Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19990127

     Dossier : T-157-98

ENTRE :

     BRIAN CHRISTOPHER BRADLEY,

     demandeur,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

     LE TRIBUNAL DES ANCIENS COMBATTANTS (RÉVISION ET APPEL),

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale vise la décision en date du 3 décembre 1997 par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a dénié au demandeur le droit à une pension.

LES FAITS

[2]      Le demandeur est né le 4 août 1949. Il a servi dans la milice du 5 mars 1966 au 15 août 1966. Il a ensuite servi dans la force de réserve du 14 juillet 1988 au 9 décembre 1988, puis dans la force régulière du 14 décembre 1988 au 30 mars 1993.

[3]      Le demandeur a témoigné qu'au moment de l'accident, il terminait la phase 4 (la dernière phase) de sa formation d'officier et revenait au pays après un voyage dans le Pacifique à bord du N.C.S.M. Qu'Appelle. Le soir en question, le navire s'était immobilisé à Vancouver.

[4]      Le demandeur a déclaré qu'il s'était rendu au mess dont il était reparti en fin de soirée (environ une heure après le souper) pour aller prendre une douche. Il a témoigné qu'il y avait consommé trois ou quatre bières sur une période d'environ deux heures.

[5]      Il a en outre déclaré que l'accident s'est produit dans la douche au moment où il a levé une jambe pour la laver. Il a perdu l'équilibre, s'est cogné le dos et le cou contre la cloison, puis est tombé sur une hanche. Le demandeur a déclaré qu'il n'avait pas subi d'autres blessures au cou pendant son service ou après sa libération.

[6]      Le 22 mars 1996, le demandeur a présenté une demande de pension d'invalidité en vertu de la Loi sur les pensions au motif que son invalidité avait été causée par des blessures subies lors d'un accident à bord du N.C.S.M. Qu'Appelle le 14 juillet 1990. Il a fait valoir que ces blessures étaient consécutives ou rattachées directement au service militaire qu'il effectuait à ce moment-là.

[7]      Le 4 février 1997, le ministère des Anciens combattants a décidé que le demandeur ne pouvait pas avoir droit à une pension.

[8]      Le 8 mai 1997, le comité d'examen de l'admissibilité a dénié au demandeur le droit à une pension au motif que l'invalidité à l'étude n'était pas consécutive ou rattachée directement au service militaire.

[9]      Le 3 décembre 1997, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a décidé de ne pas accorder au demandeur le droit à une pension au motif que l'invalidité à l'étude n'était pas consécutive ou rattachée directement au service militaire.

LA QUESTION EN LITIGE

[10]      Les faits n'ont pas été contestés à l'audience et les deux parties ont convenu que la seule question à trancher en l'espèce consiste à savoir si l'invalidité à l'étude était ou non consécutive ou rattachée directement au service militaire.

[11]      Par conséquent, il ne sera pas nécessaire d'examiner les arguments invoqués par le demandeur sur la question de savoir si l'invalidité à l'étude était consécutive à la chute dans la douche en 1990.

[12]      Le comité d'examen de l'admissibilité a fait reposer sa décision sur deux éléments :

     [traduction] Le Tribunal a fondé cette conclusion sur le fait qu'aucun rapport médical ne fait état d'une blessure à la partie supérieure du dos, de même que sur les constatations médicales ayant trait à la partie supérieure du dos au moment de la libération.         
     Le Tribunal conclut également que les circonstances de l'accident n'appuient pas l'argument du requérant qu'il était en service à ce moment-là. Il ressort de la preuve qu'il venait de quitter le mess et qu'il s'apprêtait à sortir, ce qui dénote une période libre.         
     Pour ces motifs, le Tribunal confirme la décision en date du 4 février 1997 du ministre.         

ANALYSE

[13]      Pour rendre sa décision, le Tribunal des anciens combattants a examiné les dossiers médicaux et fait de nombreux commentaires sur la situation médicale du demandeur. Quoi qu'il en soit, il a fait reposer sa décision sur un élément précis :

     [traduction] Une décision antérieure qui se trouve à VRAB-4 illustre clairement le cas d'une personne en service dans la mesure où l'unité de l'appelant venait de terminer des exercices de combat et de rentrer à son secteur d'attache, et avait obtenu du temps pour se laver, après quoi elle devait se présenter pour une inspection des pieds. L'appelant a fait une chute dans la douche et s'est blessé au pied gauche.         
     Le Tribunal ne voit pas pourquoi il annulerait la décision du comité d'examen puisque l'appelant dans le cas qui nous occupe n'était manifestement pas en service et était " libre de son emploi du temps ". Par conséquent, il ne convient pas d'accorder un droit à pension et la décision en date du 8 mai 1997 du comité d'examen est confirmée.         

[14]      Le Tribunal a dû examiner les dispositions de la Loi sur les pensions1 et de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel)2.

[15]      Pour rendre sa décision, le Tribunal a adopté le mauvais critère pour déterminer le droit du demandeur à une pension. Il s'agit d'une erreur de compétence.

[16]      Le Tribunal a simplement refusé ou omis d'examiner la question de savoir si l'invalidité du demandeur " avait été causée par des blessures rattachées directement à son service militaire en temps de paix ".

[17]      Comme le juge Gibson l'a mentionné dans l'affaire Ewing c. Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel))3 :

     Je conclus que l'erreur du Tribunal qui a adopté le mauvais critère pour déterminer le droit du requérant à une pension est une erreur de compétence. Le Tribunal a simplement refusé ou omis d'effectuer un examen de la question de savoir si l'invalidité du requérant avait été causée par des blessures rattachées directement à son service militaire en temps de paix, en tenant compte de l'alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions. En refusant d'agir ainsi, il n'a pas examiné la preuve dont il était saisi et les dispositions législatives pertinentes en conformité avec les obligations d'interprétation qui lui sont imposées par l'article 2 de la Loi sur les pensions et les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).         

[18]      J'ai examiné attentivement l'affaire Ewing, qui fournit des précisions utiles sur la façon dont l'affaire devrait être tranchée.

[19]      M. Ewing faisait partie de la police militaire et participait à des activités de relations publiques pour l'équipe de hockey de l'Aviation royale du Canada. Le soir du 29 novembre 1965, un de ses voisins ouest-allemands l'a invité à essayer sa nouvelle voiture. M. Ewing a accepté. Ils ont eu un accident d'automobile qui a entraîné la mort du voisin et d'autres personnes. M. Ewing a été grièvement blessé. Une commission d'enquête a été instituée pour déterminer si les blessures de M. Ewing avaient été causées dans l'exercice de ses fonctions. La commission d'enquête a conclu que celui-ci n'était pas en service au moment de l'accident. M. Ewing a présenté une demande de pension, en vertu de la Loi sur les pensions, en faisant valoir que son invalidité avait été causée par les blessures qu'il avait subies dans l'accident de voiture et que ses blessures étaient consécutives ou rattachées directement à son " service militaire en temps de paix ". La Commission canadienne des pensions a rejeté sa demande le 9 février 1994 en concluant de la façon suivante :

     Il n'y a pas d'élément de preuve permettant d'établir que les blessures du requérant ont été causées dans l'exercice de ses fonctions et par conséquent ses blessures ne sont pas attribuables au service militaire en tant que tel. Bien au contraire, la commission d'enquête a clairement établi que le requérant n'était pas en service au moment de l'accident.         

[20]      La Cour fédérale a rendu une décision favorable au requérant. Dans ses motifs, le juge Gibson a déclaré :

     [...] Qu'il ait ou non été en service n'est tout simplement pas le critère à appliquer. Le critère est de savoir si les blessures du requérant qui ont causé son invalidité "[...] [étaient] consécutives ou rattachées directement au service militaire [en temps de paix]"4.         

[21]      Il ressort de l'examen que j'ai fait de la preuve soumise au Tribunal que le demandeur était bel et bien en formation lorsque l'accident s'est produit. Le comité d'examen de l'admissibilité déclare à la page 3 :

     [traduction] En ce qui concerne la blessure subie en 1990, il a déclaré qu'au moment de l'accident, il terminait la phase 4 (la dernière phase) de sa formation d'officier et revenait au pays après un voyage dans le Pacifique à bord du N.C.S.M. Qu'Appelle. Le soir en question, le navire s'était immobilisé à Vancouver.         

[22]      L'avocat mentionne plus loin dans les observations qu'il a soumises au Tribunal :

     [traduction] L'appelant a témoigné que le navire à bord duquel il se trouvait s'était immobilisé dans un port situé dans le nord de l'Île de Vancouver. Il était un officier en formation à ce moment-là. [...] Il n'était pas en permission et devait selon toute vraisemblance retourner à son poste à bord du navire sur préavis très court si le navire devait reprendre la mer.         

CONCLUSION

[23]      Selon moi, le Tribunal n'a tenu aucun compte de la preuve que le demandeur était en formation. Or il s'agit d'une considération qui se rapporte directement à la question de savoir si l'invalidité à l'étude était rattachée au service militaire en application de l'alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions.

[24]      Je conclurais comme l'a fait le juge Gibson dans l'affaire Ewing :

     Je conclus que l'erreur du Tribunal qui a adopté le mauvais critère pour déterminer le droit du requérant à une pension est une erreur de compétence. Le Tribunal a simplement refusé ou omis d'effectuer un examen de la question de savoir si l'invalidité du requérant avait été causée par des blessures rattachées directement à son service militaire en temps de paix, en tenant compte de l'alinéa 21(3)f) de la Loi sur les pensions. En refusant d'agir ainsi, il n'a pas examiné la preuve dont il était saisi et les dispositions législatives pertinentes en conformité avec les obligations d'interprétation qui lui sont imposées par l'article 2 de la Loi sur les pensions et les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).         
     Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, que la décision du Tribunal doit être annulée et que la demande de pension du requérant doit être renvoyée au Tribunal pour nouvelle audition et nouvelle décision par une autre formation.         

[25]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Tribunal est annulée et la demande de pension du demandeur est renvoyée au Tribunal pour nouvelle audition et nouvelle décision par une formation composée d'autres membres. Il n'y a pas d'attribution des dépens.

                                 Pierre Blais

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 27 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                  T-157-98

INTITULÉ :                          BRIAN CHRISTOPHER BRADLEY c. PGC ET AUTRES
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L'AUDIENCE :                  Le mardi 5 janvier 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE BLAIS

EN DATE DU :                      27 janvier 1999

COMPARUTIONS :

Brian Bradley                          pour le demandeur

                                 (en son propre nom)

David A. Hansen                          pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                      pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. P-6.

     2      L.R.C. (1985), ch. V-1.6.

     3      (1998), 137 F.T.R. 298 (C.F. 1re inst.).

     4      Ewing c. Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel)), supra, à la p. 303.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.