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Date : 20040824

Dossier : T-73-04

Référence : 2004 CF 1171

ENTRE :

KEITH MAYDAK

                                                                                                                          demandeur

                                                                      et

                                    SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                             défendeur

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU

[1]                La Cour est saisie d'une demande fondée sur l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, par laquelle le demandeur cherche à avoir accès à des renseignements conservés par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ainsi que par Interpol Ottawa.


[2]                Les États-Unis d'Amérique ont demandé l'extradition du demandeur, qui est poursuivi dans ce pays pour violation des modalités d'une mise en liberté surveillée consécutive à une déclaration de culpabilité de fraude prononcée en 1994. Mme Chalifour, conseillère juridique auprès du ministère de la Justice, a délivré l'arrêté introductif d'instance prévu au paragraphe 15(1) de la Loi sur l'extradition, L.C. 1999, ch. 18, à l'égard de cette demande d'extradition.

[3]                Le 19 septembre 2003, le demandeur, se prévalant de la Loi sur la protection de la vie privée, a voulu avoir accès à tous les renseignements personnels le concernant qui étaient détenus par la GRC ou par Daniel Bérubé, employé de la GRC affecté aux enquêtes criminelles à Interpol Ottawa.

[4]                Le 24 octobre 2003, la GRC a répondu à la demande en fournissant certains renseignements, mais elle a invoqué l'alinéa 22(1)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour ne pas communiquer les autres. La GRC a aussi indiqué au demandeur que les alinéas 19(1)a), b) et c), l'alinéa 22(1)b) et l'article 26 de cette loi pouvaient également s'appliquer. Le 26 novembre 2003, le demandeur a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

[5]                Le 19 décembre 2003, le Commissariat à la protection de la vie privée a déclaré la plainte non fondée. Le sous-commissaire à la protection de la vie privée (le commissaire) a conclu, plus particulièrement, que l'alinéa 22(1)a) établissait une exception à la communication de ces documents car :


[traduction] Tout ce que la GRC doit démontrer c'est que l'information en cause date de moins de vingt ans et qu'elle a été préparée par un organisme d'enquête au cours d'une enquête licite [...] La GRC est bien un organisme d'enquête pour l'application de la Loi et, à mon avis, toutes les autres exigences de la Loi ont également été remplies. Par conséquent, j'estime que la GRC était admise à invoquer cette exception lorsqu'elle l'a fait.

[6]                Le commissaire ne s'est pas prononcé sur l'applicabilité des alinéas 19(1)a), b) et c), de l'alinéa 22(1)b) et de l'article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels puisqu'il estimait que l'alinéa 22(1)a) justifiait à lui seul la décision de ne pas donner communication des renseignements demandés. Le demandeur conteste cette décision.

[7]                Le 7 mai 2004, le protonotaire Hargrave a rendu une ordonnance, relativement à une requête présentée par le défendeur sous le régime de la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), portant que les documents non communiqués devaient être traités comme confidentiels et autorisant leur dépôt sous enveloppe scellée pour la présente demande de contrôle judiciaire.

[8]                Le demandeur soutient que la conclusion du commissaire selon laquelle l'alinéa 22(1)a) était applicable en l'espèce constituait une erreur susceptible de révision justifiant l'intervention de la Cour.


[9]                Le demandeur signale en effet que, contrairement aux exigences de l'alinéa 22(1)a), la GRC ne menait pas d' « enquête » mais se contentait simplement de suivre l'évolution de la demande d'extradition et d'en vérifier l'état.

[10]            Il fait valoir que même si la GRC avait effectivement mené une « enquête » , celle-ci ne visait pas la « détection, la prévention et la répression du crime » pas plus qu'elle ne comportait d' « activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales » , comme l'exige cette disposition. Il souligne que les États-Unis le recherchent pour des violations non criminelles aux modalités de sa mise en liberté surveillée. Puisqu'il était détenu à Vancouver pendant toute la période en cause, la GRC n'a pas eu à exécuter de mandat d'arrestation ni à effectuer d'enquête pour le localiser.

[11]            Le demandeur affirme, relativement aux inscriptions faites au CIPC, qu'elles n'étaient pas de la nature d'une enquête puisque la GRC savait où il se trouvait, c'est-à-dire qu'elle savait qu'il était en détention à la date de chaque inscription.


[12]            Le demandeur soutient aussi que les exceptions énoncées à l'article 19 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'appliquent pas puisque la GRC n'était pas en mesure de démontrer que les États-Unis avaient fourni les renseignements « à titre confidentiel » ; il affirme que les dossiers d'extradition et les faits qui s'y rapportent sont publics et que les dossiers d'identification et les rapports de base de données du NCIC du FBI sont accessibles moyennant le paiement de droits.

[13]            Il soutient pareillement, relativement à l'alinéa 22(1)b), qu'il incombe à la GRC de démontrer que la communication des renseignements « risquerait ... de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois » et prétend qu'elle n'a pas fait cette preuve. Il ajoute même que puisque la GRC a révélé avoir procédé à une inscription au CIPC pour alerter les services de police et qu'il était au courant de la demande d'extradition lorsqu'il a soumis sa demande de renseignements, on ne peut raisonnablement prétendre que des activités visant le respect d'une loi risquent d'être perturbées.

[14]            Enfin, le demandeur signale, relativement à l'article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, que la GRC pouvait facilement retrancher des documents le nom de toute tierce partie.

[15]            Le défendeur, pour sa part, prétend que les renseignements soustraits à la communication en l'espèce concernaient une enquête licite sur le demandeur se rapportant à l'exécution de la Loi sur l'extradition et que, par conséquent, le commissaire avait appliqué correctement l'alinéa 22(1)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.


[16]            Il ajoute que le responsable de la GRC a examiné l'information demandée et a correctement déterminé que certaines parties des documents pouvaient être divulguées au demandeur.

[17]            Il signale que si la Cour devait statuer que l'alinéa 22(1)a) n'était pas applicable en l'espèce ou que le pouvoir discrétionnaire qui y était conféré n'avait pas été bien exercé, elle devrait prendre en considération la preuve par affidavit présentée pour étayer les motifs de refus de communication qui étaient fondés sur d'autres dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, savoir les alinéas 19(1)a), b) et c) et l'article 26.

[18]            Le défendeur indique que même si le Commissaire ne s'est pas prononcé sur l'applicabilité de ces dispositions, en raison de la décision qu'il avait rendue au sujet de l'alinéa 22(1)a), elles étaient mentionnées dans la plainte que l'appelant avait déposée devant le Commissariat à la protection de la vie privée ainsi que dans son affidavit.

[19]            La Cour suprême a examiné l'objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans l'arrêt Dagg c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 403.    Le juge Cory y a indiqué, à la p. 434 :


64       L'objectif de la Loi sur la protection des renseignements personnels est double, comme l'indique son art. 2. Elle vise, en premier lieu, à « [protéger] [l]es renseignements personnels relevant des institutions fédérales » et, en second lieu, à assurer le « droit d'accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent » .

[20]            Les droits d'accès aux renseignements personnels sont énoncés au paragraphe 12(1), lequel est ainsi libellé :

12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ont le droit de se faire communiquer sur demande :

a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels;

b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d'une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l'institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux.

[21]            Toutefois, le législateur a prévu des exceptions au droit à la communication de renseignements personnels énoncé au paragraphe 12(1). Une abondante jurisprudence établit que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues sur la question de savoir si un renseignement donné est visé par une exception prévue par la Loi sur la protection des renseignements personnels est la norme de la décision correcte. Dans l'arrêt 3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l'Industrie), [2002] 1 C.F. 421, la Cour d'appel fédérale a statué ce qui suit :


47       Lorsqu'elle examine le refus du responsable d'une institution fédérale de communiquer un document, la Cour doit déterminer, en appliquant la norme de la décision correcte, si le document demandéest visé par une exception.

[22]            En l'espèce, le commissaire a fondé son refus de communiquer des renseignements sur l'exception prévue à l'alinéa 22(1)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, lequel est ainsi conçu :

22. (1) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :

a) soit qui remontent à moins de vingt ans lors de la demande et qui ont été obtenus ou préparés par une institution fédérale, ou par une subdivision d'une institution, qui constitue un organisme d'enquête déterminépar règlement, au cours d'enquêtes licites ayant trait :

(i) à la détection, la prévention et la répression du crime,

(ii) aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales,

(iii) aux activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité;

[23]            L'examen du dossier indique clairement, à mon avis, que la GRC a simplement été informée par le ministère de la Justice du Canada que les États-Unis recherchaient le demandeur pour des violations aux modalités de sa mise en liberté surveillée et qu'une demande d'extradition avait été faite.


[24]            Il appert clairement des documents en cause que les seules mesures prises en l'espèce ont consisté à verser le nom du demandeur dans une base de donnée de la police canadienne, le CIPC, et à l'en retirer ainsi qu'à communiquer par courriel avec le ministère de la Justice au sujet de l'état de la demande d'extradition.

[25]            Ce genre d'activités ne constitue certainement pas une enquête au sens des dispositions prévoyant des exceptions à la communication.

[26]            Il est possible que la GRC ait déjà effectué des enquêtes dans le cadre de demandes d'extradition, mais il est clair qu'en l'espèce Interpol Ottawa n'a pas enquêté. Il appert en fait qu'aucune action de la nature d'une enquête n'a été entreprise.

[27]            En concluant que les renseignements demandés étaient visés par l'exception prévue à l'alinéa 22(1)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le commissaire a commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[28]            Puisque l'unique fondement de la décision en cause était l'exception prévue à l'alinéa 22(1)a), la Cour n'a pas à examiner l'applicabilité des autres exceptions énoncées à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je suis néanmoins d'avis, après examen des documents confidentiels, qu'aucune des autres exceptions invoquées par le défendeur ne paraît applicable.


[29]            De fait, le seul des documents dont la communication a été refusée pour lequel l'application d'une exception paraît le moindrement possible est une lettre que le FBI a fait parvenir à la GRC (pièce D) et qui renferme le nom d'un tiers. Comme la Loi sur la protection des renseignements personnels concerne des « renseignements » et non des « documents » , une institution gouvernementale ne peut refuser de donner communication de toute une page simplement parce qu'une partie de celle-ci peut être visée par une exception. Par conséquent, le demandeur devra recevoir communication du document une fois que le paragraphe introductif de la lettre en aura été retranché.

[30]            Pour ces motifs, il y a lieu d'accueillir la demande de contrôle judiciaire. Les dépens du demandeur, y compris les débours, sont établis à 200 $.

       « Paul Rouleau »                                                                                                                       Juge

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                 T-73-04

INTITULÉ:                                 KEITH MAYDAK c. SOLLICITEUR GÉNÉRAL

DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :         Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :        24 août 2004

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE ROULEAU

EN DATE DU :                          24 août 2004

COMPARUTIONS :

Keith Maydak                                                                   en son propre nom

Curtis Workun                                                                   pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Keith Maydak                                                                  

Port Coquitlam (C.-B.)                                                     en son propre nom

Morris Rosenberg                                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


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