Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

        



Date : 20010122


Dossier : T-988-99

Entre :

     DANIEL GIROUARD

     Demandeur

Et :

     LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

     (CI-APRÈS LA "GRC")

     Défendeur



     MOTIFS D'ORDONNANCE

Le juge Rouleau


[1]      Le demandeur présente une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 15 avril 1999 par le sous-commissaire G. Zaccardelli, agissant au nom de J.P.R. Murray, Commissaire de la gendarmerie royale du Canada (la "GRC"), rejetant au Niveau II le grief présenté par le demandeur quant à la classification de son poste au sein de la GRC.

[2]      Le 25 novembre 1994, le commandant de la division « A » mentionnait, dans une note adressée au directeur du personnel, que la classification du poste du demandeur devrait être révisée à la hausse, compte tenu de la fusion entre les services administratifs de la direction générale et de la division « A » . Le commandant de la division « A » comparait alors le poste du demandeur à celui de l'officier responsable des services financiers et de l'approvisionnement au sein de la division « E » , qui est classifié au niveau de surintendant principal.

[3]      Le 14 décembre 1994, l'officier responsable de la sous-direction de la rémunération et de la classification informe le commandant divisionnaire de la division « A » que le poste du demandeur ne sera pas reclassifié. Le rapport de classification a été établi selon la norme de classification connue sous le nom de « système Hay » , qui exige que l'on tienne compte de trois éléments dans l'évaluation d'un poste, soit la compétence, l'initiative et la finalité des décisions.

[4]      Quatre postes-repères ont été utilisés dans le cadre de l'évaluation, dont un seul au sein de la GRC (celui de l'officier de la division « E » ) et trois au sein de la fonction publique fédérale. Le système Hay exige que le poste évalué soit comparé à des postes similaires au sein du même ministère ou organisme.

[5]      Le poste du demandeur s'est vu attribuer, au chapitre de la compétence, une cote inférieure à celle des postes-repères (528 contre 608).

[6]      Le demandeur a déposé un grief à l'encontre de la décision en janvier 1995. Le comité consultatif sur les griefs de la GRC a rejeté le grief.

[7]      Le dossier a ensuite été transféré à un arbitre du niveau de décision I en matière de griefs au sein de la GRC, qui a rejeté le grief. Le demandeur a alors interjeté appel de la décision auprès du commissaire de la GRC, le niveau II, le 22 avril 1996.

[8]      Le commissaire a transmis le dossier au comité externe d'examen de la GRC (le "CEE"), qui a examiné la question et soumis au commissaire ses conclusions et recommandations. Le CEE a recommandé au Commissaire d'accueillir le grief. Il appuie notamment ses conclusions sur l'insuffisance de l'étude de relativité effectuée à partir de la comparaison avec quatre postes-repères dont un seul au sein de la GRC.

[9]      Malgré les conclusions et recommandations du CEE, le commissaire a rejeté le grief. Il a indiqué que les motifs apportés par les agents de classification étaient suffisants et que l'étude de relativité était, elle aussi, suffisante. Cette décision fait maintenant l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[10]      La question en litige est à savoir si le commissaire a erronément rejeté la recommandation du CEE.

    

[11]      Le demandeur prétend que le défendeur n'a pas motivé son choix de s'écarter de la position adoptée par le CEE, contrairement à ce qu'exige le paragraphe 32(2) de la Loi sur la Gendarmerie Royale du Canada (la "Loi"). Alors qu'il prétend qu'il n'existe aucune preuve établissant l'existence d'une erreur de fait ou de procédure, le défendeur omet de préciser les raisons qui l'amènent à tirer cette conclusion. Par ailleurs, lorsque le défendeur affirme que les motifs offerts étaient suffisants et justifiaient les cotes attribuées à ce poste, il ne précise pas « en quoi » les motifs offerts étaient suffisants. Cette erreur de droit est manifestement déraisonnable. Le défendeur n'a pas respecté, ce faisant, la règle audi alteram partem.

[12]      Le demandeur soutient que le défendeur a commis une erreur de droit en ne rejetant pas les conclusions du rapport de classification relatif au poste du demandeur, car ce rapport est fondé sur une étude de relativité incomplète, n'ayant utilisé qu'un seul poste au sein de la GRC et trois postes au sein de la fonction publique, contrairement à ce que prescrit le Guide d'évaluation des postes -- Catégories de la gestion, publié par le Conseil du Trésor du Canada. Même si la relativité du poste du demandeur a été étudiée à la lueur d'un poste au sein de la GRC, cette étude n'était pas adéquate à la lueur des exigences de la norme qui veut que la détermination de la valeur relative d'un poste se fasse par l'examen de postes semblables, supérieurs ou inférieurs. En l'absence d'une telle comparaison, les conclusions des évaluateurs ne sont pas convaincantes. Il n'a jamais été démontré qu'il n'y avait qu'un seul poste au sein de l'organisation qui pouvait être comparé avec celui qu'occupait le demandeur. Une étude de relativité incomplète constitue une erreur de procédure qui empêche que la valeur relative de tous les emplois soit établie de façon équitable, uniforme et efficace, contrairement à l'un des principes fondamentaux de la classification.

[13]      Le défendeur suggère que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter. Selon lui, le commissaire a agi en conformité aux exigences de la Loi, puisqu'il a adéquatement motivé son choix de s'écarter des conclusions et recommandations du CEE, conformément au paragraphe 32(2) de la Loi.

    

[14]      À mon avis, la norme de contrôle à appliquer aux questions de fait dans le cadre d'une telle décision est celle de la décision raisonnable simpliciter (voir: Brennan c. Canada (Royal Canadian Mounted Police), [1998] F.C.J. No. 1629, para. 12: « in the technical area of promotion in an organization such as the RCMP in which he was operating, substantial deference, albeit somewhat short of a standard of "patent unreasonableness", is appropriate on the part of this court with respect to issues of fact"; Baker c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1999] R.C.S. 817). La même norme de contrôle devrait s'appliquer en ce qui concerne les questions de droit, compte tenu du fait que la décision du commissaire est protégée par une clause privative prévue par le paragraphe 32(2) de la Loi . (Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendant of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, pp. 589 et 590).

[15]      La Loi exige du commissaire qui entend s'écarter des recommandations du CEE qu'il motive sa décision:

     « 32(2) Le commissaire n'est pas lié par les conclusions ou les recommandations contenues dans un rapport portant sur un grief renvoyé devant le Comité conformément à l'article 33; s'il choisit de s'en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision. »

[16]      La Cour d'appel fédérale a, dans l'arrêt Jaworski c. The Attorney General of Canada, 9 mai 2000, A-508-98, établi les exigences que le commissaire doit rencontrer pour satisfaire à l'obligation de motiver sa décision de s'écarter des recommandations du CEE. Il faut d'abord considérer la décision dans son entièreté pour déterminer si le commissaire possédait toute l'information pertinente et connaissait toutes les questions en litige. Lue dans son ensemble, la décision ne doit pas laisser de doute réel quant à la raison qui a poussé le commissaire à confirmer la décision du premier niveau. Dans la mesure où le commissaire adopte la décision de la section de la classification, et que cette dernière décision est elle-même pleinement motivée, la décision du commissaire ne peut être considérée comme laconique au point de l'immuniser contre tout contrôle judiciaire. Les motifs doivent, de plus, être suffisants pour assurer la fiabilité et la transparence du processus disciplinaire.

[17]      Dans ses conclusions et recommandations, contenues dans un document qui couvre une vingtaine de pages, le CEE indique que la comparaison qui a été faite avec les postes-repères comporte de sérieuses lacunes. Le CEE est d'avis que l'insuffisance d'explications quant à la comparaison entre l'ensemble des responsabilité du poste et les responsabilités des postes-repères est telle qu'elle représente une erreur fondamentale de procédure. Le CEE conclut également qu'il y a des lacunes dans l'étude de la relativité. Les conclusions énoncées au niveau de cette étude souffrent d'un important manque de précisions et d'explications. De plus, le CEE fait remarquer que, en vertu de la norme de classification et de la jurisprudence applicable, l'étude de la relativité d'un poste doit se faire avec d'autres postes de niveau supérieur, inférieur ou comparables d'un même ministère ou organisme. Le CEE juge que, dans ce cas-ci, il était nettement insuffisant d'avoir choisi un seul poste au sein de l'organisation pour vérifier si la comparaison était équitable. Le CEE détermine enfin que, selon les faits au dossier, l'affirmation du responsable de la classification, à l'effet que des hauts-gestionnaires participaient souvent aux décisions qui relevaient du poste du demandeur, est erronée. Le CEE conclut qu'il y a lieu d'invalider l'exercice de classification et de le recommencer. Il recommande d'accueillir le grief.

[18]      Le commissaire appelé à se prononcer sur le grief a décidé de le rejeter. L'essence de sa décision tient en ces mots:

     « Après un examen attentif du dossier, je conclus qu'il n'existe aucune preuve établissant l'existence d'une erreur de fait ou de procédure. Même si le Comité considère que les motifs détaillés que l'on retrouve dans l'évaluation du poste du Surintendant Girouard étaient insuffisants, je considère qu'ils n'étaient pas insuffisants au point de constituer une erreur. De plus, rien n'indique que la révision effectuée par la Section de la classification était erronée ou n'était pas conforme en quoi que ce soit aux politiques en matière de classification. Je n'appuie donc pas la conclusion du Comité à l'effet que les réviseurs auraient dû approfondir leur analyse au-delà des points considérés. La question à résoudre en était une de suffisance de motifs par opposition à leur absence. Hors, les motifs offerts étaient suffisants et justifiaient les cotes attribuées à ce poste. Pour ce qui est de l'étude de relativité, la documentation au dossier indique que le poste du requérant a été comparé à trois postes externes et à un poste interne. Je considère cette étude de relativité suffisante et ne vois pas le besoin de comparer ce poste plus à fond. Le nombre de comparaisons à faire lors d'une étude de relativité peut varier d'un poste à l'autre mais en l'occurrence, je ne trouve aucune preuve au dossier démontrant la nécessité d'élaborer davantage l'étude de relativité. »

[19]      Le demandeur prétend que le commissaire aurait dû préciser les raisons qui l'ont amené à conclure qu'il n'existait aucune preuve établissant l'existence d'une erreur de fait ou de procédure. Il reproche également au commissaire de ne pas avoir précisé en quoi les motifs offerts étaient suffisants et justifiaient les cotes attribuées au poste. De plus, le commissaire a ignoré les prescriptions du Guide d'évaluation des postes -- Catégorie de la gestion, qui prévoit que la comparaison doit s'effectuer avec d'autres postes au sein de l'organisme concerné.

[20]      Je partage l'opinion du demandeur et je fais droit à sa demande, ne serait-ce que pour le dernier motif qu'il invoque.

[21]      La méthode d'évaluation utilisée au sein de l'administration fédérale est fondée sur les barèmes d'évaluation et la méthode du profil du plan Hay (le système Hay). Le Guide d'évaluation des postes -- Catégorie de la gestion, publié par le Conseil du Trésor, est une mise à jour du système de classification et a pour but d'aider les évaluateurs à bien comprendre l'approche adoptée pour évaluer les postes de la catégorie de la gestion. Le Guide sert d'outil de référence et non pas de cadre rigide. Il établit en somme des lignes directrices nécessaires pour effectuer les évaluations et justifier les résultats obtenus (voir la section "Introduction" du Guide). Le Guide prévoit, aux pages 23 et 26:

     « Troisième étape: Peu importe s'il utilise un ou plusieurs postes-repères, l'évaluateur doit s'assurer que son évaluation est réaliste en la comparant avec celle d'autres postes au sein du ministère et de l'organisme concerné. (p. 23)
     La vérification des résultats d'évaluation constitue une étape essentielle du processus d'évaluation. Elle aide l'évaluateur à déterminer s'il a atteint l'objectif poursuivi, c'est-à-dire un rapprochement valable entre une nouvelle évaluation et l'évaluation antérieure de postes faisant partie de la même unité organisationnelle et de la même fonction. Le processus d'évaluation n'est pas complet tant que cette comparaison n'est pas satisfaisante. (p. 26) »

[22]      Dans sa décision, le commissaire écrit que: « rien n'indique que la révision effectuée par la Section de la classification était erronée ou n'était pas conforme en quoi que ce soit aux politiques en matière de classification. » Avec égards, je vois difficilement comment cette prétention peut être maintenue, en présence d'une politique qui indique que les comparaisons doivent s'effectuer avec des postes au sein de l'organisme concerné. À mon avis, le demandeur était en droit de s'attendre à ce que l'on motive la décision de s'écarter d'une politique clairement établie. Je suis d'accord avec la conclusion du CEE lorsqu'il écrit:

     « Sans une étude de relativité adéquate avec un nombre suffisant de postes au sein de l'organisation, il est impossible de conclure que l'exercice de classification répond à un des principes fondamentaux de la classification, soit "que la valeur relative de tous les emplois [...] soit établie de façon équitable, uniforme et efficace". Une étude de relativité avec un seul poste pourrait être suffisante, dans certaines circonstances, s'il n'y avait qu'un autre poste comparable au sein de l'organisation mais on ne m'a pas démontré que c'est pour cette raison qu'on n'a pas choisi d'autres postes pour l'étude de relativité, mis à part celui de la Division "E". Il n'y a aucune raison évidente pour laquelle on s'est limité à un seul poste pour faire l'étude de relativité lors de l'exercice de classification du poste du requérant. Il est possible que les évaluateurs ignoraient l'étendue de l'étude de relativité qu'ils avaient à faire. Ne pas faire une étude de relativité constitue donc une erreur de procédure et c'est autant une erreur de procédure que d'en faire une qui soit incomplète. (à la page 18) »

[23]      Le commissaire ne pouvait passer sous silence une telle conclusion.

[24]      Le commissaire écrit, par surcroît, que: « le poste du requérant a été comparé à trois postes externes et à un poste interne. Je considère cette étude de relativité suffisante et ne vois pas le besoin de comparer ce poste plus à fond. Le nombre de comparaisons à faire lors d'une étude de relativité peut varier d'un poste à l'autre mais en l'occurrence, je ne trouve aucune preuve au dossier démontrant la nécessité d'élaborer davantage l'étude de relativité » .

[25]      Les motifs du commissaire sont plutôt superficiels. La lecture des conclusions et recommandations du CEE montre que ce n'est pas tant le nombre de comparaisons que leur qualité qui était problématique. Bien que le commissaire ait fait état dans sa décision des problèmes qualitatifs relevés par le CEE, sa conclusion ne semble pas les aborder. Les nombreux problèmes soulevés par le CEE sont sérieux et, selon moi, méritaient à tout le moins d'être adressés par le commissaire. En rejetant l'ensemble des recommandations du CEE sans véritablement motiver sa décision, le commissaire contrevenait à l'article 32(2) de la Loi et s'arrogeait ainsi une compétence qu'il n'a pas, rendant ainsi sa décision révisable par cette Cour.

[26]      À mon avis, la présente affaire peut être distinguée de l'affaire Jaworski, précitée, en ce que les faits et circonstances ne sont pas les mêmes. Dans cette affaire, où c'était un congédiement pour inconduite qui était contesté, la Cour d'appel fédérale a dû examiner la suffisance des motifs donnés par un commissaire pour s'écarter des recommandations du CEE. Le passage suivant des motifs du juge Evans démontre bien que la décision était directement reliée aux faits de l'espèce (au paragraphe 86):

     « [Les motifs] sont suffisants pour assurer la responsabilité qui incombe au commissaire à l'égard de la décision finale de mettre fin à la carrière du constable Jaworski au sein de la GRC. J'interprète les motifs du commissaire comme voulant en fait dire qu'en concentrant son attention sur les éléments de preuve individuels, le Comité a oublié de tenir compte de l'ensemble de la situation. Par contre, le comité d'arbitrage a tenu compte de la preuve dans son ensemble et a fondé sa décision sur la totalité des éléments dont il disposait, sans en même temps oublier les faiblesses de certains éléments. Dans ces conditions, le commissaire n'était pas tenu de réfuter chacun des points sur lesquels le Comité ne souscrivait pas à l'avis du comité d'arbitrage. »

[27]      Par conséquent, j'annule la décision du commissaire et ordonne que l'on procède à une nouvelle évaluation de la classification du poste qu'occupait le demandeur.






                                 JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 22 janvier 2001

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.