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                                                                                                                              Date : 20050311

                                                                                                                          Dossier : T-482-03

                                                                                                              Référence : 2005 CF 340

Ottawa, Ontario, le 11 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

AVENTIS PHARMA INC. et AVENTIS

PHARMA DEUTSCHLAND GmbH

demanderesses

et

PHARMASCIENCE INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

SCHERING CORPORATION

défenderesse/brevetée

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]         Le 31 août 2001, Pharmascience Inc. (Pharmascience) a présenté une demande au ministre de la Santé (le ministre), conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), afin d'obtenir la délivrance d'un avis de conformité en vue de la commercialisation de gélules de ramipril utilisées dans le traitement de l'hypertension. Dans la présente demande, introduite par un avis de demande déposé le 28 mars 2003, Aventis Pharm Inc. et Aventis Pharma Deutschland GmbH (Aventis) sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l'avis de conformité à Pharmascience. Schering Corporation (Schering), qui est propriétaire de l'un des brevets pertinents, a été constituée partie défenderesse à l'instance et donne son appui à Aventis.

[2]         Le médicament ramipril, un inhibiteur de l'ECA, est utilisé pour le traitement de l'insuffisance cardiaque (aussi appelée défaillance cardiaque) et de l'hypertension (ou hypertension artérielle). En l'espèce, trois brevets se rapportent à ce médicament :

_     Aventis était titulaire du brevet canadien no 1,187,087 (le brevet 087) qui visait l'emploi du ramipril dans le traitement de l'hypertension et qui expirait le 4 novembre 2002.

_     Le brevet canadien no 1,246,457 (le brevet 457) est détenu par Aventis et concerne l'emploi du ramipril pour le traitement de l'insuffisance cardiaque; le brevet 457 a été délivré le 13 décembre 1988 et expire en décembre 2005.

_     Le brevet canadien no 1,341,206 (le brevet 206), détenu par Schering, est un brevet de genre qui revendique le ramipril et d'autres inhibiteurs de l'ECA. Bien que la demande de brevet ait été déposée en octobre 1981, le brevet n'a été délivré que le 20 mars 2001.

[3]                                                   Aventis commercialise le ramipril sous l'appellation commerciale ALTACE.


[4]                                                   En liaison avec sa demande d'avis de conformité et comme l'exige le paragraphe 5(1) du Règlement, Pharmascience a signifié à Aventis, le 7 février 2003, un avis d'allégation accompagné d'un « énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde » . En gros, l'avis d'allégation contenait les allégations suivantes :

_     le ramipril de Pharmascience [traduction] « ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement de l'insuffisance cardiaque tel qu'il est allégué dans les revendications du brevet 457 » .

_     Les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206, qui visent le ramipril, [traduction] « sont invalides parce qu'elles ne visent pas un élément brevetable distinct de celui visé par les revendications du ... brevet 087 et du ... brevet 457 » .

_     Aucune des autres revendications du brevet 206 (revendications 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11 et 13), qui ne visent pas le ramipril, ne sera contrefaite.

QUESTIONS EN LITIGE

[5]                                                                                                                           La question fondamentale en l'espèce est celle de savoir si l'allégation de non-contrefaçon dans l'avis d'allégation présenté au ministre par Pharmascience est fondée. Pour statuer sur ce point, il faut répondre aux questions suivantes :


1)       L'avis d'allégation est-il suffisant?

2)       Compte tenu des brevets 087 et 457 qui ont été délivrés antérieurement, Pharmascience a-t-elle raison d'alléguer que les revendications du brevet 206 qui visent le ramipril sont invalides pour cause de double brevet?

3)       L'allégation selon laquelle Pharmascience ne contrefera pas les revendications du brevet 457 concernant l'utilisation du ramipril pour le traitement de l'insuffisance cardiaque est-elle fondée?

[6] Si la réponse à l'une quelconque de ces questions est négative, la demande d'Aventis sera accueillie.

LES BREVETS PERTINENTS

[7] Certaines des revendications des brevets 206, 087 et 457 sont pertinentes pour la présente demande. Il m'apparaît utile de commencer par une description des revendications pertinentes et du contexte dans lequel les trois brevets ont été délivrés.

Brevet canadien no 1,341,206 (brevet 206)


[8] Le brevet 206, intitulé [traduction] « Carboxyalkyldipeptides, procédés de production et compositions pharmaceutiques contenant ces substances » , porte sur des composés (des carboxyalkyldipeptides) utiles comme inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (ECA) utilisés dans le traitement de l'hypertension. Les revendications du brevet 206 sont larges et couvrent une famille de composés qui comprend le ramipril; cependant, le brevet ne renferme aucun exposé décrivant spécifiquement le composé ramipril. Les revendications pertinentes pour la présente demande sont les suivantes :

_     La revendication 1 du brevet 206 vise une famille de carboxyalkyldipeptides dont la formule générale comporte trois unités principales, soit (a) des noyaux bicycliques; (b) une unité alanyle centrale et (c) une unité terminale. Elle ne vise pas des composés présentant une stéréochimie spécifique. Lorsque certaines substitutions sont réalisées sur la formule générale, la formule obtenue correspond à celle du ramipril et à ses stéréoisomères (c.-à-d. aux différentes configurations tridimensionnelles que peuvent présenter les molécules organiques).

_     La revendication 2 vise également des composés présentant une formule générale précise, mais n'est pas limitée à des stéréoisomères spécifiques. Lorsque certaines substitutions sont réalisées sur cette formule, cette revendication vise le ramipril.

_     La revendication 3, pour des raisons semblables, vise le ramipril.

_     La revendication 6 vise des composés décrits par une formule générale. Lorsque certaines substitutions sont réalisées sur cette formule, la revendication 6 décrit alors 32 stéréoisomères, dont l'un est le ramipril.


_     La formule de la revendication 12 décrit huit stéréoisomères différents, dont l'un est le ramipril.

_     La revendication 13 vise le composé ramiprilate, c'est-à-dire le métabolite formé dans l'organisme des personnes qui prennent du ramipril.

[9] Mme Elizabeth Smith, travaillant depuis 30 ans pour le Schering-Plough Research Institute et ses prédécesseurs, est l'un des co-inventeurs de l'invention décrite dans le brevet 206. Comme elle l'a déclaré dans son affidavit, [traduction] « Le brevet découle de travaux [...] au cours desquels il a été reconnu qu'un certain nombre de composés différents possédant une structure apparentée étaient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme antihypertenseurs » . Comme elle le mentionne, la revendication 1 du brevet 206 vise, outre le ramipril, un certain nombre de composés qui ont été commercialisés, dont le spirapril et le trandolapril. Un rapport en date du 20 juin 1980 ainsi que des notes de laboratoire en date du 1er août 1980, indiquant que des travaux portant sur cette invention étaient effectués à cette époque, ont été joints à son affidavit. Certains composés ont fait l'objet d'essais en février 1981. Tout cela a mené au dépôt au Canada d'une demande de brevet le 20 octobre 1981.


[10]             À partir du dépôt de la demande jusqu'à la délivrance du brevet 206 le 20 mars 2001, des obstacles majeurs se sont dressés dans le processus menant à l'obtention du brevet visant cette invention. M. Edward H. Mazer, un avocat spécialiste des brevets qui travaillait depuis 17 ans pour Schering-Plough Corporation avant le dépôt de la présente demande, a inclus, dans son affidavit, une chronologie des événements qui ont abouti, après environ 20 ans, à la délivrance du brevet 206. Les principales étapes dans cette série d'événements sont les suivantes :

[traduction]

DATE

ÉVÉNEMENT

20 octobre 2001

Dépôt de la demande

1er mars 1984

Première mesure prise

16 mai 1984

Réponse à la première mesure prise

Entre 1985 et 1990

Schering a déposé cinq demandes concernant ltat de l'affaire

2 mai 1990

Deuxième mesure prise

2 et 3 août 1990

Schering a déposé sa réponse (2 août) et une réponse additionnelle (3 août)

27 décembre 1990

Troisième mesure prise

24 avril 1991

Réponse à la troisième mesure prise

21 janvier 1992

Schering a présenté une sixième demande concernant ltat de l'affaire

22 janvier 1993

Le commissaire a indiqué qu'il y avait quatre autres demandes concurrentes (dont une présentée par Hoechst, le propriétaire du brevet 087 maintenant expiré)

5 mai 1993

Le commissaire a redonné un avis de demandes concurrentes

8 août 1996

Le commissaire a déclaré que Schering a été la première à inventer les revendications concurrentes auxquelles elle était partie

10 janvier 1997

Les parties ayant présenté des revendications concurrentes avec Schering ont déposé un appel

Décembre 2000

Un règlement est intervenu peu de temps avant l'audience devant la Cour fédérale

20 mars 2001

Délivrance du brevet 206

[11]             Alors que dans le cadre de l'instance en conflit de priorité treize revendications distinctes entraient en conflit avec la demande de brevet de Schering, ni le brevet 087 ni le brevet 457 ne faisaient partie de ces revendications concurrentes.


[12]             Comme nous le verrons plus loin, Pharmascience affirme que ce brevet est invalide pour cause de double brevet.

Brevet canadien no 1,187,087 (brevet 087)

[13]             Le brevet 087 a été délivré le 14 mai 1985 à Hoechst AG, prédécesseur d'Aventis, àla suite d'une demande déposée le 4 novembre 1982. Ce brevet est intitulé [traduction] « Dérivés de l'acide cis,endo-2-azabicyclo-{3.3.0}-octane-3-carboxylique, procédé de préparation, agent contenant ces composés et utilisation de ces substances » . Le brevet 087 a expiré le 4 novembre 2002.

_     La revendication 1 du brevet 087 vise un procédé permettant de préparer un composé correspondant à la formule I et les sels de ce composéacceptables du point de vue physiologique.

_     La revendication 2 vise un composé correspondant à la formule I et les sels de ce composé acceptables du point de vue physiologique, lorsque ce composé et ces sels sont préparés conformément au procédé décrit dans la revendication 1 ou à un équivalent chimique évident.

_     Les revendications 3 et 4 imposent des restrictions au procédé et aux composés revendiqués, y compris le ramipril.


_     La revendication 5 vise un procédé permettant uniquement de préparer le composé ramipril.

_     La revendication 6 vise le ramipril préparé par un procédé visé par la revendication 5 ou par un procédé équivalent évident.

[14]       Les revendications 1 et 2 précisent que les atomes d'hydrogène liés aux deux atomes de carbone au centre du noyau bicyclique sont, l'un par rapport à l'autre, en position « cis » , c'est-à-dire du même côté du noyau. Par contre, les revendications du brevet 206 n'imposent aucune restriction sur la stéréospécificité des atomes d'hydrogène; la stéréochimie constitue le moyen par lequel l'orientation spatiale d'atomes ou de groupes d'atome est décrite.


[15]       M. Richard Becker, pharmacologiste clinicien depuis 1998 pour Aventis ou pour ses prédécesseurs, est nommé comme inventeur dans le brevet 087 et comme l'auteur d'un affidavit dans la présente affaire. Il a confirmé que les travaux de développement réalisés par Hoechst (prédécesseur d'Aventis) sur le ramipril et sur des composés semblables ont été menés indépendamment des travaux effectués par Schering. Lors des essais in vivo, il a constaté que le ramipril était au moins 18 fois plus efficace que le plus efficace des composés de structure analogue ayant été soumis àdes essais comparatifs. Comme il l'a lui-même indiqué, le ramipril [traduction] « possédait une activité inhibitrice de l'ECA nettement plus marquée que celle de tous les autres stéréoisomères du ramipril qui avaient été soumis aux essais » ; le ramipril était [traduction] « notablement plus efficace » . Il a également confirmé que Hoechst n'a pas fabriquéde ramipril avant le 28 avril 1981, soit la date de priorité la plus récente pour le brevet 206.

[16]       En résumé, le brevet 087 est un brevet de sélection visant un composé également visé par le brevet 206 qui est un brevet de genre. Ce brevet, qui est expiré, visait un médicament destiné à être utilisédans le traitement de l'hypertension.

[17]       Hoechst et Schering ont conclu un contrat de licence qui est entré en vigueur le 15 décembre 1986 et en vertu duquel Aventis, successeur de Hoechst, détient [traduction] « les droits exclusifs à lchelle mondiale en matière de fabrication, d'utilisation et/ou de vente » du ramipril. Dans son affidavit, M. Edward Mazer a déclaré que Hoechst a obtenu une licence de Schering à la suite d'un différend entre les deux parties.

[18]       Comme ce brevet est expiré, il n'est nullement question en l'espèce de contrefaçon du brevet 087. Toutefois, le brevet 087 est en cause en raison de l'allégation de double brevet. Pharmascience fait valoir qu'en s'opposant à la délivrance d'un avis de conformité àPharmascience, Aventis cherche àprolonger son monopole sur le ramipril au-delà de la date d'expiration du brevet 087, en soutenant qu'il y a contrefaçon du brevet 457.

Brevet canadien no 1,246,457 (brevet 457)


[19]       Le dernier brevet dont il est question dans la présente demande est le brevet 457, qui est intitulé [traduction] « Méthode de traitement de l'insuffisance cardiaque » . La demande de brevet a été déposée le 10 avril 1985 et le brevet a été délivré à Aventis le 13 décembre 1988. Ce brevet porte sur l'utilisation d'inhibiteurs de l'ECA, y compris le ramipril, dans le traitement de l'insuffisance cardiaque.

_     La revendication 1 vise des compositions pharmaceutiques destinées à être utilisées dans le traitement de l'insuffisance cardiaque, qui contiennent un composéappartenant à la famille des composés inhibiteurs de l'ECA décrits dans la revendication 1, y compris le ramipril.

_     La revendication 8 vise spécifiquement une composition contenant du ramipril ou des sels de ramipril acceptables du point de vue pharmaceutique destinés à être utilisés dans le traitement de l'insuffisance cardiaque.

[20]       L'expression « insuffisance » cardiaque désigne une défaillance cardiaque. L'insuffisance cardiaque est une indication thérapeutique distincte de l'hypertension. Comme l'a soulignéM. Becker, [traduction] « On ne s'attendrait pas à ce que le ramipril, qui est utile dans le traitement de l'hypertension, le soit également dans le traitement d'une défaillance cardiaque » . Il a de plus ajouté qu'[traduction] « [u]ne personne versée dans le domaine qui a lu les brevet 206 ou 087 n'aurait pas été amenée à conclure que les composés du brevet 457 seraient utiles dans le traitement d'une défaillance cardiaque » .


[21]       Comme nous le verrons plus loin, Pharmascience prétend que la vente de son ramipril générique ne contrefera pas le brevet parce que ce produit ne sera commercialisé que pour le traitement de l'hypertension et non pour celui de l'insuffisance cardiaque.

LES LOIS SUR LES BREVETS PERTINENTES

[22]       Comme la question cruciale en l'espèce concerne la priorité des brevets, il est important de bien comprendre le cadre législatif qui était applicable aux dates auxquelles les brevets pertinents ont été délivrés.

[23]       Le brevet 206 a été délivré avant le dépôt d'une demande le 1er octobre 1989. C'est pourquoi il est de façon générale régi par la Loi sur les brevets (la Loi) dans sa version antérieure aux modifications apportées le 1er octobre 1989. L'alinéa 27(1)a) de la Loi prévoyait :

27.1 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention peut, sur présentation au commissaire d'une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le « dépôt de la demande » , et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété d'une invention qui ntait pas:

a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l'ait faite;

27.1 (1) Subject to this section, any inventor or legal representative of an inventor of an invention that was

(a) not known or used by any other person before he invented it,

. . .

may, on presentation to the Commissioner of a petition setting out the facts, in this Act termed the filing of the application, and on compliance with all other requirements of this Act, obtain a patent granting to him an exclusive property in the invention.


[24]       Lorsque des demandes pendantes contiennent une ou plusieurs revendications définissant essentiellement la même invention ou lorsque l'une ou plusieurs des revendications d'une demande décrivent une invention dévoilée dans une autre demande, l'article 43 de la Loi prévoyait la procédure applicable en cas de conflit pour déterminer lequel des demandeurs était l'inventeur préalable aux revendications duquel le commissaire ferait droit. En vertu du régime établi par la Loi, aucun brevet ne pouvait être délivré tant que le conflit ntait pas réglé. Le brevet 206, auquel s'applique ce régime, a été déposé le 20 octobre 1981 mais n'a pas été délivré avant le 20 mars 2001, soit environ 20 ans plus tard lorsque l'instance en conflit de priorité a pris fin. Dans des circonstances comme celles dont il est question en l'espèce, il n'existe aucune disposition prévoyant l'enregistrement rétroactif du brevet ou l'abrégement de sa durée. Par conséquent, le brevet a été délivré et est devenu en vigueur le 20 mars 2001 pour une période de 17 ans à compter de cette date.

[25]       Il est intéressant de souligner que si la demande concernant le brevet de Schering avait été présentée après les modifications apportées à la Loi le 1er octobre 1989, la situation aurait été très différente. En vertu de l'actuel régime législatif, les conflits de priorité sont réglés en fonction de la date du dépôt. Ainsi, si le régime actuel stait appliqué lorsque Schering a déposé sa demande, le brevet 206 aurait été délivré le 21 octobre 1981 et la protection conférée par ce brevet serait maintenant échue.

[26]       C'est dans ce contexte que je vais maintenant analyser les questions en litige dans la présente affaire.


QUESTION #1 : SUFFISANCE DE L'AVIS D'ALLÉGATION

[27]       Aventis prétend que l'avis d'allégation de Pharmascience est insuffisant et qu'il ne constitue pas un avis d'allégation et un énoncé détaillé au sens du Règlement. Elle appuie sa prétention sur trois arguments :

_     Pharmascience s'est contentée d'affirmer qu'elle ne demande pas l'approbation en vue du traitement de l'insuffisance cardiaque (ce qui constituerait une contrefaçon du brevet 457) et a omis d'indiquer dans son avis d'allégation comment elle donnerait suite à cette affirmation.

_     Pharmascience n'a pas fourni un énoncé détaillé du droit et des faits qui démontre que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 sont invalides pour cause de double brevet.

_     Le ramiprilate, qui est visé par la revendication 13 du brevet 206, est un métabolite actif qui est obtenu lorsque le ramipril est administré à des patients. Pharmascience n'a pas énoncé dans son avis d'allégation des faits qui justifieraient son allégation que la revendication 13 n'est pas contrefaite.

[28]       Je vais examiner ces arguments l'un après l'autre.


Remarques générales

[29]       Le paragraphe 5(1) du Règlement établit le fondement juridique de l'avis d'allégation :

5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

5. (1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

(a) state that the person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or

(b) allege that

(i) the statement made by the first person pursuant              to paragraph 4(2)(c) is false,

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.


[30]       Quel est le rôle de l'avis d'allégation? Selon le juge Stone dans l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santénationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 855, par. 16-17, l'avis d'allégation est produit afin de permettre au breveté de décider s'il y a lieu de présenter une demande en vertu du Règlement pour empêcher la délivrance d'un avis de conformité. Par conséquent, l'avis d'allégation doit être suffisamment détaillé pour que le breveté soit pleinement informé des motifs pour lesquels la seconde personne (en l'espèce, Pharmascience) prétend qu'il n'y aura pas lieu à contrefaçon.

[31]       La seconde personne, par exemple, ne peut pas passer sous silence les revendications qui décrivent l'invention fondamentale; chacune des revendications pertinentes doit être mentionnée soit dans l'avis d'allégation lui-même soit dans lnoncé détaillé qui l'accompagne (AB Hassle c. Genpharm, [2003] A.C.F. no 1910, par. 189).

[32]       Comme je l'ai dit dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [2004] A.C.F. no 326, au par. 32 :

Pour évaluer le caractère suffisant de l'avis d'allégation, on peut se servir des indications suivantes tirées de nombreux arrêts de la Cour d'appel fédérale, dont Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santénationale et du Bien-être social), 51 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.); Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santénationale et du Bien-être social) (2000), 6 C.P.R (4th) 73, p. 81 (C.F. 1re inst.), conf. par (2001) 11 C.P.R. (4th) 417 (C.A.F.) :

-            Une simple affirmation de non-contrefaçon ne suffit pas.

-            Il est loisible à la seconde personne de retenir certains renseignements concernant sa formulation tant qu'une ordonnance de confidentialité n'est pas prononcée.

-            L'avis d'allégation sera suffisant si d'autres détails sont donnés pour expliquer les raisons pour lesquelles l'allégation de non-contrefaçon constituait une preuve suffisante pour permettre à la Cour d'évaluer l'allégation.

Omission d'indiquer en quoi la commercialisation ne viserait pas le traitement de l'insuffisance cardiaque


[33]       Comme nous l'avons indiquéprécédemment, Pharmascience a dit dans son avis d'allégation que le ramipril [traduction] « ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu par Pharmascience pour le traitement de l'insuffisance cardiaque et ne constituera pas une composition servant au traitement de l'insuffisance cardiaque, tel qu'il est allégué dans les revendications du brevet 457 » . Ni l'avis d'allégation ni lnoncé détaillé joint à l'avis ne comporte d'autres mentions se rapportant àcette allégation. Aventis soutient que Pharmascience était tenue d'indiquer comment elle limiterait sa commercialisation du ramipril au traitement de l'hypertension.

[34]       Le médicament que Pharmascience a l'intention de produire se présentera sous la même apparence que l'ALTACE, visé par le brevet 087 qui est expiré et par le brevet 457 qui est toujours en vigueur, et il sera bioéquivalent à ce produit. On ne saurait nier que le produit de Pharmascience aura un effet thérapeutique équivalent à celui de l'ALTACE, qu'il soit utilisé pour le traitement de l'insuffisance cardiaque (le brevet 457) ou de l'hypertension (le brevet 087).

[35]       Ce n'est que lorsqu'on lui a soumis les affidavits de Mme Jeannette Echenberg, directrice des affaires réglementaires pour Pharmascience, et de M. Ronald Nefsky, pharmacien détenteur d'un permis de l'Ontario, qu'Aventis a pu déterminer quelles mesures Pharmascience avait l'intention de prendre pour limiter sa commercialisation du ramipril. Pharmascience a demandé à M. Nefsky :

[traduction] ¼ d'expliquer ce que je ferais et, d'un point de vue professionnel, ce qui devrait se produire si un pharmacien de l'Ontario se voyait remettre une ordonnance pour du ramipril ne précisant pas la maladie traitée dans un cas où Pharmascience a obtenu un avis de conformité visant l'utilisation du ramipril pour le traitement de l'hypertension seulement et, par conséquent, a demandé et obtenu une inscription au Formulaire/Index comparatif des médicaments du Programme de médicaments de l'Ontario (le formulaire ou l'index) qui prévoit que l'interchangeabilité se limite à l'hypertension.


[36]       En somme, on a demandé à M. Nefsky de donner son avis en prenant pour hypothèse que l'inscription au formulaire de l'Ontario prévoyait une interchangeabilité limitée, un fait qui n'a pas été divulgué dans l'avis d'allégation. Mme Echenberg a indiqué comment Pharmascience présenterait une demande d'inscription limitée. Il semble donc que Pharmascience ne peut éviter la contrefaçon du brevet 457 qu'en prenant des mesures concrètes pour limiter la commercialisation. Ces mesures auraient dû être divulguées dans l'avis d'allégation.

[37]       J'estime que l'allégation de Pharmascience à cet égard est assimilable à une « simple affirmation de non-contrefaçon » . La preuve ultérieure concernant l'inscription limitée allait beaucoup plus loin qu'une preuve fournie pour « expliquer les raisons pour lesquelles l'allégation de non-contrefaçon constituait une preuve suffisante » . Il en est ainsi parce que, sans les affidavits et les renseignements fournis postérieurement, rien dans l'avis d'allégation ne permettait à Aventis de comprendre pourquoi une pilule qui ressemble à son médicament breveté servant au traitement de l'insuffisance cardiaque et qui a les mêmes effets ne serait pas utilisée à cette fin.

Omission de fournir un énoncédu droit et des faits qui démontre que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 sont invalides pour cause de double brevet

[38]       En ce qui concerne le brevet 206 et la question du double brevet, Pharmascience affirme, dans son avis d'allégation, que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12, qui visent le ramipril sont invalides [traduction] « parce qu'elles ne visent pas un élément brevetable distinct de celui visé par les revendications [des brevets 087 et 457] » . Aventis prétend que l'avis d'allégation est insuffisant à cet égard, même lorsque l'on tient compte de lnoncé détaillé. Je ne suis pas d'accord avec cette prétention.


[39]       Dans lnoncé détaillé qui est joint à l'avis d'allégation, Pharmascience décrit assez longuement les raisons pour lesquelles elle allègue l'invalidité. Elle expose son interprétation des faits liés à la délivrance des brevets pertinents ainsi que son appréciation des règles de droit applicables en cas de double brevet. À partir de ces informations, Aventis a été en mesure de rassembler une preuve par affidavits ainsi que des arguments juridiques lui permettant de répondre àcette question éminemment juridique. Je ne peux pas conclure qu'Aventis ne connaissait pas à fond les motifs invoqués par Pharmascience pour étayer son allégation d'invalidité.

Omission d'examiner la revendication 13

[40]       L'avis d'allégation doit viser toutes les revendications du brevet dans lesquelles est décrit l'essentiel de l'invention. En l'espèce, il est évident que Pharmascience devait viser chacune des revendications des trois brevets qui concernent le ramipril. Elle l'a fait. Aventis soutient que Pharmascience aurait dû également tenir compte de la revendication 13 du brevet 206.

[41]       Nul ne conteste le fait que le ramipril, après administration à des malades, est métabolisé en ramiprilate. Comme l'indique la monographie de produit de Pharmascience, le ramipril est rapidement hydrolysé en ramiprilate après absorption par voie buccale. Le ramiprilate est visé par la revendication 13 du brevet 206. Dans son avis d'allégation, Pharmascience déclare qu'il n'y aura pas contrefaçon de la revendication 13. Aventis soutient, qutant donnéla transformation que subit le ramipril après avoir été administré, l'absence de contrefaçon de la revendication 13, alléguée par Pharmascience, n'est pas fondée.


[42]       Pour statuer que l'allégation n'est pas fondée en ce qui concerne la revendication 13, j'aurais dû conclure que Pharmascience était tenue non seulement de viser le composé de ramipril mais aussi tout métabolite du ramipril. La simple lecture du Règlement ne permet pas de tirer une telle conclusion. Suivant le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, la seconde personne n'a quexaminer les questions de contrefaçon des revendications pour le médicament. En l'espèce, le médicament en cause est le ramipril et non le ramiprilate. C'est pourquoi j'estime que ce qui arrive au ramipril après ingestion n'est pas pertinent pour déterminer la suffisance de l'avis d'allégation.

Conclusion

[43]       Comme l'avis d'allégation de Pharmascience n'expose pas des faits permettant de justifier l'allégation selon laquelle la commercialisation de son produit ne contrefera pas le brevet 457, je conclus que ledit avis n'est pas un avis d'allégation et un énoncé détaillé au sens du Règlement. À cet égard, la demande d'Aventis devrait être accueillie. Toutefois, dans l'hypothèse où j'aurais tort de tirer une telle conclusion, je vais maintenant analyser l'allégation concernant le double brevet.

QUESTION #2 : DOUBLE BREVET

[44]       Comme l'a dit le juge Binnie au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundations Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, par. 37, « Le monopole conféré par un brevet ne devrait s'acquérir qu'au prix de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes » . Ainsi, un monopole ne devrait pas être conféré ni des inventions antérieures être « renouvelées à perpétuité » grâce à des ajouts évidents ou non inventifs (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, par. 37 (ci-après Camco)).


[45]       Pharmascience soutient qu'il s'agit en l'espèce d'une simple question de renouvellement àperpétuité, qu'Aventis tente, par un moyen détourné, de prolonger son brevet expiré en ce qui concerne le ramipril. La règle interdisant le double brevet empêche de le faire. En effet, en déposant tout simplement la présente demande, Aventis a automatiquement obtenu une prolongation de deux ans de son brevet 087 qui a expiré le 4 novembre 2002. Maintenant que le brevet 087 est expiré, la brevetée ne devrait pas avoir le droit, grâce à un brevet connexe, de prolonger son monopole.

[46]       Il s'agit certes làde l'un des aspects de la question. Cependant, une fois examinés tous les brevets pertinents possibles, il se peut que, par suite d'une décision de notre Cour, un brevet expiré semble entraîner le maintien d'un monopole. On ne devrait pas considérer qu'il s'agit d'un renouvellement à perpétuité; on reconnaît simplement que des brevets, autres que le brevet expiré, sont encore en vigueur et que les droits des titulaires de ces brevets doivent être reconnus. Le monopole s'applique, comme il le devrait, au brevet en vigueur jusquson expiration. Telle est la situation pour les brevets de genre et les brevets de sélection qui seront examinés plus loin.

Que nous enseigne l'arrêt Camco au sujet du double brevet?

[47]       Les deux parties ont longuement fait état des commentaires du juge Binnie dans l'arrêt Camco. Dans cet arrêt, le juge Binnie a analysé les règles de droit applicables au double brevet. Àpartir du paragraphe 63, il a dit que l'interdiction du double brevet est rattachée au problème du « renouvellement à perpétuité » ; il a ajouté :


L'inventeur n'a droit qu'à « un » brevet pour chaque invention : Loi sur les brevets, par. 36(1). Si un brevet comportant des revendications identiques est délivré ultérieurement, il y a prolongement irrégulier du monopole. Il est clair que l'interdiction du double brevet implique une comparaison des revendications plutôt que des divulgations, car ce sont les revendications qui définissent le monopole. La question est de savoir à quel point les revendications du brevet ultérieur doivent être « identiques » pour justifier l'invalidation.

[48]       Le juge Binnie a expliqué les deux catégories de double brevet. La première catégorie, où il y a « identité » des revendications, a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Beecham Canada Ltd. c. Procter & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1, p. 22. Le juge a dit qu'il s'agissait du double brevet relatif à la « même invention » .

[49]       Comme dans l'arrêt Camco, on ne peut pas dire qu'il y a « identité » entre les revendications du brevet 206 et celles des brevets 087 ou 457. Le brevet 206 est un brevet de genre qui vise un très grand nombre de composés tandis que le brevet 087 visant le ramipril était un brevet de sélection ne visant qu'une partie ou une sélection des produits chimiques revendiqués dans le brevet de genre. Le brevet 457 est un brevet d'utilisation, revendiquant expressément le ramipril dans le traitement de l'insuffisance cardiaque. La question dont j'ai été saisie ne concerne pas un double brevet relatif à la « même invention » .

[50]       La deuxième catégorie de double brevet examinée par le juge Binnie est celle du double brevet relatif à une « évidence » . Au sujet de cette catégorie de double brevet, le juge Binnie a dit ce qui suit aux paragraphes 66 et 67 :


L'interdiction comporte toutefois un deuxième volet qui est parfois appelé le double brevet relatif à une « évidence » . Il s'agit d'un critère plus souple et moins littéral qui interdit la délivrance d'un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du brevet antérieur. Dans Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, la question était de savoir si Farbwerke Hoechst pouvait obtenir un brevet pour un médicament qui constituait une version diluée d'un autre médicament qu'elle avait déjà fait breveter. Il n'y avait pas d'identité des revendications. Le juge Judson a néanmoins conclu à l'invalidité du brevet ultérieur en expliquant, à la p. 53 :

[traduction] Une personne a droit à un brevet pour une substance médicinale nouvelle, utile et inventive; toutefois, le fait de diluer cette nouvelle substance une fois que ses usages médicaux sont déterminés ne crée pas une nouvelle invention. La substance diluée et la substance non diluée ne sont que deux aspects de la même invention. En l'espèce, l'addition d'un véhicule inerte, qui constitue un moyen courant d'augmenter le volume et de faciliter ainsi les mesures et l'administration, n'est rien d'autre que de la dilution et ne crée pas une nouvelle invention. [Je souligne.]

Dans l'arrêt Consolboard, précité, le juge Dickson a qualifié l'arrêt Farbwerke Hoechst d' « arrêt qui fait autorité en matière de double brevet » (p. 536) et qui appuie la proposition selon laquelle un second brevet ne saurait être justifié que si les revendications font preuve « de nouveauté ou d'ingéniosité » par rapport au premier brevet :

Le juge Judson a dit, au nom de la Cour, que le second procédé ne comportait pas de nouveauté ou d'ingéniosité et qu'en conséquence le second brevet n'était pas justifié.

[51]       C'est de cette deuxième catégorie de double brevet dont il est question en l'espèce.

Le concept du double brevet relatif à une évidence peut-il s'appliquer lorsque les inventeurs ou les brevetés sont différents?

[52]       Aventis et Schering prétendent qu'il ne peut y avoir double brevet relatif àune évidence lorsque les inventeurs sont différents. Aventis soutient que les mots du juge Binnie au paragraphe 63 de l'arrêt Camco, où il dit que « [l]'inventeur n'a droit qu"un" brevet pour chaque invention » , indiquent clairement que le concept du double brevet ne peut s'appliquer que lorsque l'on est en présence du même inventeur. En l'espèce, Mme Smith et son équipe sont les inventeurs désignés du brevet 206 et M. Becker et son groupe sont les inventeurs du brevet 087. Aventis souligne en outre que les brevetés sont différents.


[53]       Il n'y a aucune décision dans la jurisprudence canadienne qui traite directement de cette question et qui pourrait m'aider à déterminer si le concept du double brevet peut s'appliquer lorsque les inventeurs ou les brevetés sont différents. Le juge Binnie parle de souplesse dans le cas du double brevet relatif àune évidence, mais dans l'affaire dont il avait été saisi, la défenderesse, Whirlpool, était titulaire des deux brevets en cause. C'est-à-dire que Camco alléguait que les revendications de l'un des brevets de Whirlpool (le brevet 734) ntaient pas distinctes, au plan de la brevetabilité, des revendications d'un autre brevet de Whirlpool (le brevet 803). Même si les inventeurs étaient différents, ils étaient tous des chercheurs de Whirlpool. Par contre, dans l'affaire dont j'ai été saisie, les parties qui ont demandé les premiers brevets ntaient manifestement pas les mêmes et les inventeurs ont travaillé séparément pour mettre au point leurs inventions.

[54]       Enfin, en ce qui concerne l'arrêt Camco, je signale que l'argument du double brevet invoqué par Camco a été rejeté parce que celle-ci n'avait pas fourni un fondement factuel suffisant pour invalider les revendications du brevet 734. En d'autres mots, Camco n'avait pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités et comme il le lui incombait, que le brevet était invalide.

[55]       En conclusion, je ne pense pas que l'arrêt Camco devrait être considéré comme déterminant pour les positions qu'ont fait valoir les parties devant moi. Eu égard aux faits de cette affaire, la question ne s'est pas posée de façon suffisamment claire pour constituer un précédent faisant autorité.

[56]       Qu'en est-il donc en l'espèce?


[57]       Àmon avis, il est inutile de mettre l'accent sur les inventeurs ou les brevetés. Selon la jurisprudence, ce sont les principes de base et les revendications qui importent. Comme l'a souligné la Cour suprême du Canada, un brevet est un « marché » . Dans l'arrêt Camco, le juge Binnie a dit au paragraphe 37 :

[L]e marché conclu entre le breveté et le public est dans l'intérêt des deux parties seulement si le titulaire du brevet acquiert une protection réelle en échange de la divulgation de son invention et que, de son côté, le public ne lui accorde pas un monopole excédant la période légale de 17 ans à partir de la date de délivrance du brevet (qui est désormais de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet).

[58]       Si on reprend le terme « marché » , chaque partie, le breveté et le public, doit recevoir quelque chose. Si l'invention n'est pas nouvelle, le breveté jouira d'une période de protection pour laquelle il n'a pas à fournir « de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes » (Camco, par. 37); il aura obtenu « quelque chose sans rien fournir en retour » (Free World Trust c. Électro Santé, Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, par. 13). Dans un tel cas, le public ne reçoit aucune contrepartie dans le marché conclu. Cela serait vrai, que les inventeurs ou les brevetés soient les mêmes ou non. Si les revendications des deux brevets ne sont pas distinctes, au plan de la brevetabilité, cela aurait pour effet de prolonger le brevet original comme l'a indiqué la Cour suprême dans Canada (Commissioner of Patents) c. Farbwerke Hoechst Aktien - Gesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49; 41 C.P.R. 9. Dans cet arrêt, la Cour suprême a refusé de reconnaître un nouveau brevet concernant une substance qui était en réalité la simple dilution d'un médicament visé par un brevet déjà en vigueur.


[59]       Je ne limiterais donc pas l'application du concept du double brevet relatif à une évidence aux mêmes brevetés ou inventeurs. Dans l'examen de chaque cas, l'accent doit être mis sur les revendications qui constituent l'invention et non sur les personnes ou parties qui les font valoir. Une allégation d'invaliditépourrait avoir un certain fondement si les revendications d'un brevet ne sont pas distinctes, au plan de la brevetabilité, de celles d'un autre brevet.

[60]       Il est vrai que, dans la jurisprudence canadienne traitant du concept du « renouvellement à perpétuité » , les tribunaux ont employé le terme « monopole » pour décrire la situation que ce principe cherche à éviter. Il est également vrai que les tribunaux canadiens n'ont jamais considéré ou conclu que ce concept s'applique aux cas où les brevetés sont différents. Je ne crois toutefois pas devoir inévitablement considérer, comme l'ont soutenu Aventis et Schering, qu'une telle conclusion n'est possible que dans un cas où les brevetés ou les inventeurs sont les mêmes. Grâce à la diligence du commissaire des brevets et à cause des dispositions de la Loi sur les brevets qui interdisent la délivrance de brevets lorsque des revendications ne sont pas distinctes sur le plan de la brevetabilité, il y a rarement double brevet. Dans les cas où cela se produit - comme en l'espèce - je ne vois aucune raison de rejeter l'allégation d'invaliditépour le simple motif que la jurisprudence n'a pas tranché cette question.

[61]       Il faut donc déterminer si les revendications de l'un des brevets en cause sont distinctes, au plan de la brevetabilité, des revendications de l'autre brevet. Pour répondre àcette question, il faut examiner les liens qui existent entre les revendications concernant le ramipril dans les deux brevets.


Quels sont les liens entre le brevet 206 et le brevet 087?

[62]       Àmon avis, les liens qui existent entre le brevet 206 et le brevet 087 ressemblent beaucoup à ceux qui ont été décrits dans l'affaire Pfizer c. Apotex (1997) 77 C.P.R. (3d) 547. Apotex alléguait dans cette affaire que le brevet de Pfizer concernant le fluconazole, un antifongique servant au traitement des infections graves systémiques et superficielles, était évident compte tenu du brevet d'ICI. Les revendications du brevet d'ICI visaient généralement une large catégorie de composés décrits comme étant des triazoles et des imidazoles fongicides. Le brevet 263 d'ICI a été délivré le 3 juillet 1984, longtemps après que Pfizer eut déposé son brevet le 4 juin 1982. Il ntait pas contesté que la portée générique large des revendications du brevet d'ICI englobait le fluconazole. Le juge Richard (tel était alors son titre) a examiné les liens existant entre les deux brevets :

Le brevet d'ICI est un brevet d'origine tandis que celui de Pfizer est un brevet de sélection. Le premier revendique le genre; le deuxième l'espèce. Le brevet n º 263 d'ICI vise généralement les triazoles et les imidazoles fongicides. Le fluconazole n'y est pas expressément décrit, non plus que son efficacité supérieure et antérieurement inconnue n'est décrite ou connue. Le brevet d'ICI n'incluait pas le composé appelé fluconazole. ICI n'était pas le premier inventeur de ce composé et elle ne l'a jamais fabriqué.

[...]

Je conclus que le fluconazole, objet du brevet de Pfizer, possède des propriétés inattendues et valables que ne possèdent pas les composés les plus proches par leurs structures divulgués dans le brevet d'ICI [...]

[63]       En conséquence, le juge Richard a conclu que l'allégation d'invalidité pour cause dvidence devait être rejetée.

[64]       Comme je l'ai dit, l'affaire dont j'ai été saisie est semblable pour les motifs suivants :


_     le brevet 206 comporte des revendications visant une large catégorie de composés dont certains comprennent du ramipril (élément semblable au brevet d'origine d'ICI);

_     le brevet 087 comprend des revendications ne visant que le ramipril (élément semblable à Pfizer (brevet de sélection));

_     les inventeurs des brevets 087 et 206 sont différents;

_     le ramipril est considérablement plus efficace pour inhiber l'ECA que les autres stéréoisomères du brevet 206.

Chacune des revendications du brevet 087 visant le ramipril et du brevet de Pfizer examinées par le juge Richard vise une invention qui ajoute [traduction] « quelque chose de substantiel à des connaissances existantes » (In the Matter of I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents(1930), 47 R.P.C. 289, p. 322). Ainsi, comme ctait le cas devant le juge Richard, j'ai été saisie d'un brevet de genre (le brevet 206) et d'un brevet de sélection (le brevet 087).

[65]       M'appuyant sur le dossier dont j'ai été saisie, je suis convaincue que la date de l'invention du brevet 206 était antérieure à la date de l'invention visée par les brevets 457 ou 087. Les dates de priorité sont les suivantes :


_     brevet 206 -     23 octobre 1980

_     brevet 087 -     5 novembre 1981

_     brevet 457 -     12 avril 1984

[66]       Les faits dont il est question en l'espèce ne sont pas sensiblement différents de ceux qu'a examinés le juge Richard. Par conséquent, à première vue, l'allégation relative à lvidence est rejetée.

[67]       En l'espèce, il y a deux différences que je dois examiner avant de tirer une conclusion définitive. La première est l'existence d'un contrat de licence intervenu entre les brevetés; la deuxième concerne les dates relatives des inventions par rapport aux dates de délivrance des brevets.

Quel est l'effet du contrat de licence?

[68]       Pharmascience affirme que Schering a « joui » des avantages résultant de son brevet grâce aux redevances qu'elle a touchées depuis 1986, la date de prise d'effet du contrat de licence conclu avec Hoescht. Elle soutient essentiellement que Schering, ayant tiré avantage du fait qu'elle prétendait avoir un brevet, ne devrait pas pouvoir en profiter plus longtemps.

[69]       Le problème que pose cet argument est que les droits conférés par un contrat de licence sont limités et qu'on ne peut nullement les comparer à ltendue de la protection offerte par un brevet et par les dispositions législatives applicables aux brevets. Les droits acquis par Schering en vertu de ce contrat ntaient opposables qul'autre partie àl'accord - en l'occurrence Hoechst ou son ayant droit, Aventis.


[70]       Je souligne en outre que rien ne garantissait, en 1986, que le brevet serait jamais accordé. Les procédures en cas de conflit ntaient encore qu'une éventualité et auraient pu entraîner un résultat différent. Le risque que le brevet 206 ne soit jamais délivré était encore important pour Schering à lpoque.

[71]       Bien que l'on m'ait soumis des éléments de preuve indiquant que le contrat de licence est daté de 1986, je ne sais pas grand chose d'autre à ce sujet. J'ignore quand il a été conclu et quelle en était la contrepartie. J'ignore également s'il existe d'autres ententes accessoires concernant la possibilité que le brevet ne soit jamais délivré.

[72]       En résumé, j'accorde peu de poids au contrat de licence en tant que preuve que Schering avait tiré profit du brevet depuis 1986. Les avantages qu'elle a pu en tirer se limitaient à une seule partie et n'ont pas éliminé la possibilitéque le brevet pourrait ne jamais être accordé.

[73]       Toutefois, même si àcause du contrat de licence on devait considérer que Schering et Aventis sont les mêmes brevetées, j'accorderais peu de poids à cette conclusion. Comme je l'ai déjà souligné, l'accent doit être mis sur les inventions à l'origine des revendications. Aucune disposition de la Loi n'empêche les mêmes brevetés de mettre au point de nouvelles inventions qui peuvent ensuite être brevetées.

Quelle est la date à laquelle il convient d'apprécier l'argument fondésur le double brevet relatif à une évidence?


[74]       L'analyse de l'argument avancé par Pharmascience commence avec les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206. Nul ne conteste que ces revendications visent le ramipril. Tant le professeur Ronald H. Kluger, qui a souscrit un affidavit pour Pharmascience, que M. David J. Triggle, qui a souscrit un affidavit pour Aventis, en sont arrivés à cette conclusion.

Témoignages de MM. Kluger et Triggle

[75]       M. Kluger est titulaire d'un doctorat en chimie organique et d'une bourse de recherche postdoctorale en biochimie. Il occupe à l'heure actuelle le poste de directeur adjoint des études supérieures en chimie à l'Universitéde Toronto. Pharmascience lui a demandéde déterminer si le composé chimique appelé ramipril était inclus dans les brevets 206, 087 et 457, et de préciser quelles revendications visaient le ramipril. On peut résumer ces conclusions de la manière suivante :

_     Les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 visent le ramipril et, comme elles ne se limitent pas aux produits obtenus par un procédé particulier, elles visent le ramipril obtenu par n'importe quel procédé.

_     En ce qui concerne le brevet 087, le ramipril est visé par les revendications 1, 2, 3, 4, 5 et 6.

_     Pour ce qui est du brevet 457, les revendications 1 (sous réserve de la correction d'une erreur manifeste), 2, 3 et 8 visent le ramipril.


_     Dès mars 2001, date de la délivrance du brevet 206, il aurait été évident pour tout chimiste connaissant bien la structure chimique du ramipril que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 visaient manifestement les composés revendiqués dans les revendications 2, 4 et 6 du brevet 087.

_     Dès mars 2001, il aurait été évident pour un chimiste connaissant bien la structure chimique du ramipril que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 visaient manifestement la composition contenant du ramipril revendiquée dans les revendications 1 (si elle était corrigée comme il l'avait proposé), 2, 3 et 8 du brevet 457.

[76]       M. Kluger n'a pas été contre-interrogé sur son affidavit.

[77]       M. Triggle est titulaire d'un doctorat en chimie et est professeur à la School of Pharmacy and Pharmaceutical Sciences de la State University of New York àBuffalo. Aventis lui a demandé d'examiner l'avis d'allégation de Pharmascience ainsi que les brevets 206 et 087. Les points saillants de son affidavit sont les suivants :

_     Alors que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 revendiquent une formule générale qui, après certaines substitutions, comprendraient du ramipril, il n'est nulle part question du composé ramipril dans la divulgation ou les revendications du brevet 206.


_     Le brevet 206 n'indique pas à une personne versée dans le domaine que les composés revendiqués seraient utiles dans le traitement de l'insuffisance cardiaque.

_     Le brevet 087 n'indique pas à une personne versée dans le domaine que les composés revendiqués sont utiles dans le traitement de l'insuffisance cardiaque.

_     Dans le cas du ramipril, une personne versée dans le domaine n'aurait pas été en mesure de prévoir, au début des années 1980, que les stéréoisomères du ramipril présenteraient une activitébiologique accrue, y compris ceux décrits dans le brevet 206; de plus, une personne versée dans le domaine n'aurait pas été en mesure de prévoir l'importance de cette activité accrue. En conséquence, même si le stéréoisomère du ramipril est visé par les revendications du brevet 206, une personne versée dans le domaine n'aurait pas été en mesure de prévoir que ce stéréoisomère aurait présenté une activitéconsidérablement accrue, et cette activité accrue n'aurait pas été évidente.

[78]       M. Triggle n'a pas été contre-interrogé sur son affidavit.


[79]       Il semble à première vue y avoir une contradiction entre les conclusions de M. Triggle et celles de M. Kluger. Ce dernier affirme qu'il aurait été évident pour un chimiste connaissant bien la structure chimique du ramipril que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 visent manifestement les composés revendiqués dans les revendications 2, 4 et 6 du brevet 087. Pour sa part, M. Triggle affirme que, bien que le stéréoisomère de ramipril soit visé par les revendications du brevet 206, une personne versée dans le domaine n'aurait pas pu prévoir, et il n'aurait pas été évident pour elle, que le ramipril aurait présenté une activitéconsidérablement accrue concernant ses stéréoisomères (le brevet 087) ou que les composés revendiqués seraient utiles dans le traitement de l'insuffisance cardiaque (le brevet 457).

[80]       Il est facile d'expliquer cette contradiction apparente. M. Kruger a évalué lvidence en mars 2001, date de la délivrance du brevet 206. En 2001, les revendications contenues dans les brevets 457 et 087 étaient connues et reconnues depuis plus de 15 ans. M. Kluger a dit qu'un chimiste ayant à sa disposition du ramipril et les renseignements contenus dans les deux brevets particuliers visant le ramipril pourrait facilement en arriver aux revendications du brevet 206 qui visent le ramipril. Sa conclusion n'est pas illogique puisque la preuve démontre que les revendications du brevet 087 et du brevet 457 coïncident avec celles du brevet 206. On n'a pas demandéà M. Kluger si, àson avis, les revendications du brevet 206 auraient été évidentes pour un chimiste en 1981 lorsque la demande de brevet 206 a été présentée et lorsque, comme l'indique la preuve, l'invention indiquée dans les revendications de genre a été faite. Nous ignorons quel aurait été son avis quant à lvidence s'il était parti de cette hypothèse. Il aurait très bien pu être d'accord avec M. Triggle.

[81]       On a demandé à M. Triggle d'utiliser 1981 comme date de référence. Nous ignorons quel aurait été son avis quant à lvidence s'il avait présumé que la date pertinente était 2001. Il aurait très bien pu être d'accord avec M. Kluger.


[82]       Quelle date doit-on utiliser? Pharmascience allègue que les revendications du brevet 206 sont invalides pour cause de double brevet en s'appuyant sur une appréciation de lvidence faite à partir de la date de délivrance du brevet, soit mars 2001. Au cours des plaidoiries, Pharmascience a reconnu l'importance pour sa thèse d'utiliser l'année 2001. Si je conclus que la date de référence correcte est 1981 et non 2001, son argument fondé sur le double brevet scroule.

[83]       Permettez-moi d'exposer le point de vue de Pharmascience quant à la chronologie des événements et quant à l'applicabilité de l'argument fondé sur le double brevet.

_     Premièrement, nous avons le brevet 087 qui a été délivré le 15 mai 1985.

_     Deuxièmement, nous avons le brevet 457 qui a été délivré le 15 août 1985.

_     Enfin, nous avons le brevet 206 qui a été délivré en mars 2001 et dont les revendications visant les composés qui comprenaient le ramipril étaient, en 2001 (selon M. Kluger), évidentes.


[84]       Ainsi, de l'avis de Pharmascience, nous nous trouvons dans une situation où Schering fait face à un dilemme en ce qui a trait au double brevet relatif à une évidence. Selon Pharmascience, il en résulte que Schering, grâce à ce renouvellement à perpétuité, empêche des compagnies génériques de profiter du brevet 087 qui est expiré afin de commercialiser le ramipril pour le traitement de l'hypertension. Cette situation, selon Pharmascience, est exactement ce que le juge Binnie avait en tête lorsqu'il a fait ses commentaires dans l'arrêt Camco.

Date de l'invention par opposition à date du brevet

[85]       Àmon avis, c'est la date de l'invention et non celle du brevet qui devrait servir en l'espèce à déterminer lvidence. Ce choix s'explique par le fait que le brevet 206 a été délivré sous l'ancien régime applicable aux brevets avant 1982. Lorsque la question de lvidence est soulevée, la Cour doit examiner les revendications. Les revendications découlent d'une invention et non de la délivrance du brevet. Le brevet confirme les revendications et confère certains droits au breveté, mais il s'agit d'un mécanisme prévu par la loi et non d'un mécanisme qui crée l'invention. Il semble donc logique d'analyser la situation en se servant des dates relatives de l'invention.

[86]       De la manière dont la Loi sur les brevets s'applique à l'heure actuelle, le problème dont j'ai été saisie ne se poserait pas. Toutefois, ce n'est pas ce régime qui s'applique aux brevets en cause et je dois examiner s'il existe des arguments qui justifieraient la modification du déroulement logique des événements.


[87]       Le plus important de ces arguments est que la protection conférée à Schering par le brevet 206 stend bien au-delà des 17 ans suivant la date de l'invention. Il semble qu'utiliser la date de l'invention pour apprécier la question du double brevet relatif à une évidence entraîne une injustice. Comme je l'ai soulignéprécédemment, s'il avait été délivré à la date de l'invention ou vers cette date, le brevet 206 serait depuis longtemps expiré et Pharmascience n'aurait pas à alléguer la non-contrefaçon du brevet 206.

[88]       Bien que je reconnaisse cette injustice apparente, je dois également examiner quelle serait la situation de Schering si je décidais que la date de référence à utiliser est 2001. Dans un tel cas, Schering n'aurait pas eu l'avantage d'un brevet au cours de la période de 1981 à 2001 et elle serait également privée de sa contrepartie du « marché » en 2001. Il en résulterait que la brevetée ne recevrait rien pour son invention en ce qui concerne les revendications qui visent le ramipril. Cela serait injuste, notamment parce que le délai dans la délivrance du brevet ne peut pas être attribué à Schering. Malheureusement pour elle, Schering était soumise à l'application des anciennes règles régissant la procédure en cas de conflit.

In re Bratt

[89]       Les tribunaux canadiens n'ont pas examiné la situation qui m'a été soumise, savoir un cas où les parties ne s'entendent pas sur les dates devant servir à déterminer s'il y a évidence. Aventis m'a toutefois invitée à me reporter àune décision rendue aux États-Unis, In re Bratt 19 VSPQ2d 1289 C.A. (Fed. Cir. 1991). Contrairement à ce qu'affirme Pharmascience, il peut être utile de consulter la jurisprudence d'un autre pays de common law, même si je ne suis pas liée par celle-ci.


[90]       Dans l'arrêt Bratt, la Cour d'appel a entendu l'appel interjeté d'une décision du Patent and Trademark Office des États-Unis (le PTO). Le conseil du PTO avait rejetéles revendications du brevet de Bratt pour cause de double brevet relatif à une évidence. Les deux revendications de brevet en cause étaient le brevet Dil qui avait été délivré le 13 juin 1979 après le dépôt d'une demande le 31 janvier 1979, et la demande de Bratt, déposée le 12 juillet 1978, qui prétendait avoir priorité sur une demande de brevet déposée aux Pays-Bas le 3 avril 1978.

[91]       L'examinateur du PTO et, par la suite, le conseil ont rejeté certaines des revendications de la demande de Bratt pour le motif qu'elles ntaient pas distinctes, au plan de la brevetabilité, d'autres revendications pertinentes du brevet Dil.

[92]       Dans l'arrêt Bratt, la Cour a annulé la décision du conseil. Elle a statué que le rejet pour cause de double brevet ne pouvait être justifié que si les revendications du brevet Dil ntaient pas distinctes, au plan de la brevetabilité, de celles de la demande de Bratt. La Cour a statué qu'elle devait procéder à une détermination « réciproque » . Le conseil devait non seulement examiner si les revendications de Bratt étaient évidentes par rapport à celles contenues dans le brevet Dil, mais il devait également déterminer si les revendications contenues dans le brevet Dil étaient évidentes par rapport aux revendications de Bratt. Après avoir examiné la preuve dont elle avait été saisie, la Cour a statué que les revendications du brevet Dil étaient distinctes, au plan de la brevetabilité, des revendications de la demande de Bratt et elle a rejeté l'allégation de double brevet. En tirant cette conclusion, la Cour a également pris note du fait que ce ntait pas la faute de la partie qui revendiquait les droits de Bratt si les revendications du brevet Dil avaient été rendues publiques en premier.


[93]       La Cour a également reconnu dans l'arrêt Bratt que si elle faisait droit à la demande de Bratt, cela entraînerait une prolongation temporelle de la protection par brevet des revendications de Dil. Elle a estimé qu'il s'agissait d'un cas où la prolongation était justifiée.

[94]       Le raisonnement suivi par la Cour pour exiger l'analyse de la question de savoir si les revendications du brevet Dil étaient évidentes par rapport aux revendications de Bratt est, à mon avis, logique. Dans la demande dont j'ai été saisie, les brevets 087 et 206 sont dans une situation similaire pour les motifs suivants :

a)         le brevet 087 a été délivré avant le brevet 206 même si la demande concernant le brevet 206 a été déposée en premier;

b)         le délai dans la délivrance du brevet 206 ntait pas attribuable à Schering.


L'application à la présente espèce du raisonnement suivi dans l'arrêt Bratt m'oblige à examiner si les revendications du brevet 087 sont évidentes par rapport aux revendications concernant le ramipril dans le brevet 206. M. Kluger n'a pas fait cette analyse. Seul M. Triggle s'est penché sur cette question et il a conclu qu'il aurait été difficile de [traduction] « prévoir que ce stéréoisomère [ramipril] aurait présenté une activitéconsidérablement accrue, et cette activité accrue n'aurait pas été évidente » . Ni ses compétences ni ses conclusions n'ont été contestées. M'appuyant sur son témoignage, je conclus que les revendications du brevet 087 ne sont pas évidentes par rapport aux revendications du brevet 206. Selon la logique de l'arrêt Bratt, l'argument fondé sur le double brevet relatif à une évidence ne peut pas être retenu.

RÉSUMÉSUR LA QUESTION # 2

[95]       En ce qui concerne cette question, je conclus que les revendications du brevet 206 ne sont pas invalides pour cause de double brevet. Il ne s'agit pas en l'espèce d'un renouvellement à perpétuité du brevet 087. Il s'agit plutôt d'une reconnaissance des droits du titulaire du brevet 206. Bref, bien que le concept du double brevet ne se limite pas nécessairement aux mêmes brevetés ou aux mêmes inventeurs, compte tenu des faits de l'espèce :

_     à la date de l'invention visée par les revendications du brevet 206 qui concernent le ramipril, les revendications du brevet 087 ntaient pas évidentes;

_     le brevet 087 est un brevet de sélection tiré du brevet 206 et est donc distinct, au plan de la brevetabilité, du brevet 206;

_     le délai dans la délivrance du brevet 206 ntait pas attribuable à Schering, la brevetée, dont les droits sur le brevet n'ont pas étépleinement protégés jusqula délivrance du brevet en 2001;

_     la prolongation des droits conférés par le brevet à Schering pendant toute la durée de son brevet, soit 17 ans, est justifiée;


_     le contrat de licence intervenu entre Schering et Aventis importe peu puisque les droits que ce contrat a conférés à Schering ne sont pas équivalents aux droits conférés par le brevet.

[96]       Par conséquent, l'allégation de Pharmascience selon laquelle son ramipril ne contrefera pas les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 n'est pas fondée. Il s'agit d'un motif suffisant pour accueillir la demande de Schering.

QUESTION #3 : CONTREFAÇON RÉSULTANT DE L'UTILISATION DU RAMIPRIL DE PHARMASCIENCE POUR LE TRAITEMENT DE L'INSUFFISANCE CARDIAQUE

[97]       Comme il a été mentionné précédemment, Pharmascience allègue la non-contrefaçon du brevet 457 pour le motif qu'elle ne demande pas son approbation pour le traitement de l'insuffisance cardiaque. Aventis soutient que le médicament générique sera utilisé par des patients pour le traitement de l'insuffisance cardiaque, ce qui contrefait le brevet 457.

[98]       Étant donné que j'ai conclu que l'avis d'allégation est insuffisant et que l'allégation de non-contrefaçon du brevet 206 n'est pas fondée, l'interdiction demandée par Aventis sera accordée peu importe la décision rendue relativement au brevet 457. Bien que cette question ne revête pas simplement un intérêt théorique, elle n'est certainement pas déterminante pour la demande dont j'ai été saisie. L'interdiction qui sera accordée s'appliquera, peu importe la décision qui pourrait être rendue sur le fond quant aux observations faites par Aventis sur cette question particulière.


[99]       Je signale que le brevet 457 expire en décembre 2005 - soit longtemps avant le brevet 206. C'est pourquoi toute décision rendue sur cette question accessoire ne s'appliquerait que pendant une très courte période. Par conséquent, il est inutile que j'examine cette question.

CONCLUSION

[100]    Pour les motifs qui précèdent, la demande d'interdiction sera accueillie. Il sera interdit au ministre de délivrer l'avis de conformité.

[101]    La question des dépens a été abordée par les parties au début de l'audience. Après avoir examiné les observations des parties, compte tenu du fait que des dépens devraient être accordés aux parties qui ont eu gain de cause (Aventis et Schering) et compte tenu des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles de la Cour fédérale (1998)en ce qui concerne l'adjudication des dépens, j'exercerai donc mon pouvoir discrétionnaire pour ordonner que des dépens soient attribués à Aventis et Schering et taxés conformément aux directives suivantes :

1)          les dépens doivent être taxés selon le montant moyen de la colonne III du tarif B;

2)          Aventis a droit aux dépens pour le second avocat;

3)          Schering n'a pas droit aux dépens pour le second avocat;

4)          Aventis et Schering ont droit à des débours raisonnables.


[102]    En donnant ces directives quant aux dépens, je reconnais la valeur de l'argument de Pharmascience selon lequel Aventis et Schering ne devraient pas avoir droit toutes les deux aux dépens. Toutefois, j'ai rejeté cet argument pour le motif que les deux parties ont contribuéde façon importante à la demande. Aventis et Schering m'ont beaucoup aidée.

« Judith A. Snider »

____________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                    T-482-03

INTITULÉDE LA CAUSE :                                            AVENTIS PHARMA INC. ET AL.

                      c. PHARMASCIENCE INC. ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                               VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                             LES 7, 8 ET 9 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                   MADAME LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                                   LE 11 MARS 2005

COMPARUTIONS:

Gunars A. Gaikis / David Morrow /                                POUR LES DEMANDERESSES

J. Sheldon Hamilton

Don H. MacOdrum / Mark S. Mitchell                            POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE INC.

Anthony G. Creber                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

SCHERING CORPORATION

Eric Petersen                                                                POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Smart & Biggar                                                                         POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

Lang Michener LLP                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                         PHARMASCIENCE INC.

Gowling Lafleur Henderson LLP                                               POUR LA DÉFENDERESSE

Ottawa (Ontario)                                                           SCHERING CORPORATION

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                             LE MINISTRE DE LA SANTÉ

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