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Date : 20180615


Dossier : T-1838-17

Référence : 2018 CF 622

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2018

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

HYDRO-QUÉBEC

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le Procureur général, au nom de la Ministre du revenu national, fait une demande péremptoire en vertu de l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)) [LIR] et de l’article 289 de la Loi sur la taxe d’accise (L.R.C. (1985), ch. E-15) [LTA] pour laquelle une autorisation judiciaire est requise. Comme on le verra, une autorisation judiciaire contraignante vise le cas d’une personne non désignée nommément et peut même viser plus d’une telle personne dans la mesure où on définit un groupe identifiable de personnes non désignées nommément. Puisque les paragraphes 231.2(3) et 289(3) qui traitent de cette autorisation judiciaire réfèrent au paragraphe 1 de ces articles respectifs, je reproduis le texte de l’article 231.2 en entier :

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)

Production de documents ou fourniture de renseignements

Requirement to provide documents or information

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a listed international agreement or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

b) qu’elle produise des documents.

(b) any document.

Personnes non désignées nommément

Unnamed persons

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

Autorisation judiciaire

Judicial authorization

(3) Sur requête du ministre, un juge de la Cour fédérale peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou la production de documents prévues au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

(3) A judge of the Federal Court may, on application by the Minister and subject to any conditions that the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection (1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) if the judge is satisfied by information on oath that

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

(a) the person or group is ascertainable; and

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

(c) and (d) [Repealed, 1996, c. 21, s. 58(1)]

(4) à (6) [Abrogés, 2013, ch. 33, art. 21]

(4) to (6) [Repealed, 2013, c. 33, s. 21]

Le texte de l’article 289 de la Loi sur la taxe d’accise étant identique, il est reproduit à l’Annexe I des présents motifs. À moins d’indication contraire, l’analyse vaut pour l’article 289 de la LTA.

I.  La demande péremptoire

[2]  Si la demande péremptoire est autorisée, elle sera adressée à Hydro-Québec. Hydro-Québec est une personne morale créée par une loi du Québec, la Loi sur Hydro-Québec (1983 c. 15 a. 1. (ch. H-5)) [LHQ]. Elle est mandataire de l’État. Son fonds social autorisé est divisé en 50 millions d’actions attribuées au Ministre des Finances du Québec. Hydro-Québec bénéficie de larges pouvoirs conférés par la LHQ afin de remplir son mandat dont les paramètres sont eux-mêmes étendus. Je reproduis les articles 22, 22.1, 23 et 24 :

22. La Société a pour objets de fournir de l’énergie et d’œuvrer dans le domaine de la recherche et de la promotion relatives à l’énergie, de la transformation et de l’économie de l’énergie, de même que dans tout domaine connexe ou relié à l’énergie.

22. The objects of the Corporation are to supply power and to pursue endeavours in energy-related research and promotion, energy conversion and conservation, and any field connected with or related to power or energy.

[…]

[…]

22.1Pour la réalisation de ses objets, la Société prévoit notamment les besoins du Québec en énergie et les moyens de les satisfaire dans le cadre des politiques énergétiques que le gouvernement peut, par ailleurs, établir.

22.1 To attain its objects, the Corporation shall estimate, in particular, the needs of Québec in energy and the means of meeting them within the scope of the energy policies that the Government may otherwise establish.

La Société peut mettre en œuvre des programmes d’économie d’énergie; à cette fin elle peut accorder une aide technique ou financière.

The Corporation may implement energy conservation programs; to that end, it may grant technical or financial assistance.

23. La Société est tenue de fournir de l’électricité à toute municipalité dans le territoire de laquelle elle n’en distribue pas, qui est désireuse d’en faire elle-même la distribution et qui se conforme à la Loi sur les systèmes municipaux et les systèmes privés d’électricité (chapitre S41), à moins que la Société ne soit pas alors en mesure de desservir économiquement ce territoire.

23. The Corporation shall supply electric power to every municipality in whose territory it does not distribute such power, that wishes to distribute such power itself, and that complies with the Act respecting municipal and private electric power systems (chapter S-41), unless the Corporation is not at that time in a position to serve the territory economically.

Elle doit également, sous la même réserve, dans un territoire où elle ne distribue pas d’électricité, en fournir à toute coopérative d’électricité qui lui en fait la demande.

It shall likewise, subject to the same proviso, in any territory wherein it does not distribute electric power, supply such power to any electricity cooperative applying to it therefor.

La Société doit fournir à toute municipalité qui désire se prévaloir des dispositions du premier alinéa du présent article tous les renseignements requis pour l’étude du projet.

The Corporation shall supply all information required for consideration of the project to any municipality wishing to avail itself of the provisions of the first paragraph of this section.

24. La Société doit maintenir ses tarifs d’énergie à un niveau suffisant pour défrayer au moins:

24. The Corporation shall maintain its power rates at a sufficient level to defray, at least,

  tous les frais d’exploitation;

(1)  all operating expenditures;

  l’intérêt sur sa dette;

(2)  the interest on its debt;

  l’amortissement de ses immobilisations sur une période maximum de cinquante ans.

(3)  the amortization of its fixed assets over a maximum period of fifty years.

[3]  Malgré l’intitulé de la cause, Hydro-Québec n’est pas la cible de la demande péremptoire. Elle n’est pas un contribuable à qui on demande des renseignements pertinents à la LIR. Elle est une tierce personne en ce que les personnes sur qui la ministre veut recevoir de l’information détenue par Hydro-Québec sont des personnes non désignées nommément. Dit autrement, les cibles sont ces personnes. Hydro-Québec détient de l’information que la demanderesse croit utile et qu’elle réclame.

[4]  Hydro-Québec n’a offert aucune opposition et a réitéré son intention d’obtempérer après que la Cour eut indiqué certaines réticences à émettre l’autorisation demandée le 23 février 2018, obtenant en avril 2018 de nouvelles représentations écrites et une dénonciation supplémentaire. Elle a indiqué, deux fois mieux plutôt qu’une, qu’elle « consent à obtempérer à la demande péremptoire de renseignements formulée par la demanderesse » (lettre du 1er mai 2018; une lettre au même effet était envoyée à l’administrateur judiciaire de la Cour fédérale le 18 janvier 2018).

[5]  Malgré cette collaboration, l’intervention judiciaire est nécessaire à cause du paragraphe 231.2(2). Au final, l’absence d’opposition de la défenderesse ne peut recevoir aucun poids quant aux conditions requises pour l’obtention de l’autorisation judiciaire. Ainsi, l’affiant a cherché dans sa deuxième dénonciation à trouver appui sur l’absence de contestation par Hydro-Québec que la classe de personnes au sujet desquelles des renseignements d’Hydro-Québec sont demandés constitue un groupe identifiable (dénonciation #2, para 6). Le mémoire supplémentaire des faits et du droit cherche à faire le même argument (para 32). Je n’y accorde aucun poids. Les personnes qui sont la cible de la demande péremptoire ne sont aucunement représentées. Il revient donc à la Cour d’en considérer les intérêts. Étant donné que la demande à leur égard est ex parte et qu’aucune révision subséquente n’est prévue à la LIR depuis 2007, l’examen de la demande d’autorisation sera faite en exerçant la vigilance nécessaire aux demandes faites ex parte. On peut même penser que c’est la raison d’être de l’intervention judiciaire décrétée par le législateur dans le cas où une ou plusieurs personnes ne sont pas nommément désignées.

[6]  Mais alors, que veut-on d’Hydro-Québec? La demanderesse veut des renseignements. Elle veut des renseignements sur des clients d’Hydro-Québec. En fait, elle veut des renseignements sur un grand nombre de clients.

[7]  On comprend des deux dénonciations que la demanderesse est à la recherche de renseignements sur les clients commerciaux ou d’affaires, à quelques exceptions près. Ainsi, seront exclus les clients assujettis au tarif « grande puissance » (e.g. entreprises d’extraction de minerais ou usines de transformation) et les organismes gouvernementaux, qu’ils soient fédéraux, provinciaux ou municipaux. La seconde dénonciation précise à cet égard que ces entités sont exemptées d’impôt. On verrait mal que des entités exemptées d’impôt fassent l’objet d’une demande péremptoire visant, par définition, l’administration de la LIR.

[8]  Si la cible est constituée des clients commerciaux ou d’affaires, seront aussi exclus les clients qui subissent un tarif domestique, « soit le tarif qui s’applique généralement à un usage domestique, c’est-à-dire à l’utilisation de l’électricité dans une maison d’habitation… » [je souligne] (dénonciation #2, para 12). Mais ce n’est peut-être pas si simple. Cette mention est tirée de la pièce 2 de la deuxième dénonciation, un site internet d’Hydro-Québec qui donne des informations sur le tarif D (tarif domestique pour la clientèle résidentielle et agricole). Or, le site indique les « utilisations d’une partie de l’électricité à des fins autres que d’habitation (puissance installée égale ou inférieure à 10 kW) » comme répertorié sous la rubrique « Autres cas où s’applique le tarif D ». Cela suggère que la personne qui fait affaires à même sa maison d’habitation mais qui a une puissance installée supérieure à 10 kW serait appelée à payer un taux autre que celui du tarif D. Dit autrement, la maison d’habitation n’est pas automatiquement incluse au tarif D, ce qui implique bien sûr qu’un autre tarif sera appliqué.

[9]  Aucune information n’est offerte sur les autres tarifs. Ni la dénonciation initiale, ni la dénonciation supplémentaire n’indiquent comment quelqu’un se qualifie pour l’un des tarifs quelconques auxquels la dénonciation réfère. Pour seule preuve, la dénonciation offre quelques pages d’un site internet attribué à Hydro-Québec aux pièces 1 et 2 de la dénonciation supplémentaire. À la pièce 1, on apprend qu’Hydro-Québec a 4,3 millions de clients. On ne fournit aucune indication pour qui opère un fonds de commerce ou pratique son métier à la maison. En fait, on ne sait rien des clients commerciaux ou d’affaires d’Hydro-Québec outre qu’ils peuvent être des personnes physiques ou morales.

[10]  On ne trouve nulle part au dossier en quoi consiste la catégorie « clients commerciaux ou d’affaires » outre, peut-être, qu’ils ne sont pas les clients au tarif « grand puissance » ou ceux assujettis au tarif domestique. On peut soupçonner que qui fait affaire à même sa maison d’habitation pourrait être assujetti au tarif commercial. Non seulement restent inconnues les caractéristiques utilisées pour définir qui est un client commercial, mais aucune indication n’est fournie du nombre de ces clients sur le territoire desservi par Hydro-Québec, parmi le 4,3 millions de clients.

[11]  La demanderesse prétend donc qu’il s’agit là d’un groupe identifiable, présumément parce que cela ne vise pas tous les consommateurs d’électricité de la province. Sans autre explication à la dénonciation, il est déclaré qu’en ciblant « uniquement certains clients d’Hydro-Québec ayant une activité commerciale ou d’affaires », nous avons un groupe identifiable au sens de la LIR (dénonciation supplémentaire, para 14 et 15). Comment certains clients ayant une activité commerciale ou d’affaires deviennent un groupe identifiable n’est pas expliqué.

[12]  Le type d’information recherchée est présenté au paragraphe 12 de la première dénonciation. Ledit paragraphe est reproduit en entier :

Pour déterminer si les personnes morales ou physiques faisant partie du Groupe visé ont respecté les dispositions de la LIR et de la LTA, il est nécessaire et pertinent qu’Hydro-Québec fournisse à la Ministre du Revenu national :

·  Le prénom de la personne physique;

·  Le nom de famille de la personne physique;

·  Le nom de la personne morale;

·  Le numéro d’entreprise du Québec (NEQ), si disponible;

·  L’adresse de facturation complète;

·  L’adresse complète de chacun des lieux de consommation;

·  Le(s) numéro(s) de téléphone;

·  La date de début de facturation de chacun des contrats;

·  La date de fin de facturation du contrat, le cas échéant;

·  L’identification à l’effet que le client a reçu un avis de retard de paiement au cours des 24 mois précédents la date d’extraction des données, le cas échéant;

·  En annexe, l’explication et/ou la définition relative à toute abréviation ou symbole pouvant figurer dans les informations fournies par Hydro-Québec.

Le tout, dans un fichier électronique (par exemple Access), qui sera transmis à l’ARC conformément aux normes de sécurité des deux parties.

[13]  On ne trouve nulle part aux deux dénonciations avec leurs pièces, qui constituent la seule preuve devant la Cour, une indication selon laquelle la demanderesse aurait des soupçons à l’égard de la collectivité des clients commerciaux d’Hydro-Québec. Aucune information financière ou relative à la situation des clients commerciaux d’Hydro-Québec n’est demandée.

[14]  Les dénonciations ne sont pas bavardes à l’égard de ce que la demanderesse pourrait faire de l’information ainsi collectée d’Hydro-Québec. L’utilisation de l’information recherchée est présentée laconiquement aux paragraphes 13 à 15 de la première dénonciation comme l’examen de « […] la situation fiscale des personnes morales ou physiques pour qui l’identité et les coordonnées lui auront permis de retracer un numéro d’entreprise ou un numéro d’assurance sociale […] » (para 13). On cherche alors à identifier ceux qui semblent faire affaire et qui n’auraient pas produit toutes les déclarations de revenu requises. Mais il y a plus. Les dénonciations annoncent que les renseignements obtenus sont partagés avec d’autres groupes au sein de l’Agence du Revenu du Canada [ARC] qui à leur tour examineront « si les particuliers et entreprises ont respectés [sic] leurs obligations en vertu de la LIR et de la LTA » (para 15).

[15]  Le second affidavit ne fournit pas un meilleur éclairage sur l’utilisation à faire. Ainsi, aucune indication n’est disponible sur l’ampleur de la collecte de renseignements, puisque le nombre de personnes visées qui pourrait être considérable n’est pas connu, l’utilisation et l’analyse qui en sera faite, ou la rétention des renseignements qui est permise. Je note cependant qu’à la fin du paragraphe 12 de la première dénonciation, reproduit au paragraphe 12 des présents motifs, l’ARC requiert que les données soient sur un fichier électronique. On retrouve la même exigence au projet de demande péremptoire. On peut penser que les banques de données respectives de la demanderesse et de la défenderesse seront mises à contribution et seront croisées.

[16]  J’ajoute que le projet de demande péremptoire soumis à l’appui de la première dénonciation comporte une description très schématique, pratiquement squelettique, du groupe identifiable. Son texte se lit ainsi :

À qui de droit,

L’agence du revenu du Canada (« ARC ») désire obtenir d’Hydro-Québec la liste de toutes les personnes morales ou physiques identifiées comme des clients commerciaux ou affaires, dont l’abonnement est assujetti à un tarif général, à l’exclusion des personnes morales ou physiques qui sont assujetties aux tarifs domestiques de même que les organismes gouvernementaux (fédéraux, provinciaux et municipaux) (ci-après la liste des clients).

II.  La position de la demanderesse

[17]  À l’évidence, la demanderesse voit dans l’article 231.2(3) de la LIR un pouvoir pratiquement illimité d’obtenir de l’information de tiers pour son utilisation à ses propres fins. On tente de justifier la portée de la demande du fait des principes d’auto-déclaration et d’autocotisation qui nécessitent de vastes pouvoirs de vérification, d’enquête et d’inspection.

[18]  Ainsi, la demanderesse cherche à lire dans toute sa plénitude les alinéas 231.2(1) et (3) : elle dit seulement qu’elle veut que la défenderesse fournisse des renseignements ou produise des documents. Il n’est pas nécessaire que les renseignements et documents eux-mêmes soient reliés à la LIR, semble-t-il, puisque la nature de l’information recherchée est relative à une consommation d’électricité à un tarif commercial, que cette consommation puisse avoir lieu dans une maison d’habitation ou dans un local typiquement commercial. Le même type de lecture est fait des conditions d’émission de l’autorisation. Le groupe est identifiable (en anglais « group is ascertainable ») dans la mesure où sont éliminés les grands utilisateurs d’électricité et les utilisateurs au tarif domestique. On ne définit pas davantage le groupe qui, de toute évidence, pourra comprendre plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs d’électricité au Québec. Quant à la deuxième condition, elle est remplie puisque l’utilisation d’électricité au tarif commercial est exigée pour vérifier le respect des devoirs et obligations prévus à la LIR. À cet égard, la preuve est bien mince, comme on l’a vu.

[19]  Dans son mémoire initial, la demanderesse prétendait qu’une fois les conditions du paragraphe 231.2(3) remplies, la Cour doit accorder l’autorisation demandée. À entendre la demanderesse, ces deux conditions sont facilement remplies. Ainsi, un groupe identifiable est, tout simplement, celui qui peut être identifié ou circonscrit. Du fait que le groupe soit les personnes morales ou physiques qui ne sont pas assujettis au tarif grande puissance ou au tarif domestique, « la définition de ce groupe est suffisamment circonscrite pour respecter l’économie de la LIR et de la LTA » (para 37). Aucune autre explication n’est donnée; on comprend mal en quoi il n’aurait pas été possible de requérir la liste des 4,3 millions de clients d’Hydro-Québec. Il s’agirait en fait d’un groupe encore mieux défini puisque la demanderesse n’a pas par ailleurs défini en quoi consiste le groupe autre que par référence à d’autres groupes dont on ne connaît pas davantage les paramètres.

[20]  Le mémoire des faits et du droit supplémentaire apporte peu de précision. On y ajoute qu’il y a un nombre limité de clients commerciaux et que ceux-ci constituent un sous-groupe de l’ensemble des clients d’Hydro-Québec. Alors que la Cour avait demandé des précisions sur la nature du concept de « groupe identifiable » lors de l’audition initiale, le mémoire supplémentaire n’en présente aucune. On en reste avec le groupe identifiable comme étant celui qui peut être identifié ou circonscrit, sans plus. Sa composition reste inconnue. Il y a là une forme de circularité.

[21]  La même circularité est peut-être présente quant au deuxième critère selon lequel la fourniture de renseignements est pour vérifier le respect de devoirs et obligations prévus par la LIR dans le cas de personnes non désignées nommément. Pour la demanderesse, elle dit vouloir vérifier si les clients commerciaux remplissent leurs devoirs et obligations et pour ce faire elle doit avoir la liste de ces clients commerciaux d’Hydro-Québec. La demanderesse croit qu’elle peut demander tout renseignement « puisque les renseignements visés par la [demande péremptoire] s’inscrivent dans une vérification fiscale faite de bonne foi en vue de vérifier un devoir ou une obligation imposée par ces deux lois » (para 41, premier mémoire des faits et du droit). On peut difficilement avoir plus général.

[22]  Autrement dit, la demanderesse prétend que pour essentiellement tout groupe qu’elle étiquette d’une manière ou une autre, sans limite quant à son ampleur, sa composition ou ses caractéristiques, elle peut demander à un tiers des renseignements dans la seule mesure où elle aura décidé de commencer éventuellement une vérification fiscale quelconque. Elle pourra alors utiliser les renseignements demandés comme bon lui semble, les transmettant alors aux différents secteurs de l’ARC. Ainsi, la demanderesse peut obtenir l’autorisation judiciaire sur la seule base qu’elle peut demander des renseignements, pour ainsi dire quels qu’ils soient, dès qu’elle entend mener éventuellement une vérification fiscale grand format. Cela me semble être la définition même de recherche à l’aveuglette (la « fishing expedition » en anglais).

[23]  Étant donné que la Cour avait mis en doute la prétention de la demanderesse selon laquelle une fois les deux conditions remplies, l’autorisation devait être accordée, la demanderesse a été invitée à faire part de ses observations à l’égard d’une discrétion judiciaire pour refuser l’octroi de l’autorisation judiciaire. En effet, si les conditions d’octroi d’une autorisation judiciaire sont aussi circulaires que le prétend la demanderesse et qu’en plus il n’y a pas de discrétion judiciaire, à quoi bon sert l’autorisation judiciaire? Quel est l’objectif d’une telle mesure?

[24]  Étonnamment, la demanderesse avait peu à dire sur la discrétion judiciaire outre que de la constater. Si je comprends bien, la discrétion se limite aux cas où la vérification fiscale ne serait que factice afin de chercher à atteindre un autre but, comme d’intimider une industrie donnée ou l’utiliser afin d’entreprendre une poursuite pénale éventuelle. Mais alors, la vérification ne serait plus de bonne foi, ce qui vicierait la deuxième condition qui ne serait plus présente, empêchant l’octroi de l’autorisation non pas par exercice de discrétion, mais plutôt parce que les conditions d’octroi ne sont pas présentes. La demanderesse semble voir peu de place à l’exercice de discrétion judiciaire.

III.  Analyse

[25]  La question qui se pose à la Cour est de déterminer si une autorisation judiciaire devrait être accordée alors même que la demande de renseignements pourrait être pratiquement sans limite selon l’utilisation que fait la demanderesse des paragraphes 231.2(2) et (3). Trois sous-questions se posent :

  • Y a-t-il un groupe identifiable, au sens de la LIR?

  • Les renseignements à être fournis et les documents à être produits sont-ils exigés pour vérifier si ce groupe identifiable a respecté les devoirs et obligations prévus par la LIR?

  • Même si les conditions pouvaient être remplies en cherchant à leur donner l’interprétation la plus large, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’accorder l’autorisation judiciaire?

[26]  À mon avis, la demanderesse veut trop en faire avec le texte par ailleurs imprécis de l’article 231.2. Non seulement le groupe n’est pas identifiable, mais l’information recherchée ne permet pas de vérifier en soi le respect de la Loi. Cette information est en amont de quelque obligation ou devoir. Elle précède une vérification fiscale lorsqu’on en examine le fondement factuel véritable. Elle ne permet que de chercher à établir une corrélation entre des banques de données conservées par deux organismes gouvernementaux et quasi-gouvernementaux. L’utilisation des paragraphes 231.2 (2) et (3) en stériliserait la signification.

[27]  Je conviens d’emblée que l’État a besoin de moyens puissants pour faire respecter la loi là où le contribuable déclare ses propres revenus et s’auto-cotise (R c McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 RCS 627 [McKinlay], à la p. 648). Mais je ne puis me résoudre à conclure que l’utilisation agressive qui est maintenant préconisée par la demanderesse soit conforme à l’intention du législateur. Mon examen de la jurisprudence en la matière depuis plus de 50 ans ne me convainc pas qu’il s’agisse d’une lecture appropriée de l’article 231.2.

[28]  Sans doute que, étant donné le caractère exorbitant du droit commun de cette mesure, c’est-à-dire du droit que chacun d’être laissé tranquille par l’État, l’interprétation de telles dispositions doit être stricte (Canada (Revenu national) c Chambre immobilière du grand Montréal, 2007 CAF 346; [2008] 3 RCF 366 [CIGM-CAF], para 35 et 38, McKinlay, p. 642) sans pour autant chercher à ajouter des conditions supplémentaires étrangères au texte de loi.

[29]  Ici, le législateur a prévu une intervention judiciaire dans le cas où la demande est faite à quelqu’un, une tierce partie, au sujet de personnes non désignées nommément (para 231.2(2) LIR). L’intervention judiciaire demandée par le législateur est, à tout le moins, pour y jouer le rôle traditionnel des tribunaux de départager entre des droits concurrents : pour reprendre le cadre d’analyse dans Hunter et autres c Southam Inc., [1984] 2 RCS 145 [Hunter], la Cour recherche en fin de compte à voir si le droit de l’état est supérieur à celui des particuliers de ne pas être importuné par le gouvernement.

[30]  De toute évidence, le Parlement a choisi l’arbitre judiciaire qui, presque par définition, agit de façon judiciaire en ce que le juge agit de manière juste, neutre et impartiale, sans préjugé et sans l’influence de considérations étrangères à la question à être décidée. Puisque les cibles de la recherche de renseignements sont des personnes non désignées nommément, et donc inconnues, l’autorisation judiciaire ne peut être conférée qu’après un examen vigilant. En plus, le Parlement a introduit l’intervention judiciaire en indiquant que le juge doit être convaincu, ce qui emporte la nécessité d’avoir des critères qui ne sont pas stérilisés et une norme de preuve supérieure à la norme habituelle de motifs raisonnables de croire.

A.  L’évolution jurisprudentielle

[31]  Un examen de la jurisprudence antérieure pourrait apporter un éclairage sur la portée du paragraphe 231.2(3) qui est une créature relativement récente.

[32]  L’obligation de fournir des renseignements au fisc remonte à la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, 1917 (L.C. 1917, c. 28) (R c Jarvis, 2002 CSC 73; [2002] 3 RCS 757 [Jarvis], para 54). La première décision qui mérite attention est Canadian Bank of Commerce v Attorney General (Canada), [1962] SCR 729 [Canadian Bank of Commerce]. Une demande péremptoire avait été adressée à la Canadian Bank of Commerce et elle était relative aux activités d’une cliente, The Union Bank of Switzerland qui faisait affaire avec elle. La Canadian Bank of Commerce n’était pas soupçonnée de malversation. Le texte de loi permettant une demande de renseignements était alors libellé de la façon suivante :

126(2) Pour toute fin connexe à l’application ou à l’exécution de la présente loi, le Ministre peut, par lettre recommandée ou par demande formelle signifiée personnellement, exiger de toute personne

126(2) The Minister may, for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, by registered letter or by a demand served personally, require from any person

a) tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris la déclaration supplémentaire, ou

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return, or

b) la production ou la production sous serment de livres, lettres, comptes, factures, états (financiers ou autres) ou d’autres documents, dans le délai raisonnable qui peut y être fixé.

(b) production, or production on oath, of any books, letters, accounts, invoices, statements (financial or otherwise) or other documents, within such reasonable time as may be stipulated therein.

La demande péremptoire visait entre autres des transactions pour une période donnée, et aurait permis de connaître des renseignements sur les activités de personnes autres, certaines résidentes et d’autres non.

[33]  La Cour a refusé de considérer une demande péremptoire comme devant être limitée à l’assujettissement à l’impôt de la Canadian Bank of Commerce. Tant pour la pluralité de cinq juges que les quatre autres, la nécessité que la demande soit faite pour une fin connexe à l’application ou l’exécution de la LIR était remplie du fait qu’il était convenu que la demande est fonction de la « genuine and serious inquiry into the tax liability of some specified person or persons » ([Traduction] « de l’enquête véritable et sérieuse au sujet de l’assujettissement à l’impôt d’une ou de personnes spécifiques »). Dit autrement, malgré le texte du paragraphe 126(2) qui avait une très large portée, les parties convenaient qu’il fallait à tout le moins que la demande fusse pour l’application ou l’exécution de la LIR, condition remplie par une enquête véritable et sérieuse relative à des personnes spécifiques.

[34]  C’est peut-être davantage la décision James Richardson & Sons, Ltd. c Ministre du Revenu National et autres, [1984] 1 RCS 614 [Richardson] qui est la source moderne de l’analyse du pouvoir d’émettre des demandes péremptoires. James Richardson & Sons était un courtier faisant le commerce de denrées à termes et le Ministre voulait vérifier les négociants en denrées à terme (en anglais « traders in the commodities futures market »). Dans cette affaire, le ministre a donc demandé à Richardson « de lui fournir le dossier sur bande magnétique concernant les états mensuels des opérations à terme de ses clients pour l’année 1977 » (p 617). Ceci étant à titre d’essai, Richardson a fourni les renseignements sans identifier les clients outre que par un numéro de compte. C’est ainsi que la demande péremptoire subséquente « enjoignant de remettre sur bande magnétique…ces renseignements » (i.e. le répertoire complet des bureaux et la liste complète des clients avec adresses et numéros de compte) « ainsi que les détails de toutes les opérations mensuelles pour l’année 1977 qui ont servi à établir les états des opérations à terme de ses clients » (p 617) était adressée à James Richardson & Sons Ltd. Des demandes au même effet étaient présentées pour 1978 et 1979.  Le paragraphe 126(2) était devenu en 1971 le paragraphe 231(3) (le mot « connexe » avait été remplacé par le mot « relative » dans la version française. La version anglaise était intacte).

[35]  Les Cours fédérales (Division de première instance et la Cour d’appel) ont conclu que les demandes péremptoires étaient appropriées. En première instance, en recherchant si la demande était relative à l’application ou l’exécution de la LIR, le juge avait considéré qu’il s’agissait d’une enquête sérieuse sur l’assujettissement à l’impôt de personnes déterminées puisqu’il suffit de les décrire de façon à pouvoir les identifier facilement. Les clients dans le « commodities securities market » des trois années en question constitueraient un groupe facilement identifiable. Quant à la Cour d’appel, elle a pour ainsi dire écarté l’arrêt Canadian Bank of Commerce. Je reproduis ici le passage de la décision de la Cour d’appel qu’on retrouve dans Richardson aux pages 619 et 620 :

Le jugement rendu dans Canadian Bank of Commerce était fondé sur le fait, reconnu par les parties, que la demande dans cette affaire portait sur une enquête véritable et sérieuse sur l’assujettissement d’une ou de plusieurs personnes à l’impôt, mais je n’interprète pas ce jugement comme voulant dire qu’il s’agissait là de la seule fin valide sous le régime de ce qui est maintenant le paragraphe 231(3). En tout cas, je suis loin d’être certain que les faits de l’espèce présente soient vraiment différents de ceux sur lesquels la majorité de la Cour suprême fondait sa conclusion. Dans l’avis majoritaire du juge Cartwright (tel était alors son titre), l’expression [TRADUCTION] «une ou plusieurs personnes déterminées» voulait dire, à l’évidence, non pas des personnes nommées, mais simplement des personnes existantes et qu’on peut identifier. La mention de tous les clients de l’appelante qui font le commerce des denrées à terme tombe dans le sens de cette expression.

[36]  Les six juges ayant participé au jugement de la Cour suprême n’acceptent pas une interprétation aussi large du pouvoir et ils se réclament de Canadian Bank of Commerce pour renverser les cours inférieures. Il ne me semble pas faire de doute que la Cour conclut à la nécessité d’une enquête véritable et sérieuse. Il ne suffit pas, comme le prétend le ministre, de vouloir « vérifier l’exactitude des déclarations d’impôt sur le revenu produites par les clients de l’appelant qui sont des négociants en denrées à terme » (p 623). Le ministre disait aussi qu’il suffisait de viser une catégorie précise de contribuables; en l’espèce, la catégorie était constituée des clients « qui font le commerce de denrées à terme » (p 625). La Cour considère que la demande péremptoire ne peut être utilisée à cet effet; elle constitue une « recherche à l’aveuglette » (« fishing expedition »), soit une enquête générale cherchant à voir si ces négociants observent la Loi. Si une telle recherche de renseignements peut être faite, le ministre doit obtenir un règlement en vertu de l’alinéa 221(1)d) de la LIR. Cette disposition, qui existe toujours, permet d’enjoindre une catégorie de personnes visées par le règlement de faire des déclarations de renseignements nécessaires à l’établissement de cotisation selon la LIR. Il apparaît que la Cour fait de l’enquête véritable la condition de la validité pour l’utilisation de la demande péremptoire. On peut lire à la fin du seul paragraphe complet de la page 625 :

[…] Après avoir obtenu un tel règlement, il est alors en mesure d’exiger ces déclarations, peu importe qu’une enquête soit ou non en cours au sujet d’une ou plusieurs personnes déterminées. À mon avis, l’existence même de ces dispositions dans la Loi étaye le point de vue avancé dans l’arrêt Canadian Bank of Commerce portant que le Ministre ne peut recourir au par. 231(3) pour obtenir des renseignements sur l’assujettissement à l’impôt d’une seule ou de plusieurs personnes déterminées que si leur assujettissement fait l’objet d’une enquête véritable et sérieuse.

[J’ai souligné]

[37]  À mon sens, la Cour démontre sa réticence à accepter la recherche à l’aveuglette en faisant une condition essentielle pour l’émission valide d’une demande péremptoire à un tiers l’existence de l’enquête véritable sur des personnes déterminées. La nécessité de l’enquête véritable et sérieuse n’a peut-être pas acquis ses lettres de noblesse dans Canadian Bank of Commerce puisqu’elle procédait d’une concession des parties, mais elles lui ont été décernées dans Richardson. La concession des parties dans Canadian Bank of Commerce est devenue la condition retenue dans Richardson. Si la décision dans Canadian Bank of Commerce n’était pas claire, la Cour l’a rendue très claire dans Richardson :

L’intimé reconnaît que ni l’appelante ni l’un de ses clients n’est une personne dont l’assujettissement à l’impôt fait l’objet d’une enquête au sens de l’arrêt Canadian Bank of Commerce. Il soutient cependant que ce n’est là qu’une des fins envisagées par le par. 231(3). En l’espèce, la demande a pour but de vérifier l’exactitude des déclarations d’impôt sur le revenu produites par les clients de l’appelante qui sont des négociants en denrées à terme. Il s’agit là également, prétend-il, d’une fin relative à l’application ou à l’exécution de la Loi.

Je comprends difficilement l’argument de l’intimé concernant l’arrêt Canadian Bank of Commerce. Si cet arrêt décide effectivement qu’une demande de renseignements qui est présentée pour les fins d’une enquête véritable et sérieuse sur l’assujettissement à l’impôt d’une seule ou de plusieurs personnes déterminées est une demande faite pour les fins de l’application ou de l’exécution de la Loi, comment peut-on dire, en conformité avec cette décision, qu’une demande qui ne répond pas à un tel critère est également présentée à une fin relative à l’application ou à l’exécution de la Loi? S’il en est ainsi, c’est en vain que la Cour, dans l’affaire Canadian Bank of Commerce, a fait de l’enquête véritable et sérieuse sur l’assujettissement à l’impôt d’une seule ou de plusieurs personnes déterminées une condition essentielle de la validité de la demande en cause. Néanmoins, le juge Cartwright a affirmé clairement que son jugement se fondait sur l’existence de cette condition essentielle. Après avoir cité certains paragraphes de l’exposé de cause, il a déclaré à la p. 738 que l’on s’accorde pour dire [TRADUCTION] «que la demande adressée à l’appelante est liée à une enquête véritable et sérieuse sur l’assujettissement à l’impôt d’une seule ou de plusieurs personnes déterminées». Il précise ensuite que le fait que la réponse à la demande puisse divulguer des opérations confidentielles mettant en cause un certain nombre de personnes qui ne font pas l’objet d’une enquête et qui peuvent ne pas être assujetties à l’impôt n’a pas pour effet d’invalider la demande. Il réitère le but de la demande à la p. 739:

[TRADUCTION] La demande visait à obtenir des renseignements portant sur l’assujettissement à l’impôt d’une ou de plusieurs personnes déterminées faisant l’objet d’une enquête à ce sujet; il s’agit là d’une fin relative à l’application ou à l’exécution de la Loi.

Par conséquent, même si je partage l’avis du juge Le Dain selon lequel la Cour n’a pas dit, dans l’arrêt Canadian Bank of Commerce, que la fin visée dans cette affaire, savoir l’obtention de renseignements portant sur l’assujettissement à l’impôt d’une personne, était la seule fin pour laquelle une demande pouvait valablement être présentée en vertu du par. 231(3), elle a néanmoins insisté sur une condition essentielle à cette fin particulière, savoir que l’assujettissement à l’impôt de cette personne doit faire l’objet d’une enquête, et c’est cette condition essentielle qui, selon l’appelante, est absente en l’espèce.

[J’ai souligné]

(Richardson, pages 623-624)

[38]  Les choses ne devaient pas en rester là. C’est la constitutionnalité du pouvoir d’émettre une demande péremptoire qui était considérée en 1990 dans McKinlay. En l’espèce, il s’agissait de la vérification fiscale de deux entreprises; ayant refusé d’obtempérer à des demandes péremptoires qui leur étaient nommément adressées, elles ont été accusées en vertu du paragraphe 238(2) de la LIR. La constitutionnalité du paragraphe 231(3) était contestée. En Cour provinciale, le paragraphe a été jugé abusif. Tant la Haute Cour que la Cour d’appel d’Ontario ont conclu que la demande péremptoire ne peut être émise pour effectuer une recherche à l’aveuglette sans procéder à une enquête véritable sur l’assujettissement à l’impôt. Par ailleurs, ces cours ont jugé que le paragraphe 231(3) n’autorisait pas une saisie au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte].

[39]  La juge Wilson, l’auteure des motifs dans Richardson, fournit les motifs les plus élaborés dans McKinlay. Elle établit d’entrée de jeu que le pouvoir conféré par le paragraphe 231(3) n’a pas la portée extrêmement large qu’on pourrait y voir. Elle confirme Canadian Bank of Commerce et Richardson et, sur cette base, examine si, avec une portée limitée, le paragraphe 231(3) constitue une saisie abusive. La juge Wilson reprend les conclusions dans Richardson (p. 639) et conclut que l’application du paragraphe 231(3) constitue une saisie parce que les attentes en matière de protection de la vie privée sont violées. Pour ce faire, la juge Wilson s’appuie sur deux motifs :

[…] Premièrement, le par. 231(3), même interprété de façon stricte conformément à la jurisprudence antérieure, envisage la production forcée d'un large éventail de documents et non simplement de ceux que le contribuable est tenu, en vertu de la Loi, de tenir et de conserver.  Deuxièmement, la Loi prévoit que des personnes qui ne font pas l'objet d'une enquête ou d'une vérification peuvent être forcées à produire des documents relatifs à un autre contribuable qui fait l'objet d'une telle enquête ou vérification. Ainsi donc, la production forcée va au-delà des exigences strictes de la Loi en matière de dépôt et de tenue de documents et elle peut fort bien s’étendre à des renseignements et à des documents que le contribuable a intérêt à voir protéger conformément à l’art. 8 de la Charte, bien que cet intérêt puisse ne pas être aussi essentiel que celui qui existe dans un contexte criminel ou quasi criminel.

[J’ai souligné]

(McKinlay, p 642)

Non seulement la décision confirme qu’il faut un lien fort avec la LIR pour satisfaire à l’exigence que la demande soit pour l’application ou l’exécution de la LIR, mais l’interprétation stricte de la LIR est confirmée et préférée. Ainsi, avec la portée restreinte alors donnée à la Loi, la Cour conclut qu’il s’agit d’une saisie au sens de l’article 8 de la Charte qui n’est pas inconstitutionnelle puisque, « [à] mon sens, le par. 231(3) prescrit la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de la Loi de l’impôt sur le revenu » (p. 649).

[40]  Cette approche ne s’est pas dédite dans Jarvis où, cette fois, la Cour cherchait à déterminer les pouvoirs qui peuvent être utilisés dépendant qu’il s’agisse d’une enquête criminelle ou d’une vérification :

Notre Cour a examiné l’étendue du pouvoir de demande péremptoire dans les arrêts Canadian Bank of Commerce c. Canada (Attorney General), [1962] R.C.S. 729, et James Richardson & Sons, Ltd. c. M.R.N., [1984] 1 R.C.S. 614. À la page 625 de l’arrêt Richardson, le juge Wilson conclut que cette disposition ne peut servir pour faire une « recherche à l’aveuglette » et que « le Ministre ne peut [y] recourir [. . .] pour obtenir des renseignements sur l’assujettissement à l’impôt d’une seule ou de plusieurs personnes déterminées que si leur assujettissement fait l’objet d’une enquête véritable est sérieuse ».

Je me permets deux observations. D’abord, Jarvis considérait le texte du paragraphe 232.1(1) de la LIR tel qu’il existe présentement. Ensuite, la Cour était concernée par la différence entre une vérification (« audit ») et une enquête de nature criminelle. Jamais n’a-t-on considéré une situation antérieure à une vérification, pour ainsi dire en amont d’une vérification, là où aucune vérification n’est même commencée.

B.  L’évolution du texte de loi

[41]  Comme déjà noté, pour nos fins, il suffit de noter que la LIR de 1952 prévoyait une série de pouvoirs pour une « fin connexe à l’application ou à l’exécution de la présente loi » (« any purpose related to the administration or enforcement of this Act »), dont la demande péremptoire au paragraphe 126(2). Son texte s’est retrouvé au paragraphe 231(3) de la loi de 1971, à la seule exception que le mot « connexe » y était remplacé par le mot « relative », la version anglaise demeurant la même.

[42]  C’est en 1986 qu’apparaît la version qui, amendée au fil du temps pour essentiellement en réduire les conditions pour l’émission d’une demande péremptoire sur autorisation judiciaire, deviendra le texte dont nous devons déterminer la portée.

[43]  En 1986, comme encore aujourd’hui, le paragraphe 231.2(1) donne le pouvoir au ministre, pour l’application et l’exécution de la LIR, de demander la fourniture de tout renseignement, y compris une déclaration de revenus et la production de documents. Mais la LIR innove. À son paragraphe 231.2(2), elle requiert que si le ministre veut obtenir des renseignements ou documents, selon le paragraphe 231.2(1), au sujet de personnes non désignées nommément, il doit alors obtenir l’autorisation judiciaire. Ainsi, la demande péremptoire faite à un tiers mais concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément requiert l’intervention judiciaire préalable.

[44]  Cette autorisation judiciaire devait en 1986 remplir plusieurs conditions dont le juge devait être convaincues. Elles sont alors au nombre de quatre :

  • a) la personne ou le groupe doit être identifiable;

  • b) la fourniture de renseignements, y compris la déclaration de revenus, et la production de documents sont exigés pour vérifier le respect de quelque devoir ou obligation prévu par la LIR;

  • c) il est raisonnable de s’attendre à ce que les personnes ou le groupe identifiable n’ait pas fourni les renseignements exigés (ou ne les fournisse vraisemblablement pas) ou ne respecte pas la LIR;

  • d) l’obtention des renseignements et documents n’est pas plus facilement possible.

[45]  De plus, la LIR permettrait alors la contestation de l’autorisation judiciaire ex post facto puisque l’autorisation était émise sur la base d’une requête ex parte. La révision pouvait être demandée par le récipiendaire de la demande péremptoire autorisée par la Cour. S’ajoutait aussi en 1986 la possibilité pour la Cour de rendre une ordonnance pour faire respecter l’exigence de fourniture ou de production là où une personne aurait été déclarée coupable de ne pas avoir obtempéré à la demande péremptoire (para 231.7).

[46]  Le texte original de l’article 231.2 s’est retrouvé amputé grâce à une série d’amendements. Le premier aura été le paragraphe 231.7 qui est abrogé dès 1988. Il y avait une certaine incertitude au milieu des années 80 sur la possibilité d’émettre plus d’une demande péremptoire une fois qu’un refus de produire était constaté (R c Filteau, [1984] C.A. 272; (1984) 17 CCC (3rd) 570; [1985] 1 CTC 19; 85 DTC 5249 autorisation d’appel à la CSC refusée [1984] 2 RCS IX). Ce flottement a été éliminé grâce à l’arrêt R c Grimwood, [1987] 2 RCS 755 en faveur du ministre. Le paragraphe 231.2(7) n’avait plus sa raison d’être.

[47]  Les autres amendements procédaient davantage de choix de politique. Ainsi, les conditions c) et d) du paragraphe 231.2(3) étaient abrogées par la loi de 1996. Après un amendement fait au paragraphe 231.2(6), aussi en 1996, la possibilité de faire réviser l’autorisation judiciaire était tout simplement abrogée en 2013. Du régime créé en 1986 avec ses sept paragraphes (para 231.2(1) à (7)), il ne reste plus que les paragraphes 231.2(1) à (3), et encore, deux des quatre conditions pour accorder l’autorisation judiciaire ont, en vertu du paragraphe 231(3), été aussi abrogées.

[48]  Finalement, le texte précédant l’alinéa du paragraphe 231.2(1) a été amendé en 2000, 2007 et 2013 sans changer les éléments dont on doit tenir compte en notre espèce. Ainsi, on ajoutait en 2000 que l’application et l’exécution de la LIR comprennent la perception d’un montant payable en vertu de la LIR. En 2007, on ajoutait que la demande péremptoire doit non seulement être pour l’application et l’exécution de la LIR, mais elle est aussi possible en fonction d’un accord général d’échange de renseignements fiscaux (devenu « un accord international désigné » lors d’un amendement en 2013) ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays. Quant au paragraphe 231.2(3), le pouvoir d’émettre l’autorisation judiciaire est expressément conféré à la Cour fédérale par un amendement en 2013.

C.  L’évolution jurisprudentielle depuis Canadian Bank of Commerce, Richardson, McKinlay et Jarvis

[49]  S’il n’en tenait qu’à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, on aurait pu penser qu’une absence d’enquête véritable et sérieuse aurait mis fin à une demande d’autorisation judiciaire en vertu du paragraphe 231.2(3) de la LIR. C’est du moins ce que notre Cour a cru dans Canada (Ministre du Revenu national) c Chambre immobilière du Grand Montréal, 2006 CF 1069 [CIGM].

[50]  Dans cette affaire entendue en vertu d’une disposition maintenant abrogée permettant l’examen ex post facto de l’autorisation accordée, l’autorisation émise a été annulée par la juge de la Cour fédérale. La Chambre immobilière du Grand Montréal [CIGM] est un organisme à but non lucratif dont le but est de promouvoir et protéger les intérêts professionnels et d’affaires de ses membres. La CIGM était l’une des 12 chambres immobilières au Québec qui regroupent 8500 membres, dont 71% sont des courtiers immobiliers. De ses membres, 21% ont leur place d’affaires en Montérégie/Rive-Sud de Montréal. La CIGM détenait des renseignements sur ses membres de même que sur 63% des propriétés vendues au Québec.

[51]  La demande de renseignements ne vise donc que les membres de la CIGM avec place d’affaires en Montérégie/Rive-Sud et étaient inclus dans un « projet de vérification ». Le paragraphe 6 de la décision de la Cour fédérale déclare que « [l]e but de ce projet serait d’établir […], si les montants de commission reçus ou à recevoir de la vente d’un immeuble, ont bien été déclarés et donc d’évaluer si les contribuables concernés ont respecté leurs devoirs et obligations prévus à la LIR ». Le groupe visé est limité et est constitué des agents et courtiers immobiliers membres de la CIGM ayant leur place d’affaires selon certains codes postaux. La demande requiert le nom, date de naissance, adresse, téléphone, code de membre, numéro de certificat, numéro d’assurance sociale et la liste des propriétés vendues par chaque membre visé pour les années 2002 à 2004.

[52]  La juge s’est dite d’avis qu’il s’agissait là d’un groupe identifiable au sens de la LIR. Cependant, elle n’était pas satisfaite qu’il s’agissait d’une enquête véritable et sérieuse comme elle croyait requis depuis Richardson. Selon la preuve faite, il n’était pas clair qu’une enquête sérieuse et véritable du groupe identifié avait cours. Elle désirait une preuve étoffée où le ministre « précisera qu’une véritable vérification est en cours à l’égard de tous et chacun des membres de ce groupe et pas seulement une enquête ou projet visant à sélectionner les membres du groupe qui devront plus tard faire l’objet d’une vérification » [j’ai souligné] (para 59).

[53]  On le voit bien, la préoccupation depuis Canadian Bank of Commerce, qui s’est cristallisée dans Richardson, est l’abus. Dans Canadian Forest Products Ltd. c Canada (Ministre du revenu), [1996] ACF no 1147 [Canadian Forest Products], le juge en chef adjoint Jerome notait que les quatre conditions du paragraphe 231.2(3) visaient à protéger contre les enquêtes abusives. Le juge Rothstein, alors de cette Cour, reprenait le même thème dans MRN c Sand Exploration Ltd, [1995] 3 RCF 44 [Sand Exploration]. Il acceptait que l’arrêt Richardson avait fait l’objet d’une réponse législative puisque l’article 231.2, et en particulier les paragraphes (2) et (3), était différent du paragraphe 231(3) de Richardson. Mais le nouveau paragraphe 231.2(3) comportait les quatre conditions. Il écrit aux pages 51 et 52, en parlant des difficultés identifiées dans Richardson qui cherchait quant à lui à réduire les aspects attentatoires d’une disposition libellée très largement :

L'avocat du ministre avance, et je suis d'accord, que l'article 231.2 a été adopté pour régler ces difficultés. À la différence du paragraphe 231(3), les paragraphes 231.2(2) et (3) indiquent expressément le processus que le ministre doit suivre pour obtenir que des tiers lui fournissent des renseignements ou des documents se rapportant à des contribuables non désignés nommément. Une demande ministérielle adressée à des tiers afin d'obtenir des renseignements au sujet des affaires fiscales d'une autre personne nécessite maintenant l'autorisation d'un tribunal. En vertu du paragraphe 231.2(3), il doit y avoir dénonciation sous serment portant que: la personne est identifiable; le but poursuivi est celui de vérifier l'observation de la Loi par la personne; il est raisonnable de s'attendre, pour n'importe quel motif, à découvrir une infraction à la Loi; il n'est pas possible d'obtenir plus facilement les renseignements recherchés. Forcer le ministre à se conformer à cette procédure règle la question des effets néfastes décrits dans l'arrêt Richardson, et a aussi pour but de prévenir les recherches à l'aveuglette.

[J’ai souligné]

Les renseignements à obtenir sont au sujet des affaires fiscales de personnes. Les enquêtes abusives et les recherches à l’aveuglette étaient à proscrire et le nouveau paragraphe 231.2(3), avec ses quatre conditions, réglait ces difficultés. Le juge Rothstein concluait à la page 53 :

Une atteinte à la vie privée des personnes est toujours une question délicate, spécialement lorsque des tiers, qui peuvent eux-mêmes avoir des raisons valables pour ne pas vouloir communiquer certains renseignements, sont forcés de les communiquer. Il ne fait aucun doute que c'est la raison pour laquelle le Parlement a jugé opportun d'exiger que le ministre obtienne une autorisation judiciaire, et de ne l'autoriser à une telle atteinte à la vie privée qu'une fois qu'il a convaincu le tribunal au sujet des points mentionnés expressément au paragraphe 231.2(3). Cependant, si l'on satisfait aux exigences de ce paragraphe, cette atteinte à la vie privée est autorisée. Il n'y a pas d'interdiction absolue d'obtenir de tiers le nom de contribuables et, de fait, l'article 231.2 prévoit maintenant une procédure par laquelle on peut obtenir ces renseignements.

[J’ai souligné]

[54]  La préoccupation perdure. Mais l’évolution jurisprudentielle ne s’est pas arrêtée là. La décision de notre Cour dans CIGM devait être renversée dans CIGM-CAF. C’est au sujet de l’absence d’une enquête véritable et sérieuse que la Cour d’appel opine différemment.

[55]  Pour la Cour d’appel, la Cour suprême n’aurait pas dû, dans Richardson, se fonder sur Canadian Bank of Commerce pour conclure qu’une condition essentielle était la présence d’une enquête véritable et sérieuse puisque cette condition dans Canadian Bank of Commerce procédait d’une concession des parties (para 30).  La Cour ne discute pas du fait que Richardson utilise « l’enquête véritable et sérieuse » pour satisfaire à l’obligation que la demande est pour une fin relative à l’application ou l’exécution de la LIR. D’ailleurs, dans McKinlay, la Juge Wilson parlait de la portée restreinte du para 231(3) quant à sa constitutionnalité comme provenant de « l’application des règles de common law relatives à l’interprétation des lois » (p 646). Il n’était plus question de concession des parties dans Richardson. C’était l’interprétation donnée à la loi qui prévalait. Malgré tout, l’effet de la décision de la Cour d’appel fédérale est d’éliminer la nécessité d’une enquête véritable et sérieuse.

[56]  La Cour d’appel est d’avis que l’abrogation des alinéas c) et d) du paragraphe 231.2(3) qui, si l’on se fie aux décisions dans Sand Exploration et Canadian Forest Products, contribuent à éviter les abus des recherches à l’aveuglette, est un argument démontrant l’intention du législateur d’alléger le fardeau de preuve du Ministre (para 37) et de permettre une forme de recherche à l’aveuglette. La Cour déclare au paragraphe 45 :

[45]  Quoi qu’en dise la CIGM, il me semble qu’en abolissant les alinéas c) et d) du paragraphe 231.2(3), le législateur a permis une certaine forme de recherche à l’aveuglette, avec l’autorisation du Tribunal et aux conditions prescrites par la Loi, le tout dans le but de rendre l’accès aux renseignements plus facile au MRN. Il me semble que le point de vue restrictif adopté par la juge, en l’instance, ne convient pas à la disposition sous étude. Ce point de vue, emprunté à Richardson, était justifié par l’ampleur de l’ancienne disposition qui, interprétée trop libéralement, aurait ouvert la porte à des abus de la part du fisc (Sand Exploration, précité).

On ne saurait douter que la tâche est ainsi allégée. Mais la Cour d’appel ne précise pas en quoi consiste la « forme de recherche à l’aveuglette » maintenant permise.

[57]  Cependant, la Cour d’appel ne laisse pas le paragraphe 231.2(3) sans balise ou limite, ce qui aurait pu engendrer les abus que la Cour suprême cherchait à éviter. Il semble que la Cour d’appel substitue à l’enquête véritable et sérieuse la nécessité d’une vérification fiscale faite de bonne foi ayant un fondement factuel et l’autorisation judiciaire qui pourrait ainsi éviter les abus. On lit aux paragraphes 48 et 49 :

[48]  Il s’ensuit de ma lecture de l’alinéa 231.2(3)b) que la requête ex parte du MRN sera accordée si le juge des requêtes est convaincu que la fourniture des renseignements ou la production des documents sont exigées dans le cadre d’une vérification fiscale faite de bonne foi. Cette bonne foi est garante de l’exercice judicieux, par le MRN, de son pouvoir de vérification conformément à l’article 231.2 de la Loi, pour en assurer l’application et l’exécution.

[49]  Ayant ainsi défini le critère applicable à une demande d’autorisation judiciaire formulée sous le paragraphe 231.2(3), je suis d’opinion qu’il ressort de l’avis de demande ex parte du MRN, supporté par la dénonciation assermentée de la vérificatrice Christiane E. Joly, que la vérification fiscale, en l’espèce, a été entreprise de bonne foi, qu’elle a un fondement factuel véritable et qu’elle vise à s’assurer du respect de la Loi.

[J’ai souligné]

[58]  La décision est en fonction des faits de l’affaire. La Cour met en exergue que le ministre avait reçu des documents de la CIGM lors de la vérification d’un agent immobilier membre. On cherchait à « déterminer si les courtiers ayant gagné des revenus de commissions suite à la vente d’immeubles, ont respecté tous les devoirs et obligations prévus à la Loi » (para 50). On avait donc un groupe identifiable, soit les courtiers et agents immobiliers membres de la CIGM sur la Rive-Sud de Montréal au sujet desquels une vérification de bonne foi était lancée. Qui plus est, on recherchait des renseignements à caractère financier à leur égard. Pour reprendre les mots du juge Rothstein dans Sand Exploration, on recherchait des renseignements au sujet des affaires fiscales. Ainsi, la Cour d’appel note au paragraphe 44 que « le MRN demande à l’intimée de lui fournir une liste de ses membres pour un secteur géographique donné, afin d’en comparer les données à celles qu’il possède déjà. » En fait, on comprend que la Cour d’appel n’est pas d’accord avec la juge d’instance selon laquelle il eut fallu une enquête sérieuse et véritable sur tous et chacun des membres du groupe identifiable. Une telle nécessité aurait rendu les paragraphes 231.2(2) et (3) inutiles puisque les personnes visées sont des personnes non désignées nommément. Des personnes dont on ne connaît manifestement pas l’identité ne peuvent, toutes et chacune d’entre elles, faire l’objet d’une requête sérieuse et véritable. Dit autrement, si ce devait être l’interprétation à donner à ces paragraphes, le législateur aurait parlé pour ne rien dire puisque le régime créé serait sans grand effet.

[59]  La décision dans CIGM-CAF lie cette Cour. Cette obligation est d’autant renforcée qu’une formation différente de la Cour d’appel fédérale a refusé de se dissocier de la décision dans CIGM-CAF malgré l’argument selon lequel CIGM-CAF est incompatible avec la jurisprudence antérieure de la Cour suprême. La Cour d’appel écrit dans Ebay Canada Limited c Canada (Revenu national), 2008 CAF 348, [2010] 1 RCF 145 [eBay] :

[61]  Même si les juges de notre Cour ne sont pas tenus de suivre  les décisions de collègues qu'ils estiment manifestement erronées pour des motifs non spécifiés dans Miller, je ne suis pas persuadé que CIGM soit une décision de cette nature, même si, selon une analyste, [TRADUCTION] « elle a pu surprendre bien des fiscalistes »; voir Margaret Nixon, « The Minister’s Power to Issue Requirements: Minister of National Revenue v. Greater Montreal Real Estate Board », Tax Litigation, no 15 (2008), p. 954-959.

[…]

[68]  Bref, même s'il peut y avoir plus d'un point de vue raisonnable sur la question tranchée par l'arrêt CIGM, cela ne suffit pas à en justifier le réexamen par notre Cour. L'économie judiciaire aussi bien que la certitude et la stabilité du droit commandent que nous ne nous écartions de nos décisions antérieures que si elles sont manifestement erronées.

La décision de la Cour d’appel lie cette Cour deux fois plutôt qu’une.

[60]  Par ailleurs, eBay s’inscrit dans la même lignée que la jurisprudence en la matière au sujet de la portée de la demande péremptoire. En effet, le ministre recherchait l’autorisation judiciaire pour une demande de renseignements relatifs à l’identification de « PowerSellers » canadiens qui avaient vendu sur eBay au-delà d’un chiffre déterminé. L’information se trouvait sur des serveurs situés à l’étranger.

[61]  Le ministère voulait évidemment les éléments d’identification de ces PowerSellers, ayant une adresse au Canada, mais aussi les chiffres d’affaires bruts pour 2004 et 2005. Le programme des PowerSellers, qui fournit des avantages au plan des services offerts par eBay et une forme de notoriété, est offert par eBay et on peut ainsi y adhérer. De l’avis de la Cour d’appel fédérale, que l’on utilise le critère de la vérification fiscale faite de bonne foi ou celui de l’enquête sérieuse et véritable, l’autorisation judiciaire aurait été accordée.

[62]  Comme on l’aura vu, les demandes de renseignements ciblent des personnes qui sont non désignées nommément, mais qui sont ou bien identifiables ou bien font partie d’un groupe identifiable à des fins fiscales. De plus, on est à la recherche de renseignements financiers directement liés et pertinents aux revenus générés par ces personnes pour lesquels des impôts sont dus (à partir d’un certain seuil). Dans CIGM-CAF, ce sont des courtiers et agents immobiliers sur la Rive-Sud de Montréal qui sont visés pour contrôler les commissions reçues sur les immeubles vendus. Le groupe de courtiers et agents pourrait être autour de 2000. La Cour d’appel fédérale nous apprend qu’une vérification d’un agent d’immeuble en mars 2005 aurait été à la source de l’intérêt du ministre qui veut en savoir plus sur le revenu généré par les commissions. Dans eBay, ce sont des PowerSellers dont on veut trouver le volume d’affaires; l’information est sur les serveurs se trouvant aux États-Unis et on estimait alors que le programme canadien de PowerSellers comprenait environ 10 000 participants. Dans Sand Exploration, c’était les personnes ayant acheté une participation dans certaines données sismiques (qu’on estimait à une douzaine) qui permettaient un avantage fiscal grâce aux prix gonflés (p 54). Dans Redeemer Foundation c Canada (Revenu national), 2008 CSC 46; [2008] 2 RCS 643 [Redeemer Foundation], c’était la donation faite par les parents d’élèves qui réduisait les frais de scolarité de leurs enfants qui attirait l’attention. C’était la vérification de la Fondation du Redeemer University College qui avait généré cette attention à l’égard des « donateurs » qui avaient bénéficié de crédits d’impôts.  Dans Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c Artistic Ideas Inc., 2005 CAF 68, le juge Rothstein, cette fois comme juge d’appel, se satisfaisait que des donateurs dans ce qui a été soupçonné d’être des « art flips » ([Traduction] « achat et vente successifs d’œuvres d’art ») où des déductions fiscales inappropriées étaient demandées constituaient un groupe identifiable (para 10). En fin de compte, on a examiné un groupe donné dont les caractéristiques rendaient les personnes identifiables avec les renseignements spécifiques de nature financière demandés pour se satisfaire du caractère raisonnable de la demande.

D.  L’examen de la demande faite en l’espèce

(1)  Les conditions d’émission du paragraphe 231.2(3)

[63]  Mais ce dont il est question en notre espèce me semble être d’un ordre différent. Alors que la jurisprudence répertoriée traite de l’obtention de renseignements sur la situation fiscale de ces contribuables qu’on peut voir font partie d’un groupe identifiable de contribuables, et que l’information recherchée est directement relative à la situation fiscale de ces contribuables puisqu’elle est de nature financière, l’autorisation demandée ici est relative à un groupe informe et les renseignements demandés n’ont rien à voir à proprement parler avec la situation fiscale. En effet, une forme de recherche à l’aveuglette est inhérente du fait que les personnes visées par la demande péremptoire sont des personnes non identifiées nommément. Des recherches à l’aveuglette tous azimuts ne devraient pas pour autant être permises sur autorisation judiciaire. Ce n’est pas ce que permet le paragraphe 231.2(3).

[64]  La crainte d’abus depuis Canada Bank of Commerce a animé les tribunaux. Le législateur restreint la recherche à ce qu’il appelle un « groupe identifiable ». Ce ne peut être qu’à dessein. Nul ne suggère que le droit à la vie privée tombe complètement devant le désir de l’état d’utiliser le pouvoir conféré par le paragraphe 231.2(3). La demande péremptoire est une saisie « puisqu’elle viole leurs attentes en matière de protection de leur vie privée » dit la Cour suprême dans McKinlay (p 642). Si la demande péremptoire est constitutionnelle dans McKinlay, c’est que l’attente en matière de protection de la vie privée est moins grande que dans d’autres contextes et que la portée du paragraphe 231(3) d’alors (qui correspond au paragraphe 231.2(1) actuel) a été restreinte dans Richardson par l’application des règles d’interprétation des lois. On arrive à ce résultat grâce à l’interprétation stricte préconisée par les tribunaux supérieurs qui tient compte du texte, du contexte et de l’objet de la loi, même si celle-ci est la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada Trustco Mortgage Co. c Canada, 2005 CSC 54; [2005] 2 RCS 601). À mon avis, cette façon d’interpréter le texte actuel est encore nécessaire et rien en jurisprudence ne suggère le contraire.

[65]  Il serait hasardeux de conclure que le résultat dans McKinlay est seulement fonction de la nécessité d’une enquête sérieuse et véritable avant d’émettre la demande péremptoire qui correspond de nos jours au paragraphe 231.2(1) de la LIR. Le prononcé de la Cour n’est pas aussi limpide que cela. Mais, sans conteste, la Cour suprême a pris la disposition telle qu’interprétée dans Richardson pour y voir un pouvoir qui ne génère pas une saisie abusive au sens constitutionnel du terme. J’en conclus donc que la demande péremptoire doit avoir des limites.

[66]  L’article 231.2 de la LIR est situé dans la Partie XV de la Loi intitulée « Application et exécution ». Les attributions et pouvoirs de la ministre s’y trouvent. On y traite bien sûr du recouvrement de dettes fiscales, de la tenue de comptes et de registres. Des infractions pénales et des peines s’y trouvent. C’est à compter de l’article 231 que les pouvoirs d’enquête sont répertoriés. Ainsi, l’article 231.1 permet entre autres de pénétrer en tout lieu pour y examiner livres, registres et autres documents du contribuable. Si l’accès est demandé pour une maison d’habitation, un mandat peut être décerné ex parte par un juge (Cour supérieure ou Cour fédérale).

[67]  La production de documents ou la fourniture de documents sur demande est prévue à l’article 231.2. La demande péremptoire ne requiert une intervention judiciaire que dans le cas où la demande faite à un tiers l’est au sujet de personnes non désignées nommément.

[68]  C’est l’évidence même à l’examen du contexte où se situent les paragraphes 231.2 (2) et (3) que le législateur a voulu limiter la portée des pouvoirs par ailleurs très vastes de la ministre. L’objet de la disposition est de limiter la portée des demandes de renseignements qui peuvent être faites. Ainsi, la crainte d’abus qui aurait généré la jurisprudence de Canadian Bank of Commerce, Richardson, McKinlay et Jarvis se manifeste dans l’obligation de l’intervention judiciaire dans le cas où on ne peut identifier nommément les cibles. Le législateur veut protéger les personnes non désignées nommément ex ante, pour ainsi éviter les invasions indues et non pas d’y remédier par la suite. La protection que le législateur veut conférer est tributaire d’une demande faite pour l’application ou l’exécution de la loi, ce que la jurisprudence avait interprétée comme requérant une enquête véritable et sérieuse dans le cas de personnes déterminées de jadis, mais surtout, dans le cas de personnes qui ne peuvent même pas être nommées, qu’elles soient identifiables et que l’on veuille vérifier si cette personne non identifiée mais identifiable a respecté devoirs et obligations prévus par la LIR. On le voit bien, le législateur recherche une certaine précision si une demande relative à des personnes qui ne sont pas identifiées nommément peuvent être des cibles. Dans notre cas, on recherche en vain un critère de rattachement à la LIR qui ferait du groupe un groupe identifiable aux fins de l’application ou de l’exécution de la loi et au sujet duquel groupe il serait loisible de rechercher des informations pour vérifier dès lors le respect de la loi.

[69]  La demande péremptoire aux termes du paragraphe 231.2(1) doit être pour l’application ou l’exécution de la LIR. Cette nécessité vaut tout autant pour la demande péremptoire autorisée judiciairement étant donné que le législateur précise aux paragraphes 231.2 (2) et (3) que l’on traite toujours de la fourniture de renseignements et de la production de documents prévues au paragraphe (1). On peut difficilement concevoir que la demande péremptoire du paragraphe (1), sans autorisation judiciaire, soit limitée à l’application et l’exécution de la LIR et que celle plus sensible encore car elle vise des personnes non désignées nommément, puisse être à une fin autre. Ainsi, le groupe doit être identifiable (en anglais, « group is ascertainable ») en fonction de l’application et l’exécution de la LIR. L’identification même doit être en relation avec cette application et exécution de la loi. Un groupe sans lien avec la LIR pourrait difficilement être identifiable dans le cadre d’un pouvoir conféré pour l’application et l’exécution de la LIR.

[70]  En notre espèce, la ministre veut connaître l’identité des clients commerciaux d’Hydro-Québec. Contrairement aux personnes visées dans eBay et CIGM-CAF, ou Redeemer Foundation et Sand Exploration ou même Canadian Bank of Commerce et Richardson, pour lesquelles on était intéressé directement à leur situation fiscale (commissions et ventes, avantages fiscaux indus, dons à un organisme de bienfaisance, déduction fiscale)), il n’y a rien de tel en l’espèce. Ainsi, je ne suis pas convaincu qu’il y ait à ce jour une vérification de bonne foi qui soit entreprise. Elle est à venir. Pour reprendre à nouveau les mots de la Cour d’appel fédérale dans CIGM-CAF, on devra avoir une « vérification fiscale […] entreprise de bonne foi, qu’elle a un fondement factuel et qu’elle vise à s’assurer du respect de la Loi » [Je souligne] (para 49). Nous sommes encore à un stade préliminaire où la ministre pourrait tenter d’identifier qui devrait être inclus dans la vérification de bonne foi qui aurait un fondement factuel. Le groupe n’est pas identifiable au sens où la LIR l’entend.

[71]  En fait, si je comprends l’argument de la demanderesse, une vérification est de bonne foi dans la seule mesure où l’ARC décide qu’elle veut trouver des contribuables sans fournir quelque paramètre que ce soit relatif à la LIR qui, une fois leur identité révélée, feront l’objet d’une enquête. Alors que CIGM-CAF concède qu’une certaine forme de recherche à l’aveuglette est permise puisque des personnes non désignées nommément peuvent être visées, la demanderesse cherche à étendre, sans véritable limite, un pouvoir déjà considérable. Cela serait faire fi du texte de loi même, du contexte dans lequel il se trouve et de son objet; ce serait le stériliser.

[72]  Le raisonnement présenté par la demanderesse est circulaire ou, à tout le moins, sont rendues caduques les conditions d’obtention de l’autorisation judiciaire en leur retirant tout effet. On demande l’identité de clients commerciaux (cela inclut les personnes morales et des personnes physiques) qui sont désignés comme groupe identifiable pour la seule raison qu’on y met une étiquette. Parce que la demande vient de l’ARC, cela devient une demande exigée pour vérifier le respect de la LIR, aux dires de la demanderesse, même si l’information n’est pas de nature financière ou liée au revenu, déductions et crédits, de ces clients commerciaux. On recherche la seule identité des personnes ainsi étiquetées. On pose cette étiquette et cela semble-t-il suffirait pour répondre aux deux conditions parce que la fourniture de l’identité des membres du groupe étiqueté constitue en soi la fourniture de renseignements pour vérifier le respect des devoirs et obligations.

[73]  De plus, les dénonciations n’indiquent en aucune manière comment la désignation de « client commercial » est attribuée. Cela rend en soi difficile une conclusion qu’un groupe est identifiable sans en connaître la composition. Dans une certaine mesure, cette détermination est laissée entre les mains d’Hydro-Québec ce qui, en soi, nous écarte d’un groupe identifiable dont les paramètres sont présentés par la ministre et que la Cour peut évaluer.

[74]  La Cour d’appel fédérale a choisi de s’écarter de la nécessité d’une enquête sérieuse et véritable. Mais elle n’a pas choisi de s’écarter complètement d’un lien entre les renseignements demandés et la LIR. La Cour doit être convaincue que renseignements et documents « sont exigés dans le cadre d’une vérification fiscale faite de bonne foi » (CIGM-CAF, para 48). Cette condition doit à mon sens être strictement rencontrée. Rechercher l’identité de clients commerciaux d’une utilité publique n’est pas la même chose que l’obtention de renseignements et documents dans le cadre de la vérification (« tax audit ») de contribuables.

[75]  Le paragraphe 231.2(3) exige que le juge soit convaincu que le groupe est identifiable. Cette condition doit être lue avec la nécessité que les documents requis soient dans le cadre d’une vérification fiscale faite de bonne foi, avec un fondement factuel véritable. À un certain niveau d’agrégation, on peut toujours trouver un dénominateur commun qui rende le groupe identifiable au sens général du terme : avons-nous un groupe identifiable au sens de la LIR si la demande péremptoire visait tous les résidents de Montréal? Je n’ai pu trouver aucune jurisprudence d’une cour supérieure où le groupe identifiable est tout simplement  un groupe dont l’ampleur serait semblable à toute personne ayant un compte à tarif commercial auprès d’un service public. À mon avis, étendre la notion de groupe identifiable, dont on retrouve la trace dans Richardson (« groupe facilement identifiable » ou, en anglais « appropriately identifiable group », à la p 618), dépasse largement ce que la jurisprudence a accepté, augmente la portée de l’article créé pour la protection du public contre l’intrusion de l’État et délègue à un autre acteur le choix de définir une classe entière.

[76]  En fait, la seule décision que j’ai pu trouver où des motifs sont offerts au sujet du considérable groupe identifiable, quoique moins considérable que celui sous étude en l’espèce qui pourrait peut-être avoir des caractéristiques similaires est, Fédération des Caisses Populaires Desjardins de Québec v Ministre Revenu national, 1995 CarswellQue 207, [1997] 2 CTC 159 [Fédération des Caisses], une décision de la Cour supérieure du Québec. Les personnes non désignées nommément étaient des individus ou corporations qui avaient envoyé hors du pays des devises canadiennes ou étrangères en utilisant des caisses populaires affiliées à la Fédération. Après que l’autorisation eut été émise, la Cour supérieure, comme il était alors possible avant l’abrogation du paragraphe 231.2(6), a révisé ladite autorisation pour conclure que les conditions nécessaires du paragraphe 231.2(3) n’étaient pas remplies. Il y en avait alors quatre, mais nous ne sommes intéressés ici que par la première : y avait-il un groupe identifiable?

[77]  La Cour supérieure conclut que le groupe en question ne satisfait pas au critère de l’alinéa 231.2(3)a). Ayant constaté, à la suite du juge Rothstein dans Sand Exploration, qu’une demande péremptoire est attentatoire et que l’interprétation restrictive commandée par Richardson doit guider, la Cour considère que l’identification faite est arbitraire, étant fondée sur la nature des transactions et non sur les personnes ayant procédé aux transactions. Ce n’est pas tant un groupe qui est identifié que des transactions qui ne sont aucunement régies par la LIR. Ce sont des groupes de personnes non identifiées nommément qui doivent être spécifiés. Pour la Cour, la démonstration n’a pas été faite, à sa satisfaction, que l’identification d’un groupe a été présentée. La recherche de documents relatifs à certaines formes de transactions (devises envoyées hors du pays par l’intermédiaire des caisses affiliées à la Fédération) ne pouvait, aux dires de la Cour supérieure, être la base de la définition du groupe identifiable.

[78]  Comme la Cour supérieure, il me semble que la ministre rend la notion de « groupe identifiable » sans valeur si, dans le contexte de la LIR, elle peut prétendre que tout amalgame devient un groupe identifiable. Si toute personne à qui un compte commercial avec Hydro-Québec pour sa consommation d’électricité, ce qui en soi n’a rien à voir avec la Loi de l’impôt sur le revenu, est un groupe identifiable, alors le sens des mots « groupe identifiable » est perdu. La condition à l’alinéa 231.2(3)a) cesse d’exister. Devient un groupe identifiable, à la rigueur, le résident du Québec et, pourquoi pas, le résident du Canada. Le groupe identifiable de l’alinéa 231.2(3)a) est le même groupe identifiable au sujet duquel le législateur requiert, en vertu de l’alinéa 231.2(3)b), que la recherche de renseignements et documents soit pour vérifier le respect de devoirs et obligations en vertu de la LIR. Lorsque le groupe est générique et sans lien avec la LIR, et que l’on peut demander des renseignements sans lien avec la LIR (soit de savoir qui sont les clients commerciaux d’une utilité publique), il n’y a plus de limite à la recherche à l’aveuglette. Cela pourrait bien être l’abus craint par les tribunaux depuis Canadian Bank of Commerce. L’invasion de la vie privée, le droit de ne pas être importuné par l’état (Hunter, p 159), n’est plus régie.

[79]  Je crois aussi que la deuxième condition prise isolément, celle de l’alinéa 231.2(3)b), n’est pas remplie. L’information recherchée par la ministre, soit les personnes morales ou physiques assujetties au tarif commercial, ne correspond pas, en soi et selon une interprétation stricte, à la fourniture de renseignements ou à la production de documents « pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la Loi ». Les coordonnées des clients commerciaux d’Hydro-Québec sont, au mieux, en amont de renseignements pour vérifier le respect de la LIR.

[80]  La demanderesse semble concevoir le pouvoir conféré dans son acception la plus large possible. Tout renseignement que la ministre peut juger utile, de près ou de loin, se qualifierait. À mon avis, une lecture plus rigoureuse du texte mène plutôt à la conclusion que les renseignements et documents qui peuvent être exigés sont ceux qui, pour un groupe identifiable au sens de la LIR, vont donner un éclairage sur le respect de la loi. La seule identité des clients commerciaux d’une utilité publique ne remplit pas cette exigence. Il faut un lien de rattachement à la LIR fort, tant pour la définition d’un groupe identifiable que pour la qualité des renseignements recherchés. Après tout, les renseignements sont pour « vérifier » (en anglais « verify compliance »). C’est l’examen de la chose elle-même, soit les renseignements et documents, qui est examinée « de manière à pouvoir établir si elle est conforme à ce qu’elle doit être, si elle fonctionne correctement », selon une définition du mot « vérifier » selon le Grand Robert de la langue française. C’est aussi « examiner la valeur de (qqch.) par une confrontation avec les faits ou pour le contrôle de la cohérence interne ». La version anglaise du même texte parle de « verify », qui a le même sens selon The Oxford English Dictionary (« to ascertain or test the accuracy or correctness of (something), esp. by examination or by comparison with known data, an original or some standard; to check or connect in this way »). Ici, la connaissance de qui a un compte commercial auprès d’Hydro-Québec ne rencontre pas la nécessité d’un lien plus direct entre les renseignements et documents et le respect de la loi.

[81]  La proposition de la ministre ne suggère aucune balise, encore moins une limite. En cela, elle tente de stériliser le paragraphe 231.2(3) de la LIR en l’interprétant comme permettant la demande de toute information qu’elle demande quant à n’importe quel regroupement. Les conditions ne permettent pas de limiter l’appétit de renseignements alors même que ces conditions ont pour objet de limiter. Cela me semble aller à l’encontre de la règle voulant que le législateur ne veuille pas adopter des dispositions qui seront sans effet. L’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, peut-être l’arrêt le plus fréquemment cité sur l’approche moderne relativement à l’interprétation des lois, on lit au paragraphe 27 :

[…] Selon un principe bien établi en matière  d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes.  D’après Côté, op. cit., on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif (aux pp. 430 à 432).  Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu’on peut qualifier d’absurdes les interprétations qui vont à l’encontre de la fin d’une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile (Sullivan, Construction of Statutes, op. cit., à la p. 88).

C’est à mon avis l’effet de l’interprétation que la demanderesse veut donner au paragraphe 231.2(3), une disposition dont l’objet est de limiter le pouvoir de la demanderesse.

[82]  L’abus possible d’un texte qui avait fait en sorte que le Procureur général du Canada avait admis, dans Canadian Bank of Commerce, il y a déjà 56 ans, que la demande péremptoire était en relation avec une enquête véritable et sérieuse revient faire surface si on accepte la prétention de la ministre. N’importe quoi devient un groupe identifiable, dans la mesure où on peut lui accoler une étiquette, et tout peut devenir administration et exécution de la loi sans lien de rattachement direct à la LIR. Un texte qui se voulait restrictif quant à l’utilisation de la demande péremptoire au sujet de personnes vulnérables comme des personnes non désignées nommément a perdu son objet.

[83]  Il est vrai que la Cour d’appel fédérale dans CIGM-CAF a accepté que le paragraphe 231.2(3) permette une certaine forme de recherche à l’aveuglette, mais avec l’autorisation de la cour. Cela va de soi puisque le groupe est composé de personnes non identifiées nommément dont on peut fort bien ne pas connaître le nombre exact. À mon avis, il ne s’agit pas en notre espèce d’une forme de recherche à l’aveuglette mais plutôt d’une complète recherche à l’aveuglette alors même que les conditions du paragraphe 231.2(3) ne peuvent être remplies si on donne une interprétation stricte, tel que prônée par tous les tribunaux, pour ainsi rechercher certaines limites à un pouvoir attentatoire. Qui plus est, alors que CIGM-CAF requiert que la vérification fiscale ait « un fondement factuel véritable » (para 49), cette démonstration n’a pas été faite à la satisfaction de la Cour. Un groupe identifiable qui n’en est pas un au sens de la loi et des renseignements qui ne vérifient pas si les groupes respectent leurs devoirs et obligations fiscaux ne peut faire l’objet d’une autorisation judiciaire.

(2)  Pouvoir discrétionnaire

[84]  L’avocat de la ministre a initialement soumis que si les conditions du paragraphe 231.2(3) sont remplies, le juge doit émettre l’autorisation. Ceci dit avec égards, il avait tort. Ainsi, même si j’avais conclu que les conditions étaient remplies, j’aurais tout de même refusé l’autorisation judiciaire à cause de l’ampleur de l’invasion demandée par le ministre.

[85]  L’existence de la discrétion judiciaire et son utilité ne me semblent pas faire de doute. Dans Canada (Revenu national) c Derakhshani, 2009 CAF 190; 400 NR 311[Derakhshani], le même argument présenté initialement en notre espèce était présenté : si les deux conditions sont remplies, le juge émet l’autorisation. L’argument n’a pas fait long feu :

[19]  Il est utile de rappeler que l’existence d’une discrétion judiciaire est essentielle à la validité constitutionnelle de ce type de disposition qui est assimilable à une saisie, même lorsqu’utilisée dans un contexte réglementaire (voir non-criminel) (McKinlay Transport Ltd., supra, à la page 642). C’est cette discrétion, confiée à un juge indépendant, qui protège les individus à l’encontre de l’utilisation abusive de ce genre de pouvoir, et le rend conforme aux exigences de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, à la page 443). En l’occurrence, le libellé du paragraphe 231.2(3) selon lequel le juge «  […] peut, aux conditions qu’il estime indiquées, […] » autoriser la demande « […] s’il est convaincu, […] » que les conditions prescrites sont rencontrées, ne laisse aucun doute quant à l’existence de cette discrétion.

[86]  Dans cette affaire, le juge d’instance avait refusé l’autorisation judiciaire. Selon la décision en appel, le refus du juge d’instance qui n’avait pas fait l’objet de motifs aurait été sur la base suivante que je tire des motifs de la Cour d’appel :

[3]  Les motifs communiqués séance tenante n’ont pas été consignés au procès-verbal. Selon l’avocat du ministre, le juge aurait formulé les commentaires suivants au cours de l’instance (mémoire de l’appelant, au paragraphe 10) :

-  L’ARC ne pouvait justifier une large vérification des déclarations de revenu préparées par M. Derakhshani sur la base du résultat de la vérification des déclarations de revenu de trois contribuables seulement;

-  La vérification risquait de porter sur les déclarations de revenu de contribuables qui n’ont rien à se reprocher.

[87]  Il appert qu’il y avait bien vérification visant des chauffeurs de taxi. L’intimé préparait des déclarations d’impôt pour le compte d’autrui, dont trois chauffeurs de taxi, qui l’auraient été « sans la documentation nécessaire et sur la base d’une estimation des recettes et dépenses » ou« sans pièces justificatives concernant le revenu et en estimant les dépenses à partir de reçus ». Ne connaissant pas l’identité ou le nombre de clients de l’intimé, une demande péremptoire aurait permis au ministre de faire des vérifications et d’établir cotisations et pénalités. CIGM-CAF était évidemment connue de la formation de la Cour d’appel; de fait, la Cour y réfère même au paragraphe 18. La Cour confirme néanmoins que le juge d’instance était justifié de refuser l’autorisation, soulignant « qu’aucun élément de d’information n’est fourni au juge quant à la portée de la demande d’information qu’on lui demande d’autoriser » (para 27). C’est certainement le cas en notre espèce.

[88]  Canada (Revenu national) c Compagnie d’assurance-vie RBC, 2013 CAF 50, 443 NR 378 [RBC] élabore sur la discrétion judiciaire relative à l’autorisation judiciaire du paragraphe 231.2(3) de la LIR. Encore ici, le ministre cherchait à limiter la discrétion judiciaire en argumentant que s’il y a discrétion lors de l’émission de l’autorisation judiciaire en vertu du paragraphe 231.2(3), celle-ci disparaît lors de la révision judiciaire en vertu du paragraphe 231.2(6), comme c’était le cas dans cette affaire. Quoique cet argument ne puisse avoir cours de nos jours alors que le législateur a abrogé le paragraphe 231.2(6), ceci tend à démontrer que les protections à caractère procédural se font moins présentes, ce qui force la meilleure des vigilances au seul stade où l’intervention judiciaire est requise. La surveillance judiciaire est dite nécessaire, en prenant appui en cela sur Sand Exploration :

[22]  Pris de concert, les paragraphes 231.2(3) et 231.2(6) concrétisent ce double objet. Le paragraphe 231.2(3) accorde au ministre le pouvoir d’obtenir des autorisations dans certains cas. Mais la surveillance judiciaire est présente tout au long du processus, tant à la première étape ex parte et, plus tard, lors de la révision en vertu du paragraphe 231.2(6), le cas échéant. La surveillance judiciaire est nécessaire parce que les autorisations sont susceptibles de porter atteinte à la vie privée de tiers :

Une atteinte à la vie privée des personnes est toujours une question délicate, spécialement lorsque des tiers, qui peuvent eux‑mêmes avoir des raisons valables pour ne pas vouloir communiquer certains renseignements, sont forcés de les communiquer. Il ne fait aucun doute que c’est la raison pour laquelle le Parlement a jugé opportun d’exiger que le ministre obtienne une autorisation judiciaire, et de ne l’autoriser à une telle atteinte à la vie privée qu’une fois qu’il a convaincu le tribunal au sujet des points mentionnés expressément au paragraphe 231.2(3). (M.N.R. c. Sand Exploration Limited (1995), 95 D.T.C. 5358 (C.F. 1re inst.), à la page 5362, le juge Rothstein (alors juge à la Cour fédérale).)

[J’ai souligné]

Il n’est pas besoin d’épiloguer longuement sur le fait que l’atteinte à la vie privée en notre espèce est considérable à cause du nombre de personnes ramassés sans discernement dans le filet que constitue la demande péremptoire qu’on veut voir autorisée par cette Cour. En fait, la Cour ne peut même pas connaître qui sont les personnes visées puisque le groupe est défini par ce qu’Hydro-Québec considère comme ses clients commerciaux ou d’affaires. On ne connaît pas davantage le nombre, même approximatif, de personnes visées.

[89]  La demande péremptoire requiert expressément que les renseignements soient transmis par Hydro-Québec à la demanderesse « dans un format électronique (par exemple Access) ». La dénonciation parle en termes de « fichiers électroniques ». La deuxième dénonciation est davantage explicite en ce qu’est révélé que l’intention est de comparer des banques de données (para 17 à 22), celle d’Hydro-Québec et celles de la demanderesse. Cela incite davantage à la vigilance quant à la portée de l’intrusion.

[90]  Il y a plus de 45 ans, le gouvernement du Canada avait déjà des préoccupations graves sur l’impact que pourrait avoir l’ordinateur sur la vie privée. Un groupe d’étude, composé de fonctionnaires des ministères de la Justice et des Communications, et des universitaires s’étaient penché sur la situation émergente. Le groupe d’étude était dirigé par Alan Gotlicb et Gérald LaForest, nommé plus tard juge à la Cour suprême du Canada.

[91]  Ce n’est pas mon propos de discuter le rapport présenté, L’ordinateur et la vie privée (Information Canada, 1972). Il suffit de noter que déjà en 1972, on concluait à l’existence d’un réseau complexe de collecte et de diffusion de renseignements reliant les administrations publiques et privées. Les craintes suscitées sont présentées dès l’avant-propos :

L’avènement de nombreuses banques d’information éminemment efficaces suscite partout la crainte d’intrusions dans la vie privée. C’est pourquoi les ministères de la Justice et des Communications créaient, en 1971, le Groupe d’étude sur l’ordinateur et la vie privée. Le présent rapport est l’œuvre de ce groupe, dont on trouvera le mandat en appendice.

L’explication la plus simple de l’inquiétude qu’inspirent les systèmes d’information automatisés pour la vie privée en est aussi la plus évidente : les besoins croissants d’information – personnelle ou non – auxquels donnent lieu la complexité de la société actuelle et les attentes toujours plus grandes des individus et des groupes.

Les ordinateurs, notamment parce qu’ils sont dotés de mémoires prodigieuses, ont élargi à un point auparavant inimaginable les possibilités de collecte et de centralisation de renseignements personnels. Au siècle dernier, peu de gens étaient connus hors de leur entourage immédiat. Aujourd’hui, nous faisons tous l’objet de dossiers détaillés et complexes : dossiers scolaires, de crédit, d’assistance sociale, d’assurances, d’impôt, de police. Se procurer un passeport ou une voiture, c’est laisser derrière soi une traînée de renseignements : de la naissance à la mort, nos traces se font de plus en plus marquées et nombreuses.

Ces craintes ne se sont pas estompées avec le temps. C’est le rôle des tribunaux d’éviter la saisie abusive lors d’une demande d’autorisation préalable à une saisie. Comme le disait le juge La Forest dans R c Dyment, [1988] 2 RCS 417, la protection contre les saisies abusives implique qu’on évite les violations plutôt que d’y remédier ex post facto. En requérant une autorisation judiciaire, la Cour est conviée à jouer ce rôle.

[92]  Il n’est pas plus réconfortant que la demanderesse ait choisi de ne pas restreindre l’utilisation qu’elle peut faire de la grande quantité d’information qu’elle aura reçue. À la seconde dénonciation, on y confirme que l’information reçue sera transférée dans d’autres secteurs de l’ARC qui pourront l’utiliser pour examiner s’il y a eu respect des obligations et devoirs. Autrement dit, avec la candeur qui l’honore, le dénonciateur annonce que l’utilisation de l’information est elle aussi sans balise.

[93]  La Cour d’appel conclut dans RBC que la discrétion est cruciale pour pouvoir décider si les circonstances justifient l’octroi de l’autorisation. La Cour d’appel va jusqu’à avancer que des renseignements à être divulgués à la Cour émettant l’autorisation peuvent être pertinents à l’exercice du pouvoir discrétionnaire sans l’être pour les deux conditions préalables. Une non-communication pourrait donner une image plus défavorable que méritée par les contribuables concernés. La Cour ajoute que « le ministre pourrait donner des renseignements erronés à propos des inconvénients et du tort que pourraient causer les autorisations aux personnes visées » (para 30). Cela suppose évidemment qu’il s’agit là de considérations appropriées, pour ne pas dire importantes, dans l’exercice de la discrétion. Or, la demanderesse en fait peu de cas. Dans son mémoire original, elle déclarait sans ambages qu’une fois les deux conditions remplies, la Cour doit accorder l’autorisation (mémoire des faits et du droit, para 29 et 31). Il n’y a rien qui justifie un refus, mais aucune considération n’est donnée par la demanderesse à l’ampleur de la demande, à l’invasion inhérente de la vie privée, à une utilisation limitée qui pourrait être faite de l’information reçue ou au tort causé aux contribuables. Chacun a le droit à ce que le gouvernement le laisse tranquille. Chacune a droit à la protection contre des saisies abusives.

[94]  Pourtant, la Cour avait exprimé des préoccupations sérieuses quant à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à la notion de « groupe identifiable », à l’existence d’un fondement factuel véritable lors de l’audition originale du 23 février qui aura donné lieu à une dénonciation supplémentaire et un mémoire supplémentaire. Aucune indication n’est donnée de la portée de la demande péremptoire outre que le « groupe identifiable » n’est pas les 4,3 millions d’abonnés d’Hydro-Québec. Il eut fallu mieux.

[95]  En fin de compte, le groupe est identifiable parce qu’il n’inclut pas les grands consommateurs d’électricité et ceux qui sont au tarif domestique. On ne sait toujours pas de qui il s’agit, mais on sait que des personnes physiques sont incluses. On peut inférer du peu d’informations fournies que des maisons d’habitation peuvent être tarifées au tarif commercial. Aucune indication n’est donnée au sujet de la composition du groupe.

[96]  On ne voit pas non plus pourquoi le « groupe identifiable » ne serait pas les consommateurs d’électricité, tous les consommateurs d’électricité. Selon la logique suivie par la demanderesse, il s’agirait d’un groupe identifiable. Si tel est le cas, la nécessité d’identifier un groupe, de le circonscrire, est factice. Si telle est la portée du paragraphe 231.2(3), l’intervention judiciaire est requise pour éviter une telle intrusion dans la vie privée d’un grand nombre de personnes au Québec. À mon avis, c’est pour éviter un tel envahissement que l’autorisation judiciaire est requise dans les cas où les personnes visées sont des personnes non-désignées nommément. Une certaine forme de recherche à l’aveuglette peut être permise, mais l’autorisation judiciaire, avec sa discrétion inhérente, est là pour limiter et baliser. Il me semble que c’est essentiel quand la recherche à l’aveuglette est d’une ampleur sans précédent et que l’information recherchée est éloignée de la vérification du respect de la Loi. En créant le pouvoir du paragraphe 231.2(3), le législateur aura voulu à tout le moins que le judiciaire empêche les saisies abusives. Pour ce faire, et comme le note la Cour d’appel fédérale dans RBC, la Cour devait recevoir beaucoup plus d’information sur la portée de l’autorisation demandée. Cela n’a pas été fait.

IV.  Conclusion

[97]  La ministre cherche à élargir la portée d’une demande péremptoire au-delà de tout ce qui a été permis dans la jurisprudence des tribunaux supérieurs. C’est une invitation à laquelle la Cour se doit de résister. Depuis Canadian Bank of Commerce, en 1962, les tribunaux ont craint l’usage abusif de la demande péremptoire. À mon avis, le cas d’espèce est la manifestation que la crainte continue d’être réelle. La demande péremptoire qu’on voudrait que la Cour autorise est pour l’identification des clients commerciaux (qui ne sont pas définis et dont le nombre est inconnu quoique manifestement considérable) d’une utilité publique qui compte 4,3 millions de clients.

[98]  Sans discernement, la demanderesse créé un groupe qui n’a aucun fondement factuel véritable en fonction de l’application ou de l’exécution de la LIR à ce groupe. On ne voit pas pourquoi tous les clients d’Hydro-Québec ne constitueraient pas un groupe identifiable; il en serait de même de tous les résidents du Québec. En un mot, le critère du groupe identifiable a perdu toute signification.

[99]  Il en est de même de la fourniture de renseignements ou de la production de documents puisque ce qui est demandé ici sont les renseignements sans lien direct, ou même indirect, avec des renseignements qui pourraient être exigés pour vérifier si les personnes du groupe identifiable ont respecté les devoirs et obligations de la LIR. L’identification de clients commerciaux d’une utilité publique est bien en amont d’une vérification fiscale faite de bonne foi. L’enquête véritable et sérieuse d’un contribuable a été remplacée par la vérification fiscale entreprise de bonne foi qui a un fondement factuel véritable, ladite vérification visant à assurer le respect de la Loi (CIGM-CAF). Ces critères sont nécessaires pour que la demande péremptoire soit pour l’application et l’exécution de la Loi.

[100]  La présente demande d’autorisation illustre le danger de se soumettre à la lecture des paragraphes (2) et (3) de l’article 231.2 que propose la demanderesse. En effet, elle permet l’invasion de la vie privée sans aucune limite. On convient que les attentes en matière de protection de la vie privée sont faibles quant aux registres commerciaux et fiscaux. Mais qu’en est-il de la consommation d’électricité par les clients dits « commerciaux » d’une utilité publique qui peuvent fort bien inclure des dizaines de milliers de consommateurs, y incluant des maisons d’habitation? Je le répète. McKinlay a reconnu la constitutionnalité de la demande péremptoire sous le paragraphe 231(3) d’alors (qui est essentiellement le paragraphe 231.2(1) actuel) grâce, dans une bonne mesure, à la portée restreinte donnée au paragraphe 231(3) par l’application des règles de common law relatives à l’interprétation législative en requérant que l’application ou l’exécution de la loi soit démontrée par l’existence d’une enquête véritable et sérieuse. La Cour d’appel fédérale remplace cette exigence par la vérification fiscale entreprise de bonne foi, avec un fondement factuel véritable, qui vise à assurer le respect de la loi. À mon sens, ces exigences doivent être respectées strictement. Du seul fait que la demanderesse s’intéresse à un phénomène quelconque, comme par exemple le transfert de devises à l’étranger (Fédération des Caisses) ou l’économie souterraine, ne constitue pas une vérification fiscale. Peut-être pourra-t-il y avoir une véritable vérification fiscale entreprise de bonne foi éventuellement. Mais, ce serait dénaturer la vérification fiscale et éliminer les conditions du paragraphe 231.2(3) que de prétendre que cela peut inclure la liste des clients commerciaux d’une utilité publique.

[101]  Au final, ce que la demanderesse recherche est une interprétation des conditions du paragraphe 231.2(3) qui deviennent inexistantes. Un groupe identifiable est composé de n’importe qui et les renseignements qui peuvent faire l’objet d’une demande péremptoire sont ceux que la demanderesse détermine comme pouvant être utiles. L’invasion de la vie privée est sans limite. S’il en est, elles n’ont pas été communiquées à la Cour. Toute personne qui au Québec paye le tarif commercial à Hydro-Québec peut être importunée par l’état. De fait, cette façon de voir les choses rendrait inutile l’implication judiciaire qui a pourtant été jugée nécessaire par le législateur pour être convaincu de la présence des conditions prescrites.

[102]  Non seulement la demande péremptoire ne rencontre pas les deux critères requis pour l’émission d’une autorisation judiciaire, mais je n’hésite pas à exercer la discrétion judiciaire face à la portée pratiquement illimitée d’une telle demande et une absence totale de considérations relatives à l’envahissement de la vie privée et aux conséquences sur tous les contribuables visés par la demande.

[103]  La Cour d’appel fédérale a reconnu encore récemment que le législateur conférait une discrétion judiciaire (RBC) qui était reconnu depuis Derakhshani, en 2009. Dans cette affaire, la demande péremptoire était sensiblement plus ciblée que dans le cas sous étude. Pourtant, la Cour d’appel s’est dite préoccupée qu’aucun élément n’ait été fourni sur la portée de la demande péremptoire à être autorisée. Alors que la LIR avait été amendée en 1996 pour retirer l’obligation de satisfaire la Cour qu’il n’est pas possible d’obtenir plus facilement les renseignements (alinéa 231.2(3)d)), la Cour opine que « (l)e fait que l’information puisse être obtenue autrement n’exclut pas la possibilité qu’une demande puisse être autorisée, mais il s’agit là d’une information qui doit être fournie au juge. Un juge ne doit pas être laissé dans le noir sur un point aussi important que celui-ci » (Derakhshani, para 29). Ainsi, tant la portée, l’étendue de la demande péremptoire et la disponibilité des renseignements sont pertinents à l’autorisation dans l’exercice de la discrétion judiciaire.

[104]  RBC donne aussi des indications sur ce que sont des considérations pour le juge saisi d’une demande d’autorisation qui exerce la « surveillance judiciaire […] nécessaire parce que les autorisations sont susceptibles de porter atteinte à la vie privée de tous » (para 22). L’image donnée des contribuables concernés est pertinente. Les inconvénients et le tort qui peut être causé aux personnes visées l’est aussi (RBC, para 30). Or, la seule information donnée est que la demanderesse pourra choisir de transmettre la banque de données au sein de l’ARC. Rien n’est dit sur la portée du ratissage proposé, y compris combien de maisons d’habitation pourraient être capturées. Il n’y a pas davantage d’indication qu’il y aurait une date de péremption à la rétention de toute cette information. À l’évidence, aucune considération n’est donnée à l’atteinte à la vie privée d’un très grand nombre de personnes. Il est tout de même étonnant que la collecte et la rétention d’information soit balisée alors que des enquêtes sont menées relativement à des menaces envers la sécurité du Canada (X (Re), 2016 CF 1105; [2017] 2 RCF 396), mais qu’aucune sensibilité ne soit démontrée face à la collecte et la rétention d’information en matière d’impôt. On ratisse large et on utilise.

[105]  Alors que le pouvoir d’émettre une demande péremptoire doit être interprété strictement et qu’il faut reconnaître que l’intervention judiciaire a été jugée comme étant nécessaire pour limiter le vaste pouvoir, la demanderesse interprète le paragraphe 231.2(3) de manière à le stériliser, rendant la protection illusoire en pratique.

[106]  Ceci dit avec égards, les circonstances de cette affaire requièrent que la surveillance judiciaire nécessaire pour éviter les atteintes indues à la vie privée d’un grand nombre de personnes soit exercée. Je décline respectueusement d’autoriser les demandes de renseignements présentées aux termes du paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et du paragraphe 289(3) de la Loi sur la taxe d’accise.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête pour l’obtention d’une autorisation judiciaire à l’égard d’une demande de renseignements fait conformément au paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et du paragraphe 289(3) de la Loi sur la taxe d’accise est rejetée.

  2. Puisque ladite requête est faite ex parte, des dépens ne sont pas adjugés.

« Yvan Roy »

Juge


ANNEXE I

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15

Présentation de documents ou de renseignements

Requirement to provide documents or information

289 (1) Malgré les autres dispositions de la présente partie, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution d’un accord international désigné ou de la présente partie, notamment la perception d’un montant à payer ou à verser par une personne en vertu de la présente partie, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

289 (1) Despite any other provision of this Part, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of a listed international agreement or this Part, including the collection of any amount payable or remittable under this Part by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide the Minister, within any reasonable time that is stipulated in the notice, with

a) qu’elle lui livre tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration selon la présente partie;

(a) any information or additional information, including a return under this Part; or

b) qu’elle lui livre des documents.

(b) any document.

Personnes non désignées nommément

Unnamed persons

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la livraison de renseignements ou de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection (1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection (3).

Autorisation judiciaire

Judicial authorization

(3) Sur requête du ministre, un juge de la Cour fédérale peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la livraison de renseignements ou de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent paragraphe —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

(3) A judge of the Federal Court may, on application by the Minister and subject to any conditions that the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection (1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this subsection referred to as the “group”) if the judge is satisfied by information on oath that

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

(a) the person or group is ascertainable; and

b) la livraison est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente partie.

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Part.

(4) à (6) [Abrogés, 2013, ch. 33, art. 46]

(4) to (6) [Repealed, 2013, c. 33, s. 46]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1838-17

 

INTITULÉ :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL c HYDRO-QUÉBEC

 

REQUÊTE ÉCRITE CONSIDÉRÉE À OTTAWA, ONTARIO SUITE À LA RÈGLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 juin 2018

 

PRÉTENTIONS ÉCRITES :

Martin Lamoureux

 

Pour LA DEMANDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

 

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