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Date : 20000211

Dossier : T-1530-98

Ottawa (Ontario), le 11 février 2000

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

ROBERT KING

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]                Lorsque Robert King s'est blessé au dos en tombant d'un véhicule de transport de troupes en 1968, il ne pouvait savoir que 30 ans plus tard il serait toujours en guerre avec l'administration des pensions des anciens combattants au sujet de sa pension d'invalidité. Nous sommes maintenant en 1999[1] et M. King présente une demande de contrôle judiciaire d'un nouvel appel d'un nouveau réexamen de l'estimation du degré de son invalidité aux fins de l'octroi d'une pension, au cours duquel il n'a pas eu gain de cause. Il fut un temps où la pension de M. King, même s'il ne la trouvait pas nécessairement suffisante, était considérablement plus généreuse que maintenant. En 1991, le directeur des Services de consultation médicale en matière de pensions (le directeur), qui n'avait pas examiné M. King ni même lu tout son dossier, a conclu que la pension accordée à M. King était beaucoup trop généreuse. Le directeur a recommandé des réductions considérables à l'évaluation de M. King aux fins de la pension et, nonobstant les conclusions auxquelles ses propres comités d'évaluation étaient arrivés, la Commission des pensions a donné suite à ces recommandations sans aviser M. King au préalable. Depuis lors, il cherche à obtenir que sa pension lui soit à nouveau versée au niveau antérieur.


[2]                Cette demande est la plus récente escarmouche dans ce combat. Datée du 24 juillet 1998, la présente demande vise à obtenir le contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal des anciens combattants (le Tribunal), en date du 8 mai 1998, par laquelle ce dernier confirmait une décision d'un comité d'évaluation en date du 11 décembre 1997. Dans une lettre datée du 2 juillet 1998, le Tribunal a communiqué son refus de réexaminer sa décision. La date de cette lettre est importante, puisque c'est à partir d'elle que M. King soutient que le délai de 30 jours pour la présentation de sa demande de contrôle judiciaire doit être déterminé[2]. Le défendeur plaide que la demande n'a pas été présentée dans les délais, puisque la décision a été communiquée en mai et que le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale porte que le délai court à partir de la date de la communication et non à partir de la date d'une procédure ultérieure. Bien que le défendeur interprète assez correctement la législation, dans les circonstances de la présente affaire j'exerce mon pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire jusqu'au 24 juillet 1998 inclus, soit jusqu'à la date de l'avis de demande. Je procède ainsi parce que je crois qu'il en va de l'intérêt de toutes les parties, y compris de l'intérêt de la Cour, que celles-ci cherchent à régler leurs divergences avant de s'en remettre à l'intervention des tribunaux. En conséquence, je suis disposé à proroger le délai pour permettre qu'on explore sérieusement d'autres possibilités que le recours aux tribunaux.

[3]                M. King cherche à faire annuler la décision du Tribunal pour quatre motifs :

- Le Tribunal n'a pas tiré toutes les conclusions favorables possibles à M. King et il n'a pas tranché en sa faveur toute incertitude au vu de la preuve, contrairement aux articles 39 et 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.R.C. 1985, ch. V-1.6.

- Le Tribunal n'a pas tenu compte de la preuve médicale non contredite.


- Le Tribunal n'a pas motivé sa décision de façon suffisante.

- Le Tribunal est arrivé à une décision qui n'est fondée sur aucune preuve.

[4]                L'historique des procédures en l'instance est très long et fort complexe. Le résumé suivant suffira aux fins de cette demande. Avant l'intervention du directeur, M. King avait été jugé admissible aux prestations de pension pour les trois affections suivantes :

- foulure lombaire - admissibilité complète

- anxiété chronique accompagnée de céphalées de tension nerveuse - admissibilité    3/5

- fracture du coccyx - admissibilité complète

[5]                Divers comités d'évaluation avaient évalué son degré d'invalidité en raison de ces affections. Avant l'intervention du directeur, l'évaluation de son invalidité en raison de ses affections était la suivante :

- foulure lombaire - 50 p. 100

- anxiété chronique accompagnée de céphalées de tension nerveuse - 60 p. 100

- fracture du coccyx - 0 p. 100


[6]                Suite à l'intervention du directeur, l'évaluation de M. King a été ramenée aux chiffres suivants le 12 novembre 1991 :

- foulure lombaire - 5 p. 100

- anxiété chronique accompagnée de céphalées de tension nerveuse - 0 p. 100

- fracture du coccyx - 0 p. 100

[7]                Par la suite, M. King a assiégé le Tribunal par une série de demandes, de réexamens et d'appels. Mais les épaisses portes de chêne du donjon du Tribunal n'ont pas cédé aux assauts de M. King, même si elles se sont entrouvertes de manière à autoriser de petites augmentations. À la date de l'évaluation qui fait l'objet de cette demande de contrôle judiciaire, soit en mai 1998, les efforts de M. King lui avaient permis d'obtenir les évaluations suivantes :

- foulure lombaire - 10 p. 100

- anxiété chronique accompagnée de céphalées de tension nerveuse - 9 p. 100

- fracture du coccyx - 5 p. 100

[8]                M. King fonde la présente demande de contrôle judiciaire sur le fait que le Tribunal a refusé d'augmenter ces évaluations suite à une preuve médicale additionnelle.


[9]                La preuve médicale présentée au comité d'évaluation consiste en une lettre du médecin de famille de M. King, le Dr Li, en date du 4 décembre 1997. Le Tribunal était aussi saisi d'une autre lettre du Dr Li, en date du 10 mars 1998, qui contenait des commentaires additionnels. Ces lettres sont reproduites ici :

[traduction]

4 déc. 1997

M. Scott F. Fowler

Fowler & Fowler

C.P. 721, 885, rue Main, pièce 11

Moncton (N.-B.)

E1C 8M9

Monsieur :

Re : M. Robert King

       44, Havenwood Court, Moncton (N.-B.)

Suite à mon rapport au ministère des Anciens combattants daté du 22 mai 1997, je constate que l'état de M. King n'a pas changé depuis 6 mois. Il continue à être grandement affecté par les trois affections majeures suivantes :

Foulure lombaire. Cette affection a été documentée par plusieurs autres médecins par le passé. M. King souffre toujours de douleurs irréductibles dans la région lombaire, accompagnées d'irradiations jusque dans le haut du dos, dans le cou et dans les deux jambes. Le patient affirme que la douleur est constante et que le simple fait de bouger l'accroît encore. Cela le gêne dans ses activités de la vie quotidiennes et l'empêche de participer à quelque activité physique ou de loisir que ce soit, en plus de perturber son sommeil et sa vie sexuelle. M. King prend actuellement de l'Indocid et du Tylenol no 3, et utilise une unité de stimulation nerveuse électrique transcutanée. Il doit porter une orthèse dorsale durant la majorité de ses heures de veille. Il a besoin d'aide pour s'habiller et faire sa toilette.

Lorsque j'ai examiné le patient, le 25 novembre 1997, j'ai noté une sensibilité marquée au toucher le long de la colonne et de la musculature lombaires, et les douleurs lombaires limitaient la flexion du patient vers l'avant (mains à mi-cuisse). L'élévation de la jambe tendue était normale. Les réflexes étaient aussi normaux. Le patient se déplaçait à l'aide d'une marchette et a pu parcourir lentement par lui-même un couloir de 20 pieds de longueur. Il a mentionné avoir souvent besoin d'un fauteuil roulant pour les longues sorties, ce qui arrive toutefois peu souvent. Signe physique important : le patient, à 254 livres, souffre d'une obésité morbide qui accentue indéniablement ses douleurs lombaires. En fait, comme il prétend ne pouvoir faire d'exercice pour perdre du poids, il a pris 30 livres depuis 1992.


Anxiété chronique accompagnée de céphalées de tension nerveuse. Le patient souffre d'une névrose d'angoisse qui se traduit chez lui par un état permanent de détresse modérée. Il est particulièrement préoccupé par son syndrome de douleur et le processus d'appel de la pension l'obsède au point de l'empêcher de mobiliser son énergie pour acquérir de meilleurs mécanismes d'adaptation à son état de douleur chronique. Il prétend être fort irascible et peut être très caractériel à la maison, ce qui est source de discorde au sein de sa famille. Lui et sa femme se sont d'ailleurs séparés à quelques reprises à cause de sa mésadaptation psychologique. Le patient se plaint aussi d'insomnies et de céphalées chroniques. Sa concentration et sa mémoire sont par moment médiocres, et son humeur souvent dépressive. Le patient tend à réagir de façon exagérée aux différents stress de la vie et a connu par le passé des périodes de décompensation psychologique qui ont nécessité une hospitalisation. Il a fait plusieurs tentatives de suicide documentées, la dernière en date remontant à mai 1990. Actuellement, il n'exprime cependant aucune idée suicidaire.

Pour traiter son anxiété et sa dépression, M. King prend du Paxil à raison de 20 mg par jour, du Mellaril à 50 mg deux fois par jour et (illisible) à 0,5 mg trois fois par jour. Je lui prodigue actuellement des conseils psychologiques et spirituels, mais il aurait besoin d'un counselling poussé pour arriver à régler ses problèmes.

Fracture du coccyx. Le patient se plaint d'avoir du mal à s'asseoir et a souvent besoin d'un coussin en anneau. Comme il est enclin à la constipation, ce qui peut aggraver ses douleurs coccygiennes, il a régulièrement besoin d'un laxatif ramollissant.

Pour conclure, j'estime que M. King souffre d'une invalidité grave du fait de sa foulure lombaire (50 p. 100), d'une anxiété chronique accompagnée de céphalées de tension nerveuse (40 p. 100) et de douleurs coccygiennes (10 p. 100). Vous trouverez d'autres détails dans la Table des invalidités ci-jointe.

Sincèrement vôtre

John H.L. Li

10 mars 1998

M. Scott F. Fowler

Fowler & Fowler

C.P. 721, 885, rue Main, pièce 11

Moncton (N.-B.)

E1C 8M9

Monsieur :

Re : M. Robert King

       44, Havenwood Court, Moncton (N.-B.)

Je vous écris pour clarifier mon rapport du 4 décembre 1997 au sujet de M. King.

Au sujet de ses douleurs lombaires chroniques, je sais que le patient souffre aussi d'arthrose de la colonne lombaire et qu'il a déjà eu une fusion de vertèbres. J'aimerais attirer votre attention sur un rapport du Dr Andrew Clark, daté du 1er septembre 1992, qui vous a été adressé. Dans le cinquième paragraphe de la page 3 de ce rapport, le Dr Clark affirme ce qui suit : « Les problèmes subséquents qui ont conduit à la fusion des vertèbres semblent une conséquence directe de la lésion originale. Par ailleurs, ses plaintes actuelles, de même que les preuves radiologiques de discopathie dégénérative au niveau L3-4 au-dessus de la fusion figurent également parmi les séquelles connues de la fusion. »   

À mon avis, les douleurs lombaires chroniques de M. King sont uniquement causées, directement et indirectement, par l'accident initial de 1968, durant lequel il a souffert d'une foulure lombaire. C'est pourquoi, dans mon rapport du 4 décembre 1997, je faisais expressément mention de cette foulure dans le cadre de mon évaluation de son degré d'invalidité liée à la colonne lombaire.


Anxiété chronique accompagnée de céphalées de tension nerveuse. À propos de mon rapport du 4 décembre 1997, j'aimerais préciser que les résultats cliniques et l'évaluation de l'invalidité sur l'échelle des psychonévroses se fondaient uniquement sur l'anxiété chronique avec céphalées de tension nerveuse, ce qui a conduit à une cote d'invalidité de 30 à 40 p. 100.

M. King a effectivement connu des périodes d'invalidité allant jusqu'à 100 p. 100 sur l'échelle des psychonévroses, alors que sa dépression et son syndrome de douleur chronique étaient au plus haut. J'ai inclus ces renseignements dans mon dernier rapport, car j'estime que le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) doit savoir que M. King souffre effectivement beaucoup de son invalidité, qui peut par moment le rendre totalement invalide.

J'aimerais ajouter que M. King a reçu une prescription de Ms Contin à 15 mg deux fois par jour et de MSIR à 5 mg aux 4 heures pour traiter ses douleurs lombaires chroniques au besoin.

Dans ma lettre du 5 juin 1995, c'est par erreur que j'ai indiqué que l'accident initial était survenu en 1969. En fait, il est survenu en 1968.

J'espère sincèrement que ces clarifications feront que le Tribunal réexaminera de façon plus favorable l'appel de M. King. Je demeure, sincèrement vôtre.

John H.L. Li

[10]            En examinant l'appel de M. King, le Tribunal ne s'en est pas tenu à la preuve présentée par ce dernier et il s'est aussi appuyé sur le [traduction] « résumé de la preuve contenue dans la documentation du comité d'évaluation » . De l'avis du Tribunal, [traduction] « Ce résumé est présumé être exact et complet, et il est accepté en preuve aux fins de cet appel » .

[11]            Au sujet de la foulure lombaire, voici ce que le Tribunal a retenu de la preuve :

[traduction]

... Dans cette lettre, le médecin déclare qu'il a examiné l'appelant le 25 novembre 1997 et qu'il a constaté que l'élévation de la jambe tendue était normale et que la flexion vers l'avant (mains à mi-cuisse) était limitée. Il a déclaré que l'appelant prenait de l'Indocid et du Tylenol no 3, et qu'il souffre de douleurs irréductibles dans la région lombaire, accompagnées d'irradiations jusque dans le haut du dos, dans le cou et dans les deux jambes. Il porte une orthèse dorsale. Selon le Dr Li, l'appelant utilise une unité de stimulation nerveuse électrique transcutanée et il a besoin d'une marchette. Son sommeil est perturbé et la douleur affecte sa vie sexuelle.


[12]            Le Tribunal conclut ainsi :

[traduction]

Ce Tribunal a réexaminé la preuve médicale au vu de la Table des invalidités des anciens combattants et il conclut que l'évaluation actuelle de 10 p. 100 reflète tout à fait le degré d'invalidité dû à la foulure lombaire.

[13]            La Table des invalidités des anciens combattants qui porte sur l'évaluation de la colonne lombaire fournit les descriptions suivantes des divers degrés d'invalidité :

AFFECTIONS DU DOS

TABLEAU 1 ANNEXE À L'ARTICLE 19.04 ..........ÉVALUATION DE L'INVALIDITÉ RÉSULTANT                                                                                          D'UNE AFFECTION DE LA COLONNE LOMBAIRE

ÉVALUATION

SYMPTÔMES (VOIR NOTE)

POSTURE

AMPLITUDE DES MOUVEMENTS

MANOEUVRE DE LASÈGUE

RÉFLEXES ET/OU

ATROPHIE

MARCHE SUR LE TALON ET LA POINTE DU PIED

MÉDICATION

ORTHÈSE DU DOS

0 à 10 p. 100

Légère douleur occasionnelle

Perte légère de la lordose lombaire

Amplitude presque complète des mouvements

90 degrés sans douleur

Normaux

Aucune

Aucune modification

Aucune

Aucune

10 à 20 p. 100

Légère douleur récidivante

Léger aplatissement de la lordose lombaire

Réduction d'au moins 20 p. 100

60 à 90 degrés douleurs au dos et aux fesses

Normaux

Aucune

Aucune modification

Minimale mais non continue

Aucune

20 à 30 p. 100

Douleur modérée récidivante ou légère douleur continue

Perte de la lordose lombaire ou scoliose ou les 2 à la fois

Réduction de 30 à 50 p. 100 modification du rythme

Moins de 75 degrés irradiation au-delà des fesses

Apparents mais peuvent être réduits

Minimale

Aucune modification

Légère régulière

Peut être portée

30 à 40 p. 100

Douleur modérée relativement constante

Telle que 20 à 30 p. 100

Réduction de 50 p. 100 mouvement lombaire minimal

Telle que 20 à 30 p. 100

Présence probable de modification sensorielle ou des réflexes ou les 2 à la fois

Modérée

Modification possible

Médication modérée régulière

Peut être portée

Plus de 40 p. 100

Complications inhabituelles telle qu'une modification des fonctions de l'organisme ou une douleur irréductible.

(Nota : Douleur lombaire ou irradiation douloureuse ou les deux à la fois par suite d'une pression raduculaire.)


[14]            À l'examen de ce tableau, on se demande comment le Tribunal a pu arriver à la conclusion que le chiffre de 10 à 20 p. 100 d'invalidité était approprié. Il est vrai que le Dr Li note que les réflexes étaient normaux et que l'élévation de la jambe tendue était normale. Pris isolément, ces deux éléments situeraient l'invalidité de M. King entre 10 et 20 p. 100. Mais on ne peut les prendre isolément. Ils sont accompagnés d'une douleur irréductible, de l'utilisation d'une marchette ou d'une chaise roulante, ainsi que d'une orthèse du dos, et d'une flexion réduite, tous des facteurs qui supposent une évaluation plus élevée que 10 p. 100. Le Tribunal n'a pas du tout parlé de ces facteurs dans ses motifs. Les motifs du Tribunal ne sont pas alignés sur la preuve et ils sont insuffisants.

[15]            En traitant de l'anxiété chronique accompagnée de céphalées de tension nerveuse dont souffre M. King, le Tribunal a trouvé le temps de chicaner le Dr Li parce qu'il aurait semble-t-il usurpé le rôle du Tribunal en tirant des conclusions quant au degré d'invalidité. Le Tribunal souligne que c'est son rôle d'appliquer la Table des invalidités aux faits. [traduction] « En principe, le médecin doit fournir une lettre contenant un rapport médical détaillé et le Tribunal applique les conclusions à la section appropriée de la Table des invalidités. »

[16]            Ce point de vue diffère de ce que l'on trouve au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6, qui constitue le fondement législatif de la Table des invalidités :



(2) The assessment of the extent of a disability shall be based on the instructions and a table of disabilities to be made by the Ministerfor the guidance of physicians and surgeons making medical examinations for pension purposes. (Emphasis added)

(2) L'estimation du degré d'invalidité est basée sur les instructions et sur une table des invalidités que prépare le ministre pour aider les médecins et les chirurgiens qui font des examens médicaux pour déterminer des pensions. (Je souligne)


[17]            Il est vrai que l'article 18 de la Loi donne compétence au Tribunal pour réviser les décisions en matière de pensions et que l'article 26 lui donne compétence pour statuer sur tout appel. Il est aussi vrai que l'objectif ne pouvait être que le Tribunal ne fasse qu'entériner les avis médicaux qu'on lui présentait. Mais le paragraphe 35(2) fait clairement ressortir que la Table des invalidités a pour but d'aider les médecins et les chirurgiens, l'objectif visé étant certainement de viser l'uniformité dans les évaluations. Si les médecins et les chirurgiens ne peuvent que faire une liste des symptômes et des indices que le Tribunal doit alors évaluer en fonction de la Table, on ne peut pas dire que la Table a pour but de les aider. Dans un tel cas, la Table aurait pour but d'aider le Tribunal.


[18]            La version française de l'article en cause dit que la Table est préparée pour « aider » les médecins et les chirurgiens qui font des examens médicaux « pour déterminer des pensions » . Le Nouveau Petit Robert définit « déterminer » comme suit : « Indiquer, délimiter avec précision, au terme d'une réflexion, d'une recherche » (Dictionnaires le Robert, Paris, 1993), que je rends en anglais par « to define with precision following an inquiry » . Le Harrap's French English Dictionary rend le terme « déterminer » de la façon suivante en anglais : « to determine (species, value, noun, area, etc.) » (Harrap, Edinburgh, 1994). Ceci ne va pas dans le sens du point de vue qui voudrait que les médecins et chirurgiens ne sont là que pour cataloguer les indices d'invalidité à l'usage du Tribunal. Aux fins de cette demande, il n'est pas nécessaire que je décide quels sont les rôles respectifs du Tribunal, ainsi que des médecins et chirurgiens, dans le régime de gestion des pensions. Toutefois, je n'accepte pas la définition étroite que le Tribunal fait du rôle des médecins et chirurgiens dans le processus d'évaluation. Aux fins qui nous occupent ici, il suffit de dire que compte tenu de l'expertise des médecins et chirurgiens dans l'évaluation de l'invalidité, ainsi que des dispositions législatives qui indiquent que les médecins ont un rôle à jouer dans l'évaluation du degré d'invalidité, le Tribunal ne peut rejeter l'évaluation de l'invalidité faite par un médecin sans motiver sérieusement sa décision.

[19]            Le Tribunal déclare avoir appliqué les conclusions du Dr Li à la Table des invalidités, ce qui à son avis confirmait son évaluation de 15 p. 100. La Table des invalidités pour la psychonévrose est reproduite ici :

SIGNES CLINIQUES

ANTÉCÉDENTS 4 OU 5 DERNIÈRES ANNÉES

TRAITEMENT

RÉACTION FACE À DES AGENTS STRESSANTS RÉCENTS

0 à 5 p. 100

Tension nerveuse légère, périodique, principalement provoquée en raison des circonstances et doléances reliées à l'anxiété. Signes cliniques subjectifs seulement, l'examen ne révélant aucun symptôme significatif.

Généralement stable. Désagréments minimes, portant peu à conséquence. Comportement normal.

Minime ou inexistant.

Normale.

10 à 25 p. 100

Angoisse chronique légère ou périodique, avec moments d'anxiété, épisodes phobiques, dépressifs ou somatiques. Signes cliniques mineurs de nature objective décelés lors de l'examen.

Comportement normal, peu perturbé. Légère dégradation, sans raison apparente.

Intermittent. Traitement modéré ou minime. Tranquillisants, sédatifs, antidépresseurs. Visites périodiques chez le médecin, tel qu'exigé.

Réactions excessives passagères face aux événements malencontreux.

30 à 40 p. 100

Angoisse modérée constante ou détresse prononcée périodique, avec perturbations évidentes quant au comportement, provoquée par l'anxiété, la dépression, les états obsessionnels, les actes impulsifs ou les phobies. Signes cliniques évidents après examen ou consultation auprès des proches.

Graves troubles de comportement et parfois crises anxieuses graves. Tendances suicidaires possibles si fortement perturbé.

Tranquillisants ou antidépresseurs spécifiques sur prescription. Surveillance médicale régulière; soins psychiatriques intermittents.

Réactions excessives très vives et prolongées devant des situations malencontreuses.

50 p. 100 ou plus

Détresse constante très prononcée entraînant l'incapacité, dont la gravité est en plusieurs points semblables à celle reliée aux troubles psychotiques.

Perturbé et incapable de fonctionner normalement. Exige de l'aide de façon continue.

Soins psychiatriques répétés.

Inapte à faire face aux situations de tous les jours.

.

[20]            Encore une fois, on ne voit pas clairement comment le Tribunal est arrivé à sa conclusion au sujet du degré d'invalidité. Le Dr Li parle d'un[traduction] « état permanent de détresse modérée » , d'une « décompensation psychologique [nécessitant] une hospitalisation » , ainsi que de tentatives de suicide. Le Tribunal n'a absolument pas parlé de ces facteurs et il a simplement présenté sa conclusion.

[21]            L'article 7 du Règlement sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) prévoit que le Tribunal doit motiver ses décisions. Le fait qu'il n'a pas présenté de tels motifs constitue une erreur de droit qui justifie l'intervention de la Cour.


[22]            Dans Mehterian c. Canada, [1992] A.C.F. 545, la Cour d'appel fédérale a décidé que lorsque des motifs doivent être fournis, « il faut [qu'ils] soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger s'il y a lieu, le cas échéant, de demander la permission d'en appeler » . Dans cette affaire, comme dans celle-ci, les motifs consistaient simplement en un énoncé des conclusions, sans qu'on indique comment on était arrivé à ces conclusions.

[23]            La question suivante porte sur les réparations. L'avocat de M. King soutient que le Tribunal doit accepter la preuve non contredite de son médecin de famille et que, par conséquent, le Tribunal doit évaluer l'invalidité de M. King de la même façon que le Dr Li. À mon avis, cette interprétation de la nature du réexamen conduit par le Tribunal n'est pas juste. Comme le Tribunal le fait remarquer au début de sa décision, il a tenu pour exact le [traduction] « résumé de la preuve contenu dans la documentation du comité d'évaluation » . Je ne connais aucun principe qui exigerait que le Tribunal ne tienne pas compte de la preuve versée au dossier d'un demandeur au fil des ans. En conséquence, il faudrait une analyse détaillée de tout le contenu du dossier de M. King pour savoir si la preuve du Dr Li est non contredite. Si le Tribunal avait énoncé ses motifs, on pourrait savoir sur quelle preuve il s'est fondé pour ne pas donner suite à la preuve présentée par le Dr Li. En définitive, je dois dire que la Cour ne peut pas tout simplement ordonner au Tribunal d'appliquer la preuve du Dr Li.


[24]            Dans de telles circonstances, la réparation consiste habituellement à renvoyer la question à un comité d'évaluation différemment constitué pour réexamen. Toutefois, cette affaire est inhabituelle. La présente demande fait suite à une demande antérieure que M. King avait introduite pour obtenir l'annulation de la réduction de son évaluation par la Commission, demande qui a été entendue par mon collègue le juge MacKay.

[25]            Le juge MacKay a conclu que le processus qui a mené à la réduction de la pension de M. King était « inhabituel » .

Il est étrange qu'une pension, dont le taux a été établi par des appels antérieurs auprès du TAAC et qui vise des affections admissibles, puisse être réduite de façon très importante après étude des rapports des médecins spécialistes, dont certains vers lesquels la Commission a dirigé le requérant, lorsque les médecins examinateurs recommandent d'augmenter la pension. Si les rapports des médecins ne touchaient pas les questions auxquelles la Commission s'intéressait, il revenait à la Commission, qui avait planifié les évaluations, de rectifier la situation avant de décider de ne pas en tenir compte. Si, comme le suggère l'avocat de l'intimé, les remarques des médecins concernaient des affections autres que celles pour lesquelles l'admissibilité du requérant avait été reconnue, mais que ces médecins reliaient clairement à la blessure originale, l'appel formé par le requérant à l'encontre de la réduction de l'évaluation de son invalidité n'aurait pas dû empêcher la Commission d'entamer, au même moment, une révision de l'admissibilité de M. King. Cette conclusion vaut plus particulièrement si, comme le suggère l'avocat de l'intimé, il ne semble pas avoir été contesté que l'état global du requérant, qui peut probablement être relié à sa blessure originale, justifie une pension importante fondée sur son admissibilité pour des affections qui n'ont pas encore fait l'objet d'un examen.


[26]            Le juge MacKay a conclu que le Tribunal a commis une erreur de droit, par suite de son défaut de prendre en compte la preuve qui appuierait le renvoi du dossier de M. King à la Commission pour réévaluer son admissibilité et d'agir en conséquence. Si la Commission a conclu, comme il le semble, que le « rapport » entre les évaluations et l'admissibilité posait un problème, elle aurait dû se poser la question du réexamen de l'admissibilité plutôt que simplement réduire l'évaluation de M. King de façon significative. Son ordonnance portant que le Tribunal devait renvoyer la question à la Commission pour réexamen de l'admissibilité visait justement à faire examiner cette question.

[27]               Le comité du Tribunal qui a été saisi de l'affaire a conclu qu'il ne pouvait procéder à un réexamen de l'admissibilité et il n'a pas renvoyé la question à la Commission comme le prévoyait l'ordonnance. Sa conclusion est la suivante :

[traduction]

En conséquence, il est clair que le Tribunal ne peut examiner que les questions qui ont fait l'objet d'un appel et que la Loi ne prévoit aucun mécanisme lui permettant d'étudier des questions qu'on n'a pas porté en appel devant lui. De plus, seul un demandeur peut présenter un appel et le Tribunal ne peut procéder face à toute partie d'une décision de la Commission rendue en vertu des articles 87 ou 8 sauf requête spécifique en ce sens présentée par le demandeur.

[28]            En toute déférence envers le Tribunal, ce n'est pas là ce qu'on lui demandait de faire. Il est malheureux que le Tribunal n'ait pas demandé de directives s'il ne savait pas exactement ce que l'ordonnance du juge MacKay lui imposait. En définitive, l'ordonnance de réexamen de l'admissibilité prononcée par le juge MacKay n'a eu aucune suite.


[29]            Dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, je ne peux réagir au non-respect d'une ordonnance rendue par un autre juge. En l'instance, la difficulté est due au fait que tous les appels depuis lors portant sur l'évaluation se sont heurtés aux limites imposées par la décision originale d'admissibilité. L'ordonnance qui m'est soumise est frappée du même défaut. Bien qu'il soit admis que M. King souffre d'une multitude de problèmes, toutes les tentatives visant à faire augmenter les chiffres de son évaluation sont confrontées à la question de l'admissibilité à la pension pour des affections qui, du moins selon une partie de la preuve médicale, sont une conséquence directe de la lésion originale. Le fait de renvoyer la question à un autre comité d'évaluation n'y changera rien, puisque ce Tribunal ne peut se prononcer que sur les questions d'évaluation.

[30]            Il ressort du dossier que l'appel qui fait l'objet de cette demande trouve sa source dans la détermination faite par le ministre, le 17 juillet 1997 ou vers cette date, quant à l'évaluation des affections de M. King. Comme la demande et la décision qui l'a suivie n'ont pas été consignées au dossier qui m'est présenté, je ne sais pas exactement ce qui se trouvait dans la demande. En vertu de l'article 85 de la Loi sur les pensions, le ministre peut réexaminer sa décision à la demande du Tribunal.


85. (1) The Minister may not consider an application for an award that has already been the subject of a determination by the Veterans Review and Appeal Board or one of its predecessors (the Veterans Appeal Board, the Pension Review Board, an Assessment Board or an Entitlement Board) unless

(a) the applicant has obtained the permission of the Veterans Review and Appeal Board; or

(b) the Veterans Review and Appeal Board has referred the application to the Minister for reconsideration.

85. (1) Le ministre ne peut étudier une demande de compensation déjà jugée par le Tribunal ou un de ses prédécesseurs -- le Tribunal d'appel des anciens combattants, un comité d'évaluation, un comité d'examen ou le Conseil de révision des pensions -- que si le demandeur a obtenu l'autorisation du Tribunal ou si celui-ci lui a renvoyé la demande pour réexamen.


    

[31]            À moins que cette demande porte sur l'admissibilité, un réexamen ne réglera pas nécessairement la question. Mais le ministre peut, de son propre chef, réexaminer sa décision pour corriger toute erreur dont il constate l'existence.



82. (1) Subject to subsection (2), the Minister may, on the Minister's own motion, review a decision made by the Minister or the Commission and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if the Minister determines that there was an error with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if new evidence is presented to the Minister.

(2) Subsection (1) does not apply with respect to a decision made by an Assessment Board or Entitlement Board under the former Act.

82. (1) Le ministre peut, de son propre chef, réexaminer sa décision ou une décision de la Commission et soit la confirmer, soit l'annuler ou la modifier, s'il constate que les conclusions sur les faits ou l'interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.                          

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux décisions rendues, en vertu de la loi antérieure, par un comité d'évaluation ou un comité d'examen.


[32]            La question qui est soulevée est celle de savoir si la demande en cause a été présentée en vertu de la loi antérieure.


"former Act" means the Pension Act, as it read immediately before the day on which section 73 of An Act to establish the Veterans Review and Appeal Board, to amend the Pension Act, to make consequential amendments to other Acts and to repeal the Veterans Appeal Board Act comes into force.

« _loi antérieure_ » La Loi sur les pensions, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'article 73 de la Loi constituant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), modifiant la Loi sur les pensions et d'autres lois en conséquence et abrogeant la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants.


L'article 73 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est entré en vigueur le 15 juin 1995.


[33]            Je ne peux déterminer au vu du dossier qui m'est présenté si la demande qui est à l'origine de la décision du 17 juillet 1997 a été présentée après le 15 juin 1995. À supposer qu'elle l'ait été, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d'examiner toutes les questions soulevées par cette demande, s'il veut bien le faire. Bien sûr, c'est sa décision. Tout ce que la Cour peut dire c'est qu'il semble qu'il s'agisse ici d'une affaire où l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre de réexaminer la question de l'admissibilité de M. King irait dans le sens des intérêts de la justice.

[34]            En définitive, il y aura une ordonnance infirmant la décision du comité d'évaluation du 8 mai 1998 et renvoyant la question au Tribunal des anciens combattants (révision et appel). L'ordonnance portera que le Tribunal doit renvoyer la question au ministre pour réexamen en vertu de l'article 85 de la Loi sur les pensions.

[35]            Comme M. King aurait pu faire l'économie de cette demande si on avait respecté les termes de l'ordonnance du juge MacKay, il a droit à ses dépens en cette demande sur la base d'avocat-client.

ORDONNANCE

Pour les motifs susmentionnés, il est ordonné que :

1-          la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) datée du 8 mai 1998 est infirmée.


2-          la question est retournée au Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui doit renvoyer la demande faisant l'objet de la décision du ministre en date du 17 juillet 1997 au ministre, pour réexamen en vertu de l'article 85 de la Loi sur les pensions.

3-          le demandeur a droit aux dépens de cette demande sur la base d'avocat-client.

      J.D. Denis Pelletier        

Juge                   

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                T-1530-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Robert King c. Le Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Fredericton (Nouveau-Brunswick)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 11 août 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE M. LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                                     11 février 2000

ONT COMPARU

M. Scott Fowler                                                                        POUR LE DEMANDEUR

M. Jonathan Tarlton                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Fowler & Fowler                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Moncton (Nouveau-Brunswick)

M. Morris Rosenberg                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



     [1]       La date de la demande, et non la date des présents motifs.

            [2] Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985) ch. F-7, tel que modifié : par. 18.1 (2).

(2) An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

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