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Date : 20170906


Dossier : IMM-1214-17

Référence : 2017 CF 805

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

XUE LI

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur demande l’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 28 février 2017, qui a accueilli l’appel de la défenderesse interjeté contre la Section de l’immigration.

II.  Résumé des faits

[2]  Xue Li (Mme Li) et Shan Gao (M. Gao) sont des citoyens de la République populaire de Chine. Le couple a eu une fille en mai 1990 et ils se sont mariés en juillet 1990.

[3]  En avril 2003, Mme Li a rempli une demande de résidence permanente au Canada, dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Dans sa formule de demande, Mme Li a inclus son époux, M. Gao, et sa fille, à titre de personnes à charge l’accompagnant.

[4]  Le 11 mai 2004, la demande de résidence permanente de Mme Li a fait l’objet d’un examen à des fins d’enquête de sécurité par un agent de Citoyenneté et Immigration.

[5]  Le 24 août 2004, la demande de résidence permanente de Mme Li a été approuvée.

[6]  Le 1er octobre 2004, Mme Li et les membres de sa famille sont devenus des résidents permanents du Canada.

[7]  Le 24 janvier 2005, le Bureau de la sécurité publique (PSB) de la République populaire de Chine a délivré un mandat d’arrestation contre M. Gao pour une présumée infraction de fraude liée à des titres négociables.

[8]  En 2005, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a pris connaissance de l’enquête criminelle dont faisait l’objet M. Gao en République populaire de Chine, et elle a amorcé sa propre enquête quant à l’interdiction de territoire de Mme Li et de M. Gao au Canada.

[9]  Le 15 novembre 2006, un rapport en application du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) (rapport en application du paragraphe 44(1)) a été rédigé à l’égard de Mme Li et de M. Gao. On y affirmait que Mme Li et M. Gao étaient interdits de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour fausse déclaration.

[10]  Le 7 avril 2008, les enquêtes ont été ajournées à une date indéterminée, puisque la famille Gao avait présenté des demandes d’asile au Canada.

[11]  Le 9 juillet 2012, Mme Li a demandé que sa demande d’asile soit retirée.

[12]  Par une lettre en date du 31 août 2012, Mme Li a demandé le retrait du dossier déféré à la Section de l’immigration conformément au paragraphe 44(2). Cette demande a été rejetée.

[13]  Dans une décision rendue le 12 mai 2014, la Section de l’immigration a conclu que Mme Li était interdite de territoire au Canada pour fausse déclaration, aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, parce qu’elle avait omis de divulguer dans son formulaire de demande de résidence permanente que son époux, M. Gao, avait travaillé à la Banque de Chine et avait été accusé de détournement alors qu’il travaillait à la Banque. Une mesure d’exclusion a été prise contre Mme Li.

[14]  Des pressions étaient exercées sur la famille et les amis de M. Gao en Chine, et il est par la suite retourné en Chine, a été reconnu coupable de fraude liée à des titres, et a été condamné à une peine d’emprisonnement de 15 ans.

[15]  Mme Li est demeurée au Canada et a interjeté appel de la décision de la Section de l’immigration devant la Section d’appel de l’immigration.

[16]  La Section d’appel de l’immigration a également conclu que Mme Li avait délibérément omis de faire une divulgation et, par conséquent, avait fait une présentation erronée sur un fait important, soit le fait que M. Gao avait travaillé à la Banque de Chine, dans sa formule de demande de résidence permanente, où elle a indiqué M. Gao comme une personne à charge l’accompagnant. Mme Li a également admis qu’en 2005, elle savait que son époux était recherché par les autorités chinoises. Néanmoins, la Section d’appel de l’immigration a accordé à Mme Li l’autorisation d’interjeter appel en application de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, jugeant qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales :

  • a) l’incidence sur la famille constituait un facteur neutre;

  • b) la durée et le degré d’enracinement au Canada étaient modérément favorables;

  • c) le soutien de la communauté constituait un facteur modérément favorable;

  • d) les difficultés éprouvées à son retour si elle devait être renvoyée en Chine constituaient un facteur neutre (il existait peu d’éléments de preuve relatifs aux difficultés, autres que le rétablissement et la réintégration, qui constituent des conséquences normales);

  • e) la fausse déclaration était modérée, et non grave, puisqu’elle ne visait pas son admissibilité à un visa.

[17]  Le demandeur soutient que la décision de la Section d’appel de l’immigration est déraisonnable, parce qu’elle a qualifié la fausse déclaration comme étant modérée, et qu’elle a omis de tenir compte de la gravité des crimes commis par l’époux de la défenderesse, que Mme Li a également facilité ses efforts pour éviter les poursuites en Chine et que Mme Li a présenté une demande d’asile non fondée qu’elle a retirée quatre ans plus tard.

III.  Questions en litige

[18]  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en écartant ou en interprétant mal certains éléments de preuve dans son examen des facteurs établis dans la décision Ribic, en accordant à Mme Li une dispense spéciale pour motifs d’ordre humanitaire, et en faisant droit à son appel à l’encontre de la mesure d’exclusion prise par la Section de l’immigration?

IV.  Norme de contrôle

[19]  Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable. Comme l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire équitable est contesté, on doit faire preuve d’une retenue importante envers cette décision.

V.  Discussion

[20]  Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les alinéas 40(1)a) et 67(1)c) :

Fausses déclarations

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

Misrepresentation

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Fondement de l’appel

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Appeal allowed

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[21]  Les facteurs que la Section d’appel de l’immigration devrait examiner lorsqu’elle doit décider si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire et octroyer des mesures spéciales sont énoncés dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] IABD No 636, (facteurs Ribic) :

  • a) la gravité des fausses déclarations;

  • b) le temps passé au Canada par l’appelante et son degré d’établissement;

  • c) les répercussions que le renvoi de l’appelante du Canada aurait sur les membres de sa famille;

  • d) la famille de l’appelante au Canada et les bouleversements que le renvoi de l’appelante occasionnerait pour cette famille;

  • e) le soutien dont bénéficie l’appelante dans la collectivité;

  • f) les difficultés auxquelles l’appelante ferait face si elle était renvoyée dans le pays de destination probable.

[22]  Les facteurs qui doivent être pris en compte dans les cas de fausses déclarations sont établis dans la décision Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 705, au paragraphe 8 :

[8]  Tout d’abord, la SAI, évoquant la décision de notre Cour dans Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059 [Wang], a conclu que les facteurs à prendre en considération dans les cas impliquant de fausses déclarations comprenaient : i) la gravité des fausses déclarations, ii) les remords exprimés, iii) le temps passé au Canada par l’appelant et son degré d’enracinement, iv) la présence de membres de la famille de l’appelant au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille, v) l’importance des épreuves que subirait l’appelant s’il était renvoyé du Canada, y compris la situation dans le pays où il serait probablement renvoyé.

[23]  Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur dans son appréciation de la preuve et sa pondération des facteurs établis dans la décision Ribic, notamment sur deux aspects :

  • a) la gravité des fausses déclarations qui auraient pu mener à des enquêtes entraînant une interdiction de territoire;

  • b) le degré d’enracinement attribuable aux retards causés par les demandes d’asiles délibérément non justifiées qui ont été présentées.

[24]  La défenderesse soutient que la Section d’appel de l’immigration n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de la gravité des fausses déclarations et dans son évaluation de son établissement. Il s’agit là de questions de pondération, et ce n’est pas le rôle de notre Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve.

[25]  De plus, le fait que la défenderesse s’est prévalue de la procédure légale lui permettant de présenter une demande d’asile, laquelle n’est pas considérée comme étant frauduleuse, et qu’elle a abandonné sa demande quatre ans plus tard, ne devrait pas avoir une incidence négative sur le facteur d’établissement établi dans la décision Ribic, comme l’a suggéré le demandeur.

[26]  Par ailleurs, la défenderesse affirme que la Section d’appel de l’immigration a évalué correctement la gravité de la fausse déclaration à l’égard de son époux, puisque la fausse déclaration n’a eu aucune incidence sur sa capacité de se qualifier à titre de travailleuse qualifiée pour obtenir son visa, et ne visait probablement qu’à empêcher une enquête plus approfondie concernant les antécédents de son époux à titre de personne à charge.

[27]  De plus, la défenderesse souligne que la formule de demande n’exigeait pas qu’elle énumère tous les emplois de son époux et, par conséquent, il n’y a eu aucun manquement à l’obligation de franchise, à la différence de la décision Paashazadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 327.

[28]  Enfin, la défenderesse attire également l’attention de la Cour sur le fait que rien dans les éléments de preuve n’indique qu’elle était au courant de l’enquête sur son époux en Chine avant qu’il ne vienne au Canada, vu leur relation sporadique et à distance – elle n’est coupable d’aucun crime ni complice du crime de son époux. Mme Li a également fait valoir que son époux est innocent et qu’elle regrette de ne pas avoir examiné la formule de demande plus attentivement, ce qui l’a amenée à omettre l’emploi de son époux à la Banque de Chine.

[29]  Lorsqu’elle applique les facteurs établis dans la décision Ribic, la Section d’appel de l’immigration doit, selon l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, être convaincue qu’il existe des « motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ».

[30]  La défenderesse fait valoir que lorsqu’elle applique les facteurs Ribic, la Section d’appel de l’immigration ne doit pas confondre le critère prévu à l’article 25 de la LIPR avec l’application des facteurs établis dans la décision Ribic. Toutefois, lorsqu’elle soupèse les facteurs établis dans la décision Ribic, la Section d’appel de l’immigration ne peut écarter le fait qu’une exemption pour motifs d’ordre humanitaire est une mesure d’exception, discrétionnaire par surcroît, qui constitue une sorte de « soupape de sécurité » disponible pour des cas exceptionnels (Semama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 15).

[31]  Une fausse déclaration grave qui pourrait militer contre l’octroi de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire devrait être compensée par des facteurs favorables de poids égal ou supérieur selon les facteurs Ribic pris en considération par la Section d’appel de l’immigration, pour qu’elle puisse conclure de manière raisonnable que la mesure est justifiée (Thavarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 625, au paragraphe 20; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Nizami, 2016 CF 1177, au paragraphe 16).

[32]  On ne saurait affirmer que la fausse déclaration figurant dans la formule de demande de Mme Li, soit omettre l’emploi de M. Gao à la Banque de Chine, constituait un simple oubli – il a été à l’emploi de la Banque pendant 14 ans. Même s’il est possible que Mme Li n’ait pas été au courant de sa présumée criminalité avant qu’ils n’arrivent au Canada, il ne fait aucun doute que l’omission délibérée de son emploi avec la Banque, qu’elle ait été intentionnelle ou faite par insouciance téméraire de son devoir de franchise, est importante et de nature grave; en l’espèce, elle aurait très bien pu mener à une enquête plus approfondie par l’agent d’immigration, et déboucher sur une conclusion d’interdiction de territoire. Cela est particulièrement vrai en l’espèce où le crime de M. Gao était très grave, et concernait le détournement d’environ 170 millions de RMB lors d’activités exercées sur une période de quatre ans. L’expression « l’ignorance est une bénédiction » n’excuse pas la fausse déclaration importante de Mme Li, ou son manque de franchise, alors qu’elle a attendu plus de sept ans avant de « dire la vérité » quant à la connaissance qu’elle avait de son omission de divulguer l’emploi de M. Gao auprès de la Banque de Chine.

[33]  Vu ce facteur négatif, la Section d’appel de l’immigration avait l’obligation de tenir compte des autres facteurs Ribic : dans l’analyse menée pour établir si une mesure spéciale pour motifs d’ordre humanitaire était justifiée, ces autres facteurs devaient avoir un poids égal ou supérieur pour pouvoir conclure de manière raisonnable que la mesure spéciale pour motifs d’ordre humanitaire était justifiée.

[34]  La Section d’appel de l’immigration n’est pas parvenue à une telle conclusion, estimant plutôt que les autres facteurs Ribic étaient modérément favorables ou, au mieux, neutres, et qualifiant le dossier de la défenderesse de « marginal ».

[35]  J’admets que ce n’est pas mon rôle de soupeser à nouveau les éléments de preuve et que je dois accorder un pouvoir discrétionnaire important à la Section d’appel de l’immigration dans sa décision. Toutefois, en l’espèce, la décision n’est pas raisonnable, intelligible ou justifiée à la lumière de la fausse déclaration et du manque de franchise dont a fait preuve la défenderesse.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1214-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour réexamen.

  2. Aucune question aux fins de certification.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1214-17

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c LI

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 août 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Hilla Aharon

Pour le demandeur

Lorne Waldman

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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