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Date : 20010302

Dossier : T-1562-98

Référence neutre : 2001 CFPI 139

ENTRE :

                                                WARNER-LAMBERT COMPANY

                                          et WARNER-LAMBERT CANADA INC.,

                                                                                                                                 demanderesses,

                                                                          - et -

                                                CONCORD CONFECTIONS INC.,

                                                                                                                                     défenderesse,

ET ENTRE

                                                CONCORD CONFECTIONS INC.,

                                                                                                     demanderesse reconventionnelle,

                                                                          - et -

                                                WARNER-LAMBERT COMPANY

                                          et WARNER-LAMBERT CANADA INC.,

                                                                                                   défenderesses reconventionnelles.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION


[1]         Warner-Lambert Company est le propriétaire inscrit au Canada d'une famille de marques de commerce déposées qui comportent le mot CHICLETS, employé depuis 1919 en liaison avec des produits de confiserie, et en particulier avec de la gomme à mâcher. Ses gommes à mâcher sont désignées comme les produits CHICLETS. Warner-Lambert Canada Inc. est actuellement la licenciée canadienne exclusive et, de 1990 à 1998, elle a fabriqué les produits CHICLETS à titre de licenciée.

[2]         Le 31 juin 1998, les demanderesses ont poursuivi la défenderesse Concord Confections Inc. (Concord) pour usurpation de marque de commerce et imitation frauduleuse, et elles présentent maintenant une requête en jugement sommaire pour usurpation de marque de commerce sur la demande et la demande reconventionnelle ou, à titre subsidiaire, sur la demande reconventionnelle et les défenses d'invalidité et de manque de diligence ou, à titre plus subsidiaire encore, sur le seul manque de diligence et, si elles n'ont pas gain de cause, en injonction interlocutoire.

[3]         Le requête en jugement sommaire porte exclusivement sur le mot servant de marque CHICLETS (LMCDF 37840).

L'HISTORIQUE DES FAITS

1)         La déclaration

[4]         Dans leur déclaration déposée le 31 juillet 1998, modifiée avec autorisation le 29 mai 2000, les demanderesses invoquent un usage de 70 ans au Canada des produits CHICLETS, des ventes excédant cent millions de dollars au cours de cette période au Canada et des dépenses de publicité chiffrées en millions de dollars pour les produits CHICLETS au Canada. La marque de commerce CHICLETS est devenue célèbre et est associée exclusivement aux produits CHICLETS pour les consommateurs.

[5]         Les demanderesses déclarent que les marques de commerce CHICLETS sont employées en liaison avec des dragées dont la forme et la présentation distinctives, demeurées inchangées depuis des décennies, présentent les caractéristiques suivantes : a) une coque dure formée d'un enrobage de sucre; b) une forme rectangulaire dans son ensemble; c) une couleur blanche ou une couleur unie vive selon le parfum de la gomme à mâcher; d) un fini légèrement lustré.

[6]         Les demanderesses se plaignent des activités de Concord et allèguent que celle-ci exploite au Canada une entreprise de production et de distribution de produits de confiserie et que, depuis une date qui leur est inconnue, elle fabrique au Canada de la gomme à mâcher pour la vente au Canada et aux États-Unis en liaison avec la marque de commerce CHICLE BYTES. Les demanderesses allèguent que la marque de commerce CHICLE BYTES figure sur l'emballage de la gomme à mâcher de Concord et dans sa publicité, notamment sur des « fiches de produits » affichées dans les distributeurs automatiques et dans les caisses d'aliments en vrac au détail.

[7]         Les demanderesses allèguent que la gomme à mâcher CHICLE BYTES de Concord est de présentation pratiquement identique à la gomme à mâcher CHICLETS et, précisément, que chaque dragée de gomme à mâcher présente : a) une coque dure formée d'un enrobage de sucre; b) une forme rectangulaire dans son ensemble; c) une couleur blanche ou une couleur unie vive selon le parfum de la gomme à mâcher; d) un fini légèrement lustré.


[8]         Les demanderesses affirment avoir été informées par Concord que celle-ci avait cessé, depuis juillet 1998 ou vers cette période, d'employer la marque de commerce CHICLE BYTES en liaison avec des produits de confiserie, dont la gomme à mâcher. Toutefois, en juillet 1999, Concord a informé les demanderesses qu'elle souhaitait utiliser une nouvelle marque de commerce comportant les mots « CHICLE CHEWING GUM » (la marque CHICLE CHEWING GUM) en liaison avec une gomme à mâcher de présentation et de forme identiques à la gomme à mâcher CHICLE BYTES, mais les demanderesses ont refusé leur consentement à l'emploi de cette marque.

[9]         Les demanderesses déclarent qu'elles ont eu connaissance en février 2000 de l'emploi par Concord de CHICLE CHEWING GUM et que Concord prétend maintenant avoir commencé à faire usage de cette marque en juillet 1998 ou vers cette date.

[10]       Les demanderesses font valoir que l'emploi par la défenderesse des marques CHICLE BYTES et CHICLE CHEWING GUM en liaison avec de la gomme à mâcher est susceptible de créer de la confusion avec les marques de commerce célèbres CHICLETS, en contravention aux articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi). Les demanderesses déclarent également que cette confusion est susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'énorme achalandage attaché aux marques de commerce déposées CHICLETS. Elles affirment en outre que cet emploi, en liaison avec une gomme à mâcher dont la forme et la présentation sont pratiquement identiques à celles de la gomme à mâcher CHICLETS, fait en sorte que Concord appelle l'attention du public sur ses marchandises et les fait passer pour d'autres de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, ce qui contrevient aux alinéas7b) and 7c) de la Loi.

2)         La défense et demande reconventionnelle


[11]       Les grandes lignes de l'argumentation contenue dans la défense modifiée de Concord, déposée le 6 juin 2000, sont les suivantes : a) le mot « CHICLET » est un terme générique désignant une espèce de gomme à mâcher de forme rectangulaire, à fini lustré et à coque dure, qui se présente dans une gamme de couleurs dont le blanc; b) les produits CHICLETS n'ont pas une présentation distinctive, mais se présentent ainsi parce que la coque dure est faite d'un enrobage de sucre destiné à préserver le parfum et le caractère fonctionnel de la gomme à mâcher, présentation qui n'identifie aucune origine particulière. Concord déclare que ces produits sont connus dans le métier comme de la « gomme en dragées » ou de la « gomme chicle » ; c) les produits des demanderesses n'ont pas de caractère distinctif car il y a sur le marché un grand nombre de produits qui emploient le mot « CHICLE » .

[12]       Concord affirme avoir employé la marque de commerce CHICLE BYTES depuis environ huit ans au Canada pour vendre de la gomme à mâcher en liaison avec la marque. Elle déclare qu'elle ne vend pas ses marchandises comme Warner-Lambert Canada en paquets individuels ou en boîtes de douze paquets, mais en lots de 3 lb et de 25 lb ou simplement en vrac pour les distributeurs automatiques ou certains magasins d'alimentation au détail.

[13]       Concord fait valoir qu'en juillet 1999, elle a informé les demanderesses qu'elle employait désormais une nouvelle marque de commerce, la gomme à mâcher DUBBLE BUBBLE CHICLE, en liaison avec le produit identifié auparavant par la marque de commerce CHICLE BYTES. Concord dit qu'elle est propriétaire de deux marques de commerce DUBBLE BUBBLE enregistrées au Canada et que, dès 1933, ses prédécesseurs en titre et elle ont continuellement employé la marque de commerce DUBBLE BUBBLE et fait la promotion de celle-ci en liaison avec de la gomme à mâcher et des produits de confiserie. Concord soutient que les demanderesses ont donné leur consentement à l'usage par Concord de la marque de commerce de gomme à mâcher DUBBLE BUBBLE CHICLE depuis juillet 1998, quand elles ont eu connaissance de son emploi.


[14]       Concord déclare avoir employé la marque CHICLE BYTES pendant environ huit ans sans aucun cas de confusion et nie toute diminution de l'achalandage attaché aux marques de commerce des demanderesses. Selon Concord, il n'y a pas eu d'imitation frauduleuse ni de préjudice causé aux demanderesses.

[15]       Concord déclare que la présentation de la gomme à mâcher des demanderesses est fonctionnelle et que la coque dure recouvrant la gomme est une protection, formée d'un enrobage sucré qui aromatise la gomme à mâcher et d'une couleur qui indique le parfum de l'enrobage et/ou de la gomme. Concord affirme que la présentation de la gomme à mâcher des demanderesses n'est pas distinctive car, étant courante dans le métier, on la retrouve pour de nombreuses gommes à mâcher autres que la sienne sur le marché, notamment CHICLE CHICKS et BABY CHICKS de Philadelphia Chewing Gum Co., ainsi que TABBYLETS, CHICLE TABS, SPECIAL CHICLE TREATS, DAFFY DICE et REFRESH CHLOROPHYLL de Hershey Foods Corporation.

[16]       Concord dit que sa marque de commerce CHICLE BYTES ne cause pas de confusion ou n'est pas susceptible de causer de la confusion avec la marque de commerce CHICLETS des demanderesses, du fait que le mot « CHICLE » est un élément courant des marques en usage pour les gommes à mâcher et qu'il a été employé au Canada par d'autres personnes que les demanderesses, notamment par les sociétés Philadelphia Chewing Gum et Hershey Foods Corporation.

[17]       Concord ajoute, en outre, que le mot « CHICLE » est un terme de métier, désignant le liquide laiteux du sapotillier (CHICLE tree) employé dans la fabrication de la gomme à mâcher.


[18]       Concord termine son argumentation en déclarant que le retard et les actions des demanderesses et de leurs prédécesseurs en titre enlèvent aux demanderesses tout droit à une réparation. Concord invoque également le délai de prescription existant dans chaque province du Canada et le délai de prescription prévu à l'alinéa 36(4)a) de la Loi sur la concurrence.

[19]       Par voie de demande reconventionnelle, Concord attaque la validité des marques de commerce déposées des demanderesses au Canada au motif qu'elles n'étaient pas distinctives des demanderesses à la date d'enregistrement et qu'elle ne le sont pas à la date de signification de la demande reconventionnelle. Concord cherche à obtenir une déclaration, entre autres, que la présentation des produits des demanderesses n'est distinctive d'aucune des demanderesses, que les marques de commerce déposées sont invalides, que l'emploi par elle de la marque de commerce déposée CHICLE BYTES n'est susceptible de causer de la confusion avec aucune des marques enregistrées par les demanderesses et que l'emploi par elle de la marque de commerce de la gomme à mâcher DUBBLE BUBBLE CHICLE n'est susceptible de causer de la confusion avec aucune des marques de commerce enregistrées par les demanderesses.

3)         Les affidavits déposés par les demanderesses en vue du jugement sommaire                 et de l'injonction

[20]       À l'appui de leur requête pour l'obtention d'un jugement sommaire et d'une injonction, les demanderesses ont déposé les affidavits de Stanley MacLachan, directeur de la commercialisation de la division Adams Canada de Warner-Lambert Canada Inc., et de Michael Pearce, vice-doyen (Programmes) à la Richard Ivey School of Business, University of Western Ontario.


[21]       Dans son affidavit, M. MacLachan a pour l'essentiel exposé le fondement factuel de la déclaration des demanderesses. En particulier, il a déclaré ce qui suit : 1) depuis 1980, voire même plus tôt, sa société a vendu plus de 25 millions de paquets de gomme à mâcher représentant une valeur en gros de plus de 136 millions de dollars pour la période allant de 1988 à 1999, soit 10 % du marché canadien, distribués dans 50 000 établissements de détail; 2) sa société vend a) aux grossistes qui vendent au magasins de détail; b) directement aux petits et gros détaillants; 3) sa gomme à mâcher est également vendue, emballée et non emballée, dans des distributeurs automatiques situés dans les cafétérias, les écoles et d'autres établissements au Canada, les ventes en vrac sans conditionnement comptant pour une valeur en gros de plus de 500 000 dollars au cours des trois dernières années; 4) sa société annonce beaucoup au Canada, notamment à la télévision et dans les vitrines des magasins, particulièrement à proximité des points de forte circulation comme près des caisses enregistreuses. Sa société annonce également sur des panneaux d'affichage et sur les autobus ainsi que par la publicité collective destinée à de nombreux détaillants.

[22]       Il a fait référence aux sondages de notoriété auprès des consommateurs des produits CHICLETS et a dit qu'un sondage de 1997 révélait un facteur d'identification de 97 % chez les consommateurs de 15 à 49 ans.

[23]       Il a également témoigné que CHICLETS n'était pas un terme générique désignant une espèce de gomme à mâcher de forme rectangulaire à fini lustré et à coque dure. Il n'avait jamais entendu parler d'un concurrent qui utilisait le mot CHICLETS pour désigner une espèce ou une sorte de gomme à mâcher ni d'un consommateur qui utilisait le mot CHICLETS comme un générique pour désigner une sorte de gomme à mâcher. Selon lui, les marques de commerce CHICLETS distinguent les gommes à mâcher de sa société et ces produits jouissent d'une notoriété très élevée chez les consommateurs.


[24]       M. MacLachan a ensuite discuté de la présentation et des caractéristiques de la gomme à mâcher CHICLETS en disant qu'à l'exception du produit de la défenderesse, il ne connaissait aucune autre gomme à mâcher vendue au Canada de même forme et de même présentation que les dragées CHICLETS et qui emploie une marque de commerce comportant les lettres CHIC ou CHICLE. Il a déclaré précisément n'avoir jamais entendu parler des produits mentionnés dans la défense et demande reconventionnelle, soit CHICLE CHICKS, BABY CHICKS, CHICLE TABS ou SPECIAL CHICLE TREATS, et il ne croyait pas qu'aucun de ces produits se vendait au Canada.

[25]       Il a dit que Concord n'employait pas CHICLE de manière descriptive, reconnaissant que le mot CHICLE (le chiclé en français) désignait un ingrédient utilisé dans la fabrication de la gomme à mâcher avant la Seconde Guerre mondiale mais qu'il n'était plus d'emploi courant depuis des décennies dans la gomme à mâcher vendue en Amérique du Nord. Il a témoigné qu'il n'était au courant d'aucune gomme à mâcher qui contenait comme ingrédient du chiclé, y compris la gomme à mâcher de la défenderesse. Il ne sait pas pourquoi Concord utilise le mot CHICLE dans le nom de sa gomme à mâcher sinon pour tirer profit des marques de commerce CHICLETS.

[26]       M. MacLachan a témoigné du dommage irréparable qui serait causé, du fait que les sociétés Warner-Lambert avaient pris des décennies à construire leur réputation et à créer l'achalandage attaché aux marques de commerce CHICLETS, investissement qui serait anéanti si Concord commençait à faire largement usage d'une marque créant de la confusion en liaison avec un produit concurrentiel. Il a précisé qu'à son avis, il serait impossible de quantifier la perte subie si les marques de commerce CHICLETS devenaient associées à un produit concurrentiel fabriqué par une autre société et, en particulier, d'apprécier dans quelle mesure Concord avait bénéficié d'une concurrence légitime avec sa société ou au contraire d'une concurrence déloyale imputable à l'usage d'une marque de commerce contrefaisante.

[27]       Dans son affidavit, M. Pearce a parlé du grave préjudice qui sera causé aux marques de commerce CHICLETS des demanderesses si Concord adopte et emploie CHICLE BYTES ou CHICLE CHEWING GUM ou tout autre nom commercial étroitement apparenté, préjudice qui serait immédiat et qui augmenterait avec le temps. À son avis, ce préjudice toucherait le capital marque de CHICLETS, qui serait amoindri par une confusion qui ferait non seulement baisser les ventes des produits CHICLETS mais qui nuirait aussi au caractère distinctif et à l'achalandage de la marque CHICLETS ainsi qu'à la valeur du nom commercial CHICLETS lui-même, dommage impossible à calculer précisément en termes pécuniaires ou à réparer par voie de dommages-intérêts après le fait.

4)         Les affidavits déposés en réponse par la défenderesse

[28]       Concord a déposé deux affidavits en réponse aux affidavits des demanderesses. Le premier, souscrit le 27 mars 2000, est de Paul Cherrie, vice-président de la commercialisation de la société Concord. Le deuxième affidavit, souscrit également le 27 mars 2000, est de Karl Gabert. M. Gabert a dit qu'il avait travaillé dans la branche de la confiserie et de la gomme à mâcher au Canada depuis plus de 35 ans et qu'il avait été, avant de se joindre à la société Concord, chef de la production de la société Oak Leaf Confections Ltd pendant 32 ans.


[29]       Dans son affidavit, M. Cherrie a établi les points suivants : 1) il a confirmé que de nos jours la plupart des gommes à mâcher ne contiennent pas une base de gomme naturelle de chiclé (gomme laiteuse de latex), mais qu'il connaissait au moins un produit fabriqué avec cette base, appelé « Natural Gum Chicle » , vendu par Mexitrade International S.A. de C.V. (Mexitrade). Après avoir consulté le site Web de Mexitrade à l'ordinateur, il a produit des extraits de la page Web de la société et dit qu'il savait que ce produit se présentait dans une gamme de parfums et de couleurs, sous forme de dragées rectangulaires similaires au format de la gomme à mâcher de marque CHICLETS et qu'il était possible d'acheter la gomme « Natural Gum Chicle » sur l'Internet à partir de cette page Web; 2) il a reconnu qu'à l'origine, le mot chicle signifiait seulement la base de gomme naturelle utilisée pour la fabrication de la gomme à mâcher, mais que maintenant, dans la branche de la confiserie et de la gomme à mâcher, il désigne couramment un format de gomme à mâcher, en l'occurrence des dragées de gomme à mâcher carrées ou rectangulaires enrobées de sucre, de dimensions et couleurs diverses. Il a produit des listes de prix distribuées par Leaf Confections Inc. au Canada de 1995 à 1997 qui, selon lui, font référence à diverses gommes à mâcher en dragées sous les désignations de « Tab and Chicle Gum » ou « Chicle » .

[30]       M. Cherrie s'est ensuite penché sur la gomme à mâcher « CHICLE BYTES » que Concord a commencé à vendre en 1986 au Canada et aux États-Unis, a-t-il dit, principalement en vrac à l'usage des distributeurs automatiques ou dans les magasins de confiserie ou d'alimentation en vrac ouverts au public. Il a déclaré que la gomme CHICLE BYTES de Concord, dans les distributeurs automatiques, était identifiée par une fiche de produit placée à l'intérieur du distributeur automatique, portant un logo, des caractères typographiques et des personnages de bande dessinée distinctifs.


[31]       M. Cherrie a fait état d'un certain nombre de traits distinguant la gomme et l'emballage CHICLE BYTES de ceux de CHICLETS. En particulier, il a dit que les « CHICLE BYTES » sont des dragées carrées à enrobage de sucre dur alors que les CHICLETS ont une forme carrément rectangulaire; les « CHICLE BYTES » sont vendues en vrac alors que les CHICLETS le sont principalement dans des paquets de carton rectangulaires d'environ 12 morceaux; l'étiquette du produit « CHICLE BYTES » utilise une police de capitales qu'on trouve habituellement sur les affichages numériques des ordinateurs alors que l'emballage CHICLETS utilise soit les caractères gothiques, soit une police légèrement inclinée de lettres en haut et bas de casse; l'étiquette du produit « CHICLE BYTES » présente le nom CHICLE BYTES sur le clavier d'un écran d'ordinateur et divers personnages de bande dessinée en forme de dragée carrée de gomme à mâcher qui ont l'air de bondir des touches du clavier alors que les paquets de gomme CHICLETS affichent la marque CHICLETS dans un bandeau blanc au milieu d'une boîte rectangulaire en forme de gros fer à cheval entourant la partie gauche du paquet et des gommes rectangulaires.

[32]       Il a témoigné que le nom et le logo de la société Concord sont clairement visibles sur l'étiquette du produit. Il a également souligné les différences de prononciation. Il a conclu que sur la base de ces différences, il ne pensait pas qu'il pouvait y avoir de la confusion entre les deux marques et il a déclaré qu'il n'avait jamais eu connaissance d'aucun cas de confusion sur le marché entre CHICLE BYTES et CHICLETS.

[33]       M. Cherrie a ensuite déclaré qu'en juillet 1998 ou vers cette période, une fois épuisés les stocks de CHICLE BYTES, la gomme à mâcher a été renommée DUBBLE BUBBLE CHICLE et depuis, Concord ne vend plus de gomme à mâcher CHICLE BYTES. Il a dit qu'il avait avisé les demanderesses, le 26 juillet 1999, que la défenderesse avait substitué à tous ses emballages de CHICLE BYTES la gomme à mâcher DUBBLE BUBBLE CHICLE, annexant à cette lettre de la documentation des concurrents Hershey et Oak Leaf Confections qui utilisait le mot CHICLE pour désigner un produit ou un format de produit.

[34]       L'affidavit de M. Cherrie a ensuite traité de la marque de commerce DUBBLE BUBBLE. Il y est affirmé que la gomme à claquer moderne a été inventée en 1928, que la marque de commerce DUBBLE BUBBLE est employée et annoncée depuis, et qu'elle est devenue une marque de commerce notoire, sinon célèbre, au Canada en liaison avec de la gomme à mâcher.

[35]       M. Cherrie a dit que le 8 mai 1998, Concord a acheté l'entreprise de confiserie du fabricant et distributeur de la gomme à mâcher DUBBLE BUBBLE et la gomme à mâcher DUBBLE BUBBLE CHICLE a été vendue au Canada en vrac pour les distributeurs automatiques et pour le public dans les magasins de confiserie et d'alimentation en vrac. Il a repris les différences entre l'emballage de la gomme à mâcher DUBBLE BUBBLE CHICLE et celui de la gomme à mâcher CHICLETS et il a déclaré qu'il n'avait jamais eu connaissance d'aucun cas de confusion sur le marché entre les deux marques.

[36]       M. Cherrie a alors témoigné au sujet d'autres gommes « CHICLE » fabriquées ou vendues au Canada par la Philadelphia Chewing Gum Corporation (CHICLE CHICKS) et par Oak Leaf Confections (CHICLE TREATS et CHICLE TABS) ainsi que par Bee International qui vend « CHICLE CHIPS » .

[37]       Dans son affidavit, Karl Gabert a témoigné sur les points suivants : 1) il a fait état de son expérience de plus de 35 ans dans la branche de la gomme à mâcher et de la confiserie et affirmé que « CHICLE » est un terme courant pour désigner un format de gomme à mâcher, en l'occurrence des dragées de gomme à mâcher carrées ou rectangulaires enrobées de sucre, de dimensions et couleurs diverses; 2) la gomme « CHICLE » est fabriquée et vendue au Canada par diverses sociétés, notamment la société Oak Leaf Confections Inc. et la Philadelphia Chewing Gum Corporation; 3) au cours des années 1975 à 1985, il a travaillé à la société Leaf Confections Inc., qui fabriquait et vendait au Canada la gomme à mâcher CHICLE TABS, et il y a environ deux ans, Oak Leaf a repris la fabrication et la vente au Canada de la gomme CHICLE TABS vendue en vrac pour les distributeurs automatiques et les magasins d'alimentation en vrac. Il a dit que la société fabriquait et vendait également au Canada les dragées de gomme à mâcher « CHICLE TREATS » et annexé à son affidavit diverses listes de prix de la période 1995 à 1997.


5)        L'affidavit en réponse des demanderesses

[38]       En réponse, les demanderesses ont déposé l'affidavit de Camille Nadeau, directeur du développement commercial d'ITWAL Limited (ITWAL) et ancien directeur divisionnaire des ventes de la société Hershey Canada Inc. M. Nadeau a exposé qu'ITWAL avait été fondée en 1966, qu'elle était maintenant un réseau national de distribution composé de distributeurs indépendants au détail ou en gros, qu'elle exploitait au Canada 139 entrepôts, effectuant la distribution d'environ 30 % de tous les produits de confiserie vendus au Canada. Il a déclaré, dans son affidavit, qu'il n'était au courant d'aucune vente au Canada de gomme à mâcher « CHICLE CHICKS » par la Philadelphia Chewing Gum Corporation, de « CHICLE TABS » et « CHICLE TREATS » par la société Oak Leaf Confections ni de « CHICLE CHIPS » par la société Bee International.

[39]       Il a dit qu'à sa connaissance, aucun de ces produits n'avait jamais été annoncé à un salon commercial d'ITWAL et qu'à son avis, si l'un de ces produits s'était vendu au Canada, les ventes avaient dû être si peu importantes que ces produits n'étaient jamais venus à sa connaissance. Il a témoigné en outre qu'au cours de ses 18 ans dans la confiserie, il ne se rappelait pas avoir jamais entendu parler d'un fabricant, d'un distributeur ou d'un consommateur de gomme à mâcher qui aurait utilisé le mot « CHICLE » pour désigner une gomme à mâcher ayant la forme de la gomme CHICLETS et, d'après son expérience, le terme couramment employé pour désigner des gommes à mâcher carrées ou rectangulaires enrobées de sucre de diverses tailles était de la « gomme à mâcher en dragées » .


LES RÈGLES ET LES PRINCIPES DU JUGEMENT SOMMAIRE

[40]       Les articles 213 à 217 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) reprennent les dispositions relatives au jugement sommaire figurant dans les anciennes règles.

[41]       La règle 216 constitue la disposition de fond principale et elle comporte les éléments de base suivants :

1)         Lorsque la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence;

2)         La règle 216(2) prévoit notamment que lorsque la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence;

3)         La règle 216(3) prévoit que lorsque la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

[42]       Un certain nombre de décisions de notre Cour fournissent des lignes directrices pour éclairer la décision d'accorder ou de refuser un jugement sommaire. Certains de ces principes ont été résumés par le juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853 :


1)         Les dispositions relatives aux jugements sommaires ont pour but de permettre à la Cour à [sic] se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire. Un des critères applicables consiste à déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

2)         Le tribunal ne peut rendre de jugement sommaire si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires et, lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès, bien que l'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas de prononcer un jugement sommaire, le tribunal devant se pencher de près sur le fond de l'affaire.

[43]      Dans l'arrêt Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68, le juge Stone, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, a déclaré qu'il était indiqué de tenir compte des décisions rendues par un juge d'une cour supérieure d'une province relativement à l'interprétation de règles similaires en matière de jugement sommaire. Il a renvoyé à l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Irving Ungerman Ltd. et al. v. Galanis et al. (1991), 4 O.R. (3d) 545, et cité le juge en chef adjoint Morden qui a formulé ce qui suit à la page 81 :

[TRADUCTION] On peut sans risque affirmer que la question ne doit pas être fallacieuse et, plus précisément, que les termes « à instruire » aident à l'interprétation de cette expression. Si la preuve produite dans le cadre d'une requête sollicitant un jugement sommaire convainc la Cour qu'il n'existe pas de questions de fait dont la résolution exige une instruction, les conditions posées par la règle sont remplies. Il doit être clair qu'une instruction est inutile. C'est à la partie requérante qu'il incombe de convaincre le tribunal que sa requête satisfait aux exigences de la règle. De plus, il est important de se rappeler que le rôle du tribunal n'est pas de résoudre une question de fait, mais de déterminer s'il en existe une.

[44]      Le juge Stone a déclaré que l'intention qui ressort des Règles en matière de jugement sommaire est d'éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ou les moyens de défense sont manifestement non fondés.

[45]      Dans l'affaire qu'il devait instruire, le juge Stone a infirmé la décision du juge des requêtes qui avait accordé la procédure de jugement sommaire. Il a déclaré qu'il restait à résoudre la question des preuves contradictoires pour savoir ce qui s'était véritablement passé. Il a ajouté : « Cette question tient en grande partie à la crédibilité des parties et elle ne peut être résolue par un juge chargé des requêtes ou par la présente Cour » .

[46]      Dans l'affaire Ault Foods Ltd. et al. c. George Weston Ltd. et al. (1996), 68 C.P.R. (3d) 87, le juge Heald a rejeté une requête pour jugement sommaire dans une action en imitation frauduleuse où une preuve d'expert avait été déposée et où les experts avaient été contre-interrogés. Le juge a justifié son refus en disant que les faits n'étaient pas clairs et qu'un avis, en particulier un avis d'expert, est une preuve qui devrait être entendue de vive voix dans la mesure du possible; de plus, il a jugé que la preuve constituée par les affidavits était suffisamment contradictoire pour soulever de sérieuses questions de crédibilité.

[47]      Dans l'affaire Nature's Path Foods Inc. c. Country Fresh Enterprises Inc. et al. (1998), 85 C.P.R. (3d) 286, le juge Rouleau, dans une action en imitation frauduleuse, a de la même façon rejeté une demande de jugement sommaire en déclarant que la jurisprudence avait clairement établi qu'un jugement sommaire n'est accordé que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire lorsque les faits sont clairs. Il a conclu :

[9] À mon avis, il ne convient pas d'accorder un jugement sommaire en l'espèce. La preuve soulève de nombreuses questions de fait et de droit valables et complexes portant notamment sur le caractère distinctif, la confusion et l'imitation frauduleuse, mais ne permet pas, dans son état actuel, de trancher l'une ou l'autre.


[48]      Dans l'affaire MacNeil c. Canada, [2000] A.C.F. n º 727, le juge Gibson, en rejetant une requête en jugement sommaire, a passé en revue les principes régissant de telles requêtes et cité avec approbation l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Aguonie v. Galion Solid Waste Material Inc. (1998), 38 O.R. (3d) 161, où le juge Borins a écrit que le jugement sommaire est justifié quand il s'agit de radier des demandes ou des défenses fallacieuses, mais qu'il ne vise pas à priver la partie au litige de son droit au procès à moins qu'il soit clairement démontré que la demande ou la défense n'implique aucune question de fait sérieuse à trancher pour le juge des faits. Le juge Borins a ajouté à la page 173 :

[TRADUCTION] En statuant sur une requête en jugement sommaire, la cour n'évalue jamais la crédibilité, elle n'apprécie jamais la preuve et elle ne tire jamais de conclusion de fait. Le rôle de la Cour, qui est strictement délimité, consiste plutôt à apprécier la question préliminaire de savoir s'il existe, en ce qui concerne les faits substantiels, une véritable question litigieuse exigeant la tenue d'une instruction. L'évaluation de la crédibilité, l'appréciation de la preuve et la formulation de déductions factuelles sont toutes des fonctions réservées à l'appréciation du juge des faits.

Le juge Gibson était convaincu, dans l'affaire qu'il devait instruire, qu'il y avait des questions de crédibilité, d'appréciation de la preuve et de formulation de déductions factuelles raisonnables qu'un jugement sommaire ne pouvait trancher de manière satisfaisante. Il était également persuadé que la preuve impliquait des questions litigieuses à instruire.

[49]      L'avocat des demanderesses a critiqué le recours de la défenderesse à l'affaire MacNeil, précitée, où le juge Gibson a également écrit ce qui suit :

Dans des jugements récents, cette cour semblerait avoir adopté cette approche plus restrictive à l'égard des demandes de jugement sommaire, d'une façon qui limite la responsabilité qui incombe au défendeur dans pareille requête de présenter sa cause sous son meilleur jour, lorsqu'il existe des questions de crédibilité, d'appréciation de la preuve et de formulation d'inférences factuelles.

[50]      L'avocat des demanderesses a dit que le juge Borins avait tempéré le point de vue qu'il avait dans Aguonie en rendant sa décision subséquente Dawson et al. v. Rexcraft Storage and Warehouse Inc. et al. (1998), 164 D.L.R. (4th) 257. Je ne partage pas cette opinion.


[51]      À la lecture, les motifs exposés par le juge Borins dans l'arrêt Dawson, précité, révèlent que loin de tempérer sa position dans Aguonie, il a réitéré la position qu'en décidant s'il existe une question litigieuse en ce qui concerne les faits substantiels, la Cour n'évalue jamais la crédibilité, n'apprécie jamais la preuve et ne formule jamais de déductions factuelles, car ce sont là des fonctions réservées au juge des faits.

[52]      Le juge Borins, à l'instar du juge Stone dans l'arrêt Feoso Oil, précitée, a discuté de l'objet fondamental de la règle du jugement sommaire, à savoir [TRADUCTION] « qu'on ne gagne rien à tenir un procès inutile » . Il a ajouté que décider si un procès valait la peine d'être instruit [TRADUCTION] « n'était pas une tâche facile » et qu'il était nécessaire [TRADUCTION] « que les juges des requêtes ne perdent pas de vue leur rôle délimité et n'assument pas le rôle du juge de première instance et que, avant d'accorder un jugement sommaire, ils soient clairement persuadés qu'un procès n'est pas nécessaire » . Il a ajouté que [TRADUCTION] « cela ne voulait pas dire que la Cour ne devait pas examiner la preuve constituant le dossier. Au contraire, cet examen est crucial pour décider s'il existe une question sérieuse à trancher en ce qui concerne les faits substantiels » .

[53]      Dans l'arrêt Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. et al. c. Skyway Cigar Store (1999), 3 C.P.R. (4th) 501, la Cour d'appel fédérale a confirmé la décision d'un juge des requêtes rendue sur jugement sommaire, a déclaré la nullité et ordonné la radiation de quatre marques de commerce enregistrées au Canada par les appelantes, des distributrices de cigares cubains. La Cour a estimé que le juge des requêtes a eu raison de conclure à l'inexistence d'une preuve de l'emploi ou de l'acquisition d'un caractère distinctif par les appelantes.


[54]      Dans un appel incident, la Cour a décidé que le juge des requêtes aurait dû accorder le jugement sommaire demandé par l'intimée parce qu'il avait conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour susciter une question sérieuse à instruire. Le juge Strayer s'est concentré sur les dispositions de la règle 432.3(1) des anciennes règles (devenue la règle 215 actuelle) prévoyant que les appelantes étaient tenues d'énoncer, dans un affidavit ou à l'aide d'un autre élément de preuve, des faits précis démontrant l'existence d'une question sérieuse à instruire; si le juge des requêtes était convaincu qu'elles ne l'avaient pas fait, il était tenu par la règle 432.3(1) (devenue la règle 16(1) actuelle) de rendre un jugement sommaire en faveur de l'intimée. Le juge Strayer a ajouté :

[9] Lorsque nous examinons les conclusions de fait tirées par le juge, nous constatons qu'il a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour susciter une question sérieuse à instruire.

                                                                      . . .

[12] Si les règles applicables aux jugements sommaires doivent avoir une certaine utilité, elles devraient être utilisées dans des circonstances comme l'espèce pour éviter des retards et la tenue d'un procès reposant sur des éléments de preuve dénués de fondement.

[55]      Dans l'arrêt Acadia Ship Brokers Limited et al. c. Kanematsu GMBH, (dossier A-113-99, 21 juin 2000), la Cour d'appel fédérale a infirmé la décision d'un juge des requêtes qui avait accueilli une requête en jugement sommaire tranchant la responsabilité dans une demande d'indemnité pour perte de marchandises. Le juge Linden, après avoir déclaré que l'arrêt Feoso Oil, précité, faisait jurisprudence, a conclu qu'il existait un doute réel sur certaines questions de fait clés, c'est-à-dire « une question de fait sérieuse qui doit être résolue pour déterminer si elles [les appelantes] peuvent être tenues responsables d'avoir incité une partie à rompre son contrat » .

[56]      Le juge Linden a également examiné divers motifs de responsabilité, notamment l'incitation à la rupture du contrat et la négligence préjudiciable à l'exécution du contrat, et il a conclu qu'il existait un véritable doute quant à l'état d'esprit de l'appelante. Il a aussi traité d'un autre motif de responsabilité allégué, le détournement de marchandises.

[57]      Il a conclu :

[21] Pour ces motifs, il est clair qu'il ne convient pas de prononcer un jugement sommaire en l'espèce, car il existe de sérieuses questions de fait et de droit à trancher dans le cadre d'une instruction. La Cour ne doit pas accorder de jugement sommaire lorsque tous les faits nécessaires n'ont pas été établis ou qu'il serait injuste de rendre un tel jugement sans la tenue d'une instruction.

[58]      Le juge Linden a renvoyé aux décisions suivantes de la Section de première instance, avec lesquelles il était en accord, Granville Shipping Co., précitée, Pallmann Maschinenfabrik Gmbh Co. KG c. CAE Machinery Ltd. et al. (1995), 98 F.T.R. 125 et Homelife Realty Services Inc. c. Sears Canada Inc. (1996), 108 F.T.R. 19.

CONCLUSIONS

1)        Le jugement sommaire

a)         La demande reconventionnelle

[59]      Dans sa défense, Concord fait valoir que les enregistrements des marques de commerce des demanderesses sont invalides au motif de leur caractère non distinctif à la date de l'enregistrement ou à la date de signification de la demande reconventionnelle (le 14 septembre 1998). La défenderesse cherche à obtenir une ordonnance enjoignant au registraire des marques de commerce de radier les enregistrements.

[60]      Les allégations relatives au caractère non distinctif reposent sur des affirmations exposées dans la demande reconventionnelle :

1)        CHICLETS est le terme générique d'une espèce de gomme à mâcher. CHICLE est une composante courante d'autres marques et un terme de métier;

2)        Les demanderesses n'ont pas exercé de contrôle sur la concession de licences sur les marques de commerce.

[61]      Je conviens avec l'avocat des demanderesses que pour chacun de ces points le fardeau de la preuve incombe à la défenderesse Concord au procès et, par conséquent, dans le cas du jugement sommaire.


i)          « CHICLETS » , terme générique

[62]      Je partage l'opinion de l'avocat des demanderesses que Concord n'a produit aucune élément de preuve suffisant, voire aucun élément de preuve vaguement suffisant, à l'appui de sa prétention que la marque de commerce déposée CHICLETS a perdu son caractère distinctif en devenant un terme générique désignant une sorte de gomme à mâcher de forme rectangulaire, à coque dure, qui se présente dans une gamme de couleurs, dont le blanc. Cette allégation de la demande reconventionnelle de la défenderesse est rejetée.

ii)         « CHICLE » , composante courante de marques de commerce ou terme connotant un format de gomme à mâcher

[63]      J'estime que les faits substantiels à l'appui des deux aspects ou motifs d'invalidité avancés par Concord soulèvent une question sérieuse, dans l'hypothèse où les demanderesses ont raison d'affirmer que la date à laquelle il faut apprécier la perte du caractère distinctif est la date de la demande reconventionnelle plutôt que la date d'enregistrement des marques de commerce CHICLETS.

[64]      La question de savoir si le terme « CHICLE » est couramment employé dans le métier pour désigner le format d'une sorte particulière de gomme à mâcher ou est une composante courante de marques de commerce en usage pour la gomme à mâcher vendue au Canada ou encore est un terme de métier doit s'apprécier en fonction de la preuve d'emploi de la marque sur le marché canadien.

[65]      Je suis d'avis que la preuve d'emploi de la marque sur le marché canadien est contradictoire et qu'il est nécessaire de tenir un procès pour trancher la question, particulièrement en l'espèce, du fait que l'établissement des faits nécessaires peut reposer sur une question de crédibilité.

[66]      Je ne suis pas persuadé, à l'étape actuelle, que les éléments de preuve des demanderesses l'emportent si largement sur ceux de la défenderesse que je sois en mesure de conclure que les allégations de la défenderesse ne sont pas fondées sur des faits.

b)        La défense

i)          Défaut de contrôle par la licenciée

[67]      Dans la mesure où la défenderesse affirme que c'est par défaut de contrôle que la marque déposée CHICLETS a perdu son caractère distinctif (paragraphe 7 de la défense), je conviens avec l'avocat des demanderesses que Concord ne s'est pas acquittée du fardeau de la preuve à la date pertinente (la date de la demande reconventionnelle). Concord n'a produit aucun élément de preuve concluant sur la question et le contre-interrogatoire n'a manifestement pas suffi à éliminer la nécessité pour elle de présenter des éléments de preuve. Le paragraphe 7 de la défense est donc rejeté.

ii)         Manque de diligence

[68]      Concord fait valoir ses moyens de défense eu égard au caractère tardif ou au retard de la demande différemment pour les gommes à mâcher CHICLE BYTES et DUBBLE BUBBLE CHICLE. La défense relative à CHICLE BYTES priverait les demanderesses de toutes les réparations permanentes demandées alors que la seconde, se rapportant à DUBBLE BUBBLE CHICLE, sert de preuve à l'encontre de la demande d'injonction provisoire qui sera examinée plus loin dans les présents motifs.

[69]      La justification du manque de diligence dans le cas de CHICLE BYTES est l'allégation de la défenderesse que les demanderesses étaient au courant, dès 1996, de l'usage au Canada par Concord de leur marque de commerce (non enregistrée toutefois), qu'elles n'ont pas fait valoir leurs droits au Canada pendant au moins 19 mois et peut-être même plus, pourrait-on soutenir, et que ces faits annihilent les droits des demanderesses à la réparation principale recherchée.

[70]      Sur ce point, je conclus en faveur de la défenderesse Concord parce que les éléments de preuve apportés à l'appui de sa prétention, y compris les preuves produites au contre-interrogatoire des témoins, tant des demanderesses que de la défenderesse, ont été suffisants pour faire obstacle à un jugement sommaire sur cette question.

[71]      Pour que je puisse conclure en sa faveur, l'avocat des demanderesses aurait dû établir les faits nécessaires pour étayer juridiquement une décision d'absence de consentement. Tout en reconnaissant que les demanderesses ont fait opposition à l'enregistrement au Canada comme aux États-Unis de la marque de commerce CHICLE BYTES, je ne puis conclure au vu du dossier à l'existence de ces faits, ce qui impliquerait une appréciation de la preuve qui n'est pas autorisée en l'espèce car les faits ne sont pas clairs, et des déductions factuelles importantes, pour appuyer la conclusion que les demanderesses n'étaient pas informées des ventes de Concord au Canada et qu'elles ont fait preuve de négligence en ne s'en préoccupant pas.

iii)        La marque n'est pas susceptible de causer de la confusion


[72]      Je rejette la requête en jugement sommaire sur ce point. Les demanderesses souhaiteraient que j'applique tous les critères de l'article 6 de la Loi sur les marques de commerce au dossier pour conclure à l'usurpation de la marque de commerce au motif qu'elle est susceptible de causer de la confusion.

[73]      Le dossier ne me permet tout simplement pas d'en arriver à une telle conclusion. La défenderesse a présenté suffisamment d'éléments de preuve (différences entre les gommes à mâcher et les emballages, différences dans les circuits de distribution en ce qui concerne la vente en vrac par opposition à la vente sous emballage, surtout depuis que les demanderesses ne vendent plus leur gomme à mâcher en vrac, absence de cas effectifs de confusion) pour susciter une question sérieuse à instruire par un procès sur le fond.

[74]      La poursuite soulève également des questions de droit non résolues, dont la plus importante est de savoir si la présentation ou l'emballage constitue un facteur pertinent à considérer dans une action en usurpation de marque de commerce déposée, par opposition à une action en imitation frauduleuse au titre de l'article 7 de la Loi. (Voir la différence entre la décision Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 à la page 11 (C.A.F.) et la décision United Artists c. Pink Panther Beauty Corp (1998), 225 N.R. 82 à la page 94 (C. A. F.)).

[75]      Constitue également une autre question de droit importante le fait de décider si la marque de commerce qu'utilise actuellement Concord pour sa gomme à mâcher « DUBBLE BUBBLE CHICLE » forme une seule marque, comme l'affirme Concord, ou deux marques, comme le prétendent les demanderesses.

2)         La demande d'injonction


[76]      L'injonction sollicitée empêcherait Concord 1) de faire usage au Canada, comme marque de commerce ou nom commercial, du mot CHICLE ou de toutes marques ou noms semblables au point de créer de la confusion en liaison, entre autres, avec de la gomme à mâcher; 2) d'usurper les marques de commerce déposées des demanderesses; 3) de faire toute acte susceptible d'entraîner une diminution de la valeur de l'achalandage attaché aux marques de commerce déposées.

a)         La question sérieuse

[77]      J'évacue rapidement le critère de la question sérieuse à trancher. Les demanderesses y ont satisfait, comme l'établit la partie des présents motifs traitant du jugement sommaire.

b)         Le dommage irréparable

[78]      Les demanderesses soulignent avec raison que le seul témoignage d'expert sur ce point est celui de Michael Pearce. On lui a demandé de tenir pour acquise la véracité des faits suivants : 1) les marques de commerce CHICLETS sont devenues notoires au Canada; 2) Concord a l'intention de faire usage à nouveau de la marque CHICLE BYTES ou d'utiliser une nouvelle marque, « CHICLE CHEWING GUM » , en liaison avec une gomme à mâcher de forme semblable au produit CHICLETS; 3) il n'y a aucune autre gomme à mâcher vendue au Canada dont le nom comporte le mot CHIC ou CHICLE; 4) les marques de commerce CHICLETS et CHICLE BYTES ou CHICLE CHEWING GUM sont susceptibles de causer de la confusion. Sur ce point, à la lumière du reste de l'affidavit de M. Pearce et de son témoignage lors du contre-interrogatoire, je suis convaincu qu'il n'a pas seulement posé l'hypothèse de la vraisemblance de la confusion mais qu'il était d'avis que la confusion était susceptible de se produire.


[79]      Dans les circonstances de l'espèce, M. Pearce a conclu que les demanderesses subiraient un grave préjudice qui serait immédiat et qui augmenterait avec le temps. Le préjudice affecterait le capital marque des demanderesses, qui serait amoindri par une confusion qui ferait non seulement baisser les ventes mais qui nuirait aussi au caractère distinctif et à l'achalandage. Ce dommage serait impossible à calculer précisément en termes pécuniaires ou à réparer par voie de dommages-intérêts après le fait.

[80]      Après avoir discuté de la nature du capital marque (aux paragraphes 15 à 22 de son affidavit), M. Pearce a parlé de la nature du dommage causé par la confusion et conclu que [TRADUCTION] « de manière générale, dans le cas où un concurrent est autorisé à adopter ou à employer un nom créant de la confusion, la société perd tout ou partie de sa capacité de bénéficier de son capital marque » .

[81]      Comme premier élément du dommage, il mentionne la perte de ventes et de bénéfices, tout en admettant qu'elle est quantifiable. Comme second point, il établit que la perte du capital marque détruit la capacité de l'entreprise de se positionner de manière distincte sur le marché et de se vendre dans l'avenir.

[82]      Il a ensuite exposé les raisons pour lesquelles l'emploi des marques de commerce par Concord affaiblirait le capital marque CHICLETS :           

1)        des ventes seraient perdues, impossibles à quantifier dit-il actuellement, mais elles causeraient un dommage;

2)        il n'y aurait pas de contrôle sur la qualité des produits de Concord, qui peut être inférieure;

3)        d'autres sociétés seront encouragées à pénétrer sur le marché.


[83]      Les principes applicables, dans le cas où il faut décider si les demanderesses ont démontré le dommage irréparable ouvrant droit à la réparation extraordinaire que constitue l'injonction interlocutoire accordée avant le procès, sont établis dans l'arrêt Centre Ice Ltd. c. Ligue Nationale de Hockey (1994), 53 C.P.R. (3d) 34 (C.A.F.).

[84]      Pour diverses raisons, j'estime que les demanderesses n'ont pas établi de manière évidente le dommage irréparable qu'elles subiraient, sans injonction, et auquel il serait impossible de remédier par la voie de dommages-intérêts.

[85]      Premièrement, M. Pearce a donné son avis en se basant sur des faits dont il a présumé la véracité, situation qui prête à beaucoup de questions au plan des faits ou du droit, comme on l'a exposé précédemment aux présents motifs.

[86]      Deuxièmement, l'analyse de M. Pearce comporte un élément hypothétique, au paragraphe 26 de son affidavit, quand il mentionne la possibilité que le produit de Concord soit d'une qualité inférieure et que d'autres sociétés soient encouragées à entrer sur le marché.

[87]      Troisièmement, il a admis que la perte des ventes était quantifiable. Quatrièmement, la perte de l'achalandage pose une difficulté, car elle repose sur la conclusion d'une confusion basée sur des hypothèses incertaines, particulièrement en l'absence de toute preuve de confusion effective.

[88]      Cinquièmement, je ne suis pas convaincu que les demanderesses ont clairement démontré que tout dommage subi ne pourrait pas être réparé par des dommages-intérêts.

c)        La prépondérance des inconvénients


[89]      En l'espèce, je conclus que la prépondérance joue en faveur de la défenderesse, conclusion qui repose sur le fait que le 26 juillet 1999, la défenderesse a clairement avisé les demanderesses qu'elle avait changé l'emballage de sa gomme à mâcher DUBBLE BUBBLE CHICLE et annexé une copie de l'ancien emballage et du nouvel emballage. La défenderesse est demeurée sur le marché pendant sept mois (7 mois) avant que la présente requête en injonction interlocutoire soit introduite par les demanderesses.

[90]      Dans les circonstances, le statu quo, dans la mesure où il doit être maintenu, joue en faveur de la défenderesse, de même que le retard important de la demande de redressement par voie d'injonction. (Voir Turbo Resources Ltd. c. Petro-Canada Inc. (1989), 24 C.P.R. (3d) 1 à la page 23 (C.A.F.).

DÉCISION

[91]      Pour ces motifs, je rejette la requête en jugement sommaire des demanderesses et toutes les requêtes subsidiaires, sauf les demandes aux paragraphes 7 et 10 à l'égard de la défense et demande reconventionnelle de la défenderesse.

[92]      La défenderesse ayant eu largement gain de cause, elle a droit aux dépens de la requête, sans égard à l'issue de la cause.           

                                                                                                                                                                    

J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

2 MARS 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date : 20010302

Dossier : T-1562-98

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 2 MARS 2001

EN PRÉSENCE DU JUGE LEMIEUX

ENTRE :

WARNER-LAMBERT COMPANY

et WARNER-LAMBERT CANADA INC.,

demanderesses,

- et -

CONCORD CONFECTIONS INC.,

défenderesse,

ET ENTRE

CONCORD CONFECTIONS INC.,

demanderesse reconventionnelle,

- et -

WARNER-LAMBERT COMPANY

et WARNER-LAMBERT CANADA INC.,

défenderesses reconventionnelles.


ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, je rejette la requête en jugement sommaire des demanderesses et toutes les requêtes subsidiaires, sauf les demandes aux paragraphes 7 et 10 à l'égard de la défense et demande reconventionnelle de la défenderesse.

La défenderesse ayant eu largement gain de cause, elle a droit aux dépens de la requête, sans égard à l'issue de la cause.

François Lemieux

_______________________

J U G E

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DU GREFFE :                               T-1562-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :               WARNER LAMBERT COMPANY ET AL. c. CONCORD CONFECTIONS INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 23 juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                                   2 mars 2001

ONT COMPARU :

M. Robert MacFarlane et M. Jonathan Colombo                      POUR LES DEMANDERESSES

M. Roderic Hinton                                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr                                                                       POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

Barrister & Solicitor                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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