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Date : 20010927

Dossier : T-1510-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1059

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2001

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

PATRICK GRENIER

demandeur

- et -

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

défendeur

DEMANDE SELON l'article 300

des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en conformité avec les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l'égard d'une décision du membre désigné de la Commission d'appel des pensions (le membre désigné) en date du 14 juillet 2000. Dans sa décision, le membre désigné avait refusé au demandeur l'autorisation de faire appel à la Commission d'appel des pensions (la CAP).

[2]                 Le demandeur sollicite une ordonnance l'autorisant à faire appel à la CAP. Subsidiairement, il sollicite une ordonnance annulant la décision ci-dessus et une ordonnance renvoyant l'affaire pour résolution en accord avec des directives.

Les faits

La demande de prestations d'invalidité

[3]                 Le demandeur, Patrick Grenier, est né le 17 mars 1942. Il a travaillé comme ouvrier (dans le bâtiment) pour un employeur de 1968 jusqu'au 30 septembre 1994, et son niveau de scolarité est la huitième année. Il vit avec sa soeur et son beau-frère dans la maison de sa mère. Le demandeur affirme dans son affidavit au soutien de cette demande de contrôle judiciaire qu'il a cessé de travailler en 1994 en raison d'une « arthrite dégénérative, vertèbres cervicales et lombaires » . La demande de prestations d'invalidité présentée par le demandeur conformément au Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. c-8 (le RPC) indique qu'il a cessé de travailler en 1994 à la suite d'un licenciement causé par un manque de travail.


[4]                 La demande de prestations d'invalidité a été reçue par le défendeur le 25 septembre 1995. Elle comprenait un rapport médical du médecin de famille du demandeur, le docteur Duggan, en date du 22 septembre 1995, rapport qui indiquait que le demandeur souffrait d'une « arthrite dégénérative, vertèbres cervicales et lombaires » . Selon le rapport, le docteur Duggan a commencé de voir le demandeur pour ce problème en mai 1995. Le rapport mentionne qu' « il est peu probable que le demandeur puisse retourner au travail » . La demande de prestations comprenait aussi un rapport concernant des radiographies du dos du demandeur faites par le docteur Lyons en mai 1995. La demande de prestations d'invalidité fut refusée dans une lettre portant la date du 10 novembre 1995. La lettre contient le passage suivant :

[TRADUCTION] L'information versée dans votre dossier montre que, lorsque vous avez demandé des prestations, vous étiez capable de faire régulièrement certains travaux légers, convenant à votre état et à vos limites. Nous ne pouvons donc affirmer que votre invalidité est grave et prolongée, au sens du Régime de pensions du Canada, et vous n'êtes pas admissible à des prestations.

[5]                 Par une lettre en date du 2 février 1996, le demandeur exprima sa déception à la suite de cette décision et demanda le réexamen de son cas. Le 2 mai 1999, le docteur Racine procéda à une évaluation médicale impartiale du demandeur. Dans un rapport médical en date du 22 mai 1999, le docteur Racine exprima l'avis que le demandeur était probablement incapable de retourner au travail dans le bâtiment, mais qu'il était en mesure d'exécuter des travaux plus légers ou plus sédentaires. Le défendeur informa le demandeur, dans une lettre en date du 23 mai 1997, que, puisqu'il ne répondait pas aux exigences du Régime de pensions du Canada, il ne pouvait obtenir de prestations d'invalidité.


Appel au tribunal de révision

[6]                 Le demandeur en a alors appelé au tribunal de révision, qui a tenu une audience de novo le 10 août 1999. L'audience devait avoir lieu à une date antérieure, mais elle dut être reportée parce que le demandeur fut hospitalisé le 14 octobre 1998 à cause de « troubles de l'humeur, peut-être accompagnés de symptômes psychotiques (perte de contact avec la réalité) » . Le demandeur est sorti de l'hôpital le 9 novembre 1998.

[7]                 Outre la preuve ci-dessus, un autre rapport du docteur Duggan, en date du 27 avril 1998, a été produit devant le tribunal de révision. Le docteur Duggan y écrit qu'il n'a pas vu le demandeur depuis août 1997, mais il mentionne que le demandeur n'est plus en mesure de faire un travail physique depuis au moins mai 1995 et qu'il devrait sans doute être considéré comme admissible à une pension d'invalidité depuis cette date. Le docteur Duggan supposait que le demandeur n'allait pas mieux depuis sa dernière visite parce que son état médical dégénératif ne pouvait être inversé. Le demandeur et sa soeur ont tous deux témoigné à l'audience. Le tribunal de révision a rejeté l'appel du demandeur dans une décision en date du 22 octobre 1999, dans lequel il affirmait ce qui suit :

[TRADUCTION]

Il existe une preuve subjective, à la fois de l'appelant et de sa soeur, selon laquelle l'appelant ne pouvait continuer de travailler, mais ni le spécialiste ni le médecin de famille ne disent qu'il est incapable de faire toute espèce de travail et les radiographies ne révèlent pas une dégénérescence grave au point d'empêcher l'appelant de travailler.


Il n'y a aucune preuve médicale objective se rapportant à l'état psychotique de l'appelant, ni aucune preuve indiquant que cet état existait avant octobre 1998. Il se trouve donc en dehors de la période minimale d'admissibilité.

Compte tenu des motifs ci-dessus, le tribunal rejette l'appel.

Demande d'autorisation d'appel à la Commission d'appel des pensions (CAP)

[8]                 Le 18 janvier 2000, le demandeur a présenté une demande d'autorisation d'appel et un avis d'appel de la décision ci-dessus à la CAP. Pour le cas où l'autorisation d'appel serait accordée, le demandeur entendait fonder son appel sur les raisons suivantes :

a)              Le tribunal de révision a commis une erreur en disant qu'il n'y avait aucune preuve médicale objective montrant que l'appelant souffrait d'une invalidité qui était à la fois grave et prolongée;

b)              Le tribunal de révision a commis une erreur en concluant que l'appelant n'était pas « invalide » , et cela après avoir rejeté la preuve de l'appelant et de son témoin au motif que cette preuve était « subjective » ;

c)              Le tribunal de révision a commis une autre erreur dans son évaluation de l'aptitude de l'appelant à travailler et de son aptitude à exercer un emploi rémunéré.

[9]                 L'autorisation d'appel de la décision du tribunal de révision a été refusée le 14 juillet 2000 par le membre désigné. Le membre désigné a fondé son refus d'autoriser l'appel notamment sur les motifs suivants :

[TRADUCTION]

L'appelant doit être jugé invalide en permanence au sens de ladite loi, à compter de décembre 1997, soit la période minimale d'admissibilité.

Le tribunal a indiqué que « ni le spécialiste ni le médecin de famille ne disent qu'il est incapable de faire toute espèce de travail... »


Pour qu'une autorisation d'appel soit justifiée, il faut que le tribunal de révision ait commis une erreur manifeste ou il faut des preuves nouvelles susceptibles de conduire à une conclusion différente en appel.

Cette demande d'autorisation ne révèle rien de tel et je ne suis pas persuadé que l'autorisation devrait être accordée.

L'autorisation d'appel est donc refusée.

[10]            Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision ci-dessus.

Dispositions légales applicables

[11]            Le paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada, est ainsi rédigé :



(2) Pour l'application de la présente loi_:

a) une personne n'est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l'application du présent alinéa_:

(i) une invalidité n'est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) une invalidité n'est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d'être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d'être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne n'est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d'une demande à l'égard de laquelle la détermination a été établie.

(2) For the purposes of this Act,

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

(b) a person shall be deemed to have become or to have ceased to be disabled at such time as is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.




Questions

[12]            Le membre désigné a-t-il commis une erreur sujette à révision en refusant la demande d'autorisation d'appel présentée par le demandeur?

Analyse et décision

[13]            Comme on l'a dit, le demandeur fait appel du rejet de sa demande d'autorisation d'en appeler à la Commission d'appel des pensions. Dans une demande d'autorisation d'appel, l'obstacle que doit franchir le demandeur est moindre que dans l'examen même du fond de l'appel. Dans l'arrêt Mervyn K. Martin c. Ministre du Développement des ressources humaines (26 décembre 1999), dossier A-229-98 (C.A.F.), le juge Malone, s'exprimant pour la Cour d'appel, expose ainsi cette distinction, à la page 3 :

À la suite de cette décision, le juge Reed, dans l'affaire Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) [1999] A.C.F. no 1252, 13 août 1999, a également examiné la norme de contrôle que la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada est tenue d'appliquer lorsqu'elle contrôle les décisions relatives aux demandes d'autorisation d'interjeter appel devant la CAP.

Le juge Reed a conclu que la demande d'autorisation d'interjeter appel est une étape préliminaire à une audition du fond de l'affaire. Ainsi, « c'est un premier obstacle que le demandeur doit franchir, mais celui-ci est inférieur à celui auquel il devra faire face à l'audition de l'appel sur le fond » (voir page 6 de la décision). La Cour s'est fondée sur l'arrêt Kurniewicz c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration) (1974) 6 N.R. 225, à la page 230 (C.A.F.), pour étayer sa proposition selon laquelle, pour que l'autorisation soit accordée, il doit exister un motif défendable de faire éventuellement droit à l'appel.

[14]            Dans le jugement Kenin Calliho c. Le procureur général du Canada (12 mai 2000), dossier T-859-99 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay s'exprime ainsi, au paragraphe 15 :

Sur le fondement de cette jurisprudence récente, je suis d'avis que le contrôle d'une décision relative à une demande d'autorisation d'interjeter appel à la CAP donne lieu à deux questions :

1. la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c'est-à-dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d'être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;

2. la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d'appréciation des faits au moment de déterminer s'il s'agit d'une demande ayant des chances sérieuses d'être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n'a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d'accorder l'autorisation.

Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour qu'il ne m'appartient pas d'apprécier le bien-fondé de la demande. Le membre désigné a indiqué que, pour qu'il accorde l'autorisation d'appel, « il faut que le tribunal de révision ait commis une erreur manifeste, ou il faut des preuves nouvelles susceptibles de conduire à une conclusion différente en appel... » Selon les décisions Martin et Calliho précitées, ce n'est pas là le critère à appliquer. Le critère consiste à se demander si la demande soulève une question sérieuse. Le membre désigné a commis une erreur en appliquant un critère inexact pour savoir s'il y avait lieu ou non d'accorder l'autorisation d'appel.

[15]            La question est maintenant de savoir si la demande soulève ou non une question sérieuse. Par commodité, je répéterai ici le sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime de pensions du Canada :



Dans sa décision, le tribunal de révision mentionnait ce qui suit :

[TRADUCTION]

« . . . ni le spécialiste ni le médecin de famille ne disent qu'il est incapable de faire toute espèce de travail . . . »

[16]            Le demandeur soutient que le tribunal de révision a commis une erreur en utilisant les mots « incapable de faire toute espèce de travail » , quand le sous-alinéa 42(2)a)(i) dit que le demandeur doit être « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » . Je reconnais avec le demandeur que la question de savoir si le tribunal de révision a commis une erreur constitue une question sérieuse.

[17]            Le demandeur a aussi fait valoir que le tribunal de révision a commis une erreur lorsqu'il a jugé de son invalidité en se fondant uniquement sur la preuve médicale pour savoir si le demandeur était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le demandeur et sa soeur ont témoigné sur cet aspect. Je ne puis prononcer sur le bien-fondé de cet argument, mais à mon avis, il s'agit là d'une question sérieuse.

[18]            La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et, pour les motifs indiqués ci-dessus, la décision du membre désigné est annulée et l'affaire est renvoyée pour qu'il en soit disposé selon les présents motifs.

ORDONNANCE

[19]            IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision du membre désigné soit annulée et que l'affaire soit renvoyée pour qu'il en soit disposé selon les présents motifs.

                                 « John A. O'Keefe »                 

                   Juge                      

Ottawa (Ontario)

27 septembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.

    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    T-1510-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    Patrick Grenier c. Ministre du Développement des ressources humaines

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                    Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 22 mai 2001

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                                    le 27 septembre 2001

ONT COMPARU

Jacques Chartrand    POUR LE DEMANDEUR

Chantal Poirier    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

West End Legal Services    POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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