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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Geza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.) [2005] 3 C.F. 3

Date : 20040727

Dossier : IMM-488-99

Référence : 2004 CF 1039

Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 27 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

IMM-488-99

                                               KOZAK GEZA, CSEPREGI ATTILA

                                     KOZAK GEZA (mineur) et CSEPREGI SZILVIA

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

ET

IMM-491-99

SMAJDA SANDOR, SMAJDA ZSOLT

GYULAVICS TIMEA, SMAJDA CLAUDIA et

SMAJDA JOZEF

demandeurs


- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DES ORDONNANCES ET ORDONNANCES

[1]                En 1998, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a décidé d'établir un précédent, qu'elle a appelé une « cause type » , parce qu'elle se préoccupait du nombre croissant de Roms hongrois qui revendiquaient le statut de réfugié. L'exercice avait pour but avoué d'établir une base de questions juridiques et factuelles afin d'assurer la cohérence des décisions à prendre pour répondre aux revendications. Bien que les demandeurs dans les présentes demandes aient accepté de participer à la cause type sur l'avis de leurs avocats, ils ont décidé, une fois leurs revendications rejetées, de contester la compétence de la CISR de se livrer à un tel exercice. Ils allèguent également qu'il y aurait eu apparence de partialité de la part de la CISR dans la conception et l'audition de la cause type; selon eux, l'objectif était d'augmenter le taux de rejet des revendications présentées par les Roms hongrois en créant un précédent bien argumenté et bien documenté que les autres formations de la CISR seraient invitées à suivre.

[2]                Pour les motifs qui suivent, je conclus que la contestation doit être rejetée.


I. Aperçu

A. Les demandeurs

[3]                Les demandeurs, tous citoyens hongrois, revendiquent le statut de réfugié au motif qu'ils craignent avec raison d'être persécutés, soit à cause de leur appartenance ethnique au groupe rom ou de leur appartenance mixte à la Hongrie et au groupe rom. Plusieurs demandeurs fondent également leurs revendications sur un autre motif, celui de l'appartenance à un groupe social particulier, soit celui de la famille. Selon les allégations énoncées dans leurs revendications, ils ont été maltraités à l'école, dans leur emploi et dans l'armée, ils ont fait l'objet de menaces répétées et d'attaques physiques par des groupes racistes, et la police refuse de les protéger. Les demandeurs prétendent craindre de retourner en Hongrie parce qu'ils continueraient d'y subir les mauvais traitements dont ils ont été victimes avant de quitter le pays.

B. La nature de la cause type


[4]                Étant donné que les arguments présentés par les demandeurs ont trait à la formule de la « cause type » , il est utile de rappeler brièvement ce que cette formule supposait. Cette initiative a été la façon dont la CISR a décidé de répondre à un nombre croissant de demandes du statut de réfugié de la part des Roms de Hongrie en 1998, revendications qui étaient relativement nouvelles à cette époque pour la CISR. Celle-ci a décidé de choisir un échantillon représentatif de revendications similaires et de présenter autant d'éléments de preuve que possible, y compris des témoignages d'experts, devant une formation de la CISR afin de faciliter la rédaction de motifs exhaustifs sur l'ensemble des principaux points juridiques et probatoires dans des causes types faisant intervenir des Roms de Hongrie.

[5]                La CISR a publié en mars 1999 une « fiche d'information » dans laquelle elle expliquait la raison d'être des causes types dans les termes suivants :

[Traduction]

La mission de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), qui représente les Canadiens, est de rendre, d'une manière efficace, équitable et conforme à la loi, des décisions éclairées sur les questions d'immigration et de statut de réfugié.

La CISR est un tribunal spécialisé. La connaissance de la situation qui règne dans le pays fait partie de l'expertise du tribunal. La CISR cherche constamment de nouvelles façons d'améliorer ses connaissances spécialisées à cet égard et de promouvoir la cohérence dans ses décisions. Ceci est particulièrement important étant donné le volume élevé de revendications que la CISR reçoit chaque année. Elle s'efforce donc en permanence d'élaborer des outils, comme les directives du président et les commentaires sur les questions juridiques et procédurales, qui favorisent la cohérence tout en aidant les décideurs.

Un nombre variable et imprévisible de dossiers constitue une autre caractéristique du domaine de l'immigration et des demandes de statut de réfugié. Des changements sociaux et politiques dans les pays sources peuvent entraîner des augmentations soudaines du nombre de revendications qui sont présentées à la CISR. Les revendications du statut de réfugié en provenance d'un même pays soulèvent souvent des questions qui reviennent dans de nombreux cas. Pour faciliter l'examen efficace et approfondi de ces questions récurrentes, la CISR peut décider de choisir un échantillon représentatif de revendications similaires qui seront décidées en tant que « causes types » .

Une cause type poursuit deux objectifs. Tout d'abord, elle permet à la CISR d'établir une base de renseignements à jour et spécialisés sur la situation qui règne dans un pays où se produit une augmentation soudaine du nombre ou du type de revendications du statut de réfugié. Une cause type met également l'accent sur les principales questions juridiques qui découlent de ces faits. Cela est compatible avec le rôle de la section du statut de la CISR, qui agit en tant que tribunal spécialisé ayant une expertise de la situation des droits de la personne dans les pays dont les ressortissants présentent une revendication à la CISR.

La décision d'utiliser cette formule pour traiter l'afflux actuel de revendications des Roms de Hongrie découle d'expériences récentes que la CISR a connues face au grand nombre de revendications du statut de réfugié en provenance de la République tchèque (également des Roms) et du Chili.

L'utilisation des causes types ne porte aucunement atteinte à l'indépendance des décideurs de la CISR.


Ni la preuve présentée dans les causes types, ni les décisions prises à l'issue de leur audition, ne lient les formations subséquentes. Dans les causes ultérieures, la formation aura pour rôle d'évaluer la preuve présentée et examinée dans une cause type pertinente, de même que le raisonnement qui a été élaboré pour parvenir à la décision dans cette cause type. Étant donné l'expertise des témoins appelés par les parties et la qualité de la documentation présentée en preuve dans les causes types, on présume que les formations subséquentes donneront à la preuve l'importance qu'elle doit avoir. On présume également que les formations subséquentes examineront attentivement le raisonnement qui a été appliqué par la première formation pour parvenir à sa décision.

Une cause type ne peut pas, en soi, avoir un effet déterminant sur d'autres causes. Dans une cause subséquente, l'avocat a le droit de déposer d'autres preuves ou une meilleure preuve, ou de signaler des distinctions pertinentes entre les faits de la cause type et ceux qui sont présentés à la formation subséquente. Il n'y a rien dans la formule de la cause type qui limite les droits des parties de présenter leurs éléments de preuve ou leur cause d'une manière appropriée aux exigences de celle-ci.

En tant que tribunal administratif de pointe, qui recherche l'excellence dans toutes ses pratiques et procédures, la CISR continuera de chercher des façons novatrices d'améliorer ses connaissances spécialisées sur les situations qui existent dans certains pays et de promouvoir la cohérence dans ses décisions.

(Fiche d'information sur les causes types de la CISR, mars 1999, affidavit de Lisa Cirillo en date du 12 mars 2004 ( « Affidavit de Lisa Cirillo » ), p. 1232.)

C. La production des deux causes à l'étude


[6]                Au printemps de 1998, la CISR a décidé de regrouper ses ressources pour l'audition de la cause type concernant les Roms hongrois. Un agent des revendications du statut de réfugié a été choisi et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) a été invité à participer aux audiences. On a demandé à l'avocat qui représentait à l'époque les demandeurs, M. Peter Wuebolt, de participer aux causes types, parce que c'est lui qui défendait le plus grand nombre de revendications du statut de réfugié présentées par des Hongrois devant la CISR. D'après la preuve qui figure au dossier dans les présentes demandes, il ne fait aucun doute que, à partir de ce moment, M. Wuebolt a participé de façon très active et tout à fait volontaire. M. Wuebolt a aidé la CISR à examiner ses dossiers afin de déterminer quelles revendications pourraient être étudiées en tant que causes types, et cet examen incluait les revendications des demandeurs. La sélection finale des causes des demandeurs a été faite par le chef du Service des opérations de l'équipe européenne de la CISR. L'avocat a parlé aux demandeurs pour leur expliquer la formule de la cause type et obtenir d'eux qu'ils acceptent d'y participer.

[7]                La formation qui a entendu les causes types se composait de Mlle Barbara Berger et de M. Vladimir Bubrin. Les membres de la formation ont été choisis en fonction de leur connaissance de la situation du pays pertinent, soit la Hongrie, et, dans un effort visant à assurer que l'étude des revendications profite d'une perspective nationale élargie, en raison du fait qu'ils provenaient de régions différentes du Canada. Un autre membre de la CISR, M. Berzoor Popatia, avait d'abord été choisi pour siéger à titre de second membre de la formation, mais il en a été empêché. Par conséquent, M. Bubrin, membre de l'équipe européenne de la CISR qui avait participé à l'étude des questions ayant trait aux causes des Roms hongrois a été choisi pour le remplacer.

D. L'audition des deux causes à l'étude


[8]                D'octobre à novembre 1998, on a tenu au total quatorze jours d'audience au cours desquels ont été entendus les témoignages des deux groupes de demandeurs, de même que les dépositions de six témoins appelés à donner une preuve d'expert sur la situation des Roms en Hongrie; quatre personnes ont témoigné pour le compte du défendeur et deux pour le compte des demandeurs. Pour faciliter la procédure, les témoignages d'experts ont été entendus conjointement et ont été appliqués aux deux revendications du statut de réfugié. Toutefois, les allégations particulières de persécution présentées par chaque groupe de demandeurs ont été entendues par la CISR au cours de séances distinctes devant la formation.

E.    Le résultat

[9]                Le 20 janvier 1999, dans deux longues décisions écrites, la CISR a statué que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Elle a accordé peu de poids aux témoignages des demandeurs eux-mêmes, étant donné qu'elle a conclu qu'ils manquaient de crédibilité et qu'ils exagéraient la gravité des difficultés qu'ils avaient connues en Hongrie, y compris les attaques par des groupes racistes. La CISR a préféré la preuve documentaire et les témoignages d'experts, particulièrement le témoignage des quatre experts cités par le ministre, étant donné que ce témoignage était d'actualité et découlait d'une expérience sur le terrain. Dans chaque cas, la CISR a statué que, même si les demandeurs pourraient faire face à de la discrimination s'ils étaient renvoyés en Hongrie, cette discrimination n'équivalait pas à de la persécution. Qui plus est, la CISR a statué que la protection de l'État était adéquate pour les Roms en Hongrie. Aux pages 37 et 38 de la décision portant sur le demandeur principal, Geza Kozak et sa famille (IMM-488-99), la formation a tiré les conclusions essentielles suivantes :

[Traduction]


Malgré la situation regrettable des Roms en Hongrie, le processus de détermination du statut de réfugié au Canada n'a pas pour objectif de réparer les injustices historiques commises dans un autre pays, ni d'offrir de meilleures possibilités d'emploi et d'éducation et un meilleur niveau de vie : ce sont là les responsabilités de la Hongrie. Notre rôle est de déterminer s'il est nécessaire d'assurer une protection aux personnes qui ont une crainte fondée d'être persécutées. Nous ne voulons pas dire qu'il n'y a pas à l'heure actuelle en Hongrie des cas où les niveaux de discrimination contre des Roms n'équivaudraient pas à de la persécution. Toutefois, à notre avis, ces cas sont rares et exceptionnels. Et nous concluons que ce n'est certainement pas le cas dans la situation que les demandeurs ont exposée devant nous.

Même si nous avions conclu que la crainte de discrimination qu'ont exprimée les demandeurs s'ils devaient être renvoyés en Hongrie était sérieuse, c'est-à-dire que, même si nous avions conclu que les demandeurs craignaient d'être victimes « de gestes qui portent atteinte à la dignité humaine dans ce qu'elle a de plus essentiel » et qu'on avait enfreint à leur égard « des droits de la personne essentiels de façon continue ou systématique » [...], nous en arriverions quand même à la conclusion que leur crainte d'être persécutés n'est pas fondée. À notre avis, la raison en est qu'ils n'ont pas réussi à réfuter la présomption selon laquelle la Hongrie est en mesure de leur accorder sa protection. Ils n'ont pas non plus fourni d'explication raisonnable quant à savoir pourquoi ils ne se sont pas prévalus de la protection de la Hongrie et pourquoi, s'ils le faisaient, cette protection ne leur serait pas assurée d'une façon raisonnable. La déclaration du demandeur principal à la fin de l'audience, au nom des quatre demandeurs, selon laquelle ils ne pouvaient s'attendre à une quelconque aide de la part du gouvernement hongrois ou de la police de ce pays, était, à notre avis, une explication insuffisante pour respecter le critère de preuve énoncé dans l'arrêt Ward : « confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer sa protection » .

D'après la preuve documentaire dont nous étions saisis, nous avons pu déterminer que le gouvernement hongrois déploie des efforts concertés pour améliorer la situation de la minorité rome. Pour ce qui est de la question de la protection, qui est d'une importance particulière dans cette analyse, nous estimons que la preuve fait ressortir que le gouvernement fait des « efforts sérieux pour protéger ses citoyens » , comme l'exigeait l'arrêt Villafranca.

[10]            De même, aux pages 14, 32, 33 et 40 de la décision ayant trait au demandeur principal Sandor Smajda et sa famille (IMM-491-99), la formation a tiré les conclusions suivantes :

[Traduction]

En nous appuyant sur le cadre juridique existant, et après avoir apprécié les témoignages écrits et verbaux des demandeurs, nous concluons que les gestes de discrimination, dont ont indiscutablement été victimes les demandeurs en Hongrie, n'équivalent pas à des actes de persécution, ni individuels ni cumulatifs, et par conséquent qu'ils ne justifient pas une crainte d'être persécutés.

[...]


Une analyse approfondie des dépositions des demandeurs et des témoins, de même que l'ensemble de la preuve documentaire nous amènent à conclure qu'il existe encore en Hongrie un préjugé anti-Rom. Il y a des cas bien documentés de ségrégation et de différences de traitement dans le système d'éducation, des préjugés au niveau du logement, notamment des incidents d'éviction forcée, de la discrimination dans l'emploi, des cas d'indifférence policière et même de brutalité, des inégalités de traitement dans le système judiciaire, des incidents de violence, des insultes et des cas d'exclusion dans la vie de tous les jours. Néanmoins, nous avons également conclu que le gouvernement a adopté des mesures législatives et pratiques qui visent directement les Roms. Bien que ces mesures soient imparfaites et peut-être insuffisantes pour remédier dans un court laps de temps à toutes les injustices accumulées depuis de longues années, à notre avis, elles peuvent être considérées en général comme des mesures appropriées pour corriger la situation des Roms en Hongrie. Quand des gestes de discrimination se produisent, l'État est disposé à tenir les coupables juridiquement responsables, en appliquant des mécanismes bien établis dont peuvent se prévaloir les minorités nationales et ethniques, notamment les Roms.

[...]

Pour les raisons exposées ci-dessus, nous concluons que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait d'établir qu'il y a des risques raisonnables ou sérieux qu'ils puissent être persécutés du fait de leur appartenance à la nationalité rome ou de leur appartenance à un groupe social particulier, s'ils devaient retourner en Hongrie.

F.    Les demandes en l'espèce

[11]            Dans les deux demandes séparées qui sont à l'étude en l'espèce, les demandeurs cherchent à faire infirmer les décisions de la CISR prises le 20 janvier 1999, et par lesquelles leurs revendications du statut de réfugié ont été rejetées. Bien que les demandes n'aient pas été jointes, elles ont été entendues ensemble sur consentement des parties et, par conséquent, les présents motifs s'appliquent aux deux demandes.


[12]            Il est important de noter que, même si dans chacun des cas la CISR en est arrivée à des conclusions négatives sur le plan de la crédibilité, ses conclusions n'ont pas été contestées; et bien que, dans chaque cas, la CISR soit parvenue à la conclusion que les souffrances qu'ont connues les demandeurs étaient simplement le résultat de la discrimination et non pas de la persécution, cette conclusion n'a pas non plus été contestée.

[13]            La contestation de chaque décision s'articule sur trois points généraux : une allégation de partialité faite à l'encontre de la CISR dans la conduite des causes types; une contestation de la procédure uniforme adoptée pour l'audition de chaque cause qui constituerait un manquement à l'application régulière de la loi; et une contestation de la conclusion concernant la protection de l'État dans chaque cas.

II. L'allégation de partialité

[14]            Pour fins de précision, dans cette partie des motifs, étant donné que l'allégation de partialité est la même dans chacune des demandes, et puisque le dossier de chaque demande est identique sur cette question, l'analyse qui suit ne fera référence qu'à une seule « cause type » . La conclusion à laquelle la Cour est parvenue s'applique également à chaque demande.

[15]            Les demandeurs n'allèguent pas qu'il y a eu véritablement partialité de la part des membres de la CISR qui ont participé à l'élaboration et à l'audition de la cause type. Ils font plutôt valoir que c'est la conduite de la CISR dans son ensemble qui soulève une crainte de partialité.


A. Le critère applicable à la crainte de partialité

[16]            Dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, le juge de Grandpré a énoncé le critère applicable à une crainte raisonnable de partialité dans les termes suivants :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-on que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

Le critère reconnaît l'importance de l'impartialité qui, en common law, « désigne un état d'esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée. Le terme " impartial " [...] connote une absence de préjugé, réel ou apparent » (le juge Le Dain dans l'arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, à la page 685, cité dans l'arrêt Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, au paragraphe 18). L'impartialité et l'apparence d'impartialité sont fondamentales non seulement pour pouvoir rendre justice dans un cas donné, mais aussi pour assurer la confiance d'un individu comme du public dans l'administration de la justice (Valente, page 689).

[17]            Les demandeurs ne contestent pas le critère applicable à une crainte raisonnable de partialité; toutefois, ils contestent le niveau de preuve exigé pour être en mesure de conclure que le critère a été respecté. Ils font valoir que, pour prouver leurs arguments fondés sur la partialité, il leur suffit de démontrer l'existence de motifs raisonnables. Je n'accepte pas cet argument.


[18]            La jurisprudence indique clairement que les motifs de crainte doivent être sérieux (voir Committee for Justice and Liberty, page 395; R. c. R.D.S., [1997] 3 R.C.S. 484, aux paragraphes 31 et 112). Comme le juge Cory le notait au paragraphe 112 dans R.D.S., la jurisprudence appuie la prétention selon laquelle une réelle probabilité de partialité doit être démontrée par opposition à un simple soupçon (voir également Bell Canada c. L'Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, aux paragraphes 17, 18 et 50).

[19]            Un double critère a été énoncé dans l'arrêt R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, aux paragraphes 60 et 61; il s'agit d'évaluer s'il existe une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel par opposition à une crainte de partialité qui s'appuierait sur les opinions ou les intérêts personnels d'un membre d'un tribunal. Ce critère a été modifié dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 67 afin d'être appliqué dans le contexte administratif :

Première étape : Compte tenu d'un certain nombre de facteurs, y compris, mais sans s'y restreindre, le risque de conflit entre les intérêts des membres des tribunaux et ceux des parties qui comparaissent devant eux, une personne pleinement informée éprouvera-t-elle une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas?

Deuxième étape : Si la réponse à cette question est négative, on ne saurait alléguer qu'il y a crainte de partialité sur le plan institutionnel, et la question doit se régler au cas par cas.


B. Le contenu du dossier à l'étude

[20]            Étant donné qu'une crainte de partialité a été alléguée dans le dossier concernant l'élaboration de la cause type et son déroulement, il est important d'en comprendre le contenu.

[21]            Le dossier renferme, sous l'onglet dossier du tribunal, ce qu'on peut trouver dans toute revendication du statut de réfugié c'est-à-dire les déclarations des demandeurs au point d'entrée, les formulaires de renseignements personnels, une transcription des audiences, ainsi que les affidavits des demandeurs à l'appui des présentes. Toutefois, le dossier renferme également une preuve par affidavit qui est discutée ci-dessous.

1. La divulgation


[22]            Le 22 octobre 2002, qui était le premier jour d'audition des demandes, la question de l'exhaustivité du dossier du tribunal a été soulevée par M. Rocco Galati, qui à cette époque représentait les demandeurs. Au bout du compte, conformément à une demande fondée sur la Loi sur l'accès à l'information, la CISR a divulgué, dans leur totalité, environ 425 pages de correspondance interne et, en partie, 50 pages de cette même correspondance. Environ 550 pages n'ont pas été communiquées, des exemptions ayant été réclamées aux termes des dispositions suivantes de la Loi sur l'accès à l'information : alinéa 13(1)b) (renseignements obtenus à titre confidentiel d'une organisation internationale d'États); paragraphe 15(1) (renseignements dont la divulgation porterait préjudice à la conduite des affaires internationales et à la défense du Canada ou d'un État allié); paragraphe 19(1) (renseignements personnels); alinéa 21(1)a) (avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre); alinéa 21(1)b) (comptes rendus de consultations ou délibérations où sont concernés des cadres ou employés d'une institution fédérale, un ministre ou son personnel); article 23 (secret professionnel des avocats); et article 69 (documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada). Quelque 500 autres pages n'ont pas été communiquées parce qu'elles n'ont pas été jugées pertinentes.

[23]            Il est important de noter que Mlle Amina Shirazee, qui a remplacé M. Galati comme avocat des demandeurs et qui a présenté l'argumentation finale, n'a pas contesté les renseignements communiqués par la CISR.

2. La preuve par affidavit

[24]            Les demandeurs s'appuient sur un affidavit de M. Paul St. Clair, daté du 2 décembre 2002, qui a un doctorat en sociologie de l'Université de Toronto, dans lequel il affirme qu'il y a une baisse statistique dans les taux d'acceptation de la CISR pour les revendications présentées par les Roms hongrois à la suite de la décision rendue en janvier 1999 à l'égard de la cause type, de même que sur deux affidavits déposés par des avocats spécialisés en droit de l'immigration, et trois affidavits de membres d'organismes de défense des Roms qui ont exprimé leurs inquiétudes au sujet des répercussions de la cause type.

[25]            Le défendeur a aussi présenté des affidavits, particulièrement un affidavit de M. Robert Orr, chef de la Direction générale des réfugiés de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), en date du 28 mai 2004, qui décrit les rapports permanents qui existent entre CIC et la CISR. Les pièces jointes à cet affidavit démontrent que ces rapports ont été régularisés dans une série d'ententes, notamment l'Entente-cadre administrative, du 13 décembre 1996, qui énonce l'objectif visant l'échange de renseignements et la collaboration sur le plan des mesures administratives et qui reconnaît entièrement la nécessité de préserver l'indépendance institutionnelle de la CISR. Ces ententes précisent les rapports qui existent entre les administrations centrales de CIC et de la CISR sur des politiques de haut niveau et des questions administratives qui ne concernent pas les causes précises qui se trouvent devant la CISR. Les domaines de communication et de consultation avec la CISR portent sur des tendances statistiques qui peuvent influer sur les charges de travail réelles ou projetées de la CISR, sur des modifications dans les besoins reconnus en ressources, et sur de grandes propositions législatives et réglementaires ou de nouvelles formalités administratives qui auront un impact décisif soit sur CIC, soit sur la CISR. Les décideurs de la CISR et les agents chargés de la protection des réfugiés n'assistent pas aux réunions entre CIC et la CISR.


[26]            Le défendeur s'appuie également sur l'affidavit de Mlle Joan Steegstra, chef du Service des opérations pour l'équipe de gestion des cas de l'Europe, en date du 28 mai 2004, qui énonce la façon dont les participants au cas d'espèce - y compris les demandeurs, l'agent chargé des revendications du statut de réfugié, les avocats, l'interprète et les membres de la formation - ont été choisis et explique la participation de l'ancien avocat des demandeurs, M. Wuebolt, au processus de sélection des revendications des demandeurs qui ont été entendues à titre de causes types.

C. Les arguments portant sur la crainte de partialité et les conclusions tirées à cet égard

1. La compétence pour entendre une cause type

a. L'argument des demandeurs

[27]            Les demandeurs soutiennent que la CISR n'avait pas compétence pour entendre une cause type sur les Roms de Hongrie, et que les mesures qu'elle a prises dans cet exercice démontrent un préjugé et une partialité institutionnelle à l'encontre des Roms hongrois qui revendiquent le statut de réfugié au Canada.


[28]            Les demandeurs sont d'avis que la CISR n'avait pas la compétence pour constituer et entendre une cause type, et pour la proposer à titre de précédent aux décideurs subséquents, au motif qu'il n'existait pas de disposition réglementaire explicite donnant à la CISR le pouvoir d'entendre une cause type. À l'appui de cette position, les demandeurs font valoir que, même si l'alinéa 159h) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés donne explicitement au président de la CISR le pouvoir de donner des directives jurisprudentielles, l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi sur l'immigration), qui était la loi en vigueur au moment de l'étude de la cause type, ne donnait aucun pouvoir d'origine législative de cette espèce; ils soutiennent que cela prouve que le législateur n'avait pas l'intention de donner au président le pouvoir de délivrer des directives jurisprudentielles pour venir en aide aux décideurs en vertu de la Loi sur l'immigration.

[29]            Le point essentiel qui ressort de cet argument est que la cause type a été conçue pour servir de directive jurisprudentielle devant être utilisée au détriment des Roms de Hongrie. La question de la compétence pour entendre la cause type est distincte de son objectif prévu; la question de la compétence est discutée ci-dessous et l'objectif est traité dans l'analyse de la preuve qui suit immédiatement.

b. L'argument du défendeur


[30]            Le défendeur soutient que la CISR avait la compétence pour constituer et entendre la cause type, selon la common law, et, nécessairement, selon les dispositions de la Loi sur l'immigration. Le défendeur soutient que, d'après la common law, les tribunaux administratifs sont maîtres de leur propre procédure, que la formule de la cause type est une question de procédure et que, par conséquent, la CISR a, et avait en 1998, compétence pour entendre une telle cause. Comme l'indiquait la majorité dans l'arrêt Prassad c. M.E.I., [1989] 1 R.C.S. 560 (C.S.C.) au paragraphe 16 : « En l'absence de règles précises établies par loi ou règlement, [les tribunaux administratifs] fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l'équité et, dans l'exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle » . Plus récemment, dans l'arrêt Faghihi c. Canada (M.C.I.) (1999), 173 F.T.R. 193 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 11, confirmé à [2001] A.C.F. no 841 (C.A.F.), la Cour a cité l'arrêt Prassad en l'approuvant et a confirmé que la CISR a une compétence implicite sur la procédure au moyen de laquelle elle s'acquitte de ses fonctions d'origine législative (voir également Rezaei c. Canada (M.C.I.) (2002), 225 F.T.R. 260 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 48).

[31]            Le défendeur prétend que la compétence de la CISR sur sa propre procédure découle également, et par implication nécessaire, de la loi en raison du large pouvoir discrétionnaire qui est accordé au tribunal en vertu de la Loi sur l'immigration. En particulier, le défendeur cite le paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, qui conférait au président le pouvoir de donner des directives afin d'assister les membres dans l'exécution de leurs fonctions, le paragraphe 67(1) qui donnait à la section de statut compétence exclusive pour juger sur des questions de droit et de fait, et l'alinéa 67(2)d) qui donnait à la section du statut le pouvoir de prendre toutes les mesures nécessaires à une instruction approfondie de l'affaire. Pour appuyer davantage cette prétention, le défendeur cite l'article 68 qui permettait à la section du statut de procéder sans formalisme et avec célérité et sans respecter les règles strictes de preuve, le fait que la section du statut pouvait admettre d'office tous les faits, renseignements ou opinions qui étaient du ressort de sa spécialisation, et le fait que la section du statut pouvait aussi admettre d'office des faits au sujet desquels la personne visée par la procédure avait une possibilité raisonnable de présenter des observations.


[32]            En réponse à l'argument des demandeurs selon lequel, en vertu de la Loi sur l'immigration, le président n'avait pas le pouvoir de donner des directives jurisprudentielles, le défendeur soutient que les directives jurisprudentielles et les « causes types » sont en fait deux mécanismes différents qui peuvent être utilisés par la Commission pour assurer la cohérence de ses décisions. Le défendeur fait de plus valoir que le fait que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés mentionne maintenant de façon explicite le pouvoir de donner des directives jurisprudentielles constitue simplement une précision de l'état du droit et n'ajoute ni n'enlève rien à la compétence de la CISR d'entendre une cause type en vertu de la Loi sur l'immigration.

c. Conclusion

[33]            Je n'accepte pas l'argument des demandeurs selon lequel, en vertu de la Loi sur l'immigration, la CISR n'avait pas compétence pour entendre une cause type. J'accepte les arguments du défendeur, et j'estime qu'une cause type entendue pour assurer la cohérence des décisions est une question de procédure qui relève manifestement de la compétence de la CISR d'après la common law et, par implication nécessaire, d'après la Loi sur l'immigration.

2. La preuve de la crainte de partialité

a. La prétention des demandeurs


[34]            Les demandeurs allèguent qu'une crainte de partialité existe en raison des mesures qu'a prises la CISR quand elle a conçu et entendu la cause type. Ils font valoir que la CISR avait pour motif d'augmenter le taux de rejet des revendications présentées par les Roms hongrois en créant un précédent bien argumenté et bien documenté qui serait suivi par d'autres formations de la CISR. Les demandeurs s'appuient sur une partie de la correspondance interne qui leur a été remise par la CISR en réponse à une de leurs demandes fondée sur la Loi sur l'accès à l'information pour démontrer que la CISR était prédisposée à rejeter leurs revendications du statut de réfugié.

[35]            Pour étayer l'argument relatif au motif de la CISR, l'avocat des demandeurs a regroupé des parties de courriels internes entre les membres de la CISR qui démontrent leurs préoccupations au sujet du nombre croissant de Roms hongrois qui revendiquent le statut de réfugié au Canada, notamment les déclarations suivantes : [Traduction] « Un nombre croissant de Hongrois [...] il y a 15 000 [et oui, quinze mille] Roms hongrois en route vers le Canada » ; « ces statistiques ne présagent rien de bon » ; « l'AC [l'administration centrale de la CISR] s'intéresse à l'heure actuelle au nombre de plus en plus élevé de cas de Hongrois » ; « l'intérêt du public s'accentuera » ; « il y a une perception (que nous devrons peut-être aborder) selon laquelle notre système n'est pas digne de foi » ; et « la CISR a l'intention de regrouper ses ressources pour créer un précédent [...] » (affidavit de Lisa Cirillo, respectivement aux pages 1036 et 1037, 1049, 461, 1216, 450 et 455).


[36]            Étant donné que les demandeurs interprètent la preuve pour faire valoir que l'initiative de la cause type découlait de la préoccupation de la CISR au sujet du nombre élevé de revendications du statut de réfugié présentées par des Roms hongrois qui seraient acceptées, et que le motif qu'elle poursuivait était de s'assurer qu'un précédent négatif réduirait le pourcentage de revendications auxquelles il serait fait droit, ils font valoir que la décision prise dans la cause type est à l'origine de la baisse importante du taux d'acceptation des revendications des Roms hongrois entendues ultérieurement. Par conséquent, ils sont d'avis qu'il y a une crainte raisonnable de partialité dans la production de la cause type et dans la détermination des revendications ultérieures présentées par des Roms hongrois.

[37]            Les demandeurs font également valoir qu'il y a des lettres qui démontrent que la CISR a pris l'initiative d'entretenir des rapports avec CIC concernant les causes types et que cela, en soi, soulève une crainte raisonnable de partialité de la part de la CISR. Les demandeurs soutiennent que la CISR n'aurait pas dû entretenir de rapports avec le ministre de façon officieuse et en excluant les demandeurs parce que le ministre était une partie adverse dans l'instance qui mettait les demandeurs en cause devant la CISR.

[38]            Finalement, les demandeurs font valoir que la correspondance démontre qu'il y a une crainte de partialité de la part de M. Bubrin, le gestionnaire de cas faisant partie de l'équipe européenne de la CISR qui a été choisi pour siéger à titre de membre de la formation au cours des audiences. Ils font valoir que le rôle de M. Bubrin, qui a aidé à la coordination des causes types avant le début des audiences, laisse supposer qu'il était partial, c'est-à-dire qu'il était en faveur du rejet de leurs revendications. Pour fonder cet argument, les demandeurs allèguent que M. Bubrin a choisi l'avocat qui les représenterait; d'après les « lacunes » dans les renseignements qu'il a identifiés, il a donné instruction au personnel de fournir des documents contredisant l'inefficacité de la protection de l'État; et il a de façon inappropriée demandé des motifs écrits de la part des membres des formations qui rendaient des décisions positives.


b. La prétention du défendeur

[39]            Le défendeur soutient que les extraits tirés de la correspondance de la CISR et cités par les demandeurs ne doivent pas être pris hors contexte et fait valoir que les références au nombre croissant de revendications présentées par des Roms hongrois illustrent simplement le fait que la CISR se tenait informée du nombre de revendications reçues et s'efforçait de planifier la façon de répondre pratiquement aux demandes de la façon la plus équitable et la plus réfléchie possible, comme elle est en droit et, en fait, comme elle est tenue de le faire. Le défendeur fait valoir que le précédent non obligatoire créé par la décision de principe ne peut appuyer, en soi, une crainte de partialité, dans la mesure où les formations subséquentes procèdent à une analyse indépendante de la preuve qui leur est soumise dans les cas dont elles sont saisies. En fait, comme il l'a signalé, la présente Cour a déjà reconnu qu'une décision de principe n'est pas déterminante, en soi, quant à d'autres cas, qu'elle ne limite pas le droit de l'avocat du demandeur de faire des observations sur l'importance qu'il convient d'accorder à la preuve, et que ce dernier peut présenter ses propres éléments de preuve et soumettre ses propres arguments (voir Horvath c. Canada (M.C.I.) 2001 C.F.P.I. 583 (CF 1re inst.), paragraphe 7).


[40]            Le défendeur soutient de plus que les taux d'acceptation applicables à quelque pays que ce soit ne demeurent pas uniformes et que la baisse des taux d'acceptation des Roms hongrois après le prononcé de la décision de principe peut être attribuable à plusieurs facteurs, notamment à de meilleurs renseignements sur la situation du pays qui sont soumis à la section du statut, ainsi qu'à l'amélioration des conditions de vie en Hongrie.

[41]            En réponse à la prétention des demandeurs selon laquelle CIC et la CISR ont à tort communiqué entre eux au sujet de la cause type, le défendeur cite l'affidavit de Robert Orr en date du 28 mai 2004, dont il est question ci-dessus, qui démontre que, bien que CIC et la CISR communiquent entre eux, leurs communications portent sur des politiques de haut niveau ou des questions administratives qui ne se rapportent pas à des cas spécifiques. Le défendeur soutient que ces communications ne soulèvent en aucune façon une crainte raisonnable de partialité de la part de la CISR concernant les revendications des demandeurs.

[42]            Pour ce qui a trait à la participation de M. Bubrin dans les revendications des demandeurs, le défendeur soutient que le rôle de M. Bubrin, en tant que coordonnateur responsable des questions opérationnelles et de gestion de cas qui se sont posées à l'égard de l'équipe européenne de la CISR, suppose qu'il fallait naturellement s'attendre à ce qu'il participe aux étapes de planification des causes types concernant les Roms hongrois dans un rôle purement administratif.


[43]            Le défendeur soutient qu'il n'y a rien dans la preuve qui démontre que M. Bubrin a eu un comportement répréhensible ou qu'il était prédisposé à rendre une décision défavorable à l'égard des causes types mettant en cause les Roms hongrois. Le défendeur soutient ce qui suit : l'allégation des demandeurs selon laquelle M. Bubrin a recherché des documents [Traduction] « contredisant l'inefficacité de la protection de l'État » n'est pas appuyée par la preuve, puisque celle-ci démontre plutôt que, à la suite de discussions avec l'équipe européenne, M. Bubrin a simplement demandé d'autres renseignements étant donné que la preuve dont était saisie la CISR concernant la protection de l'État était contradictoire et qu'il fallait obtenir à ce sujet une preuve provenant de sources plus objectives; la demande de M. Bubrin pour que des motifs écrits soient fournis dans les décisions positives, alors que, selon la Loi sur l'immigration, des motifs ne sont exigés que pour les décisions négatives, peut difficilement laisser présumer qu'il y a une crainte raisonnable de partialité, étant donné qu'il n'y a rien dans la Loi sur l'immigration qui empêche une telle demande; et enfin, la nomination de M. Bubrin comme deuxième membre de la formation dans les causes types ne soulève en aucun cas une crainte raisonnable de partialité parce qu'il a tout simplement comblé un poste laissé vacant à un moment où, à l'approche de l'ouverture des audiences, M. Popatia, l'un des deux membres qui avaient d'abord été choisis, s'est récusé.

c. Conclusion

[44]            À mon avis, les demandeurs n'ont tout simplement pas assez d'éléments de preuve pour étayer leur argument portant sur la crainte de partialité. J'estime que l'interprétation que donne le défendeur de la preuve qui existe au dossier est tout à fait juste.


[45]            Ainsi donc, j'estime que la preuve déposée au dossier, et lue dans son intégralité, n'appuie aucune des allégations faites par les demandeurs selon lesquelles il y avait une crainte raisonnable de partialité concernant les gestes posés par la CISR à l'égard de l'élaboration et de l'étude des revendications du statut de réfugié présentées par les demandeurs sous forme de causes types. À mon avis, l'allégation des demandeurs selon laquelle la CISR, en mettant sur pied une cause type, avait pour motif de fournir un précédent en vue d'augmenter le taux de rejet des demandes des Roms hongrois est pure spéculation et n'est pas appuyée par la preuve; j'estime qu'il n'y a aucune preuve d'un tel motif.

[46]            À mon avis, la preuve ne démontre pas que la baisse perçue dans les taux d'acceptation des Roms hongrois était un résultat direct de la décision de principe rendue dans la cause type. Toutefois, même si ce résultat direct peut être établi, il ne peut servir à appuyer l'allégation d'une crainte de partialité. Si les membres de la CISR citent à bon droit la preuve et les conclusions auxquelles on est parvenu dans la cause type pour décider du bien-fondé d'une revendication du statut de réfugié particulière, on ne peut s'en plaindre. Toutefois, si les membres de la CISR choisissent d'appliquer la décision de principe sans passer par les étapes cruciales qui supposent une analyse indépendante de la preuve et du droit dans une revendication particulière d'une façon appropriée, cela ne peut nous amener à conclure qu'il y a crainte de partialité; il s'agit d'une décision erronée qui peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire.


[47]            À mon avis, la preuve n'appuie pas la prétention des demandeurs selon laquelle la participation de M. Bubrin à titre administratif avant le début des audiences soulève de quelque façon que ce soit une crainte raisonnable de partialité. Il n'y a aucune preuve qui démontre qu'il avait déjà pris sa décision à l'égard de la revendication des demandeurs, que celle-ci soit positive ou négative, et sa participation aux aspects opérationnels et de gestion des cas concernant les revendications ne l'empêchait pas de siéger à titre de membre de la formation. Qui plus est, la preuve établit que les rapports formels entre CIC et la CISR ont pour but de traiter de questions de politique et d'administration à un niveau supérieur, sans que soient abordées des causes réelles. Il n'y a aucune preuve d'une discussion de fond au niveau supérieur au sujet de revendications spécifiques, notamment celles des demandeurs. Par conséquent, je conclus qu'aucune crainte de partialité ne peut être invoquée au sujet des revendications des demandeurs par suite de ces rapports.

[48]            En fait, la preuve déposée au dossier ne fait qu'appuyer la raison invoquée par la CISR pour constituer la cause type telle qu'elle est citée dans l'aperçu qui a été donné ci-dessus. Le point essentiel qui a été mentionné pour entendre cette cause type était de promouvoir la cohérence. La jurisprudence reconnaît la légitimité d'adopter des mesures procédurales pour assurer la cohérence entre les décisions de différents arbitres ou formations faisant partie d'un organisme administratif, tant et aussi longtemps que ces mesures ne deviennent pas formelles au point de lier les décideurs et, par conséquent, de compromettre leur indépendance (voir Consolidated Bathurst Packaging Ltd. c. International Woodworkers of America, section 2-69, [1990] 1 R.C.S. 282 (C.S.C.)).


3. Le consentement des demandeurs

[49]            Le consentement des demandeurs à leur participation à la cause type se mêle à l'allégation de partialité et à la conduite de leur avocat.

[50]            Le fait le plus important qui entre en jeu dans l'examen de la question du consentement, et les plaintes des demandeurs concernant l'application régulière de la loi qui seront traitées ci-dessous, est que leur avocat devant la CISR, soit M. Wuebolt, a participé intégralement à la planification et au déroulement de la cause type.

a. La prétention des demandeurs

[51]            Les demandeurs font valoir que, bien qu'ils aient consenti à participer à la cause type par l'entremise de M. Wuebolt, leur consentement est vicié du fait qu'ils n'ont pas été entièrement informés de la nature et des effets de cette forme d'étude de leur cause, et que la CISR a failli à son obligation de s'assurer que leur consentement personnel et explicite à la procédure était inscrit dans le dossier de l'instance.


[52]            Dans le dernier argument des demandes, l'avocat des demandeurs a cité l'arrêt Weerasinge c. Canada (M.E.I.) (1999) 161 N.R. 200 (C.A.F.) à l'appui de son argument sur le consentement vicié. Dans l'arrêt Weerasinge, il a été statué que lorsqu'un demandeur consent à renoncer à son droit légal de comparaître devant une formation de deux membres, ce consentement doit figurer clairement au dossier. En s'appuyant sur Weerasinge, les demandeurs font valoir qu'il existe, en common law, une exigence générale selon laquelle leur consentement à ce que leurs revendications soient étudiées dans le cadre d'une cause type doit être clairement indiqué dans le dossier de l'instance. Je n'accepte pas que l'arrêt Weerasinge puisse appuyer cet argument.

[53]            L'arrêt Weerasinge porte sur le droit légal de comparaître devant une formation constituée de deux membres, sauf dans les cas où un demandeur consent à autre chose. Toutefois, en l'espèce, les demandeurs ne peuvent invoquer aucun droit légal semblable pour motiver leur argument selon lequel leur consentement est vicié. Par conséquent, j'estime que l'arrêt Weerasinge ne s'applique pas à l'espèce.


[54]            Les demandeurs citent également l'arrêt Singh c. M.E.I., [1985] 1 R.C.S. 177 (C.S.C.), au paragraphe 47, pour faire valoir que, étant donné la norme élevée d'équité procédurale qu'il faut respecter dans l'audition des revendications de statut de réfugié, le consentement d'un avocat n'est pas suffisant, et les demandeurs doivent consentir personnellement à participer à une cause type. En outre, les demandeurs s'appuient sur l'arrêt R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, au paragraphe 77, dans lequel il a été statué que, lorsque l'accusé renonce à son droit constitutionnel à un interprète, la Couronne doit démontrer que cette renonciation est claire et sans équivoque et faite par quelqu'un qui connaissait et comprenait ce droit, et aussi qu'elle a été faite personnellement par l'accusé ou avec l'assurance de l'avocat de la défense que le droit et l'effet de la renonciation sur celui-ci ont été expliqués à l'accusé dans une langue qu'il connaît parfaitement. Les demandeurs font également référence à la cause criminelle R. c. Chambers, [1990] 2 R.C.S. 1293, au paragraphe 58, dans laquelle le juge de première instance n'a pas jugé bon de donner instruction au jury d'ignorer la preuve concernant le silence de l'accusé et où l'avocat de la défense ne s'est pas opposé à cette omission; la Cour suprême a conclu que l'omission de l'avocat de la défense de s'opposer ne l'empêchait pas d'ordonner un nouveau procès si une injustice importante avait été commise. Les demandeurs s'appuient sur l'arrêt Chambers pour faire valoir que l'omission de s'opposer à l'audition de la cause type ne fait pas tomber l'argument selon lequel leur consentement était vicié dans les présentes demandes.

b. La prétention du défendeur

[55]            Le défendeur prétend que les demandeurs ont renoncé à leur droit de demander un contrôle judiciaire pour démontrer l'existence d'une crainte raisonnable de partialité de la part de la formation. Cette prétention s'articule sur deux points : ni les demandeurs ni leur avocat ne se sont opposés à la composition de la formation, et ils n'ont pas non plus, à une étape ou à une autre de la procédure, soulevé l'une ou l'autre des autres allégations de partialité qu'ils font maintenant valoir; et les objections des demandeurs ultérieures à la décision de principe ne peuvent être acceptées, étant donné le consentement qui a été communiqué par M. Wuebolt.


[56]            À l'appui du premier point, le défendeur cite la décision dans Mohammadian c. M.C.I., [2001] 4 C.F. 85 (C.A.F.) qui établit précisément une distinction avec l'arrêt Tran dans le contexte de l'immigration et, au paragraphe 14, adopte le raisonnement qui a été énoncé dans Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada Limitée, dans lequel le juge MacGuigan déclarait ce qui suit :

Toutefois, même si l'on écarte cette renonciation expresse, toute la manière d'agir d'EACL devant le Tribunal constituait une renonciation implicite de toute affirmation d'une crainte raisonnable de partialité de la part du Tribunal. La seule manière d'agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d'alléguer la violation d'un principe de justice naturelle à la première occasion. En l'espèce, EACL a cité des témoins, a contre-interrogé les témoins cités par la Commission, a présenté un grand nombre d'arguments au Tribunal et a engagé des procédures devant la Division de première instance et cette Cour sans contester l'indépendance de la Commission. Bref, elle a participé d'une manière complète à l'audience et, par conséquent, on doit tenir pour acquis qu'elle a implicitement renoncé à son droit de s'opposer.

c. Conclusion

[57]            J'accepte la prétention du défendeur concernant la renonciation.

[58]            À mon avis, l'argument des demandeurs selon lequel leur consentement devait figurer au dossier n'a de sens que s'il est fondé sur l'attente selon laquelle M. Wuebolt, ou quelqu'un d'autre, aurait dû les informer que la cause type avait pour but d'être décidée à leur détriment et au détriment d'autres Roms hongrois et, en outre, que, d'une manière ou d'une autre, la formation avait l'obligation de s'assurer qu'ils acceptaient de poursuivre. Il n'y a pas de preuve qui puisse justifier cette attente ou l'obligation qui en découle.


[59]            Il n'est pas contesté que les demandeurs, sur l'avis de leur avocat, ont accepté de participer à la cause type. Toutefois, les demandeurs citent les affidavits du 8 avril 1999 de M. Geza Kozak et de M. Smajda Sandor, les demandeurs principaux dans chacune des demandes à l'étude, pour faire valoir qu'ils ont accepté de participer à la cause type parce que leur avocat leur avait dit que s'ils n'acceptaient pas, ils auraient encore moins de chances de gagner parce que la CISR penserait qu'ils essayaient de cacher quelque chose en refusant de participer.

[60]            Le point essentiel est que, quel que soit l'avis que M. Wuebolt a donné aux demandeurs, ils ont apparemment accepté sans opposition. J'estime qu'aucune importance ne peut être accordée aux déclarations des demandeurs faites après la décision de principe concernant leur absence de consentement, étant donné que leur consentement antérieur à la décision a été communiqué par l'entremise de M. Wuebolt.

[61]            Pour ce qui a plus spécifiquement trait à M. Bubrin, si M. Wuebolt avait une objection quelconque à formuler concernant le fait qu'il a présidé l'audience, en raison de la crainte de partialité qu'il entretenait, il était tenu de soulever ce point à la première occasion, c'est-à-dire au plus tard à l'ouverture de l'audience elle-même. Bien que l'avocat dans les présentes demandes fasse valoir que l'ancien avocat ne savait peut-être pas à quoi il consentait par rapport à la tenue de la cause type, j'estime qu'il lui incombait de produire la preuve étayant cette affirmation. Cela n'a pas été fait et, par conséquent, j'estime que cet argument n'a aucun poids.

[62]            Finalement, je n'accepte pas la suggestion non fondée des demandeurs selon laquelle M. Wuebolt peut avoir été incompétent, que la formation avait l'obligation d'aller plus loin pour obtenir le consentement personnel des demandeurs et de le consigner au dossier.

[63]            Il n'y a absolument aucune preuve d'incompétence au dossier et, par conséquent, aucune raison que la formation se préoccupe du consentement des demandeurs.

[64]            Pour ce qui est de faire de l'incompétence une question à régler dans les présentes demandes, comme il a été mentionné dans la décision Nunez c. Canada (M.C.I.) (2000), 189 F.T.R. 147 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 19, les allégations de faute professionnelle d'un avocat ne peuvent être faites sans que l'on donne à l'avocat la possibilité d'expliquer les agissements en question ou sans une preuve que l'affaire a été soumise à l'ordre des avocats pour enquête (voir également Bader c. Canada (M.C.I.), 2002 CF 304 (C.F. 1re inst.), paragraphe 8). En l'espèce, les demandeurs ont eu toute la possibilité de prendre l'une de ces mesures. Ils ne l'ont pas fait et, par conséquent, j'estime que l'argument fondé sur l'incompétence n'a aucun poids.

III. L'application régulière de la loi

A. L'interprétation


[65]            Dans leurs affidavits du 8 avril 1999, les principaux demandeurs, M. Geza Kozak et M. Smajda Sandor, allèguent ce qui suit : Dr Holtzl, l'un des témoins experts du défendeur, a témoigné en anglais et l'interprète a été séquestré avec les demandeurs dans une salle d'audience attenante; l'interprète a informé le tribunal qu'il avait de la difficulté à entendre la voix du témoin provenant du téléviseur et qu'il ne pouvait pas traduire exactement ses mots; la formation a dit à l'interprète de continuer à traduire malgré les problèmes; à un moment donné, l'interprète s'est arrêté de traduire pendant un certain temps. Les demandeurs soutiennent que cette conduite constitue un déni de leur droit à un interprète compétent et, par conséquent, un manquement à l'équité procédurale.

[66]            Le défendeur soutient que les déclarations faites par les demandeurs dans leurs affidavits sont manifestement trompeuses et contredisent directement le dossier du tribunal.

[67]            J'estime que les déclarations des demandeurs sur ce qui s'est produit sont tout simplement erronées d'après les transcriptions du dossier du tribunal; Dr Holtzl a témoigné presque entièrement en hongrois et l'interprète se trouvait dans la salle d'audience principale pour traduire ce témoignage à l'intention de la formation et de l'avocat (dossier du tribunal de Smajda, délibérations du 17 novembre 1998, pages 1680 et 1681). En raison de la contradiction entre la preuve par affidavit des demandeurs et la transcription de l'audience, je ne peux accorder aucune importance à la preuve par affidavit des demandeurs sur ce point.

B. La séquestration


[68]            Les demandeurs soutiennent qu'ils ont été séquestrés dans une autre pièce à l'écart du décideur et que leur droit d'être présents à leur propre audience a été enfreint. Le défendeur soutient que cela est attribuable à une tentative légitime de protéger l'identité des demandeurs pendant que des représentants du gouvernement hongrois témoignaient dans la salle d'audience principale.

[69]            Il n'y a rien dans le dossier du tribunal qui indique que l'avocat des demandeurs a soulevé une objection relativement à cet arrangement et, en fait, il aurait apparemment accepté cette procédure pour protéger l'identité de ses clients pendant que les fonctionnaires hongrois témoignaient. Par conséquent, cet argument est rejeté.

IV. La conclusion relative à la protection de l'État

[70]            Les demandeurs soutiennent que la CISR a commis une erreur en ignorant la preuve relative à la protection de l'État, y compris la preuve de l'incapacité de l'État à protéger les Roms hongrois contre les attaques des groupes racistes et les inconvénients qu'ils subissent dans les domaines de l'emploi et de l'éducation.

[71]            Une analyse sur le caractère adéquat de la protection de l'État est une conclusion de fait, et la norme de contrôle applicable à une conclusion de fait prise par un tribunal administratif spécialisé comme la CISR est la décision manifestement déraisonnable (Conkova c. M.C.I. [2000] A.C.F. no 300 (C.F. 1re inst.), paragraphe 5). Dans la pondération de la preuve, le fait qu'une certaine partie de la preuve ne soit pas mentionnée n'entraîne pas nécessairement l'annulation de la décision, et cela ne signifie pas non plus que cette preuve a été ignorée (Hassan c. M.E.I. (1992), 147 N.R. (C.A.F.), page 318).


[72]            Bien que la preuve relative à la protection de l'État ait été la même dans les deux revendications qui se trouvaient devant la CISR, et bien que les décideurs aient été les mêmes, le contenu des décisions diffère quelque peu. J'estime qu'il est équitable, pour répondre à la question de savoir si la preuve concernant le caractère adéquat de la protection de l'État a été ignorée, de lire les deux décisions ensemble. Quand on se livre à cet exercice, il est manifeste que la formation a tenu compte tant de la preuve positive que de la preuve négative concernant la protection de l'État. Par conséquent, j'estime qu'il était raisonnablement loisible à la formation de parvenir à la conclusion qu'elle a tirée dans chacune des décisions ayant trait à la protection de l'État. Par conséquent, l'argument des demandeurs concernant la protection de l'État est rejeté.

V. Dépens

[73]            Les demandeurs soutiennent qu'il y a des circonstances spéciales qui leur donnent droit aux dépens, qu'ils aient ou non gain de cause dans les présentes demandes. Ils font valoir que leur cas est unique en ce sens qu'il traite d'allégations de partialité institutionnelle de la part de la CISR dans la tenue d'une cause type, les premières causes types que la CISR aient jamais entendues. Ils mettent également l'accent sur les documents internes divulgués par la CISR pour établir que, dès que l'idée de produire une cause type a germé, les employés de la CISR étaient conscients que le concept de la cause type pourrait potentiellement faire l'objet d'une contestation judiciaire.


[74]            À cet égard, les demandeurs attirent l'attention de la Cour sur la déclaration suivante tirée d'un courriel qui, à leur avis, démontre que les membres de la CISR savaient qu'une cause type pourrait donner lieu à un litige : [Traduction] « une cause type pourrait assurer que le droit et la procédure établie pour le faire respecter ont été correctement suivis, ce qui pourrait profiter aux causes en instance; par ailleurs, elle pourrait attirer inutilement l'attention et provoquer un débat ou une contestation judiciaire; ce ne sont là que des exemples d'arguments pour et contre » (affidavit de Lisa Cirillo, page 451).

[75]            Compte tenu de ce fait, les demandeurs soutiennent que les dépens devraient leur être adjugés quel que soit le résultat, parce que la contestation actuelle a été envisagée au moment où la décision a été prise d'entendre la cause type.


[76]            Le défendeur soutient que des questions de partialité se posent régulièrement devant la présente Cour dans le cadre d'un contrôle judiciaire et, par conséquent, qu'elles ne constituent pas des circonstances spéciales en l'absence d'un cas de mauvaise foi dont la preuve doit être faite. Le défendeur soutient que les dépens devraient être adjugés en faveur de la Couronne. Il s'appuie sur la décision Kabir c. Canada (M.C.I.), [2002] 2 C.F. 564 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 35, dans laquelle la Cour a adjugé les dépens à l'encontre du demandeur parce que celui-ci n'avait pas dit toute la vérité, donnant ainsi lieu à la prise en compte de raisons spéciales. Le défendeur soutient que les faux énoncés de faits qui se trouvent dans les affidavits des demandeurs déposés à l'appui de la demande d'autorisation de poursuivre donnent lieu à des circonstances spéciales suffisantes pour que les dépens généraux soient adjugés à la Couronne.

[77]            J'accepte la prétention des demandeurs selon laquelle, compte tenu de la nature nouvelle et potentiellement litigieuse de la cause type au moment de son audition, nature litigieuse qui a été reconnue, ils ne devraient pas être tenus de financer un contrôle judiciaire qui met à l'épreuve le concept de la cause type même s'ils n'ont pas gain de cause à la fin de cet exercice.

[78]            Je suis incapable de conclure que les demandeurs n'ont pas été honnêtes quand ils ont prêté serment relativement à leurs préoccupations sur l'application régulière de la loi concernant l'interprétation. Il est tout à fait possible qu'ils soient d'avis que les faits sont exactement tels qu'ils ont été énoncés dans les affidavits, au sujet desquels ils n'ont pas été interrogés dans le cadre des présentes demandes de contrôle judiciaire. Par conséquent, j'estime que cet aspect de la cause n'est pas pertinent à la détermination de la question des dépens.

[79]            À mon avis, les demandeurs ont droit à une ordonnance leur adjugeant les dépens, ce qui leur permettra dans une large mesure d'acquitter les dépenses qu'ils ont engagées pour présenter les demandes.


VI. Question certifiée

[80]            À la suite d'un échange d'observations écrites concernant les questions pouvant être certifiées en vue d'être portées à l'attention de la Cour d'appel fédérale, j'estime que la seule question qui transcende les intérêts des parties immédiates au présent litige et qui englobe des questions graves de portée générale, et sur laquelle je suis sur le point de me prononcer, est la suivante :

La CISR avait-elle compétence pour entendre une « cause type » en vertu de la Loi sur l'immigration?

ORDONNANCE

                                           IMM-488-99

Pour les motifs donnés ci-dessus :

1. La demande est rejetée.

2. J'adjuge les dépens aux demandeurs selon la colonne 5 du tarif B.


3. Je certifie la question suivante qui pourra être examinée par la Cour d'appel fédérale :

La CISR avait-elle compétence pour entendre une « cause type » en vertu de la Loi sur l'immigration?

      « Douglas R. Campbell »      

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-488-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             KOZAK GEZA ET AL. c. MCI

DOSSIER :                                         IMM-491-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             SMAJDA SANDOR ET AL. c. MCI

DATES DE L'AUDIENCE : Les 23, 24 et 25 juin 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                       Le 27 juillet 2004

COMPARUTIONS :

Mme Amina Sherazee                                                                            Pour les demandeurs

M. John Loncar                                                                                                 Pour le défendeur

Mme Amina Riaz

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Services juridiques du centre-ville                                                                       Pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                                              Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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