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Date : 20180216


Dossier : T-941-13

Référence : 2018 CF 186

Ottawa (Ontario), le 16 février 2018

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LAINCO INC.

demanderesse

et

COMMISSION SCOLAIRE DES BOIS‑FRANCS

et

PLURITEC LTÉE

et

LEMAY CÔTÉ ARCHITECTES INC.

et

CONSTRUCTIONS GAGNÉ ET FILS INC.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS CONCERNANT LES DÉPENS ET DÉBOURSÉS

I.  Introduction

[1]  Le 12 septembre 2017, j'accueillais, en partie, l'action de la demanderesse au terme d'un procès tenu du 17 au 28 octobre 2016 (Lainco Inc. c Commission scolaire des Bois-Francs, 2017 CF 825 [le Jugement]).

[2]  Ce faisant :

  • a) Je reconnaissais à la demanderesse des droits d'auteur valides aux termes de la Loi sur le droit d'auteur, LRC 1985, c C-42 [la Loi], dans les œuvres intitulées « Plans de la structure du complexe sportif Artopex » et « Structure du Complexe sportif Artopex » [le Concept Lainco] faisant l'objet des Certificats d'enregistrement du droit d'auteur émis par l'Office de la propriété intellectuelle du Canada et portant les numéros 1,103,943 et 1,103,944, respectivement;

  • b) Je concluais que les droits d'auteurs de la demanderesse sur ces œuvres avaient été violés par les défenderesses en lien avec la conception et la construction d'un complexe sportif intérieur à Victoriaville, au Québec; et

  • c) Je condamnais ces dernières à payer à la demanderesse, conjointement et solidairement, la somme de 722 996 $, avec intérêts, à titre de dédommagement pour perte de profits.

[3]  Toutefois, je réservais mon jugement sur la question des dépens, laissant aux parties un délai de 30 jours suivant le prononcé du Jugement pour me présenter des observations écrites sur cette question, en particulier sur l'à-propos d'accorder une somme forfaitaire globale tenant lieu de dépens et de déroger, ce faisant, au Tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. Tel qu'en fait foi le paragraphe 306 du Jugement, l'exercice devait tendre à régler la question des dépens dans son ensemble, c'est-à-dire tant sur le plan des honoraires que des déboursés.

[4]  Les parties n'ayant pu trouver un terrain d’entente après avoir été invitées à le faire dans le cadre du processus entamé aux termes du Jugement afin de trancher la question des dépens, voici mon ordonnance sur cette question.

II.  La position des parties

[5]  La demanderesse réclame l'octroi d'une somme forfaitaire globale de 450 000 $ à titre de dépens et de débours. La portion des dépens se chiffre à 244 702,50 $, celle des débours à 206 857,53 $. Ce qui est réclamé à titre de dépens représente 35% du montant réellement déboursé par la demanderesse en frais d'avocat jusqu'à la signification, aux défenderesses, le 22 juillet 2016, d'une offre de règlement, et le double de cette proportion pour les frais d'avocat encours par elle postérieurement à l'offre du 22 juillet 2016. En chiffre, ces proportions sont respectivement de l'ordre de 117 274,50 $ et 127 428 $.

[6]  Quant au montant réclamé à titre de déboursés (206 857,53 $), il comprend une somme de près de 130 000 $ au titre de frais encourus par la demanderesse pour les services des deux experts, un architecte et un comptable agréé, qui ont témoigné pour son compte au procès.

[7]  La demanderesse rappelle que les Règles confèrent à la Cour l'entière discrétion de déterminer le montant et la répartition des dépens, y compris celle d'accorder des dépens sous la forme d'une somme forfaitaire globale plutôt que d'en ordonner la fixation selon le Tarif B des Règles. Il s'agit là, selon elle, d'un pouvoir que la Cour exerce de plus en plus, particulièrement dans les litiges de propriété intellectuelle, souvent complexes, l'objectif étant d'accorder une contribution appropriée à l'égard des dépens avocat-client, contribution que le Tarif ne permet pas dans bien des cas.

[8]  Elle estime, sur la base de la liste non-exhaustive de facteurs dont la Cour est habilitée à tenir compte dans l'exercice de sa discrétion, que l'octroi d'une somme forfaitaire globale est justifié dans les circonstances de la présente affaire. C'est plus particulièrement le cas, selon elle, compte tenu :

  • a) du résultat obtenu, le Jugement lui donnant raison sur l'ensemble des questions et sous‑questions en litige, à l'exception d'une seule, celle des dommages punitifs;

  • b) de la complexité des questions en litige, dont certaines de droit nouveau ou à l'égard desquelles il n'existe que très peu de jurisprudence, et du travail considérable qui s'est avéré nécessaire, dans ce contexte, pour présenter les faits, les expertises et le droit de manière concise et efficace;

  • c) de la complexité inhérente des litiges en matière de propriété intellectuelle, laquelle sert dorénavant, et de plus en plus, de justification à l'octroi de dépens majorés;

  • d) des démarches dilatoires et infondées de la part de certaines défenderesses dans les premiers stades du dossier, lesquelles démarches auraient eu pour effet de retarder la tenue d'un procès n'eut été de la présentation de requêtes en radiation de sa part, avec les frais additionnels que cela a occasionné pour elle; et

  • e) du choix des défenderesses, malgré leur intérêt commun dans l'issue du litige, de présenter trois défenses distinctes au lieu d'une, chacune, malgré qu'elles soient fondées sur les mêmes principes juridiques, mettant une emphase particulière sur des faits ou points de droit, ce qui l'a contraint, encore une fois, à engager des frais additionnels.

[9]  Quant au quantum réclamé (450 000 $), la demanderesse plaide qu'il présente un compromis plus que raisonnable entre ce qu'elle a réellement déboursés au titre de frais d'avocats (517 110 $) et ce à quoi elle aurait droit selon le Tarif (73 325 $), une somme qui représente à peine 15%, dit-elle, des frais d'avocat qu'elle a encourus.

[10]  Enfin, la demanderesse estime avoir droit au dédoublement de ses dépens à partir du 23 juillet 2016, date qui suit les offres de règlement qu'elle a présentées à chacune des défenderesses et qu'elle a maintenues jusqu'à l'ouverture du procès. Elle dit satisfaire à cet égard aux conditions d'application de la Règle 420 puisque lesdites offres étaient claires et sans équivoques, auraient mis fin au litige, ont été faites en temps utile, proposaient un certain compromis et se seraient avérées ultimement plus avantageuses pour les défenderesses que le Jugement dont elles sont maintenant les débitrices.

[11]  Les défenderesses, Commission scolaire des Bois-Francs et Constructions Gagné [CSBF et CG], qui sont représentées par le même procureur, soutiennent que la demanderesse n'a pas fait la démonstration que le recours au Tarif B ne permettrait pas de l'indemniser adéquatement pour les frais d'avocat qu'elle a encourus en l'espèce. Elles estiment aussi qu'elles ne devraient pas être tenues de payer des dépens déraisonnables à la lumière du fait, notamment, que le présent litige soulève des questions qui n'avaient jamais encore été adjugées par la Cour.

[12]  CSBF et CG soutiennent aussi que la Cour devrait prendre en compte, dans le règlement de la question des dépens, le fait que la demanderesse demandait, dans les conclusions de son action, des ordonnances de type déclaratoire à l'égard de deux autres plans et structures (ceux du complexe sportif Anthony Carola et du hangar Air Inuit), conclusions qu'elle a toutefois abandonnées au procès sous prétexte que la référence à ces autres plans et structures ne visait qu'à contribuer à tracer l'historique des plans et structures du complexe contrefait, soit ceux du complexe Artopex. Cela leur a inutilement occasionné, soumettent-elles, des frais supplémentaires.

[13]  Subsidiairement, CSBF et CG plaident que si la Cour devait ordonner le paiement d'une somme forfaitaire globale, celle-ci ne devait pas, dans les circonstances de la présente affaire, excéder 25% des frais d'avocats que la demanderesse a réellement encourus.

[14]  Dans des représentations écrites supplémentaires, produites le 24 novembre 2017, CSBF et CG ont majoré ce pourcentage à 30%. Toutefois, elles s'opposent à l'application de la Règle 420, estimant que la demanderesse ne peut à la fois réclamer le paiement d'une somme forfaitaire globale tenant lieu de dépens et demander le double des dits dépens pour la période postérieure à la présentation de son offre de règlement puisque le propre de la somme forfaitaire globale est d'accorder une contribution appropriée à l'égard de l'ensemble des frais d'avocat réellement encourus par la partie qui a gain de cause. En d'autres termes, l'octroi d'une somme forfaitaire globale leur semble exclure, du moins dans les circonstances de la présente affaire, le recours à la Règle 420.

[15]  CSBF et CG contestent aussi, dans leurs représentations écrites supplémentaires, certains des déboursés réclamés par la demanderesse, particulièrement ceux associés aux frais d'honoraires de l'expert-comptable qui a témoigné pour son compte, M. Martin Fafard de la firme Mareval. Elles requièrent à cet égard que ce déboursé, qui totalise 107 013,50 $, soit plus du double de l'expert en architecture ayant témoigné pour le compte de la demanderesse, soit réduit, sur le plan des honoraires, de 25 000 $, et sur celui des frais d'administration, de 5 096 $.

[16]  En tout et partout, CSBF et CG demandent à la Cour de fixer la somme forfaitaire globale, si c'est là la voie pour laquelle elle opte, à partir d'un taux uniforme de 30% du total des frais d'avocats encourus par la demanderesse. Cela représente un montant de 155 133 $. Quant aux déboursés, elles invitent la Cour à les réduire à un montant de 175 755,89 $, au lieu des 206 827,53 $ réclamés par la demanderesse. Au final, cela représente une somme forfaitaire globale de 330 888,09 $ au titre de dépens et de débours, au lieu des 450 000 $ exigés par la demanderesse.

[17]  Les défenderesses Pluritec et Lemay Côté Architectes, par la voie de leur procureur respectif, ont indiqué à la Cour qu'elles s’en remettaient aux représentations de CSBF et CG.

III.  Analyse

A.  Les dépens

[18]  Comme l'ont souligné les parties, la Règle 400(1) confère à la Cour l'entière discrétion (« full discretionary power », dans sa version anglaise) à l'égard de la détermination du montant des dépens, de leur répartition et de la désignation des parties devant les assumer. Suivant la Règle 407, les dépens sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du Tarif B, sauf si la Cour en décide autrement. La Cour peut aussi décider, aux termes de la Règle 400(4), de fixer une somme globale tenant lieu de dépens et de déroger, ce faisant, au Tarif B.

[19]  Les pouvoirs de la Cour en cette matière ont été résumés de la façon suivante par le juge Rothstein, alors de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Consorzio del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc. (CA), 2002 CAF 417 :

[8]  Une adjudication de dépens partie-partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s'agit que d'une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat-client de la partie qui a obtenu gain de cause (ou, de façon inhabituelle, à ceux de la partie déboutée). En vertu de la règle 407, lorsque les parties ne cherchent pas à obtenir des dépens supplémentaires, les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Même lorsque l'on demande des dépens supplémentaires, la Cour, à sa discrétion, peut conclure que les dépens adjugés selon la colonne III constituent un dédommagement suffisant quant aux dépens partie-partie.

[9]  Cependant, l'objectif consiste à contribuer d'une manière appropriée aux dépens avocat-client et non à observer strictement la colonne III du tableau du tarif B qui, en lui-même, est arbitraire. Le paragraphe 400(1) précise que, suivant le principe premier de l'adjudication des dépens, la Cour a "entière discrétion" quant au montant des dépens. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut fixer les dépens en se fondant sur le tarif B ou en s'en éloignant. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n'est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B.

[10]  Par conséquent, la Cour peut, à sa discrétion, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu'elle est d'avis qu'une adjudication des dépens conformément au tarif n'est pas satisfaisante. En outre, le montant des dépens avocat-client, bien qu'il ne détermine pas la contribution appropriée des dépens partie-partie, peut être considéré par la Cour si cette dernière le juge approprié. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec prudence. Toutefois, on doit garder à l'esprit que l'adjudication des dépens est une question de jugement en ce qui concerne les éléments appropriés, et non un exercice comptable.

[20]  Comme l'a noté récemment cette même Cour dans l'affaire Philip Morris Products S.A. c Marlboro Canada limitée, 2015 CAF 9 aux para 4-5, il existe, depuis quelques années, notamment en matière de propriété intellectuelle, une « tendance judiciaire à l'adjudication, autant que possible, d'une somme globale », calculée selon un pourcentage des frais d'avocats payés par la partie qui a droit aux dépens. L'objectif n'est toutefois pas de compenser la totalité des dépens ainsi encourus, ce que ne réclame pas du reste la demanderesse, mais d'assurer une compensation qui s'y rapproche davantage que ce que permettrait le Tarif B sans par ailleurs imposer, comme cherche à le faire le Tarif, un fardeau indu à la partie condamnée aux dépens (Philip Morris Products S.A. c Marlboro Canada limitée, 2011 CF 1113 au para 31; Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd. (1998), 84 CPR (3d) 303).

[21]  Pour établir le caractère raisonnable d'une adjudication de dépens, la Cour peut tenir compte de la liste non exhaustive de facteurs figurant à la Règle 400(3), tels que le résultat de l'instance, l'importance et la complexité des questions en litige, la charge de travail, la conduite d'une partie ou encore tout autre facteur que la Cour estime pertinent.

[22]  J'estime qu'il n'y a pas lieu ici de déroger à cette tendance judiciaire à l'adjudication, autant que possible, d'une somme globale tenant lieu de dépens, calculée sur la base d'un pourcentage des frais d'avocats payés par la partie qui a gain de cause. J'en arrive à cette conclusion pour les motifs suivants :

  • a) dans ses aspects essentiels, le Jugement est favorable à la demanderesse;

  • b) l’importance et la complexité des questions en litige, y compris la présence de certaines questions de droit nouveau, est admise par les parties défenderesses et ne fait pas de doute;

  • c) je n’ai pas de difficulté à accepter que la charge de travail requise pour faire valoir les droits de la demanderesse a été, dans ces circonstances, considérable;

  • d) nous sommes en présence d’un litige en matière de propriété intellectuelle et de parties commerciales averties, du moins pour ce qui est de quatre des cinq parties à ce litige, deux facteurs qui sous-tendent la tendance judiciaire à favoriser l’octroi, comme le réclame la demanderesse, d’une somme forfaitaire globale tenant lieu de dépens; et

  • e) je suis satisfait qu’en l’espèce, une adjudication des dépens conformément au Tarif ne serait pas satisfaisante puisqu’elle ne permettrait pas, à mon sens, une contribution appropriée à l'égard des frais d’avocats réellement encourus par la demanderesse, dont personne ne m’a plaidé qu’ils étaient exorbitants, l’écart entre les deux, même au terme d’une application généreuse du Tarif, étant significatif.

[23]  Il s'agit maintenant de déterminer le pourcentage des frais d'avocats réellement encourus par la demanderesse qui permettrait une contribution appropriée dans les circonstances. Tel que j'en ai déjà fait mention, la demanderesse soutient qu'un pourcentage de 35% serait adéquat. Dans leurs représentations écrites supplémentaires, les défenderesses prétendent que ce pourcentage ne doit pas excéder 30%. Selon la jurisprudence de la Cour, une somme forfaitaire globale oscille habituellement autour de 30% des frais d'avocats encourus par la partie qui a droit aux dépens. Le maximum accordé a été de 50%.

[24]  C'est ici, à mon avis, que la conduite des parties devient pertinente. La demanderesse reproche à certaines défenderesses, qui cherchaient à se mettre en cause mutuellement, d'avoir fait des démarches dilatoires et infondées, lesquelles, sans son intervention, auraient inutilement alourdi et prolongé le litige. Je ne saurais sanctionner ces démarches dans la mesure où elles ont été faites en temps utile, soit en levée de rideau, et où elles visaient à élargir le débat de manière à permettre, espéraient sans aucun doute ces défenderesses, une solution complète au litige institué par la demanderesse par l'obtention d'un jugement final qui, le cas échéant, départagerait leur responsabilité respective.

[25]  Comme je le mentionnais au paragraphe 245 du Jugement, cette question, qui s'est heurtée aux limites de la compétence de la Cour, demeure entière. Dans la mesure où l'action de la demanderesse prenait appui sur la Loi, et donc sur un ensemble de règles de droit fédéral régissant tant la responsabilité alléguée des défenderesses que l'octroi des dommages, je ne saurais dire que ces démarches préliminaires étaient futiles ou vexatoires même si, ultimement, elles ont échoué. Je ne saurais davantage tenir rigueur aux défenderesses d’avoir produit des défenses séparées. D’ailleurs, les conclusions recherchées n’étaient pas tout à fait les mêmes d’une défenderesse à l’autre - je pense en particulier à la réclamation pour dommages punitifs – tout comme n’étaient pas uniformes les allégations de contrefaçon – je pense ici, entre autres, à celles dirigées contre Lemay et Côté et Constructions Gagné. Cela, à mon sens, justifiait chaque défenderesse à produire sa propre défense.

[26]  Je partage par ailleurs le point de vue des défenderesses eu égard à l'abandon, une fois le procès amorcé, des conclusions de la déclaration d'action visant le complexe Anthony Carola et le hangar Air Inuit. Si la référence à ces deux projets n'avait pour seul but, comme la demanderesse l'a évoqué au procès, que de tracer l'historique du Concept Lainco, point n'était besoin de rechercher des conclusions de type déclaratoire à leur égard. Le fait d'avoir maintenu ces conclusions jusqu'à ce que le procès soit bien entamé a obligé les défenderesses à se préparer à faire un débat plus large que ce qu'il s'est avéré être en réalité. Je n'ai pas de difficulté à accepter que cette situation a occasionné des coûts additionnels inutiles aux défenderesses.

[27]  Je me dois aussi tenir compte, dans l'établissement du pourcentage approprié devant servir au calcul de la somme forfaitaire globale tenant lieu de dépens en l'espèce, de deux autres facteurs. D'une part, je dois tenir compte du succès, même s'il est modeste, de la CSBF et de Pluritec sur la question des dommages punitifs.  D'autre part, alors que les parties s'étaient entendues sur le dépôt de cahiers d'autorités conjoints, la demanderesse, à la veille des plaidoiries orales au procès, a transmis aux défenderesses deux cahiers d'autorités supplémentaires contenant au total 22 onglets. J'ai permis que la demanderesse se serve de ces autorités additionnelles malgré l'objection des défenderesses à ce dépôt tardif. Par souci d'équité procédurale, j'ai toutefois accordé aux défenderesses la possibilité de me soumettre des représentations écrites supplémentaires portant sur ces autorités. J'ai indiqué aux parties que je tiendrais compte de ce dépôt tardif dans l'octroi des dépens.

[28]  Compte tenu de tout ce qui précède, et rappelant, sans diminuer l’importance de la présente affaire, que bien des procès en matière de propriété intellectuelle excèdent les deux semaines qu’ont duré celui tenu en l’instance, j'estime qu'un pourcentage de 30% est approprié dans les circonstances aux fins du calcul de la somme forfaitaire globale payable à la demanderesse.

[29]  Maintenant, ce pourcentage doit-il être doublé à partir du 22 juillet 2016, date où la demanderesse a soumis des offres de règlement à chacune des défenderesses? J'estime que non.

[30]  La Règle 420(1) permet le versement au demandeur, qui a fait au défendeur une offre de règlement rencontrant les exigences de la Règle 420(3), du double des dépens partie-à-partie auquel il a droit lorsqu'il obtient un jugement qui est aussi, ou plus, avantageux que les conditions de l'offre ainsi soumise. Ce dédoublement se calcule à partir de la signification de l'offre. Selon le libellé de la Règle 420(1), la Cour peut toutefois en décider autrement. Ce sera le cas ici pour deux raisons.

[31]  D'une part, l'offre de règlement soumise par la demanderesse exigeait des défenderesses qu'elles lui reconnaissent des droits d'auteurs dans le Concept Lainco. L'offre de règlement n'était donc pas strictement de nature monétaire. Elle visait ainsi une des questions de principe du présent dossier, celle de savoir si ce concept est même protégé par la Loi. Il s'agit d'une des questions à l'égard de laquelle, si elle n'est pas de droit nouveau, il n'existe que très peu de jurisprudence. Tout comme le Jugement, cette question est en appel présentement. Sur ce point crucial de l'offre de la demanderesse, il n'y avait pas d'élément de compromis, comme le requiert la jurisprudence (Venngo Inc. c Concierge Connection Inc., 2017 CAF 96 au para 87). En fait, il ne pouvait y en avoir à moins que ce volet de l’offre ne soit retiré. J'hésite donc, dans ces circonstances, à en quelque sorte pénaliser les défenderesses pour ne pas avoir accepté cette offre. Elles ont jugé que ce débat devait être fait, surtout que l’offre leur a été faite moins de trois mois avant le début procès. Je ne saurais leur en tenir rigueur dans les circonstances.

[32]  D'autre part, comme le soulignent les défenderesses, le versement d'une somme forfaitaire globale sert déjà à fournir une compensation appropriée aux frais d'avocat réellement encourus par la partie qui a eu gain de cause, compensation que, dans bien des cas, le Tarif ne permet pas. Le gonflement artificiel de cette compensation, déjà généreuse lorsque comparée à ce qui pouvait être obtenu en vertu du Tarif, est-il à propos dans un dossier que les parties n'hésitent pas à qualifier de dossier de principe? J'estime que non. La situation serait peut-être différente si le présent dossier avait été scindé et qu'une fois la question de la responsabilité réglée par un jugement définitif, l'offre aurait porté sur le quantum des dommages. Toutefois, tel n’est pas le scénario qui se présente à nous ici.

[33]  J'appliquerai donc au total des frais d'avocat encours par la demanderesse (517 110 $) un taux uniforme de 30% aux fins du calcul de la somme forfaitaire globale que devront, conjointement et solidairement, lui payer les défenderesses. Cela représente un montant de 155 133 $.

B.  Les déboursés

[34]  Les défenderesses contestent trois des montants réclamés par la demanderesse à titre de déboursés, lesquels totalisent 206 827,53 $. L'un d'eux (975,64 $) vise un certain nombre d'items pour lesquels la demanderesse n'aurait pas été en mesure de fournir des pièces justificatives. Après un examen du dossier, ce montant sera soustrait du total réclamé par la demanderesse.

[35]  Les deux autres concernent la note de frais de l'expert-comptable qui a témoigné pour le compte de la demanderesse, M. Fafard. Ces frais totalisent 107 013,50 $. Tel que je l'ai déjà indiqué, les défenderesses, dans un premier temps, jugent la portion honoraire de cette note de frais exorbitante et voudraient la voir réduite de 25 000 $ sur la base qu'elle représente plus du double de la note d'honoraires de l'expert en architecture dont les services ont été retenus par la demanderesse. J'hésite à réduire les frais d'honoraires de l'expert-comptable sur une telle base. Il aurait été plus utile de pouvoir comparer ces frais à ceux de l'expert-comptable engagé par les défenderesses pour donner la réplique à M. Fafard. Or, je n'ai pas cette information devant moi. Comparer les frais d'honoraires de deux experts de disciplines différentes, avec des niveaux d'expérience et des champs d'action différents, me paraît hasardeux. Je ne le ferai pas.

[36]  Les défenderesses contestent dans un deuxième temps la charge de 5% appliquée aux notes d'honoraires de M. Fafard pour tenir compte des frais d'administration. Cette charge représente un montant total de 5 096 $. Elles estiment que ce montant ne représente pas les dépenses d'administration réellement encourues et qu'elles n'ont pas par conséquent à l'assumer. Il est vrai que cette méthode de facturation ne permet pas de connaître avec exactitude les types et montants des dépenses d'administration réellement encourues. Toutefois, on peut présumer, sans risque de se tromper, que, même si on n'en connaît pas le détail, de telles dépenses ont été encourues et que la demanderesse en a assumé le coût. Dans les circonstances, et dans un souci d'équité pour la demanderesse et les défenderesses, je vais ordonner le remboursement de ce débours mais à hauteur de 2 550 $, au lieu des 5 096 $ réclamés.

[37]  Le montant des déboursés payable par les défenderesses est donc établi à 203 305,89 $.

[38]  La demanderesse aura donc droit, à titre de dépens et déboursés, au versement d'une somme forfaitaire globale de 358 438,89 $, composée d’un montant de 155 133 $ à titre d'honoraires et d’une somme de 203 305,89 $ à titre de déboursés, y compris les frais d'experts. Des intérêts, calculés conformément à l'article 37 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, seront payables à compter du 12 septembre 2017.


ORDONNANCE au dossier T-941-13

LA COUR ORDONNE aux défenderesses de payer à la demanderesse, conjointement et solidairement, la somme forfaitaire globale de 358 438,89 $ en remboursement de ses dépens et déboursés, le tout avec les intérêts, calculés conformément à l’article 37 de la Loi sur les Cours fédérales, payables à compter du 12 septembre 2017.

« René LeBlanc »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-941-13

 

INTITULÉ :

LAINCO INC. c COMMISSION SCOLAIRE DES BOIS-FRANCS et PLURITEC LTÉE et LEMAY CÔTÉ ARCHITECTES INC. et CONSTRUCTIONS GAGNÉ ET FILS INC.

 

OBSERVATIONS SUR LES DÉPENS CONSIDÉRÉES À OTTAWA CONFORMÉMENT AU JUGEMENT DE CETTE COUR DANS 2017 CF 825

ORDONNANCE ET MOTIFS CONCERNANT LES DÉPENS ET DÉBOURSÉS:

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 février 2018

 

PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR :

Me François Guay et

Me Jean-Sebastien Dupont

 

Pour la demanderesse

LAINCO INC.

Me Richard Uditsky

Pour les défenderesses

COMMISSION SCOLAIRE DES BOIS-FRANCS et

CONSTRUCTIONS GAGNÉ ET FILS INC.

 

Me Daniel Grodinsky

Pour la défenderesse

PLURITEC LTÉE

Me Jean-François de Rico

Pour la défenderesse

LEMAY CÔTÉ ARCHITECTES INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SMART & BIGGAR

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

LAINCO INC.

Robinson Sheppard Shapiro

S.E.N.C.R.L. L.L.P.

Montréal (Québec)

 

Pour les défenderesses

COMMISSION SCOLAIRE DES BOIS-FRANCS et

CONSTRUCTIONS GAGNÉ ET FILS INC.

Borden Ladner Gervais LLP

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

PLURITEC LTÉE

Langlois Avocats

S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

LEMAY CÔTÉ ARCHITECTES INC.

 

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