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Date : 20010503

Dossier : T-549-98

Référence neutre : 2001 CFPI 434

E n t r e :

MATTHEW G. YEAGER

demandeur

et

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA et

COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON

[1]         La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision qui a été communiquée au demandeur par lettre datée du 10 avril 1997. Dans cette lettre, le Service correctionnel du Canada (SCC) refusait les demandes d'accès à l'information que le demandeur lui avait adressées dans deux lettres écrites le 17 mars 1997 (ci-après appelées collectivement la demande) qui avaient été soumises à la Division de l'accès à l'information et de la protection de la vie privée en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi).


[2]         Dans sa demande, le demandeur réclamait les renseignements suivants pour son ordinateur personnel :

           a) Les données du SCC sur la cohorte des détenus remis en liberté en 1992-1993 qui sont présentement utilisées pour réorienter l'ISGR [Information statistique générale sur la récidive] en supprimant les éléments permettant d'identifier les personnes (tels que le nom du détenu ou du libéré conditionnel, son numéro matricule, sa date de naissance complète, la divulgation de l'année de naissance ne portant cependant pas atteinte au droit à la vie privée) (les données demandées).

           b) Le cahier de codes utilisé pour définir et repérer ou localiser les variables dans chaque cas (le cahier de codes).

           c) Une copie du logiciel d'évaluation initiale des délinquants (version actuellement utilisée), qui comprend notamment l'échelle de classement par niveau de sécurité (l'échelle de classement), l'ISGR et l'échelle d'évaluation du risque et des besoins dans la collectivité (le logiciel).

[3]         Je tiens à signaler que, même si les demandes sont claires, le dossier est à l'occasion ambigu, parce que le demandeur a réclamé d'autres renseignements et en a obtenu certains autres avant de présenter en vertu de la Loi les demandes qui font l'objet de la présente demande.


[4]         Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

...

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande :

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l'immigration.

...

(3) Pour l'application de la présente loi, les documents qu'il est possible de préparer à partir d'un document informatisé relevant d'une institution fédérale sont eux-mêmes considérés comme relevant de celle-ci, même s'ils n'existent pas en tant que tels au moment où ils font l'objet d'une demande de communication. La présente disposition ne vaut que sous réserve des restrictions réglementaires éventuellement applicables à la possibilité de préparer les documents et que si l'institution a normalement à sa disposition le matériel, le logiciel et les compétences techniques nécessaires à la préparation. L.R. (1985), ch. A-1, art. 4; 1992, ch. 1, art. 144(F).

[Non souligné dans l'original.]

2. (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.

...

4. (1) Subject to this Act, but notwithstanding any other Act of Parliament, every person who is

(a) a Canadian citizen, or

(b) a permanent resident within the meaning of the Immigration Act,

has a right to and shall, on request, be given access to any record under the control of a government institution.

...

(3) For the purposes of this Act, any record requested under this Act that does not exist but can, subject to such limitations as may be prescribed by regulation, be produced from a machine readable record under the control of a government institution using computer hardware and software and technical expertise normally used by the government institution shall be deemed to be a record under the control of the government institution. R.S., 1985, c. A-1, s. 4; 1992, c. 1, s. 144(F). [non souligné dans l'original]

[Non souligné dans l'original.]


[5]         Des restrictions réglementaires ont été édictées en vertu du paragraphe 4(3). À cet égard, voici ce que prévoit l'article 3 du Règlement sur l'accès à l'information, DORS/83-507 (le Règlement) :

3. Aux fins du paragraphe 4(3) de la Loi, la préparation d'un document qui n'existe pas comme tel mais qui peut être produit à partir d'un document informatisé relevant d'une institution fédérale n'est pas obligatoire lorsque cette préparation entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l'institution concernée.

3. For the purpose of subsection 4(3) of the Act, a record that does not exist but can be produced from a machine readable record under the control of a government institution need not be produced where the production thereof would unreasonably interfere with the operations of the institution.

Les données

[6]         M. Laurence Motiuk, du SCC, a souscrit pour la présente instance un affidavit qui porte la date du 9 juin 1998 (l'affidavit) et dans lequel il déclare qu'il est directeur général de la recherche au SCC.

[7]         Aux paragraphes 3 et 7 de son affidavit, il explique de la façon suivante le travail de la Direction générale de la recherche du SCC :


[TRADUCTION] La Direction générale de la recherche du SCC (la Direction générale de la recherche) procède à des recherches et à des analyses statistiques dans une foule de domaines se rapportant aux questions intéressant les intervenants en milieu correctionnel. La Direction générale de la recherche a, en cette qualité, accès à plusieurs bases de données classifiées d'autres organismes tels que la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), de qui relève par ailleurs le Centre d'information de la police canadienne (CIPC) et la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC). La Direction de la recherche consulte ces bases de données ainsi que celles du SCC dans le cadre de ses activités statistiques et de recherche. Chacune de ces bases de données renferme des renseignements confidentiels délicats concernant par exemple les dates de perpétration de crimes et de déclaration de culpabilité, le type d'accusations qui ont été portées pour des crimes déterminés et les caractéristiques particulières du contrevenant concerné. Les bases de données renferment également des renseignements personnels tels que le nom, l'âge et l'adresse du délinquant, ses empreintes digitales, son casier judiciaire et des renseignements sur d'éventuelles demandes de libération conditionnelle. Le grand public ne peut pas consulter ces bases de données. La Direction de la recherche, et le SCC en général, ont accès aux bases de données des organismes susmentionnés à la condition expresse de respecter la confidentialité de tous les renseignements obtenus de ces organismes. La communication de renseignements extraits de ces bases de données externes sans le consentement de l'organisme concerné compromettrait sérieusement l'accès futur du SCC à ces bases de données et nuirait en conséquence aux recherches futures de la Direction de la recherche. Pour pouvoir consulter ces bases de données, le personnel de la Direction de la recherche doit faire l'objet d'une vérification de fiabilité approfondie.

Pour effectuer des recherches au SCC, la procédure habituelle consiste à obtenir les renseignements par voie électronique en se branchant sur les réseaux informatiques d'organismes tels que la Gendarmerie Royale du Canada, la Commission nationale des libérations conditionnelles et le Service correctionnel du Canada. Par souci de simplification, on peut les désigner comme étant les bases de données A, B et C. La Direction générale de la recherche du SCC recueille les renseignements contenus dans ces bases de données par voie électronique par ordinateur dans un bureau central. Une nouvelle base de données est ainsi créée, qu'on peut appeler la base de données D. Elle est le fruit du regroupement des renseignements provenant des bases de données A, B et C. Pour chaque projet de recherche, une nouvelle base de données D est créée. La base de données D est ensuite utilisée pour divers projets statistiques et autres projets de recherche. Comme les renseignements provenant des bases de données A, B et C ont été obtenus par voie électronique à partir des diverses sources susmentionnées, la base de données D est créée au besoin et est détruite ou effacée une fois qu'elle n'est plus utile pour le projet de recherche final. Certains projets sont toutefois fondés sur des données courantes (c.-à-d. sur des dossiers actifs) et ne requièrent donc pas la création d'une base de données D.

[8]         Voici ce que M. Motiuk a répondu à la question 231 qui lui a été posée lors du contre-interrogatoire qu'il a subi au sujet de son affidavit :

[TRADUCTION] Les données courantes sont celles qui proviennent des bases de données de la GRC, des bases de renseignements du SCC et de la base de données sur les décisions de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

[9]         Au paragraphe 23 de son affidavit, M. Motiuk a précisé que les données demandées étaient des données « courantes » des systèmes informatiques classifiés de la GRC, de la Commission nationale des libérations conditionnelles et du SCC. Il a souligné que les données demandées n'avaient jamais été regroupées dans un dossier D. Il a fait remarquer que, pour créer une base de données D en vue de la communiquer au demandeur, il faudrait supprimer des données tous les éléments permettant d'identifier les personnes visées, tels que les noms, dates de naissance, empreintes digitales et détails sur les peines infligées.


[10]       Suivant M. Motiuk, une fois retranchés les éléments permettant d'identifier les personnes, il ne resterait que les dates d'infraction. Il semble que le demandeur et M. Motiuk ne s'entendent pas sur la question de savoir si la date de naissance devrait être supprimée. De toute façon, suivant M. Motiuk, pour réaliser ce travail :

[TRADUCTION] il faudrait affecter d'importantes ressources humaines et informatiques qui sont présentement consacrées à des projets de recherche en cours.

À son avis, la création, l'expurgation et l'intégration des données demandées en vue de leur diffusion externe exigerait environ deux semaines de travail à l'aide d'ordinateurs spécialisés.

[11]       Le SCC concède que le paragraphe 4(3) de la Loi s'applique parce que les données demandées peuvent être créées. En conséquence, la seule question qui se pose est celle de savoir si l'article 3 du Règlement limite l'obligation du SCC de donner suite à la demande. Bref, la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si la création des données demandées entraverait de façon sérieuse le fonctionnement du SCC.


[12]       Aucun élément de preuve n'a été présenté au sujet du fonctionnement du SCC ou de sa Direction générale de la recherche. J'ignore donc si elle compte un personnel important ou si elle dispose d'un système informatique complexe doté de nombreux liens avec les systèmes exploités par la GRC et la Commission nationale des libérations conditionnelles ou encore si M. Motiuk travaille avec un personnel et une capacité informatique limités. En outre, aucune preuve n'a été soumise au sujet de l'ampleur des effectifs et du nombre d'heures qui seraient nécessaires pour effectuer le travail de deux semaines qu'il estime nécessaire. Qui plus est, aucun renseignement n'a été fourni au sujet de la mesure dans laquelle les ordinateurs du SCC seraient occupés à créer les données demandées. On ne m'a pas non plus fourni d'indices permettant de savoir si la Direction générale de la recherche effectue en ce moment des recherches sur des questions importantes ou urgentes ou sur les incidences que la création des données demandées serait susceptible d'avoir sur la charge de travail de la Direction générale de la recherche.

[13]       À mon avis, il incombe aux défendeurs de démontrer que l'article 3 du Règlement s'applique. Or, ils ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que la création des données demandées entraverait de façon sérieuse le fonctionnement du SCC. En conséquence, la Cour prononcera une ordonnance enjoignant aux défendeurs de créer les données demandées.

Le Cahier de codes


[14]       Il est question du Cahier de codes au paragraphe 13 de l'affidavit de M. Motiuk et aux questions 288 et suivantes qui lui ont été posées lors de son contre-interrogatoire. Il ressort de ce document que la Direction générale de la recherche n'élabore pas de cahier de codes parce qu'elle possède les compétences techniques nécessaires pour pouvoir lire les données sans cahier de codes et parce que la création d'un cahier de codes est une activité à haute intensité de main-d'oeuvre. M. Motiuk a toutefois reconnu qu'il faudrait créer un cahier de codes pour permettre à une personne de l'extérieur de consulter les données demandées.

[15]       La thèse des défendeurs est que le paragraphe 4(3) de la Loi ne s'applique pas, parce que la Direction générale de la recherche ne prépare normalement pas de cahier de codes. À mon avis, le SCC interprète mal le paragraphe 4(3). Ce paragraphe ne dit pas que le document doit normalement être préparé. Il dit plutôt que le SCC doit être en mesure de préparer le document demandé à l'aide des ordinateurs, des logiciels et des compétences techniques qu'il utilise normalement. Il ressort à mon avis de la preuve que le cahier de codes peut être préparé de cette façon.

[16]       En réponse à la question 295 qui lui a été posée lors de son contre-interrogatoire, M. Motiuk a estimé que le travail prendrait [TRADUCTION] « [...] entre une et deux semaines » . Toutefois, comme je l'ai déjà signalé, on ne m'a soumis aucun élément de preuve sur les incidences de ce travail sur le fonctionnement des défendeurs. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que ce travail entravera de façon sérieuse le fonctionnement du SCC.

[17]       L'article 3 du Règlement ne s'applique donc pas et la Cour rendra une ordonnance exigeant la création d'un cahier de codes pour définir et repérer dans chaque cas les variables utilisées en mars 1997 par le SCC pour la cohorte des détenus remis en liberté en 1992-1993.                                                  


Le logiciel

[18]       On ne m'a cité aucune décision qui porte directement sur la question de savoir si un logiciel peut être préparé en réponse à une demande présentée en vertu de l'article 4 de la Loi. Il me semble toutefois qu'il faut répondre à deux questions avant de pouvoir trancher cette question. La question préliminaire à laquelle il faut répondre est celle de savoir si le logiciel en question existe et, dans la négative, s'il doit être créé, compte tenu des paramètres énoncés au paragraphe 4(3) de la loi et à l'article 3 du Règlement. Si le logiciel existe ou doit être créé, il faut ensuite décider s'il constitue un document au sens de la Loi.

[19]       Ainsi que je l'ai déjà signalé, le demandeur cherche en l'espèce à obtenir une copie du logiciel d'évaluation initiale des délinquants qui était utilisé en mars 1977. Ce logiciel comprendrait les éléments suivants :

­                       l'échelle de classement par niveau de sécurité (l'échelle de classement);

­                       l'Information statistique générale sur la récidive (ISGR)

­                       l'échelle d'évaluation du risque et des besoins dans la collectivité (l'échelle d'évaluation).


[20]       Aux paragraphes 4 et suivants de son affidavit, M. Motiuk affirme que le demandeur s'est vu remettre une copie du logiciel de l'échelle d'évaluation en 1994 à la suite d'une demande informelle qu'il avait formulée dans une lettre datée du 28 mars 1994. À l'époque, ce logiciel était un progiciel autonome pour ordinateur personnel. Toutefois, plus tard au cours de l'année 1994, il a été intégré à un logiciel conçu pour l'ordinateur central du SCC et depuis, il n'existe plus sous forme de progiciel autonome distinct.

[21]       M. Motiuk a été le principal architecte du logiciel d'évaluation initiale des délinquants, mais ce logiciel a par la suite été révisé et perfectionné par un expert-conseil de l'extérieur. Il fait maintenant partie du logiciel du Système de gestion des détenus (SGD) que le SCC utilise dans son ordinateur central. Le logiciel d'évaluation initiale des délinquants n'existe pas sous une forme utilisable à l'aide d'un ordinateur personnel.

[22]       Le logiciel du SGD est un gigantesque référenciel de fichiers-textes. L'élaboration du logiciel du SGD est un projet de plusieurs millions de dollars auquel ont contribué plusieurs sociétés de génie logiciel de l'extérieur. Il contient un grand nombre de composantes ou de modules logiciels intégrés différents.

[23]       Au paragraphe 9 de son affidavit, M. Motiuk déclare :

[TRADUCTION] [...] le logiciel du SGD est protégé par le droit d'auteur par une société commerciale de génie logiciel privée qui a octroyé une licence au SCC. De plus, le SGD n'est pas composé de modules internes distincts à fonctionnement indépendant. Il constitue plutôt un tout intégré.

De plus, en réponse à la question 223 qui lui a été posée au cours de son contre-interrogatoire, M. Motiuk a précisé qu'aucune des composantes logicielles du SGD n'existait sous une forme autonome.


[24]       Compte tenu du témoignage de M. Motiuk, je suis persuadée que le logiciel n'existe pas sous une forme que le demandeur pourrait utiliser avec son ordinateur personnel. Il ressort par ailleurs de la preuve que M. Motiuk ne s'occupe pas normalement de conception de logiciels. Ce travail est normalement confié à des experts-conseil de l'extérieur. De plus, les pièces versées au dossier ne permettent pas de penser que le travail nécessaire pour scinder le logiciel du SGD en des modules distincts pouvant être utilisés sur un ordinateur personnel comme le demandeur le réclame fait partie des compétences techniques habituelles du SCC. En conséquence, je suis d'avis que, même si le logiciel constituait un document, on ne pourrait en exiger la préparation en vertu du paragraphe 4(3) de la Loi.

[25]       J'en suis par ailleurs venue à la conclusion que le logiciel n'est pas un document. Voici à cet égard la définition que l'article 3 de la Loi donne du mot « document » :

« document » Tous éléments d'information, quels que soient leur forme et leur support, notamment correspondance, note, livre, plan, carte, dessin, diagramme, illustration ou graphique, photographie, film, microformule, enregistrement sonore, magnétoscopique ou informatisé, ou toute reproduction de ces éléments d'information.

"record" includes any correspondence, memorandum, book, plan, map, drawing, diagram, pictorial or graphic work, photograph, film, microform, sound recording, videotape, machine readable record, and any other documentary material, regardless of physical form or characteristics, and any copy thereof;


[26]       Vu cette définition, la question qu'il faut se poser est celle de savoir si le logiciel tombe sous le coup de l'expression fourre-tout « tous éléments d'information » . Les éléments énumérés dans la définition me semblent comporter deux volets : a) l'information; b) le support utilisé pour stocker l'information. C'est la raison pour laquelle un enregistrement magnétoscopique est assimilé à un document. Il se compose d'informations (les images et la bande sonore) et d'un support (la bande vidéo et l'étui dans lequel elle est rangée). De même, on peut dire qu'un enregistrement informatisé est constitué de données et de la disquette sur laquelle ces données sont enregistrées.

[27]       En revanche, aucun des éléments énumérés dans la définition du mot « document » ne correspond à ceux qui sont utilisés pour générer, afficher ou modifier l'information. Ce genre d'élément ne constitue pas un document et il me semble que les logiciels entrent dans cette catégorie. Un logiciel sert à créer une disquette, à lire la disquette et à manipuler l'information enregistrée sur la disquette au même titre qu'une caméra est utilisée pour créer un film et qu'un projecteur et une machine pour le montage sont utilisés pour visionner et modifier l'information se trouvant sur la pellicule.


[28]       À mon avis, un logiciel n'est analogue à aucun des éléments de la définition et il ne répond donc pas à cette définition. La définition du terme « document » contenue dans la Loi ne vise que les données et la disquette, dans le contexte informatique. Ainsi, lorsque les conditions applicables sont réunies, les données stockées sur une disquette doivent être communiquées conformément à la Loi. Le législateur fédéral n'a cependant pas dit, selon moi, que le logiciel doit être fourni et, vu les questions complexes de droit d'auteur qui seraient soulevées si la Loi s'appliquait aux logiciels, je crois que le législateur aurait explicitement mentionné les logiciels s'il avait voulu qu'on puisse en exiger la communication en vertu de la Loi. J'en conclus que c'est à la personne qui demande de consulter des données sur support informatisé qu'il incombe de se procurer le logiciel et le matériel nécessaires pour examiner et analyser les données. En conséquence, aucune ordonnance ne sera prononcée au sujet du logiciel.

La Charte

[29]       Le demandeur sollicite un jugement déclarant qu'il a le droit, en vertu de l'alinéa 2b) de la Charte, d'exiger qu'on lui communique tous les renseignements qu'il réclame. Je suis d'accord avec l'avocat des défendeurs pour dire que, si la Cour rendait un tel jugement déclaratoire, elle reconnaîtrait en fait que l'accès à l'information est un droit protégé par la Constitution.

[30]       L'alinéa 2b) de la Charte dispose :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

...

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

2. Everyone has the following fundamental freedoms :

...

(b) freedom of thought, belief, opinion and expression, including freedom of the press and other media of communication;

[31]       La question de savoir si l'alinéa 2b) garantit un « droit d'accès à l'information » constitutionnel en ce qui concerne tous les renseignements se trouvant en la possession du gouvernement a été examinée par la Cour divisionnaire de l'Ontario dans l'affaire Ontario


(Attorney General) v. Fineberg (1994), 19 O.R. (3d) 197, aux pages 203 et 204. Cette affaire concernait la Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F-31. Dans cette affaire, le tribunal statuait sur une demande reconventionnelle présentée par un journaliste du Toronto Star qui soutenait que certaines dispositions de cette loi ontarienne violaient l'alinéa 2b) de la Charte.                                                                         

[32]       Sur cette question, la Cour divisionnaire a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION] La jurisprudence canadienne qu'on nous a citée porte essentiellement sur la liberté de presse dans le contexte judiciaire. Il y a donc lieu d'établir une distinction entre la présente espèce et des affaires comme l'arrêt Edmonton Journal c. Alberta (procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, 45 C.R.R. 1, qui portent sur l'importance qui a toujours été accordée à la publicité des débats dans notre système judiciaire. La tradition de la publicité des débats est solidement ancrée dans la société canadienne, tout comme l'idée que la presse représente le public. C'est dans ce contexte historique que la Cour suprême a jugé solides les arguments invoqués en faveur du droit de la presse de relater en détail la teneur des débats judiciaires et qu'elle a conclu que les restrictions apportées à ce droit portaient manifestement atteinte à l'alinéa 2b). Toutefois, même ce droit a été jusqu'ici limité à la reconnaissance du droit de comparaître devant le tribunal; il ne s'applique pas aux renseignements qui n'ont pas été divulgués et vérifiés dans le cadre d'une audience publique.

Lorsqu'il s'agit du gouvernement lui-même, d'autres considérations peuvent jouer. Si on les considère globalement, les renseignements dont le gouvernement dispose sont susceptibles de porter atteinte à de nombreux droits d'ordre constitutionnel, notamment le droit à la vie privée. Il ne s'agit donc pas simplement pour nous de vérifier si l'Administration a bien fait son travail. Ainsi, la difficulté profonde, qu'illustre bien le titre de la Loi, en l'occurrence Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, est le fait qu'on confonde gouvernement responsable et gouvernement transparent. Cela peut d'ailleurs fort bien expliquer pourquoi il n'existe pas d'accès illimité du public à tous les renseignements relevant de l'Administration contrairement à ce qui se produit dans le cas du principe absolu de la publicité des débats judiciaires.

En revanche, l'obligation de rendre compte au niveau politique fait en sorte que l'Administration est responsable devant des fonctionnaires élus qui, à leur tour, exercent leurs activités dans un contexte d'élections au suffrage universel et d'assemblées législatives. Dans ce domaine, la presse joue un rôle d'information fondamental. Les partis d'opposition posent des questions au gouvernement tant devant l'assemblée législative qu'au sein de comités. Les partis d'opposition servent aussi à susciter une critique publique des réalisations du gouvernement. Vu cette tradition, il n'est pas possible de proclamer que l'alinéa 2b) comporte le droit constitutionnel d'exiger la communication de tous les renseignements qui relèvent de l'Administration, surtout dans le cas d'une demande relative à une enquête criminelle en cours.


[33]       Compte tenu de cette décision, je n'ai pas l'intention de prononcer le jugement déclaratoire réclamé par le demandeur.

Dépens

[34]       Comme chacune des parties a obtenu gain de cause dans la même mesure, il n'y a pas lieu d'adjuger de dépens.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 3 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                               T-549-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                           Matthew G. Yeager

c.

Service correctionnel du Canada et Commissaire du Service correctionnel du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 23 avril 2001

MOTIFS ET DISPOSITIF DE

L'ORDONNANCE PAR :                               MADAME LE JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                                     le 3 mai 2001

ONT COMPARU

M. Neil R. Wilson                                                pour le demandeur

M. Christopher Rupar                                           pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Gowling, Strathy & Henderson                           pour le demandeur

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                           pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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