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Date : 20170918


Dossier : IMM-4286-16

Référence : 2017 CF 837

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 18 septembre 2017

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

DILSHOD ISMAILOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Dilshod Ismailov (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, laquelle a accueilli la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]  Il est citoyen de l’Ouzbékistan. Le demandeur a sollicité la protection du Canada, car il craint d’être persécuté du fait de sa religion, étant un adepte du mouvement Gülen au Canada, et qu’il a reçu des menaces provenant du bureau du procureur public de son pays relativement à une enquête sur son ancien employeur.

[3]  Dans une décision rendue le 19 novembre 2013, la Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande après avoir tiré des conclusions négatives quant à sa crédibilité.

[4]  Lors de l’appel interjeté à la Section d’appel des réfugiés, la décision de la Section de la protection des réfugiés a été infirmée.

[5]  Dans le dossier IMM-3621-14, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) a demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision favorable de la Section d’appel des réfugiés. Par l’ordonnance sur consentement du 3 juin 2014, l’affaire a été renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour une nouvelle décision.

[6]  La Section d’appel des réfugiés a rendu une nouvelle décision le 17 septembre 2014 et a confirmé la décision initiale de la Section de la protection des réfugiés après avoir conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[7]  Le demandeur a demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision dans le dossier IMM-6839-14. Le 13 août 2015, cette demande de contrôle judiciaire a été accueillie au motif que la Section d’appel des réfugiés avait commis une erreur dans son évaluation de certains nouveaux éléments de preuve, en particulier deux articles de journaux.

[8]  La cour de révision a également conclu que la Section d’appel des réfugiés avait refusé de façon déraisonnable d’évaluer l’admissibilité d’une décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle présentait des conclusions de fait relativement à la situation qui règne en Ouzbékistan.

[9]  La cour de révision a en outre conclu que la conclusion que la Section d’appel des réfugiés a tirée sur la crédibilité du demandeur, à savoir que le demandeur n’aurait pas pu quitter l’Ouzbékistan après avoir été interrogé par les autorités, a été formulée sans égard aux éléments de preuve corroborants et pertinents et qu’elle était déraisonnable.

[10]  Sur nouvel examen de la demande du demandeur, la Section d’appel des réfugiés a encore une fois tenu compte des onze articles de journaux soumis par le demandeur en tant que nouveaux éléments de preuve. La Section d’appel des réfugiés a conclu que six des articles étaient antérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés et que, par conséquent, ceux-ci n’étaient pas de nouveaux éléments de preuve. Elle a conclu qu’il existait deux autres articles de journaux antérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés pour lesquels il n’aurait pas été raisonnable de s’attendre à leur production devant la Section de la protection des réfugiés et qu’elle a admis en preuve en conséquence. La Section d’appel des réfugiés a accepté les autres articles de journaux, mais ne leur a accordé que peu de poids, puisqu’elle a jugé que ces articles n’étaient ni pertinents ni crédibles.

[11]  Elle a également tenu compte de neuf autres documents concernant la capacité du demandeur à retourner en Ouzbékistan, compte tenu du fait que la demande d’asile du demandeur a été refusée. La Section d’appel des réfugiés a conclu que la décision de la Cour européenne de justice n’est pas un « nouvel élément de preuve », celle-ci étant antérieure à la décision de la Section de la protection des réfugiés. Elle a exclu quatre autres documents parce qu’ils n’étaient pas datés et que la date de la mise en disponibilité ne pouvait être établie. Les autres documents étaient postérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés et ont été admis en preuve.

[12]  La Section d’appel des réfugiés a examiné d’autres nouveaux éléments de preuve, soit douze documents portant sur le profil religieux du demandeur. Elle a constaté que deux documents n’étaient pas datés et ne pouvait déterminer si ceux-ci satisfaisaient au critère s’appliquant aux nouveaux éléments de preuve. Les autres documents étaient postérieurs à la décision de la Section de la protection des réfugiés et ont été admis en preuve.

[13]  Dans sa décision, la Section d’appel des réfugiés a conclu que le demandeur n’était pas crédible parce que le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) ne détaillait pas suffisamment certaines visites que les policiers ont faites au domicile de ses parents et parce que le demandeur ne pouvait pas se rappeler des dates importantes dans son témoignage oral.

[14]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que le demandeur n’était ni un adepte du mouvement Gülen ou de Nursi et qu’il ne ferait pas l’objet de persécution pour ce motif s’il retournait en Ouzbékistan.

[15]  De plus, elle a conclu qu’il était raisonnable de penser que le demandeur ne ferait pas l’objet de persécution du fait que sa demande d’asile a été refusée s’il devait retourner en Ouzbékistan.

[16]  La Section d’appel des réfugiés a tenu compte du profil religieux du demandeur et l’a jugé nécessaire pour déterminer si le demandeur était membre du mouvement Gülen. Elle a conclu que le demandeur n’était pas un « adepte actif » du mouvement Gülen.

[17]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur fait valoir plusieurs arguments, notamment en soutenant que la Section d’appel des réfugiés aurait contrevenu à l’équité procédurale en choisissant de ne pas tenir d’audience orale et de ne pas accepter de nouveaux éléments de preuve documentaire. De plus, il fait valoir que les évaluations du risque étaient déraisonnables et que la Section d’appel des réfugiés n’a pas compétence pour aborder sa demande de protection sur place. Il soutient aussi que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en choisissant de ne pas aborder le risque lié à la confession religieuse perçue s’il devait retourner en Ouzbékistan.

[18]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) soutient que la Section d’appel des réfugiés a raisonnablement tenu compte de l’ensemble de la preuve et qu’elle a rejeté à juste titre l’appel du demandeur.

[19]  La première question à traiter est celle de la norme de contrôle, en commençant par la première norme de contrôle, soit celle que la Cour doit appliquer aux décisions de la Section d’appel des réfugiés.

[20]  La norme de contrôle applicable pour l’examen, par la Cour, d’une décision de la Section d’appel des réfugiés est celle de la décision raisonnable; voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica (2016), 396 DLR (4th) 527 (CAF), au paragraphe 35. Par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir si la décision de la Section d’appel des réfugiés est intelligible, transparente, justifiable et appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[21]  Je passe maintenant à la norme de contrôle applicable par la Section d’appel des réfugiés dans le cadre de l’appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés.

[22]  Lors du contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés, la cour de révision doit examiner la norme de contrôle appliquée par la Section d’appel des réfugiés à la décision de la Section de la protection des réfugiés. Dans l’arrêt Huruglica, précité, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit au paragraphe 77 :

[...] Si je l’interprète en fonction du régime législatif et de ses objectifs, je ne trouve rien dans la LIPR qui justifie le recours à une norme du caractère raisonnable ou de l’erreur manifeste et dominante pour analyser les conclusions de fait, ou les conclusions mixtes de fait et de droit de la SAR.

[23]  À la lumière de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, précité, il n’y a habituellement que deux normes de contrôle, soit la norme de la décision raisonnable et celle de la décision correcte. Si la norme de la décision raisonnable ne s’applique pas, il ne reste que la norme de la décision correcte qui peut être appliquée par la Section d’appel des réfugiés lors de son examen de certaines questions soumises à la Section de la protection des réfugiés.

[24]  Au paragraphe 103 de l’arrêt Huruglica, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit :

Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. [...]

[25]  À mon avis, le paragraphe précité indique que la Section d’appel des réfugiés doit appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’elle examine les décisions de la Section de la protection des réfugiés qui ne soulèvent pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix. Il semble que ce soit la situation en l’espèce, puisque, selon moi, la question déterminante est le manquement de la Section d’appel des réfugiés à tenir compte du risque touchant le demandeur à son retour en Ouzbékistan dans le cas où celui-ci serait perçu comme un adepte du mouvement Gülen.

[26]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que la liberté de religion en Ouzbékistan se limite aux praticiens de religions reconnues par le gouvernement. Elle a affirmé que, selon la preuve documentaire, le [traduction] « mouvement Gülen n’est pas une religion reconnue en Ouzbékistan ».

[27]  Dans sa décision, la Section d’appel des réfugiés aborde la question de la participation du demandeur au mouvement Gülen et aux enseignements de Said Nursi au paragraphe 50, comme suit :

[traduction]

La Section d’appel des réfugiés est d’avis que l’appelant n’est pas un adepte actif du mouvement Gülen ni des enseignements de Said Nursi et qu’il est raisonnable de penser qu’il ne fera pas l’objet de persécution à cause de son profil religieux s’il devait retourner en Ouzbékistan.

[28]  Selon l’enseignement de la décision Chekroun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2013), 436 FTR 1, 13 au paragraphe 55, le fait de ne pas tenir compte du risque touchant une personne perçue comme un membre d’une religion ou d’une forme de religion qui fait l’objet d’une persécution par l’État est une erreur susceptible de révision.

[29]  Je renvoie au paragraphe 55 de cette décision qui indique en partie ce qui suit :

Je ne puis accepter la thèse du défendeur suivant laquelle le demandeur devait tout d’abord établir son identité juive avant que l’agent ne soit tenu de se demander comment il serait perçu en Algérie. La question à laquelle il faut répondre n’est pas celle de savoir si un demandeur a des convictions, mais plutôt celle de savoir si d’éventuels persécuteurs attribueraient ces convictions au demandeur comme l’illustre bien l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 83. Ce point de vue est repris dans la décision Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1876 (QL) (CF 1re inst), au paragraphe 23, dans lequel il a également été jugé qu’indépendamment du motif de persécution allégué, la question doit être abordée du point de vue du persécuteur.

[...]

[30]  Même si la demande de contrôle judiciaire dans la décision Chekroun, précitée, a été rejetée pour d’autres motifs, la déclaration susmentionnée s’applique en l’espèce.

[31]  À mon avis la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en refusant de tenir compte du risque que le demandeur soit perçu en Ouzbékistan comme un adepte du mouvement Gülen. Elle n’a pas clairement indiqué qu’elle examinait ce risque du point de vue du persécuteur, c’est-à-dire l’État. Il ne suffisait pas que la Section d’appel des réfugiés indique simplement qu’elle ne pensait pas qu’il participait activement au mouvement, alors qu’elle n’a pas à tout le moins abordé la question du risque pour le demandeur d’un retour en Ouzbékistan, là où les adeptes du mouvement Gülen ne bénéficient pas de la protection de l’État. Il n’est pas nécessaire que j’examine les autres arguments soulevés par le demandeur.

[32]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Section d’appel des réfugiés pour une nouvelle détermination.

[33]  Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à une nouvelle formation de la Section d’appel des réfugiés à des fins de nouvelle détermination. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4286-16

 

INTITULÉ :

DILSHOD ISMAILOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JUIN 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 SEPTEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Feruza Djamalova

POUR LE DEMANDEUR

 

Suzanne M. Bruce

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sobirovs LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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