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                                                                                                                                  Date : 20030530

                                                                                                                             Dossier : T-1059-01

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2003

En présence de :         MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                      GLAXOSMITHKLINE INC.

                                               et SMITHKLINE BEECHAM P.L.C.

                                                                                                                                     demanderesses

                                                                          - et -

                                                                  APOTEX INC.

                                                  et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                            défendeurs

                                                                ORDONNANCE

SUR LA DEMANDE présentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié, visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité en application de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. ch. 870, à la défenderesse Apotex Inc. pour la drogue chlorhydrate de paroxétine avant l'expiration des lettres patentes canadiennes 2,214,575;

APRÈS avoir lu les documents déposés et entendu les observations des parties;


ET pour les motifs rendus aujourd'hui;

LA COUR ORDONNE :

La présente demande est rejetée avec dépens.

   « Michael A. Kelen »                                                                                             ________________________________

          J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date : 20030530

Dossier : T-1059-01

Référence : 2003 CFPI 687

ENTRE :

                                                      GLAXOSMITHKLINE INC.

                                               et SMITHKLINE BEECHAM P.L.C.

                                                                                                                                     demanderesses

                                                                          - et -

                                                                  APOTEX INC.

                                                  et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                            défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]         Il s'agit d'une demande présentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié (le Règlement), en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité en vertu de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. ch. 870, à la défenderesse Apotex Inc. pour la drogue chlorhydrate de paroxétine avant l'expiration des lettres patentes canadiennes 2,214,575 (le brevet 575).


[2]                Un prédécesseur de la demanderesse GlaxoSmithKline Inc. a inclus le brevet 575 dans les listes de brevets soumises en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement à l'égard d'un avis de conformité qui lui a été délivré pour des comprimés de paroxétine de sa marque Paxil. SmithKline Beecham p.l.c. est la propriétaire du brevet 575 et a été jointe comme partie à la demande en vertu du paragraphe 6(4) du Règlement. Les demanderesses sont désignées ensemble comme GSK dans les présents motifs.

[3]                La présente demande a été formée en réponse à un avis d'allégation déposé par Apotex. Apotex allègue que ses plans en vue de la fabrication et de la vente de comprimés contenant du chlorhydrate de paroxétine ne contreferaient aucune revendication pour le médicament en soi et aucune revendication pour l'utilisation du médicament. La question en litige dans la présente demande est de savoir si les allégations de l'avis d'allégation d'Apotex sont fondées.

[4]                Le ministre de la Santé n'a déposé aucun document en réponse à la demande et n'a pas comparu à l'audience.

LES FAITS

1.          Le contexte


[5]                La présente demande porte sur le procédé de formulation de comprimés du médicament antidépresseur paroxétine, que GSK commercialise sous l'appellation commerciale Paxil. La paroxétine est rangée dans un groupe de drogues qu'on appelle des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine. La sérotonine est un neurotransmetteur permettant aux cellules nerveuses du cerveau de communiquer entre elles. La paroxétine empêche que la sérotonine soit recapturée par les fibres nerveuses qui l'ont émise. On pense que le déséquilibre chimique attribuable à la « recapture » de la sérotonine est responsable de la dépression. Le Paxil est également utilisé pour traiter l'anorexie, la boulimie, les migraines et la démence sénile. Les différents brevets détenus par GSK qui protègent son monopole relatif à la paroxétine ont fait l'objet de nombreux litiges au Canada comme aux États-Unis. Ce litige n'est que le dernier épisode de la guerre de la paroxétine engagée entre les deux parties.

[6]                La matière active de la drogue paroxétine est le chlorhydrate de paroxétine. Deux articles ont paru en 1988 où sont décrites de manière détaillée les propriétés pertinentes du chlorhydrate de paroxétine. Il est nécessaire d'examiner sommairement ces deux articles pour fournir des renseignements sur les procédés chimiques pertinents à cette affaire. Ces deux articles sont :

a)                   P. C. Buxton, I.R. Lynch & J.M. Roe, « Solid-state forms of paroxetine hydrochloride » (1988) 41 Int. J. of Pharmaceutics 135;      

b)          I.R. Lynch, P. C. Buxton, & J.M. Roe, « Infrared Spectroscopic Studies of the Solid State Forms of Paroxetine Hydrochloride » (1988) 25 Analytical Proceedings 305.

Nous le verrons plus loin, Apotex allègue que le brevet 575 était antériorisé par ces deux articles. Ces derniers seront désignés dans les présents motifs comme les « articles Buxton » .


[7]                Les articles Buxton montraient l'existence du chlorhydrate de paroxétine sous deux formes solides, différenciées par leur degré d'hydratation. La forme I est un hémihydrate non hygroscopique contenant une demi-mole d'eau par mole de chlorhydrate de paroxétine, contenue dans la structure cristalline. La forme II est un anhydrate hygroscopique (qui attire et absorbe les molécules d'eau), qui ne contient pas d'eau à l'intérieur de sa structure cristalline et dont la teneur en humidité est déterminée par l'humidité ambiante. Les articles Buxton révèlent que la forme anhydre du chlorhydrate de paroxétine se convertit en hémihydrate, forme thermodynamiquement plus stable, lorsqu'elle est exposée à des conditions de température et d'humidité élevées. Les auteurs ont également découvert que l'anhydrate se convertit en hémihydrate lorsqu'il est exposé à une pression extrême par compression mécanique.

[8]                Les auteurs arrivent à la conclusion qu'il est raisonnable de penser que les deux formes de chlorhydrate de paroxétine sont des bioéquivalents et que la préférence pour une forme plutôt que pour l'autre tiendrait à des raisons de commodité physique. À leur avis, le caractère non hygroscopique de l'hémihydrate est avantageux en ce qu'il permet d'éviter les complications liées à l'absorption d'humidité pendant le traitement ou l'analyse.

2.          Les quatre brevets pertinents

a)          Le brevet américain 4,007,196


[9]                Le brevet initial portant sur le médicament paroxétine est le brevet américain 4,007,196 (le brevet américain 196). Il a été accordé à la société britannique Ferrosan le 8 février 1977 et couvre une série de composés qu'on a fini par désigner sous le vocable de paroxétine. Ce brevet mentionne que le composé paroxétine est utile pour ses qualités d'antidépresseur. Ce brevet a expiré en 1992.

b)          Le brevet canadien 1,287,060

[10]            Ferrosan n'étant pas un fabricant de médicaments, elle a accordé une licence d'exploitation du brevet à GSK. Initialement, GSK a commencé à expérimenter la forme anhydre du chlorhydrate de paroxétine (la seule forme dont l'existence était connue à l'époque), mais elle a éprouvé des difficultés pendant la fabrication à cause de l'instabilité de cette forme. Avec la découverte de la forme plus stable qu'est l'hémihydrate, au commencement des années 80, GSK a orienté ses travaux différemment. Cette découverte a aussi conduit à la délivrance du brevet canadien 1,287,060 (le brevet 060) à GSK le 30 juillet 1991, et à celle du brevet européen correspondant, le brevet EP 0 223 403B1, et du brevet américain 4,721,723.

[11]            L'abrégé du brevet 060 indique :

[traduction] L'invention fournit un chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté, des procédés d'obtention, des compositions qui en contiennent et ses utilisations thérapeutiques.

La divulgation qui accompagnait le brevet comprenait les mentions suivantes :

[traduction] La présente invention fournit également une composition pharmaceutique comprenant un chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté et un adjuvant pharmaceutiquement acceptable.

[...]


La composition visée par la présente invention peut être formulée suivant les méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer.

[...]

Des adjuvants acceptables pour utilisation dans cette invention sont notamment un diluant, un liant, un délitant, un colorant, un aromatisant et/ou un agent de conservation. Ces agents peuvent être utilisés selon des méthodes courantes, par exemple d'une façon semblable à celle qui est déjà utilisée en clinique pour des agents antidépresseurs.

c)          Le brevet canadien 2,178,637

[12]            GSK affirme avoir éprouvé des problèmes de production lorsqu'elle a décidé d'introduire des comprimés de paroxétine en 1991 et en 1992 sur le marché américain. Au cours de la période où elle se constituait un stock, elle a remarqué que certains comprimés acquéraient inopinément une teinte rosée. Ce phénomène se produisait par intermittence et le degré de coloration était variable. On jugeait qu'il s'agissait d'un problème grave parce que le produit ne répondait pas aux critères de couleur des comprimés non enrobés. C'est pourquoi les lots défectueux étaient rejetés et détruits. GSK craignait également que ce problème de teinte rosée mène à l'interdiction de nouvelles ventes jusqu'à ce qu'une explication convaincante de la coloration soit fournie aux organismes de réglementation.


[13]            GSK ignorait les raisons de l'apparition par intermittence de cette teinte rosée. Elle a décidé d'enquêter et de trouver une solution à ce problème. À l'époque, la société utilisait un procédé de granulation par voie humide dans le cadre de la formulation des comprimés. Elle s'est aperçue qu'en passant à un procédé par voie sèche, par exemple la compression directe ou la granulation par voie sèche, elle abaissait la probabilité de formation intermittente de comprimés prenant la teinte rosée.

[14]            Dans la présente demande, il importe de comprendre les différences entre les trois procédés de formulation mentionnés au paragraphe précédent. Dans le procédé de granulation par voie humide, on commence par mélanger le médicament en poudre et les adjuvants (des constituants de la formulation autres que le médicament), on les mouille et on les agglomère au moyen d'un agent de granulation. Ce mélange est ensuite passé sur un tamis pour produire des granules composés de particules agglomérées qui donnent, par compression, des comprimés. Dans le procédé de granulation par voie sèche, les agglomérats sont produits au moyen d'un procédé de compactage à sec sur des machines à comprimer à usage intense produisant des pellicules ou des briquettes. Contrairement aux procédés de granulation par voie humide et par voie sèche, le procédé par compression directe ne comprend pas d'étape de granulation ou d'agglomération des constituants avant l'étape du compactage. Le médicament et les adjuvants sont simplement mélangés pour être formés directement, par compression, en comprimés. Les procédés de formulation par compression directe se font soit par voie humide, soit par voie sèche.


[15]            Sa découverte a conduit GSK à la conclusion que l'eau contribuait au problème intermittent de coloration rose des comprimés, et elle est passée aux procédés de formulation par voie sèche pour la production. Ensuite, elle a déposé une demande de brevet, le 14 décembre 1994, pour revendiquer le procédé de formulation par voie sèche pour la production des comprimés de paroxétine, et le brevet canadien 2,178,637 (le brevet 637) a été délivré le 23 décembre 1997. Les revendications contenues dans le brevet 637 mentionnent :

[traduction]

1.              Une formulation de paroxétine préparée commercialement sous forme de comprimés obtenus par un procédé de formulation sans eau.

2.              Une formulation conformément à la revendication 1 où le procédé est une compression directe par voie sèche de la paroxétine, suivi d'une compression en forme de comprimés, ou une granulation par voie sèche de la paroxétine.

3.              Une formulation conformément aux revendications 1 ou 2 où le procédé de sa préparation comprend l'étape de mélange de la paroxétine avec des adjuvants secs.

4.              Une formulation conformément à l'une ou l'autre des revendications 1 à 3 où la paroxétine utilisée dans le procédé prend la forme hémihydratée du chlorhydrate.

d)          Le brevet canadien 2,214,575

[16]            Dans le cadre de ses expérimentations, GSK a aussi appris qu'[traduction] « on obtient des résultats particulièrement bons lorsque la cellulose àltat microcristallin n'apparaît pas dans la formulation » . Cela a conduit au brevet 575, qui fait l'objet de la présente demande. La cellulose à ltat microcristallin (connue sous la marque de commerce Avicel) est un adjuvant d'utilisation courante dans les formulations de compression directe. Le brevet 575 a été demandé à titre de demande complémentaire du brevet 637, le 25 septembre 1997. Comme c'est le cas du brevet 637, elle porte aussi sur le procédé de formulation par voie sèche pour obtenir des comprimés de paroxétine. La revendication supplémentaire du brevet 575 s'applique à un procédé de formulation par voie sèche d'où la cellulose àltat microcristallin est exclue. Le brevet a été délivré le 7 décembre 1999. Ses revendications sont les suivantes :


[traduction]

1.              Une formulation de paroxétine préparée commercialement sous forme de comprimés obtenus par un procédé de formulation sans eau et dans laquelle les comprimés ne comprennent pas de cellulose à ltat microcristallin.

2.              Une formulation conformément à la revendication 1 où le procédé est une compression directe par voie sèche de la paroxétine ou une granulation par voie sèche de la paroxétine, suivie d'une compression en forme de comprimés. [Non souligné dans l'original.]

[17]               Le libellé de la divulgation est le même dans les deux brevets. Les lignes 30 à 32 de la divulgation se lisent comme suit :

[traduction] À noter que l'expression « sèche » signifie essentiellement « sèche » par opposition à l'addition en vrac d'eau, méthode antérieurement employée dans le procédé de granulation par voie humide.

3.          Proposition d'Apotex concernant une version générique de la paroxétine

[18]            Apotex tente d'obtenir l'approbation requise pour fabriquer et vendre un bioéquivalent générique du Paxil. Alors que GSK utilise le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté dans ses comprimés, Apotex propose d'utiliser le chlorhydrate de paroxétine anhydre pour faire la distinction entre son produit et l'autre. Apotex est d'avis que l'utilisation du chlorhydrate de paroxétine anhydre soustrait son produit à la revendication associée au brevet 060 (et aux équivalents européens et américains) relative à la composition du médicament. Cependant, l'instabilité de l'anhydrate en présence d'humidité a présenté deux problèmes pour Apotex.


[19]            Premièrement, il existe une possibilité que l'anhydrate soit converti en hémihydrate pendant le procédé de formulation. Deuxièmement, la possibilité que les comprimés fabriqués à partir de l'anhydrate absorbent avec le temps l'humidité ambiante et qu'il s'opère une conversion, est aussi source de préoccupations. Si l'un ou l'autre de ces phénomènes venait à se produire, le produit générique d'Apotex pourrait constituer une contrefaçon du brevet 060.

4.          Le litige relatif au brevet 060

[20]            GSK a adopté la position en droit que la conversion potentielle du chlorhydrate de paroxétine anhydre à la forme hémihydrate fait passer le produit d'Apotex à l'intérieur du champ de la revendication formulée dans le brevet 060. Apotex est sortie gagnante d'un important affrontement juridique lorsque la Cour d'appel fédérale a maintenu la décision de Madame le juge McGillis portant qu'il n'existait « pas plus qu'une possibilité » que la version générique d'Apotex enfreigne les droits protégés par le brevet 060. Voir la décision Smithkline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (1999), 166 F.T.R. 67, confirmée par (2001), 267 N.R. 101 (C.A.F.). Le juge McGillis a déclaré au paragraphe 35 que « faute de toute conversion, les comprimés d'anhydrate d'Apotex tomberaient hors de la portée des revendications contenues dans le brevet 060. » GSK a fait valoir qu'avec le temps, la forme anhydre se convertirait inévitablement à la forme hémihydrate en absorbant l'humidité de l'environnement. Cependant, le juge McGillis a jugé que le témoignage d'expert à l'appui de cette position n'était pas convaincant. Au paragraphe 40, elle a conclu :

Par conséquent, je suis parvenue à la conclusion qu'Apotex ne devait pas être empêchée de commercialiser ses comprimés d'anhydrate, en évoquant une possible conversion à la forme hémihydrate à un moment futur et indéterminé. S'il advenait que les comprimés d'anhydrate d'Apotex se convertissent à la forme hémihydrate, en tout ou en partie, cette société ferait face alors à de « très graves » conséquences.


[21]            Quatre années plus tard, le 3 mars 2003, dans une procédure entre les mêmes parties devant une Cour fédérale des États-Unis, le juge Posner de la Cour de district des États-Unis a décidé que la formulation de paroxétine d'Apotex ne contrefait pas le brevet américain n º 4,721,723 (l'équivalent américain du brevet 060) même si elle contient vraisemblablement de faibles quantités de forme hémihydrate produites au cours du procédé de formulation, voir la décision SmithKline Beecham Corp. v. Apotex Corp., No. 98 C 3952, 2003 U.S. Dist. LEXIS 2902 (N.D. Ill. 2003). Le juge Posner a interprété le brevet de GSK comme s'appliquant au chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté, en [traduction] « toute quantité commercialement importante » . Comme GSK n'a pu établir que le produit anhydrate d'Apotex contenait une [traduction] « quantité commercialement importante » d'hémihydrate, il s'ensuit que le brevet de GSK ne serait pas contrefait dans le cas où Apotex mettrait en oeuvre son plan de production d'un générique bioéquivalent du Paxil.

[22]            Toutefois, GSK a obtenu des brevets additionnels à l'égard de son procédé de formulation du brevet 637 et du brevet 575 et à l'audience, les parties ont informé la Cour que GSK détient trois autres brevets visant son procédé de formulation de la paroxétine. Ces trois brevets font l'objet d'autres procédures devant la Cour fédérale.

5.          Le litige relatif au brevet 637

[23]            Le brevet 637 fait l'objet de deux demandes distinctes introduites devant la Cour.


[24]            Apotex a d'abord demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre d'ajouter le brevet 637 au registre des brevets. Apotex a allégué la non-admissibilité du brevet 637 à l'inscription au registre parce que le dépôt de la demande de brevet était postérieur au dépôt de la présentation de drogue nouvelle (PDN) à l'égard du Paxil, ce qui, allègue Apotex, contrevenait au paragraphe 4(5) du Règlement. Le juge McGillis a rejeté la demande dans la décision Apotex c. Canada (Ministre de la Santé) (1999), 87 C.P.R. (3d) 271 (C.F. 1re inst.), confirmée par (2001), 11 C.P.R. (4th) 538 (C.A.F.). Elle a conclu que les termes « demande d'avis de conformité » employés aux articles 4 et 5 du Règlement incluaient le supplément à une PDN. Comme GSK avait déposé des suppléments à sa PDN après la date de dépôt du brevet 637 et présenté une modification à la liste de brevets au cours de la période pertinente, le brevet 637 avait été inscrit correctement au registre des brevets.


[25]            Apotex a ensuite présenté un avis d'allégation visant le brevet 637, alléguant la non-contrefaçon, l'invalidité et la non-admissibilité. Les allégations ont conduit à un litige entre ces parties aux termes du paragraphe 6(1) du Règlement, voir la décision SmithKline Beecham Pharma c. Apotex, [2001] 4 C.F. 518, 2001 CFPI 770. Saisi de l'affaire, le juge Gibson a conclu que les allégations de non-contrefaçon et de non-admissibilité n'étaient pas fondées. Toutefois, il a refusé d'accorder à GSK l'ordonnance qu'elle demandait, car il a jugé que l'allégation d'invalidité était fondée. Il était d'avis que le brevet 060 constituait une antériorité par rapport à l'invention revendiquée au brevet 637. Il a fondé sa décision sur la prémisse posant que les « méthodes courantes » de formulation divulguées dans le brevet 060 seraient comprises par les personnes au fait de l'art comme embrassant la granulation par voie humide, la granulation par voie sèche et la compression directe. Le juge Gibson a déclaré à la page 546 :

Ayant conclu que la formulation par voie humide des comprimés de paroxétine suscite un [traduction] « problème de coloration rose » , dont l'importance est telle qu'elle pousse une personne au fait de l'art à chercher à le résoudre, à tout le moins en partie, je suis persuadé que logiquement, la première étape de toute personne au fait de l'art serait de se tourner vers les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pour voir si l'un ou l'autre ne résoudrait pas, en totalité ou en partie, le problème. Je suis également persuadé que cette recherche n'impliquerait aucune étape inventive ni aucun génie inventif. Elle mettrait seulement en jeu l'application de l'enseignement du brevet 060.

[26]            Il a poursuivi en concluant à la page 547 « qu'une personne versée dans l'art, sur la base de l'antériorité citée, soit le brevet 060, et des connaissances courantes aux époques pertinentes, serait arrivée infailliblement à la formulation revendiquée par le brevet 637. » Par conséquent, le juge Gibson a conclu que GSK n'était pas parvenue à établir que l'allégation d'invalidité n'était pas fondée.

[27]            La décision du juge Gibson a été confirmée en appel : [2003] 1 C.F. 118, 2002 CAF 216. Dans ses motifs, le juge Linden a déclaré à la page 129 que « [l]es instructions permettant d'arriver à la formulation revendiquée dans le brevet 637 sont clairement et infailliblement présentes dans le brevet 060. » Une demande d'autorisation de pourvoi auprès de la Cour suprême a été rejetée sans motifs le 20 mars 2003 : [2002] C.S.C.R. n º 324 (QL).

L'AVIS D'ALLÉGATION


[28]            Par lettre datée du 1er mai 2001, Apotex a signifié à GSK l'avis d'allégation prévu à l'alinéa 5(3)b) du Règlementà l'égard du brevet 575. Apotex a de nouveau formulé trois allégations : la non-contrefaçon, l'invalidité et la non-admissibilité. L'allégation de non-admissibilité a été abandonnée à l'audience. Les deux autres allégations ont été reformulées et ont été présentées à la Cour de la manière suivante.

[29]            Apotex allègue la non-contrefaçon au motif que les revendications du brevet 575 ne visent pas le procédé de formulation utilisé pour le chlorhydrate de paroxétine anhydre. Apotex allègue également que le brevet 575 est invalide pour les raisons suivantes.

a) Les formulations revendiquées dans le brevet 575 ont fait l'objet des antériorités suivantes :

(i)                   l'enseignement du brevet 060;

(ii)                 l'enseignement des articles Buxton;

(iii)                l'enseignement de la demande internationale n º PCT/GB91/02062 publiée dans l'International Publication No. WO-92/09281 (la demande 9281);

(iv)               le brevet européen n º 0 269 303 A2 (demande n º 87309906.3) (le brevet européen 303).

b) L'invention revendiquée dans le brevet 575 était évidente.

c) Le brevet 575 est nul pour cause de double brevet et en raison d'une demande complémentaire irrégulière.

d) La divulgation et les revendications du brevet 575 ne satisfont pas aux conditions du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée (la Loi).

e) L'objet des revendications du brevet 575 est plus étendu que l'invention faite et divulguée et il inclut des réalisations qui n'ont aucune utilité et ne fonctionnent pas.

                                                                             


LES QUESTIONS SOULEVÉES

[30]            J'analyserai les allégations d'Apotex en les regroupant sous les cinq questions suivantes.

1.                   Quelle est la bonne interprétation des revendications du brevet 575? (J'analyserai dans cette question les allégations mentionnées ci-dessus aux alinéas 29 d) et e).)

2.                   L'allégation selon laquelle Apotex ne contrefera pas les revendications du brevet 575 est-elle fondée?

3.                   Le brevet 060, les articles Buxton, la demande 9281 ou le brevet européen 303 constituent-ils des antériorités à l'égard des revendications du brevet 575?

4.                   Les revendications du brevet 575 sont-elles évidentes?

5.                   Le brevet 575 est-il nul pour cause de double brevet ou en raison d'une demande complémentaire irrégulière?

LE FARDEAU DE LA PREUVE

[31]            Dans une procédure antérieure entre les parties au sujet du brevet 637, le juge Gibson a exposé la portée de la demande présentée en vertu de l'article 6 du Règlement et le fardeau de la preuve incombant à chaque partie aux pages 533 et 534 :

... je conclus ceci : le « fardeau de présentation de la preuve » qui incombe à Apotex étant d'établir que chacune des questions que soulève son avis d'allégation est mise en jeu, si elle s'acquitte de cette charge, le « fardeau de persuasion » repose ensuite sur SmithKline. Dans l'hypothèse où Apotex parvient à établir que la validité du brevet 637 est mise en jeu, SmithKline a droit de s'appuyer sur la présomption de validité du brevet prévue au paragraphe 43(2) de la Loi.

[...]


Par conséquent, la charge qui incombe à SmithKline consiste seulement à réfuter les allégations contenues dans l'avis d'allégation, et non pas à justifier des déclarations de validité et de contrefaçon, ou réciproquement à réfuter les prétentions formulées à l'égard des allégations d'invalidité et d'absence de contrefaçon. [Non souligné dans l'original.]

[32]            Comme les parties n'ont pas contesté la caractérisation du fardeau de la preuve faite par le juge Gibson, j'adopterai cette approche en l'espèce.

L'ANALYSE

1.         L'interprétation des revendications

a) Le droit applicable à l'interprétation des revendications

[33]            La première étape en vue de statuer sur les allégations d'Apotex touchant la non-contrefaçon et l'invalidité du brevet consiste à interpréter les revendications du brevet 575 afin d'établir « ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments "essentiels" de son invention » , voir l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc. [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67 au paragraphe 45. Les principes en matière d'interprétation des revendications du brevet ont été examinés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66 et dans l'arrêt Whirlpool, précité. Dans ces deux affaires, le jugement a été rendu par le juge Binnie, qui a confirmé qu'il fallait adopter l'approche « téléologique » de l'interprétation des revendications du brevet, formulée par lord Diplock dans l'arrêt Catnic c. Hill and Smith Ltd. (1980), [1982] R.P.C. 183 (H.L.).


[34]            Dans l'arrêt Free World Trust, au paragraphe 31, le juge Binnie a dressé une liste de principes directeurs de l'approche téléologique de l'interprétation des revendications du brevet :

a) La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

b) Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l'équité que la prévisibilité.

c) La teneur d'une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l'objet.

d) Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s'en remettre à des notions imprécises comme « l'esprit de l'invention » pour en accroître l'étendue.

e) Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l'invention sont essentiels, alors que d'autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

i) en fonction des connaissances usuelles d'un travailleur versé dans l'art dont relève l'invention;

ii) à la date à laquelle le brevet est publié;

iii) selon qu'il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l'emploi d'une variante d'un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l'invention, ou

iv) conformément à l'intention de l'inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu'un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

V) mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l'intention de l'inventeur.

f) Il n'y a pas de contrefaçon lorsqu'un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.


[35]            Les arrêts Free World Trust et Whirlpool préconisent clairement une interprétation des revendications fondée sur le mémoire descriptif du brevet (les revendications et la divulgation qui les accompagne). Quand il adopte l'approche téléologique pour interpréter les termes ou les expressions d'une revendication, le tribunal ne doit pas excéder « les limites du mémoire descriptif » et doit se limiter aux mots de la revendication interprétés dans le contexte de l'ensemble du mémoire descriptif, en évitant de faire appel à la preuve d'intention extrinsèque, voir l'arrêt Whirlpool au paragraphe 49. Les témoignages d'expert sont admissibles, mais uniquement pour aider le tribunal à interpréter les revendications de manière éclairée, voir l'arrêt Whirlpool au paragraphe 57.

b) Le brevet 575

[36]            Les revendications du brevet 575 sont reproduites ici pour des raisons de commodité :

6.                     Une formulation de paroxétine préparée commercialement sous forme de comprimés obtenus par un procédé de formulation sans eau et dans laquelle les comprimés ne comprennent pas de cellulose à ltat microcristallin.

7.                   Une formulation conformément à la revendication 1 où le procédé est une compression directe par voie sèche de la paroxétine ou une granulation par voie sèche de la paroxétine, suivie d'une compression en forme de comprimés.

[37]            Il y a litige entre les parties quant à la signification des termes « paroxétine » et « formulation de paroxétine » . Ni l'un ni l'autre de ces termes n'est défini dans la divulgation et leur signification n'est pas immédiatement apparente à partir de la description. La divulgation comporte un schéma décrivant la paroxétine sous sa forme de base libre et deux exemples de formulations utilisant le chlorhydrate de paroxétine hémihydraté. Il est évident que les revendications couvrent au moins ces deux formes de la paroxétine. Mais il n'est fait mention nulle part, dans le mémoire descriptif, du chlorhydrate de paroxétine anhydre et la divulgation ne présente pas d'exemple d'une formulation où il est question de la forme anhydre.


[38]            Les parties ont avancé deux façons d'interpréter le brevet. GSK fait valoir qu'il faut adopter une interprétation large du terme « paroxétine » qui engloberait non seulement les formes de la base libre ou de l'hémihydrate, mais aussi toute forme cristalline ou de sel de paroxétine, y compris le chlorhydrate de paroxétine anhydre. GSK prétend que les personnes versées dans le domaine comprendraient que la référence à la « paroxétine » inclut ses sels et ses chlorhydrates. Apotex fait valoir qu'il faut adopter une interprétation restrictive du terme « paroxétine » n'incluant que la base libre et l'hémihydrate mentionnés dans la description. À titre subsidiaire, Apotex plaide que les termes « paroxétine » et « formulation de paroxétine » sont inutilement ambigus et invalident le brevet.

[39]            Les deux parties recourent largement à des témoignages d'experts pour faire valoir leur propre interprétation des revendications. Pour les motifs suivants, j'accorde plus de valeur aux témoignages d'experts présentés par Apotex et je juge que l'interprétation appropriée des termes « paroxétine » et « formulation de paroxétine » n'inclut pas le chlorhydrate de paroxétine anhydre. Puisqu'on peut attribuer un sens aux revendications du brevet 575, il n'est pas nécessaire de traiter de l'argument d'Apotex selon lequel elles sont inutilement ambiguës.


[40]            En premier lieu, les témoignages d'experts de GSK concernant ce point sont de nature générale et ne traitent pas de la signification des termes dans le contexte du brevet 575. GSK fait valoir que dans le domaine de la chimie, une référence à un terme décrivant un composé de manière générale inclut ses sels et ses autres formes. L'avis d'expert sur ce point provient de M. Gerald Brenner, qui a affirmé au paragraphe 13 de son affidavit :

[traduction] Le terme « paroxétine » , qui figure dans les revendications du brevet 575, est une référence claire à tous les sels et à toutes les autres formes de la paroxétine. En chimie, une fraction chimique particulière peut souvent exister sous un certain nombre de formes différentes, comme différents sels, hydrates ou polymorphes. Lorsqu'un sel spécifique est mentionné, il est clair qu'on parle de ce sel. Lorsqu'on emploie seulement le terme général, cette référence inclut les différents sels ou d'autres formes. Par exemple, l'entrée correspondant au terme « paroxétine » dans le Merck Index: An Encyclopedia of Chemicals, Drugs, and Biologicals inclut des références plus précises au chlorhydrate, au chlorhydrate hémihydraté et au maléate de paroxétine.

[41]            Un témoignage de cette nature aident le tribunal à se familiariser avec la terminologie de la chimie, mais ils sont d'une valeur limitée à l'égard de la question décisive de l'interprétation. Les définitions du dictionnaire, comme celles qui figurent dans The Merck Index, ne sont pas déterminantes. Dans l'arrêt Whirlpool, aux paragraphes 52 et 53, le juge Binnie a expressément écarté la méthode du « dictionnaire » pour l'interprétation des revendications du brevet et déclaré qu'il fallait consulter non pas le dictionnaire pour vérifier le sens d'un mot, mais plutôt les revendications et la divulgation les accompagnant. Voir également l'arrêt Needham c. Johnson (1884), 1 R.P.C. 49 à la page 58 et l'arrêt Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570 à la page 572. Par conséquent, le témoignage des experts de GSK sur la question a été examiné, mais on lui a accordé un poids limité.


[42]            En deuxième lieu, si les revendications du brevet 575 devaient être interprétées aussi largement que le veut GSK, cela aurait pour effet de protéger davantage que ce qui a été inventé. Essentiellement, ce qui a été inventé est une solution au problème intermittent de la coloration rose de formulations de paroxétine. Même si le mémoire descriptif montre que ce problème concerne l'hémihydrate, il ne révèle pas si le problème touche aussi des formulations de paroxétine basées sur l'anhydrate. Les experts d'Apotex ont attiré l'attention sur ce point.

[43]            La déclaration suivante de M. Gilbert S. Banker, au paragraphe 26 de son affidavit, fournit un bon exemple du témoignage des experts d'Apotex :

[traduction] [L]e breveté n'enseigne pas ni ne fournit de base pour enseigner la formulation en comprimés du chlorhydrate de paroxétine sous forme anhydre et des adjuvants appropriés ainsi que les problèmes associés aux formulations sous forme de comprimés du chlorhydrate sous forme anhydre. Par conséquent, à mon avis, soit le breveté n'a pas enseigné la formulation en comprimés du chlorhydrate de paroxétine, anhydraté et ne connaissait pas l'existence du problème de coloration rose associé aux comprimés de chlorhydrate de paroxétine, anhydraté, auquel cas la paroxétine signifie seulement le composé de paroxétine et aucune autre forme de paroxétine et les revendications ne visent pas la forme anhydre du chlorhydrate, soit les revendications visent les formulations en comprimés contenant du chlorhydrate de paroxétine, anhydraté, et dans ce cas elles sont plus larges que l'invention parce que le breveté n'enseigne pas ces formulations et leur fabrication ni même l'existence possible d'un problème de coloration rose suscité par le chlorhydrate de paroxétine, anhydraté.

Il a aussi déclaré, au paragraphe 72 de son affidavit :

[traduction] L'enseignement du brevet 575 et du brevet 637 ne contient manifestement aucune instruction sur la méthode de formulation du chlorhydrate de paroxétine sous forme anhydre, ce qui, je pense, aurait dû être traité par les inventeurs si les revendications doivent inclure ces formes. Par conséquent, les brevets 575 et 637 n'enseignent pas son utilisation ni les conditions de la compression en forme de comprimés, ni même le fait que les formulations du chlorhydrate de paroxétine sous forme anhydre peuvent donner lieu à un problème de coloration rose. [Non souligné dans l'original.]

[44]            M. Banker a également fourni un témoignage informatif sur ce point en contre-interrogatoire (aux pages 2298 et 2299 du dossier de la demande) :


[traduction] J'aimerais aussi signaler, si vous le permettez, que la coloration rose qui se forme ou est censée se former avec l'hémihydrate est problématique. Elle apparaît dans certains cas et pas dans d'autres. Je comprends assez bien la conversion. Je sais que la forme anhydre se convertit en hémihydrate en présence d'amorces. Je connais certains de ces facteurs. Je sais que la forme anhydre se convertit très facilement et qu'elle est moins stable au plan thermodynamique que l'hémihydrate. Mais la formation d'une coloration rose ou l'absence de coloration rose et les causes de cette coloration ne figurent absolument nulle part dans ces documents, vos documents. Ce phénomène serait-il relié de quelque façon à la dégradation chimique, je ne le vois pas.

[45]            Dans sa réponse, GSK s'appuie sur le témoignage de Peter Lawton, qui déclare à l'alinéa 14a) de son affidavit [traduction] « le problème intermittent de coloration rose peut aussi bien se manifester pour la forme anhydre. » Toutefois, je ne puis accorder beaucoup de poids au témoignage de M. Lawton. Comme M. Lawton est le conseiller interne principal en brevets de GSK et non un expert provenant de l'extérieur, on ne peut attribuer à son témoignage une valeur égale à celui des experts externes, voir les observations du juge Gibson dans la décision SmithKline Beecham (C.F.1re inst.), précitée au paragraphe 25. En outre, s'agissant de la société à laquelle il appartient, M. Lawton ne possède pas les qualifications nécessaires pour être considéré comme un expert. Les témoignages présentés par Apotex sur ce point proviennent de personnes diplômées dans les domaines reliés à la pharmacie ou au génie chimique et comptant des carrières universitaires distinguées. Par comparaison, M. Lawton n'est qu'un agent de brevets titulaire d'un B. Sc. en chimie appliquée. Enfin, M. Lawton n'a fourni aucun élément à l'appui de son affirmation que [traduction] « le problème intermittent de coloration rose peut aussi bien se manifester pour la forme anhydre. » Cette déclaration figure dans son affidavit sans être étayée ni fondée sur un renvoi à quelque preuve expérimentale ou d'autre nature.


[46]            Par conséquent, admettre l'interprétation de GSK signifierait lui accorder un monopole sur la solution alléguée à un problème qu'il a été incapable de documenter avec une formulation anhydre. Pareille interprétation serait trop étendue et non conforme à l'approche téléologique. L'objet de l'approche téléologique est d'interpréter les revendications du brevet et les revendications qui excèdent la portée de l'invention ou la description donnée dans le mémoire descriptif sont invalides : Pneumatic Tyre Co. c. Puncture Proof Pneumatic Tyre Co. Limited (1898), 15 R.P.C. 236 et Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning c. Canada (Commissioner of Patents), [1966] C. de l'É. 91, confirmé par [1966] R.C.S. 604.


[47]            Cela conduit à la troisième difficulté que j'éprouve à l'égard des observations de GSK. Les brevets qui n'ont pas d'utilité ne sont pas valides (voir French's Complex Ore Reduction Co. of Canada c. Electrolytic Zinc Process Co., [1930] R.C.S. 462, et TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc. (1991), 39 C. P. R. (3d)176 (C.A.F.)), et interpréter le brevet 575 de manière à lui faire couvrir l'anhydrate correspondrait à protéger une invention qui n'a pas d'utilité. Peu importe ce que démontrent les brevets 637 et 575, aucun formulateur versé dans son art souhaitant produire des comprimés contenant la forme anhydre n'utiliserait un procédé de formulation par voie humide ou n'ajouterait de cellulose sous forme microcristalline à cause de l'instabilité de l'anhydrate en présence d'eau. Voir les affidavits de MM. R.S. Langer, Joseph R. Robinson et Banker, ainsi que les commentaires de M. Eli Shefter lors du contre-interrogatoire. Pour dire les choses simplement, si le formulateur procédait de la sorte, l'anhydrate absorberait l'humidité et se convertirait en hémihydrate ou se dégraderait en d'autres composés. La conversion à une autre forme ou la dégradation de l'anhydrate pouvant nuire à l'innocuité ou à l'efficacité du médicament, un formulateur versé dans son art prendrait des mesures pour l'éviter. Ce faisant, il se trouverait aussi à éviter le problème de la coloration rose (en supposant que ce problème puisse toucher l'anhydrate). Cela signifie que le problème de la coloration rose n'est pas un problème qu'un formulateur versé dans son art éprouverait dans la réalité. Pour cette raison, un formulateur versé dans son art qui voudrait produire une formulation basée sur l'anhydrate ne trouverait rien d'utile dans l'enseignement du brevet 575. L'interprétation de GSK devrait être rejetée car elle se solderait par l'invalidité du brevet, faute d'utilité. Ce résultat ne concorderait pas avec l'interprétation téléologique.

[48]            En dernier lieu, il convient de noter que l'espèce est fondamentalement différente d'affaires où un brevet est octroyé pour un nouvel usage d'un composé connu, comme dans l'arrêt Shell Oil c. Canada (Commissaire des brevets), [1982] 2 R.C.S. 536. GSK n'a pas découvert de nouvel usage d'une invention existante. Selon son interprétation du brevet 575, GSK affirme plutôt un monopole sur un procédé qui est déjà en usage pour des motifs différents de ceux qui sont divulgués dans son brevet. Alors que dans l'affaire Shell l'inventeur avait créé un objet nouveau et utile, les revendications du brevet 575, appliquées à la forme anhydre, ne fournissent rien de nouveau ou d'utile.

[49]            Pour que le brevet 575 ne soit pas jugé invalide pour cause de portée trop étendue et de défaut d'utilité, sa portée devrait être restreinte aux formulations faisant intervenir la paroxétine sous forme de base libre et sous forme de chlorhydrate hémihydraté.


2.          La non-contrefaçon

[50]            L'allégation d'Apotex à l'égard de la non-contrefaçon du brevet peut être formulée sous la forme de la proposition suivante : la définition de la « paroxétine » dans le brevet 575 n'englobe pas le chlorhydrate de paroxétine sous forme anhydre qu'Apotex se propose d'utiliser dans ses comprimés. Dans sa décision au sujet du brevet 637, le juge Gibson a rejeté l'allégation de non-contrefaçon faite par Apotex, fondée sur son intention d'employer de l'eau pour ajouter un pelliculage à ses comprimés. Le juge Gibson a trouvé qu'il s'agissait d'une légère différence. Il a déclaré au paragraphe 61:

L'ajout de quelque chose, en l'occurrence un pelliculage qui utilise l'eau comme solvant de la pellicule, ne constitue pas une excuse. Le fait d'emprunter la substantifique moelle de l'invention alléguée n'en demeure pas moins un « vol » . Ajouter l'ingéniosité d'un pelliculage ne « saurait justifier celui-ci » .

[51]            En l'espèce, Apotex n'allègue pas la non-contrefaçon pour les mêmes motifs. Par conséquent, la question de la non-contrefaçon n'a pas été tranchée.

[52]            Sur le fondement de l'interprétation du brevet 575 adoptée ci-dessus, il s'ensuit que l'allégation de non-contrefaçon d'Apotex est fondée. En s'orientant vers la production de la forme anhydre, Apotex a modifié un élément essentiel de l'invention revendiquée par le brevet 575. Dans le cas où ma conclusion relative à la non-contrefaçon est incorrecte, j'analyserai l'allégation d'invalidité du brevet faite par Apotex.


3.          L'antériorité

a) Le droit en matière d'antériorité

[53]            Pour qu'un brevet soit valide, l'invention qu'il revendique ne doit pas, plus d'un an avant le dépôt de la demande, avoir fait, de la part du demandeur ou d'un tiers ayant obtenu de lui l'information à cet égard de façon directe ou autrement, l'objet d'une communication. Cette condition est exposée à l'alinéa 28.2(1)a) de la Loi, qui dispose :

Objet non divulgué

28.2 (1) L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas :

a) plus d'un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d'un tiers ayant obtenu de lui l'information à cet égard de façon directe ou autrement, l'objet d'une communication qui l'a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

[54]            Dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 à la page 294 (C.A.F.), le juge Hugessen (tel était alors son titre) a défini le critère applicable à l'antériorité dans les termes suivants :


On se souviendra que celui qui allègue l'antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l'invention était connue du public avant la date pertinente. L'enquête porte sur l'invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l'évidence, sur l'état de la technique et des connaissances générales. De plus, ... l'antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. Lorsque, comme c'est le cas ici, l'invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d'antériorité.

L'interprétation que donne le juge Hugessen du critère de l'antériorité a été approuvée par le juge Binnie dans l'arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 26.

[55]            Comme il est exposé à l'alinéa 28.2(1)a), la date pertinente pour établir l'antériorité est d'un an avant la date de dépôt de la demande par le demandeur. Comme le brevet 575 est une demande complémentaire à celle du brevet 637, elle porte la même date de dépôt, soit le 14 décembre 1994. Le paragraphe 28.4(1) permet au demandeur de présenter une demande de priorité fondée sur une ou plusieurs demandes de brevet antérieurement déposées de façon régulière :

Demande de priorité

28.4 (1) Pour l'application des articles 28.1, 28.2 et 78.3, le demandeur de brevet peut présenter une demande de priorité fondée sur une ou plusieurs demandes de brevet antérieurement déposées de façon régulière.

Le brevet 575 porte la date de priorité du 15 décembre 1993, fondée sur un dépôt effectué au Royaume-Uni. Pour appuyer l'allégation d'antériorité, un document doit avoir été publié avant le 15 décembre 1992.                              

[56]            Comme les deux parties ont consacré une partie importante de l'audience à cette question, je passerai en revue de manière détaillée les éléments de preuve.


b) Le brevet 060

[57]            GSK soutient que le brevet 575 ne fait pas l'objet d'une antériorité de la part du brevet 060 car ce dernier ne comporte pas d'enseignement qui indiquerait à un technicien versé dans l'art de choisir un procédé de formulation par voie sèche ni d'inclure ou d'exclure de la cellulose microcristalline. Par conséquent, on ne peut dire que le brevet 060 fournit un enseignement clair et non équivoque qui conduit infailliblement à la formulation revendiquée par le brevet 575. GSK a appuyé son argumentation sur le témoignage de M. James McGinity, qui a fait la déposition suivante à la page 11 de son affidavit :

[traduction] L'absence de cellulose microcristalline dans les comprimés : dans la mesure où le brevet 060 vise des comprimés, il est muet sur la présence ou l'absence de cellulose microcristalline et peut donc viser des formulations contenant de la cellulose microcristalline et des formulations qui n'en contiennent pas.

Compte tenu des options possibles qui sont différentes de la formulation revendiquée dans le brevet 575... le brevet 060 ne fournit pas d'enseignement clair et non équivoque qui conduit infailliblement à la formulation revendiquée par le brevet 575. [Non souligné dans l'original.]

[58]            En réponse, Apotex fait valoir que la divulgation du brevet 060 antériorise la formulation revendiquée dans le brevet 575 puisqu'on y divulgue une formulation de paroxétine obtenue par des « méthodes courantes » contenant des « adjuvants appropriés » utilisés de « manière courante » . Cette affirmation est tirée des énoncés suivants qu'on trouve dans la divulgation accompagnant le brevet 060 :

La présente invention fournit également une composition pharmaceutique comprenant le chlorhydrate cristallin de paroxétine hémihydraté et un adjuvant pharmaceutiquement acceptable.

[...]


La composition associée à cette invention peut être formulée suivant les méthodes courantes de mélange consistant, par exemple, à mélanger, remplir et comprimer.

[...]

Des adjuvants acceptables pour utilisation dans cette invention sont notamment un diluant, un liant, un délitant, un colorant, un aromatisant et(ou) un agent de conservation. Ces agents peuvent être utilisés de manière courante, par exemple d'une façon semblable à celle qui est déjà utilisée en clinique pour des agents antidépresseurs. [Non souligné dans l'original.]

Apotex fait valoir qu'un formulateur versé dans son art comprendrait que la formulation de comprimés préparés à partir de techniques de formulation par voie sèche et utilisant des adjuvants appropriés autres que la cellulose sous forme microcristalline est l'une des méthodes possibles de formulation divulguées dans le brevet 060.


[59]            La question de savoir si le brevet 060 enseigne comment utiliser les techniques de formulation par voie sèche a aussi été soulevée devant le juge Gibson. Celui-ci a jugé que le brevet 637 était antériorisé par le brevet 060 et qu'il n'y avait pas d'étape innovatrice divulguée dans le brevet 637. La décision était fondée sur la conclusion du juge Gibson que des personnes versées dans leur art comprendraient que les « méthodes courantes de mélange » auxquelles il est fait référence dans le brevet 060 désignent l'obtention de comprimés par granulation par voie sèche ou par compression directe autant que par granulation par voie humide. Le juge Gibson fait remarquer que tous les experts ont mentionné que la formulation en présence d'eau était l'une des causes probables du problème de la coloration rose. Cela étant, il est parvenu à la conclusion que le fait de se tourner vers un procédé de formulation par voie sèche était une première étape logique en vue de régler le problème. L'utilisation d'une autre méthode de formulation étant seulement l'application de l'invention décrite dans le brevet 060, aucune étape inventive n'était requise pour obtenir l'invention faisant l'objet du brevet 637. Compte tenu des similitudes observées entre le brevet 637 et le brevet 575, l'analyse du juge Gibson peut également s'appliquer à la présente espèce. Je suis également d'avis que les témoignages d'experts présentés en l'espèce soutiennent la conclusion du juge Gibson.

[60]            La deuxième question subsidiaire qui se trouve soulevée ici est de savoir si le brevet 060 enseigne aussi la formulation de la paroxétine sans cellulose sous forme microcristalline. Ce brevet est muet au sujet de l'inclusion de la cellulose sous forme microcristalline dans la paroxétine, et il ne semble pas contesté que des personnes versées dans leur art pourraient comprendre que la référence à un « adjuvant approprié » puisse signifier un adjuvant autre que la cellulose sous forme microcristalline. La preuve montre que celle-ci n'est pas essentielle à l'obtention de comprimés par compression directe ou par granulation par voie sèche, et qu'il s'agit de l'un parmi plusieurs des adjuvants appropriés, susceptibles d'être employés comme tels dans les formulations de paroxétine. Le second exemple présenté dans la divulgation qui accompagnait le brevet 637 l'illustre bien. L'absence de la cellulose sous forme microcristalline dans la liste des ingrédients est notable.


[61]               Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si le brevet 060 contient des instructions claires et non équivoques qui pourraient conduire une personne versée dans son art à exclure la cellulose sous forme microcristalline de la formulation. Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, cette forme de cellulose est un adjuvant fortement hygrométrique qui contient des proportions comparativement élevées d'eau faiblement liée. Apotex a établi qu'un formulateur versé dans son art éviterait d'employer de la cellulose sous forme microcristalline dès qu'il se rendrait compte que la présence d'eau est sans doute responsable du problème de coloration rose. Dans son affidavit, M. Langer a passé en revue un certain nombre d'articles scientifiques où il était question des propriétés de la cellulose sous forme microcristalline, et il formulait cette conclusion au paragraphe 66 :

Donc, bien avant la date de priorité du brevet 637, il était bien connu que la cellulose sous forme microcristalline est une substance hygroscopique qui absorbe davantage d'eau à mesure que l'humidité s'élève. À mon avis, compte tenu des résultats concernant l'apparition d'une teinte rosée dans les formulations à base de chlorhydrate de paroxétine hémihydraté seulement obtenues par granulation par voie humide, un formulateur versé dans son art qui utiliserait des procédés de formulation par voie sèche pour contourner ce problème aurait également évité d'employer des adjuvants tels que la cellulose sous forme microcristalline, à cause des problèmes associés à son hygroscopie et à sa teneur élevée en eau. Et à mon avis toujours, un formulateur versé dans son art aurait aussi évité le recours à des adjuvants hygroscopiques ou contenant de l'eau faiblement liée pour des formulations de comprimés contenant d'autres formes de paroxétine. [Non souligné dans l'original.]

Voir aussi l'affidavit de M. Shefter au paragraphe 28.

[62]            Contre-interrogé, M. Banker a fourni le témoignage suivant sur les propriétés de la cellulose microcristalline à la page 2288 du dossier de la demande :

(traduction] R. Ce serait une meilleure formulation que de ne pas inclure de cellulose microcristalline dans une formulation de paroxétine.

Q. Maintenant, au paragraphe 78 - -

R. Du fait que la cellulose microcristalline est hydroscopique [sic]. Elle est décrite comme hydroscopique [sic]. Et, pour expliquer plus clairement ma réponse, comme le signalent la documentation, le manuel des adjuvants pharmaceutiques et d'autres références, la cellulose microcristalline dans un milieu humain libère rapidement un contenu d'humidité liquide d'environ 15 pour cent, ce qui est assez humide et sera très dommageable à un médicament sensible à l'humidité. Et les personnes versées dans l'art le savent. [Non souligné dans l'original.]


[63]            GSK n'a pas réussi à réfuter les assertions des experts d'Apotex. Je suis convaincu qu'une personne détenant des connaissances et des compétences raisonnables dans le domaine pourrait trouver dans le brevet 060 tous les renseignements nécessaires pour produire l'invention faisant l'objet du brevet 575 sans activité inventive. Tout comme la décision d'utiliser un procédé de formulation par voie sèche, il était logique de choisir un autre adjuvant qui était moins hygroscopique et qui contenait moins d'eau faiblement liée pour régler le problème de la coloration rose. Cette décision n'exigeait pas d'activité inventive, mais était seulement l'application de l'une des autres solutions possibles enseignées par le brevet 060. GSK n'a pas établi que l'allégation d'Apotex relative à l'antériorisation attribuable au brevet 060, n'est pas fondée.

c) Les articles Buxton

[64]            Apotex allègue que les articles Buxton antériorisent les revendications du brevet 575 parce que chacun des articles divulgue des briquettes de paroxétine formulées sans eau et avec l'emploi d'autres adjuvants que la cellulose sous forme microcristalline. Les auteurs ont utilisé la compression directe pour préparer des briquettes contenant un mélange de chlorhydrate de paroxétine, de stéarate de magnésium et de chlorure de sodium.


[65]            GSK a allégué que les articles Buxton ne sont pas applicables parce que les expériences examinées par les auteurs portaient sur des briquettes contenant du chlorure de sodium. Bien que cette substance soit utilisée pour préparer des échantillons de paroxétine en vue d'analyses par rayonnement infra-rouge, GSK allègue qu'elle n'est pas utilisée à titre d'adjuvant dans les formulations pharmaceutiques destinées à des patients. GSK a appuyé son allégation sur des déclarations de MM. McGinity et Christopher T. Rhodes.

[66]            Apotex a répondu en affirmant que l'allégation de GSK était [traduction] « carrément inexacte » . Pour appuyer son avis, Apotex reprend des énoncés contenus dans les affidavits de MM. Langer, Shefter et Banker, où il est dit que le chlorure de sodium peut servir d'adjuvant, et qu'il l'a été, dans des formulations pharmaceutiques destinées à des patients. En outre, Apotex s'est fortement appuyée sur les trois sources documentaires suivantes :

a) Y. Hammouda et al., « The Use of Sodium Chloride as a Directly Compressible Filler » (1978) 40 Pharm. Ind. 987;

b) G.S. Banker & C.T. Rhodes, eds., Modern Pharmaceutics (New York: Marcel Dekker, Inc., 1979), pages 227 à 262 et 359 à 427;

c) A.R. Gennaro, ed., Remington's Pharmaceutical Sciences, 18th ed. (Easton, PA: Mack Publishing Company, 1990), pages 1633 à 1665.

Chacune de ces sources mentionne le chlorure de sodium parmi un certain nombre d'adjuvants susceptibles d'être employés dans des formulations pharmaceutiques destinées à des patients.


[67]            La vérité, semble-t-il, se situe quelque part entre les positions exposées par les parties. La preuve établit que le chlorure de sodium était auparavant considéré comme un adjuvant acceptable qui pouvait être utilisé dans les formulations pharmaceutiques destinées aux patients, mais qu'il ne l'est plus en volume important dans cet usage. En contre-interrogatoire, les experts des deux parties ont indiqué que l'usage du chlorure de sodium dans les produits pharmaceutiques se limite depuis plusieurs années aux cas où il forme un ingrédient actif. Interrogé sur ce point, l'expert d'Apotex, M. Robinson, a déclaré que [traduction] « ces comprimés spécifiques à haute teneur en chlorure de sodium » n'étaient pas faits pour être ingérés (à la page 2491 du dossier de la demande). Un autre des experts d'Apotex, M. Schefter, a convenu qu'on évite généralement le chlorure de sodium comme adjuvant dans les formulations pharmaceutiques et a poursuivi en déclarant à la page 2143 :

[traduction] Je ne connais pas de manière précise un produit courant sur le marché, excepté les comprimés de chlorure de sodium qui utilisent ses propriétés pour la compression en forme de comprimés.

[68]            L'un des experts de GSK, M. Rhodes, a fait un témoignage semblable au cours de son contre-interrogatoire, aux pages 1823 et 1824 :

[traduction] Q. D'accord. Vous savez que d'autres ont écrit que le chlorure de sodium est un adjuvant acceptable pour la fabrication d'un comprimé?

R. Je suis au courant qu'on trouve dans la documentation plus ancienne des références au sujet de la possibilité de l'employer. Mais ce que je veux dire, c'est qu'en pratique, et je crois que M. Scheafter [sic] serait d'accord avec moi là-dessus, il n'y a pas à ma connaissance de comprimés commerciaux sur le marché destinés à être ingérés par un patient où le chlorure de sodium est un adjuvant plutôt que l'ingrédient actif. Et c'est un cas très spécialisé. Les personnes qui ont subi un accident vasculaire cérébral. Il est certain qu'au cours des quinze dernières années, les inquiétudes au sujet de l'hypertension rendraient effectivement très difficile, à mon avis, de faire approuver un tel produit par la FDA.


[69]            Je préfère cette preuve aux sources documentaires invoquées par Apotex. Deux de ces sources, l'article d'Hammouda et les chapitres cités de l'ouvrage de Banker et Rhode, sont antérieurs de plus d'une bonne décennie à la date pertinente à l'égard de l'antériorité. Quant à l'extrait des Remington's Pharmaceutical Sciences, plus récent, il mentionne en passant seulement le chlorure de sodium comme adjuvant potentiel. L'extrait cité n'examine pas si le chlorure de sodium convient aux usages destinés aux formulations pour des patients ou seulement à des fins expérimentales. Je conclus que les articles Buxton enseignent une formulation de paroxétine acceptable pour la recherche, mais pas nécessairement pour un usage par des patients. Il faudrait une activité inventive et de l'expérimentation pour choisir un autre adjuvant que le chlorure de sodium pour un usage dans les comprimés commerciaux.

[70]            Par conséquent, les articles Buxton ne fournissent pas des instructions claires et non équivoques qui auraient conduit un formulateur versé dans l'art au brevet 575. Les briquettes utilisées par les auteurs étaient destinées exclusivement à la recherche et elles n'enseignent pas au formulateur versé dans l'art comment transformer ces briquettes en comprimés commerciaux. Il y a tout simplement trop d'étapes entre le procédé exposé dans les articles Buxton et la production de comprimés commerciaux pour qu'on soit en mesure de conclure qu'un formulateur versé dans l'art aurait infailliblement réalisé l'invention revendiquée par le brevet 575 sur la base des renseignements contenus dans ces articles.

d) La demande 9281


[71]            La demande 9281 est intitulée [traduction] « USAGE DE LA PAROXÉTINE POUR LE TRAITEMENT DE LA DÉMENCE SÉNILE, DE LA BOULIMIE, DE LA MIGRAINE OU DE L'ANOREXIE » . Elle a été déposée auprès de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) dans le cadre du Traité de coopération en matière de brevets et elle a reçu le numéro de demande internationale PCT/GB91/02062. La demande a été publiée par l'OMPI le 11 juin 1992 sous le numéro de publication internationale WO-92/09281 et elle peut être considérée comme une antériorité.

[72]            Le libellé de la divulgation accompagnant la demande 9281 est largement semblable à celui de la divulgation accompagnant le brevet 060. La divulgation accompagnant cette demande contient les énoncés suivants :

Les médicaments, par exemple ceux convenant à l'administration par voie orale, peuvent contenir des adjuvants courants comme... la cellulose sous forme microcristalline...

Des médicaments à l'état solide peuvent être obtenus par des méthodes courantes consistant à mélange, remplir et comprimer en forme de comprimés ou autres. On peut pratiquer des opérations répétées de mélange pour répartir la paroxétine ou un de ses sels uniformément dans ces médicaments en employant de grandes quantités d'agents de remplissage. Lorsque le médicament se présente sous forme de comprimé, de poudre ou de pastille, tout adjuvant approprié à la formulation de compositions pharmaceutiques à l'état solide peut être utilisé. Le stéarate de magnésium, l'amidon, le glucose, le lactose, le sucrose, la farine de riz et la craie en sont des exemples. [Non souligné dans l'original.]

[73]            Apotex allègue que la demande 9281 antériorise la formulation revendiquée du brevet 575 en décrivant des formulations sous forme de comprimés contenant de la paroxétine, obtenues par des « méthodes courantes » et en utilisant des « adjuvants courants » , dont la cellulose sous forme microcristalline qui ne constitue qu'une option parmi plusieurs. Apotex allègue que l'exemple donné pour illustrer l'invention revendiquée par la demande 9281 et trouvé dans la divulgation qui l'accompagne, enseigne les revendications du brevet 575. L'exemple montre en détail la formulation de la paroxétine sans cellulose sous forme microcristalline au moyen du procédé de formulation suivant :


Les [ingrédients] ont été mélangés tous ensemble de façon courante et comprimés en forme de comprimés de façon courante.

[74]            Apotex allègue que ce libellé décrit le procédé de compression directe et, à ce titre, qu'il divulgue toutes les étapes nécessaires à l'invention revendiquée dans le brevet 575. Apotex appuie cette allégation en attirant l'attention sur le libellé du second exemple présenté dans la divulgation qui accompagne le brevet 575. La première étape évoquée dans l'exemple 2 est de [traduction] « mélanger ensemble » les ingrédients. Ensuite, la deuxième étape dit au lecteur de [traduction] « comprimer » le mélange pour en faire un comprimé.

[75]            Apotex a aussi présenté des témoignages d'experts pour appuyer son allégation. Ces experts ont témoigné que, bien que le procédé décrit dans l'exemple donné dans la demande 9281 pouvait décrire le procédé de granulation par voie humide, il s'agissait fort probablement de la description d'une compression directe, et cela pour deux raisons. Premièrement, alors que le mélange et la compression sont des étapes des procédés de granulation par voie humide, la description ne mentionne pas un grand nombre d'autres étapes essentielles pour obtenir la granulation et elle ne parle pas d'addition d'eau. Deuxièmement, l'un des ingrédients à paraître dans la formulation est l'hydroxypropylméthylcellulose (HPMC), composé d'usage très courant à titre d'adjuvant pour le compactage direct et la granulation par voie sèche.


[76]            En réponse, GSK a établi deux distinctions entre les enseignements de la demande 9281 et ceux du brevet 575. En premier lieu, elle a fait valoir que la demande 9281 concerne une vaste gamme de formes d'administration des médicaments autres que les comprimés et qu'à ce titre, elle ne contient pas d'instructions claires pour la fabrication de comprimés. Deuxièmement, GSK allègue que le procédé décrit dans l'exemple donné dans la demande 9281 est un procédé de granulation par voie humide. GSK a produit à l'appui de sa position le témoignage de M. McGinity qui, dans les paragraphes 21 et 48 de son affidavit, affirme que l'inclusion de l'HPMC dans la formulation est une indication d'un procédé de granulation par voie humide.

[77]            Quant à la demande 9281, mes conclusions reflètent celles qui sont mentionnées ci-dessus pour l'analyse du brevet 060. Même si les experts ne s'entendent pas sur le procédé spécifique qui est décrit dans l'exemple donné dans la demande 9281, un thème commun ressort des témoignages. Un formulateur versé dans son art pourrait comprendre que la référence à des « méthodes courantes consistant à mélanger, remplir et comprimer en forme de comprimés ou autres » dans la demande 9281 inclut la formulation par voie sèche comme par voie humide. Le juge Gibson est parvenu essentiellement à la même conclusion dans sa décision en se penchant sur des formulations similaires dans le brevet 060. En outre, il est apparent que la demande 9281 fait référence à la cellulose sous forme microcristalline comme un adjuvant acceptable parmi plusieurs et qu'elle apporte un exemple d'une formulation où la cellulose sous forme microcristalline n'est pas utilisée. Pour ces raisons, je suis convaincu qu'un formulateur versé dans son art identifierait dans la demande 9281 toutes les étapes nécessaires à l'invention revendiquée dans le brevet 575. Par conséquent, les revendications de la demande 9281 antériorisent celles du brevet 575.


e) Le brevet européen 303

[78]            Le brevet européen 303 vise l'usage de la paroxétine comme analgésique et il a été publié le 1er juin 1988. Les termes employés dans la divulgation qui accompagne le brevet 303 pour décrire la formulation de la paroxétine font écho à ceux de la demande 9281. Les extraits de la divulgation du brevet 9281 cités précédemment figurent également dans la divulgation du brevet européen 303. Les arguments avancés par les parties au sujet du brevet européen 303 sont fondamentalement les mêmes que ceux à l'égard de la demande 9281. Par conséquent, ma conclusion sur l'antériorité de la demande 9281 à l'égard du brevet 575 s'applique également au brevet européen 303.

4.          L'évidence

[79]            L'article 28.3 de la Loi établit que la revendication d'un brevet ne doit pas être évidente à la date de la revendication. L'article dispose :

Objet non évident

28.3 L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versées dans l'art ou la science dont relève l'objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite plus d'un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l'information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu'elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu'elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.


[80]            Le critère de l'évidence a été exposé par le juge Hugessen (tel était alors son titre) dans l'arrêt Beloit, précité, à la page 294 :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[81]            Apotex a également soulevé une allégation d'évidence dans une procédure antérieure entre les parties au sujet du brevet 637. Le juge Gibson a conclu à la page 551 :

Comme je l'ai déjà noté, tout en étant persuadé du bien-fondé de l'allégation d'antériorité du brevet 060 par rapport au brevet 637, j'ai la conviction que SmithKline s'est acquittée de sa charge et qu'elle a démontré que l'allégation concernant l'évidence de l'invention divulguée dans le brevet 637 n'était pas fondée.

[82]            Le juge Gibson a cité à l'appui de sa conclusion de larges extraits de l'affidavit souscrit par M. McGinity, qui a aussi été produit devant la Cour dans la présente affaire. Les paragraphes 28 et 29 de l'affidavit donnent un résumé succinct des conclusions de M. McGinity :

[traduction] En résumé, je pense donc qu'il faudrait mettre beaucoup de temps et d'efforts pour résoudre le problème. En me fondant sur les trois brevets mentionnés ci-dessus, sur mon expérience et sur les connaissances usuelles générales dans le domaine de la science pharmaceutique, j'ai été incapable de définir la cause du problème intermittent de coloration rose ou d'y trouver une solution. Pour tenter de résoudre le problème, il faudrait procéder à un certain nombre d'expériences soigneusement conçues.

Par conséquent, en cherchant à résoudre le problème [...] et sans l'avantage de l'analyse a posteriori, je ne suis pas parvenu à régler directement et sans difficulté le problème intermittent de coloration rose. En toute honnêteté, je n'aurais pas pu trouver directement la solution du problème en raison de la multiplicité des causes possibles. Quand on ne connaît pas la cause du problème, la solution est loin d'être claire ou simple.


[83]            Dans l'examen de la décision du juge Gibson sur le brevet 637, le juge Linden, au nom de la Cour d'appel fédérale, a écrit au sujet des conclusions du juge Gibson sur le caractère évident, à la page 131 :

SmithKline fait également allusion à l'apparente incohérence de la décision du juge des requêtes, qui conclut que le brevet 637 est antériorisé, mais n'est pas évident. À première vue, cette conclusion semble en effet curieuse. Cependant, compte tenu du fait que le brevet 637 est antériorisé, si SmithKline a effectivement raison d'affirmer qu'une invention ne peut à la fois être antériorisée et avoir un caractère non évident, la seule déduction possible dans ce cas serait de conclure à l'évidence de l'invention. On ne s'étonnera pas que SmithKline ne conteste pas la décision du juge des requêtes sur le caractère non évident de l'invention. La Cour n'a donc pas à se prononcer sur la question.

. . .

[84]            Compte tenu de la conclusion du juge Gibson sur le caractère non évident de l'emploi du procédé de formulation par voie sèche comme solution du problème de coloration rose, l'allégation d'Apotex touchant l'invalidité du brevet 575 pour cause d'évidence doit être rejetée.

5.          Double brevet/demande complémentaire irrégulière

[85]            La demande visant le brevet 575 a été déposée comme demande complémentaire visant le brevet 637. L'article 36 de la Loi régit le dépôt des demandes complémentaires et la délivrance d'un brevet fondé sur une demande complémentaire. Le brevet 575 a été déposé comme demande complémentaire à l'égard du brevet 637 le 25 septembre 1997. À cette date, l'article 36 disposait :

Brevet pour une seule invention


36. (1) Un brevet ne peut être accordé que pour une seule invention, mais dans une instance ou autre procédure, un brevet ne peut être tenu pour invalide du seul fait qu'il a été accordé pour plus d'une invention.

Demandes complémentaires

(2) Si une demande décrit plus d'une invention, le demandeur peut restreindre ses revendications à une seule invention, toute autre invention divulguée pouvant faire l'objet d'une demande complémentaire, si celle-ci est déposée avant la délivrance d'un brevet sur la demande originale.

Idem

(2.1) Si une demande décrit et revendique plus d'une invention, le demandeur doit, selon les instructions du commissaire, restreindre ses revendications à une seule invention, toute autre invention divulguée pouvant faire l'objet d'une demande complémentaire, si celle-ci est déposée avant la délivrance d'un brevet sur la demande originale.

Abandon de la demande originale

(3) Si la demande originale a été abandonnée, le délai pour le dépôt d'une demande complémentaire se termine à l'expiration du délai fixé pour le rétablissement de la demande originale aux termes de la présente loi.

Demandes distinctes

(4) Une demande complémentaire est considérée comme une demande distincte à laquelle la présente loi s'applique aussi complètement que possible. Des taxes distinctes sont acquittées pour la demande complémentaire, et sa date de dépôt est celle de la demande originale.

[86]            Selon le paragraphe 36(2), si une demande de brevet décrit plus d'une invention, une demande complémentaire peut être déposée et faire l'objet d'un brevet distinct. La délivrance de deux brevets pour une seule invention est depuis toujours interdite au Canada. L'interdiction du double brevet comporte deux volets, voir l'arrêt Whirlpool, précité, aux paragraphes 62 à 67. Le second volet de l'interdiction du double brevet, appelé double brevet relatif à une « évidence » , est pertinent par rapport à la présente demande. Ce volet a été décrit dans les termes suivants par le juge Binnie dans l'arrêt Whirlpool, aux paragraphes 66 et 67 :


L'interdiction comporte toutefois un deuxième volet qui est parfois appelé le double brevet relatif à une « évidence » . Il s'agit d'un critère plus souple et moins littéral qui interdit la délivrance d'un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du brevet antérieur. Dans Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, la question était de savoir si Farbwerke Hoechst pouvait obtenir un brevet pour un médicament qui constituait une version diluée d'un autre médicament qu'elle avait déjà fait breveter. Il n'y avait pas d'identité des revendications. Le juge Judson a néanmoins conclu à l'invalidité du brevet ultérieur en expliquant, à la p. 53 :

[TRADUCTION] Une personne a droit à un brevet pour une substance médicinale nouvelle, utile et inventive; toutefois, le fait de diluer cette nouvelle substance une fois que ses usages médicaux sont déterminés ne crée pas une nouvelle invention. La substance diluée et la substance non diluée ne sont que deux aspects de la même invention. En l'espèce, l'addition d'un véhicule inerte, qui constitue un moyen courant d'augmenter le volume et de faciliter ainsi les mesures et l'administration, n'est rien d'autre que de la dilution et ne crée pas une nouvelle invention. [Je souligne.]

Dans l'arrêt [Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504], le juge Dickson a qualifié l'arrêt Farbwerke Hoechst d' « arrêt qui fait autorité en matière de double brevet » (p. 536) et qui appuie la proposition selon laquelle un second brevet ne saurait être justifié que si les revendications font preuve « de nouveauté ou d'ingéniosité » par rapport au premier brevet :

Le juge Judson a dit, au nom de la Cour, que le second procédé ne comportait pas de nouveauté ou d'ingéniosité et qu'en conséquence le second brevet n'était pas justifié.


[87]            L'avocat de GSK a fait valoir à l'audience qu'en vertu des dispositions de la Loi postérieures à 1989, un brevet constitué en vertu d'une demande complémentaire ne peut être déclaré invalide pour cause de double brevet. Pour reprendre les mots de l'avocat, c'est en raison de la suppression de la [traduction] « la faute du double brevet » dans les modifications de 1989. Dans les dispositions antérieures à 1989, la protection du brevet stendait à partir de la date de délivrance, la délivrance d'un second brevet accordant au titulaire de brevet un renouvellement de la durée de protection. Cette pratique, couramment appelée le « renouvellement à perpétuité » , a été présentée comme la justification de l'interdiction du double brevet, voir l'arrêt Whirlpool au paragraphe 63 (l'arrêt traitait de la version de la Loi antérieure à 1989). Depuis les modifications apportées à la Loi en 1989, la protection du brevet court maintenant à compter de la date du dépôt plutôt que de la date de délivrance. Les demandes complémentaires portent la même date de dépôt (que celle de la demande originale) aux termes du paragraphe 36(4) et l'existence du second brevet ne confère aucune protection supplémentaire. GSK a fait l'analogie avec le droit américain en matière de brevets, selon lequel un second brevet n'est pas invalide pour cause de double brevet si le titulaire du brevet renonce à la durée supplémentaire par la voie d'un abandon de la protection en fin de durée de validité, voir les décisions In re Bowers, 53 C.C.P.A. 15, 359 F.2d 886 (1966), In re Plank, 55 C.C.P.A. 1400, 399 F.2d 241 (1968) et In re Kaplan, 789 F.2d 1574 (Fed. Cir. 1986).

[88]            Je ne puis convenir avec GSK que [traduction] « la faute du double brevet » est disparue. GSK n'a pas tenu compte de l'effet que peut avoir un second brevet aux termes du Règlement. L'alinéa 7(1)e) du Règlement prévoit que le ministre ne peut délivrer l'avis de conformité demandé pendant un délai de 24 mois à partir du moment où le titulaire du brevet a demandé au tribunal de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 6(1). Cette disposition a pour effet de créer une ordonnance de faire qui dure jusqula décision ou jusqul'expiration du délai de 24 mois. L'existence de brevets complémentaires permet au titulaire du brevet de présenter d'autres demandes et d'obtenir ainsi des délais d'injonction multiples. L'espèce nous fournit d'ailleurs un bel exemple de cette pratique. Malgré la fait qu'Apotex a réussi à faire invalider le brevet 637 en 2001, le dépôt de la présente demande par GSK a empêché Apotex de commercialiser son produit depuis deux ans.


[89]            En outre, que [traduction] « la faute du double brevet » existe encore ou n'existe plus, le titulaire du brevet ne devrait pas avoir la faculté de se voir délivrer des brevets additionnels pour la même invention. La décision du juge Lutfy (tel était alors son titre) dans l'affaire Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santénationale et du Bien-être social) (1998), 154 F.T.R. 192, 82 C.P.R. (3d) 359, confirmée par (2000) 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.F.) appuie cette position. Bayer détenait deux brevets, déposés comme demandes complémentaires, qui avaient pour objet la même invention. La durée de la protection du brevet courait à partir de la date de la délivrance et la durée du second brevet courait pour un délai supplémentaire de quatre-vingts mois après l'expiration du brevet original. Bayer a par la suite présenté un abandon de la protection en fin de durée de validité qui a ramené la date d'expiration du second brevet à celle du brevet original. Elle a soutenu que le second brevet n'était pas invalide pour cause de double brevet parce que l'abandon de la protection en fin de durée de validité avait éliminé le préjudice du double brevet. Le juge Lufty a rejeté l'argument en affirmant que l'ingéniosité inventive restait nécessaire pour fonder le second brevet. Je suis de cet avis. Comme le juge Binnie l'a signalé dans l'arrêt Whirlpool au paragraphe 63, le paragraphe 36(1) de la Loi prévoit que l'inventeur n'a droit qu'à « un » brevet pour chaque invention. Le prolongement logique de cette proposition est qu'il faut deux inventions pour justifier deux brevets, ce que confirme la formulation du paragraphe 36(2).


[90]            J'aborde maintenant les arguments de fond avancés par les parties au sujet du double brevet. Apotex soutient que le brevet 575 constitue une contravention au second volet de l'interdiction du fait que la formulation est à l'évidence une variante des revendications du brevet 637 et qu'elle ne divulgue pas d'activité inventive. GSK fait valoir qu'Apotex n'a pas produit suffisamment d'éléments de preuve à l'appui de son allégation de double brevet. Au contraire, la revendication du brevet 575 est différente dans la mesure où elle inclut la revendication supplémentaire portant que la fabrication des comprimés doit exclure la cellulose microcristalline.

[91]            Apotex devrait l'emporter sur ce point. Dès qu'un formulateur versé dans son art a compris que l'utilisation d'un procédé de formulation par voie sèche est la solution au problème de coloration rose, la décision s'impose d'utiliser un adjuvant moins hygroscopique et qui contient moins d'eau faiblement liée que la cellulose sous forme microcristalline. Pour cette raison, les revendications du brevet 575 ne répondent pas aux critères de nouveauté et d'activité inventive en regard de la description du brevet 637, et GSK n'a pas réussi à réfuter l'allégation par Apotex de l'existence d'un cas de double brevet.

CONCLUSIONS

[92]            Pour les raisons suivantes, je parviens à la conclusion que les allégations par Apotex d'absence de contrefaçon et d'invalidité, sont justifiées.

8.                   L'interprétation correcte du brevet 575 n'inclut pas un procédé de formulation par voie sèche où la cellulose sous forme microcristalline n'est pas utilisée pour la compression en forme de comprimés du chlorhydrate de paroxétine anhydre.

9.                   La proposition d'Apotex de formuler le chlorhydrate de paroxétine anhydre par un procédé par voie sèche qui n'emploie pas la cellulose sous forme microcristalline ne porte pas atteinte aux revendications du brevet 575.


10.               Les revendications du brevet 575 sont antériorisées par le brevet 060, par la demande 9281 et par le brevet européen 303. Les revendications du brevet 575 ne sont pas antériorisées par l'enseignement des articles Buxton.

11.               L'invention divulguée dans les revendications du brevet 575 n'était pas évidente pour les motifs exposés par la Cour dans une décision antérieure.

12.               Le brevet 575 était une demande complémentaire non appropriée du brevet 637, et il n'est pas valide du fait qu'il s'agit d'un cas de double brevet.

[93]            Par conséquent, la présente demande est rejetée avec dépens.

   ___    _ « Michael A. Kelen »                     __________________________

            J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

30 MAI 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1059-01

INTITULÉ :                                        GLAXOSMITHKLINE INC. ET AL.

c. APOTEX INC. ET AL.

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                28 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       30 MAI 2003

COMPARUTIONS :

M. Anthony G. Creber POUR LES DEMANDERESSES

M. James E. Mills

Mme Chantale Saunders

M. Harry Radomsky

M. Andrew R. Brodkin POUR LES DÉFENDEURS

M. Ivor Hughes                        

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP           

Ottawa (Ontario)                       POUR LES DEMANDERESSES

Goodman LLP

Toronto (Ontario)                      POUR LES DÉFENDEURS


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20030530

Dossier: T-1059-01

ENTRE :

GLAXOSMITHKLINE INC.

et SMITHKLINE BEECHAM P.L.C.

                                                             demanderesses

- et -

APOTEX INC.

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                    défendeurs

                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                 


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