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Date : 20010329

Dossier : T-1593-98

Référence neutre : 2001 CFPI 256

ENTRE :

MONSANTO CANADA INC. et MONSANTO COMPANY

demanderesses

et

PERCY SCHMEISER et SCHMEISER ENTERPRISES LTD.

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge MacKAY


[1]                Dans la présente action, engagée conformément à la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi), et instruite à Saskatoon, les demanderesses reprochent aux défendeurs d'avoir contrefait leurs lettres patentes canadiennes no 1,313,830. Les défendeurs auraient commis cette contrefaçon en exploitant, reproduisant et créant des gènes, des cellules, ainsi que des graines et des plants de canola contenant des gènes et des cellules, qui sont revendiqués dans le brevet des demanderesses, et en vendant les graines de canola qu'ils ont récoltées, le tout sans avoir obtenu l'autorisation ou une licence des demanderesses. Le produit commercial résultant des travaux de développement des demanderesses, de son brevet et de ses accords de licence, est connu sous le nom de « Canola Roundup Ready » , une graine de canola tolérante aux herbicides à base de glyphosate, notamment à l'herbicide « Roundup » des demanderesses.

[2]                Après avoir examiné la preuve produite et les observations faites, oralement et par écrit, pour le compte des parties, je suis d'avis d'accueillir l'action des demanderesses et de leur accorder certaines des réparations recherchées. J'expose dans les présents motifs les fondements de mes conclusions, plus particulièrement de ma conclusion portant que, suivant la prépondérance de la preuve, les défendeurs ont contrefait un certain nombre de revendications visées par les lettres patentes canadiennes no 1,313,830 des demanderesses, en plantant, en 1998, des champs en canola avec des semences gardées de leur récolte de 1997, sans autorisation ou licence des demanderesses, même s'ils savaient, ou auraient dû savoir, que ces semences étaient tolérantes au Roundup et que des tests avaient révélé qu'elles contenaient le gène et les cellules revendiqués dans le brevet des demanderesses. En vendant les semences récoltées en 1998, les défendeurs ont de nouveau contrefait le brevet des demanderesses.

[3]                Les motifs sont longs. Pour en faciliter la consultation, les paragraphes énumérés ci-dessous indiquent les principaux sujets abordés.

Paragraphe                  Sujet

    [4]                             Introduction

    [15]                           Le brevet des demanderesses et l'octroi de licence


    [29]                           Les pratiques culturales de M. Schmeiser

    [36]                           Tests effectués sur le canola de M. Schmeiser

    [60]                           Les questions en litige

    [62]                           Admissibilité en preuve des tests effectués sur les échantillons

    [77]                           La validité du brevet des demanderesses

    [91]                           Perte des droits conférés par le brevet ou renonciation à ces droits par les demanderesses

   [101]              Contrefaçon du brevet

   [128]              Réparations pour la contrefaçon

   [146]              Conclusions

Introduction

[4]                La demanderesse Monsanto Canada Inc. (Monsanto Canada) est constituée en personne morale sous le régime des lois du Canada et son établissement principal se trouve à Mississauga, en Ontario. La demanderesse Monsanto Company (Monsanto US) est constituée en personne morale sous le régime des lois de l'État du Delaware (É.-U.) et son établissement principal se trouve à St. Louis, au Missouri (É.-U.). Dans les présents motifs, toute mention renvoyant collectivement à ces deux personnes morales sera faite au moyen du nom « Monsanto » ou de l'expression « les demanderesses » .


[5]                Le 23 février 1993, Monsanto US a obtenu les lettres patentes canadiennes no 1,313,830 (le brevet 830) pour une invention appelée [traduction] « Plantes résistant au glyphosate » . Le brevet 830 accorde à Monsanto US le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre l'invention pendant toute la durée du brevet. Le brevet prend fin le 23 février 2010. Monsanto Canada est titulaire d'une licence accordée en vertu du brevet 830.

[6]                Le défendeur, Percy Schmeiser (M. Schmeiser), est un agriculteur qui demeure près de Bruno, en Saskatchewan, où il exploite une ferme depuis plus de cinquante ans. La défenderesse, Schmeiser Enterprises Ltd., est une société constituée sous le régime des lois de la Saskatchewan. Elle existe depuis 1960 et s'occupe de plusieurs autres entreprises exploitées par M. Schmeiser. Ce dernier lui a cédé le contrôle de son exploitation agricole en 1996. Les seuls actionnaires et administrateurs de la société sont M. Schmeiser et sa femme. Dans les présents motifs, toute mention renvoyant collectivement aux deux défendeurs sera faite au moyen du nom « Schmeiser » ou de l'expression « les défendeurs » .


[7]                M. Schmeiser exploite une ferme près de Bruno dans la municipalité rurale de Bayne, en Saskatchewan, depuis environ cinquante ans. Il produit du canola depuis les années 1950. C'est là qu'en 1998, l'année visée par la déclaration de la demanderesse, sa société a cultivé neuf champs, dont 1 030 acres ont été consacrés exclusivement à la culture du canola. Outre ses activités agricoles, M. Schmeiser est un visage connu de la politique municipale et provinciale et possède une vaste expérience d'homme d'affaires et d'entrepreneur aventureux.

[8]                Dans leur déclaration, les demanderesses allèguent qu'en 1998 les défendeurs ont planté des graines résistant au glyphosate pour produire une récolte de canola possédant un gène ou une cellule couvert par le brevet des demanderesses. En agissant de la sorte, les défendeurs auraient exploité, reproduit et créé des gènes, des cellules, des plantes et des graines contenant les gènes et les cellules qui sont revendiqués dans le brevet des demanderesses. Les parties reconnaissent que les défendeurs n'ont jamais signé d'entente sur les utilisations technologiques (EUT), soit la forme que prend la licence concédée par les demanderesses aux producteurs de semence contenant le gène breveté.

[9]                Dans la présente action, introduite le 6 août 1998 au moyen d'une déclaration modifiée datée du 27 août 1999, les demanderesses cherchent à obtenir les réparations suivantes :   

[traduction]

a)             Une injonction interdisant aux défendeurs, y compris tous ses mandataires, employés, préposés et toute personne relevant des défendeurs ou agissant de concert avec eux :

(i)            d'exploiter, produire, cultiver ou récolter des graines qui contiennent des gènes ou des cellules visés par les revendications 1, 2, 5, 6, 7, 22, 23, 26, 27, 28 et 45 des lettre patentes canadiennes no 1,313,830 et d'exploiter, produire, cultiver ou récolter des plantes produites à partir de ces graines;

[...]


(iii)          d'offrir en vente, vendre, commercialiser, annoncer, distribuer ou autrement utiliser au Canada, par n'importe quel moyen, des graines qui contiennent des gènes ou des cellules visés aux revendications 1, 2, 5, 6, 7, 22, 23, 26, 27, 28 et 45 des lettre patentes canadiennes no 1,313,830, et d'offrir en vente, vendre, commercialiser, annoncer, distribuer ou autrement utiliser au Canada des plantes produites à partir de ces graines.

b)            La remise, par les défendeurs, de toutes les graines ou plantes qui contiennent les gènes ou cellules brevetés, qui sont produites suivant le procédé breveté ou qui enfreignent de quelque façon que ce soit les ordonnances susceptibles d'être rendues dans la présente action et qui sont en leur possession, soins, garde ou contrôle ou dans lesquelles ils possèdent un titre de propriété au Canada;

c)             Des dommages généraux, intérêts et dépens non compris, ou la restitution des profits réalisés par les défendeurs selon ce que les demanderesses peuvent choisir après une enquête préalable tenue dans le cadre d'un renvoi qui portera, au choix des demanderesses, sur les deux réparations à la fois ou sur l'une seulement.

d)            Des dommages-intérêts punitifs et exemplaires;

e)             Des intérêts avant et après jugement sur tous les montants accordés, calculés à un taux supérieur d'au moins 1 % au taux préférentiel;

f)             Les dépens des demanderesses pour la présente action sur une base avocat-client;.

[...]


[10]            La demande de dommages ou de restitution des profits a été modifiée à l'instruction; l'avocat des demanderesses a alors précisé que Monsanto Canada demandait des dommages de 15 $ l'acre de terrain planté en canola en 1998 (1 030 acres), ce qui représente 15 450 $ de dommages généraux, soit l'équivalent d'un droit de licence applicable à la production de la semence des demanderesses contenant le gène breveté. Par ailleurs, Monsanto US, en sa qualité de brevetée, a choisi de demander la restitution des profits qui se montent à 105 000 $. Si la Cour estime qu'elles n'ont pas le droit de choisir des chefs de dommages différents, les demanderesses réclament conjointement les profits réalisés d'un montant de 105 000 $. À l'instruction, l'avocat des demanderesses a aussi réclamé 25 000 $ au titre des dommages-intérêts punitifs et exemplaires, qui sont sollicités dans la déclaration modifiée, afin de dissuader quiconque d'imiter les défendeurs.

[11]            Les défendeurs ne nient pas la présence de canola Roundup Ready dans leurs champs en 1998, mais ils ont fait valoir à l'instruction que jamais M. Schmeiser ou Schmeiser Enterprises Ltd. n'ont volontairement planté ou fait planter des graines faisant l'objet d'une licence des demanderesses et contenant le gène breveté. Ils ont aussi ajouté que les plantes résistant à l'herbicide leur ont causé de lourdes pertes et d'importants dégâts. Leur avocat a soutenu qu'il est impossible de limiter la croissance du canola Roundup Ready avec des herbicides ordinaires, que ce genre de canola modifie la sélection culturale, rendant difficile de planter quoi que ce soit d'autre que du canola, et qu'il oblige les agriculteurs à adopter de nouvelles pratiques culturales. Je remarque que, malgré cette prétention, les défendeurs n'ont saisi la Cour d'aucune demande reconventionnelle. Ils font valoir que, même s'il appert que le gène breveté par les demanderesses est présent dans le canola qu'ils ont produit, il faut que ce gène soit exploité, en ce sens que la récolte doit avoir été traitée par pulvérisation avec de l'herbicide Roundup, avant que la Cour puisse conclure à la contrefaçon du brevet.


[12]            À l'instruction, les défendeurs ont soutenu que les demanderesses, en disséminant le gène en milieu ouvert dans l'environnement, n'ont pas circonscrit sa dispersion et ne voulaient pas le faire, de sorte qu'elles ont perdu leur droit à l'exercice d'un brevet exclusif sur le gène ou renoncé à un tel droit.

[13]            À l'instruction, les défendeurs ont également fait valoir que le brevet canadien no 1,313,830 est, et a toujours été, invalide et nul parce que :

a)         l'invention alléguée est une forme de vie destinée à la consommation humaine et ne peut valablement faire l'objet d'un brevet; elle est auto-reproductible et peut s'étendre sans l'intervention humaine;

b)         le brevet a été obtenu dans le but illicite de créer une plante nuisible susceptible de s'étendre par des moyens naturels sur les terres de parties innocentes qui se retrouvent piégées dans des actions en contrefaçon malveillantes. Je remarque qu'à l'instruction aucune preuve n'a été produite relativement à ce but illicite présumé et qu'aucun argument n'a abordé cette question;

c)          si la Cour conclut à la contrefaçon, les demanderesses auraient, en réalité, obtenu un brevet pour un végétal, ce qui, soutiennent-ils, est impossible au Canada compte tenu de la Loi sur la protection des obtentions végétales qui protège les nouvelles variétés végétales.


[14]            À l'instruction, les défendeurs ont prétendu que M. Schmeiser avait droit à la protection de la personne morale poursuivie et que, si la Cour concluait à la contrefaçon, la responsabilité devrait se limiter à la société et ne pas s'appliquer personnellement à lui. Ils ont ajouté que des dommages-intérêts exemplaires et punitifs ne sont pas justifiés et constitueraient une mesure excessive dans un cas comme celui-ci, où les défendeurs sont déjà menacés de ruine financière si la Cour devait tirer une conclusion qui leur serait défavorable. Enfin, ils s'élèvent contre l'attribution des réparations distinctes que chaque demanderesse recherche en l'espèce, c'est-à-dire qu'ils s'opposent à ce que Monsanto Canada obtienne des dommages généraux et Monsanto US, la restitution des profits.

Le brevet des demanderesses et l'octroi de licence

[15]            Le brevet litigieux, intitulé « Plantes résistant au glyphosate » concerne des gènes artificiels conçus par des techniques de génie génétique et les cellules renfermant ces gènes qui, lorsqu'ils sont insérés dans les plantes, en l'occurrence du canola, rendent ces plantes résistantes aux herbicides à base de glyphosate, et notamment au produit de Monsanto vendu sous la marque de commerce Roundup. Les herbicides à base de glyphosate inhibent l'enzyme EPSPS, nécessaire pour produire un acide aminé indispensable à la croissance et à la survie d'une gamme très étendue de plantes. L'herbicide inhibe l'enzyme EPSPS à un point tel que la plupart des plantes traitées par pulvérisation avec Roundup ou d'autres glyphosates ne peuvent survivre.


[16]            Les scientifiques de Monsanto US ont mis au point en laboratoire une séquence, appelée RT73, qui, lorsqu'elle est insérée dans l'ADN des cellules de canola par un vecteur de transformation, produit une variété de canola présentant une grande tolérance au glyphosate. Une fois que le gène modifié est inséré dans l'ADN des cellules de la plante, celle-ci, sa tige, ses feuilles, ses graines, etc., renferment toutes le gène modifié. La descendance de la plante, qui se développe à partir de semences renfermant le gène breveté dans leurs cellules, sera constituée en grande partie de cellules contenant le gène modifié. Ainsi, la descendance ou les semences de canola Roundup Ready, qui se prêtent en grande partie à l'auto-germination, contiennent le gène modifié et sont donc elles aussi tolérantes au glyphosate.

[17]            Les herbicides de type glyphosate sont déjà depuis de nombreuses années largement utilisés au Canada. Le canola tolérant le glyphosate a été commercialisé au Canada en 1996. Il l'a été dans le cadre de licences accordées par Monsanto Canada, sous la marque de Monsanto, Canola Roundup Ready. En 1996, environ 600 agriculteurs canadiens ont planté du canola Roundup Ready sur environ 50 000 acres. En 2000, il y avait environ 4,5 à 5 millions d'acres de canola Roundup Ready, cultivés par environ 20 000 agriculteurs, soit presque 40 % de la production canadienne.


[18]            La culture de canola dans l'ouest du Canada est un exemple de réussite. Le colza a été cultivé à petite échelle pendant de nombreuses années. Aujourd'hui, avec la mise au point, en grande partie par des scientifiques canadiens, de semences à haut rendement, maintenant appelé canola, les cultures pour la production d'huile destinée à la consommation humaine et de tourteau pour les animaux, représentent la valeur commerciale annuelle la plus élevée de toutes les cultures grainières au Canada.

[19]            L'avantage du canola Roundup Ready est qu'il est tolérant à l'herbicide Roundup à base de glyphosate, lequel peut être pulvérisé après l'émergence de la culture souhaitée, tuant les autres plantes. Il semble que ce processus permet d'éviter de retarder l'ensemencement à cause de la pulvérisation des mauvaises herbes précoces, d'éviter d'avoir à utiliser d'autres types spéciaux d'herbicides, et enfin d'éliminer le travail extensif du sol, lui conservant ainsi son humidité.

[20]            La divulgation du brevet 830 de Monsanto comprend un énoncé de l'objectif et un résumé de l'invention, qui précisent notamment ce qui suit :

[traduction] [...]

L'objet de cette invention est de fournir une méthode pour l'obtention de cellules végétales génétiquement modifiées, qui rend ces cellules et les plants produits à partir de celles-ci résistants au glyphosate et aux sels herbicides de ce dernier.

[...]

Cette invention fait appel à un vecteur de clonage ou d'expression, comprenant un gène pour coder le polypeptide 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase (EPSPS) qui, lorsqu'il est exprimé dans une cellule végétale, contient un peptide de transfert vers les chloroplastes, permettant le transport du polypeptide, ou d'une fraction de ce dernier possédant une activité enzymatique, à partir du cytoplasme de la cellule végétale jusque dans un chloroplaste à l'intérieur de la cellule, ce qui confère à la cellule végétale et aux plants qui en sont dérivés une résistance substantielle au glyphosate.


[21]            Les revendications de l'invention qui font l'objet de la présente action en contrefaçon sont les suivantes :

[traduction]

1.              Un gène chimère pour plante qui comprend :

a)              un promoteur fonctionnant dans des cellules végétales;

b)             une séquence de codage qui produit l'ARN codant le peptide de transfert vers les chloroplastes et le polypeptide de fusion 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase (EPSPS), lequel peptide de transfert vers les chloroplastes permet de transporter le polypeptide de fusion jusque dans un chloroplaste de cellule végétale;

c)              une région non traduite en 3' qui code un signal de polyadénylation qui, dans les cellules végétales, permet l'addition de nucléotides de polyadénylates à l'extrémité 3' de l'ARN;

le promoteur est hétérologue eu égard à la séquence de codage et adapté pour permettre une expression suffisante du polypeptide de fusion afin d'améliorer la résistance au glyphosate de la cellule végétale transformée à l'aide du gène.

2.              Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel le promoteur est une séquence de promoteur de virus végétal.

[...]

5.              Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel la séquence de codage code une 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase (EPSPS) mutante.

6.              Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel la séquence de codage de l'EPSPS code une EPSPS d'un organisme choisi dans le groupe des bactéries, des champignons et des plantes.

7.              Un gène chimère de la revendication 1, dans lequel le peptide de transfert vers un chloroplaste provient d'un gène d'EPSPS de plante.

[...]


22.            Une cellule végétale résistant au glyphosate, renfermant un gène chimère pour plante de la revendication 1.

23.            Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle le promoteur est une séquence de promoteur de virus végétal.

[...]

26.            Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle la séquence de codage code une 5-énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase mutante.

27.            Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle la séquence de codage code une EPSPS d'un organisme choisi dans le groupe des bactéries, des champignons et des plantes.

28.            Une cellule végétale résistant au glyphosate de la revendication 22, dans laquelle le peptide de transfert vers un chloroplaste provient d'un gène d'EPSPS de plante.

[...]

45.            Une cellule de colza oléagineux résistant au glyphosate de la revendication 22.

[22]            Le gène de plante « chimère » est un gène (c.-à-d. de l'ADN) qui a été conçu par un processus moléculaire à partir de sources multiples, et notamment d'ADN végétal, viral et bactérien. La revendication 1 du brevet est fondamentalement un gène chimère pour plante. Les revendications 2, 5, 6 et 7 dépendent de la revendication 1. La revendication 22, qui dépend également de la revendication 1, concerne une cellule végétale résistant au glyphosate comprenant un gène chimère pour plante de la revendication 1, et les revendications 23, 26, 27 et 28 dépendent de la revendication 22. La revendication 45 est une cellule de colza oléagineux résistant au glyphosate de la revendication 22.


[23]            La Cour qui interprète les revendications d'un brevet doit adopter une méthode utilitaire qui n'est pas trop technique ou littérale (Catnic Components Ltd. v. Hill & Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183 (Ch.L.)). L'interprétation donnée doit être raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public (Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555). Si l'énoncé de la revendication est clair et non équivoque, il n'est pas nécessaire d'examiner plus à fond quelle est la nature de l'invention.

[24]            M. Robert B. Horsch, un employé de Monsanto US et un des inventeurs désignés au brevet, et Mme Doris Dixon, microbiologiste employée par Monsanto et responsable des tests effectués par les demanderesses sur certains des échantillons de la récolte de canola de Schmeiser en 1998, ont présenté, pour le compte des demanderesses, une preuve sur le développement et la nature du brevet. Leur preuve sur la nature du brevet n'a pas du tout été contestée.

[25]            En outre, à mon sens les défendeurs ne contestent pas l'interprétation du brevet, en ce qui concerne les revendications en litige, sauf pour ce qui est de l'allégation de contrefaçon. À ce chapitre, la portée du brevet est remise en question par leur moyen de défense posant qu'étant donné qu'ils n'ont pas pulvérisé d'herbicide Roundup sur leur récolte de canola de 1998, après l'émergence des plants, ils n'ont pas exploité l'invention des demanderesses. Je reviendrai sur ce point; je me propose simplement maintenant d'interpréter le brevet.


[26]            Je suis d'avis que les revendications en cause sont clairement exprimées et il n'est pas nécessaire de recourir à la description ou à la divulgation pour bien les comprendre. Les revendications 1, 2, 5, 6 et 7 concernent chacune un gène chimère pour plante, dont les caractéristiques sont celles spécifiées dans la revendication. Les revendications 22, 23, 26, 27 et 28 concernent chacune une cellule de plante résistant au glyphosate renfermant un gène chimère pour plante de la revendication 1, avec d'autres caractéristiques de cellule spécifiées pour les revendications autres que la revendication 22. Enfin, la revendication 45 concerne simplement une cellule de colza oléagineux résistant au glyphosate de la revendication 22. La présence du gène chimère pour plante décrit dans la revendication 1 est essentielle pour toutes les revendications. Les revendications concernent les gènes et les cellules qui sont résistants au glyphosate. À l'évidence, l'invention est utile eu égard à la résistance au glyphosate, mais aucune des revendications ne spécifie cette utilité et aucune n'exige l'utilisation de glyphosate, comme l'herbicide Roundup, pour l'invention revendiquée.

[27]            Étant donné que la descendance du canola résistant au glyphosate contiendra le gène modifié et sera elle aussi résistante au glyphosate, Monsanto a prévu, pour protéger son brevet et son marché, l'octroi d'une licence limitant la possibilité pour un producteur licencié de vendre ou de donner les semences à un autre producteur, ou encore de les conserver pour son propre usage.


[28]            Au Canada, tous les accords de licence des demanderesses sont conclus par Monsanto Canada ou pour son compte. Ils autorisent des producteurs de semence commerciale à produire du canola Roundup Ready pour en tirer des semences. On demande aux agriculteurs d'assister à une réunion d'inscription des producteurs organisée par des représentants de Monsanto qui décrivent la technologie génétique et expliquent les conditions des licences en permettant l'exploitation. Un producteur doit signer un accord de producteur de Roundup Ready pour être habilité à exploiter cette technologie génétique. Il peut alors acheter de la semence de canola d'un représentant autorisé de Monsanto. Toutefois, pour pouvoir se procurer la semence, il doit également signer un accord d'utilisation de la technologie que lui fournit le vendeur au détail de semences agissant pour Monsanto Canada. Ce dernier accord ne permet à l'agriculteur de se servir de la semence que pour planter une seule récolte destinée à la consommation, qu'il doit vendre à un acheteur commercial autorisé par Monsanto. L'agriculteur s'engage à s'abstenir de vendre ou de donner de la semence à toute autre tierce partie et à ne pas en conserver pour réensemencer ou pour son inventaire. Cet accord d'utilisation de la technologie donne à Monsanto le droit d'inspecter les champs de l'agriculteur contractant et de prélever des échantillons afin de vérifier le respect de l'accord.

Les pratiques culturales de M. Schmeiser


[29]            Comme le font apparemment de manière courante bon nombre de producteurs de canola de la région de Bruno, M. Schmeiser gardait habituellement une partie du canola récolté sur ses terres pour l'utiliser comme semences pour les cultures de l'année suivante. Grâce à cette pratique, M. Schmeiser n'a pas eu besoin d'acheter de semences de canola après 1993, et ce jusqu'en 1999, et il croit qu'avec les années, cela lui a permis de créer sa propre lignée de canola qui était relativement résistante aux diverses formes de maladie qui ont tendance à attaquer le canola.

[30]            Les défendeurs cultivent habituellement une variété courante de canola appelée canola-colza. Ils cultivent également du blé et des pois, et certaines parties de leurs terres sont périodiquement laissées en jachère. Pendant de nombreuses années, M. Schmeiser a choisi de cultiver uniquement du canola dans les mêmes champs durant des périodes pouvant aller jusqu'à quatre ans. À l'instruction, il a dit que l'avantage d'une telle pratique est qu'elle permet d'utiliser moins de fertilisants puisque les fertilisants épandus l'année précédente ont encore un effet bénéfique, et qu'il obtient souvent ainsi un meilleur rendement les années suivantes. M. Schmeiser a aussi l'habitude de choisir le moment où il travaille le sol pour éviter d'y enfouir les résidus de plantes potentiellement malades, ce qui réduit les risques de développement de certaines maladies dans les nouvelles récoltes. Les défendeurs affirment que, grâce à cette pratique, M. Schmeiser a été en mesure d'obtenir à long terme des récoltes de canola qui ne comportent presque pas de mauvaises herbes et ne sont pas affectées par les maladies comme le charbon et la sclérotiniose qui frappent communément le canola. Il affirme que ses récoltes ont été supérieures à la moyenne dans la région de Bruno, en Saskatchewan.


[31]            M. Schmeiser a déclaré dans son témoignage qu'il utilise le moins possible d'herbicides chimiques. Il les utilise toutefois lorsque c'est nécessaire pour lutter contre les mauvaises herbes. Il préfère utiliser les herbicides qui peuvent être incorporés au sol, contrairement à Roundup, ou ceux qui peuvent être appliqués au printemps parce qu'ils tuent les mauvaises herbes au moment où elles germent, ce qui empêche la dessiccation du sol résultant de la croissance des mauvaises herbes. Il croit que l'herbicide incorporé au sol est efficace pendant une période maximale de trois ans. M. Schmeiser a aussi déclaré qu'il a utilisé Roundup, surtout pour brûler ses champs avant de les ensemencer ou pour effectuer une « jachère chimique » ainsi que pour arroser les mauvaises herbes et les repousses spontanées autour des pylônes et dans les fossés. Il n'aime pas l'utiliser sur une récolte de canola en cours de croissance. Il estime que lorsqu'il est utilisé sur une récolte en cours de croissance, ce produit laisse un résidu qui tue une quantité importante de bactéries dans le sol, ce qui affecte le rendement des cultures uniques et augmente les risques de maladie des racines du canola, comme le charbon et la sclérotiniose.


[32]            En 1998, les défendeurs ont planté des graines de canola dans la totalité ou une partie de chacun des huit quarts de section (contenant neuf champs), tous situés dans la municipalité rurale de Bayne no 371, soit un total de 1 030 acres de canola. Cette plantation aurait été faite à partir des graines que le défendeur avait gardées de sa récolte de 1997, de son champ no 2. En 1997, six des champs ensemencés en 1998, c'est-à-dire les autres champs que ceux qui ont été identifiés à l'instruction comme étant les champs nos 4, 7 et 9, ont servi en totalité ou en partie à la culture du canola, soit un total de 780 acres de canola. Pour ses semences en 1997, le défendeur a utilisé des graines qu'il aurait gardées de sa récolte de 1996, du champ no 1, lorsqu'un total de 370 acres de canola ont été plantés dans la totalité ou une partie des champs nos 1, 4, 6 et 7.

[33]            Lors de la campagne agricole de 1996, qui serait à l'origine de la récolte de 1997 d'où M. Schmeiser a tiré ses semences pour 1998, cinq autres producteurs de la municipalité rurale de Bayne no 371 ont cultivé du canola Roundup Ready. Selon le témoignage d'Aaron Mitchell, directeur de la biotechnologie, département recherche et développement de Monsanto, à Saskatoon, c'est à cinq milles environ du champ no 2 des défendeurs, dont des graines ont été conservées en 1997, qu'était situé le champ le plus rapproché des producteurs ayant obtenu une licence leur permettant de cultiver le canola Roundup Ready en 1996.

[34]            Je souligne qu'en 1996, l'un des producteurs titulaires d'une licence, M. Huber, un voisin de M. Schmeiser, a planté des graines, après avoir obtenu une licence de Monsanto, sur un quart de section situé au nord-ouest du champ no 6 de M. Schmeiser et contigu à ce champ. L'ouvrier agricole de M. Schmeiser, Carlysle Moritz, a déclaré à l'instruction qu'à la fin de la campagne agricole de 1996, une bonne partie des résidus du canola fauché sur les terres de M. Huber avait été poussée par le vent jusqu'au champ no 6. Rien dans la preuve n'indiquait que les graines récoltées dans le champ no 6 de Schmeiser avaient été conservées en 1996 pour être utilisées comme semences pour la culture de 1997.


[35]            D'après le témoignage de M. Mitchell pour Monsanto, une fois les campagnes agricoles de 1996 et 1997 terminées, les produits des récoltes ont été recueillis auprès des producteurs titulaires de licence par des transporteurs routiers qui ont utilisé des camions recouverts de bâches solidement attachées pour livrer le canola à des usines de trituration. Dans le cas des récoltes de la région de Bruno, les usines de trituration étaient situées à Nipawin ou Clavet.

Tests effectués sur le canola de M. Schmeiser

[36]            Malgré les incohérences dans les souvenirs qu'ont gardés d'une part, les témoins des demanderesses et d'autre part, ceux des défendeurs, on peut donner un aperçu général de la chronologie des événements qui ont mené à la présente action.

[37]            Au cours de l'été 1997, les demanderesses ont entrepris, par l'intermédiaire de Robinson Investigations, une agence de détectives privés de Saskatoon, des vérifications au hasard des cultures de canola en Saskatchewan. Monsanto a choisi à cette fin les fermes de certains de ses producteurs titulaires de licence; elle a aussi fait ses choix en s'appuyant sur des indices ou des informations qui permettaient de croire que des semences Roundup Ready étaient peut-être utilisées sur les terres d'un producteur non titulaire d'une licence, ou sur des inspections effectuées au hasard pour vérifier une zone d'agriculture. La ferme des défendeurs a été incluse dans ce processus de vérification après une dénonciation anonyme indiquant que Schmeiser, qui n'était pas titulaire d'une licence, cultivait du canola Roundup Ready sur ses terres.


[38]            Comme nous l'avons déjà souligné, M. Schmeiser a déclaré qu'il avait planté pour sa culture de canola en 1997 les graines qu'il avaient gardées de la récolte de 1996 et qui, selon lui, provenaient principalement du champ no 1. M. Schmeiser a constaté pour la première fois l'existence de canola résistant au Roundup dans sa récolte de 1997, lorsque lui-même et son ouvrier agricole, Carlysle Moritz, ont vaporisé du Roundup autour des pylônes et dans les fossés le long du chemin bordant les champs nos 1, 2, 3 et 4. Ces champs sont contigus les uns aux autres et sont situés du côté est de la principale route de section pavée qui, à partir de ces champs, mène au sud à Bruno. Cet arrosage faisait partie des pratiques culturales régulières des défendeurs pour tuer les mauvaises herbes et les repousses spontanées autour des pylônes et dans les fossés. Plusieurs jours après l'arrosage, M. Schmeiser a constaté qu'une bonne partie des plants arrosés auparavant à la main avaient survécu à l'arrosage avec l'herbicide Roundup.


[39]            Afin de déterminer pourquoi les plants avaient survécu à l'arrosage d'herbicide, M. Schmeiser a effectué un test dans le champ no 2. Utilisant son pulvérisateur, il a arrosé avec l'herbicide Roundup une bande de ce champ longeant la route. Il est passé à deux reprises avec son pulvérisateur qui était réglé pour pulvériser l'herbicide à une distance de 40 pieds; la première fois, il a contourné les pylônes et, la deuxième fois, il a arrosé une autre bande contiguë à la première et parallèle aux pylônes. Il a dit qu'il avait ainsi arrosé de trois à quatre acres en tout, ou [Traduction] « un bon trois acres » . Après quelques jours, environ 60 % des plants arrosés avaient survécu et continuaient de pousser. M. Schmeiser a déclaré que ces plants poussaient en touffes qui étaient plus épaisses près de la route et commençaient à s'éclaircir au fur et à mesure que l'on avançait dans le champ.

[40]            Malgré cela, M. Schmeiser a continué de cultiver le champ no 2 et, au moment de la récolte, Carlysle Moritz a, sur les instructions de M. Schmeiser, fauché et moissonné le champ no 2. Il a inclus le canola qu'il avait fauché près de la route dans le premier chargement de graines dans la moissonneuse et l'a vidé dans un vieux camion Ford se trouvant dans le champ. Ce camion était recouvert d'une bâche et il a plus tard été remorqué jusqu'à l'une des dépendances de M. Schmeiser à Bruno. Au printemps 1998, M. Schmeiser a pris les graines qui se trouvaient dans le vieux camion Ford pour les emporter dans un autre camion à la minoterie Humboldt Flour Mills (HFM). M. Schmeiser a déclaré que les graines traitées ont alors été mélangées avec des graines tout-venant et des fertilisants, et qu'il les a ensuite utilisées pour sa culture de canola en 1998.

Échantillons de Derbyshire, récolte de 1997


[41]            Avant que la récolte ne soit rentrée en 1997, M. Wayne Derbyshire, qui travaillait pour Robinson Investigations et qui avait tenté sans succès de parler à M. Schmeiser à son garage et à son domicile, a prélevé le 18 août 1997 des échantillons des siliques de canola du côté ouest du champ no 2, près de la réserve routière, et des côtés sud et est, le long de la réserve routière bordant le champ no 5. Il a déclaré qu'il n'avait pas pénétré sur les terres de Schmeiser, prélevant ses échantillons sur les plants qui avaient été apparemment semés, comme M. Schmeiser et de nombreux autres fermiers le font, dans la réserve routière longeant ces champs. M. Derbyshire a placé dans des sacs différents les échantillons de siliques prélevés sur trois ou quatre plants, inscrivant sur les sacs le nom de M. Schmeiser, la date, son propre numéro de dossier et le numéro de l'échantillon. M. Derbyshire a décrit l'endroit où il avait prélevé les échantillons dans un document daté du 21 août 1997 qu'il a fait parvenir par messager à Robinson Investigations à Saskatoon, le 27 août. M. Derbyshire a gardé les échantillons dans des sacs scellés dans sa voiture jusqu'à ce qu'il termine son travail dans la région de Bruno le 19 août. Par la suite, il est retourné chez lui à Regina après avoir effectué une autre vérification des récoltes à l'aide d'échantillons prélevés près de North Battleford. À Regina, M. Derbyshire a conservé dans son congélateur les échantillons qu'il avait prélevés en bordure des champs de M. Schmeiser jusqu'à ce qu'il les envoie à Saskatoon.


[42]            Après avoir reçu ces échantillons, M. Mike Robinson, président de Robinson Investigations, les a fait parvenir le 2 septembre 1997 à Aaron Mitchell, qui a été reconnu à l'instruction comme expert de la lutte contre les mauvaises herbes et expert en agronomie, notamment en ce qui concerne l'utilisation de Roundup et le canola. M. Mitchell a fait sécher à l'air les échantillons, a retiré les graines des siliques et a placé les graines dans des enveloppes scellées. À l'automne 1997, il a fait parvenir ces enveloppes au directeur du Phytothron au département de phytotechnie à l'Université de la Saskatchewan. Quatre graines ont été retirées de chacun des échantillons et ont été plantées pour effectuer un test de croissance. Le reste des échantillons de graines ont été retournés à M. Mitchell qui les a conservés jusqu'à ce qu'ils soient remis à M. Keith Downey, le 24 janvier 2000, pour qu'il effectue un autre test de croissance des échantillons prélevés originalement en 1997.

[43]            À l'Université de la Saskatchewan en 1997, quatre graines de chacun des échantillons ont été plantées et deux, trois ou quatre des graines ont germé pour chacun des échantillons. Lorsque les étapes 2 ou 3 du stade foliaire ont été atteintes, les plants ont été arrosés avec l'herbicide Roundup. Plus de trois semaines plus tard, tous les plants obtenus de cinq de ces échantillons avaient survécu à l'arrosage. L'un des échantillons prélevés en bordure du champ no 5, dont une seule graine avait germé, ne contenait aucun plant tolérant le Roundup. M. Mitchell croit que cela démontrait que du canola Roundup Ready poussait dans les champs de M. Schmeiser.


[44]            Au début de l'an 2000, M. Downey a pris des dispositions pour faire un test de croissance à partir de l'échantillon que lui avait fourni M. Mitchell et qui contenait des graines de l'échantillon de 1997. M. Schmeiser et son avocat ont été invités à assister au début du test. Les témoignages de MM. Downey et Schmeiser différaient quant à la présence de graines de gaillet parmi les graines de l'échantillon fourni. Toutes les graines de l'échantillon remis à M. Downey ont été plantées. Environ 50 % des graines utilisées dans le test de croissance ont germé. Tous les plants obtenus à partir des graines qui ont germé ont survécu à un arrosage avec l'herbicide Roundup, ce qui démontrait qu'ils toléraient le glyphosate. Cela a amené M. Downey à conclure que les graines qui lui avaient été fournies à partir de l'échantillon prélevé en 1997 sur les plants qui poussaient le long des réserves routières des champs nos 2 et 5 démontraient que les plants de canola qui y poussaient n'étaient pas le résultat de la pollinisation dans ces champs ni du croisement entre des plants tolérant le glyphosate et d'autres y étant sensibles. À son avis, le pourcentage élevé de plants tolérant le glyphosate, parmi ceux qui avaient germé, indiquait plutôt qu'il s'agissait de graines de canola Roundup Ready.

[45]            Par suite des tests effectués en 1997 sur les échantillons de canola de Schmeiser, M. Robinson, sur les directives de Monsanto, s'est présenté en mars 1998 chez M. Schmeiser à Bruno et l'a informé qu'on croyait qu'il avait cultivé du canola Roundup Ready au cours de l'été précédent. M. Robinson a déclaré avoir dit à M. Schmeiser qu'il représentait Monsanto et que des échantillons avaient été prélevés l'été précédent. M. Schmeiser nie qu'on lui ait tenu ces propres. Sa version de la conversation diffère de celle de M. Robinson, mais le litige ne porte pas sur ce point. Le témoin a avisé Schmeiser que Monsanto croyait qu'il avait cultivé son produit sans être titulaire d'une licence. M. Schmeiser a prétendu que M. Robinson avait refusé de permettre que leur conversation soit enregistrée, prétention que Robinson nie. Enfin, M. Schmeiser affirme qu'il ne s'est pas vraiment préoccupé de ce qu'avait dit M. Robinson.

Échantillons provenant de la minoterie Humboldt Flour Mills


[46]            Plus tard au cours du printemps 1998, les représentants de Monsanto ont appris que les défendeurs avaient fait traiter des graines à la HFM qui en avait gardé des échantillons pour ses propres fins. Ils ont demandé à la HFM un échantillon des graines de M. Schmeiser. Ce dernier n'avait pas eu recours auparavant aux services de la HFM et il ignorait qu'elle prélevait régulièrement des échantillons dans les graines remises par les fermiers. Comme elle l'a fait pour tous les autres fermiers dont elle a traité les graines, la HFM a prélevé des échantillons dans les graines apportées par les défendeurs ainsi que dans les graines traitées avant qu'elles ne soient remises à Schmeiser. La HFM a fourni une portion des deux catégories d'échantillons à Monsanto sans en informer M. Schmeiser.

[47]            Pour ce qui est des échantillons qu'elle a prélevés en avril 1998, la HFM a gardé en sa possession les graines qui n'avaient pas été remises à un représentant de Monsanto et les a données à l'entreprise qui lui a succédé lorsque le contrôle de l'entreprise a été repris par la Saskatchewan Wheat Pool. Lorsque les échantillons lui ont été remis en avril 1998, le représentant de Monsanto, M. Robert Chomyn, les a fait parvenir à M. Aaron Mitchell le 28 avril 1998. Mitchell a ensuite divisé les échantillons. Il en a envoyé la moitié, le 18 janvier 1999, à M. Leon Perehudoff de Prairie Plant Systems, pour que d'autres tests de croissance soient faits. À la suite de ces tests, des échantillons foliaires ont été envoyés à Mme Doris Dixon de Monsanto US pour qu'elle fasse des tests génétiques en mars 1999. M. Mitchell a ensuite envoyé l'autre moitié des échantillons qu'il avait en sa possession à l'avocat de Schmeiser, le 23 avril 1999. L'avocat a ensuite fait parvenir ces échantillons à M. Lyle Freisen de l'Université du Manitoba, le 26 août 1999, afin qu'il effectue des tests de croissance pour les défendeurs.


Échantillons prélevés en juillet 1998

[48]            À la fin du mois de juillet 1998, M. E. L. Shwydiuk, un représentant de Robinson Investigations, agissant pour Monsanto, a prélevé au hasard des échantillons foliaires de divers plants de canola poussant sur les réserves routières près de la limite de chacun des neuf champs de Schmeiser. M. Shwydiuk a soumis ces échantillons à un « test rapide » , mis au point et utilisé par Monsanto pour détecter la présence d'une protéine se trouvant dans le canola Roundup Ready par suite de l'insertion du gène ou de la cellule breveté. Les tests ont été positifs pour chacun des échantillons provenant de tous les champs, ce qui indiquait la présence de la protéine témoin. Les échantillons ont été envoyés à Robinson Investigations en septembre et ensuite, à Mme Dixon de Monsanto US à St. Louis, aux fins d'une analyse moléculaire. Les tests effectués par Monsanto ont démontré la présence du gène breveté dans tous les échantillons.

Échantillons prélevés par suite d'une ordonnance judiciaire en août 1998

[49]            Le 30 juillet 1998, un représentant de Monsanto a demandé à M. Schmeiser l'autorisation d'entrer dans ses champs pour y prélever des échantillons des plants de canola. M. Schmeiser a refusé.


[50]            À la suite de cette tentative infructueuse d'obtenir d'autres échantillons, Monsanto a obtenu une ordonnance judiciaire autorisant ses représentants à prélever des échantillons des cultures des défendeurs. M. Schmeiser a consenti à l'ordonnance à la condition de pouvoir assister au prélèvement des échantillons. Même si l'ordonnance ne précisait pas qu'il fallait donner la possibilité au défendeur d'être présent, l'avocat des demanderesses a néanmoins donné par lettre à l'avocat des défendeurs un préavis d'un jour de l'intention des représentants des demanderesses de prélever des échantillons et ce, afin de permettre aux défendeurs de prendre des mesures pour assister à cette opération.

[51]            Le 13 août 1998, MM. Don Todd et James Vancha, représentant Robinson Investigations et Monsanto respectivement, sont arrivés à la ferme des défendeurs pour prélever des échantillons en vertu de l'ordonnance judiciaire. Apparemment, les défendeurs n'avaient reçu aucun préavis de leur arrivée. Mme Schmeiser, qui les a reçus à la maison, leur a indiqué le champ où travaillait son mari. Les représentants ont ensuite rencontré ce dernier dans l'un de ses champs. Les souvenirs qu'ont gardés MM. Todd et Vancha de ce qui s'est alors passé diffèrent de ceux de M. Schmeiser. Les représentants ont déclaré que M. Schmeiser avait refusé de les accompagner pendant qu'ils prélevaient les échantillons alors que M. Schmeiser a pour sa part affirmé que MM. Todd et Vancha ne voulaient pas lui permettre de les accompagner. En fin de compte, des échantillons ont été prélevés dans les neuf champs des défendeurs, trois échantillons dans chaque champ, tout cela en l'absence de M. Schmeiser.


[52]            Après avoir terminé le prélèvement des échantillons, MM. Todd et Vancha ont rencontré de nouveau M. Schmeiser dans l'un de ses champs et lui ont remis une série de 27 sacs étiquetés contenant des échantillons de siliques, ce qui aurait représenté la moitié du total des échantillons prélevés à chaque endroit, l'autre moitié étant gardée pour Monsanto. Au fur et à mesure que chacun des échantillons était prélevé, une moitié était placée dans un sac destiné à M. Schmeiser et l'autre moitié dans un sac destiné à Monsanto.

[53]            M. Vancha a divisé les échantillons prélevés en 1998 et destinés à Monsanto afin d'en fournir deux échantillons distincts à M. Aaron Mitchell. Le premier échantillon a été remis le 8 septembre 1998 à Mitchell qui l'a fait parvenir à Mme Dixon de Monsanto US aux fins d'une analyse génétique. Le deuxième échantillon, gardé à l'origine par M. Vancha, a été remis à M. Mitchell le 14 janvier 1999. Ce dernier a utilisé cette moitié pour effectuer un test de croissance et pour remettre un échantillon à M. Leon Perehudoff de Prairie Plant Systems le 19 janvier 1999, qui a lui aussi effectué un test de croissance. Une fois ce test fait par M. Perehudoff, le tissu des 30 plants survivants a été remis à Mme Dixon de Monsanto US à St. Louis pour qu'elle effectue d'autres tests génétiques. Les résultats de ces tests montrent la présence du gène breveté dans 95 à 98 % des échantillons de canola.

[54]            M. Schmeiser a gardé dans la pièce où il stockait des légumes au sous-sol de sa maison les échantillons qu'il avait reçus en août de M. Vancha après le prélèvement d'échantillons le 13 août 1998. En juillet 1999, il a effectué son propre test de croissance de graines prises dans l'échantillon et il a fait parvenir le reste de l'échantillon à son avocat en août 1999 pour qu'il l'envoie à M. Freisen à l'Université du Manitoba afin qu'il fasse lui aussi des tests.


[55]            En 1999, M. Schmeiser a appris que la HFM avait gardé des échantillons de ses graines. Les défendeurs ont obtenu une partie de ces échantillons le 9 juillet 1999, et M. Schmeiser a gardé certains des échantillons pour ses propres tests et a remis le reste à l'avocat des défendeurs en août 1999 afin qu'il les fasse parvenir à M. Freisen pour qu'il effectue des tests.

[56]            En juillet 1999, M. Schmeiser a fait ses propres tests en utilisant une partie des graines contenues dans les échantillons fournis par MM. Todd et Vancha et dans ceux obtenus de la HFM. Après avoir terminé ses propres tests, M. Schmeiser a constaté que, des sept rangées de canola qu'il avait plantées pour le test, l'échantillon des graines non traitées produites en 1997 qu'il avait obtenu de la minoterie indiquait qu'environ 40 à 50 % des plants qui avaient germé avaient survécu après avoir été arrosés de Roundup, à l'exception d'une rangée où 104 des 105 plants qui avaient germé étaient morts. Le taux de survie des plants obtenus avec l'échantillon des graines traitées par la HFM était d'environ 32 %.

[57]            Le reste des échantillons entreposés provenant de la récolte de 1998 et que M. Vancha lui avait auparavant fournis ont été remis à l'avocat des défendeurs qui les a fait parvenir à M. Freisen à l'Université du Manitoba, le 26 août 1999, avec le reste des échantillons remis M. Schmeiser par la HFM, afin que des tests de croissance contrôlée soient effectués.


[58]            M. Freisen a obtenu d'autres échantillons des graines de la récolte de 1997 de M. Schmeiser en s'adressant directement à la Saskatchewan Wheat Pool (qui avait remplacé l'ancienne HFM) en avril 2000 afin de terminer les tests de croissance pour la préparation des témoignages d'experts à l'instruction. Après avoir testé tous les échantillons que lui avaient remis les défendeurs et la HFM, M. Freisen a obtenu divers résultats allant de 0 à 98 % des plants de canola tolérant le Roundup. À l'instruction, il a déclaré que, même s'il pouvait déterminer un pourcentage moyen de canola tolérant le glyphosate dans le cas des 17 échantillons qu'il avait testés, cela ne servait pas à grand-chose de le faire en raison des différences importantes du niveau de tolérance au Roundup qu'il avait constatées. Son témoignage indiquait que, dans le cas des graines qui provenaient des échantillons prélevés par la HFM, avant et après le traitement, tant celles fournies par les défendeurs et que M. Schmeiser avait obtenues en 1999 que celles reçues directement de la Saskatchewan Wheat Pool à Humboldt en avril 2000, le taux de survie des plants germés après un arrosage avec le Roundup était de 95 à 98 %. Cela démontre la présence de canola Roundup Ready. Cet élément de preuve étaye la prétention des demanderesses.


[59]            Comme nous l'avons déjà souligné, les défendeurs n'ont pas acheté de semences de canola de 1993 à 1999. En 1999, la présente action ayant été intentée, les défendeurs, sur le conseil de leur avocat, ont détruit toutes les semences de canola qu'ils possédaient des récoltes précédentes et ont acheté pour leur culture de canola en 1999 de nouvelles semences dont la source ne serait pas contestée. Toutefois, on a affirmé que des repousses spontanées du canola Roundup Ready ont été trouvées dans les champs de canola cultivés en 1999 par les défendeurs.

Les questions en litige

[60]            Les questions que soulèvent la présente action concernent :

-            l'admissibilité en preuve des tests effectués sur les échantillons de canola de Schmeiser,

-            la validité du brevet des demanderesses,

-            la possibilité que les demanderesses aient renoncé aux droits conférés par le brevet,

-            la contrefaçon du brevet,

-            les réparations applicables en cas de contrefaçon,

-            les dépens.

[61]            Ces questions sont abordées dans cet ordre, sauf les dépens, à propos desquels les deux parties ont demandé la possibilité de présenter des observations après le dépôt des présents motifs.

Admissibilité en preuve des tests effectués sur les échantillons


[62]            Les défendeurs soutiennent que la plupart des tests effectués sur les divers échantillons ne devraient pas être admis ou examinés par la Cour, et ce, pour plusieurs raisons. Ils formulent cette observation en dépit du fait qu'ils reconnaissent qu'en common law, la preuve pertinente est généralement admissible, peu importe la manière dont elle a été obtenue.

[63]            Les défendeurs font valoir que les tests exécutés à partir d'échantillons prélevés en août 1998 par MM. Todd et Vancha, agissant dans le cadre d'une ordonnance de la Cour, devraient être écartés de la preuve parce que, au moment où l'ordonnance a été autorisée, l'avocat des demanderesses s'était engagé à aviser l'avocat des défendeurs un jour avant le jour prévu pour le prélèvement des échantillons et qu'il ne l'a pas fait. Ils ajoutent que cette ordonnance s'apparente à une ordonnance Anton Piller, qu'elle est aussi attentatoire, et que, dans les cas où de telles ordonnances donnent lieu à la saisie d'éléments matériels, les tribunaux insistent sur le respect scrupuleux de l'équité procédurale.

[64]            À mon avis, cette analogie ne convient pas. Dans le cas qui nous occupe, l'ordonnance en question, prononcée par monsieur le protonotaire adjoint Giles de la Cour, a été rendue sur consentement des défendeurs. Elle n'a pas été prise ex parte et sans avis, comme c'est normalement le cas pour une ordonnance Anton Piller. En l'espèce, M. Schmeiser a été informé de la requête des demanderesses et de l'ordonnance, et il y avait consenti. En outre, l'ordonnance visait uniquement l'obtention d'échantillons d'une culture importante et non la saisie de toute la culture soupçonnée de contrefaire les intérêts des demanderesses, ce qui est habituellement l'objectif de l'ordonnance Anton Piller.


[65]            Il est malheureux qu'un engagement pris par l'avocat des demanderesses n'ait pas été respecté, si c'est bien le cas et quelle qu'en soit l'explication, s'il y en a une. Mais, lorsqu'une ordonnance prévoyant le prélèvement d'échantillons est prononcée sur consentement et qu'elle ne contient aucune mention d'un avis supplémentaire à donner avant de procéder au prélèvement des échantillons ni du droit des défendeurs d'assister au prélèvement des échantillons ou d'y être représentés, il n'y a pas de violation de l'ordonnance de la Cour. M. Schmeiser se trouvait sur sa ferme avant et après le prélèvement des échantillons et les deux fois MM. Todd et Vancha lui ont parlé. Ils ont affirmé qu'il avait refusé de les accompagner pendant qu'ils prélevaient les échantillons, prétextant qu'il avait mal à une jambe qu'il s'était, semble-t-il, blessée récemment. Si on a refusé à M. Schmeiser la possibilité d'accompagner les échantillonneurs, comme il le prétend, il est surprenant qu'il ne se soit pas ensuite opposé, devant la Cour, au prélèvement des échantillons fait par MM. Todd et Vancha et que personne, à l'instruction, n'ait fait état d'une objection qui aurait pu être adressée à l'avocat des demanderesses après le prélèvement des échantillons.

[66]            Je conclus que les échantillons prélevés aux termes de l'ordonnance judiciaire d'août 1998 ont été obtenus d'une manière régulière. Les tests effectués à partir de ces échantillons constituent une preuve pertinente quant aux questions dont la Cour est saisie et sont admissibles.


[67]            Quant aux échantillons prélevés en 1997 par M. Derbyshire, dans les réserves routières des champs nos 2 et 5, et aux échantillons que les demanderesses ont obtenus de la HFM, les défendeurs prétendent qu'il s'agit d'échantillons de leurs produits, prélevés sur leur bien sans qu'ils en soient informés ou qu'ils aient donné leur autorisation. On pourrait dire la même chose des neuf échantillons foliaires prélevés le 30 juillet 1998 par M. Shwydiuk, de l'agence Robinson, dans les droits de passage publics ou les réserves routières bordant les neuf champs où poussait le canola de M. Schmeiser. Dans tous ces cas, on prétend que le prélèvement d'échantillons serait illégal et constituerait une appropriation du bien des défendeurs effectuée sans permission. Même si les échantillons ont été prélevés sur les droits de passage publics, les défendeurs soutiennent que les plantes leur appartenaient quand même. La propriété des échantillons prélevés par MM. Derbyshire et Shwydiuk, et celle des échantillons fournis par la HFM, qui provenaient de Schmeiser et qu'au départ elle avait conservés pour ses propres besoins, aurait été transmise à la personne morale défenderesse et les résultats des tests effectués à partir de ces échantillons devraient être écartés de la preuve si le principe établi au paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés doit s'appliquer dans ce litige civil opposant les parties. C'est ce que plaident les défendeurs.

[68]            L'article 24 de la Charte prévoit ce qui suit :



     24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24. (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.               (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice

(2) Where, in proceedings under subsection (1), a court concludes that evidence was obtained in a manner that infringed or denied any rights or freedoms guaranteed by this Charter, the evidence shall be excluded if it is established that, having regard to all the circumstances, the admission of it in the proceedings would bring the administration of justice into disrepute.


[69]                       À mon avis, l'article 24 de la Charte ne s'applique pas en l'espèce. D'après moi, le paragraphe 24(2) permet d'écarter les éléments de preuve obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte dans une instance engagée aux termes du paragraphe 24(1) afin d'obtenir une réparation en cas de violation ou de négation des droits qui sont garantis par la Charte. En l'espèce, il ne s'agit pas d'une telle instance; ce n'est pas le genre d'instance qu'envisage le paragraphe 24(1). Il ne s'agit pas d'une instance à laquelle un organisme gouvernemental est partie ou dans laquelle un tel organisme joue un rôle quelconque.


[70]            Il semble clair que la Charte ne s'applique pas aux litiges qui opposent des parties privées et auxquels aucun organisme gouvernemental n'est partie. (Voir l'arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, aux pages 593 à 604, 33 D.L.R. (4th) 174; Mascouche (Ville) c. Houle et al. (1999), 179 D.L.R. (4th) 90 (C.A.Qué.)). De plus, à mon avis, en l'espèce, il n'y a pas lieu pour la Cour d'entreprendre de faire évoluer les principes de common law pour les rendre conformes au principe exprimé au paragraphe 24(2) de la Charte afin d'écarter des éléments de preuve dans certaines circonstances. Même lorsque la Charte est manifestement applicable, dans des instances criminelles où l'intervention de l'État peut directement porter atteinte aux droits et libertés d'une personne, la décision d'écarter des éléments de preuve conformément au paragraphe 24(2) ne serait prise qu'à la lumière de la décision prononcée par la Cour suprême du Canada dans R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265. Des divers facteurs signalés dans cet arrêt, il se dégage qu'en dernier ressort, en examinant l'admissibilité d'éléments de preuve illégalement ou irrégulièrement obtenus, la Cour doit se demander si l'utilisation de ces éléments de preuve est vraisemblablement susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

[71]            Après avoir examiné la présente affaire en fonction des facteurs exposés dans l'arrêt Collins, j'en arrive à considérer que, même s'il était possible d'affirmer que la preuve qui se dégage des tests avait été irrégulièrement obtenue par une appropriation du bien des défendeurs sans leur consentement, une question sur laquelle je ne me prononcerai pas, des recours civils s'offrent à M. Schmeiser pour régler cette question. La preuve, c.-à-d. les échantillons prélevés sur les récoltes de canola de 1997 et de 1998 de Schmeiser, résulte de conditions qui sont indépendantes de la présente action et qui existaient avant même que l'action ne soit engagée. Cette preuve est pertinente quant à la cause de la demanderesse. Il était impossible de l'obtenir autrement. Sa production n'est pas préjudiciable à la cause des défendeurs.


[72]            À mon avis, les tests effectués sur tous les échantillons prélevés sur les récoltes de canola de 1997 et 1998 de la personne morale défenderesse constituent une preuve admissible. Cette preuve est nettement pertinente par rapport au litige. Elle n'a pas été obtenue illégalement. Je conclus que son utilisation n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

[73]            Les défendeurs font valoir que cette preuve, si elle est admise, ne devrait pas être prise en compte parce que sa fiabilité est contestable étant donné que la Cour ne peut être certaine de l'intégrité des échantillons. La valeur des tests effectués par M. Mitchell sur les échantillons de 1997 serait limitée. Rien n'explique la différence de taille ou de nature entre l'échantillon original de siliques remis à M. Mitchell en septembre 1997 et les graines, le reste de l'échantillon de 1997, que M. Mitchell a remises à M. Downey pour un autre test de croissance au début de l'année 2000. Les échantillons que les demanderesses ont obtenus de la HFM et ceux que son successeur, la Saskatchewan Wheat Pool, a remis à MM. Schmeiser et Freisen, tous deux des échantillons de graines non traitées reçues de M. Schmeiser et de graines traitées devant lui être retournées, sont décrits comme étant composées des graines de canola nettoyées. Selon le témoignage de M. Schmeiser, il aurait livré des graines « tout-venant » qui se trouvaient dans un vieux camion Ford et qui n'avaient pas été déchargées par M. Moritz lorsqu'il avait fait la récolte du champ no 2 en 1997. Les graines provenant des plants fauchés et passés à la moissonneuse-batteuse de Schmeiser devraient contenir plus de paillettes que les graines dites « nettoyées » .


[74]            En ce qui concerne les échantillons de la HFM, j'accepte le témoignage de M. Pattenfoot, ancien directeur de la minoterie de la HFM à Humboldt à l'époque où M. Schmeiser a apporté les graines pour les faire traiter au printemps de 1998, et celui de MM. Hoffman et Murray, tous deux de la Saskatchewan Wheat Pool, l'organisme qui a repris les opérations de la HFM en 1998. Leurs témoignages confondus portent que chaque échantillon donné à Monsanto en 1998, chaque échantillon remis à M. Schmeiser en 1999, et chaque échantillon qui a, par la suite, été envoyé en 2000 à M. Freisen à l'Université du Manitoba conformément aux directives de l'avocat de Schmeiser provenait d'un [TRADUCTION] « échantillon du chargement » de graines livrées à la HFM et d'un échantillon des graines traitées, avant leur livraison à M. Schmeiser.

[75]            Les défendeurs allèguent aussi que les méthodes de prélèvement des échantillons n'étaient pas conçues pour étayer des tests de croissance scientifiques susceptibles d'être acceptés comme indicateurs de la mesure dans laquelle le canola produit par les défendeurs en 1998 ou en 1997 étant tolérant au Roundup. En outre, ces prélèvements ont été faits par les enquêteurs de l'agence Robinson qui, bien qu'ayant des antécédents policiers et de l'expérience, sont dépourvus de compétences scientifiques reconnues; l'intégrité des échantillons, une fois prélevés, serait, soutient-on, contestable dans certains cas.


[76]            Ces sujets d'inquiétude exigent que la Cour se montre particulièrement prudente en appréciant la preuve tirée de ces tests, mais j'estime qu'en l'espèce, rien ne justifie d'écarter toute la preuve qui en provient, surtout si plus d'un ou de deux tests pointent vers les mêmes conclusions. J'examinerai les conclusions de fait qui, à mon avis, peuvent être tirées de la preuve des divers tests lorsque j'aborderai la question de la contrefaçon, après avoir examiné l'argumentation concernant la validité du brevet des demanderesses et la question de la perte des droits conférés par le brevet ou de la renonciation à ceux-ci par les demanderesses.

Validité du brevet des demanderesses

[77]            Les défendeurs remettent en question la validité du brevet des demanderesses parce que l'objet du brevet ne serait pas brevetable. En outre, ils avancent que l'adoption de la Loi sur la protection des obtentions végétales, L.C. 1990, ch. 20 (la LPOV) montre clairement que l'intention du Parlement était de faire en sorte [TRADUCTION] « que les droits de propriété intellectuelle sur les obtentions végétales soient régis par une autre loi que la Loi sur les brevets et seulement dans la mesure permise par l'ancienne Loi » . La LPOV préserve le droit d'un agriculteur de conserver et de réutiliser des semences. Monsanto ne nie pas qu'elle recherche la protection de la Loi sur les brevets pour ses droits de propriété intellectuelle, pour promouvoir ses intérêts financiers, y compris celui d'interdire, au moyen d'accords de licence, la conservation de la semence utilisée par les agriculteurs licenciés pour produire du canola Roundup Ready.


[78]            Enfin, les défendeurs affirment que le gène pour lequel Monsanto revendique la protection a été inséré dans de nombreuses variétés différentes de canola enregistrées et que chaque plante est potentiellement différente des autres. Dans le cas d'au moins une variété précise, il est impossible de distinguer à l'oeil nu les plantes qui ont le gène de celles qui ne l'ont pas, sauf si elles sont toutes deux traitées par pulvérisation avec de l'herbicide Roundup. En outre, la reproduction du gène n'est pas attribuable à l'intervention humaine, mais à des moyens naturels et elle ne peut être ni contenue ni circonscrite. Ainsi, il est allégué qu'il ne s'agit pas d'un objet valable pour un brevet et que le brevet devrait donc être déclaré invalide.

[79]            Les défendeurs renvoient au Recueil des pratiques du Bureau des brevets où il est indiqué que le Bureau considère comme non brevetable « [t]oute matière visant un procédé de production d'une nouvelle souche ou variété génétique, de plantes ou d'animaux, ou le produit qui en découle [...] » (directive 12.03.01(a)). Ce renvoi est repris par le juge Lamer, plus tard Juge en chef, se prononçant pour la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pioneer Hi-Bred c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, à la page 1627, lorsqu'il fait état de la décision de l'examinateur du Bureau des brevets. Or, le Recueil des pratiques du Bureau des brevets de mars 1998 ne contient plus cet énoncé sous ce numéro de directive. Il n'en reste pas moins que, même s'il s'y trouvait, il y a lieu de garder à l'esprit l'objet du Recueil qui est clairement posé dans le préambule.

Ce Recueil n'est qu'un guide et ne doit pas être cité comme autorité. Cette autorité doit être fondée sur la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets et leurs interprétations telles que rapportées dans les jugements des tribunaux.


[80]            La LPOV visait à créer une nouvelle forme de droit de propriété intellectuelle dans les obtentions végétales, selon la définition qui en est donnée, pour les obtenteurs inscrits. Ces droits sont d'une portée plus limitée que les droits du titulaire d'un brevet enregistré, mais ils s'appliquent à des variétés végétales nouvellement inscrites qui résultent d'une sélection, même si le résultat ou le procédé menant au résultat n'est pas brevetable. Rien dans la LPOV n'empêche un inventeur de demander l'enregistrement aux termes de la Loi sur les brevets. En 1989, au cours des travaux du comité parlementaire chargé d'examiner le projet de loi C-15 (qui est devenu la LPOV), le ministre de l'Agriculture de l'époque a fait, entre autres, les observations suivantes :

[...]le projet de loi C-15 permettra aux obtenteurs de tirer des redevances raisonnables de variétés qu'ils auront mis [sic] au point, ce qui favorisera un accroissement des investissements, tant du secteur privé que du secteur public.

[...]

[...] le projet de loi C-15 [...] prévoit certains droits pour les obtenteurs et en définit les modalités d'application; de plus il définit certaines restrictions qui s'appliqueront à ces droits pour mieux protéger l'intérêt public. La mesure est conçue en fonction de la complexité de toute cette question, et c'est ce qui explique pourquoi nous avons préféré cette solution plutôt que de modifier la Loi sur les brevets.

               [...]

[...] Il ne s'agit pas là de brevets. Il s'agit de la protection des obtentions végétales. [...] Le projet de loi sur les brevets sera plus général que ce que nous avons ici [...]


[81]            À mon avis, la LPOV ne visait pas à empêcher l'enregistrement, en vertu de la Loi sur les brevets, d'inventions qui portent sur les plantes et qui sont susceptibles de conduire à de nouvelles variétés ou à de nouvelles caractéristiques végétales, et son libellé ne le prévoit pas. Les demanderesses ont signalé l'existence d'un litige semblable soulevé dans le cadre de lois américaines de même nature générale, qui a été réglé d'une manière analogue. La Cour saisie a alors conclu que, dans ce pays, la loi sur les brevets et la loi sur la protection des obtentions végétales ne sont pas incompatibles. (Voir l'arrêt Pioneer Hi-Bred International Inc. v. J.E.M. Ag Supply Inc. (2000), 53 USPQ (2d) 1440 (C.A.É.U., C. Féd.)).

[82]            D'après moi, la possibilité que les demanderesses aient inséré le gène breveté dans un certain nombre de variétés de canola, toutes différentes les unes des autres, n'a pas pour effet de rendre l'objet du brevet non brevetable. Le brevet n'est pas accordé relativement à une revendication applicable à une variété particulière de canola ni même exclusivement pour des plants de canola. Ainsi donc, il me semble que cet objet est probablement inadmissible à la certification prévue par la LPOV, mais qu'il n'est pas inadmissible à l'enregistrement aux termes de la Loi sur les brevets.


[83]            En outre, le fait que ce gène puisse se reproduire dans le cours normal des événements, sans l'intervention humaine, après insertion du gène dans les cellules végétales originales et dans les plants, produits pour la semence, et qu'il puisse en résulter des plants de canola différents entre eux n'interdit pas en soi l'enregistrement, aux termes de la Loi sur les brevets, de l'invention, c.-à-d. la création du gène et du procédé permettant l'insertion du gène. Les revendications de Monsanto en tant que titulaire de brevet ne couvrent pas toutes les plantes résultant de la pollinisation des plantes Roundup Ready tolérantes au Roundup en cas de croisement avec des plantes sensibles au Roundup, mais seulement l'utilisation des plantes qui contiennent le gène.

[84]       En l'espèce, le Bureau des brevets a délivré un brevet à Monsanto US en tant que propriétaire du brevet. Ce brevet est, « sauf preuve contraire, valide » (art. 45 de la Loi).

[85]       La délivrance du brevet en cause est compatible avec les incidences de la décision que le juge Lamer (plus tard juge en chef) a rendue au nom de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Pioneer Hi-Bred (précitée, au paragraphe 79). Le juge Lamer a rejeté l'appel d'une décision par laquelle la Cour d'appel fédérale avait jugé qu'une nouvelle variété de soya obtenue par croisement (hybridation) n'était pas brevetable en vertu de la Loi sur les brevets. Le juge Lamer a conclu que la description de la plante était insuffisante pour satisfaire aux exigences de la Loi. Dans sa décision, il a établi une distinction entre un produit résultant d'une hybridation et un produit résultant d'une manipulation génétique impliquant un changement au niveau du matériel génétique à la suite d'une intervention humaine à l'intérieur même du gène. Si j'ai bien compris sa décision, le juge Lamer a pris soin de limiter ses commentaires aux faits de l'affaire dont il était saisi, qui concernait un produit issu d'une hybridation. Cette décision n'avait pas pour effet de soustraire à la protection des brevets les procédés qui pouvaient à juste titre être qualifiés de manipulations génétiques.


[86]       Dans la décision President and Fellows of Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [1998] 3 C.F. 510 (C.F. 1re inst.), le juge Nadon a rejeté l'appel d'une décision par laquelle le commissaire aux brevets avait refusé de délivrer un brevet portant sur une souris transgénique qui contenait un gène qui avait été introduit artificiellement dans ses chromosomes au stade embryonnaire. Cette décision a été infirmée par la Cour d'appel dans l'arrêt President and Fellows of Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2000] 4 C.F. 528 (C.A.F.). Le juge Rothstein, qui s'exprimait au nom des juges majoritaires, a conclu que les dispositions de la Loi sur les brevets sont libellées en des termes généraux en vue d'encourager les inventions. Le juge a ajouté que la définition suivante du mot « invention » contenue à l'article 2 de la Loi était suffisamment large pour englober l'oncosouris pour laquelle un brevet était revendiqué :

[...] Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.

Le juge Rothstein a ajouté que cette définition de la Loi n'excluait pas de la brevetabilité des formes de vie supérieures non humaines, lorsque les conditions applicables étaient réunies.


[87]       L'arrêt Harvard n'est pas directement utile pour résoudre la question qui est soumise à la Cour en l'espèce. Dans l'affaire Harvard, le débat portait sur la brevetabilité d'un mammifère -- une forme de vie supérieure --, c'est-à -dire sur l'oncosouris obtenue grâce à la reproduction de souris dont une était porteuse du gène introduit au moyen de l'invention revendiquée de manière à influencer sa prédisposition à la formation de tumeurs cancéreuses. Aucune question n'a été soulevée, en première instance ou devant la Cour d'appel, au sujet de la décision du commissaire de faire droit à la demande de brevet relativement aux autres revendications formulées. Ces revendications portaient sur un plasmide génétiquement modifié et sur un matériel unicellulaire transgénique qui avaient été produits sous le contrôle total de l'inventeur et qui pouvaient être reproduits. Le commissaire avait accepté ces revendications en considérant qu'elles concernaient une « fabrication » ou une « composition de matières » qui répondaient à la définition du mot « invention » contenue à l'article 2, et il avait estimé qu'elles donnaient droit à un brevet. C'est la revendication portant sur la souris qui contenait le matériel ayant fait l'objet de manipulations génétiques que le commissaire avait refusée mais que la Cour d'appel a acceptée.

[88]       Ce sont des éléments essentiellement analogues à ceux qui avaient été reconnus par le brevet délivré initialement au revendicateur du brevet portant sur la souris qui font l'objet des revendications contenues dans le brevet en question dans le cas qui nous occupe. En l'espèce, ce sont le gène et son procédé d'insertion qui peuvent être reproduits et contrôlés par l'inventeur, et c'est la cellule résultant de ce procédé qui fait l'objet de l'invention. La décision du juge de première instance et l'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire Harvard justifient implicitement la délivrance du brevet à Monsanto.


[89]       Le fait qu'en délivrant le brevet qui nous intéresse en l'espèce le Bureau des brevets ait reconnu que certaines formes de vie peuvent être brevetables n'a, semble-t-il, rien de révolutionnaire. (Voir la décision Re Application of Abitibi Co., (1982), 62 C.P.R. (2d) 81, dans laquelle le commissaire aux brevets a jugé brevetable une culture de levure utilisée pour la digestion de la liqueur bisulfitique résiduaire, un déchet de fabrication rejeté par des usines de pâtes et papiers. Voir aussi la décision Re Application for Patent of Connaught Laboratories, (1982), 82 C.P.R. (2d) 32, dans laquelle le commissaire aux brevets a jugébrevetable une nouvelle lignée cellulaire bovine.)

[90]       Je résume mes conclusions au sujet des prétentions et des moyens invoqués par les défendeurs au sujet de la validité du brevet des demanderesses. Aucun des moyens invoqués ne m'a convaincu que le brevet en litige est invalide. À défaut de preuve ou d'argument persuasifs contraires, le brevet est valide en vertu de l'article 43 de la Loi sur les brevets et, comme l'article 45 le prévoit, il est « acquis au breveté » , Monsanto US et à son licencié, Monsanto Canada, pour la période prévue au brevet, en l'occurrence 17 ans à compter de la date de la délivrance du brevet, jusqu'au 23 février 2010. Aux termes de l'article 42 de la Loi, le breveté a « le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d'autres, pour qu'ils l'exploitent, l'objet de l'invention [...] » pour la durée du brevet.


Perte des droits confér és par le brevet ou renonciation à ces droits par les demanderesses

[91]       L'avocat des défendeurs soutient que Monsanto ne détient aucun droit de propriété sur son gène et qu'elle ne possède que des droits de propriétéintellectuelle. Bien que je reconnaisse que la semence ou la plante dans laquelle se trouvent le gène et la cellule des demanderesses peut, au sens juridique, appartenir à l'agriculteur qui l'a acquise, le droit que possède le « propriétaire » sur la semence ou la plante est assujetti aux droits que les demanderesses possèdent en vertu du brevet, notamment leur droit exclusif d'exploiter ou de vendre son gène ou sa cellule et leur droit exclusif d'autoriser des tiers à exploiter l'invention.

[92]       Ainsi, le producteur dont le champ contient des graines ou des plants qui sont issus de semences qui y ont été déversées ou qui proviennent de plants fauchés sur la terre d'un voisin ou même qui sont le fruit de la germination de pollens transportés dans son champ par des insectes, des oiseaux ou par le vent, peut être propriétaire des graines ou des plants qui se trouvent sur sa terre même si ce n'est pas lui qui a les a plantés. Il n'a toutefois pas le droit d'exploiter le gène breveté ou la graine ou la plante contenant la cellule ou le gène brevetés.


[93]       Je ne suis pas d'accord pour dire que la situation est comparable à celle qu'on retrouve dans les affaires de « taureau égaré » , où les tribunaux ont reconnu que la progéniture de ce taureau qui féconde des vaches appartenant à un tiers appartient à celui-ci et que le propriétaire du taureau égaré est passible de dommages-intérêts pour le préjudice causé au propriétaire des vaches. De plus, les circonstances de l'espèce ne sont pas semblables à celles qui, suivant les défendeurs, relèvent de la loi plus large de l'admixtion, suivant laquelle le bien de A introduit par A sans le concours de B au bien semblable de B dont il est indifférenciable devient le bien de B. En l'espèce, Monsanto est effectivement propriétaire du gène et de la cellule brevetés et la Loi lui confère le droit à l'exploitation exclusive de son invention. Il s'agit là d'un facteur important qui distingue la présente affaire des autres décisions citées par les défendeurs.

[94]       En l'espèce, les défendeurs affirment qu'ayant introduit leur invention en vue de sa dissémination en milieu ouvert sans en contrôler la dispersion, les demanderesses ont perdu tout droit de faire valoir leurs droits à l'exploitation exclusive de l'invention en tant qu'inventeurs et licenciés. L'avocat des défendeurs signale que Monsanto a obtenu, en vertu du Règlement sur les semences, C.R.C., ch. 1400, l'autorisation de procéder à la « dissémination en milieu ouvert » du gène breveté. Il importe peu à mon avis de savoir si c'est effectivement le cas.


[95]       Invoquant les photos que M. Schmeiser a déposées en preuve et qui montrent la présence de repousses spontanées et de plantes dans les champs, à Bruno et dans les environs, les défendeurs soutiennent que la dissémination en milieu ouvert et l'absence de contrôle de Monsanto sur la reproduction des plantes contenant le gène breveté démontrent à l'évidence que l'invention des demanderesses a été diffusée sans aucun contrôle. Les défendeurs affirment d'ailleurs que ce problème est grave au point où la diffusion de l'invention échappe à tout contrôle et que Monsanto ne peut revendiquer le droit exclusif à la possession et à l'exploitation de l'invention. Ils ajoutent que les demanderesses étaient tenues de contrôler la technologie de l'invention pour en éviter la diffusion, ce qu'elles n'ont pas tenté de faire.


[96]       Cette appréciation accorde beaucoup d'importance aux photographies de repousses spontanées que l'on trouve à Bruno et qui auraient survécu à la pulvérisation au « Roundup » , ainsi qu'aux photographies du canola que l'on trouve dans des champs qui seraient des champs de canola et dont certains contiendraient le gène en question. Je me dois de signaler qu'en tirant une telle conclusion, les défendeurs font fi des éléments de preuve relatifs aux accords d'octroi de licence que Monsanto a élaborés avec rigueur et précision pour limiter la propagation du gène. Ces accords obligent les producteurs à convenir de ne vendre le produit obtenu grâce aux semences fournies aux termes d'une entente sur les utilisations technologiques qu'à des marchands agréés. Aux termes de ces accords, les producteurs conviennent également de ne pas donner les semences en question à d'autres producteurs et de ne pas les conserver pour leur propre usage, pas même pour le réensemencement. Les défendeurs font également fi des mesures prises par les demanderesses pour contrôler les producteurs autorisés et pour surveiller quiconque cultive le produit sans autorisation. Ils ne tiennent pas compte non plus des mesures énergiques que les demanderesses ont prises pour prélever des échantillons des cultures des défendeurs, qu'elles soupçonnaient de cultiver sans autorisation du canola Roundup Ready et pour tester des échantillons. Ils ignorent finalement les éléments de preuve relatifs aux mesures prises par Monsanto pour arracher des plantes des champs d'autres agriculteurs qui se plaignaient de la prolifération indésirable de canola Roundup Ready dans leurs champs.

[97]       De fait, la valeur probante des éléments de preuve administrés en l'espèce appuie la conclusion que les demanderesses ont pris une série de mesures en vue d'enrayer la propagation indésirée de canola contenant leur gène et leur cellule brevetés.

[98]       Je ne suis pas persuadé que les demanderesses ont perdu leur droit de revendiquer l'exploitation exclusive de leur invention ou qu'elles ont renoncé à ce droit. Il n'y a de toute évidence aucune renonciation expresse et on ne peut en inférer aucune des agissements des demanderesses, du moins au vu du dossier qui a été soumis à la Cour.


[99]       Encore une fois, les défendeurs affirment à l'appui de leurs arguments au sujet de la renonciation par les demanderesses à leurs droits qu'en faisant breveter leur invention et en faisant fi des dispositions de la Loi sur la protection des obtentions végétales, qui, soutient-on, [TRADUCTION] « vise à définir les droits de ceux qui mettent au point cette technologie et de ceux qui l'utilisent » , les demanderesses ont tacitement renoncé à leur droit de revendiquer l'exploitation exclusive de l'invention. J'ai déjà conclu que la Loi sur la protection des obtentions végétales n'empêche pas de faire breveter une invention qui porte sur une plante et qui satisfait par ailleurs aux exigences de la Loi sur les brevets.

[100]     À mon avis, les agissements des demanderesses ne permettent pas de conclure qu'elles ont perdu les droits exclusifs que leur confère la loi par suite de la délivrance de leur brevet ni qu'elles ont renoncé à ces droits.

Contrefaç on du brevet

[101]     Les demanderesses reprochent aux défendeurs d'avoir contrefait le brevet 830 de Monsanto en cultivant, en 1998, des graines que M. Schmeiser savait provenir de sa récolte de 1997 et qui étaient issues de plantes résistantes au Roundup, reproduisant ainsi le gène et les cellules brevetés. Les défendeurs ont récolté et vendu le canola ainsi cultivé en 1998.


[102]     M. Schmeiser a témoigné que les semences dont il s'est servi pour sa récolte de 1998 provenaient de graines récoltées en 1997 dans le champ no 2 par son ouvrier agricole, M. Moritz. M. Moritz a chargé à bord du vieux camion Ford, qui se trouvait alors dans le champ no 2, des graines provenant directement de la moissonneuse-batteuse et récoltées dans la partie de ce champ que M. Schmeiser avait auparavant traitée au Roundup. Le « test » qu'il a effectué lui a permis de constater -- ce que M. Moritz a confirmé --, qu'environ 60 % des plants qu'il avait arrosés dans les [TRADUCTION] « trois bons acres » qu'il avait traités avaient survécu. Les plantes ayant survécu étaient résistantes au Roundup et les graines chargées à bord du vieux camion Ford provenaient de ces plantes.

[103]     C'est à cause de M. Schmeiser et de la personne morale défenderesse que M. Moritz, l'ouvrier agricole, était au courant de la nature des semences en question. M. Schmeiser doit être présumé avoir été au courant de la nature des semences chargées à bord du camion par M. Moritz, qui obéissait aux directives générales que lui donnait M. Schmeiser au sujet des récoltes.

[104]     Au printemps 1998, les graines qui se trouvaient dans le vieux camion Ford ont été traitées par la minoterie HFM. Elles ont ensuite été mélangées avec des graines tout-venant et des fertilisants et elles ont été utilisées en 1998 pour la culture de canola sur toute la superficie de 1 030 acres des neuf champs de M. Schmeiser.

[105]     Plusieurs tests ont été effectués avec des échantillons de canola provenant du champ des défendeurs ou de champs voisins. Les éléments de preuve relatifs aux analyses des récoltes de canola de 1997 et de 1998 de M. Schmeiser peuvent être résumés de la façon suivante.


[106]     Les échantillons de 1997 prélevés par M. Derbyshire dans les réserves routières des chemins bordant les champs nos 2 et 5 ont été utilisés pour deux tests de croissance réalisés en 1997 à l'Université de la Saskatchewan pour le compte de M. Mitchell, ainsi qu'en 2000, à la même université, pour M. Downey. Dans les deux cas, à l'exception d'un des six échantillons, 100 % des plantes produites à partir des semences qui avaient germé ont survécu aux pulvérisations à l'herbicide Roundup. En d'autres termes, elles étaient résistantes au Roundup.

[107]     Les échantillons analysés par la minoterie HFM des semences traitées et des semences non traitées prises à M. Schmeiser ont été remis

1)          en 1998 à M. Mitchell pour Monsanto, et M. Mitchell

a)          les a soumis à un « test rapide » qui lui a permis de constater que les deux échantillons analysés donnaient des résultats positifs, ce qui indiquait la présence du gène breveté;

b)          les a transmis à Prairie Plant Systems, qui a effectué en janvier 1999 un test de croissance sur des graines qui avaient germé après avoir été traitées au Roundup. Les 30 échantillons de tissu foliaire provenant de plantes ayant survécu que Monsanto US a analysés ont donné des résultats positifs témoignant de la présence du gène breveté dans l'ADN du tissu foliaire;

c)          un sous-échantillon a été envoyé à l'avocat de M. Schmeiser en avril 1999 et par celui-ci à M. Freisen à Winnipeg pour un test de croissance, qui a démontré qu'entre 95 et 98 % des plants qui avaient germé avaient survécu après avoir été arrosés de Roundup;

2)          en juillet 1999 à M. Schmeiser, qui


a)          les a utilisés en partie pour des tests de croissance dans son champ dont les résultats ont démontré que de 63 à 65 % des plants qui avaient germé avaient survécu après avoir été arrosés de Roundup;

b)          les a transmis à l'Université du Manitoba pour que M. Freisen procède à des tests dont les résultats étaient semblables à ceux obtenus par M. Schmeiser;

3)          à M. Freisen directement de la Saskatchewan Wheat Pool en avril 2000 pour des tests de croissance dont les résultats ont démontré un taux de survie élevé de 95 à 98 % des plants germés après un arrosage au Roundup.

[108]     Les échantillons foliaires prélevés en juillet 1998 par M. Shwydiuk dans les réserves routières près des neuf champs de M. Schmeiser ont été soumis à un « test rapide » dont les résultats ont démontré que le gène breveté était présent dans tous les échantillons. Les échantillons ont été envoyés à Monsanto US pour des analyses génétiques qui ont donné des résultats positifs, ce qui indiquait la présence du gène breveté dans l'ADN des échantillons foliaires.

[109]     En ce qui concerne les échantillons d'août 1998 prélevés par MM. Todd et Vancha conformément à l'ordonnance du tribunal :

1)          la moitié des échantillons ont été remis en août 1998 à M. Schmeiser qui les a conservés chez lui jusqu'en juillet 1999 alors qu'il a

a)          utilisé une partie des semences pour ses propres tests de croissance suivant lesquels moins de 70 % des plants qui avaient germé avaient survécu après avoir été arrosés au Roundup;


b)          envoyé le reste en août 1999 à son avocat pour qu'il le transmette à M. Freisen, à Winnipeg, dont les résultats des tests de croissance étaient analogues à ceux obtenus par M. Schmeiser lui-même;

2)          l'autre moitié des échantillons de Monsanto a été divisée et

a)          la moitié en a été envoyée à M. Mitchell qui l'a transmise à Monsanto US qui l'a soumise à des tests de croissance dont les résultats ont démontré la présence de plants germés dans 17 des 27 échantillons. Les deux tests distincts plus poussés qui ont par la suite été effectués avec les échantillons de ces plantes ont démontré la présence du gène breveté dans l'ADN des plants qui avaient survécu;

b)          l'autre moitié de l'échantillon de Monsanto a été envoyée en janvier 1999 à M. Mitchell qui l'a envoyée à Prairie Plant Systems, qui a procédé à des tests de croissance, qui a pulvérisé avec du Roundup les plants qui avaient germé et qui a prélevé des échantillons foliaires sur les plantes ayant survécu, lesquels échantillons ont été transmis à Monsanto US pour des tests dont les résultats ont démontré la présence du gène breveté dans l'ADN des échantillons foliaires.


[110]     Les tests de croissance réalisés à l'automne 1997 et au début de l'an 2000 par Monsanto à l'Université de la Saskatchewan avec les échantillons prélevés sur les récoltes de 1997, les tests réalisés avec les échantillons de la minoterie HFM en janvier 1999 chez Prairie Plant Systems, ainsi que les tests effectués par M. Freisen pour les défendeurs à l'Université du Manitoba avec des échantillons transmis par M. Mitchell et par la Saskatchewan Wheat Pool indiquaient tous, dans le cas des plants qui avaient germé après avoir été arrosés au Roundup, un taux de survie compatible avec la présence du gène résistant au glyphosate breveté par Monsanto. Seuls les tests de croissance que M. Schmeiser a effectués en juillet 1999 dans son champ avec des semences qu'il avait obtenues en août 1998 de la minoterie HFM et les tests de croissance effectués sur les échantillons que M. Schmeiser a transmis à M. Freisen ont donné des résultats qui ne permettaient pas de conclure à la présence de canola résistant au glyphosate, c'est-à-dire résistant au Roundup

[111]     Les résultats des analyses génétiques réalisées par le personnel de Monsanto US à St. Louis sont encore plus éloquents : deux analyses portaient sur du tissu foliaire et sur du tissu végétal provenant des échantillons de semences faisant suite à l'ordonnance judiciaire d'août 1998. Une autre analyse portait sur du tissu foliaire provenant des échantillons prélevés par M. Shwydiuk en juillet 1998 dans les réserves routières bordant les neuf champs de canola de M. Schmeiser, et une autre encore portait sur du tissu foliaire provenant des plantes survivantes de 1999 à la suite du test de croissance effectué chez Prairie Plant Systems. Tous les tests ont démontré la présence du gène breveté dans l'ADN et dans les cellules des végétaux analysés.


[112]     À l'instruction, M. Downey s'est dit d'avis que le taux de survie élevé des plantes ayant germé après avoir été traitées au Roundup, qui avait été constaté lors du test de croissance réalisé en l'an 2000 avec les échantillons de 1997, ne s'expliquait que par la présence, dans le champ no 2, de canola cultivé à partir de semences commerciales résistantes au Roundup, compte tenu surtout de la concentration de canola résistant au Roundup que M. Schmeiser avait observée dans ce champ.

[113]     La rapport de Mme Doris Dixon, qui était chargée des tests plus poussés que Monsanto US a effectuées à St. Louis, est également important à mon avis. Sur le fondement des quatre tests qui y ont été effectués, de son interprétation du brevet et de son hypothèse que les échantillons de semences et de tissu foliaire analysés provenaient de canola récolté sur les terres cultivées par les défendeurs ou de terres voisines, Mme Dixon s'est dite d'avis que les échantillons des défendeurs contenaient les séquences d'ADN revendiquées dans les revendications 1, 2, 5 et 6 du brevet, ainsi que la cellule végétale visée par les revendications 22, 23, 27, 28 et 45 du brevet.


[114]     Cet avis n'est pas contesté. Malgré les questions qui ont été soulevées au sujet de certains aspects de l'échantillonnage et du traitement des échantillons de la récolte de canola de 1998 des défendeurs, j'estime, sous réserve de l'examen de tout moyen de défense invoqué, que la prépondérance de la preuve appuie la conclusion que la culture et la vente par les défendeurs de canola résistant au Roundup portent atteinte aux droits exclusifs des demanderesses d'exploiter le gène et la cellule brevetés. J'arrive à cette conclusion provisoire après avoir également conclu, selon la prépondérance de la preuve, que les échantillons prélevés dans les fossés des neuf champs en juillet 1998 et les trois échantillons prélevés au hasard dans chacun des champs en août 1998 sont représentatifs de toute la récolte, si l'on songe que les neuf champs avaient tous été ensemencés avec des graines prélevées sur la récolte effectuée en 1997 dans le champ no 2 et que l'on savait résistantes au Roundup.

[115]     Je passe aux observations que les défendeurs ont formulées en réponse à l'allégation de contrefaçon. En premier lieu, les défendeurs affirment qu'ils n'avaient pas l'intention de contrefaire le brevet. Il est toutefois de jurisprudence constante que tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au breveté constitue une contrefaçon, ainsi que le juge Rothstein l'a fait remarquer dans la décision Lishman c. Erom Roche Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 72, à la page 77 (C.F. 1re inst.). Qui plus est, l'intention n'a aucune importance, car [traduction] « il y a contrefaçon lorsque le contrefacteur s'arroge l'essence même d'une invention » , indépendamment de l'intention du contrefacteur (voir l'arrêt Computalog Ltd. c. Comtech Logging Ltd. (1992), 44 C.P.R. (3d) 77, à la page 88 (C.A.F.).

[116]     Dans leur défense, les défendeurs font remarquer qu'on ne sait pas avec certitude d'où provient le canola résistant au Roundup qui a contaminé leur récolte de 1996 de laquelle ils ont conservé des grains pour leur récolte de 1997. Il en va de même pour la provenance de la contamination de la récolte de 1997.


[117]     Plusieurs sources possibles de contamination ont été citées. Les défendeurs ont évoqué la possibilité que les semences provenaient peut-être de graines disséminées par le vent ou par les insectes à partir des champs voisins, que des semences s'étaient peut-être échappées de camions circulant à proximité ou de machines agricoles ou encore qu'elles provenaient de résidus transportés par le vent depuis les champs voisins. Les défendeurs affirment que toutes ces sources pourraient avoir contribué au croisement du canola de M. Schmeiser ou au dépôt de semences sur ses terres sans son consentement. M. Bortsmayer, qui était fermier dans le même rang que celui où se trouvaient les champs nos 1, 2, 3 et 4 de M. Schmeiser, mais plus au nord de Bruno, a témoigné qu'au cours de l'hiver 1996-1997, un sac de semences de canola Roundup Ready était tombé de son camion à Bruno et qu'il s'était ouvert, laissant s'échapper une certaine quantité de graines avant qu'il remette le sac fendu dans son camion pour le transporter jusqu'à ses champs après être passé devant ceux de M. Schmeiser. En outre, après avoir rentré la récolte de 1997, il a transporté sa récolte jusqu'au silo situé dans le rang conduisant à Bruno. Il est passé devant les champs de M. Schmeiser et affirme qu'il transportait au moins deux chargements dans un vieux camion dont la bâche était mal fixée. Il croit qu'il a perdu des semences lors de ce transport.


[118]     Il est possible que des graines Roundup Ready se soient retrouvées dans le champ de M. Schmeiser à son insu. Il est également possible qu'une partie de ces graines aient survécu à l'hiver et aient germé au printemps 1998. Le témoignage de M. Keith Downey, un des experts qui a comparu pour le compte des demanderesses, m'a toutefois persuadé qu'aucune des sources évoquées ne pouvait logiquement expliquer la concentration ou l'ampleur de canola Roundup Ready de qualité commerciale qui a été constatée à la suite des tests réalisés sur les récoltes de M. Schmeiser. L'avis de M. Downey était appuyé en partie par le témoignage de M. Barry Hertz, ingénieur en mécanique, dont le témoignage a démontré scientifiquement la distance peu étendue sur laquelle on pouvait s'attendre à ce que des graines de canola chargées à bord d'un camion circulant sur la voie publique puissent être disséminées. Je suis persuadé, à la lumière du témoignage de M. Downer, que, suivant la prépondérance de la preuve, aucune des sources possibles de contamination des récoltes de M. Schmeiser qui ont été évoquées ne peut expliquer la quantité substantielle de canola Roundup Ready qui a poussé dans le champ no 2 en 1997.

[119]     La provenance du canola résistant au Roundup qui s'est retrouvé dans la récolte de 1997 des défendeurs ne revêt cependant pas une si grande importance lorsqu'il s'agit de résoudre la question de la contrefaçon en ce qui concerne la récolte de 1998. M. Schmeiser reconnaît lui-même qu'il a conservé des semences cultivées en 1996 dans le champ no 1 pour s'en servir pour la récolte de 1997. En 1997, il savait que les plantes cultivées dans le champ no 2 montraient un degré très élevé de résistance à l'herbicide Roundup et il a récolté des semences provenant de ce champ qu'il a gardées en vue de les ensemencer en 1998.


[120]     Je conclus que, en 1998, M. Schmeiser a planté des graines de canola qu'il avait gardées de sa récolte de 1997 dans son champ no 2 alors qu'il savait ou aurait dû savoir que ces graines étaient résistantes au Roundup. Je conclus également qu'il s'est principalement servi de ces graines pour ensemencer la totalité de ses neuf champs de canola en 1998.

[121]     Le principal moyen de défense soulevé par les défendeurs est qu'ils n'ont pas exploité le brevet parce qu'ils n'ont pas traité leur récolte de canola de 1998 au Roundup après le début de sa croissance. Ils affirment par conséquent qu'ils ne sont pas servis de l'invention comme l'inventeur le prévoyait et qu'ils n'ont donc pas utilisé le gène ou la cellule brevetés.

[122]     Il est admis, comme les défendeurs le soutiennent, que les revendications d'un brevet doivent être interprétées en fonction de leur objet. Il ne faut pas en conclure que l'utilité du brevet définit son objet ou ses usages possibles ou qu'elle les limite. C'est le fait de s'arroger l'essence même d'une invention sans le consentement ou l'autorisation du propriétaire qui constitue une contrefaçon. En l'espèce, l'essence des revendications en litige concerne le gène breveté inventé par Monsanto et les cellules végétales brevetées dans laquelle le gène peut se trouver. Les revendications ne renferment aucune indication au sujet de l'utilisation, après la germination de la plante qui contient le gène breveté, du Roundup ou de tout autre herbicide au glyphosate dans le cadre de l'invention. L'invention améliore effectivement la résistance au glyphosate de la plante qui contient le gène et la cellule brevetés, mais l'utilisation ou la non-utilisation d'herbicides au glyphosate sur les plantes une fois que les graines ont germé et que la plante commencé à pousser n'a aucune incidence sur cette caractéristique.


[123]     En l'espèce, les défendeurs ont cultivé du canola en 1998 dans neuf champs à partir de graines prélevées sur leur récolte de 1997 que M. Schmeiser savait ou peut être présumé avoir su résistantes au Roundup. Ces graines ont poussé et les plants ont finalement été récoltés puis vendus. À mon avis, le fait que cette récolte ait ou non été traitée au Roundup au cours de sa période de croissance est sans importance. La croissance de la semence qui reproduit le gène et la cellule brevetés et la vente de la récolte constituent une appropriation de l'essence même de l'invention et une utilisation sans permission de cette semence. En agissant ainsi, les défendeurs ont violé les droits que les demanderesses possédaient en vertu de leur brevet.

[124]     L'avocat des défendeurs affirme qu'une conclusion de contrefaçon portera atteinte au droit depuis longtemps reconnu aux agriculteurs de conserver leurs propres semences en vue d'une autre récolte. Il souligne en particulier que ceux qui n'achètent pas de graines de canola Roundup Ready mais découvrent que leur champ est envahi par cette plante seraient empêchés de conserver leurs propres semences en vue de les utiliser pour une autre année, étant donné que leur récolte peut être contaminée sans que le producteur sur le terrain duquel des plantes contenant le gène breveté sont découvertes ait fait quoi que ce soit.


[125]     Ce n'est de toute évidence pas le cas de M. Schmeiser pour ce qui est de sa récolte de 1998. J'ai conclu qu'il avait ensemencé cette récolte avec des graines provenant de sa récolte de 1997 qu'il savait ou aurait dû savoir résistantes au Roundup. D'ailleurs, on a découvert que des échantillons de plantes provenant de ces semences contenaient les gènes et les cellules brevetés des demanderesses. La contrefaçon dont M. Schmeiser s'est rendu coupable ne s'explique pas uniquement par une contamination occasionnelle ou limitée de son canola sensible au Roundup par des plantes résistantes au Roundup. Il a ensemencé en 1998 ses champs avec des graines qui, selon ce qu'il savait ou aurait dû savoir, étaient résistantes au Roundup.

[126]     D'autres producteurs qui ont découvert dans leurs champs des repousses spontanées tolérantes au Roundup -- parmi lesquels deux ont témoigné à l'instruction -- ont communiqué avec Monsanto, qui a ensuite fait arracher à ses frais les plantes indésirables.

[127]     En dernière analyse, je conclus selon la prépondérance de la preuve et en tenant compte du témoignage de Mme Dixon au sujet des résultats des analyses génétiques des échantillons prélevés sur la récolte de canola de 1998 des défendeurs qu'en cultivant des graines qu'ils savaient résistantes au Roundup et en vendant les plants produits à partir de ces graines, les défendeurs ont exploité l'invention sans l'autorisation des demanderesses et ont contrefait les revendications 1, 2, 5 et 6 du brevet, pour ce qui est du gène végétal, et les revendications 22, 23, 27, 28 et 45 du brevet, pour ce qui est des cellules végétales revendiquées en vertu du brevet.


Réparations pour la contrefaçon

[128]     Les demanderesses réclament les réparations suivantes pour la contrefaçon dont les défendeurs se sont rendus responsables : une injonction, la restitution de tout canola restant de la récolte de 1998 de M. Schmeiser, le versement à Monsanto US des bénéfices de 105 000 $, le paiement à Monsanto Canada de la somme de 15 450 $ à titre de dommages-intérêts, des dommages-intérêts exemplaires de 25 000 $, les intérêts avant jugement et les intérêts après jugement.

Déclaration de validité du brevet

[129]     Dans leurs observations finales, les demanderesses prient également la Cour de confirmer au moyen d'un jugement déclaratoire la validité des revendications en litige, dans la mesure où la défense peut être interprétée comme une contestation de la validité du brevet. Or, les moyens habituellement invoqués pour contester la validité d'un brevet n'ont pas été articulés en l'espèce. Néanmoins, dans la mesure où les défendeurs contestent la validité du brevet, la Cour est disposée à prononcer un tel jugement déclaratoire sous réserve du droit des défendeurs de soulever tout moyen d'invalidité du brevet qui n'a pas été examiné en l'espèce.

Injonction


[130]     Bien que l'article 57 de la Loi confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de prononcer une injonction pour interdire à l'avenir l'exploitation et la vente de l'invention visée par le brevet, les défendeurs affirment en l'espèce que, si la Cour devait par ce moyen restreindre la production de canola Roundup Ready, il leur serait impossible d'obtempérer à une telle injonction vu la propagation irrépressible du gène breveté.

[131]     À mon avis, les demanderesses ont droit à une injonction interdisant aux défendeurs d'accomplir le genre d'actes que la Cour estime constituer de la contrefaçon en l'espèce. En attendant d'arrêter les modalités du jugement portant sur l'injonction qu'il convient de prononcer, la Cour interdit aux défendeurs de planter ou de vendre des graines provenant de leur récolte de canola de 1997 ou de 1998 ou toute semence provenant de plantes qui, selon ce qu'ils savent ou auraient dû savoir, sont résistantes au Roundup. La Cour interdit en outre aux défendeurs de porter atteinte au droit exclusif des demanderesses d'utiliser des plantes qui, selon ce qu'ils savent ou devraient savoir, sont résistantes au Roundup ou d'utiliser des graines provenant de telles plantes.

Ordonnance de restitution

[132]     Les demanderesses ont également droit au prononcé d'une ordonnance enjoignant aux défendeurs de leur restituer toute plante ou semence provenant des récoltes de 1997 ou de 1998, ainsi que toute autre plante ou semence qui, selon ce qu'ils savent ou devraient savoir, est résistante au Roundup.

Dommages-intérêts ou restitution des profits


[133]     Dans leur déclaration modifiée, les demanderesses réclament conjointement des dommages-intérêts généraux ou une restitution des profits selon ce qu'elles choisiront au terme de l'enquête préalable qui aura lieu au cours du renvoi dont la Cour pourra ordonner la tenue. Dans l'exposé introductif qu'elles ont fait à l'instruction, les demanderesses ont réclamé des dommages-intérêts de 15 $ l'acre pour la récolte de canola de 1998 contenant le gène breveté cultivé par les défendeurs ou, à titre subsidiaire, les profits réalisés par les défendeurs. À l'instruction, l'avocat a réclamé dans ses conclusions finales au nom de Monsanto US les bénéfices tirés par les défendeurs de leur récolte de canola de 1998, bénéfices qui se chiffreraient selon les demanderesses à 105 000 $. Il a également réclamé à titre de dommages-intérêts généraux pour Monsanto Canada la somme de 15 450 $, qui correspond à 15 $ l'acre pour la récolte de canola de 1998 des défendeurs, soit le prix payé cette année-là pour l'utilisation de la technologie brevetée aux termes d'une EUT. À titre subsidiaire, pour le cas où la Cour ne pourrait accorder les deux réparations, les demanderesses réclament conjointement les profits de 105 000 $.


[134]     Je ne suis pas convaincu que les deux demanderesses peuvent, à un stade aussi avancé du litige, réclamer chacune une réparation distincte. Même si cette façon de procéder était permise, je ne suis pas convaincu -- et il n'y a rien qui justifierait une telle mesure -- que ces deux réparations peuvent, eu égard aux circonstances de l'espèce, être réclamées indépendamment l'une de l'autre simplement parce qu'il y a deux demanderesses. À mon avis, une seule demanderesse pourrait légitimement réclamer les deux réparations. J'ai par ailleurs le sentiment -- sans avoir entendu d'arguments à ce sujet -- que, si les deux réparations pouvaient être réclamées séparément, il faudrait soustraire les dommages-intérêts des bénéfices réalisés par les défendeurs pour éviter de compter deux fois les sommes réclamées par les demanderesses et pour éviter que les demanderesses ne s'enrichissent injustement ensemble. Ces questions n'ont pas été débattues et je refuse d'accorder les deux types de réparations en argent à l'une ou l'autre demanderesse.

[135]     Les défendeurs affirment que la vente de la récolte de 1998 ne leur a procuré aucun profit mesurable et ce, même si cette récolte contenait le gène breveté des demanderesses. Cet argument repose sur l'hypothèse suivant laquelle les défendeurs auraient réalisé les mêmes profits en vendant une récolte de canola qui n'aurait pas contenu le gène. Cet argument ne répond pas à la question des profits réalisés grâce à la vente de la récolte qui, selon mes constatations, contenait le gène et les cellules brevetés des demanderesses. Ce sont les bénéfices provenant de la vente de cette récolte que les demanderesses peuvent réclamer, et non la différence entre les profits de la vente de cette récolte et ceux de la vente d'une récolte de plantes qui n'ont pas été cultivées.

[136]     La restitution des profits est une réparation en equity, qui vise à empêcher l'enrichissement injustifié d'une personne qui se sert sans autorisation du bien d'autrui à son propre avantage. C'est une réparation que la Cour peut accorder en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.


[137]     En l'espèce, je refuse d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à ordonner une restitution des profits pour la somme réclamée par les demanderesses. Cette somme de 105 000 $ a été citée lors du contre-interrogatoire de M. Donald R. Kunaman, l'expert-comptable de Schmeiser Enterprises, qui s'est servi des calculs qu'il avait faits conformément aux instructions que M. Schmeiser lui avait données en vue de produire un relevé relativement à la production de canola pour 1998 et aux coûts de production. Son analyse reposait sur les échanges qu'il avait eus avec M. Schmeiser au sujet des recettes et des coûts de production à imputer à la récolte de canola de 1998. Bien que les défendeurs n'aient pas contesté ce chiffre à l'instruction et que les demanderesses conviennent qu'il correspond aux profits réalisés par les défendeurs, je ne suis pas convaincu que la Cour devrait considérer que ce chiffre est fondé sur une répartition appropriée de frais fixes et variables admissibles que l'on peut légitimement attribuer à la récolte de canola de 1998. À mon avis, ce chiffre ne tient pas compte du travail de M. Schmeiser, qui n'a reçu aucun salaire pour ses tâches agricoles, bien qu'il ait pu toucher des dividendes en supposant que son exploitation agricole ait dégagé des profits. De toute évidence, il faisait de l'agriculture et son travail devrait être reconnu dans la comptabilisation des profits.


[138]     Ce n'est que dans le cadre d'un renvoi sur les profits qu'une juste répartition des sommes en cause pourrait être faite. La restitution des profits exige que l'on comptabilise dans la campagne agricole -- qui ne coïncide pas avec l'exercice de l'entreprise -- des recettes et des dépenses qui sont habituellement comptabilisées dans les opérations annuelles de l'entreprise.

[139]     Un renvoi peut s'avérer une procédure longue, coûteuse et complexe. En partant du principe que le chiffre de 105 000 $ que les demanderesses jugent acceptable correspond en gros au profit maximal dont la Cour pourrait finalement ordonner le paiement, la tenue d'un renvoi pourrait entraîner des frais juridiques et comptables supérieurs à ce chiffre, à moins que les avocats ne s'entendent sur un chiffre acceptable pour les deux parties qui représente les profits réalisés par les défendeurs.


[140]     Je suis disposé à déclarer que les demanderesses ont conjointement droit aux profits réalisés par les défendeurs selon le montant que les avocats des parties pourront fixer d'un commun accord dans les 21 jours du dépôt des présents motifs. À défaut d'entente au sujet du montant des profits, la Cour fixera à 15 450 $ le montant des dommages-intérêts généraux et accordera également une somme à titre de dommages-intérêts pour le préjudice que Monsanto US pourra, le cas échéant, démontrer être le résultat de la contrefaçon de son brevet par les défendeurs. Ce montant, non encore déterminé, serait calculé sur le fondement d'observations écrites ou, si l'une ou l'autre partie le demande, sur le fondement des observations qui pourront être formulées oralement par téléphone ou en personne. À défaut par les parties de s'entendre sur le montant des profits, des observations écrites portant sur les dommages-intérêts généraux réclamés par Monsanto US devront être déposées dans les 30 jours du dépôt des présents motifs et les défendeurs devront produire leur réponse dans les dix jours de la signification des observations des demanderesses. Si l'un ou l'autre des avocats désire que la question des dommages-intérêts soit examinée au moyen d'observations orales, il devra prendre des dispositions avec le greffe de la Cour, dans les 40 jours du dépôt des présents motifs, en vue de la tenue d'une conférence téléphonique visant à confirmer les dispositions prises à cet effet.

Dommages-intérêts exemplaires

[141]     Les demanderesses réclament aussi des dommages-intérêts exemplaires. À mon avis, la présente affaire ne se prête pas à l'octroi de dommages-intérêts exemplaires. Ni la personne morale défenderesse ni M. Schmeiser n'ont agi d'une manière qui justifierait une sanction ou mériterait un blâme de la part de la Cour. Seuls des agissements de cet ordre justifieraient l'octroi de dommages-intérêts exemplaires (Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd. (1996), 67 C.P.R. (3d) 1, à la page 18 (C.A.F.)).

Intérêts


[142]     Les demanderesses ont droit à des intérêts avant jugement sur les profits selon ce qui peut être convenu ou sur les dommages-intérêts qui peuvent être accordés, conformément au paragraphe 36(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée et à la Pre-judgment Interest Act, S. Sask., 1984-85-86, ch. P-22.2, et ce à compter de la date d'introduction de l'action, le 6 août 1998, jusqu'à la date du prononcé du jugement. Les intérêts après jugement seront accordés conformément au paragraphe 37(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

Responsabilité personnelle de M. Schmeiser

[143]     Bien que M. Schmeiser agisse comme défendeur en l'espèce, son avocat soutient que, comme les activités agricoles étaient légalement celles de la personne morale défenderesse, elle seule devrait être responsable de toute réparation accordée et que M. Schmeiser ne devrait encourir aucune responsabilité personnelle. L'avocat des demanderesses affirme que les sommes payées pour le canola provenant de la récolte de 1998 ont été versées à Percy Schmeiser et en son nom, et non à la compagnie. De plus, les demanderesses citent des décisions qui portent sur la question de la responsabilité personnelle d'un administrateur pour les actes de contrefaçon accomplis au nom d'une personne morale.


[144]     Suivant mon interprétation de ces décisions, il est exceptionnel qu'un administrateur soit tenu personnellement responsable dans ces circonstances, du moins en ce qui concerne la condamnation à des dommages-intérêts ou au paiement d'une somme d'argent. Dans l'arrêt Mentmore Manufacturing Co. Ltd. et autre c. National Merchandise Manufacturing Co. Inc. et autre, (1978), 40 C.P.R. (2d) 164, aux pages 169 à 174, le juge Le Dain, de la Cour d'appel, a confirmé la décision de n'imputer aucune responsabilité personnelle à l'administrateur d'une compagnie dont les actes ne pouvaient raisonnablement être considérés comme débordant le cadre habituel des relations entre un administrateur et sa compagnie ou comme ayant été délibérés au point d'entraîner une contrefaçon, ou encore comme révélant une indifférence totale à l'égard des risques de contrefaçon. Dans la décision Lishman (précitée, au paragraphe 115), le juge Rothstein, qui est maintenant juge à la Cour d'appel, a jugé personnellement responsable un administrateur dont les agissements révélaient une attitude malhonnête et des tentatives en vue de dépouiller la personne morale de biens qui auraient autrement pu servir à l'exécution de tout jugement qui aurait pu être rendu.

[145]     Je ne suis pas convaincu que, bien que délibérée et aussi récalcitrante qu'elle ait pu sembler aux yeux des demanderesses, la conduite de M. Schmeiser était telle que la Cour serait justifiée en l'espèce de le tenir personnellement responsable des dommages-intérêts ou des intérêts. Évidemment, toute réclamation de profits ne peut viser que la personne morale défenderesse. Quant aux autres mesures ordonnées par la Cour en l'espèce, à savoir l'injonction et l'ordonnance de restitution, elles visent les deux défendeurs. M. Schmeiser est la tête dirigeante et l'administrateur actif de Schmeiser Enterprises. Il peut être tenu responsable de l'exécution de ces mesures. La Cour rendra un jugement en dommages-intérêts ou en restitution des bénéfices uniquement contre Schmeiser Enterprises.


Conclusions

[146]     Je conclus, selon la prépondérance de la preuve, qu'en cultivant en 1998 du canola dans neuf champs avec des graines provenant de la récolte de 1997 qui, selon ce qu'ils savaient ou auraient dû savoir, étaient résistantes au Roundup, et en récoltant et en vendant les plants de canola ainsi récoltées, les défendeurs ont violé les droits exclusifs que détenaient les demanderesses en vertu du brevet canadien no 1,313,830 et en particulier les revendications 1, 2, 5, 6, 22, 23, 27, 28 et 45 de ce brevet.

[147]     L'action en contrefaçon des demanderesses est accueillie. Cette décision sera confirmée aux termes du jugement qui sera rendu après que les avocats auront eu l'occasion de se consulter et, au besoin, de présenter d'autres observations au sujet des modalités du jugement donnant effet aux présents motifs, notamment en ce qui concerne les réparations qui, selon ce qui est prévu dans les présents motifs, sont accordées pour protéger les droits que les demanderesses possèdent en vertu du brevet et pour les indemniser de la violation de ces droits par les défendeurs.

[148]     Les deux parties ont demandé à la Cour de leur accorder la possibilité de soumettre des observations au sujet des dépens. Les demanderesses ont droit aux dépens, mais la Cour examinera toute observation que l'une ou l'autre partie pourra lui soumettre en même temps que les observations sur les termes du jugement ou après celles-ci.


[149]     La Cour demande à l'avocat des demanderesses de rédiger un projet de jugement qu'il pourra compléter plus tard au besoin en y insérant les termes supplémentaires qui seront fixés et de remettre ce(s) projet(s) de jugement à l'avocat des défendeurs dans les 31 jours du dépôt des présents motifs en vue de recueillir ses commentaires. Si les défendeurs ne sont pas d'accord avec les termes ainsi proposés, la Cour examinera les observations que les avocats pourront lui présenter par écrit ou oralement, au téléphone, au sujet des termes du jugement.

                                                                             (signature) W. Andrew MacKay              

                                                                                                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 29 mars 2001

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL. L.


                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

No DU GREFFE :                                T-1593-98

INTITULÉ DE LA CAUSE : Monsanto Canada Inc. c. Percy Schmeiser

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Saskatoon (Saskatchewan)

DATES DE L'AUDIENCE : du 5 au 7 juin 2001

du 12 au 16 juin 2001

les 20 et 21 juin 2001

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge MacKay le 29 mars 2001

ONT COMPARU :

Mes Roger T. Hughes, c.r.                                                          pour les demanderesses

Arthur Renaud

et Trent Horne

Mes Terry Zakreski                                                                    pour les défendeurs

et Kristine Gould

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim, Hughes, Ashton & MacKay                                               pour les demanderesses

330, avenue University, 6e étage

Toronto (Ontario) M5G 1R7

Priel, Stevenson, Hood & Thornton                                           pour les défendeurs

321A, 21e Rue Est, bureau 500

Saskatoon (Saskatchewan) S7K 0C1

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