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Date : 20040312

Dossier : T-1446-93

Référence : 2004 CF 377

Toronto (Ontario), le 12 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

                                                                             

ENTRE :

AB HASSLE ET ASTRA PHARMA INC.

                                                                             

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

              LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

                                                                                                                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

La requête

[1]                Il s'agit d'une requête présentée par AstraZeneca Canada Inc. (AstraZeneca) dans deux dossiers (T-260-04 et T-1446-93) en vue d'obtenir une ordonnance modifiant l'ordonnance de non-divulgation prononcée le 29 juillet 1993 (l'ordonnance de non-divulgation) dans le dossier T-1446-93, afin de permettre que des renseignements visés par l'ordonnance de non-divulgation soient utilisés dans le cadre de la demande du dossier T-260-04, sous réserve de modalités applicables à la non-divulgation.


[2]                Apotex Inc. (Apotex) a également présenté deux requêtes incidentes dans les mêmes dossiers en vue d'obtenir une ordonnance de radiation de l'affidavit de M. Gunars A. Gaikis, daté du 25 février 2004, et de tout contre-interrogatoire se rapportant à cet affidavit ou, subsidiairement, une ordonnance portant autorisation de déposer l'affidavit de M. Harry Radomski, daté du 5 mars 2004, dans le dossier T-260-04.

[3]                L'affidavit et le contre-interrogatoire de M. Gaikis sont, parmi les documents produits par AstraZeneca au soutien de ses requêtes, des éléments importants et le contre-interrogatoire se rapportant à cet affidavit, mené par l'avocat d'Apotex, a suscité entre les parties un vif débat en ce qui a trait aux conséquences juridiques du refus de M. Gaikis de répondre à certaines questions posées par l'avocat d'Apotex.

Le contexte

[4]                Les requêtes se situent dans le cadre d'un litige qui oppose les parties depuis très longtemps et qui porte sur la marque Apo-Oméprazole d'Apotex de capsules d'oméprazole et de nombreux brevets concernés d'AstraZeneca.


[5]                Le 16 janvier 2004, le juge O'Keefe a rejeté l'instance dans le dossier T-2311-01, par laquelle AstraZeneca avait cherché à obtenir une ordonnance d'interdiction fondée sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) visant à empêcher que le ministre de la Santé (le ministre) ne délivre un avis de conformité à Apotex relativement à ses capsules d'oméprazole.

[6]                Cette décision prononcée par le juge O'Keefe constitue la plus récente décision parmi celles où notre Cour a conclu au bien-fondé des allégations d'absence de contrefaçon formulées par Apotex (conformément au Règlement) à l'égard des capsules d'oméprazole.

[7]                L'ordonnance du juge O'Keefe a fait en sorte que l'application du Règlement n'avait plus pour effet d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement à ses capsules d'oméprazole. Le 27 janvier 2004, le ministre a donc délivré un avis de conformité à Apotex pour ses capsules d'oméprazole.

[8]                Lorsqu'elle a appris qu'Apotex avait obtenu un avis de conformité pour ses capsules d'oméprazole, AstraZeneca a décidé de contester cet avis.

[9]                AstraZeneca a déposé trois demandes, savoir les dossiers T-260-04, T-261-04 et T-262-04, dans lesquelles elle sollicite une ordonnance annulant les décisions du ministre [traduction] « de ne pas exiger qu'une seconde personne doivent satisfaire aux exigences » relatives à certains brevets appartenant à AstraZeneca et, en ce qui concerne les dossiers T-260-04 et T-261-04, annulant les avis de conformité délivrés à Apotex.


T-1446-93

[10]            La décision dans le dossier T-2311-01 est la plus récente que notre Cour ait été appelée à trancher à l'égard des capsules d'oméprazole d'Apotex et du Règlement, mais celle du dossier T-1446-93 était sa première.

[11]            Dans cette affaire, Astra Pharma Inc., prédécesseur d'AstraZeneca, et AB Hassle (collectivement, AstraPharma) ont déposé une demande fondée sur le Règlement en réponse à un avis d'allégation présenté par Apotex le 27 avril 1993 (l'avis d'allégation d'avril 1993) à l'égard du médicament oméprazole.

[12]            Dans l'avis d'allégation d'avril 1993, Apotex alléguait qu'en fabriquant et en vendant des capsules d'oméprazole, elle ne contrefaisait aucune revendication, ni pour le médicament en soi ni pour l'utilisation du médicament figurant dans les brevets canadiens suivants : nos 1,127,158 ('158), 1,129,417 ('417), 1,264,751 ('751), 1,292,693 ('693), 1,302,891 ('891) et 1,234,188 ('188).

[13]            D'après l'ordonnance définitive prononcée le 3 mai 1996 dans le dossier T-1446-93, la demande d'interdiction présentée par AstraZeneca a été rejetée relativement aux brevets '751, '188, '693 et '891.

[14]            Toutefois, la demande a été accueillie à l'égard des brevets'158 et '417, et le ministre n'a donc pas été autorisé à délivrer un avis de conformité à Apotex avant l'expiration des brevets '158 et '417.

[15]            Apotex et AstraPharma ont formé des appels distincts à l'encontre de l'ordonnance du 3 mai 1996, mais il y a eu désistement de ces appels le 12 février et le 17 mars 1999, respectivement.

[16]            Dans le dossier T-1446-93, la Cour a prononcé en cours d'instance une ordonnance de non-divulgation sur consentement des parties. Bénéficiant de la protection de cette ordonnance, Apotex a produit des renseignements confidentiels qu'AstraZeneca cherche maintenant à produire au dossier T-260-04.

[17]            L'ordonnance de non-divulgation comportait plusieurs dispositions destinées à prévenir la divulgation et l'usage inopportuns des renseignements confidentiels. Deux de ces dispositions sont reproduites ci-dessous :

[traduction]

9.              LA COUR ORDONNE que tous ceux à qui des « renseignements confidentiels » sont divulgués conformément aux paragraphes 4 à 8 :

a)              ne révèlent ces renseignements à quiconque, à l'exception de ceux qui sont autorisés à en prendre connaissance conformément à la présente ordonnance;

b)              n'utilisent ces renseignements à aucune fin autre qu'aux fins du présent litige.

[...]


10.            LA COUR ORDONNE :

a)              que la fin des procédures en l'instance ne libère personne à qui des « renseignements confidentiels » ont été divulgués, conformément à la présente ordonnance, de l'obligation de maintenir ces renseignements confidentiels, conformément aux dispositions de la présente ordonnance;

b)              qu'à l'issue définitive de la présente instance (y compris les appels), chaque partie en l'instance rassemble et retourne à la partie qui les a produits à l'origine, dans un délai de 60 jours, tous les articles renfermant des « renseignements confidentiels » produits conformément à la présente ordonnance, y compris toutes les copies de ces documents qui ont pu avoir été faites, à l'exclusion des copies renfermant des notes qui ont pu y avoir été inscrites par les avocats de la partie qui a reçu les documents ou d'une copie d'archives, et les parties devront obtenir un reçu constatant le retour du document en question;

c)              qu'à l'issue définitive de la présente instance (y compris les appels), toutes les copies de « renseignements confidentiels » renfermant des notes en la possession d'une partie soient immédiatement détruites, à l'exception d'une copie d'archives, après quoi un avis écrit de cette destruction devra être donné à l'avocat de la partie qui a produit le document à l'origine.

[18]            Compte tenu de la date du désistement des appels de l'ordonnance du 3 mai 1996 et du texte des sous-paragraphes 10b) et c) de l'ordonnance de non-divulgation, AstraZeneca était tenue de remettre tous les renseignements confidentiels, notamment les documents ainsi qualifiés qu'Apotex a produit à AstraZeneca, ou de les détruire au plus tard à la fin du mois de mai 1999.


Les moyens invoqués à l'appui des requêtes visant à modifier l'ordonnance de non-divulgation

[19]            Le 27 janvier 2004, le ministre a délivré un avis de conformité à Apotex pour ses capsules de 20 et de 40 mg d'oméprazole de marque Apo-Oméprazole.

[20]            Le 4 février 2004, AstraZeneca a déposé, au dossier T-260-04, une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de délivrer l'avis de conformité à Apotex. Le ministre aurait censément décidé qu'Apotex pouvait se fonder sur différentes formulations pour satisfaire aux exigences relatives aux divers brevets de formulation inscrits par AstraZeneca au registre des brevets. AstraZeneca a donc entrepris des démarches en vue d'annuler l'avis de conformité.

[21]            Par requête instruite le 16 février 2004 dans le dossier T-260-04, AstraZeneca a notamment demandé que sa demande soit instruite par voie accélérée. Au soutien de sa requête, AstraZeneca a déposé l'affidavit de M. Michael Cloutier, président et directeur général d'AstraZeneca. L'affidavit est daté du 6 février 2004.

[22]            Dans son affidavit, M. Cloutier affirme que l'utilisation des capsules d'Apo-Oméprazole à la place des comprimés LOSEC d'AstraZeneca aura pour effet de diminuer considérablement les ventes de comprimés LOSEC.

[23]            Lorsque la requête dans le dossier T-260-04 a été instruite le 16 février 2004, le protonotaire Lafrenière a indiqué qu'il était responsable de gérer l'instance relative à la demande et qu'il y avait lieu d'instruire par voie accélérée certaines démarches d'ordre procédural. En conséquence, une ordonnance a été prononcée le 18 février 2004 dans le dossier T-260-04, laquelle prévoit, entre autres, que le ministre est tenu de remettre son compte rendu de décision dans les sept (7) jours et qu'AstraZeneca dispose ensuite d'un délai de 21 jours pour signifier et déposer tous les affidavits sur lesquels elle entend se fonder.

[24]            AstraZeneca a reçu le compte rendu de décision du ministre le 23 février 2004. Voici un extrait de la lettre d'accompagnement datée du 20 février 2004 transmise par l'avocat du ministre :

[traduction] Veuillez noter que les « formulations » visées dans l'ordonnance ne sont pas produites. Vu le fondement sur lequel la décision contestée a été prononcée, ces formulations ne sont pas pertinentes dans le cadre de la demande. Si elles l'avaient été, la Couronne se serait opposée à leur divulgation en l'absence d'une ordonnance de non-divulgation ou du consentement d'Apotex Inc., puisqu'il s'agit de renseignements de nature confidentielle.

[25]            La lettre du ministre datée du 3 février 2004, objet de la demande de contrôle judiciaire, faisait partie des documents annexés au compte rendu de la décision du ministre. En voici un extrait :

[traduction] ... vous avez depuis affirmé que la formulation communiquée par Apotex dans le cadre de l'instance au dossier T-1446-93 peuvent être différentes de celles sur lesquelles Apotex s'est fondée dans le dossier T-2026-99 et dans les procédures subséquentes en interdiction. Vous avez également fait observer que la Direction des produits thérapeutiques (DPT) aurait dû exiger qu'Apotex signifie à AstraZeneca un autre avis d'allégation, à l'égard des brevets '693 et '891, avant d'être autorisée à recevoir son avis de conformité.

[...]


En ce qui concerne vos craintes au sujet de la formulation sur laquelle s'est fondée Apotex dans le cadre des nombreuses procédures en interdiction qui sont en cause, la DPT estime que, dans de telles circonstances, lorsqu'une seconde personne commercialise un produit qui s'écarte de la formulation sur laquelle elle s'était fondée dans le cadre des procédures en interdiction prévues au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), il est impératif que la première personne exerce un recours prévu par la Loi sur les brevets.

[26]            Par conséquent, AstraZeneca estime que la décision du ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour les capsules d'oméprazole, comme l'établissent les lettres susmentionnés en date du 3 et du 20 février 2004, semble reposer sur une question de droit, savoir qu'une seconde personne fabricante de drogues génériques n'a pas besoin de se fonder sur la même formulation pour satisfaire aux exigences relatives aux brevets de formulation inscrits au registre des brevets.

[27]            Toutefois, après avoir examiné le reste des documents faisant partie du compte rendu de la décision du ministre, AstraZeneca a attiré l'attention sur une lettre du 29 novembre 2001 signée par le Dr Sherman, d'Apotex, dans laquelle celui-ci affirme ce qui suit :

[traduction] Concernant les brevets 1292693 ['693] et 1302891 ['891], nous confirmons que la formulation que nous cherchons à faire autoriser est toujours celle qui est mentionnée dans l'avis d'allégation en date du 23 avril 1993. Nous ne possédons pas de seconde formulation pour ce produit.

[28]            Par conséquent, AstraZeneca craint que même si le ministre semble avoir fondé sa décision sur une question de droit, savoir la reconnaissance de différentes formulations, il y a dans le compte rendu de la décision du ministre un document d'Apotex qui donne à penser qu'Apotex ne s'est fondée que sur une seule formulation en ce qui concerne ses capsules d'oméprazole. On pourrait soutenir que la lettre soulève une question de fait pertinente dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire du dossier T-260-04.


[29]            Dans le dossier T-1446-93, AstraPharma Inc., prédécesseur d'AstraZeneca, était la partie demanderesse, le ministre et Apotex, les parties défenderesses. AB Hassle, titulaire du brevet, était codemanderesse. L'instance a été introduite en réponse à un avis d'allégation transmis par Apotex relativement aux capsules d'oméprazole et aux brevets '693 et '891. Une ordonnance de non-divulgation a été prononcée le 29 juillet 1993 dans le dossier T-1446-93 et Apotex a éventuellement déposé des éléments de preuve protégés par cette ordonnance. Le paragraphe 9 de l'ordonnance de non-divulgation interdit l'utilisation de ces renseignements à aucune fin autre qu'aux fins de ce litige. Le paragraphe 13 de cette ordonnance permet à toute partie de renoncer par écrit, en tout ou en partie, au droit qui lui est conféré par ladite ordonnance et toute partie peut demander à la Cour de rendre une ordonnance visant à modifier cette ordonnance de non-divulgation.

[30]            À cause de l'ordonnance de non-divulgation prononcée dans le dossier T-1446-93, AstraZeneca ne peut produire tous les éléments qu'elle souhaiterait déposer en preuve dans le dossier T-260-04. Cette situation a entraîné un retard dans le traitement de la demande du dossier T-260-04 et a accru, selon AstraZeneca, le préjudice que celle-ci subit.


[31]            AstraZeneca demande donc que l'ordonnance de non-divulgation dans le dossier T-1446-93 soit modifiée de manière à lui permettre d'utiliser les renseignements confidentiels, obtenus dans le cadre de cette instance, dans le dossier T-260-04. AstraZeneca demande également qu'une ordonnance de non-divulgation soit prononcée dans le dossier T-260-04 afin de protéger les renseignements confidentiels, y compris ceux qui étaient qualifiés comme tels dans le cadre de l'ordonnance de non-divulgation prononcée dans le dossier T-1446-93. On s'attend à ce que les parties n'éprouvent aucune difficulté à s'entendre sur les modalités d'une telle ordonnance de non-divulgation.

Analyse

[32]            AstraZeneca indique qu'elle a besoin des renseignements visés par l'ordonnance de non-divulgation du dossier T-1446-03 parce que ceux-ci sont pertinents dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire qu'elle a présentée au dossier T-260-04 et dans lequel elle conteste l'avis de conformité délivré par le ministre le 27 janvier 2004. Elle indique également que l'accès à ces renseignements n'entraînera aucun préjudice pour Apotex et que, en fait, la décision de ne pas lui accorder la réparation demandée lui causerait un préjudice considérable et constituerait une parodie de la justice parce que cela permettrait à Apotex d'être à l'abri dans l'hypothèse où elle aurait utilisé différentes formulations en rapport avec les brevets concernés. En outre, AstraZeneca affirme que les motifs d'opposition invoqués par Apotex dans les présentes requêtes sont d'ordre technique et ne devraient pas permettre de contrecarrer l'impérieux intérêt public et judiciaire qui commande que la Cour soit saisie des renseignements pertinents se rapportant à la formulation lors de l'instruction de la demande de contrôle judiciaire du dossier T-260-04.

[33]            En réalité, AstraZeneca souhaite contester la prétention du ministre selon laquelle celui-ci affirme ne pas être tenu de répondre à différentes formulations et, si le ministre a tort sur ce point, il sera fort pertinent que la Cour sache si Apotex a utilisé différentes formulations en ce qui concerne les brevets concernés.

[34]            AstraZeneca indique également que l'objet d'une ordonnance de non-divulgation est de préserver la confidentialité des renseignements de nature extrêmement délicate; il ne s'agit pas d'une mesure qui permet à une partie de se mettre à l'abri des contestations que pourraient entraîner les différentes thèses qu'elle défend dans différentes instances. En fait, AstraZeneca souligne que le 7 mai 1997, le juge Richard a déjà prononcé une ordonnance modifiant l'ordonnance de non-divulgation en question afin de permettre aux parties d'utiliser les renseignements confidentiels visés par cette ordonnance pour les besoins de l'instance dans le dossier T-1712-95.


[35]            Apotex a invoqué plusieurs motifs pour expliquer pourquoi il n'y avait pas lieu de modifier l'ordonnance de non-divulgation de manière à permettre à AstraZeneca d'utiliser les renseignements confidentiels dans le dossier T-260-04. Selon Apotex, AstraZeneca s'est elle-même privée du droit à la réparation qu'elle demande dans ses requêtes en raison de sa conduite lors de l'interrogatoire préalable de M. Gaikis et d'une violation commise à l'ordonnance de non-divulgation. Elle indique également que les renseignements demandés par AstraZeneca sont dénués de pertinence dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire du dossier T-260-04, et que celle-ci doit se limiter aux recours en matière de contrefaçon de brevet lorsque différentes formulations sont utilisées. Apotex dit également qu'aucun élément de preuve ne m'a été soumis en l'espèce pour établir l'existence de plusieurs formulations.

[36]            Pour trancher les présentes requêtes, j'ai tenu compte des nombreux motifs d'opposition invoqués par Apotex. Vu la preuve qui m'est présentée, je ne suis pas disposé à considérer que les arguments fondés sur la perte de droit ont un rôle déterminant. Les questions liées à la pertinence et au bien-fondé des réparations devraient être laissées à l'appréciation du juge saisi de la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-260-04.

[37]            Je dois examiner si AstraZeneca a établi le bien-fondé de la modification de l'ordonnance de non-divulgation en fonction des principes établis par la jurisprudence pertinente. À cet égard, je cite les propos du juge MacKay dans l'arrêt Smith, Kline and French Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur général), [1989] A.C.F. no 223 (C.F. 1re inst.), conf. par [1997] A.C.F. no 689 (C.A.), lesquels résument les principes juridiques applicables et me servent de principes directeurs en l'espèce :


Cette Cour a déjà eu l'occasion de statuer sur des requêtes visant à modifier ses propres ordonnances de non-divulgation. Dans la décision Halliburton Co. et al. c. Northstar Drillstem Ltd. et al. (1982), 65 C.P.R. (2d) 122 (C.F. 1re inst.), le juge Walsh a refusé d'amender une ordonnance de non-divulgation dans la mesure où celle-ci s'appliquait aux renseignements fournis au préalable; il a, en revanche, autorisé la divulgation d'autres renseignements confidentiels à des avocats albertains pour leur permettre d'étudier la possibilité d'intenter une action en Alberta, mais non de s'en servir en preuve. Dans l'affaire Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., (non publiée, C.F. T-831-82, 4 novembre 1983), le juge McNair a refusé de modifier les conditions d'une ordonnance de non-divulgation, rendue avec le consentement des parties, pour permettre à des personnes n'y étant pas désignées d'avoir accès à des renseignements confidentiels aux fins de donner un avis. Dans l'arrêt Control Data Canada Ltd. c. Senstra Corp., précité, le protonotaire-chef adjoint Giles a refusé de permettre, par ordonnance, la divulgation de renseignements fournis au préalable, de même que d'autres informations visées par une ordonnance de non-divulgation, dans un cas où le requérant cherchait à obtenir l'avis d'un avocat aux États-Unis sur la possibilité d'intenter une action sous le régime des lois de ce pays. Le protonotaire-chef adjoint a jugé que l'action pourrait donner lieu au triplement des dommages-intérêts, résultat de nature pénale à son avis.

Dans la décision Apotex Inc. c. Procureur général du Canada et al. (1986), 10 C.P.R. (3d) 310 (C.F. 1re inst.), madame le juge Reed a rejeté la demande de modification des termes d'une ordonnance antérieure de non-divulgation, présentée par une partie cherchant à interjeter appel du rejet de sa requête en intervention à l'instance. Dans son examen de la question, le juge a estimé que le principe général de la transparence des procédures judiciaires, établi à la Règle 201(4), ne constituait pas un motif suffisant pour changer l'ordonnance originale enjoignant de sceller le dossier de la cour pour motif de confidentialité. Ce facteur a dû être pris en compte à l'époque où cette première ordonnance a été rendue. Voici ce qu'affirme à cet égard le juge Reed [à la page 312] :

Il faut quelque chose de plus qu'un argument fondé sur ce principe général de la nature publique des procédures de la Cour comme motif pour modifier l'ordonnance originale - certains changements dans les circonstances ou une raison impérative qui n'ont pas été examinés directement lorsque l'ordonnance a été prise.

Le requérant soutient que l'espèce répond à ce critère : il y aurait, en effet, changement dans les circonstances puisque le ministre du Revenu national tente maintenant de déterminer exactement l'assujettissement de la demanderesse à l'impôt sur le revenu, question qui n'a pas été examinée lorsque l'ordonnance a été prise. De plus, la volonté de permettre au ministre d'examiner les renseignements demandés dans l'exécution des fonctions qui lui incombent en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu constituerait une raison impérative pour modifier les ordonnances.

La vérification qu'a demandée le ministre porte apparemment sur les prix qu'a payés la société canadienne intimée pour s'approvisionner en cimétidine auprès de fournisseurs liés non résidants. Le requérant déduit du jugement qu'a rendu le juge Strayer dans l'instance originale, ainsi que des renseignements fournis par son avocat lors de l'audition de l'appel, que la société canadienne intimée a acheté le médicament à un prix supérieur à celui du marché international. À mon avis toutefois, rien dans les motifs du juge Strayer ou dans le dossier de la Cour concernant les procédures antérieures ne permet de voir dans cette déduction autre chose qu'une simple spéculation.

Selon les intimés, les circonstances présentes ne constituent pas une raison impérative de modifier l'ordonnance. Ils soulignent que le requérant n'a pas fait la preuve de l'impossibilité pour le ministre d'arriver à ses fins grâce aux autres renseignements dont il dispose ou aux pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi de l'impôt sur le revenu, sans que soient modifiées les ordonnances de non-divulgation. Ils font également ressortir le fait que les renseignements demandés découlent d'ordonnances de production visant des intimés autres que la société canadienne dont le ministre vérifie l'assujettissement à l'impôt.


Conclusion

Je ne suis pas convaincu que le requérant ait répondu au critère établi dans la décision Apotex. Certes, je conviens que l'examen de l'assujettissement à l'impôt dont fait l'objet la société canadienne intimée n'est pas un facteur ayant été retenu du moins lorsque des « ordonnances de non-divulgation » ont été prises; en un sens, il s'agit donc d'une circonstance nouvelle. Mais ce n'est pas un changement dans les circonstances reliées aux questions qui opposaient les parties dans l'action aux fins de laquelle les renseignements ont été fournis. Il s'agit en fait d'une situation entièrement nouvelle et je ne suis pas persuadé qu'elle constitue une raison impérative pour modifier les ordonnances. Encore que je ne doute pas que le ministre du Revenu national ait tout intérêt à avoir accès aux documents demandés en l'espèce, lesquels se trouvent, par coïncidence, dans les dossiers de la Cour où ils ont été scellés pour motif de confidentialité dans le cadre de l'action valablement introduite par les intimés.

En principe, lorsque le tribunal ordonne, avec le consentement des parties, que des documents soient scellés dans le meilleur intérêt de la justice, il faut une raison vraiment impérative pour modifier ces ordonnances, surtout dans les cas où le motif de la demande d'accès n'est aucunement relié - et est dans ce sens accessoire ou ultérieur - à l'action au cours de laquelle les documents sont produits et scellés. Seuls des cas tout à fait exceptionnels pourraient justifier le changement d'une ordonnance de non-divulgation dans ces circonstances. En fait, même en l'absence d'une ordonnance, la Cour pourrait fort bien empêcher l'utilisation de ces renseignements obtenus au préalable, ou en interdire l'accès, pour les fins d'une action accessoire, en se fondant sur l'existence d'un engagement implicite à ne se servir de l'information ainsi obtenue qu'aux seules fins de l'action où elle est produite : Riddick, précité. Autrement, la confiance dans l'intégrité du processus judiciaire, notamment dans le devoir des tribunaux de protéger les intérêts des parties en litige, serait ébranlée.

[38]            À mon avis, la principale question à laquelle je dois répondre est de savoir s'il existe, eu égard aux faits de l'espèce, un changement de circonstances ou une raison impérative qui justifie la modification de l'ordonnance de non-divulgation.


[39]            Dans son avis de demande du 4 février 2004 dans le dossier T-260-04, AstraZeneca a clairement indiqué qu'elle demanderait à la Cour d'apporter à l'ordonnance de non-divulgation [traduction] « la modification qui s'impose » pour faire en sorte que le dossier T-1446-93 soit entièrement à la disposition de la Cour dans le dossier T-260-04. Est également soulevée dans l'avis de demande, la question concernant les différentes formulations, dont certaines sont aussi mentionnées dans une lettre d'Apotex datée du 16 décembre 1997.

[40]            À mon avis, il existe en l'espèce suffisamment de raisons impératives pour justifier la modification de l'ordonnance de non-divulgation telle que demandée par AstraZeneca.

[41]            Certes, les changements dans les circonstances ne se rattachent pas tous, à proprement parler, à des questions qui opposaient les parties dans l'action aux fins de laquelle les renseignements confidentiels ont été fournis. Il ne s'agit pas non plus d'une situation entièrement nouvelle dans laquelle d'autres parties sont en cause; par ailleurs, la nature et l'historique du litige portant sur les brevets concernés permettent difficilement de séparer ou d'isoler les nombreuses actions de la manière proposée par Apotex. La décision Smith Kline, précitée, n'exclut pas les modifications même dans les cas où « le motif de la demande d'accès n'est aucunement reliée - et est [...] accessoire ou ultérieur - à l'action au cours de laquelle les documents sont produits et scellés » pourvu que les raisons pour modifier l'ordonnance soient « vraiment impératives » . Je crois qu'elles le sont en l'espèce. Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle un tiers demande un accès à des éléments de preuve pour un motif entièrement accessoire. Il s'agit plutôt du plus récent épisode dans l'interminable litige qui oppose les parties, et dans lequel les renseignements du dossier T-1446-93 sont nécessaires pour que le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-260-04 puisse se pencher sur l'une des importantes questions soulevées par Astrazeneca dans son avis de demande et qu'il puisse la régler.


[42]            Reprenant les propos du juge MacKay dans la décision Smith Kline, précitée, Apotex a indiqué qu'en l'espèce, « la confiance dans l'intégrité du processus judiciaire » est en jeu. Compte tenu des faits qui m'ont été présentés, j'estime que cet enjeu commande que la Cour ait, dans le cadre du processus de contrôle judiciaire, un accès aux renseignements confidentiels et qu'elle puisse s'en servir. S'il en était autrement, Apotex bénéficierait d'une immunité pour se protéger des motifs de contestation invoqués par AstraZeneca dans son avis de conformité. Il m'est difficile de croire que les parties ou la Cour aient pu envisager pareil scénario au moment où l'ordonnance initiale de non-divulgation a été prononcée. J'estime qu'il s'agit également d'une raison suffisamment impérative pour modifier l'ordonnance de non-divulgation.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          que l'ordonnance de non-divulgation prononcée dans le dossier T-1446-93 soit modifiée de manière à permettre à AstraZeneca d'utiliser les renseignements confidentiels visés par cette ordonnance dans le cadre de la demande du dossier T-260-04, pourvu que ces renseignements soient tenus pour confidentiels conformément à l'ordonnance de non-divulgation prononcée au dossier T-260-04 ci-dessous mentionnée;

2.          qu'une ordonnance distincte de non-divulgation soit prononcée dans le dossier T-260-04 afin de protéger les renseignements confidentiels, y compris les renseignements ainsi qualifiés dans l'ordonnance de non-divulgation prononcée dans le dossier T-1446-93;

3.          que les parties conviennent, si possible, de la forme de l'ordonnance de non-divulgation prononcée au dossier T-260-04 et qu'elles soumettent leur consentement à l'approbation de la Cour. En l'absence d'un consentement, l'une ou l'autre des parties peut demander à la Cour, par voie de requête, qu'elle détermine la forme qu'il convient de donner à l'ordonnance de non-divulgation;


4.          que les parties soumettent au protonotaire Lafrenière leurs propositions, conjointes si possible, en vue d'apporter les modifications nécessaires à l'échéancier établi dans l'ordonnance qu'il a prononcée le 18 février 2004 dans le cadre de la demande du dossier T-260-04. S'il n'y a pas d'entente entre les parties, celles-ci devront immédiatement communiquer avec le protonotaire Lafrenière afin de prendre les mesures nécessaires pour tenir une conférence visant à discuter des modifications à apporter à l'échéancier;

5.          que le dépôt de l'affidavit de M. Harry Radomski, daté du 5 mars 2004, soit autorisé conformément aux requêtes incidentes;

6.          que les dispositions susmentionnées ne portent pas atteinte au droit d'Apotex d'intenter toute action hors du cadre de la demande présentée au dossier T-260-04 qu'elle estime justifiée quant à toute utilisation faite par AstraZeneca des renseignements confidentiels visés par l'ordonnance de non-divulgation dans le dossier T-1446-93, toute violation de cette ordonnance ou toute contrefaçon de brevet;


7.          que les dépens afférents aux présentes requêtes soient laissés à la discrétion du juge saisi de la demande présentée au dossier T-260-04.

                                                     

« James Russell »              

                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       T-1446-93

INTITULÉ :                      AB HASSLE ET ASTRA PHARMA INC.            

                                                                                     demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            9 mars 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :     12 MARS 2004

COMPARUTIONS :

J. Sheldon Hamilton

Y. Kang                                                            POUR LES DEMANDERESSES

Nando de Luca

Julie Rosenthal                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DEMANDERESSES

                                                     

Goodman s.a.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR


             COUR FÉDÉRALE

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                             

Date : 20040312

Dossier : T-1446-93

ENTRE :

AB HASSLE ET ASTRA PHARMA INC.

                                  demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

                                           défendeur

                                                                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                      

                                                           


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