de son poste ou que le poste soit demeuré vacant. Selon ce que prévoit par l'article 8 du Règlement, il doit toujours y avoir un membre qui assume le commandement de la division, ce qui signifie qu'un membre de la division ne sera jamais sans officier compétent. Règle générale, si un membre a connaissance d'une allégation à l'effet qu'un autre membre a contrevenu au Code de déontologie, cette connaissance le suit lorsqu'il assume le commandement de la division, même s'il n'assume ces fonctions que de façon intérimaire. J'ai du mal à concevoir qu'un membre qui est au courant d'une allégation avant de devenir commandant divisionnaire pourrait ensuite attendre plus d'un an avant d'intenter des procédures disciplinaires par rapport à cette allégation au seul motif que personne n'ait discuté de cette allégation avec lui après qu'il soit devenu le commandant divisionnaire. Conclure autrement trahirait l'intention du paragraphe 43(8), selon moi, car on s'attend à ce qu'un officier compétent fasse preuve de célérité lorsqu'il est question de décider si un membre devrait faire l'objet de procédures disciplinaires.

Cependant, je vois d'un oeil différent la situation où un commandant part en vacances ou doit voyager à l'extérieur de la division en raison de ses fonctions, ce qui a pour effet que « le membre régulier du grade inférieur suivant, selon l'ordre de préséance des membres réguliers » devient automatiquement commandement intérimaire jusqu'à son retour. Le membre qui doit ainsi remplacer le commandant ne jouit pas tout à fait de la même liberté d'action que si le poste était vacant ou s'il en était devenu le titulaire permanent. A titre d'exemple, il aurait probablement été mal venu de la part du surintendant pr. Sugrue d'intenter des procédures disciplinaires contre l'appelant, bien qu'il avait droit de le faire, s'étant vu confier « les fonctions de la nomination temporaire ainsi que les fonctions permanentes du poste » . C'est le genre de décision qu'il incombait plutôt au commandant adj. Lange de prendre.

[15] Bien entendu, ce débat aurait pu être évité si plutôt que de prendre près de douze mois avant d'intenter les procédures disciplinaires, le commandant avait fait preuve d'un peu plus de célérité avant de convoquer un comité d'arbitrage. Malheureusement, il arrive trop souvent à la GRC qu'on attende jusqu'à la onzième heure avant de prendre ce genre de décision. Je réitère le commentaire que j'avais formulé dans l'affaire Brar, (2003), 17 D.A (3e) 119, qu'il n'est pas nécessaire pour un commandant divisionnaire d'attendre de recevoir le rapport final de l'enquête interne avant de mettre en branle le processus disciplinaire. [je souligne]

(c)        La décision du Commissaire             


[17]            Par décision écrite en date du 19 novembre 2003, le Commissaire Zaccardelli rejette l'appel du demandeur. Sur la prescription, il se dit persuadé par l'analyse du Comité d'arbitrage et fait sien le paragraphe suivant de la décision du Comité d'arbitrage :

C'est donc dire que le pouvoir ou devoir de l'officier compétent doit être exercé par la personne alors chargée de l'exercice des attributions de ce poste. La connaissance des faits essentiels et de l'identité du membre sous le par. 43(8) de la Loi sur la GRC doit être acquise par la personne « alors » en poste dans la fonction d'officier compétent. Le Comité conclut que cette connaissance, pour être celle qui engage la période de prescription, doit être acquise par la personne, « alors en poste au moment où cette connaissance lui est impartie » . La forme (rapport d'enquête, note de breffage, discussion lors d'une rencontre, etc.), importe peu, ce qui importe c'est que la connaissance requise pour engager le par. 43(8) doit être acquise par la personne occupant le poste de commandant au moment même où cette personne est dans ce poste. De plus, il importe peu que la personne en poste en soi le titulaire permanent ou le titulaire intérimaire ou temporaire.

C.        ANALYSE

a)         La norme de contrôle

[18]            Je souscris à l'analyse du juge Kelen exprimée dans ses motifs d'ordonnance dans l'arrêt Stenhouse c. Canada (Procureur général), [2004] F.C. 375. Le juge Kelen, dans cette cause, était saisi d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Commissaire de la GRC entérinant une recommandation du Comité d'examen externe que le demandeur doive démissionner de la GRC dans un délai de quatorze jours.

[19]            D'après le juge Kelen, le résultat d'une analyse fonctionnelle et pragmatique requise par la Cour suprême du Canada dans son arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, mène à la conclusion suivante qu'il exprime aux paragraphes 21 et 22 de ses motifs:


¶ 21       En utilisant la méthode pragmatique et fonctionnelle dans la présente affaire, j'arrive aux conclusions suivantes :

1) La clause privative - Au paragraphe 45.16(7) de la Loi sur la GRC, on trouve la clause privative restreinte suivante :

La décision du commissaire portant sur un appel interjeté en vertu de l'article 45.14 est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, n'est pas susceptible d'appel ou de révision en justice.

Cette clause privative "restreinte" fait qu'il y a lieu d'exercer une certaine retenue face à la décision du Commissaire, tout comme face à d'autres décisions soumises au contrôle judiciaire de la Cour fédérale en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Le niveau de retenue à exercer est déterminé en utilisant les étapes suivantes dans le cadre de la méthode pragmatique et fonctionnelle;

2) L'expertise du tribunal - Le Commissaire a de toute évidence une expertise au sujet de la GRC, ce qui va dans le sens d'une certaine retenue;

3) L'objet de la loi - La législation reconnaît que la GRC doit avoir le contrôle de sa discipline, ce qui se reflète dans le processus disciplinaire en trois étapes que l'on trouve dans la Loi sur la GRC. De plus, les membres de la GRC ne sont pas soumis à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33. Ceci va dans le sens d'une certaine retenue face à une décision du Commissaire en matière de discipline; et

4) La nature de la question - de droit, de fait ou mixte de fait et de droit - Le processus disciplinaire de la GRC est essentiellement fondé sur des faits. Le Commissaire a l'expertise requise pour examiner les conclusions quant aux faits et, en conséquence, il y a lieu d'exercer une grande retenue à son égard lorsqu'il s'agit des questions de fait. Sur les questions de droit toutefois, la Cour a une plus grande expertise que le Commissaire et n'exercera donc pas de retenue à son égard pour ces questions en examinant ses décisions au vu de la norme de la décision correcte. S'agissant des questions mixtes de fait et de droit, la Cour exercera une certaine retenue et soumettra la décision à la norme de la décision raisonnable simpliciter, savoir si la décision est raisonnable et peut résister à un "examen assez poussé".

¶ 22       En l'espèce, toutes les questions soulevées par le demandeur sont des questions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, la norme de contrôle applicable à chacune est celle de la décision raisonnable simpliciter. Bien sûr, si les décisions soumises au contrôle se fondent sur une interprétation erronée du droit, la Cour utilisera la norme de la décision correcte.

[20]            À mon avis, la question de savoir si l'avis de convocation émis par le Commandant Lange était prescrite soulève une question mixte de droit et de fait qui doit être tranchée sous la norme de la raisonnabilité. D'autre part, une interprétation erronée du texte législatif doit être révisée par la norme de la décision correcte.

b)          L'interprétation du texte législatif

[21]            La méthode d'interprétation privilégiée par la Cour suprême du Canada en matière d'interprétation législative est énoncée par le juge Iacobucci dans l'arrêt Re Rizzo and Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27, citant avec approbation l'ouvrage d'Elmer Driedger qui reconnaît que l'interprétation législative ne peut être fondée sur le seul libellé du texte de la loi, où l'auteur écrit à la page 87:

       [Traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[22]            Récemment, dans l'arrêt Glykis c. Hydro-Québec, [2004] CSC 60, la juge Deschamps résume la méthode d'interprétation comme suit:

¶ 5       La méthode d'interprétation des textes législatifs est bien connue (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42). La disposition législative doit être lue dans son contexte global, en prenant en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur. Cette méthode, énoncée à l'occasion de l'analyse de textes législatifs, s'impose, avec les adaptations nécessaires, pour l'interprétation de textes réglementaires. [Je souligne]


[23]            Un des principes sous-jacents à cette méthode d'interprétation est celui de la cohérence du texte législatif. Chaque disposition législative fonctionne en harmonie avec les autres.

c)          Discussion

[24]            Tout d'abord, puisque la loi doit être examinée dans son ensemble, examinons la Partie IV de la loi, intitulée « Discipline » . En effet, quoique la loi soit divisée en huit parties, c'est cette Partie qui retient particulièrement notre attention dans le cadre de la résolution du présent litige.

[25]            La Partie IV commence à l'article 37, disposé sous l'entête « Principes » . Les articles 38 et 39 traitent du Code de déontologie. Ensuite, l'article 40, disposé sous l'entête « Enquête » , pose les bases du traitement applicable à toutes les contraventions alléguées au Code de déontologie. Pour plus de commodité, nous le reproduisons ci-après:



Enquête

40. (1) Lorsqu'il apparaît à un officier ou à un membre commandant un détachement qu'un membre sous ses ordres a contrevenu au code de déontologie, il tient ou fait tenir l'enquête qu'il estime nécessaire pour lui permettre d'établir s'il y a réellement contravention.

40(2) Obligation du membre de répondre

(2) Au cours d'une enquête tenue en vertu du paragraphe (1), un membre n'est pas dispensé de répondre aux questions portant sur l'objet de l'enquête lorsque l'officier ou l'autre membre menant l'enquête l'exigent, au motif que sa réponse peut l'incriminer ou l'exposer à des poursuites ou à une peine.

40(3) Non-recevabilité des réponses

(3) Les réponses ou déclarations faites à la suite des questions visées au paragraphe (2) ne peuvent être utilisées ni ne sont recevables dans des poursuites pénales, civiles ou administratives sauf au cours d'une audience tenue en vertu de l'article 45.1 portant sur l'allégation selon laquelle le membre a fait une telle réponse ou déclaration, qu'il savait fausse, dans l'intention de tromper.

40(4) Définition de « détachement »

(4) Au présent article et à l'article 41, « détachement » s'entend en outre de tout autre service de la Gendarmerie que peut désigner le commissaire par règle.

L.R. (1985), ch. R-10, art. 40; L.R. (1985), ch. 8 (2e suppl.), art. 16. [je souligne]

Investigation

40. (1) Where it appears to an officer or to a member in command of a detachment that a member under the command of the officer or member has contravened the Code of Conduct, the officer or member shall make or cause to be made such investigation as the officer or member considers necessary to enable the officer or member to determine whether that member has contravened or is contravening the Code of Conduct.

40(2) Member not excused from answering

(2) In any investigation under subsection (1), no member shall be excused from answering any question relating to the matter being investigated when required to do so by the officer or other member conducting the investigation on the ground that the answer to the question may tend to criminate the member or subject the member to any proceeding or penalty.

40(3) Answer not receivable

(3) No answer or statement made in response to a question described in subsection (2) shall be used or receivable in any criminal, civil or administrative proceedings, other than a hearing under section 45.1 into an allegation that with intent to mislead the member gave the answer or statement knowing it to be false.

40(4) Definition of "detachment"

(4) In this section and section 41, "detachment" includes such other unit of the Force as the Commissioner may, by rule, specify.

R.S., 1985, c. R-10, s. 40; R.S., 1985, c. 8 (2nd Supp.), s. 16.


[26]            Tel que libellé au premier paragraphe de l'article 40, le mécanisme d'enquête disciplinaire prévu par la loi est enclenché lorsqu'un « officier ou un membre commandant un détachement » soupçonne qu'un membre sous ses ordres a contrevenu au Code de déontologie. Ces soupçons, indiquant une apparence de contravention au Code de déontologie, peuvent émaner de membres du personnel de la GRC ou provenir d'un corps policier externe. En l'espèce, ils provenaient du SPCUM: le 8 mars 1999, un membre de la Section de l'Anti-Gang du SPCUM a informé la GRC de faits troublants non-vérifiés à l'époque, soit que le demandeur était gérant dans un bar contrôlé par des motards criminalisés.

[27]            Ensuite, l'officier ou le membre commandant un détachement qui soupçonne qu'un membre sous ses ordres a contrevenu au Code de déontologie fait tenir une enquête pour établir « s'il y a réellement contravention » . À mon avis, eu égard au sens ordinaire et grammatical du mot « réellement » , qui signifie « en fait, en réalité » , (Le Petit Robert, 1992, p. 1636) et au fonctionnement interne de la GRC en matière de discipline, l'enquête doit être menée à l'interne et dans un cas comme celui du demandeur, cette enquête a été menée par la Section des enquêtes internes de la GRC relevant de l'Administration centrale à Ottawa.

[28]            Selon la loi, si après enquête interne, la contravention semble avérée, son mécanisme d'application dépend du type de mesures disciplinaires envisagées par l'officier responsable: soit il envisage une mesure disciplinaire simple (informal disciplinary action), soit une mesure disciplinaire grave (formal disciplinary action). Cette distinction est fondée sur l'échelle des sanctions à imposer si la contravention est établie.

[29]            Dans un cas de mesures disciplinaires simples, c'est le commandant du détachement qui impose une des sanctions visées aux alinéas 41(1)a) à f) de la loi et la procédure d'appel, semblable à la procédure des griefs, se rend au dernier niveau, soit au sous-commissaire désigné.

[30]            Pour les mesures disciplinaires simples, la loi ne prévoit aucune prescription.

[31]            La différence est évidente si l'officier compétent « eu égard à la gravité de la contravention et aux circonstances » considère que les mesures disciplinaires simples ne seraient pas suffisantes. Il doit alors convoquer une audience par un Comité d'arbitrage pour enquêter sur la contravention présumée. C'est le Comité d'arbitrage qui impose la sanction s'il y a lieu. La prescription s'applique et l'appel se fait au Commissaire de la GRC.

[32]            Une certaine analogie, bien qu'imparfaite, peut être tirée entre la prescription que le législateur a établie au paragraphe 43(8) de la loi et la prescription légiférée pour une cause d'action civile où le principe de la découverte peut entrer en jeu.

[33]            En droit civil, le délai de prescription d'une action ne commence à courir que lorsqu'une personne prend connaissance des faits importants qui donnent naissance à celle-ci (voir, Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147). Cette règle a pour but de prévenir l'injustice qu'entraînerait le fait d'interdire à une personne d'intenter une action avant qu'elle ne soit en mesure de le faire (voir, Peixeiro c. Haberman, [1997] 3 R.C.S. 549, au paragraphe 35).


[34]            À mon avis, l'objectif recherché par le législateur au paragraphe 43(8) de la loi est l'équilibre entre la célérité et l'équité dans le traitement des dossiers disciplinaires par les responsables de la discipline des membres de la GRC et la saine administration de justice disciplinaire prévue par la loi et qui inclut les éléments suivants:

1)         obligation d'une enquête interne lorsqu'il apparaît à un officier ou un membre commandant qu'un membre sous ses ordres a contrevenu au Code de déontologie pour lui permettre d'établir « s'il y a réellement contravention » (l'article 40);

2)         obligation d'une enquête interne afin d'éclairer l'officier compétent sur la gravité de la contravention et les circonstances afin qu'il puisse déterminer objectivement si des mesures disciplinaires graves sont nécessaires;

3)         obligation d'une enquête interne afin de s'assurer de l'existence d'une preuve prima facie suffisante et crédible établissant les éléments essentiels de la contravention. En l'espèce, le témoignage de l'agent double était essentiel pour établir les éléments de la contravention reprochée; le Surintendant Sugrue ne fût assuré de ce témoignage que le 3 décembre 1999.

[35]            Il est indéniable que le degré de connaissance requis par le paragraphe 43(8) pour engager la prescription va au-delà de simples allégations non vérifiées émanant d'un corps policier externe mais fait plutôt référence aux résultats d'une enquête effectuée à l'interne, ce que l'article 40 exige.

[36]            À l'audience de cette demande de contrôle judiciaire, le conseiller du demandeur n'a pas sérieusement contesté la conclusion du Comité d'arbitrage maintenue en appel par le Commissaire à l'effet, que le Commandant Lange avait été mis au courant des faits importants des contraventions alléguées seulement le 8 novembre 1999.

[37]            Une constatation de ce genre en est une de fait qui ne peut être écartée par cette Cour sauf si tirée d'une façon arbitraire ou capricieuse ou sans tenir compte des éléments de preuve à sa disposition, une exigence équivalente à la norme de contrôle « manifestement déraisonnable » .

[38]            Après lecture du procès-verbal de la requête en prescription, je conclus que la preuve au dossier soutenait la conclusion du Comité d'arbitrage.

[39]            Aux termes du paragraphe 43(8), le demandeur vise la connaissance du Surintendant Sugrue qui, durant certaines périodes, a occupé le poste d'officier compétent intérimaire. Le demandeur plaide que le Surintendant Sugrue ne peut faire abstraction de la connaissance qu'il a de la conduite alléguée de M. Thériault lorsqu'il devient officier compétent, même intérimaire.

[40]            Le Comité d'arbitrage, maintenu par le Commissaire sur ce point, rejette la prétention du demandeur au motif que l'OREC n'agissait pas comme commandant divisionnaire lorsqu'il a été mis au courant des allégations.


[41]            Le Comité externe d'examen est d'avis que l'appel du demandeur est mal fondé car d'une part, la connaissance qu'avait l'OREC des allégations n'est pas devenue celle de l'officier compétent lorsqu'il a assumé le poste par intérim pour de très courtes périodes et d'autre part, que le poste de commandant de la Division "C" n'était pas vacant.

[42]            Cette Cour conclut que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée mais pour des motifs différents de ceux exprimés par le Comité d'arbitrage et du Comité externe, bien que je sois d'accord avec le Comité d'arbitrage lorsqu'il affirme que la période de prescription court à partir de la connaissance requise par le paragraphe 43(8) et « qu'il importe peu que la personne en poste en soit le titulaire permanent ou le titulaire intérimaire ou temporaire » .

[43]            À mon avis, le Surintendant Sugrue ne possédait pas le niveau ou le degré de connaissance requis par l'article 43(8) pour engager la computation du délai de prescription lorsqu'il a occupé les fonctions d'officier compétent entre les mois de mai et octobre 1999.


[44]            La preuve documentaire et le témoignage du Surintendant Sugrue démontrent qu'entre le 18 mars 1999 et la fin de l'été 1999, les seules informations à sa connaissance relativement à l'identité du membre et à la nature des contraventions présumées émanaient du SPCUM.

[45]            Ce n'est qu'à la mi-août que l'Inspecteur Bénard, le supérieur immédiat et officier responsable du demandeur, a demandé qu'une enquête interne soit ouverte, afin justement d'établir « s'il y a réellement eu contravention » , le tout conformément à l'article 40 de la loi.

[46]            Le Surintendant Sugrue témoigne qu'il n'avait « aucune affaire » avec les Enquêtes internes axées vers Ottawa (dossier du demandeur, page 83, transcription, page 187) et que la Division "C" n'avait pas enquêté dans le dossier de M. Thériault (dossier du demandeur, page 83, transcription, page 188).

[47]            J'ajoute que les résultats préliminaires de l'enquête interne menée par la Région du Centre, concluant qu'il existait suffisamment d'éléments de preuve en rapport avec les allégations, sont parvenus directement au bureau du Commandant Lange à titre d'officier compétent le 3 décembre 1996 qui en a pris connaissance trois jours plus tard, soit le 6 décembre 1999.


d)          Conclusion

[48]            J'adhère à la thèse du défendeur, selon laquelle « l'officier compétent doit avoir eu connaissance de l'ensemble des faits qui sont nécessaires pour lui permettre de juger en toute connaissance de cause de la question à savoir s'il doit convoquer ou non une audience disciplinaire » (dossier du défendeur, page 78). À mon avis, le Commandant Lange a été informé de l'ensemble des faits nécessaires le 8 novembre 1999 et c'est à partir de cette date que la prescription d'un an courait.

[49]            J'ajouterai une fois de plus qu'il importe peu que la personne qui occupe la fonction d'officier compétent au moment où les informations nécessaires pour enclencher la prescription du paragraphe 43(8) sont reçues soit le titulaire permanent, temporaire ou intérimaire. Cependant, dans les faits, le Surintendant Sugrue n'avait jamais eu cette connaissance.

[50]            Vu les motifs de ma décision, je n'ai pas à statuer sur les autres questions soulevées par le demandeur.

[51]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                               

                                                                                                  J u g e                        

Ottawa (Ontario)

le 1er novembre 2004


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2371-03

INTITULÉ :               GÉRARD THÉRIAULT

                                                                                          demandeur

et

L'OFFICIER COMPÉTENT DE LA DIVISION "C"

DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                     

                                                                                          défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            16 juin 2004

MOTIFS :                 Le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                   le 1er novembre 2004

COMPARUTIONS :

Me James R.K. Duggan                                                 POUR LE DEMANDEUR

Me Raymond Piché                                           POUR LES DÉFENDEURS

Me Paul Deschênes

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me James R.K. Duggan                                                 POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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