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Date : 20030114

Dossier : T-173-02

Référence neutre : 2003 CFPI 30

ENTRE :

                                LE CHEF PERCY WILLIAMS en son propre nom

                                  et au nom de tous les autres membres des tribus

                                                  Kwicksutaineuk/Ah-kwa-mish

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                 LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

                                            et HERITAGE SALMON LIMITED

                                                                                                                                        défendeurs

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

INTRODUCTION


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre des Pêches et des Océans ou son représentant (le ministre) a délivré, le 15 janvier 2002, un permis de contrôle des mammifères marins prédateurs au centre d'aquiculture de Burdwood Island, exploité par la défenderesse Heritage Salmon Limited, autorisant cette dernière à tuer des phoques et des lions de mer.

LES FAITS

[2]                 Le demandeur est chef des tribus Kwicksutaineuk/Ah-kaw-mish (les tribus). La plupart des membres des tribus et lui-même résident dans des réserves indiennes situées à proximité du centre d'aquiculture de Burdwood Island (Colombie-Britannique), exploité par la défenderesse Heritage Salmon Limited. Ils allèguent avoir traditionnellement chassé, et continuer à chasser, des phoques à des fins alimentaires ainsi qu'à des fins sociales et rituelles dans les eaux voisines du centre d'aquiculture.

[3]                 Le 25 février 2002, le demandeur a appris que le ministre avait délivré un permis de contrôle des mammifères marins prédateurs (le permis) à la défenderesse Heritage Salmon Limited le 15 janvier 2002 pour ses activités d'aquiculture, à Burdwood Island. Le permis autorisait la société défenderesse à tuer, à l'aide d'armes à feu, les phoques et lions de mer qui détruisaient ou tentaient de détruire les poissons lui appartenant, qu'elle gardait ou élevait dans des cages marines, (les phoques nuisibles) pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2002. Au début de l'audience, on m'a informé que le permis avait été renouvelé pour une autre année.

[4]                 Le permis a été obtenu moyennant le paiement d'un droit annuel s'élevant à cinq dollars; aucune limite n'était imposée à l'égard du nombre de phoques et de lions de mer qui étaient tués au centre d'aquiculture de Burdwood Island, et la défenderesse n'était pas tenue d'utiliser les mammifères qu'elle tuait à des fins alimentaires ou à d'autres fins. Le permis a été délivré en tant que « permis de pêche » conformément au paragraphe 4(1) du Règlement sur les mammifères marins (DORS/93-56) et au paragraphe 22(1) du Règlement de pêche (dispositions générales) (DORS/93-53).

[5]                 Les tribus ont informé le ministre que l'on détruisait des phoques dans leur territoire traditionnel sans les consulter. De fait, ni le ministre ni la société défenderesse n'avaient consulté les tribus avant de délivrer le permis.

[6]                 Le demandeur présente maintenant la demande ici en cause en son nom personnel et au nom de tous les membres des tribus qui contestent la validité de la décision du ministre de délivrer le permis à la société défenderesse. Il sollicite la réparation ci-après énoncée :

1)          une ordonnance de certiorari annulant la décision du ministre et renvoyant l'affaire pour qu'elle soit tranchée conformément aux directives de la Cour;

2)          une ordonnance déclarant que le fait de tuer des phoques et des lions de mer comme l'autorise la décision du ministre ne constitue pas une activité de « pêche » au sens de l'article 4 du Règlement sur les mammifères marins et de l'article 22 du Règlement de pêche (dispositions générales);


3)          une ordonnance déclarant que le fait de tuer des phoques et des lions de mer comme l'autorise la décision du ministre peut uniquement faire l'objet du permis prévu à l'article 32 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14.

LES POINTS LITIGIEUX

[7]                 La première question soulevée dans la présente instance est de savoir si le demandeur a qualité pour présenter la demande de contrôle judiciaire ici en cause. Dans l'affirmative, il faut déterminer si le ministre a excédé la compétence qui lui est conférée par la Loi sur les pêches et par les règlements d'application en décidant de délivrer le permis autorisant la société défenderesse à tuer des phoques et des lions de mer.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

1)          Loi sur les pêches

2.              « pêche » Fait de prendre ou de chercher à prendre du poisson par quelque moyen que ce soit.

7(1)          En l'absence d'exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d'exploitation de pêcheries - ou en permettre l'octroi -, indépendamment du lieu de l'exploitation ou de l'activité de pêche.

32.            Sauf autorisation émanant du ministre ou prévue par les règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la présente loi, il est interdit de causer la mort de poissons par d'autres moyens que la pêche.

43.            Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d'application de la présente loi, notamment :

a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches en eaux côtières et internes;

b) concernant la conservation et la protection du poisson;

c) concernant la prise, le chargement, le débarquement, la manutention, le transport, la possession et l'écoulement du poisson;

[...]

f) concernant la délivrance, la suspension et la rénovation des licences, permis et baux;

g) concernant les conditions attachées aux licences, permis et baux;

2)          Règlement de pêche (dispositions générales)

22(1)        Pour une gestion et une surveillance judicieuses des pêches et pour la conservation et la protection du poisson, le ministre peut indiquer sur un permis toute condition compatible avec le présent règlement et avec les règlements énumérés au paragraphe 3(4), notamment une ou plusieurs des conditions concernant ce qui suit :

a) les espèces et quantités de poissons qui peuvent être prises ou transportées;

[...]

33(1)        Le paragraphe (2) s'applique dans les cas où :

a) une personne prend des poissons pendant une période ou à un endroit où la pêche de ces poissons lui est interdite;

b) une personne prend des poissons par une méthode ou avec un engin de pêche dont l'emploi lui est interdit pour la pêche de ces poissons;

c) la possession ou la garde des poissons pris est interdite.

     (2)       Sauf dans le cas où un des règlements énumérés au paragraphe 3(4) permet expressément de garder les prises accidentelles, quiconque prend un poisson fortuitement doit le remettre sur-le-champ :

a) dans l'eau où il l'a pris;

b) de manière à le blesser le moins possible s'il est encore vivant.


3)          Règlement sur les mammifères marins

3.              Le présent règlement s'applique à la gestion et à la surveillance :

a) de la pêche des mammifères marins et des activités connexes au Canada ou dans les eaux de pêche canadiennes;

[...]

4(1)          Sous réserve des paragraphes (2) et 32(1), le ministre peut, sur demande et sur paiement du droit fixé à la colonne II du tableau du présent paragraphe, délivrer le permis mentionné à la colonne I.

TABLEAU

============================================================

Colonne 1                                                                                                      Colonne II

Article    Permis                                                                                                            Droit

1.             Permis de pêche

a)             Béluga                                                                                                            a) aucun

b)            Baleine boréale                                                                                           b) aucun

c)             Cétacé autre qu'un béluga, une baleine boréale,

un narval ou une baleine franche                                                           c) 5 $

d)            Narval                                                                                                             d) aucun

e)             Phoque                                                                                                         e) 5 $

f)              Morse                                                                                                            f) 5 $

2.              Permis d'observation pour la pêche du phoque                               25 $

3.             Permis de transport de mammifères marins                                        Aucun

___________________________________________________________________

(2) Il est interdit de délivrer un permis de pêche du narval à quiconque n'est pas un Inuk.

5. Sous réserve de l'article 6, il est interdit de pêcher des mammifères marins à moins d'y être autorisé en vertu d'un permis délivré aux termes du présent règlement ou du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones. DORS/93-336, art. 2.

6.(1) Un Indien ou un Inuk autre qu'un bénéficiaire peut, sans permis, pêcher à des fins alimentaires, sociales ou rituelles les espèces suivantes :

a) les phoques;

b) les cétacés, sauf le béluga dans les secteurs visés à la colonne I des articles 1 à 7 de l'annexe II, la baleine boréale, la baleine franche et le narval;

c) sous réserve de l'article 26, quatre morses par année.

7. Il est interdit d'importuner un mammifère marin, sauf lors de la pêche des mammifères marins autorisée par le présent règlement.

[...]

10.(1) Il est interdit à quiconque tue ou blesse un mammifère marin :

a) de négliger de faire un effort raisonnable pour le sortir de l'eau sur-le-champ;

b) de l'abandonner ou de le rejeter.

(2) Il est interdit à quiconque tue un cétacé ou un morse d'en gaspiller toute partie comestible.

ANALYSE

[8]                 J'examinerai d'abord la question de la qualité pour agir. Dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire présentée devant la Cour, le demandeur peut établir la qualité pour agir de deux façons. Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, permet à « quiconque est directement touché par l'objet de la demande » de présenter pareille demande. En outre, le paragraphe 18.1(1) a une portée suffisamment étendue pour autoriser la reconnaissance de la qualité pour agir, et ce, peu importe que le demandeur soit « directement touché » , lorsqu'il est satisfait au critère applicable à la qualité pour agir dans l'intérêt public.


[9]                 Dans l'avis de demande et dans son affidavit, le demandeur déclare que les tribus et lui-même résident aux environs du centre d'aquiculture de Burdwood Island et qu'ils chassent des phoques à des fins alimentaires, sociales et rituelles dans ce secteur, mais il n'a pas été établi que le permis avait nui à la capacité de la tribu ou à la capacité du demandeur de chasser le phoque. Il n'est pas allégué que le nombre de phoques et de lions de mer a diminué dans le secteur par suite de la délivrance du permis ou que le demandeur et les tribus en cause n'ont pas pu chasser un nombre suffisant de phoques et de lions de mer à leurs propres fins; il n'est même pas allégué que la délivrance du permis a d'une façon ou d'une autre rendu plus difficile pour le demandeur et les tribus la chasse au phoque et au lion de mer.

[10]            Dans son affidavit, le demandeur allègue que les membres de la tribu possèdent le droit ancestral de chasser le phoque à des fins alimentaires, sociales et rituelles dans un secteur qui constitue leur territoire traditionnel et où Heritage Salmon Limited a été autorisée à tuer des phoques et des lions de mer; le demandeur affirme que ni le ministre ni la société défenderesse ne l'ont consulté ou n'ont consulté les tribus avant de délivrer le permis.


[11]            Cette question n'a absolument rien à voir avec celle qui est soulevée en l'espèce. De fait, le demandeur ne conteste pas la validité de la décision du ministre de délivrer le permis en alléguant que cela porte atteinte au droit ancestral reconnu aux tribus à l'égard de la chasse au phoque ou parce que le ministre a manqué à son obligation de fiduciaire de consulter les tribus avant de délivrer le permis. Le demandeur conteste plutôt la décision en alléguant qu'elle est ultra vires du pouvoir conféré au ministre par la législation habilitante. Par conséquent, les allégations relatives aux questions de droits ancestraux et à la consultation ne sont pas pertinentes en l'espèce et ne peuvent aucunement influer sur la question de savoir si le demandeur et les membres des tribus sont « directement touchés » par la décision du ministre.

[12]            En outre, le demandeur déclare dans son affidavit que le permis autorise la société défenderesse à détruire des phoques et que c'est là [TRADUCTION] « manquer de respect » envers sa culture et la culture des tribus et envers son mode de vie et le mode de vie des tribus. Le fait qu'une activité peut « manquer de respect » envers le mode de vie d'une personne ne suffit pas pour établir que cette personne subit un préjudice direct par suite de l'activité en question, de sorte qu'elle est visée par les dispositions du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale. De nombreuses décisions gouvernementales pourraient être considérées par un groupe ou un autre comme manquant de respect ou comme offensant sa culture ou ses caractéristiques personnelles. Si les demandeurs étaient autorisés à surcharger les tribunaux de travail par suite de la prolifération inutile de poursuites frivoles engagées par des particuliers, si bien intentionnés soient-ils, cela nuirait à notre système judiciaire et pourrait même l'anéantir. En outre, les tribunaux seraient alors saisis de questions non justiciables. À coup sûr, telle n'était pas l'intention du législateur lorsqu'il a inclus les mots « directement touché » au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

[13]            Compte tenu des remarques qui précèdent, je suis convaincu que le demandeur n'a présenté aucun élément de preuve démontrant que les membres des tribus qu'il représente et lui-même sont directement touchés par la décision que le ministre a prise de délivrer le permis à la société défenderesse. Le demandeur a-t-il établi qu'il a qualité pour agir dans l'intérêt public lorsqu'il s'agit de saisir la Cour de la demande dont il est ici question?

[14]            Dans l'arrêt Harris c. Canada, [2002] 4 C.F. 37 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a dit que le demandeur doit se voir reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public afin de contester les limites d'un pouvoir administratif, qui est réputé être exercé conformément à une délégation législative, une fois que la Cour a soupesé trois facteurs : (1) une importante question d'intérêt public est soulevée devant la cour; (2) le demandeur a un intérêt véritable en ce qui concerne cette question ou le résultat du litige; (3) il n'y a pas d'autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question pour règlement.

[15]            Il ne m'est pas difficile de conclure que la question qui est soulevée dans la présente instance a de l'importance pour le public étant donné que la décision de la Cour ne sera pas nécessairement limitée aux faits de la présente espèce. La question se rapporte à l'étendue du pouvoir constitutionnel conféré au ministre en matière de pêcheries et aux modalités d'exercice du pouvoir conféré au ministre par la législation sur les pêcheries; le résultat du litige touchera sans aucun doute les autres titulaires de permis qui sont autorisés à tuer les phoques nuisibles.


[16]            Pour établir la gravité de la question qui est soulevée, le demandeur qui agit dans l'intérêt public n'a pas à prouver que la présumée illégalité d'une décision ou d'un acte administratif a causé ou causera un préjudice, mais il semble que selon certains arrêts la Cour doive tenir compte de la force générale de la demande aux fins de cette décision. Dans la décision Sierra Club, précitée, Monsieur le juge Evans (tel était alors son titre) a parlé comme suit de l'existence d'une question sérieuse, à la page 232 :

Selon un principe juridique qui semble maintenant établi, le caractère sérieux des questions que pose un demandeur agissant dans l'intérêt public comprend tant l'importance des questions soulevées que la probabilité que la demande soit accueillie. Étant donné la nature discrétionnaire de la reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public et le souci de veiller à ce que les ressources publiques limitées ne soient pas dissipées et que d'autres parties n'aient pas à supporter des délais supplémentaires, il semblerait qu'il convienne de prendre en compte le bien-fondé de la demande : voir les arrêts Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; Hy and Zel's Inc. c. Ontario (Procureur général); Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675. [Non souligné dans l'original.]

[17]            Il ressort de ce qui précède qu'un tribunal devrait assujettir la force d'une demande à un examen plus approfondi que la simple détermination de la question de savoir si la cause est raisonnablement défendable. De fait, pour que le demandeur se voie reconnaître la qualité pour agir, il faudrait déterminer si la demande de contrôle judiciaire a des chances d'être accueillie au fond.


[18]            Je note que, dans la jurisprudence, il existe certains arrêts à l'appui de la thèse selon laquelle le demandeur a uniquement à démontrer que sa cause est raisonnablement défendable pour établir que sa demande soulève une question sérieuse. Dans l'arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre des Finances), [1992] 1 R.C.S. 236, M. le juge Cory, en se reportant à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, a dit, à la page 253, que « les questions de la qualité pour agir et de la cause d'action raisonnable sont étroitement liées et ont tendance à se chevaucher » .

[19]            Je suis convaincu qu'en l'espèce, le demandeur n'a pas établi l'existence d'une cause d'action valable ou d'une cause raisonnablement défendable justifiant la reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public.


[20]            En résumé, voici la preuve du demandeur : le ministre a délivré le permis à la société défenderesse, l'autorisant à tuer, à l'aide d'armes à feu, les phoques et lions de mer qui détruisent ou tentent de détruire les poissons qu'elle garde ou qu'elle élève dans des cages marines. Le permis, qui a été délivré conformément au paragraphe 4(1) du Règlement sur les mammifères marins et au paragraphe 22(1) du Règlement de pêche (dispositions générales) en tant que « permis de pêche » n'exige pas que la défenderesse utilise, à des fins alimentaires ou à d'autres fins, les mammifères qu'elle tue. Le demandeur soutient que la common law et les règles d'interprétation législative indiquent que la destruction de phoques et de lions de mer prédateurs telle qu'elle est autorisée par le permis n'est pas une activité de « pêche » au sens de la Loi sur les pêches étant donné l'absence de l'élément nécessaire de « l'utilisation ou [de ] l'exploitation » du poisson qui est pêché. On "cause [plutôt] la mort de poissons par d'autres moyens que la pêche » , tel qu'il est prévu à l'article 32 de la Loi sur les pêches; toute autorisation accordée en vertu de cette disposition doit toutefois être précédée d'une évaluation des incidences environnementales. Par conséquent, en délivrant le permis en tant que « permis de pêche » en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement sur les mammifères marins et du paragraphe 22(1) du Règlement de pêche (dispositions générales) sans d'abord procéder à une évaluation des incidences environnementales, le ministre a excédé sa compétence et sa décision est ultra vires.

[21]            La preuve du demandeur comporte de nombreuses lacunes fondamentales. Premièrement, la thèse selon laquelle la « pêche » exige un genre d' « utilisation » ou d' « exploitation » non spécifiées des poissons qui sont pêchés n'est pas étayée par l'objet législatif de la Loi sur les pêches, par les règles fondamentales d'interprétation législative, par la jurisprudence ou par le bon sens.


[22]            Le mot « pêche » est défini comme suit à l'article 2 de la Loi sur les pêches : « Fait de prendre ou de chercher à prendre du poisson par quelque moyen que ce soit. » L'interprétation stricte de ce terme donnée par le demandeur n'est pas étayée par l'interprétation grammaticale ou textuelle de la Loi dans son ensemble. La définition de ce terme ne fait pas mention de l'exigence voulant que le poisson qui est pêché soit « utilisé » ou « exploité » de quelque façon; elle est limitée à l'action physique même par laquelle une personne prend le poisson (ou en prend possession). De fait, les règlements existants (voir, par exemple, l'article 33 du Règlement de pêche (dispositions générales)) et l'économie de la loi permettent et même exigent que le poisson qu'une personne prend soit dans certaines circonstances remis à l'eau, de sorte que l' « utilisation » ou l' « exploitation » du poisson n'est pas pertinente et qu'elle est même prohibée dans certaines circonstances.

[23]            L'argument du demandeur est presque entièrement fondé sur la thèse selon laquelle le terme « pêche » au sens de la Loi doit être interprété selon l'interprétation erronée qu'il a donnée à la jurisprudence portant sur le sens du mot « pêcherie » - soit un terme différent. À mon avis, ces décisions ne sont pas pertinentes et ne sont pas utiles. Le demandeur ne fait pas mention des nombreuses décisions définissant le sens du mot « pêche » , qui montrent clairement que l' « utilisation » ou l' « exploitation » ne sont pas nécessaires et que l'activité de pêche est achevée une fois que la personne en cause a le poisson en sa possession : voir par exemple Fredrick Gerring Jr. (The) c. R. (1897), 27 R.C.S. 271; R. c. Skinner, [1997] N.J. no 20 (QL) (C.A.T.-N.); R. c. Kelley, [1996] N.S.J. no 161 (QL) (C. prov. N.-É.); R. c. Saunders (1989), 92 N.S.R. (2d) 328 (C. de comté). Toutes ces décisions disent implicitement que ce qui arrive au poisson après qu'une personne l'a en fait en sa possession n'est pas pertinent.


[24]            Le demandeur soutient qu'étant donné que l'objet de la Loi et de son règlement d'application est la protection et la conservation des pêcheries, la définition du terme « pêche » doit être restreinte aux activités de pêche qui incorporent ou qui exigent une « utilisation » ou une « exploitation » non spécifiées du poisson. À mon avis, l'avocat du demandeur ne comprend pas l'objet de la Loi et des règlements, lequel a été clairement énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ward c. Canada, [2002] A.C.S. no 21. Au nom de la Cour à l'unanimité, Madame le juge McLachlin a dit ce qui suit, au paragraphe 41 :

Ces décisions établissent indubitablement que la compétence en matière de pêcheries vise non seulement la conservation et la protection, mais encore la « réglementation » générale des pêcheries, y compris leur gestion et leur surveillance. Elles reconnaissent que les « pêcheries » , au par. 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867, s'entendent des pêcheries en tant que ressource naturelle; une « source de richesse pour le pays ou la province » (Robertson, précité, p. 121); « un bien commun » à gérer pour le bien de tous les Canadiens (Comeau's Sea Foods, précité, p. 37). La ressource halieutique comprend tous les animaux qui habitent les mers, mais elle englobe aussi les intérêts commerciaux et économiques, les droits et les intérêts des peuples autochtones, de même que l'intérêt public en matière de sport et de loisirs. [Non souligné dans l'original.]


[25]            Il est facile de noter jusqu'à quel point la position du demandeur est absurde. De fait, il existe de nombreux exemples d'activités dans le cadre desquelles une personne prend du poisson sans toutefois l'utiliser. La pêche sportive et la pêche récréative en constituent deux exemples évidents. Les poissons qu'une personne prend dans le cadre de ces activités peuvent faire l'objet d'une utilisation ou d'une exploitation quelconque (par exemple, au moyen de la consommation), mais il est également clair que de nombreux poissons sont simplement remis à l'eau. Cela veut-il dire qu'une personne ne « pêche » pas si elle veut remettre le poisson à l'eau et qu'elle « pêche » uniquement si elle décide de consommer le poisson ou de l'utiliser? En excluant les activités de pêche qui n'exigent pas un genre quelconque d' « utilisation » ou d' « exploitation » du poisson pêché, l'argument du demandeur omet de tenir compte des objectifs multiples visés par la législation, ces objectifs comprenant non seulement la conservation, mais aussi les intérêts et objectifs économiques et récréatifs.

[26]            Le demandeur soutient que le ministre peut uniquement permettre de « causer la mort de poissons par d'autres moyens que la pêche » en vertu de l'article 32 de la Loi sur les pêches, ce qui exige qu'une évaluation des incidences environnementales soit effectuée pour que le ministre soit autorisé à délivrer un permis aux fins de l'exercice de pareille activité : voir le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, DORS/94-363, ann. I. L'argument du demandeur ne tient pas compte du fait que l'activité autorisée par le permis en l'espèce n'est pas visée par le champ d'application de l'article 32 de la Loi sur les pêches. De fait, la jurisprudence dit clairement que l'interdiction énoncée dans cette disposition vise la réalisation et l'exploitation de projets qui pourraient entraîner la destruction du poisson ou endommager l'habitat du poisson : voir par exemple Lavoie c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 190 F.T.R. 181 (C.F. 1re inst.); Lavoie c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1999), 168 F.T.R. 82 (C.F. 1re inst.). Or, en l'espèce, on n'entend pas réaliser ou exploiter un projet de ce genre.


[27]            Si la position du demandeur était retenue, une bonne partie des activités de « pêche » sportive ou récréative, ainsi que l'activité qui consiste à tuer les phoques nuisibles afin de protéger des stocks de poisson qui sont en danger, ne pourraient pas faire l'objet de « permis de pêche » , mais devraient être autorisées par le ministre, probablement sur une base individuelle, en vertu de l'article 32 de la Loi. Chaque autorisation de ce genre devrait également faire l'objet d'une évaluation des incidences environnementales. Si l'argument du demandeur était retenu, la définition du mot « pêche » empêcherait la prise de mesures de conservation exigeant l'élimination ou la destruction d'éléments nuisibles aux ressources halieutiques. À mon avis, les buts législatifs de la conservation et de la protection exigent dans certaines circonstances la prise de mesures immédiates visant à assurer le contrôle et l'élimination d'un élément nuisible aux pêcheries ou aux stocks de poisson.

[28]            À coup sûr, de nombreuses activités constituent de la « pêche » et peuvent être autorisées sans qu'une évaluation des incidences environnementales soit d'abord effectuée. Il importe de noter que le demandeur n'a pas établi l'existence de répercussions nuisibles ou n'a fait part d'aucune préoccupation au sujet de pareilles répercussions et des répercussions que le fait de tuer des phoques conformément au permis peut avoir ou a eu sur l'environnement ou sur les ressources halieutiques. À mon avis, la prémisse fondamentale sous-tendant la preuve du demandeur lorsqu'il s'agit de contester la validité de la décision du ministre de délivrer le permis - à savoir que le permis n'est pas un « permis de pêche » parce qu'il ne prévoit pas ou n'exige pas que les phoques qui sont tués doivent être utilisés ou exploités - est fondamentalement viciée. Je ne suis pas convaincu qu'il existe une question sérieuse justifiant un examen ou l'utilisation des ressources de la Cour.


[29]            Par conséquent, je refuse de reconnaître au demandeur la qualité pour agir dans l'intérêt public et je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[30]            Je ne rends aucune ordonnance au sujet des dépens puisque l'avocat de la défenderesse n'a pas présenté d'observations à ce sujet.

                              « P. Rouleau »                     

Juge

Vancouver (C.-B.)

Le 14 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                     T-173-02

INTITULÉ :                                    Le chef Percy Williams et autres

c.

Le ministre des Pêches et des Océans et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :            Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 8 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                      Monsieur le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                  le 14 janvier 2003

COMPARUTIONS :

M. Eamon Murphy                           POUR LE DEMANDEUR

M. R.S. Whittaker                           POUR LE DÉFENDEUR,

Mme M. Bulmer                                 LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

M. Jeffrey Oliver                               POUR LA DÉFENDERESSE,

HERITAGE SALMON LIMITED

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Woodward & Company                   POUR LE DEMANDEUR

Victoria (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                       POUR LE DÉFENDEUR,

Sous-procureur général du Canada                          LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

Blake Cassels & Graydon LLP        POUR LA DÉFENDERESSE,

Vancouver (Colombie-Britannique) HERITAGE SALMON LIMITED

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