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Date : 20170914


Dossier : IMM-487-17

Référence : 2017 CF 833

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

FOUZIEH OLFATI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent principal de Citoyenneté et Immigration Canada, datée du 30 janvier 2017, par laquelle ce dernier a rejeté la demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire (la demande) que la demanderesse avait présentée depuis le Canada.

I.  RAPPEL DES FAITS

[2]  La demanderesse est une citoyenne iranienne qui vit actuellement au Canada avec son fils adulte (Amir Reza) qui est citoyen canadien et souffre de maladie mentale. Les autres membres de la famille de la demanderesse vivent en Iran.

[3]  À l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse a déposé deux lettres rédigées par les professionnels de la santé traitant son fils. Dans une lettre datée du 1er avril 2015, le Dr S. Akbar Bayanzadeh affirme que M. Reza : [traduction« souffre d’affections chroniques concomitantes : des troubles psychiatriques et des problèmes de dépendance, dont les effets peuvent parfois être perturbateurs et débilitants ». Il ajoute dans sa lettre que l’état de santé de M. Reza [traduction] « l’a amené à adopter un comportement autodestructeur qui a aggravé ses problèmes psychosociaux ». La lettre précise également qu’en raison de la nature de ses troubles psychiatriques, M. Reza [traduction] « a grandement besoin de soins et d’un soutien constant ». Le Dr Bayanzadeh indique également qu’il estime que les soins et le soutien dont a besoin M. Reza ne peuvent être fournis que par ses parents. Il est à noter que, bien que cette lettre ait été produite à l’appui de la demande présentée par la demanderesse, elle fait en fait référence à la demande de visa et de carte de séjour au Canada du père de M. Reza.

[4]  La seconde lettre d’un professionnel de la santé traitant M. Reza, datée du 21 novembre 2014, est celle de la Dre Aileen Moric, qui indique que M. Reza a été admis à l’hôpital à cinq reprises en quatre ans, dont trois fois au cours du mois précédent. La Dre Moric mentionne que M. Reza bénéficierait grandement de la présence et du soutien de sa famille. Elle a d’ailleurs constaté une amélioration de l’état de santé de M. Reza lorsque sa mère l’a accompagné à un rendez-vous dans son cabinet.

II.  DÉCISION CONTESTÉE

[5]  Dans la décision contestée, l’agent résume les lettres des docteurs Moric et Bayanzadeh. Il fait remarquer que la lettre de la Dre Moric datait d’il y a deux ans et qu’elle ne précisait pas quand la demanderesse avait accompagné son fils à un rendez-vous au cabinet de la Dre Moric. Par ailleurs, la lettre ne contenait aucun renseignement précis sur la nature du soutien que la demanderesse apportait à son fils. L’agent souligne également l’absence de quelque élément de preuve lié aux hospitalisations postérieures au 21 novembre 2014.

[6]  À propos de la lettre du Dr Bayanzadeh, l’agent souligne qu’elle datait de plus de 18 mois et qu’elle ne précisait pas le type de soutien que seuls les parents de M. Reza pouvaient lui offrir.

[7]  L’agent conclut à l’insuffisance d’éléments de preuve démontrant : (i) la nature du soutien que la demanderesse apporte à son fils; (ii) que seuls les parents peuvent apporter ce soutien; (iii) que M. Reza ne serait pas en mesure d’obtenir des soins et du soutien au Canada; ou (iv) que la situation financière de la demanderesse est stable. L’agent souligne aussi l’absence de lettre de corroboration du fils de la demanderesse.

[8]  L’agent conclut que la séparation des membres de la famille ne causerait pas de difficultés exceptionnelles justifiant d’accueillir la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il note que d’autres options s’offraient à la demanderesse et à sa famille, notamment le parrainage. L’agent mentionne également que, si la demanderesse quittait le Canada pour présenter une demande de résidence permanente, elle pourrait éprouver des difficultés découlant de l’application normale et prévisible de la loi. Enfin, l’agent précise :

[traduction] Je vois les liens familiaux qu’entretiennent la demanderesse et son fils au Canada de façon positive, mais, en raison de la preuve restreinte dont je dispose, j’estime que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle entretenait avec son fils une relation d’interdépendance d’importance appréciable.

III.  QUESTIONS EN LITIGE

[9]  La demanderesse soutient que la décision contestée comporte plusieurs erreurs, notamment :

  1. L’agent a omis de tenir compte de l’alinéa 117(1)h) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR).
  2. L’agent a appliqué le mauvais critère juridique pour affirmer que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle entretenait avec son fils une relation d’interdépendance d’importance appréciable.
  3. L’agent a conclu à tort à l’insuffisance de la preuve se rapportant au type de soutien que la demanderesse peut apporter à son fils.
  4. L’agent a conclu de manière déraisonnable que les éléments de preuve, selon lesquels aucune autre personne ne pouvait apporter un tel soutien, étaient insuffisants.
  5. L’observation de l’agent voulant que M. Reza ait accès à des soins et à du soutien au Canada n’était pas pertinente.
  6. La conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse avait d’autres options, tel le parrainage, était déraisonnable, car il n’a pas tenu compte du fait que M. Reza avait besoin du soutien de sa famille.
  7. L’agent a commis une erreur en concluant à l’obsolescence des lettres des médecins qui ont été produites à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse.

IV.  ANALYSE

[10]  Dans mon examen de la décision, je dois tenir compte du fait qu’il incombait à la demanderesse de convaincre l’agent qu’il devait accorder la mesure d’exception demandée (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 45 [Kisana]). Je dois aussi garder à l’esprit que l’agent possède une expertise digne de respect et que la mesure d’exception demandée est de nature discrétionnaire. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Kisana, au paragraphe 18; Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294, aux paragraphes 16 et 24).

[11]  La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable à une question de droit, notamment le critère juridique applicable ou les facteurs pertinents à prendre en considération dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, est la norme de la décision correcte. La demanderesse invoque cependant la jurisprudence antérieure à l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick 2008 CSC 9 [Dunsmuir] de la Cour suprême. Par l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a décidé que, sauf quelques exceptions non applicables en l’espèce, la norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision raisonnable (paragraphes 54 et 55); voir également l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30.

A.  Alinéa 117(1)h) du RIPR

[12]  L’alinéa 117(1)h) du RIPR prévoit une catégorie particulière de ressortissants étrangers qui peuvent appartenir à la catégorie du regroupement familial. Il est libellé comme suit :

Regroupement familial

Membre

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

[…]

h) tout autre membre de sa parenté, sans égard à son âge, à défaut d’époux, de conjoint de fait, de partenaire conjugal, d’enfant, de parents, de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de membre de sa famille qui est l’enfant d’un enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de parents de l’un ou l’autre de ses parents ou de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre des parents de l’un ou l’autre de ses parents, qui est :

(h) a relative of the sponsor, regardless of age, if the sponsor does not have a spouse, a common-law partner, a conjugal partner, a child, a mother or father, a relative who is a child of that mother or father, a relative who is a child of a child of that mother or father, a mother or father of that mother or father or a relative who is a child of the mother or father of that mother or father

(i) soit un citoyen canadien, un Indien ou un résident permanent,

(i) who is a Canadian citizen, Indian or permanent resident, or

(ii) soit une personne susceptible de voir sa demande d’entrée et de séjour au Canada à titre de résident permanent par ailleurs parrainée par le répondant.

(ii) whose application to enter and remain in Canada as a permanent resident the sponsor may otherwise sponsor.

[13]  Le sens de l’alinéa 117(1)h) est qu’un proche du répondant d’une demande de résidence permanente peut appartenir à la catégorie du regroupement familial, même s’il ne serait pas autrement admissible, dans la mesure où le répondant n’a pas d’autre membre de la famille au Canada ou à parrainer.

[14]  Selon la demanderesse, le fait que l’agent n’ait pas tenu compte de l’alinéa 117(1)h) constitue une erreur.

[15]  Je ne suis pas de cet avis. Comme l’a souligné le défendeur, il n’était pas nécessaire que la demanderesse invoque l’alinéa 117(1)h), car elle remplissait déjà les exigences de la catégorie du regroupement familial prévues à l’alinéa 117(1)c) en sa qualité de mère du répondant potentiel. Je ne constate aucune erreur en l’espèce.

[16]  Selon la demanderesse, la disposition en cause reconnaît qu’il est souhaitable d’éviter qu’une personne se retrouve au Canada sans membre de sa famille. Quoi qu’il en soit, je ne peux conclure que l’omission de l’agent d’invoquer cette disposition est déraisonnable.

B.  La demanderesse et son fils entretiennent-ils une relation d’interdépendance d’importance appréciable?

[17]  La demanderesse avance qu’en exigeant une preuve de l’importance appréciable de sa relation d’interdépendance avec son fils, l’agent lui a imposé une norme de preuve supérieure à la prépondérance des probabilités. La demanderesse estime qu’il s’agit d’une erreur.

[18]  À mon avis, l’observation de l’agent voulant que la demanderesse n’ait pas [traduction] « démontré qu’elle entretenait avec son fils une relation d’interdépendance d’importance appréciable », constituait une autre façon de dire que la preuve à ce sujet n’avait pas beaucoup de poids et était donc insuffisante. Je ne peux conclure que l’agent a appliqué une norme de preuve inappropriée.

C.  Quel type de soutien que la demanderesse peut-elle apporter?

[19]  La demanderesse affirme qu’il ressort clairement des lettres des médecins que le soutien qu’elle apporte est un soutien familial et, partant, qu’il était déraisonnable que l’agent demande d’autres détails sur les tâches précises qu’elle effectue pour son fils.

[20]  J’estime que l’agent était pleinement conscient du contenu des lettres des médecins et qu’il n’était pas déraisonnable qu’il souligne l’absence de renseignements précis concernant le type de soutien que la demanderesse apporte à son fils. Outre l’absence de renseignements précis, l’agent a aussi mentionné l’absence d’information actualisée sur la situation de M. Reza et ses besoins en matière de soutien.

D.  Est-ce qu’aucune autre personne ne pourrait offrir un tel soutien?

[21]  Selon la demanderesse, il est évident que seuls les membres de la famille peuvent fournir le soutien familial requis, et il était déraisonnable que l’agent rejette la déclaration du médecin indiquant que M. Reza bénéficierait grandement de la présence et du soutien de sa famille.

[22]  Là encore, j’estime que l’agent connaissait fort bien le contenu des lettres des médecins et il n’était pas déraisonnable qu’il soulève l’absence de renseignements précis et d’information actualisée. Il lui était donc loisible de ne pas suivre les recommandations formulées dans ces lettres.

E.  Pertinence de l’accès de M. Reza aux soins et à un soutien au Canada

[23]  De nouveau, la demanderesse soutient en l’espèce que les lettres des médecins insistaient nettement sur le besoin de soutien familial, et que l’observation de l’agent était non pertinente, à savoir que M. Reza pouvait obtenir un soutien hors du cercle familial.

[24]  Comme mentionné ci-dessus, j’estime que l’agent a compris les éléments de preuve et que les observations dans la décision contestée, y compris au sujet de l’accès de M. Reza à des soins et à du soutien au Canada, étaient raisonnables.

F.  Caractère raisonnable des options offertes à la demanderesse

[25]  Selon la demanderesse, il était déraisonnable que l’agent affirme qu’elle pouvait présenter une demande de parrainage, car il a omis de considérer le fait que la demanderesse devrait quitter le Canada pour se prévaloir de cette option, ce qui laisserait M. Reza sans soutien familial.

[26]  Là encore, je crois qu’il était raisonnable que l’agent conclue à l’insuffisance de la preuve démontrant que M. Reza aurait besoin de soutien pendant l’absence de la demanderesse du Canada, si elle exerçait l’option du parrainage.

G.  Obsolescence des lettres des professionnels de la santé

[27]  La demanderesse affirme que l’agent a mal interprété les éléments de preuve lorsqu’il a observé que les lettres des médecins dataient de 18 mois et de 2 ans respectivement. Elle souligne que sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été déposée le 4 février 2016 et qu’à cette date, les lettres des médecins dataient de moins de 10 et de 15 mois respectivement.

[28]  Le défendeur estime que la décision de l’agent à propos de l’obsolescence des lettres des médecins est correcte du point de vue de la date de la décision, soit le 30 janvier 2017. Cela dit, j’estime que l’agent n’a pas mal interprété les éléments de preuve.

[29]  À l’audience portant sur la présente demande, l’avocat de la demanderesse a présenté un suivi de cette question en faisant valoir que l’agent était tenu de tenir compte de la date du dépôt de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse et non de la date de la décision. Toutefois, la demanderesse n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de cet argument et s’est rétractée dans une lettre subséquente présentée à la Cour. Le défendeur fait observer que la demanderesse était tenue de mettre à jour sa demande si nécessaire (Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 983, au paragraphe 23; Jane Unetelle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 285, au paragraphe 19). Cette jurisprudence semble enseigner que la date pertinente de prise en considération d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est la date de la décision.

V.  CONCLUSIONS

[30]  Par les motifs qui précèdent, la présente demande doit être rejetée. Il n’est pas controversé entre les parties qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-487-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’a été certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-487-17

 

INTITULÉ :

FOUZIEH OLFATI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 août 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

 

Pour la demanderesse

 

Suzanne Trudel

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Avocats

Westmount (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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