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Date : 20040504

Dossier : T-1044-03

Référence : 2004 CF 654

OTTAWA (ONTARIO), LE 4e JOUR DE MAI 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                          MONSIEUR LUCIEN ANDRÉ DE QUOY

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, Lucien André De Quoy, a été membre des Forces armées canadiennes du 18 juillet 1949 au 26 juin 1996, date de sa retraite. Il souffre présentement d'une maladie disco-lombaire dont il attribue l'origine à ses 4000 heures de vol à titre de navigateur au cours de son service militaire.

[2]                En vertu de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6 (Loi sur les pensions), des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces en cas d'invalidité. Le paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions prévoit le droit à une pension pour invalidité imputable au service militaire en zone de service spécial ou survenue au cours de ce dernier, alors que le paragraphe 21(2) prévoit le droit à une pension en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie - ou son aggravation - consécutive ou rattachée directement au service militaire en temps de paix.

[3]                En l'espèce, en 1996, le demandeur présente une demande de pension d'invalidité tant en vertu du paragraphe 21(1) que du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions. Le demandeur soutient que la maladie disco-lombaire dont il souffre est rattachée à ses fonctions durant son service militaire tant en Corée qu'à la période subséquente.

[4]                Le 15 avril 1996, la demande de pension du demandeur est rejetée sur les deux chefs par le département des anciens combattants parce qu'il n'a pas été démontré que son affectation a été causée, aggravée, ou est consécutive ou rattachée à ses fonctions militaires (la première décision).


[5]                Par la suite, le demandeur demande au Tribunal des anciens combattants (le Tribunal) de réviser la première décision. En vertu de l'article 84 de la Loi sur les pensions et de l'article 18 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. (1995), ch. 18 (la Loi), le Tribunal a compétence exclusive pour réviser toute décision rendue en vertu de la Loi sur les pensions et statuer sur toute question liée à la demande de révision. Le 24 février 1997, le Tribunal confirme la première décision.

[6]                Insatisfait, le demandeur demande alors au comité d'appel du Tribunal de réexaminer son dossier (articles 25, 26 et paragraphe 28(1) de la Loi). Le 22 octobre 1997, le comité d'appel confirme la décision du 24 février 1997 (paragraphe 29(1) de la Loi).

[7]                Suite à l'obtention de deux rapports médicaux du Dr Tremblay, en date du 8 octobre 2002 et du 20 juin 2002 (la nouvelle preuve médicale), le demandeur présente une demande de réexamen auprès du comité d'appel (paragraphe 32(1) de la Loi). Le 2 mai 2003, le Tribunal accepte la nouvelle preuve médicale, mais conclut néanmoins que la maladie disco-lombaire du demandeur n'est pas liée à son service militaire, d'où la présente demande de contrôle judiciaire.


[8]                Cette Cour a déjà décidé que la norme de contrôle applicable dans des cas semblables est celle de la détermination manifestement déraisonnable (Lepage c. Canada (Procureur Général), [2004] A.C.F. no 22 au para. 6 (C.F.) (QL); et McTague c. Canada (Procureur Général), [1999] A.C.F. no 1559 (C.F. 1re inst.) (QL), (1999) 177 F.T.R. 5). Considérant que la question de l'établissement d'un lien de causalité est de nature factuelle, vu l'effet combiné des articles 18 et 31 de la Loi - soit, respectivement, une clause de compétence exclusive de révision et d'appel et une clause de finalité - cette Cour doit faire preuve de la plus grande retenue. Par conséquent, cette Cour ne doit intervenir que si les conclusions d'ordre factuel du comité d'appel sont manifestement déraisonnables. Ce sera évidemment le cas lorsque celles-ci ne reposent sur aucune preuve au dossier.

[9]                D'autre part, la Cour doit également s'assurer que le comité d'appel agit conformément à la Loi. À cet égard, le comité d'appel doit tenir compte des principes généraux énoncés à l'article 39 de la Loi. Cette disposition prescrit :


39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.



[10]            Comme on peut le constater le paragraphe 39a) de la Loi prévoit que le Tribunal doit tirer les conclusions les plus favorables possible au demandeur (l'appelant) tandis qu'en vertu du paragraphe 39c), le Tribunal doit trancher en faveur de ce dernier toute incertitude quant au bien-fondé de la demande. De la même manière, le paragraphe 39b) prévoit que le Tribunal doit accepter tout élément de preuve non contredit que présente le demandeur (l'appelant) et qui lui semble vraisemblable. Ainsi, le Tribunal (le comité d'appel) doit être en mesure d'expliquer au demandeur (l'appelant) pourquoi, par exemple, un élément de preuve non contredit ne lui semble pas vraisemblable en l'occurrence. Ceci étant dit, l'article 39 de la Loi ne libère pas le demandeur (l'appelant) de l'obligation d'établir selon la prépondérance des probabilités que sa maladie disco-lombaire est consécutive ou rattachée à son service militaire.

[11]            Devant cette Cour, le demandeur soutient notamment que le comité d'appel a outrepassé sa compétence en omettant d'accepter tout élément de preuve non contredit, c'est-à-dire, en écartant arbitrairement la nouvelle preuve, en ne respectant pas son obligation de motiver adéquatement sa décision et en concluant que la condition du demandeur est dûe à une accélération de dégénération en raison de l'âge, et ce, sans une expertise médicale leur permettant de tirer une telle conclusion.

[12]            Le défendeur soutient au contraire que la décision du comité d'appel n'est pas manifestement déraisonnable. En l'espèce, le demandeur n'a pas démontré l'existence d'un lien de causalité entre l'incident rapporté, soit les heures de vol, et la maladie disco-lombaire dont il est maintenant affligé. Le défendeur soumet que le comité d'appel a effectivement soupesé la nouvelle preuve et a notamment fondé sa décision sur l'absence de preuve médicale ou de plaintes de maux de dos entre 1954 et 1994, l'absence de traitements suite à une déclaration de maux de dos en 1954 ainsi qu'à l'inexistence de problèmes de dos dans divers rapports médicaux émanant des Forces canadiennes.

[13]            Ayant examiné la décision du comité d'appel à la lumière de la preuve au dossier et des représentations des parties, je suis d'avis que la décision du comité d'appel est manifestement déraisonnable et qu'elle doit être révisée pour les raisons suivantes.


[14]            De prime à bord, il est important de souligner que les pièces A-7 et A-8, soit les rapports d'électromyographie du 16 août 2002 et les rapports d'examens radiologiques du 9 septembre 2002 produits au soutien de l'affidavit du demandeur n'ont pas été portées à l'attention du comité d'appel. Or, il a déjà été établi par cette Cour que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, le bien-fondé de la décision contestée ne peut pas être débattu à l'aide d'une nouvelle preuve dont le décideur ne disposait pas lorsqu'il a rendu sa décision (Shmyr c. Canada (Procureur Général), [2000] A.C.F. no 1673 (C.F. 1re inst.) (QL), (2000) 195 F.T.R. 84). Par conséquent, ces dernières pièces n'ont pas été considérées par la Cour dans le cadre de la présente demande.

[15]            Ceci étant dit, la nouvelle preuve médicale présentée par le demandeur au comité d'appel établit, sans conteste, un lien direct de causalité entre l'affectation du demandeur et son service militaire. Ainsi, le rapport en date du 20 juin 2003, indique clairement que les 4 000 heures de vol du demandeur ont contribué de façon significative à l'apparition d'une arthrose lombaire :

En conséquence, nous croyons que les 4000 heures qu'il a passé dans des avions qui transmettaient des vibrations intenses aux occupants ont contribué de façon significative à l'apparition d'une arthrose lombaire.

[...]

En conséquence, nous croyons que la condition actuelle de monsieur De Quoy dépend en grande partie de son service dans les forces Armées, surtout à cause de ses 4000 heures de vol sur des avions qui transmettaient des vibrations indues.

[mon soulignement]

[16]            De plus, le Dr Tremblay dans son rapport en date du 8 octobre 2002 indique que l'arthrose dégénérative du demandeur a été « accélérée, sinon causée, par les heures de vol dans des appareils transmettant des vibrations nocives au squelette » .

[17]            Toutefois, contrairement à ce qui est avancé par le Dr Tremblay, le comité d'appel conclut néanmoins qu'il n'y a pas de lien de causalité entre l'incident apporté, soit les heures de vol et l'arthrose dégénérative. Le comité d'appel est plutôt d'avis que l'arthrose dégénérative dont souffre le demandeur résulte du processus dégénératif normal associé avec l'âge du demandeur :

(...) There is no mention of this problem in either the 1956 or 1978 medical examinations. It was not until 1994 that an X-ray revealed mild degenerative changes at L4-5 and L5-S1 and osteoarthritic change of the articular facets at L4-5 and L5-S1.

All the degenerative changes to the Applicant's back are consistent with the normal aging process. Damage due to trauma results in accelerated degeneration of the affected area, but there is no evidence of that in the Applicant's case.

[mon soulignement]

[18]            De plus, le Tribunal souligne que les rapports du Dr Tremblay ne font pas référence à un incident spécifique :

Dr. Tremblay's reports, although informative about occupational exposure to vibration and the associated increased risks, have no reference to a specific incident or injury during the Applicant's service nor do they address the issue of accelerated degeneration normally associated with trauma.               

[mon soulignement]


[19]            Le raisonnement du comité d'appel m'apparaît manifestement déraisonnable. Lorsque le comité d'appel décide d'accepter une nouvelle preuve (MacKay c. Canada (Procureur Général), [1997] A.C.F. no 495 (C.F. 1re inst.) (QL), (1997) 129 F.T.R. 286), il doit ensuite évaluer celle-ci à la lumière de l'ensemble des preuves du dossier. S'il décide de ne pas accorder aucun poids à la nouvelle preuve, le comité d'appel doit indiquer les raisons dans sa décision.

[20]            Il est vrai que les examens médicaux de 1958 ou 1978 ne font pas état de la condition particulière diagnostiquée en 1994. Néanmoins, je ne crois pas que cela suffise pour n'accorder aucun poids à la nouvelle preuve médicale. La nouvelle preuve médicale vient corroborer les déclarations du demandeur selon lesquelles il a souffert de maux de dos pendant des années avant que son affectation présente soit diagnostiquée. De plus, faut-il le souligner, les rapports du Dr Tremblay ne vont pas à l'encontre des preuves matérielles faisant partie du dossier du comité d'appel. Le comité d'appel a donc agi à l'encontre de l'article 39 de la Loi en écartant arbitrairement les deux rapports du Dr Tremblay.

[21]            Le comité d'appel affirme, par ailleurs, que l'arthrose est une maladie qui est associée au processus normal de vieillissement. Peut-être, mais cette conclusion de nature factuelle ne peut être tirée à partir de la preuve actuellement au dossier. D'où le comité d'appel tire-t-il cette conclusion d'ordre médical? Nonobstant l'âge du demandeur, les vibrations dans les avions peuvent-elles causer des micro-traumatismes?


[22]            À l'audience, devant cette Cour, les « Lignes directrices du ministère des anciens combattants Canada - Le rôle des traumatismes articulaires répétitifs » (les Lignes directrices) ont été invoquées par le défendeur pour justifier la conclusion à laquelle en arrive le comité d'appel. Ce qui pose problème en l'espèce. D'une part, si le comité d'appel désirait s'appuyer sur le contenu des Lignes directrices à titre de preuve médicale, celles-ci auraient dû être déposées au dossier et être communiquées préalablement au demandeur. D'autre part, considérant que la nouvelle preuve médicale du demandeur au dossier est déterminante, le comité d'appel se devait de faire référence de façon explicite dans sa décision à tout élément de preuve contraire qu'il préférait retenir en l'espèce.

[23]            À cet égard, j'ajouterais ici qu'il est loin d'être établi que les Lignes directrices appuient la conclusion du comité d'appel. Voir les lignes directrices où il est indiqué comme suit :

L'arthrose prend naissance dans le cartilage articulaire, mais finit par affecter les tissus, les os et la synoviale environnants. Lorsque la surface articulaire est privée de cartilage, l'os sous-jacent est soumis à des contraintes locales plus importantes. Il se produit alors un remodelage osseux à la bordure de l'articulation par formation d'ostéophytes. Ce remodelage peut être considérable.

Après les premiers stades de la dégénérescence cartilagineuse, qui peut avoir été provoquée par une lésion, il s'écoule parfois de nombreuses années avant que le sujet éprouve une douleur articulaire ou que des altérations arthrosiques se manifestent à la radiographie. Les dommages au cartilage sont habituellement déjà important lorsqu'apparaissent les signes et symptômes de d'arthrose.

[mon soulignement]


[24]            Si, tel que le prétend le défendeur, le comité d'appel a effectivement tenu compte des Lignes directrices, il aurait dû, par ailleurs, se demander si les vibrations dans les avions peuvent constituer des micro-traumatismes; auquel cas, il n'est pas impossible que plusieurs années se soient écoulées avant que le demandeur éprouve une douleur articulaire ou que des altérations arthrosiques se manifestent en 1994 à la radiographie. L'absence d'analyse adéquate dans la décision du comité d'appel concernant cet aspect essentiel ne permet pas à cette Cour de déterminer si le comité d'appel a effectivement tenu compte de tous les facteurs pertinents, ce qui rend sa décision révisable.

[25]            Considérant la nature de la nouvelle preuve médicale et le fait que la qualité d'expert du Dr Tremblay n'a pas été remise en question, vu l'article 39 de la Loi et l'absence de preuve médicale dans le dossier du comité d'appel contredisant directement les conclusions du Dr Tremblay, je suis d'avis que le comité d'appel a agi de façon capricieuse et arbitraire en écartant les deux rapports du Dr Tremblay, ce qui rend sa décision manifestement déraisonnable (Bernier c. Canada (Procureur Général), [2003] A.C.F. no 62 (C.F. 1re inst.) (QL), (2003) 230 F.T.R. 89). En l'espèce, la Cour n'a pas à décider si la demande de pension du demandeur est valide ou non. Elle doit seulement déterminer si le Tribunal a commis une erreur révisable. C'est le cas en l'espèce; ce qui justifie que le dossier du demandeur soit reconsidéré par un comité d'appel différemment constitué, et ce, conformément à la Loi.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie et que le dossier soit renvoyé pour re-considération par un comité d'appel différemment constitué, et ce, conformément à la Loi. Le tout avec dépens.

                   « Luc Martineau »                  

                                                                                                     Juge                                 


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1044-03

INTITULÉ :               MONSIEUR LUCIEN ANDRÉ DE QUOY c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                        MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 15 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                             LE 4 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Me JOSSELIN BRETON                                 POUR LE DEMANDEUR

Me PATRICIA GRAVEL                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me JOSSELIN BRETON                                 POUR LE DEMANDEUR

MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG                             POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TRIBUNAL DES ANCIENS COMBATTANTS         POUR LE TRIBUNAL

(RÉVISION ET APPEL)

CHARLOTTETOWN (ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD)


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