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Date : 20170907


Dossier : IMM­5404­16

Référence : 2017 CF 808

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2017

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

CHARANJIT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur Charanjit Singh demande, en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision du 3 novembre 2016 rendue par un agent d’immigration (l’agent) du Haut-Commissariat du Canada à Colombo (Sri Lanka), laquelle rejetait la demande de résidence permanente au Canada à titre de travailleur qualifié que le demandeur a déposée en application du paragraphe 87(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement).

I.  Le contexte factuel

[2]  Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente à titre de candidat désigné par le Programme Candidats du Manitoba en avril 2014. Le demandeur reconnaît qu’il a omis de mentionner à l’annexe A de la demande de 2014 que le visa de résident temporaire lui avait été refusé à deux reprises. Il a rectifié l’erreur, mais s’est vu refuser la résidence permanente. Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de ce refus. Par la suite, le défendeur ayant accepté d’examiner à nouveau sa demande de résidence permanente, le demandeur a retiré sa demande de contrôle judiciaire.

[3]  En septembre 2015, le demandeur a fourni des renseignements à jour pour le nouvel examen de sa demande.

[4]  En novembre 2015, le demandeur a reçu une lettre relative à « l’équité procédurale » dans laquelle l’agent a exprimé ses préoccupations à l’égard de la lettre fournie par l’employeur du demandeur au sujet de l’expérience professionnelle du demandeur. L’agent a signalé qu’il s’attendait à ce que l’employeur ait un site Web ou un en-tête. L’agent a également exprimé des préoccupations concernant la maîtrise de la langue anglaise que possède le demandeur et le manque d’expérience professionnelle dans le domaine d’emploi pour lequel il était désigné, à savoir, formateur professionnel en informatique.

[5]  Le demandeur a répondu le 9 décembre 2015. Entre autres renseignements, le demandeur a présenté l’offre que Sood Brothers Travel and Tours de Winnipeg (Manitoba) lui a proposée par écrit, soit un poste d’opérateur à la saisie de données sous réserve de l’obtention de son visa, et un document qui décrit la procédure de recrutement pour les enseignants d’informatique rédigée par la Punjab Information and Communication Technology Education Society. Le demandeur a expliqué qu’il n’est pas requis au Punjab d’avoir une expérience officielle d’enseignant lorsque le domaine est technique et que le candidat possède les autres qualifications nécessaires. Sur la question de l’absence de site Web de son employeur, le demandeur a expliqué que le recours à des comptes Gmail est fréquent dans certaines régions du Punjab. Le demandeur a ajouté qu’il ne lui a pas été demandé de fournir le résultat de nouveaux tests mesurant ses compétences linguistiques en anglais, mais qu’il améliorerait ses compétences et fournirait le résultat des tests.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  L’agent a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences pour immigrer à titre de membre de la catégorie des candidats des provinces et a refusé la demande de résidence permanente au Canada.

[7]  L’agent a rappelé que, conformément au paragraphe 87(3) du Règlement, lorsque le certificat désignant un étranger candidat des provinces n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de cet étranger à réussir son établissement économique au Canada et lorsque l’agent a consulté le gouvernement qui a délivré le certificat, l’agent a la possibilité d’évaluer la probabilité de l’établissement économique du demandeur et s’appuyer sur sa propre appréciation. L’agent a signalé qu’il n’était pas satisfait du certificat provincial; par conséquent, il a remplacé celui-ci par sa propre appréciation de la probabilité de l’établissement économique du demandeur au Canada.

[8]  L’agent a expliqué que les renseignements fournis par le demandeur en réponse aux préoccupations signalées dans la lettre de l’agent de novembre 2015 n’avaient pas convaincu l’agent de la probabilité de l’établissement économique du demandeur au Canada. L’agent a ajouté qu’un deuxième agent avait souscrit à cette évaluation.

[9]  L’agent a conclu que, vu la formation scolaire du demandeur et ses compétences linguistiques dans les langues officielles, il n’était pas convaincu que le demandeur ait une grande probabilité de réussir son établissement économique au Canada.

III.  La norme de contrôle applicable

[10]  La question de savoir si un demandeur est susceptible de s’établir sur le plan économique est une question à la fois de fait et de droit. Par conséquent, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir la décision Parveen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 473, au paragraphe 13, 479 FTR 66 [Parveen].

[11]  Le caractère raisonnable tient principalement à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, en l’espèce l’agent, et la Cour ne réévaluera pas les éléments de preuve.

[12]  Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 15, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a donné des détails sur les exigences que l’arrêt Dunsmuir enseigne en déclarant que les motifs « doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». De plus, au besoin, la cour peut examiner le dossier « pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ».

IV.  Les observations du demandeur

[13]  Le demandeur soutient que, d’après les éléments de preuve fournis, l’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur a une probabilité peu élevée de s’établir au Canada sur le plan économique et que la décision est déraisonnable. Le demandeur fait valoir les éléments de preuve qu’il a présentés, y compris sa maîtrise en technologie de l’information; son expérience de l’enseignement; sa réponse aux préoccupations et aux attentes de l’agent en ce qui concerne la formation des enseignants d’informatique par la Punjab Information and Communication Technology Education Society; le résultat des examens de compétence en anglais, satisfaisant pour la catégorie des candidats désignés au Programme Candidats du Manitoba; son offre d’emploi au Manitoba; l’expérience de son épouse dans le domaine de l’infirmerie et sa disposition à accepter d’autres postes dans le domaine des soins de santé.

[14]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve pertinents et en tenant compte de facteurs sans pertinence. L’agent aurait commis une erreur en s’appuyant sur l’offre d’emploi du demandeur à 11 $ l’heure et en concluant que ce serait inférieur au seuil de faible revenu pour une personne. Même si ce salaire était inférieur au seuil nécessaire pour une personne, l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que lui et son épouse prévoyaient tous deux de travailler. Le demandeur ajoute que l’agent a probablement fondé sa décision également sur des facteurs sans pertinence auxquels le demandeur avait répondu dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale de novembre 2015; il était question, notamment, de l’absence d’un site Web pour l’employeur du demandeur. Le demandeur soutient, en outre, que ses capacités linguistiques sont suffisantes pour l’emploi qu’il a obtenu au Canada et qu’il a prévu d’améliorer sa maîtrise de l’anglais.

V.  Les observations du défendeur

[15]  Le défendeur soutient que le refus de l’agent d’accéder à sa demande de résidence permanente s’appuyait sur le manque de formation du demandeur dans le domaine dans lequel il avait l’intention d’enseigner et aussi sur la faible maîtrise de l’anglais du demandeur, un élément clé dans le domaine de la formation, surtout au niveau professionnel. L’agent n’a pas fondé son refus sur les préoccupations énoncées dans la lettre relative à l’équité procédurale de novembre 2015, à savoir la légitimité de l’adresse courriel employée par l’employeur du demandeur en Inde, l’expérience professionnelle du demandeur, le fait que le salaire proposé au demandeur soit inférieur au seuil de faible revenu pour une personne.

[16]  Le défendeur note que les motifs de l’agent ne doivent pas obligatoirement faire référence à tous les arguments ou détails (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Le répondeur soutient que, même si c’était le cas, il reste qu’il n’y a aucune ambiguïté dans la décision.

VI.  La décision est raisonnable

[17]  L’agent a la compétence et le mandat pour évaluer la probabilité de l’établissement économique d’un demandeur au Canada dans les cas où l’agent conclut que le certificat de désignation provinciale n’est pas un indicateur suffisant. Conformément au paragraphe 87(2) du Règlement, un autre agent a confirmé l’évaluation de l’agent.

[18]  Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) et faisant partie des motifs de l’agent indiquent que l’agent a examiné les renseignements mis à jour par le demandeur à la suite de l’entente visant à examiner à nouveau la demande. Les entrées de l’agent du 24 septembre 2015 indiquent entre autres ce qui suit : le demandeur n’a aucune formation dans le domaine de l’enseignement et aucune expérience d’enseignement dans un collège ou une école de formation professionnelle; l’école à laquelle le demandeur occupait un poste en Inde n’a qu’une adresse générale de courriel et n’a ni en-tête ni site Web; le demandeur a une maîtrise faible à modérée de l’anglais. L’agent mentionne que le niveau faible à modéré de la maîtrise de la langue associé au manque de qualifications dans le domaine de l’enseignement limitent la capacité du demandeur à occuper un emploi connexe et soulèvent de sérieux doutes sur la capacité du demandeur à s’établir sur le plan économique. L’agent a également fait mention des qualifications de l’épouse du demandeur en soins infirmiers et ses capacités linguistiques limitées en anglais. De plus, dans les notes consignées, il est mentionné que l’agent a obtenu la confirmation d’un deuxième agent, car le premier n’était pas convaincu que le certificat de désignation provinciale était un indicateur suffisant. Ensuite, l’agent a expédié la lettre relative à l’équité procédurale de novembre 2015.

[19]  Les notes consignées par l’agent dans le SMGC le 3 novembre 2016 indiquent que l’agent a examiné les documents envoyés par le demandeur en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, y compris l’offre d’emploi de Sood Brothers Travel and Tours pour un poste d’opérateur à la saisie de données au taux horaire de 11 $, un taux inférieur au seuil de faible revenu pour une personne comme l’a noté l’agent entre parenthèses. Les entrées consignées dans le SMGC indiquent que les arguments du demandeur n’avaient pas répondu aux préoccupations de l’agent portant sur la probabilité de l’établissement économique du demandeur, préoccupations fondées sur la capacité du demandeur à obtenir un emploi dans le domaine dans lequel il avait été désigné ou un domaine semblable, en raison de sa formation scolaire et de son niveau de maîtrise des langues officielles, notamment l’incidence de ses compétences linguistiques sur son emploi.

[20]  La lettre de décision et les notes consignées dans le SMGC indiquent clairement que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur possédait une formation et une maîtrise de l’anglais suffisantes pour occuper un poste de formateur professionnel en informatique dans le domaine désigné. L’agent a souligné l’incidence du manque de compétence linguistique du demandeur sur sa capacité à obtenir un emploi dans ce domaine. D’après les notes consignées dans le SMGC, l’agent a bel et bien tenu compte des éléments de preuve. L’agent a pris acte de l’offre d’emploi du demandeur qui, comme le mentionne le défendeur, n’est pas dans le domaine désigné, et aussi de la disposition de l’épouse du demandeur à travailler dans le domaine des soins de santé, si elle ne pouvait occuper un poste d’infirmière. La décision de l’agent indique clairement que tous les éléments de preuve, vus dans l’ensemble, n’arrivaient pas à répondre aux préoccupations de l’agent sur la question de l’établissement économique du demandeur.

[21]  L’agent n’a pas fait fi des éléments de preuve ni fait abstraction d’un facteur pertinent et il ne s’est pas appuyé sur des facteurs sans pertinence. La décision n’était pas fondée sur un seul facteur, comme celui du salaire offert au demandeur. L’agent a effectivement mentionné que le salaire de 11 $ de l’heure était inférieur au seuil de faible revenu pour une personne, mais cette courte note parmi les entrées consignées dans le SMGC ne suggère pas que ce soit le fondement de la décision. Il s’agit en fait d’une note mentionnée entre parenthèses qui faisait suite à plusieurs autres notes concernant les éléments de preuve présentés. Le renvoi au seuil de faible revenu ne suggère pas non plus que l’agent ait écarté le fait que l’épouse du demandeur était disposée à travailler. L’agent a noté en particulier les qualifications de l’épouse et sa disposition à travailler dans un domaine connexe en santé.

[22]  Le demandeur aurait préféré que l’agent évalue autrement les éléments de preuve, certes, mais la détermination du poids accordé aux éléments de preuve et aux facteurs pertinents fait partie des connaissances et de l’expertise de l’agent. La Cour n’a pas pour mission de réévaluer les éléments de preuve.

[23]  La décision de l’agent est raisonnable; l’agent a examiné tous les éléments de preuve, a appliqué les dispositions de la Loi et a fourni pour cette décision des motifs clairs qui sont transparents et justifiés.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM­5404­16

 

INTITULÉ :

CHARANJIT SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 AOÛT 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 SEPTEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Paul Hesse

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alexander Menticoglou

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado Law

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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