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Date : 20010323

Dossier : T-2170-98

Référence neutre: 2001 CFPI 239

ENTRE:

                               LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES

                                                                                                       Partie demanderesse

                                                                    - et -

                                                     SA MAJESTÉ LA REINE

                                 (LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA)

                                                                                                           Partie défenderesse

                                                                    - et -

                                              L'ASSOCIATION DES JURISTES

                                  D'EXPRESSION FRANÇAISE DE L'ONTARIO

                                                                                                            Partie intervenante

                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]                Il s'agit d'un recours intenté par la Commissaire aux langues officielles (ci-après « la Commissaire » ) en vertu de l'alinéa 78(1)a) de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985 (4e suppl.), c.31 (ci-après « LLO » ) contre la partie défenderesse au motif, qu'elle n'aurait pas respecté ses obligations linguistiques et les engagements prévus aux parties IV et VII de la LLO dans leur application de la Loi sur les contraventions, L.C. 1992, c.47 (ci-après « LC » ) et de son Règlement sur l'application de certaines lois provinciales DORS/96-312.

FAITS

[2]                L'Association des juristes d'expression française de l'Ontario (AJEFO) a soumis une plainte le 19 février 1997 auprès de la Commissaire aux langues officielles soulevant ses inquiétudes quant à l'adoption et l'application de la LC et sa réglementation.

[3]                Les préoccupations de l'AJEFO découlaient de l'omission du gouvernement fédéral de confirmer dans la Loi modifiant la loi sur les contraventions et d'autres lois en conséquence, L.C. 1996, c. C-7 le maintien des droits linguistiques acquis en vertu de lois fédérales. Plus particulièrement, les préoccupations de l'AJEFO découlaient du projet de loi 108 (Loi de 1997 simplifiant l'administration en ce qui a trait aux infractions provinciales) dont la première lecture avait été faite à l'Assemblée législative de l'Ontario le 20 janvier 1997.


[4]                Ce projet de loi 108 (qui fut adopté le 11 juin 1998 et est aujourd'hui la Loi de 1998 simplifiant l'administration en ce qui a trait aux infractions provinciales, L.O. 1998, c. 4 [ci-après Loi de 1998 simplifiant l'administration en ce qui a trait aux infractions provinciales] ), prévoyait la conclusion d'entente autorisant une municipalité à exercer des fonctions d'administration et de soutien des tribunaux, y compris les fonctions de greffier du tribunal, notamment pour l'application de la LC, mais ne prévoyait pas le maintien des droits linguistiques acquis en Ontario au niveau municipal.

[5]                Suite à l'enquête intentée en vertu des dispositions de la LLO notamment de la partie IX, la Commissaire a rédigé un rapport qui fut déposé le 27 novembre 1997. La Commissaire a formulé les cinq recommandations suivantes à l'attention de Justice Canada :

1.        Que le ministère de la Justice engage des consultations approfondies avec la minorité de langue officielle et les juristes concernés de chaque province et territoire avant de conclure un accord, conformément à la LC, avec le gouvernement provincial ou territorial concerné;

2.        Que le ministère de la Justice prenne les mesures nécessaires dès que possible pour faire en sorte que la poursuite des contraventions fédérales par les autorités provinciales ou par une tierce partie se fasse à tout le moins dans le respect des droits linguistiques garantis par le Code criminel et par la partie IV de la LLO, là où elle est applicable;


3.        Que le ministère de la Justice fasse en sorte que les accords actuels et futurs (c'est-à-dire avec d'autres provinces ou territoires) conclus en vertu de la LC renferment des dispositions garantissant le respect des droits linguistiques de l'accusé concernant l'administration des tribunaux et les fonctions connexes de soutien, et qu'il s'assure que le personnel des tribunaux reçoive une formation adéquate en ce sens;

4.        Que le ministère de la Justice s'assure que tout accord conclu par lui conformément à la LC renferme une disposition prévoyant que toute sous-délégation nécessitera son approbation et contienne une clause générale de protection des droits linguistiques;

5.        Que le ministère de la Justice, dans le contexte de la mise en oeuvre de la LC, établisse des mécanismes de contrôle, d'imputabilité et de recours afin d'assurer le respect complet des droits linguistiques découlant du Code criminel.

[6]                Le 3 décembre 1997, l'AJEFO dépose une seconde plainte contre Justice Canada relative à la LC et à un accord signé entre le ministère de la Justice et la ville de Mississauga, le 9 juin 1997. La Commissaire continuait son enquête sur cette plainte à la date de clôture de la preuve relative à la présente demande.

[7]                Le sous-ministre de la Justice, M. George Thomson, a répondu au rapport de la Commissaire le 28 janvier 1998 en indiquant les mesures que son ministère et les provinces étaient prêts à considérer notamment :

-          Que les provinces se montraient réceptives à l'idée d'inclure dans les accords, des dispositions visant à respecter l'esprit des principes linguistiques prévus au Code criminel;


-          Que deux clauses visant à faire respecter l'esprit des principes linguistiques prévus au Code criminel, élaborées par le ministère, seraient insérées dans les accords avec les provinces, les territoires et les municipalités, selon le cas;

-          Que le ministère consulterait les groupes de minorités concernés.

[8]                Le 12 février 1998, M. Gagnon, directeur du "Projet sur les contraventions" auprès du ministère de la Justice a indiqué que le ministère mettrait fin à toute négociation d'un accord prévu à la LC, dans l'éventualité où une province ou un territoire refuserait d'incorporer à l'accord une clause assurant le respect des droits linguistiques.

[9]                Le ministère a négocié l'ajout d'une clause linguistique lors du renouvellement de l'entente avec la ville de Mississauga le 17 juin 1998. La ville de Mississauga a depuis mis sur pied des mécanismes pour que des services en français soient fournis en ce qui a trait aux procès-verbaux de stationnement.


[10]            La Commissaire a entrepris une enquête de suivi en vertu des dispositions de la LLO, notamment la partie IX. Dans son rapport, qui fut remis au sous-ministre de la Justice, Morris Rosenberg, la Commissaire indiquait que le ministère n'avait pas suivi les recommandations formulées au rapport daté le 27 novembre 1997 et soulignait le droit du plaignant d'engager un recours en redressement aux termes des dispositions de la partie X de la LLO.

[11]            À travers toutes ces démarches, la Commissaire a eu des communications, a obtenu des informations et de la documentation de la part de l'AJEFO, ainsi que de Justice Canada et a organisé des rencontres avec les représentants de Justice Canada. L'AJEFO a pour sa part effectué, parallèlement à ses plaintes auprès de la Commissaire, d'autres démarches auprès de Justice Canada et auprès du gouvernement de l'Ontario.

[12]            Le ministère de la Justice est allé de l'avant avec la LC sans donner suite à la majorité des recommandations de la Commissaire dans son rapport du 27 novembre 1997. L'AJEFO a alors demandé à la Commissaire d'intenter le présent recours en vertu de la LLO, ce que la Commissaire a fait le 20 novembre 1998.

L'HISTORIQUE DE LA LC


[13]            En 1992, le Parlement a adopté la LC qui a pour objet l'adoption d'une procédure simplifiée de poursuite pour les manquements aux lois et règlements fédéraux. La Loi est souple et permet à la personne qui reçoit le procès-verbal de payer l'amende sans devoir comparaître devant le tribunal. Cette loi permet au contrevenant de ne plus être assujetti aux flétrissures normalement associées à une condamnation pour une infraction fédérale, notamment le déni de passeport et l'existence d'un casier judiciaire.

[14]            Cette loi a été modifiée en 1996 pour s'adapter au régime pénal de chaque province et territoire. Ces modifications consistent à permettre au gouvernement du Canada, par voie réglementaire, d'habiliter une province ou un territoire à délivrer des procès-verbaux et à poursuivre pour des infractions à des lois et règlements fédéraux selon la procédure spécifique de la province ou du territoire.

[15]            L'article 65.1 permet de substituer le régime des droits linguistiques provincial ou territorial au régime des droits linguistiques prévu au Code criminel en ce qui concerne les infractions aux lois fédérales.


[16]            En 1996, le ministre de la Justice a adopté le Règlement sur l'application de certaines lois provinciales en vertu de l'article 65.1 de la LC, afin de conférer à certaines provinces, notamment l'Ontario, la responsabilité de poursuivre pour des infractions fédérales non-criminelles. Ce règlement a rendu applicable les lois provinciales de l'Ontario, notamment la Loi sur les infractions provinciales, L.O. 1990, c. P.33 et la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1990, c. C.43, dans la gestion des contraventions émises en Ontario en vertu de la LC.

[17]            L'article 65.2 de la LC, autorise le ministre de la Justice à conclure des ententes générales avec une province ou des ententes particulières, provinciales, municipales ou locales, pour préciser les modalités de traitement des contraventions, notamment en ce qui concerne la poursuite des contraventions et l'imposition et l'exécution du paiement des amendes.

[18]            Suite à la modification de la LC, un projet d'accord général avec l'Ontario a été préparé dans lequel le gouvernement fédéral habilite la province de l‘Ontario à assumer la poursuite d'un grand nombre d'infractions fédérales non-criminelles et à assurer les tâches administratives reliées à ces poursuites. Les parties ont préféré faire d'abord l'essai de ces procédures avant de signer l'entente.

[19]            Justice Canada a, en vertu de l'article 65.2 de la LC, conclu et signé deux ententes: une avec la ville de Mississauga le 9 juin 1997 (renouvelée le 17 juin 1998 pour une année) et une autre avec la ville d'Ottawa, le 2 septembre 1997.


LES PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[20]            La demanderesse prétend que les dispositions de la Charte s'appliquent au gouvernement du Canada notamment au Ministre de la Justice et au Procureur général du Canada et à leur ministère. Elle rappelle que la LLO s'applique au ministère de la Justice en vertu de l'article 3 de la LLO.

[21]            Elle soumet qu'en abrogeant l'application des droits linguistiques prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel aux fins des contraventions fédérales, lors d'ententes avec une province ou un territoire, la partie défenderesse a diminué ou abrogé les droits linguistiques dont jouissait le public canadien auprès d'une institution fédérale dans un domaine relevant de la compétence du Parlement. Ces mesures prévues au dispositif de la LC contreviennent à la lettre et à l'esprit de la Charte (articles 16 à 22) et de la LLO (parties IV et VII).

[22]            La demanderesse fait valoir que la partie défenderesse a l'obligation de modifier les mesures prévues au dispositif de la LC, à sa réglementation et aux autres ententes signées en application de ladite loi afin de rétablir un régime de droits linguistiques pour le moins semblable à celui qui prévalait avant l'abrogation de l'article 30 de la LC aux fins des contraventions fédérales.


[23]            La demanderesse rappelle que l'article 25 de la LLO précise que les institutions assujetties aux dispositions de la partie IV de la LLO, doivent veiller, lorsqu'elles retiennent des tiers pour offrir les services pour leur compte, à ce que les tiers offrent les services et puissent communiquer avec le public dans l'une ou l‘autre des langues officielles. La demanderesse prétend que le gouvernement de l'Ontario et les municipalités ontariennes agissent au nom du gouvernement du Canada au sens de l'article 25 de la LLO lorsqu'elles poursuivent et traitent les infractions fédérales aux termes de la LC. En conséquence, elles doivent, en vertu de l'article 25 de la LLO, respecter les dispositions de la partie IV de la LLO quant aux services, aux communications et à l'offre active (relations entre le poursuivant et le public). Cependant, il est vrai que cette obligation, en vertu de la partie IV de la LLO, n'englobe que les communications et les services entourant le procès, c'est-à-dire les aspects administratifs et non judiciaires des poursuites.


[24]            La demanderesse note qu'il ressort clairement de l'article 65.3 de la LC que le fédéral conserve sa compétence sur ces poursuites effectuées par une province ou une municipalité et qu'elles sont, en définitive, de son ressort, puisqu'il peut conclure des ententes prévoyant le partage des amendes et des frais perçus en vue de l'indemnisation de cette province ou autorité pour l'application de la LC. Il s'agit donc d'un service rendu par les provinces ou municipalités pour le compte du fédéral. Cette interprétation est renforcée par la clause 4 du "Projet d'accord" entre Justice Canada et le gouvernement de l'Ontario qui indique : « l'Ontario doit offrir à ses frais les services suivants au nom du Canada » . D'ailleurs, l'honorable Anne McLellan a indiqué dans sa lettre du 20 août 1997 à l'AJEFO, que le paragraphe 65.3 de la LC prévoit le versement d'une indemnité aux provinces à l'égard des services qu'elles assurent pour le compte du gouvernement fédéral.

[25]            La demanderesse maintient que les autorités ontariennes ayant fait l'objet d'une entente en vertu de la LC devraient normalement être assujetties à des dispositions comparables aux dispositions de la partie XVII du Code criminel.


[26]            La demanderesse maintient que la partie défenderesse a contrevenu, soit directement ou par l'entremise de tiers agissant pour son compte aux termes de l'article 25 de la LLO (notamment lorsque le Procureur général de l'Ontario ou les municipalités poursuivent, à la place du Procureur général du Canada, pour des infractions à des lois fédérales), à ses obligations linguistiques prévues à la partie IV de la LLO dans son application de la LC, telle que modifiée, et de ses règlements, notamment du Règlement sur l'application de certaines lois provinciales.

[27]            La demanderesse note que la partie défenderesse n'a prévu aucune garantie linguistique dans la LC ou ses règlements ni dans le cadre du "Projet d'entente général" avec le gouvernement de l'Ontario, ni dans le cadre des ententes particulières conclues avec la ville de Mississauga et ni dans le cadre de l'entente particulière conclue avec la ville d'Ottawa et ce, malgré les recommandations formulées en ce sens dans le projet de rapport d'enquête de la Commissaire d'août 1997 et réitéré dans son rapport d'enquête final de novembre 1997.

[28]            La demanderesse soumet que la partie défenderesse ne pouvait s'en remettre et se fier à la seule législation applicable aux services en français en Ontario, laquelle est limitée aux régions provinciales désignées bilingues et non applicable aux municipalités, pour pallier aux omissions de la LC et de ses ententes et pour s'assurer que le public puisse obtenir des communications et des services dans les deux langues officielles de la part des greffes des tribunaux et des bureaux du poursuivant dans le cadre de leurs poursuites.


[29]            La demanderesse soumet que la partie défenderesse n'a pas respecté ses engagements et obligations linguistiques prévus à la partie VII de la LLO, puisqu'elle n'a pas prévu le maintien des droits linguistiques semblables à ceux garantis par la Partie XVII du Code criminel et, elle a omis de consulter la minorité et de considérer l'impact de ces mesures sur la minorité de langue officielle.

[30]            La demanderesse constate que la partie défenderesse n'a prévu aucune garantie linguistique portant sur les aspects proprement judiciaires des poursuites dans le "Projet d'entente général" avec le gouvernement de l'Ontario, de sorte que c'est la législation provinciale sur le sujet qui doit s'appliquer. Même s'il est vrai que la Loi sur les tribunaux judiciaires prévoit des droits linguistiques à peu près équivalents à ceux prévus au Code criminel, cette Loi n'est pas applicable dans tous les cas aux municipalités et le gouvernement de l'Ontario a choisi, dans le cadre de son Projet de loi 108, d'habiliter justement les autorités municipales à intenter ce genre de poursuites.


[31]            De surcroît, aucune garantie linguistique n'est mentionnée aux dispositifs de la Loi de 1998 simplifiant l'administration en ce qui a trait aux infractions provinciales pour les situations relatives aux contraventions qui découlent de cette Loi et des futures ententes entre le Procureur général de l'Ontario et les municipalités intéressées.

[32]            La demanderesse rappelle que la clause ajoutée à l'entente avec les villes de Mississauga et d'Ottawa, est insuffisante puisqu'elle ne vise que la langue du procureur de la poursuite et non pas tous les droits linguistiques nécessaires à un accusé, comme ceux prévus au Code criminel.

[33]            La demanderesse soutient que l'engagement de la province de prendre des mesures pour respecter l'esprit des principes linguistiques prévus au Code criminel est insuffisant d'abord, parce qu'il ne vise que le respect de l'esprit des principes du Code criminel et non la lettre de celui-ci et ensuite, parce qu'il ne prévoit pas ce genre de clause dans le cas de délégation de pouvoirs aux municipalités.

[34]            La Commissaire soutient que la solution ne se trouve pas au niveau des clauses linguistiques négociées au cas par cas dans le cadre d'ententes, mais doit se trouver dans l'ajout, au dispositif de la LC elle même, d'une disposition visant à énoncer les droits linguistiques applicables et à assurer leur respect, partout au Canada, dans tout accord conclu par le ministère avec une province, un territoire ou une municipalité en vertu de la LC.


[35]            La Commissaire fait valoir que les agissements de la partie défenderesse, par voie d'action ou d'omission portent atteinte aux dispositions de la LLO et de la Charte, notamment au principe de l'égalité de statut et des droits et privilèges quant à l'usage des deux langues officielles. Elle soutient que la LC établit une asymétrie des droits linguistiques selon les provinces ou les territoires qui porte atteinte à l'égalité de statut et d'usage des deux langues officielles et qui n'existait pas lorsque la partie XVII du Code criminel s'appliquait aux contraventions fédérales.

[36]            La Commissaire demande à la Cour:

a)        une déclaration que la partie défenderesse:

(i)        n'a pas respecté ses obligations en vertu de la partie IV de la LLO;

(ii)       n'a pas respecté ses obligations en vertu de la partie VII de la LLO;

b)        Une déclaration que la partie IV de LLO a préséance sur la LC et ses règlements d'application;

c)        Une déclaration que la partie défenderesse, dans les mesures prises dans l'adoption et l'application de la LC soit directement ou indirectement par l'entremise de tiers agissant pour son compte, porte atteinte aux droits linguistiques statutaires de la LLO et constitutionnels de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après "Charte") quant au statut et à l'usage des deux langues officielles;

d)        Une ordonnance imposant à la partie défenderesse dans un délai déterminé de:


(i)        Prendre les mesures nécessaires, législatives, réglementaires ou autres, pour faire en sorte que les droits linguistiques quasi-constitutionnels des personnes faisant l'objet d'une poursuite pour contravention aux lois ou règlements fédéraux soient respectés par les tiers à qui le gouvernement fédéral a délégué par voie réglementaire ou contractuelle la responsabilité d'administrer en son nom la poursuite des contraventions fédérales;

(ii)       assurer par rapport aux présentes et aux futures ententes négociées en vertu de la LLO:

(A)      Le respect des droits linguistiques applicables en vertu du Code criminel et de la Partie IV de la LLO;

(B)      Un mécanisme de consultation avec les minorités de langues officielles;

(C)      Un recours à la Commissaire aux langues officielles lorsqu'il y a bris des obligations linguistiques;

e)        Les dépens.

LES PRÉTENTIONS DE L'AJEFO            

[37]            L'AJEFO argumente que la Cour, dans la présente instance, devrait interpréter les obligations qui incombent à la partie défenderesse, tant en vertu de la LLO qu'en vertu de la Charte, d'une façon qui donnerait pleine application à l'esprit de la LLO et des articles 16 à 22 de la Charte qui est de favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage des langues officielles dans la société canadienne.


[38]            L'AJEFO maintient que dans la mesure où les dispositions de la LC éliminent des garanties linguistiques et donc imposent un recul sur les droits acquis par la population francophone minoritaire hors-Québec, on ne saurait dire que cette Loi se conforme au concept d'avancement et de progression contenu à l'article 16 de la Charte.

[39]            L'AJEFO rappelle que la Loi de 1998 simplifiant l'administration en ce qui a trait aux infractions provinciales ne prévoit pas de garanties linguistiques pour la population franco-ontarienne. De plus, la Loi sur les tribunaux judiciaires qui contient des droits linguistiques semblables aux droits prévus au Code criminel, ne s'applique pas aux municipalités.

[40]            L'AJEFO maintient que la proposition de la partie défenderesse d'inclure aux accords visés par la LC un engagement de la province à prendre des mesures pour respecter l'esprit des principes linguistiques prévus au Code criminel et de veiller à ce que tout accord avec une province, un territoire ou une municipalité contienne dorénavant une telle clause, ne rencontre pas l'interprétation qu'a fait la Cour suprême de l'article 16 de la Charte.

[41]            L'AJEFO est d'avis que dans la mesure où les garanties linguistiques ne font pas partie des ententes, la partie défenderesse enfreint l'article 20 de la Charte.


[42]            L'AJEFO prétend que la partie défenderesse, dans la LC, enfreint les articles 16 et 20 de la Charte, en causant une perte des droits linguistiques acquis. Cette violation de la Charte donne droit à une réparation ou, dans l'alternative, invalide le texte législatif incompatible. L'AJEFO prétend que les recours demandés par la demanderesse et par l'AJEFO dans cette action sont des réparations adéquates, eu égard aux circonstances.

LES PRÉTENTIONS DE LA PARTIE DÉFENDERESSE

[43]            La partie défenderesse allègue que la Commissaire et l'AJEFO n'ont pas la qualité requise pour alléguer que des dispositions de la Charte ou de la partie VII de la LLO ont été violées. De plus, dans le cadre de la présente demande, cette Cour n'a pas la compétence requise pour entretenir quelque allégation de violation des dispositions de la Charte ou des dispositions de la partie VII de la LLO ou pour octroyer quelque réparation que ce soit à l'égard de telles violations.

[44]            Ni l'alinéa 78(1)a), en vertu duquel la Commissaire a introduit l'instance, ni le paragraphe 78(2) de la LLO, en vertu duquel l'AJEFO a comparu comme partie, confèrent à la Commissaire et à un plaignant, la qualité suffisante pour intenter le recours prévu à la partie X de la LLO.


[45]            La partie défenderesse rappelle que ce recours est prévu et délimité en des termes précis à l'article 77 de la LLO. Il ne peut être exercé qu'à l'égard des obligations et droits prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 et aux parties IV et V et des dispositions de l'article 91 de la LLO.

[46]            De plus, la partie défenderesse soutient qu'il est hors de la compétence conférée à cette Cour par la partie X de la LLO d'entretenir quelque allégation de violation des dispositions de la Charte ou des dispositions de la LLO ou d'octroyer quelque réparation que ce soit à l'égard de telles violations.

[47]            La partie défenderesse soutient que le présent litige se limite à déterminer si les allégations de la Commissaire et de l'AJEFO que les dispositions de la partie IV de la LLO ont été violées par la partie défenderesse, sont fondées.

[48]            Dans l'alternative, la partie défenderesse soutient qu'aucune disposition linguistique de la Charte n'a été violée du fait de la mise en oeuvre en Ontario du régime de la LC.


[49]            La partie défenderesse argumente qu'en l'espèce, il s'agit du statut, des droits et privilèges conférés à la langue française devant les tribunaux établis par la province de l'Ontario et dans les administrations provinciales et municipales en Ontario. Ces institutions ne sont ni des institutions du Parlement ni des institutions du gouvernement du Canada. Le paragraphe 16(1) de la Charte ne trouve donc pas application.

[50]            La partie défenderesse rappelle que la réalité linguistique au Canada varie énormément d'une région à l'autre. Ne pas permettre d'asymétrie empêcherait les instances fédérales de prendre des mesures linguistiques supplémentaires dans les régions où il y a un potentiel suffisant et des besoins plus urgents en raison de la difficulté de mettre ces mêmes mesures en place dans des régions où la population de langue officielle minoritaire est moins concentrée.

[51]            La partie défenderesse suggère que le paragraphe 16(3) de la Charte ne peut avoir pour effet de protéger constitutionnellement la partie XVII du Code criminel et d'empêcher le Parlement d'en modifier la substance ou l'application.


[52]            Quant à l'article 20 de la Charte, étant essentiellement mis en oeuvre par la partie IV de la LLO, les mêmes raisons que celles exposées à l'effet que les obligations prévues à cette partie n'ont pas été violées valent également ici.

[53]            En ce qui a trait à la partie VII de la LLO, la partie défenderesse maintient que la demanderesse et l'AJEFO n'ont pas la qualité requise, tel que discuté ci-haut. Dans l'alternative, la partie défenderesse soutient qu'elle n'a pas violé la partie VII de la LLO.


[54]            La partie défenderesse maintient que la partie VII ne s'applique pas au Parlement. Le législateur a constamment fait la distinction entre le Parlement et le gouvernement fédéral ou le gouvernement du Canada dans la LLO. Lorsqu'il entend qu'une disposition de la LLO s'applique aux institutions du Parlement et aux institutions du gouvernement, il fait continuellement appel au concept d' « institution fédérale » défini au paragraphe 3(1) de la LLO comme désignant les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. Or, les mots « gouvernement fédéral » , utilisés par le législateur à l'article 41 de la LLO pour délimiter la portée de l'engagement énoncé à la partie VII, doivent être considérés comme ayant été soigneusement choisis et ils ont pour effet d'exclure le Parlement de la portée de la partie VII de la LLO.

[55]            La partie défenderesse prétend qu'on ne saurait trouver dans la partie VII de la LLO une obligation pour le gouvernement fédéral de toujours prendre les mesures favorisant le plus l'épanouissement et le développement des communautés minoritaires ou promouvant le mieux les deux langues officielles, ou une obligation de procéder systématiquement à des consultations publiques. Il s'agit essentiellement d'un engagement de nature politique.

[56]            La partie défenderesse argumente qu'elle a considéré tous les facteurs qu'elle jugeait pertinents, dont l'engagement énoncé à la partie VII. Elle a décidé de négocier l'insertion de clauses linguistiques dans les ententes à être conclues avec les autres instances gouvernementales afin de coordonner les services fédéraux, provinciaux et municipaux, dans les deux langues officielles dans le domaine des contraventions fédérales, dans l'esprit de l'article 45 de la LLO.


[57]            La partie défenderesse rappelle que puisqu'il s'agit de l'exercice de pouvoirs discrétionnaires, cette Cour devrait donc s'abstenir de contrôler l'opportunité d'adopter la réglementation en question ou de procéder par voie d'entente, ou encore de contrôler le contenu de l'entente.

[58]            La partie défenderesse prétend que l'article 25 de la LLO n'est pas violé puisque ni les tribunaux ontariens, ni le Procureur général de l'Ontario ou ses représentants, ni la ville de Mississauga ou la ville d'Ottawa ou leurs représentants, n'agissent pour le compte de la partie défenderesse.

[59]            La partie défenderesse soutient qu'une simple relation contractuelle, une délégation d'autorité, un arrangement administratif ou une entente, ou un accord intervenant entre une institution fédérale et un tiers, ne sont pas suffisants en soi pour conclure que le tiers agit pour le compte de l'institution fédérale.

[60]            De plus, la partie défenderesse argumente que les tribunaux provinciaux tirent leurs pouvoirs directement de la loi provinciale constituante et qu'aucune entente n'est intervenue entre ceux-ci et la partie défenderesse, d'autant plus que la partie défenderesse n'a ni l'obligation ni le pouvoir en vertu de la LC de conclure de telles ententes avec les tribunaux provinciaux.


[61]            Quant aux instances municipales, la partie défenderesse soulève le fait qu'elles exercent leurs compétences en vertu de la loi pour leur propre compte lorsqu'elles émettent des procès-verbaux et en assurent le traitement et la poursuite.

[62]            Dans l'alternative, l'insertion de clauses linguistiques dans les ententes conclues avec les municipalités, et d'autres instances éventuellement, est suffisante pour que les dispositions de l'article 25 de la LLO soient respectées.

[63]            La partie défenderesse soutient finalement que certains des recours demandés sont inopportuns. Par exemple, un tribunal ne peut ordonner au gouvernement d'établir des programmes ou l'obliger à établir certaines politiques.

QUESTIONS EN LITIGE

[64]            1-          La Commissaire aux langues officielles et l'AJEFO ont-ils la qualité nécessaire et cette Cour a-t-elle la compétence suffisante pour que puissent être plaidés des moyens basés exclusivement sur la Charte et la partie VII de la LLO dans le cadre du présent recours?

2-          Quelles sont les obligations de la partie défenderesse relativement aux articles 16 à 22 de la Charte?


3-          Est-ce que les municipalités et le gouvernement de l'Ontario agissent pour le compte du Procureur général du Canada au sens de l'article 25 de la LLO lorsqu'ils intentent des poursuites en vertu de la LC?

4-          Est-ce que la partie défenderesse, le Procureur général de l'Ontario et les municipalités ont respecté les obligations prévues aux parties IV de la LLO ainsi que les droits prévus aux articles 16 à 20 de la Charte dans le cadre de l'adoption et de l'application de la LC et de ses règlements?

5-          Est-ce que la partie défenderesse a respecté les obligations prévues aux parties VII de la LLO dans le cadre de l'adoption et de l'application de la LC et de ses règlements?

6-          Est-ce que les remèdes demandés par la Commissaire sont appropriés?

ANALYSE

[65]            Le présent débat découle de l'adoption de l'articles 65.1 de la LC:



65.1 (1) Pour l'application de la présente loi, le gouverneur en conseil peut, par règlement, prévoir que les lois d'une province -- avec leurs modifications successives -- en matière de poursuite des infractions provinciales s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux contraventions ou aux contraventions d'une catégorie réglementaire qui auraient été commises sur le territoire, ou dans le ressort des tribunaux, de la province; il peut notamment, par règlement_:

a) adapter tout ou partie d'une disposition de ces lois;

b) assimiler les avis ou autres documents délivrés ou établis sous le régime de ces lois à un procès-verbal prévu par la présente loi ou une de ses dispositions;

c) établir, pour l'application du paragraphe 65.3(2), des catégories de frais;d) prendre toute autre mesure d'application de ces lois.

65.1 (1) The Governor in Council may, for the purposes of this Act, make regulations making applicable, in respect of any contravention or any contravention of a prescribed class of contraventions, alleged to have been committed in or otherwise within the territorial jurisdiction of the courts of a province, laws of the province, as amended from time to time, relating to proceedings in respect of offences that are created by a law of the province, with such modifications as the circumstances require, and, without limiting the generality of the foregoing, the Governor in Council may make regulations

(a) adapting any provision or any part of a provision of those laws;

(b) deeming any of the notices or other documents issued or entered into under those laws to be a ticket for the purposes of this Act or any of its provisions;

(c) prescribing, for the purposes of subsection 65.3(2), categories of fees; and

(d) providing for any other matter in respect of the application of those laws.


[66]            Le Règlement sur l'application de certaines lois provinciales adopté en vertu de l'article 65.1 de la LC stipule:


1. Les lois provinciales visées à l'annexe, avec leurs modifications successives, s'appliquent de la manière qui y est indiquée à la poursuite des contraventions prévues au Règlement sur les contraventions.

1.The laws of a province referred to in the schedule apply, as amended from time to time, to the prosecution of contraventions designated under the Contraventions Regulations, to the extent and with the adaptations indicated in the schedule.


[67]            À l'annexe 1 du Règlement, se trouve les dispositions quant à la province de l'Ontario:



1. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), les textes suivants s'appliquent aux contraventions qui auraient été commises, le 1er août 1996 ou après cette date, sur le territoire de la province d'Ontario ou dans le ressort des tribunaux de celle-ci, notamment:

a) la Loi sur les infractions provinciales de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. P.33, et ses règlements d'application, ainsi que toute loi de cette province qui y est mentionnée et qui vise la poursuite des infractions de cette province;

b) les règles de pratique prises en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. C.43.

2. (1) Les paragraphes 12(1), 17(5) et 18.6(5) de la Loi sur les infractions provinciales de l'Ontario ne s'appliquent pas à la poursuite des contraventions.

(2) Aux fins de la partie II de la Loi sur les infractions provinciales de l'Ontario, les contraventions liées au stationnement, à l'immobilisation ou à l'arrêt illégaux d'un véhicule, indépendamment de l'endroit où elles sont commises en Ontario, sont réputées avoir été commises dans une municipalité désignée par règlement en vertu de cette partie.

(3) Aux fins d'un accord conclu en vertu des paragraphes 65.2(2) et 65.3(1) de la Loi sur les contraventions, l'article 18.6 de la Loi sur les infractions provinciales de l'Ontario ainsi que les règlements pris en vertu de la partie II de cette loi sont réputés autoriser la municipalité qui a signé l'accord à recouvrer les amendes relatives aux contraventions liées au stationnement, à l'immobilisation ou à l'arrêt illégaux d'un véhicule.

1. (1) Subject to subsections (2) and (3), the following enactments apply in respect of contraventions alleged to have been committed, on or after August 1, 1996, in Ontario or within the territorial jurisdiction of the courts of Ontario, namely,

(a) the Provincial Offences Act of Ontario, R.S.O. 1990, c. P.33, any regulations made under that Act and any Act of that province referred to in that Act relating to proceedings in respect of offences created by a law of that province; and

(b) the rules of court made under the Courts of Justice Act of Ontario, R.S.O. 1990, c. C.43.

2. (1) Subsections 12(1), 17(5) and 18.6(5) of the Provincial Offences Act of Ontario do not apply in respect of the prosecution of a contravention.

(2) For the purposes of Part II of the Provincial Offences Act of Ontario, contraventions related to the unlawful parking, standing or stopping of a vehicle, regardless of where in Ontario they were committed, are deemed to have been committed in a municipality designated by regulations made under that Part.

(3) For the purposes of any agreement entered into pursuant to subsections 65.2(2) and 65.3(1) of the Contraventions Act, section 18.6 of the Provincial Offences Act of Ontario and the regulations made under Part II of that Act shall be read as authorizing a municipality that has entered into such an agreement to collect fines in respect of contraventions related to the unlawful parking, standing or stopping of a vehicle.


[68]            La présente affaire se résume ainsi. Le gouvernement fédéral a délégué au gouvernement de l'Ontario, par entente verbale, ses pouvoirs découlant de la LC. Ce faisant, le gouvernement fédéral n'a pas prévu de clause garantissant les droits linguistiques des contrevenants poursuivis en vertu de la LC. Auparavant, les droits linguistiques étaient protégés par les articles 530 et 530.1 du Code criminel et l'article 16 de la Charte en ce qui concerne l'aspect "judiciaire" des poursuites et par la partie IV de la LLO et l'article 20 de la Charte en ce qui concerne l'aspect "administratif" ou "extra-judiciaire" des poursuites.


[69]            La partie défenderesse a soumis en preuve l'affidavit de M. Jean-Pierre Baribeau, avocat au ministère de la Justice. Ce dernier explique au paragraphe 23 de son affidavit, que la raison pour laquelle l'accord avec le gouvernement de l'Ontario ne spécifiait pas de protection pour les droits linguistiques des francophones venait du fait que, selon leurs informations, ces droits étaient déjà protégés par la Loi sur les tribunaux judiciaires.

[70]            Ainsi, en Ontario, depuis l'entente délégant au gouvernement provincial les pouvoirs relatifs aux poursuites intentées en vertu de la LC, les lois qui sont appliquées en matière de droits linguistiques sont la Loi sur les tribunaux judiciaires qui concerne les aspects "judiciaires" des poursuites et qui prévoit notamment, un procès bilingue (articles 125, 126) et la Loi sur les services en français, L.R.O. 1990, c. F.32. qui se rapporte aux aspects "administratifs" des poursuites.


[71]            Avec l'adoption de la Loi de 1998 simplifiant l'administration en ce qui a trait aux infractions provinciales, la province de l'Ontario a prévu le transfert de certaines compétences découlant de la LC aux municipalités. Or, cette loi ne prévoit pas la tenue de procès bilingues ou en français et les municipalités ontariennes ne sont pas toutes assujetties à la Loi sur les tribunaux judiciaires. De plus, seules les municipalités désignées à l'annexe 1 de la Loi sur les services en français peuvent être assujetties à cette Loi et ce, seulement dans la mesure où ces municipalitésont adopté un règlement à cet effet conformément au paragraphe 14(1) de la Loi sur les services en français.

[72]            Une situation similaire s'est également présentée lorsque le gouvernement fédéral a délégué directement par entente ses pouvoirs de poursuite à la municipalité de Mississauga sans prévoir de clause protégeant les droits linguistiques des contrevenants. Cette entente fut par la suite modifiée afin de prévoir le droit à un procureur parlant le français et l'anglais lorsque l'instance est une instance bilingue en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires. Pour sa part, l'entente entre le gouvernement fédéral et la municipalité d'Ottawa incorporait une clause identique à celle ajoutée à l'entente entre le gouvernement fédéral et la municipalité de Mississauga.


[73]            La demanderesse et l'intervenante considéraient donc, dans un premier temps, qu'un contrevenant, qui avait droit à un procès en français en vertu du Code criminel, de la LLO et de la Charte, voyait ses droits linguistiques diminués devant les cours provinciales en raison de l'application de la Loi sur les tribunaux judiciaires, bien que sa contravention tombait dans le champ de compétence fédérale. De plus, selon la demanderesse et l'intervenante, que le délégant soit le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial, les municipalités ne sont pas nécessairement soumises aux obligations linguistiques auxquelles était soumis le délégant, que ce soit relativement aux services "judiciaires" ou aux services "extra-judiciaires" relatifs aux poursuites. Ces préoccupations ont donc amené la demanderesse a intenter le présent recours.

                                                                       

1-          La Commissaire aux langues officielles et l'AJEFO ont-ils la qualité nécessaire et cette Cour a-t-elle la compétence suffisante pour que puissent être plaidés des moyens basés exclusivement sur la Charte et la partie VII de la LLO dans le cadre du présent recours?

Partie VII de la LLO

[74]            La partie X de la LLO, intitulée « recours judiciaire » , prévoit au paragraphe 77(1) un recours lors d'une violation des droits et obligations prévus à certains articles de la LLO. Le paragraphe 77(1) précise:


77. (1) Quiconque a saisi le Commissaire d'une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou V, ou fondée sur l'article 91 peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.

77. (1) Any person who has made a complaint to the Commissioner in respect of a right or duty under sections 4 to 7, sections 10 to 13 or Part IV or V, or in respect of section 91, may apply to the Court for a remedy under this Part.


[75]            En l'espèce toutefois, la Commissaire a exercé elle-même le recours prévu à l'article 77 de la partie X de la LLO comme le permet l'alinéa 78(1)a) qui précise ce qui suit:



78.(1) Le commissaire peut selon le cas:a) exercer lui-même le recours, dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l'enquête ou des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou dans le délai supérieur accordé au titre du paragraphe 77(2), si le plaignant y consent;

78.(1) The Commissioner may:

(a) within the time limits prescribed by paragraph 77(2)(a) or (b), apply to the Court for a remedy under this Part in relation to a complaint investigated by the Commissioner if the Commissioner has the consent of the complainant;


[76]            Il est à noter que l'article 77(1) de la LLO ne fait aucune référence à la partie VII de la LLO, intitulée « promotion du français et de l'anglais » . Cette omission délibérée de la part du législateur mène à conclure que le paragraphe 77(1) ne permet pas un recours devant les tribunaux pour une violation à la partie VII de la LLO.

[77]            La Cour d'appel fédérale indique dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373:

... la Loi sur les langues officielles de 1988 n'établit pas de compétences nouvelles autres que celles, dévolues au Commissaire aux langues officielles et à la Section de première instance de la Cour fédérale, qu'elle établit expressément.


[78]            Récemment, dans l'arrêt Devinat c. Canada, (29 septembre 1999) A-336-98 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la portée des dispositions de la partie X de la LLO. Dans cette affaire, les parties ne contestaient pas la conclusion du juge des requêtes à l'effet que le paragraphe 77(1) de la LLO ne permettait pas à l'appelant de s'adresser à la Cour fédérale du Canada puisque sa plainte n'était pas fondée sur un des articles mentionnés au paragraphe 77(1) de la LLO mais était fondée sur l'article 20 de la LLO. L'appelant argumentait cependant que le paragraphe 77(5) n'était pas limité à l'article 77 et qu'il préservait son recours judiciaire pour toute autre plainte qui n'était pas régie par la procédure prévue par l'article 77. L'appelant argumentait également que ce paragraphe 77(5) lui offrait un droit d'action à la Cour fédérale notamment en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[79]            Le paragraphe 77(5) se lit ainsi :


77(5) Le présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d'action.

77(5) Nothing in this section abrogates or derogates from any right of action a person might have other than the right of action set out in this section.


[80]            Toujours dans Devinat, supra, la Cour d'appel fédérale a précisé que le juge Décary dans l'arrêt Viola, supra, n'avait pas décidé de la question:

Il va de soi que le juge Décary ne s'est pas prononcé sur la compétence des tribunaux dits judiciaires face à la LLO, et ne l'a pas écartée.

Nous concluons que c'est donc à tort, nous le disons avec respect, que le juge des requêtes a conclu que la LLO ne permettait pas à l'appelant d'exercer le recours prévu à l'article 18.1 de la LCF relativement à une violation alléguée de l'article 20 de la LLO.

[81]            À la partie VII de la LLO, l'article 41 précise:



41. Le gouvernement fédéral s'engage à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu'à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.

41. The government of Canada is commited to

(a) enhancing the vitality of the english and French linguistic minority communties in Canada and supporting and assisting their development; and

(b) fostering the full recognition and use of both English and French in canadian society.


[82]            L'article 2 de la LLO décrit l'objet de la Loi comme suit:


2. La présente loi a pour objet_:

a) d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l'égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l'administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en oeuvre des objectifs de ces institutions;

b) d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d'une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais;

c) de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.

2. The purpose of this Act is to

(a) ensure respect for English and French as the official languages of Canada and ensure equality of status and equal rights and privileges as to their use in all federal institutions, in particular with respect to their use in parliamentary proceedings, in legislative and other instruments, in the administration of justice, in communicating with or providing services to the public and in carrying out the work of federal institutions;

(b) support the development of English and French linguistic minority communities and generally advance the equality of status and use of the English and French languages within Canadian society; and

(c) set out the powers, duties and functions of federal institutions with respect to the official languages of Canada.


[83]            La partie demanderesse a soumis à la Cour plusieurs citations empruntées aux débats de la Chambre des communes au moment où les amendements à la Loi sur les langues officielles furent adoptés en 1988.


[84]            Il est clair, tant par l'écriture de ces articles 2 et 41 de la LLO tout comme l'article 16 de la Charte, que ceux-ci donnaient à cette époque et encore aujourd'hui, un message clair à l'ensemble des Canadiens quant à l'égalité du statut des deux langues officielles au Canada et de l'intention ferme du gouvernement d'oeuvrer à atteindre ce but ultime de l'égalité de statut entre les deux langues.

[85]            La Cour suprême est allée aussi loin que de qualifier la LLO comme étant quasi-constitutionnelle dans l'arrêt récent R. c. Beaulac [1999] 1 R.C.S 768, aux pages 788 et 789:

La Loi sur les langues officielles de 1988 n'est pas une Loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l'expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d'interprétation de cette Charte telles qu'elles ont été définies par la Cour suprême du Canada. Dans la mesure où elles constituent un prolongement des droits et garanties reconnus dans la Charte..., elle fait partie de cette catégorie privilégiée de loi dites quasi-constitutionnelles qui expriment "certains objectifs fondamentaux de notre société" et qui doivent être interprétées "de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous-tendent".

...

La Loi sur les langues officielles de 1988 et l'article 530.1 du Code criminel..., illustrent la progression des droits linguistiques par des moyens législatifs selon le par. 16(3) de la Charte.


[86]            La plainte déposée par l'AJEFO visait un manquement à une obligation prévue à la partie IV de la LLO et non à la partie VII. Cependant, la Commissaire aux langues officielles, comme c'était son droit et son devoir, a fait une enquête exhaustive sur la situation, et dans ses conclusions, a largement débordé les obligations prévues à la partie IV pour identifier des manquements aux obligations prévues, d'après elle, à la partie VII de la LLO.

[87]            Suivant la prétention de la partie demanderesse, le fait que la Commissaire ait élargi la portée de l'enquête ouvre la porte à ce que la Cour fédérale trouve là une juridiction qui ne lui avait pas été expressément accordée par le paragraphe 77(1) de la LLO, mais plutôt par extension du paragraphe 77(4) de la LLO, lequel précise:


(4) Le tribunal peut, s'il estime qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(4) Where, in proceedings under subsection (1), the court concludes that a federal institution has failed to comply with this Act, the court may grant such remedy as it considers appropriate and just in the circumstances.


[88]            La question à décider ici n'est pas à savoir si la partie défenderesse a manqué à ses obligations en vertu de la partie VII de la LLO, mais plutôt de décider si la Cour fédérale, à ce stade-ci, peut sanctionner ce manquement, s'il existe, à partir du recours intenté par la Commissaire en vertu de l'alinéa 78(1)a) de la LLO.


[89]            Il est important de noter que les pouvoirs d'enquête et de recommandation conférés à la Commissaire aux langues officielles ne peuvent être confondus avec les recours judiciaires possibles identifiés à la partie X de la LLO. En effet, bien que les pouvoirs d'enquête et de recommandation soient très larges pour la Commissaire aux langues officielles, il apparaît clair que le législateur a prévu des recours judiciaires beaucoup plus étroits au paragraphe 77(1) de la LLO .

[90]            En conséquence, la partie demanderesse ne m'a pas convaincu que l'évolution récente de la jurisprudence et notamment l'arrêt Beaulac, supra, aient donné à la Cour fédérale la possibilité d'intervenir, suite à un recours intenté en vertu de l'alinéa 78(1)a) de la LLO, quant à des allégations de violation de la partie VII de la LLO.

[91]            Il importe de mentionner par contre que la Cour d'appel fédérale a statué dans Devinat, supra, que les recours en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, sont toujours possibles pour des manquements aux parties de la LLO non prévues au paragraphe 77(1) de la LLO. Je n'ai pas à y revenir en l'espèce, sauf pour préciser que la partie demanderesse a choisi de n'utiliser que les recours en vertu de l'alinéa 78(1)a) de la LLO et c'est donc à ce sujet que je dois rendre ma décision.


[92]            Cependant, il ne m'apparaît pas nécessaire ni souhaitable d'approcher avec la même rigueur les allégations de violation des dispositions 16 à 20 de la Charte.

[93]            La Charte s'applique à l'ensemble des Canadiens et il n'est pas nécessaire qu'un recours en vertu des dispositions de la Charte soit mentionné pour que cette dernière puisse avoir effet.

[94]            À cet égard, la partie demanderesse m'a convaincu qu'il était tout à fait légitime pour la Cour et tout à fait à l'intérieur de sa juridiction de considérer tant les allégations de violation des dispositions de la partie IV de la LLO que d'examiner les allégations de violation des dispositions de la Charte, en regard des dispositions de la partie IV de la LLO.

[95]            Quant à la qualité pour agir de la demanderesse et de l'intervenante, la Cour suprême, en examinant les arrêts Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, et Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265, dans l'arrêt Canada (Ministre de la Justice) c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575, a statué:


Selon mon interprétation, ces arrêts décident que pour établir l'intérêt pour agir à titre de demandeur dans une poursuite visant à déclarer qu'une loi est invalide, si cette question se pose sérieusement, il suffit qu'une personne démontre qu'elle est directement touchée ou qu'elle a, à titre de citoyen, un intérêt véritable quant à la validité de la loi, et qu'il n'y a pas d'autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour. À mon avis, l'intimé répond à ce critère et devrait être autorisé à poursuivre son action.

[96]            Il ressort des arrêts Thorson, McNeil et Borowski, trois critères à considérer afin de déterminer si une partie a la qualité pour agir, notamment:

1)         Une question susceptible d'être tranchée par voie judiciaire a été soulevée;

2)         La requérante a, à titre de citoyenne, un intérêt véritable quant à la validité de la décision qui soulève une question d'intérêt public;

3)         Il n'y a pas d'autre manière raisonnable et efficace de saisir les tribunaux de la question.


[97]            En l'espèce, les questions soulevées par la demanderesse sont sérieuses. Elles traitent du non-respect des obligations linguistiques ainsi que du maintien des droits linguistiques, tel que prévu à la Charte et ensuite, dans la LLO dans le cadre de l'adoption et l'application de la LC.    Elles sont susceptibles d'être tranchées par voie judiciaire, d'ailleurs, un tel recours est déjà prévu à la partie X de la LLO. La Commissaire, étant chargée par la loi de surveiller l'application de la LLO, satisfait amplement le critère d'intérêt véritable. Quant à l'AJEFO, l'Association des juristes d'expression française en Ontario, tel que le nom l'indique, cette association fait la promotion de la langue française dans les milieux juridiques ontariens. Elle a un intérêt véritable quant au maintien des droits linguistiques dans un milieu juridique. Son recours est également prévu dans la LLO, en tant que plaignant. À mon avis, les deux premiers critères sont satisfaits.

[98]            La partie défenderesse maintient en l'espèce qu'il existe d'autres moyens raisonnables et efficaces de soumettre la question à la Cour. Il pourrait bien y avoir d'autres manières de saisir les tribunaux de la question, tel un contrevenant au sens de la LC. Cependant, le législateur a expressément prévu dans la LLO, le pouvoir et la qualité d'agir pour la Commissaire et le plaignant, en l'espèce l'AJEFO, en ce qui concerne la présente instance.

[99]            La Cour suprême a également prévu une discrétion d'accorder la qualité d'agir malgré le fait qu'une partie demanderesse ne satisfait pas aux critères.

[100]        Le premier arrêt qui traite de cette question post-Charte est l'arrêt Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, où la Cour suprême indique:


La qualité pour agir reconnue au procureur général pour faire valoir un intérêt purement public dans les limites de son pouvoir légal, par une action de son propre chef ou à l'instigation d'un autre justiciable, constitue une reconnaissance de l'intérêt public à assurer le respect de ces limites. Pour les raisons données dans l'arrêt Thorson, je ne pense pas que son refus d'agir dans un tel cas doive interdire au tribunal de reconnaître, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en conformité avec les critères énoncés dans l'arrêt Borowski, qualité à un particulier pour engager dans l'intérêt public une telle procédure. Les préoccupations traditionnelles des juges de ne pas élargir la qualité pour agir dans l'intérêt public peuvent être résumées ainsi: la crainte d'une dissipation de ressources judiciaires limitées et la nécessité d'écarter les trouble-fête; la préoccupation des tribunaux, quand ils statuent sur des points litigieux, d'entendre les principaux intéressés faire valoir contradictoirement leurs points de vues et la préoccupation relative au rôle propre des tribunaux et à leur relation constitutionnelle avec les autres branches du gouvernement. Ces préoccupations trouvent leur réponse dans les critères d'exercice du pouvoir discrétionnaire des juges de reconnaître qualité pour demander dans l'intérêt public un jugement déclaratoire, que les arrêts Thorson, McNeil et Borowski exposent.

[101]        Dans l'arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (M.E.I.), [1992] 1 R.C.S. 236, la Cour suprême déclare :

L'adoption de la Charte en 1982 a restreint pour la première fois la souveraineté du Parlement d'adopter des lois relevant de sa compétence. La Charte constitutionnalise les droits et libertés des Canadiens. Il appartient aux tribunaux de préserver et de faire respecter les droits garantis par la Charte. À cette fin, ils doivent notamment veiller à ce que les lois ne contreviennent pas aux dispositions de la Charte. Le texte même de la Charte indique qu'il faut interpréter d'une façon souple et libérale la question de la qualité pour agir. Sinon, on ne pourrait assurer le respect des droits garantis par la Charte et on entraverait l'exercice des libertés prévues par la Charte. Il va sans dire que la Loi constitutionnelle de 1982 ne modifie pas le pouvoir discrétionnaire que les tribunaux ont de reconnaître qualité pour agir à des parties d'intérêt public. Elle constitutionnalise le droit fondamental du public d'être gouverné conformément aux règles de droit.                [...]

C'est aux tribunaux qu'il incombe en dernier ressort de déterminer s'il y a eu violation de cette obligation. En conséquence, ils veilleront indubitablement à exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon à reconnaître qualité pour agir dans les cas où ils doivent le faire pour s'assurer que la loi en question est compatible avec la Constitution et la Charte. [...]


La reconnaissance grandissante de l'importance des droits publics dans notre société vient confirmer la nécessité d'élargir la reconnaissance du droit à la qualité pour agir par rapport à la tradition de droit privé qui reconnaissait qualité pour agir aux personnes possédant un intérêt privé. En outre, un élargissement de la qualité pour agir au delà des parties traditionnelles est compatible avec les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982. Toutefois, je tiens à souligner que la reconnaissance de la nécessité d'accorder qualité pour agir dans l'intérêt public dans certaines circonstances ne signifie pas que l'on reconnaîtra pour autant qualité pour agir à toutes les personnes qui désirent intenter une poursuite sur une question donnée. Il est essentiel d'établir un équilibre entre l'accès aux tribunaux et la nécessité d'économiser les ressources judiciaires. Ce serait désastreux si les tribunaux devenaient complètement submergés en raison d'une prolifération inutile de poursuites insignifiantes ou redondantes intentées par des organismes bien intentionnés dans le cadre de la réalisation de leurs objectifs, convaincus que leur cause est fort importante. Cela serait préjudiciable, voire accablant, pour notre système de justice et injuste pour les particuliers.

La reconnaissance de la qualité pour agir a pour objet d'empêcher que la loi ou les actes publics soient à l'abri des contestations. Il n'est pas nécessaire de reconnaître qualité pour agir dans l'intérêt public lorsque, selon une prépondérance des probabilités, on peut établir qu'un particulier contestera la mesure. Il n'est pas nécessaire d'élargir les principes régissant la reconnaissance de la qualité pour agir dans l'intérêt public établis par notre Cour. La décision d'accorder la qualité pour agir relève d'un pouvoir discrétionnaire avec tout ce que cette désignation implique. Les demandes sans mérite peuvent donc être rejetées. Néanmoins, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire, il faut interpréter les principes applicables d'une façon libérale et souple.

[102]        En conséquence, je n'ai aucune hésitation à reconnaître à la Commissaire aux langues officielles et à l'AJEFO la qualité nécessaire quant au recours intenté et également à considérer que la Cour fédérale a pleine juridiction pour entendre le présent dossier quant à ses arguments basés sur la partie IV de la LLO et quant aux motifs basés sur les articles pertinents de la Charte canadienne des droits et libertés relativement aux dispositions prévues à la partie IV de la LLO.

[103]        Il faudra d'abord déterminer si la partie défenderesse a respecté ses obligations prévues à la partie IV de la LLO et nous pourrons établir ensuite s'il y a eu effectivement un manquement aux obligations en vertu de la Charte. Nous répondrons donc à la question ultérieurement.

2-    Quelles sont les obligations de la partie défenderesse relativement aux articles 16 à 22 de la Charte?


[104]        Les articles 16, 20, 21 et 22 de la Charte ont trait à l'usage des deux langues officielles du Canada.

[105]        L'article 16 de la Charte prévoit:


16. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

(3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais.

16. (1) English and French are the official languages of Canada and have equality of status and equal rights and privileges as to their use in all institutions of the Parliament and government of Canada.

(3) Nothing in this Charter limits the authority of Parliament or a legislature to advance the equality of status or use of English and French.


[106]        Quant à l'article 20, celui-ci précise:


20. (1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :

a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;

b) l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.

20. (1) Any member of the public in Canada has the right to communicate with, and to receive available services from, any head or central office of an institution of the Parliament or government of Canada in English or French, and has the same right with respect to any other office of any such institution where

a) there is a significant demand for communications with and services from that office in such language; or

b) due to the nature of the office, it is reasonable that communications with and services from that office be available in both English and French.


[107]        L'article 21 se lit comme suit:



21. Les articles 16 à 20 n'ont pas pour effet, en ce qui a trait à la langue française ou anglaise ou à ces deux langues, de porter atteinte aux droits, privilèges ou obligations qui existent ou sont maintenus aux termes d'une autre disposition de la Constitution du Canada.

21. Nothing in sections 16 to 20 abrogates or derogates from any right, privilege or obligation with respect to the English and French languages, or either of them, that exists or is continued by virtue of any other provision of the Constitution of Canada.


[108]        Finalement, l'article 22 mentionne:


22. Les articles 16 à 20 n'ont pas pour effet de porter atteinte aux droits et privilèges, antérieurs ou postérieurs à l'entrée en vigueur de la présente charte et découlant de la loi ou de la coutume, des langues autres que le français ou l'anglais.

22. Nothing in sections 16 to 20 abrogates or derogates from any legal or customary right or privilege acquired or enjoyed either before or after the coming into force of this

Charter with respect to any language that is not English or French.


[109]        Dans l'arrêt R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, la Cour suprême examine l'historique législatif des droits linguistiques. Elle rappelle:

En 1986, trois arrêts portant sur les droits linguistiques devant les tribunaux paraissent avoir renversé la tendance à adopter une interprétation libérale des garanties linguistiques constitutionnelles: MacDonald c.Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, [1986] 1 R.C.S. 549, et Bilodeau c. Procureur général du Manitoba, [1986] 1 R.C.S. 449. Dans ces arrêts, notre Cour, à la majorité, a statué que l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 garantit un groupe restreint et précis de droits résultant d'un compromis politique et que, contrairement aux garanties juridiques inscrites aux art. 7 à 14 de la Charte, ces droits devraient être interprétés avec "retenue" (Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, à la p. 580). Les juges majoritaires disent ensuite que la progression vers l'égalité des langues officielles est un but qui doit être poursuivi par le processus législatif. Notre Cour a statué que le droit d'employer la langue de son choix prévu à l'art. 133 n'impose pas d'obligation correspondante pour l'État ou un autre individu d'employer la langue ainsi choisie, autre que l'obligation de ne pas empêcher ceux qui souhaitent le faire d'exercer ces droits; voir Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, aux pp. 574 et 575.

[...]


Immédiatement après ces trois arrêts, notre Cour a semblé s'écarter de sa position restrictive. Bien que cette interprétation plus libérale des droits linguistiques n'ait pas toujours visé l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ni les dispositions similaires de l'art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, les nouveaux arrêts en matière linguistique sont intéressants parce qu'ils réaffirment l'importance des droits linguistiques comme soutien des collectivités de langue officielle et de leur culture. Dans l'arrêt Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, aux pp. 748 et 749, la Cour dit:

La langue est si intimement liée à la forme et au contenu de l'expression qu'il ne peut y avoir de véritable liberté d'expression linguistique s'il est interdit de se servir de la langue de son choix. Le langage n'est pas seulement un moyen ou un mode d'expression. Il colore le contenu et le sens de l'expression. Comme le dit le préambule de la Charte de la langue française elle-même, c'est aussi pour un peuple un moyen d'exprimer son identité culturelle. C'est aussi le moyen par lequel un individu exprime son identité personnelle et son individualité.

Encore, dans Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, le juge en chef Dickson dit, à la p. 365, après avoir signalé la mise en garde formulée par le juge Beetz dans Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, précité:

... cela ne veut pas dire que les tribunaux ne devraient pas "insuffler la vie" à l'objet exprimé ou devraient se garder d'accorder les réparations, nouvelles peut-être, nécessaires à la réalisation de cet objet.

[...]

Un autre renvoi, en matière d'éducation cette fois-ci, le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, confirme l'objectif culturel des garanties linguistiques. Notre Cour dit ceci à la p. 850:

L'arrêt Mahe entérine plusieurs principes d'interprétation aux fins de définir les droits garantis par l'art. 23. Premièrement, les tribunaux devraient adopter une analyse fondée sur l'objet lorsqu'ils interprètent les droits. En conséquence, conformément à l'objet du droit défini dans l'arrêt Mahe, les réponses aux questions devraient idéalement être formulées en fonction de ce qui favorisera le mieux l'épanouissement et la préservation de la minorité linguistique francophone dans la province. Deuxièmement, le droit conféré devrait être interprété d'une façon réparatrice, compte tenu des injustices passées qui n'ont pas été redressées et qui ont nécessité l'enchâssement de la protection des droits linguistiques de la minorité.

[110]        La Cour continue :


L'objectif de protéger les minorités de langue officielle, exprimé à l'art. 2 de la Loi sur les langues officielles, est atteint par le fait que tous les membres de la minorité peuvent exercer des droits indépendants et individuels qui sont justifiés par l'existence de la collectivité. Les droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs, ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. Cela concorde avec l'idée préconisée en droit international que la liberté de choisir est dénuée de sens en l'absence d'un devoir de l'État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques;

[111]        Quant à l'article 16, la Cour suprême explique :

Le principe de la progression n'épuise toutefois pas l'art. 16 qui reconnaît officiellement le principe de l'égalité des deux langues officielles du Canada. Il ne limite pas la portée de l'art. 2 de la Loi sur les langues officielles. L'égalité n'a pas un sens plus restreint en matière linguistique. En ce qui concerne les droits existants, l'égalité doit recevoir son sens véritable. Notre Cour a reconnu que l'égalité réelle est la norme applicable en droit canadien. Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s'agit de l'accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada. Le Parlement et les législatures provinciales le savaient quand ils ont réagi à la trilogie (Débats de la Chambre des communes, vol. IX, 1re sess., 33e lég., 6 mai 1986, à la p. 12999) et ont reconnu que les dispositions de 1988 seraient promulguées par des mécanismes de transition, accompagnés d'une aide financière qui permettrait de fournir les services institutionnels nécessaires.

[...]


Même si les droits linguistiques constitutionnels découlent d'un compromis politique, ceci n'est pas une caractéristique qui s'applique uniquement à ces droits. A. Riddell, dans "À la recherche du temps perdu: la Cour suprême et l'interprétation des droits linguistiques constitutionnels dans les années 80" (1988), 29 C. de D. 829, à la p. 846, souligne que l'adoption des art. 7 et 15 de la Charte résulte aussi d'un compromis politique et soutient, à la p. 848, que l'histoire constitutionnelle du Canada ne fournit aucune raison de penser qu'un tel compromis politique exige une interprétation restrictive des garanties constitutionnelles. Je conviens que l'existence d'un compromis politique n'a aucune incidence sur l'étendue des droits linguistiques. L'idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l'égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l'arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée. Ce paragraphe confirme l'égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné. L'article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi. Ce principe d'égalité réelle a une signification. Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en oeuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l'État; voir McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, à la p. 412; Haig c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 995, à la p. 1038; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, au par. 73; Mahe, précité, à la p. 365. Il signifie également que l'exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d'accommodement. Cela dit, il faut noter que la présente affaire ne porte pas sur la possibilité que des droits linguistiques d'origine constitutionnelle soient en conflit avec des droits particuliers prévus par la loi.

Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l'épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada; voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la p. 850. Dans la mesure où l'arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick, précité, aux pp. 579 et 580, préconise une interprétation restrictive des droits linguistiques, il doit être écarté. La crainte qu'une interprétation libérale des droits linguistiques fera que les provinces seront moins disposées à prendre part à l'expansion géographique de ces droits est incompatible avec la nécessité d'interpréter les droits linguistiques comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s'appliquent. Il est également utile de réaffirmer ici que les droits linguistiques sont un type particulier de droits, qui se distinguent des principes de justice fondamentale. Ils ont un objectif différent et une origine différente.   

[112]        La Cour suprême a clairement indiqué que les droits linguistiques sont aussi importants que les autres droits constitutionnels et le fait qu'ils résultent d'un compromis politique ne change en rien ce statut. La partie défenderesse est tenue, en vertu de la Charte, de s'assurer que les droits linguistiques sont respectés. Avant l'adoption de la LC, la partie défenderesse était tenue de maintenir l'égalité en ce qui concerne les droits linguistiques garantis par la Charte et prévus à la LLO et au Code criminel. Ce n'est pas en adoptant une loi, transférant l'administration de certaines poursuites aux provinces, que la partie défenderesse pourra limiter les droits linguistiques constitutionnels. Dans la mesure où la partie défenderesse ne respecte pas les droits garantis dans la Charte lors de l'adoption et de l'application de la LC, elle viole la Charte. Cette position est d'autant plus claire, à la suite de la décision récente de la Cour suprême dans l'arrêt Beaulac, supra.


3-    Est-ce que les municipalités et le gouvernement de l'Ontario agissent pour le compte du Procureur général du Canada au sens de l'article 25 de la LLO lorsqu'ils intentent des poursuites en vertu de la LC?

[113]        L'article 25 de la LLO prévoit:


25. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu'à l'étranger, les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient, et à ce qu'il puisse communiquer avec ceux-ci, dans l'une ou l'autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues, au titre de la présente partie, à une telle obligation.

25. Every federal institution has the duty to ensure that, where services are provided or made available by another person or organization on its behalf, any member of the public in Canada or elsewhere can communicate with and obtain those services from that person or organization in either official language in any case where those services, if provided by the institution, would be required under this Part to be provided in either official language.


[114]        La partie défenderesse a compétence en ce qui concerne les contraventions fédérales. Elle a décidé de simplifier la procédure en adoptant la LC, permettant ainsi au contrevenant de payer l'amende sans devoir comparaître devant le tribunal et sans les flétrissures d'un casier judiciaire.

[115]        L'article 65.3 de la LC stipule :



65.3 (1) Le ministre peut conclure avec le gouvernement d'une province ou une autorité provinciale, municipale ou locale un accord_:

a) portant sur le partage avec cette province ou autorité des amendes et des frais perçus, imposés en vertu de la présente loi pour des contraventions, en vue de l'indemnisation totale ou partielle de cette province ou autorité par le Canada pour l'application de la présente loi;

b) autorisant, par dérogation aux paragraphes 17(1) et (4) de la Loi sur la gestion des finances publiques, le gouvernement de cette province ou cette autorité à prélever, conformément aux modalités de l'accord, des sommes d'argent sur le produit des amendes et des frais visés à l'alinéa a) qui doit être remis au receveur général pour dépôt au Trésor.

65.3 (1) The Minister may enter into an agreement with the government of a province or with any provincial, municipal or local authority

(a) respecting the sharing with that province or authority of fines and fees imposed under this Act that are collected in respect of contraventions, for the purpose of providing for compensation by Canada of that province or authority, in whole or in part, in respect of the administration and enforcement of this Act; and

(b) notwithstanding subsections 17(1) and (4) of the Financial Administration Act, authorizing the government of the province or that authority to withhold amounts, in accordance with the terms and conditions of the agreement, from the fines and fees referred to in paragraph (a) to be remitted to the Receiver General and deposited in the Consolidated Revenue Fund.


[116]        Tel que suggéré par le procureur de la partie demanderesse, l'article 25 de la LLO ne fait que confirmer le principe constitutionnel voulant qu'un gouvernement ne peut pas, en déléguant certaines responsabilités, se défaire de ses obligations constitutionnelles imposées par la Charte. L'obligation incombant au Procureur général du Canada d'offrir les services administratifs reliés aux poursuites de contraventions fédérales dans les deux langues officielles est non seulement imposée par la partie IV de la LLO mais également par la Charte. La partie demanderesse suggère qu'une obligation constitutionnelle ne peut pas être évitée par le biais d'une délégation ou par renvoi par incorporation ou tout autre procédé.

[117]        De son côté, la partie défenderesse soutient que l'article 25 de la LLO ne trouve pas application dans le domaine judiciaire. De plus, ni les tribunaux ontariens ni le Procureur général de l'Ontario ou ses représentants, ni la cité de Mississauga, ni la ville d'Ottawa ou leurs représentants, n'agissent pour le compte de la partie défenderesse.


[118]        La partie défenderesse suggère que le Procureur général de l'Ontario ou de toute autre province, et même les instances municipales dans la mesure où elles exercent des fonctions dans la mise en oeuvre de la LC, n'agissent pas pour le compte d'une institution fédérale. Elle suggère que ces organismes provinciaux ne font qu'exercer les compétences qui leur sont directement conférées par la LC. À titre d'exemple, elle suggère l'alinéa 1(2)b) de la partie I de l'annexe au Règlement sur l'application des lois provinciales qui précise qu'en Ontario, le poursuivant comprend le Procureur général, tel que défini à la LC. L'article 2 de la LC définit procureur général comme étant:

Le procureur général du Canada ou le procureur général d'une province. Est visé par la présente définition tout avocat ou représentant agissant pour le compte du procureur général en ce qui concerne les lois provinciales ou la présente loi, selon le cas.

[119]        Il est également suggéré par la partie défenderesse que lorsque les procureurs provinciaux exercent les pouvoirs de poursuite qui leur sont conférés par la loi fédérale, ils le font pour leur propre compte, conformément notamment à leur compétence générale à l'égard de l'administration de la justice prévue à l'article 92.14 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il s'agit de l'exercice d'une compétence, concurrente à celle du Procureur général du Canada, qu'ils exercent en vertu de la LC comme c'est le cas lorsqu'ils intentent des procédures sous le Code criminel.


[120]        À ce sujet, il convient de distinguer entre les poursuites intentées relativement à des lois fédérales édictées en vertu de la compétence fédérale sous l'article 91.27 et les poursuites intentées en vertu de lois fédérales tombant dans les autres champs de compétence fédérale. H. Brun et G. Tremblay dans Droit constitutionnel, 3e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1997 à la page 511 indiquent, au sujet de l'administration de la justice fédérale non criminelle:

En édictant ses lois, le Parlement fédéral a naturellement cherché à confier à des fonctionnaires fédéraux le soin de voir à leur mise en oeuvre. Et sa compétence à cet égard n'a jamais fait de doute. Voir R. c. Whiskeyjack, (1984) 16 D.L.R. (4th) 231 (C.A. Alta), et la jurisprudence y citée. C'est ainsi que dans R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984, fut reconnue la compétence fédérale de confier au Procureur général du Canada, à l'exclusion des procureurs généraux des provinces, le soin d'intenter et de diriger les poursuites sous le régime d'une loi autre que criminelle au sens constitutionnel. Présumément, une telle compétence fédérale fait partie intégrante de la compétence portant sur le droit substantif en cause.

[121]        En effet, l'arrêt R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984 a établi que le Parlement avait compétence pour promulguer une législation qui autorise le Procureur général du Canada a intenter et diriger les poursuites sous le régime d'une loi autre que le Code criminel. La Cour suprême a indiqué à ce sujet:

Il me semble clair que, par l'effet de cette définition, le procureur général du Canada est le "procureur général" pour toutes les procédures criminelles instituées sur l'instance du gouvernement du Canada et dirigées par ce gouvernement ou pour son compte à l'égard d'une infraction ou d'un complot relatifs à une loi autre que le Code criminel. En conséquence, le procureur général d'une province n'a plus aucun pouvoir à l'égard de procédures ainsi instituées.


[...]

Quoi qu'on dise de la nécessité de restreindre l'étendue du pouvoir fédéral sur la procédure criminelle afin de préserver la compétence provinciale sur l'administration de la justice criminelle, je pense qu'il faut reconnaître au moins ce qu'ont admis trois provinces: le pouvoir législatif complet du fédéral sur les poursuites relatives à la violation ou à un complot en vue de la violation de lois fédérales dont la constitutionnalité ne dépend pas du par. 27 de l'art. 92 (droit criminel). À mon avis, ces provinces ont raison de ne revendiquer aucun droit constitutionnel de subordonner à leur pouvoir exécutif l'application des lois fédérales autres que celles que l'on peut à bon droit considérer comme du "droit criminel".

[122]        La question de l'administration des lois fédérales édictées en vertu de la compétence fédérale en matière de "droit criminel" est cependant plus ambiguë en raison de la compétence provinciale en matière de l'administration de la justice prévue à l'article 92.14 de la Loi constitutionnelle de 1867. H. Brun et G. Tremblay dans Droit constitutionnel, supra indiquent à ce sujet à la page 509:

La question la plus difficile qu'a soulevée l'article 92(14) est de savoir si l' « administration de la justice » comprend l'administration de la justice criminelle. Depuis la Confédération, la plupart des intéressés ont pris pour acquis que oui et toutes les provinces ont sans relâche mis en oeuvre (par leurs mesures de police, d'enquête et de direction des poursuites) le droit criminel substantif et procédural édicté par le fédéral. Cependant, dans deux décisions rendues à l'arraché et comportant de fortes dissidences, la Cour suprême a émis une opinion contraire: P.G. Canada c. Transports Nationaux du Canada Ltée, [1983] 2 R.C.S. 206; et R. c. Wetmore, [1983] 2 R.C.S. 284.

[123]        Ainsi dans Transports Nationaux du Canada Ltée, supra, la Cour Suprême a conclu:


Je trouve difficile voire impossible d'interpréter le par. 92(14) comme englobant non seulement le pouvoir de poursuivre en matière d'application du droit criminel fédéral mais aussi comme diminuant la portée littérale du par. 91(27) qui inclut la procédure en matière criminelle. Rien dans le texte du par. 92(14) ne vise le pouvoir de poursuivre à l'égard de matières relevant du droit criminel fédéral. Le paragraphe 92(14) confère une compétence sur l'administration de la justice, pour ce qui est notamment de la procédure en matière civile et la création, du maintien et de l'organisation de tribunaux de juridiction civile et criminelle dans la province. Le paragraphe réduit donc la portée de la compétence en matière de droit criminel conférée par l'art. 91, mais seulement quant à ce qui touche la "création, le maintien et l'organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction ... criminelle". Aucune extension du sens de ces mots ne peut leur faire dire qu'ils visent la compétence en matière de poursuites criminelles.

[124]        Cependant, même si la Cour suprême a indiqué dans ces arrêts que le fédéral a compétence exclusive en matière de poursuites criminelles, les auteurs H. Brun, G. Tremblay et P.W. Hogg soutiennent que cette compétence n'est pas exclusive mais concurrente.

[125]        P. W. Hogg dans Constitutional Law of Canada, supra, indique à la page 19-17:

The CN Transportation and Wetmore cases establish the existence of federal power to provide for the prosecution of federal offences, whether created under the criminal law power or some other head of federal power. Despite an obiter dictum of Laskin C.J.'s to the effect that this federal power is exclusive, the better view in my opinion is that the federal power is concurrent with provincial prosecutorial authority derived from the administration of justice in the province. Concurrency flows more naturally from the earlier decision in Di Iorio where, it will be recalled, the Supreme Court of Canada, over Laskin C.J.'S dissent, upheld provincial power to hold an inquiry into organized crime in the province of Quebec. And concurrency accords more happily with the long history of provincial prosecution of Criminal Code offences.

[126]        Pour leur part, H. Brun et G. Tremblay dans Droit constitutionnel, supra, acceptent également cette interprétation de P.W. Hogg quant à la compétence concurrente des provinces et du fédéral en matière de poursuites criminelles et mentionnent à la page 509:


En réalité, la ratio de ces décision est assez limitée: elle établit que le fédéral est compétent pour régir la direction des poursuites criminelles (et donc la confier au Procureur général du Canada plutôt qu'aux procureurs généraux des provinces). Même si la majorité ajoute en obiter que cette compétence fédérale est exclusive, la tendance jurisprudentielle décisive accrédite l'idée que les provinces jouissent d'une compétence concurrente sur la même matière. Cette tendance veut en effet que l'article 92(14) couvre l'administration de la justice tant criminelle que civile.

[127]        Ainsi, il ne fait pas de doute que le fédéral a compétence exclusive en matière de poursuites intentées relativement à des lois fédérales édictées en vertu des compétences fédérales autres que celle prévue à l'article 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[128]        Pour ce qui est de la compétence en matière de poursuites intentées relativement à des infractions à des lois fédérales édictées par le fédéral en vertu de sa compétence prévue à l'article 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, selon les arrêts mentionnés ci-haut, le fédéral a également compétence exclusive.

[129]        Cependant, je suis sensible aux arguments soutenus par la doctrine voulant que la compétence fédérale relativement aux poursuites criminelles soit de compétence concurrente avec celle des provinces.


[130]        Par contre, pour ce qui est de la suggestion de la part du procureur de la partie défenderesse à l'effet que les instances municipales exercent leurs compétences en vertu de la LC pour leur propre compte lorsqu'elles émettent des procès-verbaux et en assurent le traitement et la poursuite, ces arguments m'apparaissent beaucoup moins convaincants.

[131]        En effet, les municipalités sont des créatures des gouvernements provinciaux et leur existence n'est aucunement garantie ni par la Constitution ni par la Charte.

[132]        Elles n'ont de pouvoirs que ceux qui leur ont été établis par les autorités provinciales.


[133]        Je ne dispute pas le droit et la légitimité qu'ont les gouvernements fédéral et provinciaux de confier l'administration de certaines fonctions, même quant aux poursuites, à certaines autorités municipales. Cependant, bien que la compétence générale à l'égard de l'administration de la justice prévue à l'article 92.14 de la Loi constitutionnelle de 1867, pourrait à la rigueur conférer des pouvoirs concurrents aux procureurs généraux des provinces, la partie défenderesse ne m'a pas convaincu que les gouvernements municipaux possèdent le pouvoir d'exercer ces compétences en matière des contraventions, comme ce pourrait être le cas pour les procureurs généraux des provinces si on acceptait que la province a une compétence concurrente en matière de poursuites relativement à des infractions aux lois fédérales édictées en vertu de l'article 91.27 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[134]        Cependant, force est de reconnaître que le Procureur général du Canada et le Procureur général de l'Ontario sont tout à fait dans leur droit de confier la mise en oeuvre de la LC sur leur territoire à certains gouvernements municipaux et pour ce faire, d'établir, de temps à autres, des ententes précises pour encadrer cette délégation de pouvoirs.

[135]        Dans les circonstances, il apparaît clair que le gouvernement fédéral a plein pouvoir pour déléguer, au gouvernement provincial ou a des municipalités, la gestion des poursuites des infractions aux lois et règlements fédéraux. Le gouvernement provincial de l'Ontario a choisi de déléguer ce pouvoir de gestion par voie législative réglementaire et par ententes spécifiques portant sur la gestion de certaines contraventions par les autorités municipales.

[136]        Suivant cette analyse, l'obligation pour le délégué de respecter les lois linguistiques auxquelles était tenu le déléguant, soit le gouvernement du Canada ou de l'Ontario, selon le cas, demeure.


[137]        Il apparaît donc important de s'assurer que les obligations légales du déléguant, soit le gouvernement fédéral ou des délégués, le gouvernement de l'Ontario et les gouvernements municipaux, particulièrement en regard des droits linguistiques qui ont été précédemment qualifiés de droits constitutionnels, soient encadrées et spécifiées suffisamment afin de s'assurer que tout justiciable puisse voir ses droits respectés, que la loi en matière de contravention soit gérée par le gouvernement fédéral, le gouvernement de l'Ontario ou encore les autorités municipales.

[138]        J'en arrive donc à la conclusion que la province de l'Ontario ainsi que les municipalités ayant reçu les pouvoirs délégués de la province de l'Ontario agissent pour le compte du gouvernement du Canada dans la mise en oeuvre de la LC et que les gouvernement municipaux qui ont signé une entente avec Justice Canada agissent eux aussi pour le compte du gouvernement du Canada.

[139]        De plus, même s'il était accepté que le Procureur général de l'Ontario, dans son application de la LC, agissait en vertu des pouvoirs qui lui sont attribués par l'article 92.14 de la Loi constitutionnelle de 1867, il serait quand même tenu de respecter les droits linguistiques quasi-constitutionnels prévus à la LLO et aux articles 530 et 530.1 du Code criminel.


[140]        Il faut se rappeler que le Procureur général de l'Ontario, dans l'application de la LC, applique une loi fédérale sur le territoire de sa province. Les justiciables sont en droit de s'attendre à ce que leurs droits linguistiques leur soient garantis au même titre que si l'application de la LC était faite par le Procureur général du Canada.

[141]        L'application d'une loi fédérale d'application générale sur l'ensemble du territoire canadien telle que la LLO, ne peut être appliquée de façon discriminatoire en fonction de la personne qui est chargée de l'application de la LC. Ainsi, les garanties linguistiques prévues à la LLO et au Code criminel s'appliqueront peu importe que ce soit le Procureur général du Canada ou le Procureur général de l'Ontario, ou encore les municipalités qui seront chargées de l'application de la LC.


[142]        Par conséquent, la véritable question à laquelle la Cour devra répondre est à savoir si le Procureur général de l'Ontario et les municipalités ont respecté les obligations que le Procureur général du Canada est lui-même tenu de respecter en regard de la protection des droits linguistiques prévus à la partie IV de la LLO et aux articles 530 et 530.1 du Code criminel, lesquels ont été adoptés en même temps que les amendements à la LLO en 1988 et ont acquis la même valeur quasi-constitutionnelle.

4-    Est-ce que la partie défenderesse, le Procureur général de l'Ontario et les municipalités ont respecté les obligations prévues aux parties IV de la LLO ainsi que les droits prévus aux articles 16 à 20 de la Charte dans le cadre de l'adoption et de l'application de la LC et de ses règlements?

[143]        La partie défenderesse a une obligation relativement aux droits linguistiques en vertu de la Charte, tel que discuté ci-haut.    Elle a également une obligation en vertu de la LLO, une loi fédérale quasi-constitutionnelle qui s'inspire de la Charte, elle-même.    

[144]        Dans l'arrêt Viola, supra, la Cour d'appel fédérale a déclaré:

La Loi sur les langues officielles de 1988 n'est pas une loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l'expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d'interprétation de cette Charte telles qu'elles ont été définies par la Cour suprême du Canada, [Footnote 2 appended to judgment]. Dans la mesure, par ailleurs, où elle constitue un prolongement des droits et garanties reconnus dans la Charte, et de par son préambule, de par son objet défini en son article 2, de par sa primauté sur les autres lois établies en son paragraphe 82(1), elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi-constitutionnelles qui expriment "certains objectifs fondamentaux de notre société" et qui doivent être interprétées "de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous-tendent."


[145]        Avant les modifications à la LC en 1996, les communications avec le public et la prestation des services extrajudiciaires reliés à l'administration des poursuites des contraventions fédérales étaient fournis par le ministère de Justice Canada, dans les deux langues officielles, conformément à la partie IV de la LLO et à l'article 20 de la Charte.

[146]        Les articles pertinents de la partie IV de la LLO se lisent comme suit:



21. Le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services conformément à la présente partie.

22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l'une ou l'autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux -- auxquels sont assimilés, pour l'application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services -- situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.

...

24. (1) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, tant au Canada qu'à l'étranger, et en recevoir les services dans l'une ou l'autre des langues officielles :

a) soit dans les cas, fixés par règlement, touchant à la santé ou à la sécurité du public ainsi qu'à l'emplacement des bureaux, ou liés au caractère national ou international de leur mandat;

b) soit en toute autre circonstance déterminée par règlement, si la vocation des bureaux justifie l'emploi des deux langues officielles.

...

25. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu'à l'étranger, les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient, et à ce qu'il puisse communiquer avec ceux-ci, dans l'une ou l'autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues, au titre de la présente partie, à une telle obligation.

...

27. L'obligation que la présente partie impose en matière de communications et services dans les deux langues officielles à cet égard vaut également, tant sur le plan de l'écrit que de l'oral, pour tout ce qui s'y rattache.

28. Lorsqu'elles sont tenues, sous le régime de la présente partie, de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux ou recevoir les services de ceux-ci ou de tiers pour leur compte, dans l'une ou l'autre langue officielle, il incombe aux institutions fédérales de veiller également à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public, notamment par entrée en communication avec lui ou encore par signalisation, avis ou documentation sur les services, que ceux-ci lui sont offerts dans l'une ou l'autre langue officielle, au choix.

29.Tous les panneaux et enseignes signalant les bureaux d'une institution fédérale doivent être dans les deux langues officielles, ou placés ensemble de façon que les textes de chaque langue soient également en évidence.

21. Any member of the public in Canada has the right to communicate with and to receive available services from federal institutions in accordance with this Part.

22. Every federal institution has the duty to ensure that any member of the public can communicate with and obtain available services from its head or central office in either official language, and has the same duty with respect to any of its other offices or facilities (a) within the National Capital Region; or (b) in Canada or elsewhere, where there is significant demand for communications with and services from that office or facility in that language.

...

24. (1) Every federal institution has the duty to ensure that any member of the public can communicate in either official language with, and obtain available services in either official language from, any of its offices or facilities in Canada or elsewhere

(a) in any circumstances prescribed by regulation of the Governor in Council that relate to any of the following:

(i) the health, safety or security of members of the public,

(ii) the location of the office or facility, or

(iii) the national or international mandate of the office; or

(b) in any other circumstances prescribed by regulation of the Governor in Council where, due to the nature of the office or facility, it is reasonable that communications with and services from that office or facility be available in both official languages.

...

25. Every federal institution has the duty to ensure that, where services are provided or made available by another person or organization on its behalf, any member of the public in Canada or elsewhere can communicate with and obtain those services from that person or organization in either official language in any case where those services, if provided by the institution, would be required under this Part to be provided in either official language.            

...

27. Wherever in this Part there is a duty in respect of communications and services in both official languages, the duty applies in respect of oral and written communications and in respect of any documents or activities that relate to those communications or services.

28. Every federal institution that is required under this Part to ensure that any member of the public can communicate with and obtain available services from an office or facility of that institution, or of another person or organization on behalf of that institution, in either official language shall ensure that appropriate measures are taken, including the provision of signs, notices and other information on services and the initiation of communication with the public, to make it known to members of the public that those services are available in either official language at the choice of any member of the public.

29. Where a federal institution identifies any of its offices or facilities with signs, each sign shall include both official languages or be placed together with a similar sign of equal prominence in the other official language.



[147]         Suite à l'adoption de l'article 65.1 de la LC, c'est la Loi sur les services en français de l'Ontario qui semble vouloir déterminer les droits linguistiques en Ontario.

[148]         Il serait cependant faux de prétendre que l'application successive et cumulative de la LC, de la Loi sur les services en français de l'Ontario et les ententes intervenues entre la partie défenderesse et le Procureur général de l'Ontario et les municipalités de Mississauga et Ottawa puissent rendre inopérante la partie IV de la LLO ou encore l'article 20 de la Charte.

[149]         La partie IV de la LLO et l'article 20 de la Charte s'appliquent toujours, et s'il y a conflit avec la Loi sur les services en français de l'Ontario, la prédominance doit être accordée à la LLO et à l'article 20 de la Charte.

[150]         La Loi sur les services en français précise:



1. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« organisme gouvernemental » S'entend des organismes suivants :

a) un ministère du gouvernement de l'Ontario, sauf que les établissements     psychiatriques, les foyers et les collèges d'arts appliqués et de technologie administrés par un ministère ne sont pas inclus, à moins d'être désignés par les règlements en tant qu'organismes offrant des services publics;

     b) un conseil, une commission ou une personne morale dont la majorité des membres ou des administrateurs sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil;

     c) une personne morale à but non lucratif ou une organisation semblable, qui fournit un service au public, reçoit des subventions qui sont prélevées sur les deniers publics, et est désignée par les règlements en tant qu'organisme offrant des services publics;

     d) une maison de soins infirmiers au sens de la Loi sur les maisons de soins infirmiers ou un foyer de soins spéciaux au sens de la Loi sur les foyers de soins spéciaux qui sont désignés par les règlements en tant qu'organismes offrant des services publics;

     e) un fournisseur de services au sens de la Loi sur les services à l'enfance et à la famille ou un conseil d'administration au sens de la Loi sur les conseils d'administration de district des services sociaux qui sont désignés par les règlements en tant qu'organismes offrant des services publics.

     Sont exclus les municipalités, de même que les conseils locaux au sens de la Loi sur les affaires municipales, à l'exception des conseils locaux qui sont désignés aux termes de l'alinéa e). ( « government agency » )               

« service » Service ou procédure qu'un organisme gouvernemental ou une institution de la Législature fournit au public. S'entend en outre des communications faites en vue de fournir le service ou la procédure. ( « service » )

[...]

5. (1) Chacun a droit à l'emploi du français, conformément à la présente loi, pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale d'un organisme gouvernemental ou d'une institution de la Législature et pour en recevoir les services. Chacun jouit du même droit à l'égard de tout autre bureau de l'organisme ou de l'institution qui se trouve dans une région désignée à l'annexe ou qui sert une telle région.

(2) Lorsque le même service est fourni par plus d'un bureau dans une région désignée, le lieutenant-gouverneur en conseil peut désigner un ou plusieurs des bureaux afin qu'ils fournissent le service en français, s'il est d'avis que le public de la région désignée bénéficiera ainsi d'un accès raisonnable au service en français.

(3) Si un ou plusieurs bureaux sont désignés en vertu du paragraphe (2), le paragraphe (1) ne s'applique pas à l'égard du service offert par les autres bureaux de la région désignée.

[...]

7. Si toutes les mesures raisonnables ont été prises et que tous les projets raisonnables ont été élaborés afin de faire respecter la présente loi, les obligations qu'elle impose aux organismes gouvernementaux et aux institutions de la Législature sont assujetties aux limitations raisonnables et nécessaires qu'exigent les circonstances.         

8. Le lieutenant-gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) désigner des organismes offrant des services publics, aux fins de la définition du terme « organisme gouvernemental » ;

b) modifier l'annexe en y ajoutant des régions;

c) exempter des services de l'application des articles 2 et 5 si, de l'avis du lieutenant-gouverneur en conseil, cette mesure s'avère raisonnable et nécessaire et si elle ne porte pas atteinte à l'objet général de la présente loi.

9. (1) Le règlement qui désigne un organisme offrant des services publics peut restreindre le champ d'application de la désignation de sorte que celle-ci ne porte que sur des services précis que fournit l'organisme, ou préciser les services qui sont exclus de la désignation.

[...]

14. (1) Le conseil d'une municipalité située dans une région désignée à l'annexe peut adopter un règlement municipal prévoyant que l'administration de la municipalité se fera en français et en anglais et que les services municipaux au public, ou une partie précisée de ces services, seront fournis dans ces deux langues.

(2) Lorsqu'un règlement municipal visé au paragraphe (1) est en vigueur, chacun a droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau de la municipalité et pour recevoir les services visés par le règlement municipal.

(3) Si une région désignée à l'annexe fait partie d'une municipalité régionale ou de communauté urbaine et que le conseil d'une municipalité situé dans la région adopte un règlement municipal en vertu du paragraphe (1), le conseil de la municipalité régionale ou de communauté urbaine peut également adopter un tel règlement municipal en ce qui concerne son administration et ses services.

1. In this Act,

"government agency" means,

(a) a ministry of the Government of Ontario, except that a psychiatric facility, residential facility or college of applied arts and technology that is administered by a ministry is not included unless it is designated as a public service agency by the regulations,

(b) a board, commission or corporation the majority of whose members or directors are appointed by the Lieutenant Governor in Council,

(c) a non-profit corporation or similar entity that provides a service to the public, is subsidized in whole or in part by public money and is designated as a public service agency by the regulations,

(d) a nursing home as defined in the Nursing Homes Act or a home for special care as defined in the Homes for Special Care Act that is designated as a public service agency by the regulations,

(e) a service provider as defined in the Child and Family Services Act or a board as defined in the District Social Services Administration Boards Act that is designated as a public service agency by the regulations,

and does not include a municipality, or a local board as defined in the Municipal Affairs Act, other than a local board that is designated under clause (e); ("organisme gouvernemental")

"service" means any service or procedure that is provided to the public by a government agency or institution of the Legislature and includes all communications for the purpose. ("service")

[...]

5. (1) A person has the right in accordance with this Act to communicate in French with, and to receive available services in French from, any head or central office of a government agency or institution of the Legislature, and has the same right in respect of any other office of such agency or institution that is located in or serves an area designated in the Schedule.

(2) When the same service is provided by more than one office in a designated area, the Lieutenant Governor in Council may designate one or more of those offices to provide the service in French if the Lieutenant Governor in Council is of the opinion that the public in the designated area will thereby have reasonable access to the service in French.

(3) If one or more offices are designated under subsection (2), subsection (1) does not apply in respect of the service provided by the other offices in the designated area.

[...]

7. The obligations of government agencies and institutions of the Legislature under this Act are subject to such limits as circumstances make reasonable and necessary, if all reasonable measures and plans for compliance with this Act have been taken or made.

8. The Lieutenant Governor in Council may make regulations,

(a) designating public service agencies for the purpose of the definition of "government agency";

(b) amending the Schedule by adding areas to it;

(c) exempting services from the application of sections 2 and 5 where, in the opinion of the Lieutenant Governor in Council, it is reasonable and necessary to do so and where the exemption does not derogate from the general purpose and intent of this Act.

9. (1) A regulation designating a public service agency may limit the designation to apply only in respect of specified services provided by the agency, or may specify services that are excluded from the designation.

[...]

14. (1) The council of a municipality that is in an area designated in the Schedule may pass a by-law providing that the administration of the municipality shall be conducted in both English and French and that all or specified municipal services to the public shall be made available in both languages.

(2) When a by-law referred to in subsection (1) is in effect, a person has the right to communicate in English or French with any office of the municipality, and to receive available services to which the by-law applies, in either language.

(3) Where an area designated in the Schedule is in a metropolitan or regional municipality and the council of a municipality in the area passes a by-law under subsection (1), the council of the metropolitan or regional municipality may also pass a by-law under subsection (1) in respect of its administration and services.



[151]         Quant au traitement judiciaire des poursuites relatives aux contraventions fédérales, avant les modifications apportées à la LC, les garanties linguistiques prévues à l'article 16 de la Charte étaient assurées par l'application des articles 530 et 530.1 du Code criminel.

[152]         Les articles 530 et 530.1 du Code criminel indiquent:



530. (1) Sur demande d'un accusé dont la langue est l'une des langues officielles du Canada, faite au plus tard :

a) au moment où la date du procès est fixée:

(i) s'il est accusé d'une infraction mentionnée à l'article 553 ou punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

(ii) si l'accusé doit être jugé sur un acte d'accusation présenté en vertu de l'article 577;

b) au moment de son choix, s'il choisit de subir son procès devant un juge de la cour provinciale en vertu de l'article 536 ou d'être jugé par un juge sans jury et sans enquête préliminaire en vertu de l'article 536.1;

c) au moment où il est renvoyé pour subir son procès :

(i) s'il est accusé d'une infraction mentionnée à l'article 469,

(ii) s'il a choisi d'être jugé par un tribunal composé d'un juge seul ou d'un juge et d'un jury,

(iii) s'il est réputé avoir choisi d'être jugé par un tribunal composé d'un juge et d'un jury,

un juge de paix, un juge de la cour provinciale ou un juge de la Cour de justice du Nunavut ordonne que l'accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l'accusé ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.

(2) Sur demande d'un accusé dont la langue n'est pas l'une des langues officielles du Canada, faite au plus tard à celui des moments indiqués aux alinéas (1)a) à c) qui est applicable, un juge de paix ou un juge de la cour provinciale peut rendre une ordonnance à l'effet que l'accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle du Canada qui, de l'avis du juge de paix ou du juge de la cour provinciale, permettra à l'accusé de témoigner le plus facilement ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.

(3) Le juge de paix ou le juge de la cour provinciale devant qui l'accusé comparaît pour la première fois avise l'accusé, s'il n'est pas représenté par procureur, de son droit de demander une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) et des délais à l'intérieur desquels il doit faire une telle demande.

(4) Lorsqu'un accusé ne présente aucune demande pour une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) et que le juge de paix, le juge de la cour provinciale ou le juge devant qui l'accusé doit subir son procès -- appelés « tribunal » dans la présente partie -- est convaincu qu'il est dans les meilleurs intérêts de la justice que l'accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l'accusé ou, si la langue de l'accusé n'est pas l'une des langues officielles du Canada, la langue officielle du Canada qui, de l'avis du tribunal, permettra à l'accusé de témoigner le plus facilement, le tribunal peut, par ordonnance, s'il ne parle pas cette langue, renvoyer l'accusé pour qu'il subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent cette langue ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.

(5) Une ordonnance rendue en vertu du présent article, à l'effet qu'un accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l'accusé ou la langue officielle du Canada qui permettra à l'accusé de témoigner le plus facilement peut, si les circonstances le justifient, être modifiée par le tribunal de façon à exiger que l'accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent les deux langues officielles du Canada.

530.1 Lorsqu'il est ordonné, sous le régime de l'article 530, qu'un accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle qui est celle de l'accusé ou la langue officielle qui permettra à l'accusé de témoigner le plus facilement :

a) l'accusé et son avocat ont le droit d'employer l'une ou l'autre langue officielle au cours de l'enquête préliminaire et du procès;

b) ils peuvent utiliser l'une ou l'autre langue officielle dans les actes de procédure ou autres documents de l'enquête préliminaire et du procès;                                

c) les témoins ont le droit de témoigner dans l'une ou l'autre langue officielle à l'enquête préliminaire et au procès;

d) l'accusé a droit à ce que le juge présidant l'enquête parle la même langue officielle que lui;

e) l'accusé a droit à ce que le poursuivant -- quand il ne s'agit pas d'un poursuivant privé -- parle la même langue officielle que lui;

f) le tribunal est tenu d'offrir des services d'interprétation à l'accusé, à son avocat et aux témoins tant à l'enquête préliminaire qu'au procès;

g) le dossier de l'enquête préliminaire et celui du procès doivent comporter la totalité des débats dans la langue officielle originale et la transcription de l'interprétation, ainsi que toute la preuve documentaire dans la langue officielle de sa présentation à l'audience;

h) le tribunal assure la disponibilité, dans la langue officielle qui est celle de l'accusé, du jugement – exposé des motifs compris -- rendu par écrit dans l'une ou l'autre langue officielle.

530. (1) On application by an accused whose language is one of the official languages of Canada, made not later than

(a) the time of the appearance of the accused at which his trial date is set, if

(i) he is accused of an offence mentioned in section 553 or punishable on summary conviction, or

(ii) the accused is to be tried on an indictment preferred under section 577,

(b) the time of the accused's election, if the accused elects under section 536 to be tried by a provincial court judge or under section 536.1 to be tried by a judge without a jury and without having a preliminary inquiry, or

(c) the time when the accused is ordered to stand trial, if the accused

(i) is charged with an offence listed in section 469,

(ii) has elected to be tried by a court composed of a judge or a judge and jury, or

(iii) is deemed to have elected to be tried by a court composed of a judge and jury,

a justice of the peace, provincial court judge or judge of the Nunavut Court of Justice shall grant an order directing that the accused be tried before a justice of the peace, provincial court judge, judge or judge and jury, as the case may be, who speak the official language of Canada that is the language of the accused or, if the circumstances warrant, who speak both official languages of Canada.

(2) On application by an accused whose language is not one of the official languages of Canada, made not later than whichever of the times referred to in paragraphs (1)(a) to (c) is applicable, a justice of the peace or provincial court judge may grant an order directing that the accused be tried before a justice of the peace, provincial court judge, judge or judge and jury, as the case may be, who speak the official language of Canada in which the accused, in the opinion of the justice or provincial court judge, can best give testimony or, if the circumstances warrant, who speak both official languages of Canada.

(3) The justice of the peace or provincial court judge before whom an accused first appears shall, if the accused is not represented by counsel, advise the accused of his right to apply for an order under subsection (1) or (2) and of the time before which such an application must be made.

(4) Where an accused fails to apply for an order under subsection (1) or (2) and the justice of the peace, provincial court judge or judge before whom the accused is to be tried, in this Part referred to as "the court", is satisfied that it is in the best interests of justice that the accused be tried before a justice of the peace, provincial court judge, judge or judge and jury who speak the official language of Canada that is the language of the accused or, if the language of the accused is not one of the official languages of Canada, the official language of Canada in which the accused, in the opinion of the court, can best give testimony, the court may, if it does not speak that language, by order remand the accused to be tried by a justice of the peace, provincial court judge, judge or judge and jury, as the case may be, who speak that language or, if the circumstances warrant, who speak both official languages of Canada.

(5) An order under this section that an accused be tried before a justice of the peace, provincial court judge, judge or judge and jury who speak the official language of Canada that is the language of the accused or the official language of Canada in which the accused can best give testimony may, if the circumstances warrant, be varied by the court to require that the accused be tried before a justice of the peace, provincial court judge, judge or judge and jury who speak both official languages of Canada.

530.1 Where an order is granted under section 530 directing that an accused be tried before a justice of the peace, provincial court judge, judge or judge and jury who speak the official language that is the language of the accused or in which the accused can best give testimony,

(a) the accused and his counsel have the right to use either official language for all purposes during the preliminary inquiry and trial of the accused;

(b) the accused and his counsel may use either official language in written pleadings or other documents used in any proceedings relating to the preliminary inquiry or trial of the accused;

(c) any witness may give evidence in either official language during the preliminary inquiry or trial;

(d) the accused has a right to have a justice presiding over the preliminary inquiry who speaks the official language that is the language of the accused;

(e) except where the prosecutor is a private prosecutor, the accused has a right to have a prosecutor who speaks the official language that is the language of the accused;

(f) the court shall make interpreters available to assist the accused, his counsel or any witness during the preliminary inquiry or trial;

(g) the record of proceedings during the preliminary inquiry or trial shall include

(i) a transcript of everything that was said during those proceedings in the official language in which it was said,

(ii) a transcript of any interpretation into the other official language of what was said, and

(iii) any documentary evidence that was tendered during those proceedings in the official language in which it was tendered; and

(h) any trial judgment, including any reasons given therefor, issued in writing in either official language, shall be made available by the court in the official language that is the language of the accused.


[153]         Récemment, dans l'arrêt Beaulac, supra, le juge Bastarache en examinant la portée de l'article 530 du Code criminel a indiqué:

Le paragraphe 530(1) donne à l'accusé le droit absolu à l'accès égal aux tribunaux désignés dans la langue officielle qu'il estime être la sienne. Les tribunaux saisis d'affaires criminelles sont donc tenus d'être institutionnellement bilingues afin d'assurer l'emploi égal des deux langues officielles du Canada. À mon avis, il s'agit d'un droit substantiel et non d'un droit procédural auquel on peut déroger. Cette interprétation concorde avec le contexte interprétatif décrit plus tôt.

[154]         En adoptant la LC, la partie défenderesse était tenue de garantir et maintenir les droits linguistiques prévus à la Charte et à la LLO.    La partie défenderesse prétend qu'elle a satisfait à son obligation en insérant une clause dans les ententes particulières.


[155]         Voici la clause prévue dans l'accord avec la ville de Mississauga:

4.4           The Corporation shall prosecute "not guilty" pleas for parking tickets in accordance with its practices concerning prosecution of parking offences under its by-laws. When a prosecution is being conducted as a bilingual proceeding under the Courts of Justice Act, R.S.O. (1990) Chap. C-43, the municipal prosecutor assigned to the case must be a person who speaks both the English and the French languages.

[156]         Une clause similaire a été incluse dans l'accord avec la ville d'Ottawa.

[157]         La Loi sur les tribunaux judiciaires stipule:



125.(1) Les langues officielles des tribunaux de l'Ontario sont le français et l'anglais.

(2) Sauf disposition contraire concernant l'usage de la langue française :

a) les audiences des tribunaux se déroulent en anglais et la preuve présentée dans une autre langue doit être traduite en anglais;

b) les documents déposés devant les tribunaux sont soit rédigés en anglais, soit accompagnés d'une traduction en langue anglaise certifiée conforme par un affidavit du traducteur.

126(1) Une partie à une instance qui parle français a le droit d'exiger que l'instance soit instruite en tant qu'instance bilingue.

(2) Les règles suivantes s'appliquent aux instances qui sont instruites en tant qu'instances bilingues :

1. Les audiences que la partie précise sont présidées par un juge ou un autre officier de justice qui parle français et anglais.

2. Si une audience que la partie a précisée se tient devant un juge et un jury dans un secteur mentionné à l'annexe 1, le jury se compose de personnes qui parlent français et anglais.

3. Si une audience que la partie a précisée se tient sans jury, ou devant un jury dans un secteur mentionné à l'annexe 1, les témoignages et observations présentés en français ou en anglais sont reçus, enregistrés et transcrits dans la langue dans laquelle ils sont présentés.

4. Toute autre partie de l'audience peut être instruite en français si le juge ou l'autre officier de justice qui préside est d'avis qu'il est possible de le faire.

5. Le témoignage oral donné en français ou en anglais lors d'un interrogatoire hors de la présence d'un tribunal est reçu, enregistré et transcrit dans la langue dans laquelle il est donné.

6. Dans un secteur mentionné à l'annexe 2, une partie peut déposer des actes de procédure et d'autres documents rédigés en français.

7. Partout ailleurs en Ontario, une partie peut déposer des actes de procédure et d'autres documents rédigés en français, si les autres parties y consentent.

8. Les motifs d'une décision peuvent être rédigés soit en français, soit en anglais.

9. À la demande d'une partie ou d'un avocat qui parle français mais pas anglais, ou vice versa, le tribunal fournit l'interprétation de tout ce qui est donné oralement dans l'autre langue aux audiences visées aux dispositions 2 et 3 et aux interrogatoires hors de la présence d'un tribunal, ainsi que la traduction des motifs d'une décision rédigés dans l'autre langue.

125.(1) The official languages of the courts of Ontario are English and French.

(2) Except as otherwise provided with respect to the use of the French language,

(a) hearings in courts shall be conducted in the English language and evidence adduced in a language other than English shall be interpreted into the English language; and

(b) documents filed in courts shall be in the English language or shall be accompanied by a translation of the document into the English language certified by affidavit of the translator.

126.(1) A party to a proceeding who speaks French has the right to require that it be conducted as a bilingual proceeding.

(2) The following rules apply to a proceeding that is conducted as a bilingual proceeding:

1. The hearings that the party specifies shall be presided over by a judge or officer who speaks English and French.

2. If a hearing that the party has specified is held before a judge and jury in an area named in Schedule 1, the jury shall consist of persons who speak English and French.

3. If a hearing that the party has specified is held without a jury, or with a jury in an area named in Schedule 1, evidence given and submissions made in English or French shall be received, recorded and transcribed in the language in which they are given.

4. Any other part of the hearing may be conducted in French if, in the opinion of the presiding judge or officer, it can be so conducted.

5. Oral evidence given in English or French at an examination out of court shall be received, recorded and transcribed in the language in which it is given.

6. In an area named in Schedule 2, a party may file pleadings and other documents written in French.

7. Elsewhere in Ontario, a party may file pleadings and other documents written in French if the other parties consent.

8. The reasons for a decision may be written in English or French.

9. On the request of a party or counsel who speaks English or French but not both, the court shall provide interpretation of anything given orally in the other language at hearings referred to in paragraphs 2 and 3 and at examinations out of court, and translation of reasons for a decision written in the other language.



[158]         Les clauses dans les accords avec les villes de Mississauga et Ottawa garantissent au contrevenant un procès bilingue en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires; de plus, les municipalités ont pris l'engagement d'avoir un procureur bilingue. Si les poursuites sont intentées par la province de l'Ontario, en vertu de l'entente verbale générale avec la partie défenderesse, la Loi sur les tribunaux judiciaires est appliquée.

[159]         Il faut examiner si ces mesures, prises à la fois par le gouvernement provincial et les autorités municipales, assurent que la partie défenderesse, le Procureur général de l'Ontario et les municipalités n'ont pas manqué et ne manqueront pas à leurs obligations ni en vertu de la Charte ni en vertu de la LLO.

[160]         Relativement aux services extra-judiciaires reliés à la gestion des poursuites des contraventions en vertu de la LC, le tribunal note que la Loi sur les services en français de l'Ontario ne couvre que les régions désignées pour l'application de cette Loi et que les municipalités ne sont pas toutes assujetties à la Loi sur les services en français.   

[161]         Le procureur de la partie demanderesse a soulevé avec justesse que les droits linguistiques quant à l'affichage, aux droits de plaintes à la Commissaire aux langues officielles et l'offre active de services en français sont maintenant absents dans l'application de la Loi sur les contraventions en Ontario, puisqu'ils ne sont pas compris dans la Loi sur les services en français ni dans la Loi sur les tribunaux judiciaires.


[162]         Il a également été noté, de façon claire, que lorsqu'un individu souhaite obtenir une information en français quant à une infraction commise sur le territoire ontarien relativement à une loi fédérale, l'individu ne s'adressera pas nécessairement aux bureaux du ministère de la Justice à Ottawa ou à Toronto, où les services dans les deux langues officielles sont assurés, mais plutôt à l'endroit où il a reçu une contravention, et il est loin d'être certain que le justiciable pourra recevoir un service d'information adéquat en français.

[163]         Ainsi, même si la Loi sur les services en français de l'Ontario a élargi l'accès à des services en français en Ontario, elle ne peut pas être, néanmoins, considérée comme respectant les droits linguistiques garantis par la partie IV de la LLO et l'article 20 de la Charte.

[164]         Pour ce qui est du traitement judiciaire des poursuites aux contraventions fédérales, la Cour a assisté et a même participé à un examen quasi-microscopique tant des dispositions du Code criminel aux articles 530 et 530.1 que des articles 125 et 126 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario.


[165]         Il est vrai qu'à première vue, les dispositions de l'article 126 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario semblent se comparer à l'article 530.1 du Code criminel dont les effets ont été suspendus par la mise en oeuvre de la LC et des règlements subséquents.

[166]       Cependant, il ne faut pas oublier, tel qu'il fut indiqué dans l'affaire R. c. Beaulac, supra, qu'en droit canadien, l'égalité réelle est la norme applicable. Il convient de reprendre les passages suivants de l'affaire R c. Beaulac que j'ai d'ailleurs citée abondamment à la question deux ci-haut:

L'égalité n'a pas un sens plus restreint en matière linguistique. En ce qui concerne les droits existants, l'égalité doit recevoir son sens véritable. Notre Cour a reconnu que l'égalité réelle est la norme applicable en droit canadien. Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s'agit de l'accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada.

[...]

Il me semble que toute personne vivant dans un pays qui reconnaît deux langues officielles doit avoir le droit de se servir de l'une ou l'autre de ces langues, et d'être comprise dans la langue de son choix, lorsqu'elle est traduite devant les tribunaux de compétence criminelle. Je répète qu'un procès devant un juge ou un jury qui comprenne la langue de l'accusé devrait être un droit fondamental et non un privilège. Le droit d'être entendu dans une cause criminelle par un juge ou un juge et un jury parlant la langue officielle de l'accusé, même si cette langue officielle est celle de la minorité dans une province donnée, constitue certes un droit qui est le strict minimum dans l'intérêt de la justice et de l'unité canadienne. C'est essentiellement une question d'équité qui est en cause.

[...]

Ce principe d'égalité réelle a une signification. [...] Il signifie également que l'exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d'accommodement.

[...]


Compte tenu de la nature des droits linguistiques, de l'exigence d'une égalité réelle, de l'objet de l'art. 530, décrit en l'espèce, et de l'objet de l'art. 686, je crois que la violation de l'art. 530 est un tort important et non une irrégularité de procédure.

[je souligne.]

[167]         L'article 125(2) de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario établit clairement le contexte, soit que c'est l'anglais qui est la langue de l'administration de la justice en Ontario, sauf exceptions, et que ces exceptions sont encadrées dans le détail par les dispositions de l'article suivant, soit l'article 126.

[168]         Il est clair que la Loi sur les tribunaux judiciaires n'adopte pas le principe de l'égalité réelle des deux langues officielles reconnu par la Charte et la LLO et qu'en fait, le principe qui régit la Loi sur les tribunaux judiciaires est à l'effet qu'il y a une langue principale dans l'administration des tribunaux en Ontario, soit l'anglais, et que la place qui revient à la langue française est celle d'une langue secondaire que l'on accepte d'accommoder. Ceci est d'autant plus clair à la lumière des articles subséquents de la Loi sur les tribunaux judiciaires.


[169]         Ce principe derrière la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario est précisément celui que le juge Bastarache dans l'affaire R. c.Beaulac, supra, a rejeté lorsqu'il a interprété les droits linguistiques garantis par la LLO et la Charte. En effet, ce dernier a indiqué:

Comme je l'ai dit plus tôt, dans un cadre de bilinguisme institutionnel, une demande de service dans la langue de la minorité de langue officielle ne doit pas être traitée comme s'il y avait une langue officielle principale et une obligation d'accommodement en ce qui concerne l'emploi de l'autre langue officielle. Le principe directeur est celui de l'égalité des deux langues officielles.

[170]         Il faut se rappeler que le Code criminel établit que la langue de l'accusé est la règle, ce qui ne se retrouve pas de façon formelle dans les dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario.

[171]         De plus, il est clair que l'article 530(3) prévoit l'offre active de services en français et précise que le juge doit prendre les dispositions nécessaires pour offrir à un justiciable que son procès soit instruit en français. Ceci ne se retrouve pas de façon équivalente dans les dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario.

[172]         Considérant, par ailleurs, le fait que les articles 530 et 530.1 du Code criminel ne sont plus appliqués quant au traitement des contraventions suivant le nouveau régime, les justiciables perdent la possibilité de déposer une plainte auprès de la Commissaire aux langues officielles, ce qui n'est pas peu dire.


[173]         La Cour a également noté que seule la partie des infractions sommaires du Code criminel a été importée dans l'application de la LC en Ontario suivant les dispositions de l'article 5 de la Loi. Ceci a pour conséquence de priver le justiciable de tout recours en vertu des droits prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel. Ces articles auraient pu servir à protéger les droits du justiciable si la preuve était faite devant une cour provinciale que les droits prévus par la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario ne protégeaient pas entièrement les droits prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel.

[174]         À cet effet, il a également été établi, devant la Cour, que l'article 30 de la LC n'a jamais été mis en vigueur, ce qui donne davantage de poids à l'argument mentionné précédemment. L'article 30 de la LC précise:


30. L'indication au procès-verbal, par le défendeur, de la langue officielle étant la sienne qu'il désire être celle du procès est présumée être une ordonnance rendue en vertu de l'article 530 du Code criminel et, par conséquent, les articles 530.1 et 531 de cette loi s'appliquent.

30. The choice of a defendant in responding to a ticket as to the official language, being the defendant's language, in which the defendant wishes to be tried is deemed to be an order granted under section 530 of the Criminal Code and accordingly sections 530.1 and 531 of that Act apply in respect of the choice.



[175]         Le procureur de la partie demanderesse a donné plusieurs exemples de différences entre les dispositions de l'article 126 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario et de l'article 530.1 du Code criminel. Par exemple, alors que l'article 530.1(b) du Code criminel précise que les documents déposés au procès ou à l'enquête préliminaire peuvent être déposés dans l'une ou l'autre langue, les dispositions de la Loi ontarienne précisent que seulement dans les régions désignées à l'annexe II, une partie peut déposer des actes de procédures et d'autres documents rédigés en français et que partout ailleurs en Ontario, une partie peut déposer les actes de procédure et d'autres documents rédigés en français si les autres parties y consentent [je souligne.]. Que ce dépôt nécessite le consentement de l'autre partie constitue une entrave importante aux droits linguistiques prévus à l'article 530.1 de façon évidente.

[176]         Les dispositions des articles 126(4) et 126(5) ne sont relatifs qu'au dépôt de documents déposés avant le procès ou l'enquête préliminaire ou encore réfèrent aux actes de procédures. Il apparaît évident qu'un procureur qui souhaiterait déposer un document en français au moment du procès, au moment de l'interrogatoire ou du contre-interrogatoire d'un témoin, ne pourrait le faire, à moins d'avoir le consentement de l'autre partie ou encore de demander un ajournement et d'obtenir une traduction dudit document, ce qui crée une situation inacceptable et non appropriée, dans les circonstances.


[177]         Le procureur de la demanderesse a également attiré l'attention de la Cour sur le fait que les droits prévus à l'article 530.1(e) prévoient que l'accusé a le droit d'avoir un poursuivant qui parle sa langue. Les dispositions de l'article 126(2.1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires précisent que dans une instance bilingue, le poursuivant affecté à la cause doit être une personne qui parle français et anglais, ce qui couvre, à mon avis, les droits linguistiques prévus à l'article. Cependant, le procureur de la demanderesse insiste sur le fait qu'au niveau municipal, la protection des droits linguistiques est accordée sur une base contractuelle puisque c'est l'entente qui impose à la municipalité d'avoir un poursuivant qui soit bilingue. Dans l'éventualité où ce droit ne serait pas accordé pour une raison ou pour une autre, le justiciable ne pourrait pas invoquer un bris de ses droits linguistiques quasi-constitutionnels, mais simplement ses droits à une audience équitable en vertu de l'article 164(4) de la Loi puisqu'il n'est pas partie à l'entente avec la municipalité.


[178]         À cet effet, il est tout à fait concevable qu'un individu francophone qui parle également l'anglais, mais qui souhaite néanmoins subir son procès en français, dans une ville ontarienne, puisse se retrouver dans une situation où la ville n'est pas en mesure de lui fournir un poursuivant qui soit bilingue suivant l'entente intervenue avec le gouvernement. L'individu, se plaignant de la chose en vertu de la Loi, pourrait se retrouver avec une décision d'un juge provincial qui considère que ses droits à une audience équitable n'ont pas été brimés, puisqu'il était en mesure de comprendre l'anglais et le français et que le manquement par la municipalité à fournir un poursuivant francophone ne soit pas retenu.

[179]         Dans la même hypothèse, mais avec la protection quasi-constitutionnelle accordée aux droits linguistiques, la question d'avoir ou non une audience équitable n'a plus aucune importance, puisque le simple fait de ne pas fournir un procureur parlant la langue française, constitue en soi un bris qui puisse éventuellement rendre nulle la procédure intentée contre le justiciable, si ses droits linguistiques ont été brimés.

[180]         Il s'agit d'une nuance importante qui démontre clairement que la protection des droits linguistiques n'est définitivement pas la même au niveau municipal qu'au niveau provincial ou fédéral.


[181]         Le procureur a aussi souligné que les dispositions du Code criminel à l'article 530.1(f) autorisent sans condition le droit à un interprète pour assister l'accusé, son avocat ou un témoin, à l'enquête préliminaire ou au procès. Quant à l'article 530.1(g), il stipule le droit à la transcription de tout ce qui a été dit durant l'instance dans la langue officielle où elle a été dite, ainsi que la transcription dans l'autre langue officielle de tout ce qui a été dit. Les dispositions de l'alinéa 9 du paragraphe 126(2) de la Loi sur les tribunaux judiciaires stipulent que le tribunal fournit l'interprétation de tout ce qui est donné oralement dans l'autre langue et aux interrogatoires, hors la présence du tribunal, mais non pas la transcription de l'interprétation comme ce qui est prévu au Code criminel et ce qui est encore plus inquiétant, c'est que ce service n'est fourni que dans le cas d'une partie ou d'un avocat qui parle le français, mais pas l'anglais, ce qui rend donc à proprement parler l'application de ce paragraphe pratiquement inutilisable, puisqu'il ne pourrait s'appliquer que dans le cas d'accusés ou d'avocats qui ne parlent que le français et ne parlent pas l'anglais. Ceci constitue une diminution de droits importante par rapport à ceux qui sont garantis par les articles 530 et 530.1 du Code criminel; sans oublier que les avocats pratiquant en Ontario qui ne parleraient que le français, et non l'anglais, doivent être rares.


[182]         Je n'ai donc pas d'hésitation à conclure que les mesures prises par la partie défenderesse en application de la LC et les ententes intervenues entre la partie défenderesse et le gouvernement de l'Ontario et les ententes municipales subséquentes ne protègent pas adéquatement et en totalité les droits linguistiques quasi-constitutionnels prévus par les dispositions des articles 530 et 530.1 du Code criminel et par la partie IV de la LLO.

[183]         La violation des droits linguistiques prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel et à la partie IV de la LLO, constitue également une violation des droits prévus aux articles 16 à 20 de la Charte.

[184]         La partie défenderesse n'a pas cru nécessaire de soulever l'application de l'article 1 de la Charte. En fait, elle a toujours soutenu qu'elle n'avait en aucun cas enfreint la Charte.

[185]         Il importe de rappeler que le fardeau de la preuve quant à l'article 1 de la Charte repose sur les épaules de la partie défenderesse puisque c'est elle qui restreint les droits garantis par la Charte.   

[186]         En l'espèce, aucune preuve supplémentaire, autre que celle soumise relativement à la question à savoir si les droits linguistiques avaient été violés, n'a été soumise par les parties afin de déterminer si les droits linguistiques garantis par la Charte étaient restreints par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.


[187]         Par conséquent, je ne crois pas utile de pousser davantage l'analyse d'un point sur lequel les parties ont choisi de demeurer silencieuses.

5-     Est-ce que la partie défenderesse a respecté les obligations prévues aux parties VII de la LLO dans le cadre de l'adoption et de l'application de la LC et de ses règlements?

[188]         Pour les motifs expliqués précédemment dans l'analyse de la réponse à la question en litige numéro 1, il est clair que la Cour n'a pas juridiction pour examiner les manquements, s'ils existent, aux obligations prévues à la partie VII de la LLO dans le cas de l'adoption et de l'application de la LC et de ses règlements. Il ne sera donc pas nécessaire de discuter de cette question.

6-     Est-ce que les remèdes demandés par la Commissaire sont appropriés?


[189]         Quant à la réponse à cette question, j'aborderai les réparations demandées une à une. D'abord, la partie demanderesse demande qu'une déclaration soit faite par la Cour à l'effet que la partie défenderesse n'a pas respecté ses obligations en vertu de la partie IV et de la partie VII; à cet effet, j'ai déjà mentionné plus haut que mes conclusions étaient à l'effet que la partie défenderesse n'avait pas respecté ses obligations en vertu de la partie IV de la LLO. Quant à la deuxième partie de la déclaration demandée, à l'effet que la partie défenderesse n'aurait pas respecté ses obligations en vertu de la partie VII, elle doit être rejetée pour les motifs exprimés précédemment.


[190]         Quant au deuxième remède demandé, à savoir une déclaration que la partie IV de la LLO a préséance sur la LC et ses règlements d'application, la Cour a déjà répondu à la préoccupation à savoir qu'aucune partie devant la Cour n'a soutenu que la LC était illégale ou contenait une clause qui était illégale; cependant, il apparaît clair que le gouvernement du Canada avait toute la latitude pour adopter la LC et ses règlements d'application. Toutefois, le législateur a décidé de suspendre l'application de deux articles du Code criminel, soit les articles 530 et 530.1, lesquels avaient été adoptés au moment des modifications apportées à la LLO. De plus, les droits prévus à la partie IV de la LLO n'ont pas été maintenus lors de l'adoption de la LC et lors des ententes subséquentes qui en ont découlé. Ces dispositions de droits linguistiques ont déjà été considérées comme quasi-constitutionnelles par les tribunaux et il apparaît évident que l'adoption de la LC et ses règlements d'application doivent se faire dans le respect de la Constitution et de la Charte, et que s'il y a conflit entre les droits linguistiques existants et confirmés ultérieurement par la Cour suprême et une autre loi du même Parlement visant à réduire d'une façon ou d'une autre les droits linguistiques garantis par la partie IV de la LLO ainsi que par la Charte et assurés par la partie XVII du Code criminel (articles 530 et 530.1), il n'y a pas de doute que les droits linguistiques ont préséance.

[191]         Quant au remède identifié au paragraphe C, la Cour mentionne simplement qu'il apparaît clair que la partie défenderesse, dans les mesures prises dans l'adoption et l'application de la LC, a porté atteinte aux droits linguistiques statutaires de la LLO et aux dispositions de la Charte, quant au statut et l'usage des deux langues officielles dans la province de l'Ontario.

[192]         Quant à l'ordonnance demandée au paragraphe D, la Cour rappelle simplement que la LC est tout à fait légale et que la Cour ordonnera simplement à la partie défenderesse de prendre les mesures nécessaires, législatives, réglementaires et autres, pour faire en sorte que les droits linguistiques quasi-constitutionnels, reconnus par les articles 530 et 530.1 du Code criminel et la partie IV de la LLO, pour les personnes faisant l'objet d'une poursuite pour contravention aux lois ou aux règlements fédéraux, soient respectés dans toute réglementation ou entente intervenue ou à intervenir avec des tiers visant la responsabilité d'administrer la poursuite des contraventions fédérales.


[193]         Quant à l'entente verbale intervenue entre la partie défenderesse et le gouvernement de l'Ontario, dont les principaux éléments apparaissaient à un projet d'entente, lequel n'a jamais été signé par les deux parties, la partie défenderesse devra s'assurer que ladite entente, qu'elle soit verbale ou écrite, soit modifiée afin de s'assurer que les droits linguistiques quasi-constitutionnels prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel et à la partie IV de la LLO soient clairement mentionnés. La partie défenderesse aura un délai d'un an à compter de la présente ordonnance pour se conformer à cette dernière. À l'expiration du délai, si la présente entente verbale entre la partie défenderesse et le gouvernement de l'Ontario n'est pas modifiée conformément à la présente ordonnance, elle deviendra nulle.


[194]         Dans toute mesure prise afin de déléguer les pouvoirs de gestion relativement à l'application de la LC au gouvernement de l'Ontario, que ces mesures, existantes ou à venir, soient de nature législative, réglementaire ou encore des ententes avec le gouvernement de l'Ontario, la partie défenderesse devra insérer une clause indiquant que le gouvernement de l'Ontario, lorsqu'il délègue par des mesures législatives, réglementaires ou encore par entente, à des tiers, y compris à des municipalités, son pouvoir de gestion relativement à l'application de la LC, doit prévoir dans ces mesures une disposition à l'effet que ces tiers doivent respecter les droits linguistiques quasi-constitutionnels reconnus par la partie IV de la LLO et s'appliquant aux personnes faisant l'objet d'une poursuite pour contravention aux lois ou aux règlements fédéraux, lorsque les conditions prévues aux articles 22 et 24 de la LLO et à l'article 20 de la Charte trouvent application. La partie défenderesse devra également insérer une clause indiquant que le gouvernement de l'Ontario, lorsqu'il délègue par des mesures législatives, réglementaires ou encore par entente, à des tiers, y compris à des municipalités, son pouvoir de gestion relativement à l'application de la LC, doit prévoir dans ces mesures une disposition à l'effet que ces tiers doivent respecter les droits linguistiques quasi-constitutionnels reconnus par les articles 530 et 530.1 et s'appliquant aux personnes faisant l'objet d'une poursuite pour contravention aux lois ou aux règlements fédéraux. Pour les ententes existantes, s'il y en a, la partie défenderesse devra s'assurer, dans un délai ne dépassant pas une année de la présente ordonnance, que les dites ententes soient modifiées conformément à la présente ordonnance. Si elles ne sont pas modifiées, à l'expiration du délai, elle deviendront nulles.


[195]         La partie défenderesse devra également s'assurer, dans un délai ne dépassant pas une année de la présente ordonnance, que les ententes intervenues entre la partie défenderesse et les municipalités de Mississauga et Ottawa, relativement à l'application de la LC, soit modifiées afin de s'assurer que les droits linguistiques quasi-constitutionnels prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel et à la partie IV de la LLO soient clairement mentionnés. À l'expiration du délai, si les ententes ne sont pas modifiées conformément à la présente ordonnance, elles deviendront nulles.

[196]         En bref, la partie défenderesse devra faire en sorte que tout citoyen canadien voit ses droits linguistiques quasi-constitutionnels garantis par toute mesure prise visant à assurer la mise en place de la LC.

[197]         Quant au mécanisme de consultation suggéré par la demanderesse, il ne m'apparaît pas utile, à ce stade-ci, d'ajouter un autre mécanisme de consultation en surplus de celui qui existe déjà et des nombreux échanges entre les parties qui accompagnent le processus d'enquête de la Commissaire aux langues officielles.


[198]         Quant au recours suggéré à la Commissaire aux langues officielles lorsqu'il y a bris des obligations linguistiques, cette suggestion m'apparaît redondante puisque ce recours est statutaire à l'intérieur des balises qui sont déjà prévues dans la Loi et la Cour ne croit pas avoir juridiction pour imposer un recours à la Commissaire aux langues officielles, s'il n'a pas déjà été prévu par la Loi. Dans le cas où il est déjà prévu, comme la situation présente, il n'est pas nécessaire d'y revenir.

[199]         La partie défenderesse sera également condamnée aux dépens.

Pierre Blais                                       

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 23 mars 2001

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