Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030711

Dossier : T-1725-02

Référence : 2003 CF 870

Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 juillet 2003

En présence de Madame la juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                        LE COMITÉ CHARGÉ DU BIEN-ÊTRE DES DÉTENUS

ÉTABLISSEMENT WILLIAM HEAD

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du commissaire du Service correctionnel, Service correctionnel du Canada, (le commissaire) en date du 3 septembre 2002, autorisant la modification de la Directive du commissaire (la DC) no 803, intitulée Consentement relatif aux évaluations, aux traitements et à la communication de renseignements médicaux.

[2]                 L'alinéa 2b) de la DC no 803 prévoit qu'il faut obtenir le consentement du délinquant pour les actes qui ont trait à la santé mentale, y compris les évaluations et traitements psychiatriques et psychologiques.

[3]                 Le 3 septembre 2002, le commissaire a autorisé une modification de la DC no 803, par laquelle on ajoutait l'article 3. Les articles 2 et 3 sont maintenant ainsi libellés :


2. Le consentement du délinquant doit être obtenu pour :

2. The consent of the offender must be obtained for:

a. tous les actes médicaux;

a. all medical procedures;

b. tous les actes qui ont trait à la santé mentale, y compris les évaluations et les traitements psychiatriques et psychologiques;

b. all mental health procedures, including psychiatric and psychological assessment and treatment;

c. toute participation à une forme quelconque de recherche;

c. involvement or participation in any form of research, and

d. la communication de renseignements de nature médicale, sauf selon les dispositions de la présente directive et des lois pertinentes.

d. the sharing of health care information, except as provided for in this directive and in relevant legislation.

3. Nonobstant le paragraphe 2b, si un délinquant refuse de donner son consentement pour une évaluation nécessaire dans l'intérêt de la sécurité publique, on procédera à une évaluation du risque en se fondant sur les renseignements disponibles.

3. Notwithstanding paragraph 2b, even if an offender refuses to consent to an assessment, in the interest of public safety, a risk assessment will be done based on available information.



[4]                 Le demandeur soutient que les évaluations du risque ne peuvent pas être effectuées sans le consentement du délinquant. La modification apportée à la DC no 803 a pour effet de dénier au détenu son droit au consentement, en ce qui concerne les tests et évaluations psychologiques. Le demandeur affirme que la modification apportée à l'article 3 est contraire aux principes de common law et viole l'article 7 de la Charte des droits et libertés et l'alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits. Partant, cette disposition devrait être radiée.

[5]                 Le défendeur affirme que la DC no 803 a été modifiée de façon à montrer que les employés du Service correctionnel du Canada (le SCC) doivent procéder à des évaluations du risque, y compris des évaluations psychologiques, indépendamment du consentement du délinquant, en vue de s'acquitter du mandat législatif confié au SCC, à savoir protéger le public. Il ne serait pas possible de s'acquitter de ce mandat s'il fallait obtenir le consentement du délinquant avant de procéder à l'évaluation du risque étant donné qu'il pourrait, dans bien des cas, arriver que le consentement ne soit pas donné.

ANALYSE

[6]                 Le commissaire est autorisé à établir et à appliquer des règles, conformément à l'article 97 de la Loi, et à désigner en tant que directives du commissaire toute règle ainsi établie conformément à l'article 98 de la Loi :


97. Sous réserve de la présente partie et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles concernant :

97. Subject to this Part and the regulations, the Commissioner may make rules

a) la gestion du Service;

(a) for the management of the Service;

b) les questions énumérées à l'article 4;

(b) for the matters described in section 4; and


c) toute autre mesure d'application de cette partie et des règlements.

(c) generally for carrying out the purposes and provisions of this Part and the regulations.98. (1) Les règles établies en application de l'article 97 peuvent faire l'objet de directives du commissaire.

98. (1) The Commissioner may designate as Commissioner's Directives any or all rules made under section 97.

(2) Les directives doivent être accessibles et peuvent être consultées par les délinquants, les agents et le public.

(2) The Commissioner's Directives shall be accessible to offenders, staff members and the public.


[7]                 Les directives n'ont pas force de loi, mais elles énoncent des choses telles que l'objet des politiques, les délais et les procédures qui sont destinés à assurer l'équité et l'uniformité dans le système carcéral fédéral (Hickey c. Kent Institution, [2003] BCCA 23).

[8]                 Conformément à l'alinéa 4a) de la Loi, la protection de la société est le critère prépondérant dans le processus correctionnel :


4. Le Service est guidé, dans l'exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are

a) la protection de la société est le critère prépondérant lors de l'application du processus correctionnel;

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the corrections process;


[9]                 Les évaluations du risque constituent l'une des façons permettant d'atteindre cet objectif. Les employés du SCC doivent évaluer le risque que présente un délinquant pendant qu'il est incarcéré et avant sa mise en liberté, afin de protéger le public et d'atteindre les objectifs législatifs de la Loi.

[10]            Il faut faire une distinction importante entre les évaluations médicales et psychologiques qui sont effectuées au profit du délinquant ou pour établir un diagnostic (actes qui ont trait à la santé mentale) et les évaluations du risque qui sont effectuées aux fins de la protection du public.

[11]            D'autre part, le SCC est tenu d'administrer les soins de santé au profit des détenus. Cette obligation est énoncée aux articles 85 à 88 de la Loi. Pour faire quoi que ce soit dans le domaine des soins de santé, y compris, une évaluation psychologique, un diagnostic ou un traitement touchant un détenu, le SCC doit obtenir un consentement éclairé.

[12]            D'autre part, le SCC s'est vu confier le mandat législatif d'évaluer le risque afin de protéger le public. Les évaluations du risque n'exigent pas un consentement éclairé. Pareille exigence empêcherait le SCC de s'acquitter du mandat législatif qui lui incombe de protéger le public étant donné qu'il se pourrait que, dans bien des cas, le consentement ne soit pas donné.


[13]            La Loi renferme maints exemples montrant que les employés du SCC doivent procéder à une évaluation du risque afin de prendre une décision qui touche la sécurité du public. Mentionnons notamment les décisions relatives à l'autorisation accordée dans le cas d'une permission de sortir sans surveillance dans la collectivité, du placement à l'extérieur, de la mise en liberté sous condition et de l'octroi de la libération conditionnelle.

[14]            Contrairement aux prétentions du demandeur, une évaluation du risque et une évaluation PCL-R (liste type de psychopathie révisée) sont deux choses différentes. L'évaluation PCL-R a été élaborée par M. Hare; on y a recours pour évaluer les troubles de personnalité psychopathique chez les délinquants. Ces renseignements peuvent servir à prédire les récidives qui, de leur côté, peuvent servir à quantifier le degré de risque qu'un délinquant présente pour la société. La notation PCL-R ne constitue qu'un type de notation ou d'échelle dont il peut être fait mention dans une évaluation du risque. Les évaluations du risque peuvent comprendre de nombreuses autres notations ou échelles, et il n'est pas nécessaire qu'il y soit fait mention d'une notation PCL-R.


[15]            En résumé, les évaluations du risque auxquelles procède le SCC ne sont pas des évaluations psychologiques ou des évaluations relatives aux soins de santé ou au traitement destinées à établir un diagnostic ou à déterminer si un délinquant doit être soumis à des soins de santé ou à un traitement. Les évaluations du risque sont un moyen permettant de déterminer si un délinquant risque de récidiver ou s'il peut présenter un danger pour lui-même, pour les autres détenus, pour les membres du personnel et pour le public. Il serait impossible de s'acquitter de ce mandat s'il fallait obtenir le consentement du délinquant avant de procéder à une évaluation du risque étant donné qu'il se pourrait que, dans bien des cas, le consentement ne soit pas donné.

[16]            L'article 3 de la DC no 803 prévoit que si un délinquant ne consent pas à une évaluation, on procédera à une évaluation du risque en se fondant sur les renseignements disponibles. Ces renseignements peuvent être obtenus dans le cadre d'un examen du dossier du délinquant, de l'observation de la conduite d'un délinquant et de l'examen de renseignements connexes.

[17]            Je suis convaincue que le commissaire avait la compétence voulue pour effectuer pareille modification afin de permettre au SCC de s'acquitter de son mandat législatif, qui consiste à protéger le public.

[18]            En ce qui concerne la contestation constitutionnelle de la validité de la directive modifiée du commissaire, comme il en a ci-dessus été fait mention, la directive n'a pas force de loi. Le demandeur n'a pas contesté la validité d'une disposition de la Loi. Cet argument est donc dénué de fondement.


[19]            Le demandeur a également soumis l'affidavit de Steven Lynn à l'appui de l'argument selon lequel l'évaluation PCL-R non consensuelle dont M. Lynn a fait l'objet est un exemple des cas d'abus qui peuvent se produire lorsque les évaluations PCL-R du risque sont effectuées sans le consentement du délinquant. Toutefois, une évaluation psychologique du risque plutôt qu'une évaluation PCL-R du risque a été effectuée à l'égard de M. Lynn. Cette évaluation psychologique du risque a été préparée à la suite de 40 séances de counselling tenues avec M. Lynn ainsi qu'à la suite d'un examen complet des cinq volumes de son dossier de gestion du cas et de son dossier psychologique. Je suis d'avis que l'évaluation psychologique du risque à laquelle M. Lynn a été soumis était appropriée et ne constitue pas un abus de la part du SCC.

[20]            Enfin, le demandeur sollicite une ordonnance de mandamus, enjoignant au SCC de cesser d'avoir recours à des psychologues et à des agents qui ne sont pas titulaires d'un doctorat pour procéder aux évaluations PCL-R, contrairement aux protocoles et critères énoncés dont M. Hare a fait mention.

[21]            Dans la décision Pinkney c. Canada (Procureur général) (1998), 145 F.T.R. 311, Monsieur le juge MacKay a cité les passages suivants de l'ouvrage de M. Hare :

[TRADUCTION] Utilisation et utilisateurs Milieux cliniques

Dans des milieux cliniques, le PCL-R est utilisé pour poser un psychodiagnostic. Comme les résultats obtenus par un individu peuvent avoir des conséquences importantes pour son avenir, la valeur absolue est extrêmement importante. Le risque de préjudice est considérable si le PCL-R est mal utilisé ou si l'utilisateur ne connaît pas bien la documentation clinique et empirique relative à la psychopathie. Les cliniciens devraient :

a. être titulaires d'un diplôme d'études supérieures en sciences sociales, en sciences médicales ou en science du comportement, comme un doctorat, un doctorat en éducation ou un doctorat en médecine; [...]


e. s'assurer d'avoir une formation et une expérience suffisantes relativement à l'utilisation du PCL-R (voir ci-dessous). Nous recommandons en outre, dans la mesure du possible, de faire la moyenne des résultats du PCL-R obtenus par deux évaluateurs indépendants afin d'accroître la fiabilité de l'évaluation.

Milieux de recherche

Dans des milieux de recherche, les résultats du PCL-R dans un cas donné sont habituellement gardés confidentiels et ne sont pas mis à la disposition du personnel de correction ou d'établissement, de commissions de libérations conditionnelles et ainsi de suite. Les qualifications de l'utilisateur n'ont pas un caractère aussi impérieux que si les évaluations ont des conséquences directes ou indirectes sur des détenus ou des patients.

Les chercheurs (ou, s'ils sont actuellement inscrits à un programme de deuxième ou de troisième cycle ou dans une faculté de médecine, leurs superviseurs) devraient :

a. être titulaires d'un diplôme d'études supérieures en sciences sociales, en sciences médicales ou en science du comportement, comme une maîtrise, une maîtrise en éducation, un doctorat, un doctorat en éducation ou un doctorat en médecine.

Procédure d'évaluation

La procédure d'évaluation PCL-R consiste habituellement en une entrevue et un examen des renseignements connexes existants.

[22]            L'alinéa 42(2)b) des Règlements du College of Psychologists of British Columbia prévoit qu'une personne qui est titulaire d'une maîtrise en psychologie et qui est agréée à titre d'associé en psychologie peut à bon droit utiliser le titre d'associé en psychologie ou d'associé en psychologie agréé.


[23]            À mon avis, il sera toujours préférable de suivre les lignes directrices établies par M. Hare aux fins des évaluations PCL-R. Toutefois, étant donné qu'une personne qui est titulaire d'une maîtrise peut être agréée pour fournir des services de psychologie en Colombie-Britannique, la Cour est convaincue que pareille personne a les qualités requises pour procéder aux évaluations PCL-R.

[24]            Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-1725-02

INTITULÉ :                                                        le comité chargé du bien-être des détenus

établissement William Head

c.

le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 9 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Madame la juge Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                                     le 11 juillet 2003

COMPARUTIONS :

M. John R. Pinkney                                              POUR LE DEMANDEUR (représentant)

M. Malcolm Palmer                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. John R. Pinkney                                              POUR LE DEMANDEUR (représentant)

Vancouver (C.-B.)                                              

M. Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                    

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.