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Date : 20170831


Dossier : T-1685-96

Référence : 2017 CF 791

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2017

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

CLIFF CALLIOU, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION CRIE DE KELLY LAKE QUI FONT PARTIE DES PEUPLES BEAVER, CRI ET IROQUOIS ET LA NATION CRIE DE KELLY LAKE

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’instance

[1]  M. Cliff Caillou, en son nom et au nom de la Nation crie de Kelly Lake, dépose une demande devant notre Cour, conformément à l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, pour interjeter appel d’une ordonnance rendue par la protonotaire Mandy Aylen le 7 février 2017, dans le cadre de laquelle l’action intentée par les demandeurs a été suspendue en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [la Loi]. L’action a été suspendue pour les motifs suivants : les demandeurs cherchent à obtenir des redressements fonciers concernant des terres provinciales situées en Alberta et en Colombie-Britannique et notre Cour n’a pas compétence pour faire des déclarations ou appliquer des redressements ayant des répercussions sur les droits d’une province; en outre, il serait dans l’intérêt de la justice que les revendications foncières soient tranchées par des cours supérieures provinciales plutôt que par une procédure concurrente devant notre Cour.

[2]  Pour les motifs établis ci-dessous, la requête des demandeurs sera rejetée.

II.  Faits

[3]  Les demandeurs ont intenté cette action en 1996. Ils souhaitent obtenir une déclaration de la Cour indiquant qu’ils possèdent un titre ancestral existant, un titre indien et des droits autochtones sur des terres situées dans les provinces de l’Alberta et de la Colombie-Britannique. Selon la description, les terres sont délimitées au nord par la rivière Peace, à l’ouest par une partie des montagnes Rocheuses en Colombie-Britannique, au sud par la frontière entre le traité no 6 de 1876 et le traité no 8 et à l’est par l’Alberta au sixième méridien [terres traditionnelles]. L’affaire dont la Cour est saisie a été mise en suspens avec le consentement des parties de 2010 à 2016.

[4]  En outre, les demandeurs ont sollicité un jugement déclaratoire indiquant que les terres traditionnelles sont des terres réservées aux Indiens, sous la compétence législative exclusive et l’autorité administrative de la Couronne, une déclaration selon laquelle aucun certificat ni traité ne peut éteindre leurs droits aux terres traditionnelles, une déclaration que la Couronne a manqué à ses obligations envers les demandeurs, et finalement, une déclaration qu’ils ont subi des dommages-intérêts de 5 milliards de dollars en raison de la conduite de la Couronne relativement aux terres traditionnelles et au droit des demandeurs à ces terres.

[5]  Entre temps, en mars 1996, une action comparable a été intentée par les demandeurs devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta [action en Alberta]. Les demandeurs cherchaient à obtenir une déclaration selon laquelle ils possèdent des droits autochtones et un titre indien ainsi que des droits personnels et de jouissance sur les terres et les ressources des terres traditionnelles. L’action de l’Alberta a ensuite été abandonnée par les demandeurs le 25 juillet 1996.

[6]  En juillet 2010, les demandeurs, ainsi que d’autres demandeurs [demandeurs de la C.-B.], ont introduit une action devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique [action de la C.-B.] dans le cadre de laquelle ils sollicitaient, en plus d’autres mesures de redressement, une déclaration selon laquelle ils ont toujours détenu et continuent à détenir un titre autochtone sur les terres traditionnelles, ainsi que des droits autochtones de pratiquer diverses activités traditionnels sur ces terres et des dommages-intérêts de 50 millions de dollars pour la violation du titre et des droits autochtones des demandeurs de la C.-B. au sein de leurs terres traditionnelles. L’action de la C.-B. demeure devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique et est toujours en cours, mais n’a pas dépassé le stade des plaidoiries.

[7]  Toutes les procédures susmentionnées se rapportent, en tout ou en partie, aux terres traditionnelles.

III.  Décision contestée

[8]  Dans une ordonnance datée du 7 février 2017, la protonotaire Aylen a suspendu le recours des demandeurs (tels qu’ils étaient à l’époque) devant la Cour conformément au paragraphe 50(1) de la Loi.

[9]  Après avoir examiné les arguments des parties, la protonotaire Aylen a conclu que notre Cour n’avait pas compétence pour entendre la cause des demandeurs, indiquant que [traduction] « la jurisprudence établit clairement que la Cour fédérale n’a pas compétence pour faire des déclarations ou appliquer des redressements ayant des répercussions sur les droits d’une province » (ordonnance, au paragraphe 11; Joe c. Canada, [1986] 2 RCS 145, 1986 CanLII 28 (CSC); Huron-Wendat Nation of Wendake c. Canada, 2014 CF 1154, au paragraphe 65).

[10]  Cette conclusion était également fondée sur la décision récente de notre Cour dans Côté c. Canada, 2016 CF 296. La protonotaire Aylen a jugé entièrement sans fondement les arguments des demandeurs selon lesquels l’affaire Côté se distingue de la présente instance en ce sens que des dispositions constitutionnelles distinctes s’appliquent aux terres situées en Alberta et en Colombie-Britannique par rapport aux terres en cause dans l’affaire Côté, qui sont situées à Terre-Neuve, au Labrador et au Québec.

[11]  Puisque la revendication est, essentiellement une revendication de nature foncière ayant des répercussions sur les droits des provinces de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, la protonotaire Aylen a conclu que ces provinces sont des parties essentielles de la revendication et que, par conséquent, notre Cour ne peut émettre d’ordonnances ou octroyer une réparation à leur encontre.

[12]  La protonotaire Aylen a expliqué en détail pourquoi notre Cour pourrait avoir compétence sur certaines parties de la revendication une fois que les éléments des revendications foncières auront été tranchés par les cours supérieures provinciales. À ce stade, elle croit que la Cour fédérale pourrait avoir compétence sur certains éléments de la revendication, mais conclut que ces éléments découlent des revendications foncières. Par conséquent, il est dans l’intérêt de la justice que ces revendications foncières soient d’abord tranchées par les cours supérieures.

[13]  Elle ajoute qu’une suspension est justifiée au motif qu’une action concurrente est actuellement devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Il existe un recoupement des faits entre la présente instance et l’action de la Colombie-Britannique, et les deux actions cherchent à obtenir une décision concernant les intérêts juridiques des demandeurs relativement aux mêmes terres. Par conséquent, il n’est pas dans l’intérêt de la justice de permettre que la revendication en l’instance soit présentée devant notre Cour, alors qu’un recours parallèle a été déposé devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[14]  En outre, elle a conclu que l’abandon de l’action de l’Alberta n’empêche pas notre Cour d’imposer un sursis, puisqu’elle peut ordonner la suspension d’une instance même s’il n’y a aucune autre instance devant un autre tribunal (voir Fédération Franco-Ténoise v R, 2001 FCA 220, au paragraphe 81). Les demandeurs n’ont pas soutenu qu’ils sont empêchés de quelque façon que ce soit d’introduire une nouvelle procédure devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta concernant les parties portant sur les terres traditionnelles.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[15]  La présente requête en autorisation d’interjeter ne soulève qu’une seule question :

Est-ce que la protonotaire a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante de fait ou mixte de fait et de droit en concluant que notre Cour n’a pas compétence pour octroyer des redressements fonciers concernant des terres provinciales?

[16]  Les demandeurs soutiennent qu’un examen de novo constitue la norme de contrôle appropriée à appliquer (Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, au paragraphe 6), alors que la demanderesse fait valoir qu’une déférence doit être accordée aux décisions des protonotaires lors du contrôle (Corporation de soins de la santé Hospira v. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215).

[17]  Dans la décision Hospira, la Cour d’appel fédérale a expressément supprimé l’examen de novo des ordonnances discrétionnaires des protonotaires et l’a remplacé par la norme établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 (Hospira, précitée, aux paragraphes 57 et 65).

[18]  En l’espèce, je suis d’avis que la norme appropriée est celle établie dans l’arrêt Housen. Le juge Stratas, dans la décision Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, a conclu que « [c]onformément à l’arrêt Housen, à défaut d’erreur sur une question de droit ou un principe juridique isolable, notre intervention n’est justifiée que dans les cas d’erreurs manifestes et dominantes » (Imperial Manufacturing, au paragraphe 29). Les cinq juges de la Cour d’appel fédérale ayant rendu la décision dans Hospira étaient d’accord avec les remarques formulées par le juge Stratas (Hospira, précité, aux paragraphes 71 et 72).

[19]  Par conséquent, l’ordonnance de la protonotaire Aylen ne peut être infirmée par notre Cour qu’en présence d’une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante de fait ou mixte de fait et de droit. En présence d’une erreur de droit, elle doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Housen, précité, au paragraphe 36; Hospira, précité, au paragraphe 64).

V.  Analyse

Est-ce que la protonotaire a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante de fait ou mixte de fait et de droit en concluant que notre Cour n’a pas compétence pour octroyer des redressements fonciers concernant des terres provinciales?

[20]  La réclamation des demandeurs a été suspendue par la protonotaire Aylen au motif que notre Cour n’a pas compétence sur les revendications de terres provinciales situées en Alberta et en Colombie-Britannique. En outre, il y aurait un risque de conclusions incompatibles entre celles de notre Cour et celle des cours supérieures provinciales, puisque les demandeurs ont déjà une action en cours devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Je suis d’avis que la protonotaire Aylen n’a pas commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante de fait ou de fait et de droit dans l’octroi de cette suspension. Je ne trouve aucun motif pour modifier cette ordonnance.

[21]  La réclamation des demandeurs est essentiellement de nature foncière, puisqu’ils demandent les réparations suivantes : une déclaration indiquant qu’ils possèdent un titre ancestral existant, un titre indien et des droits autochtones sur des terres traditionnelles situées dans les provinces de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, un jugement déclaratoire indiquant que les terres traditionnelles sont des terres réservées aux Indiens, sous la compétence législative exclusive et l’autorité administrative de la Couronne, une déclaration selon laquelle aucun certificat ni traité ne peut éteindre leurs droits aux terres traditionnelles, une déclaration que la Couronne a manqué à ses obligations fiduciaires, fiduciales, constitutionnelles, d’origine législative, de common law et d’equity envers les demandeurs, et une déclaration qu’ils ont subi des dommages-intérêts de 5 milliards de dollars.

[22]  Par conséquent, je suis d’accord avec la défenderesse que la Cour n’a pas compétence sur les revendications foncières liées à des terres provinciales soumises par les demandeurs. En ce qui concerne les causes d’action déjà plaidées découlant des revendications foncières, la protonotaire Aylen les a traitées adéquatement, y allant des commentaires suivants :

[TRADUCTION]

Tout élément des revendications [des demandeurs] qui demeure en suspens après la décision à l’égard des demandes devant les cours supérieures provinciales peut ensuite être soumis à notre Cour, si cela s’avère nécessaire (ordonnance au paragraphe 16).

[23]  Les demandeurs contestent la décision de la protonotaire Aylen pour trois motifs : premièrement, ils soutiennent que la protonotaire Aylen a conclu à tort que cette revendication concernant des terres provinciales devait être entendue devant une cour supérieure provinciale; deuxièmement, ils allèguent que notre Cour a compétence pour entendre leur revendication puisque l’Alberta et la Colombie-Britannique n’ont aucun droit sur les terres traditionnelles, soutenant plutôt que ces droits ont été exclus en vertu des dispositions du Décret en conseil sur la terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest, une exclusion qui, selon eux, a été confirmée par la Loi constitutionnelle de 1930; et troisièmement, ils soutiennent que la protonotaire Aylen a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’article 19 ou de l’article 25 de la Loi, qui, affirment-ils, confère à notre Cour la compétence pour entendre leur cause. Avec respect, je suis en désaccord avec chacun des trois motifs de l’appel.

[24]  Premièrement, je suis d’avis que la protonotaire Aylen a conclu correctement que, à la lumière de la jurisprudence issue de la Cour suprême du Canada, de la Cour d’appel fédérale et de notre Cour, la Cour fédérale n’a pas compétence pour faire des déclarations ou appliquer des redressements ayant des répercussions sur les droits d’une province.

[25]  Les demandeurs contestent l’utilisation par la protonotaire Aylen des décisions Huron-Wendat et Côté. La protonotaire Aylen cite la décision Huron-Wendat pour appuyer le principe que la Cour fédérale n’a pas compétence pour faire des déclarations ou appliquer des redressements ayant des répercussions sur les droits d’une province. Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 65 de la décision Huron-Wendat n’était pas déterminant et n’était [TRADUCTION] « qu’une simple remarque applicable au Québec ». Je ne suis pas de cet avis.

[26]  Il s’agit plutôt d’un principe juridique bien établi, soutenu par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada dans la décision Joe, par la Cour d’appel fédérale dans la décision Vollant c. Canada, 2009 CAF 185, et par notre Cour dans la décision Sylvain c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1474.

[27]  Dans la décision Huron-Wendat, l’issue du contrôle judiciaire était une déclaration que la Couronne a négligé de consulter (Huron-Wendat, précitée, au paragraphe 123). Ce n’est pas ce qui est recherché en l’espèce. Les demandeurs n’ont pas soumis de demande de contrôle judiciaire, mais bien intenté une action en vue d’obtenir le titre de ces terres. En outre, dans la décision Huron-Wendat, le redressement demandé était de nature procédurale et ne concernait pas la Couronne provinciale de quelque façon que ce soit (Huron-Wendat, précitée, au paragraphe 67). Il ne s’agissait pas d’une action visant à obtenir des redressements fonciers, comme dans la présente instance. Bien que le principe concernant la compétence de la Cour fédérale énoncé au paragraphe 65 n’était pas déterminant dans la décision Huron-Wendat, je ne suis pas convaincue par l’argument des demandeurs selon lequel la protonotaire Aylen a commis une erreur de droit en se fondant sur le principe général répété dans la présente, qui est lui-même fondé sur la jurisprudence antérieure.

[28]  Les demandeurs contestent également l’utilisation par la protonotaire Aylen de la décision Côté. Ils font valoir que la décision Côté n’est pas applicable puisqu’elle a été rendue dans la province de Québec, qui devrait, selon eux, recevoir un traitement constitutionnel différent de l’Alberta ou de la Colombie-Britannique. Dans sa décision, la protonotaire Aylen souligne que l’assertion des demandeurs est [traduction] « complètement dénuée de fondement », compte tenu du fait qu’ils « n’ont soumis à la Cour aucun cas suggérant que les principes énoncés dans les décisions citées dans Côté sont restreints d’une quelconque façon dans leur application à certaines provinces seulement » (ordonnance, au paragraphe 13). Le même principe s’applique à la position prise par les demandeurs devant moi; ils ne citent aucune jurisprudence pour soutenir leur argument. Par conséquent, je suis d’accord avec la défenderesse que le protonotaire Aylen n’a pas commis d’erreur en se fiant à Côté.

[29]  Les demandeurs demandent également à la Cour de distinguer le cas en l’espèce de sa décision dans Innus de Uashat Mak Manu-Utenam c. Canada, 2015 CF 687 (conf. par 2016 CAF 156), dans laquelle j’ai accordé un sursis aux Innus du Québec dans leur action intentée contre Sa Majesté du chef du Canada visant à obtenir, entre autres choses, un jugement déclarant qu’ils détiennent des droits ancestraux et issus de traités sur le territoire de Terre-Neuve et du Labrador. Comme l’argument des demandeurs selon lequel le Québec devrait recevoir un traitement constitutionnel différent de l’Alberta ou de la Colombie-Britannique, les demandeurs soutiennent également que Terre-Neuve et le Labrador, bien qu’ils ne figurent pas parmi les quatre premières provinces, doivent également être traités différemment de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, puisqu’ils se sont joints au pays dans des circonstances uniques.

[30]  La Newfoundland Act, 12 & 13 Geo. VI, ch. 22 (R.-U.) et son annexe intitulée Terms of Union of Newfoundland with Canada ont été déposées lors de l’audience, à la demande de la Cour et de l’avocate, puisque les demandeurs ne sont pas parvenus à convaincre la Cour qu’une distinction doit être établie entre, d’une part, Terre-Neuve et le Labrador et, d’autre part, les terres traditionnelles. Terre-Neuve s’est jointe au Canada en 1949, mais a conservé, à partir de cette date, la compétence sur ses terres et ses ressources naturelles, alors que le Labrador s’est joint au Canada en 1870; l’Alberta et Colombie-Britannique se sont vues attribuer la compétence sur ces terres et ressources naturelles en 1930. Toutes les provinces ont maintenant compétence sur leurs terres et leurs ressources naturelles situées dans leurs limites et assujetties à leurs droits autochtones et issus de traités.

[31]  Comme c’était le cas dans la décision Innus de Uashat Mak Manu-Utenam, la majorité des revendications des demandeurs, si elles étaient accordées, auraient des répercussions sur les droits des provinces de l’Alberta et de la Colombie-Britannique. Il est bien établi que les cours fédérales n’ont pas compétence auprès des provinces canadiennes.

[32]  Deuxièmement, je ne suis pas d’accord avec l’argument des demandeurs que la protonotaire Aylen a commis des erreurs dans sa décision puisque les terres traditionnelles ne sont pas des terres provinciales en vertu du Décret en conseil sur la terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest et de la Loi sur la constitution de 1930.

[33]  Les demandeurs ne citent aucune jurisprudence à l’appui de cette allégation. Ils reprennent plutôt des passages du Décret en conseil sur la terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest indiquant que les terres en cause ont adhéré à la Constitution en 1870 selon des conditions précises qui prescrivent que chaque achat de terre doit être tranché par le gouvernement canadien. La Couronne assumait ainsi cette responsabilité et dégageait le gouvernement impérial et la Company of Adventurers of England, qui faisait du commerce dans la baie d’Hudson, de toute responsabilité relativement aux revendications autochtones.

[34]  Contrairement à l’argument des demandeurs, le fait que la compétence sur les terres et les ressources naturelles n’ait été transférée à ces provinces qu’en 1930, sous réserve des intérêts existant avant 1930, s’il y a lieu, ne signifie pas que l’Alberta et la Colombie-Britannique ne possèdent pas de droit relativement aux terres traditionnelles.

[35]  Je ne vois pas comment les obligations fédérales découlant de ces ententes pourraient faire en sorte que la Cour ait compétence sur des terres situées en Alberta et en Colombie-Britannique. En l’absence d’une jurisprudence et d’autres arguments quant à savoir pourquoi tel serait le cas, je conclus que cette allégation est sans fondement.

[36]  Finalement, en ce qui concerne l’applicabilité des articles 25 et 19 de la Loi, je suis d’accord avec la défenderesse que ces dispositions ne s’appliquent pas en l’espèce.

[37]  L’article 25 est rédigé comme suit :

La Cour fédérale a compétence, en première instance, dans tous les cas — opposant notamment des administrés — de demande de réparation ou de recours exercé en vertu du droit canadien ne ressortissant pas à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982.

[38]  L’article 25 énonce clairement qu’il ne s’applique que si aucun tribunal n’a compétence relativement à la revendication ou au redressement. Puisque je suis déjà d’avis que la revendication des demandeurs et les redressements demandés ont été déposés correctement devant les cours supérieures provinciales, qu’une procédure a été intentée devant la Cour du Banc de la Reine en Alberta jusqu’à ce qu’elle soit annulée par les demandeurs et qu’une procédure se rapportant aux terres traditionnelles a déjà été présentée à la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans le cadre de l’action de la Colombie-Britannique, je ne suis pas d’avis que l’article 25 donne à notre Cour la compétence requise pour entendre leur cause. L’article 25 ne constitue pas une attribution de compétence valide par une loi, ce qui signifie qu’il n’est d’aucune utilité lorsque les demandeurs pourraient demander un redressement auprès de la cour supérieure de toute province, comme c’est le cas ici (Moudgill c. Canada, 2014 CAF 90, au paragraphe 9; Creighton c. Franko, 1998 CanLII 8155 (CF), au paragraphe 25).

[39]  De même, je ne trouve pas que l’article 19 confère à notre Cour autorité sur cette question. L’article 19 est rédigé comme suit :

Si la législature d’une province a adopté une loi reconnaissant que la Cour fédérale, la Cour fédérale du Canada ou la Cour de l’Échiquier du Canada a compétence dans les cas de controverses entre le Canada et cette province ou entre cette province et une autre province ou des provinces qui ont adopté une loi comparable, la Cour fédérale a compétence pour trancher les controverses.

[40]  La Cour d’appel fédérale indique clairement, dans Canada c.Toney, 2013 CAF 217, que la section 19 [traduction] « ne peut être invoqué lorsqu’un particulier ou une entreprise intente une poursuite à la fois contre le gouvernement fédéral et un gouvernement provincial » (Toney, au paragraphe 23). La compétence ne peut être octroyée à la Cour que si le Canada intente une procédure de tierce partie contre une Couronne provinciale (Toney, au paragraphe 23). Le Canada ne l’a pas fait. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que l’article 19 confère à notre Cour une autorité sur cette question.

[41]  La décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Peigan, 2016 CAF 133 ne peut aider les demandeurs puisque l’entente signée par la défenderesse dans ce cas, par la Couronne fédérale et par la province de la Saskatchewan, sur laquelle la revendication de la défenderesse était fondée, indiquait précisément que, hormis certaines questions précises qui seraient soumises à l’arbitrage, tout débat découlant de l’interprétation et l’application de l’entente serait soumis à la compétence exclusive de la Cour fédérale. À l’article 51, la Cour d’appel fédérale indique expressément que « l’article 19 de la LCF a été considéré comme insuffisant pour statuer sur le fait que la Couronne du chef d’une province peut être poursuivie devant la Cour fédérale à l’instance d’un tiers, même dans les cas où le Canada est le codéfendeur et pourrait présenter une réclamation contre la province [citation omise] ».

[42]  Il est vrai que les demandeurs n’ont pas ajouté les provinces de l’Alberta et de la Colombie-Britannique comme défendeurs dans la présente instance, mais je crois respectueusement que, par conséquent, les droits de ces provinces ne peuvent être modifiés par contumace.

VI.  Conclusion

[43]  À la lumière de ce qui précède, les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la protonotaire Aylen a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante de fait ou mixte de fait et de droit. Par conséquent, la requête des demandeurs pour interjeter appel d’une suspension des procédures est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1685-96

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête des demandeurs pour interjeter appel d’une ordonnance de la protonotaire Aylen, datée du 7 février 2017, est rejetée.

  2. Des dépens sont accordés à la défenderesse.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1685-96

INTITULÉ :

CLIFF CALLIOU, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION CRIE DE KELLY LAKE QUI FONT PARTIE DES PEUPLES BEAVER, CRI ET IROQUOIS ET LA NATION CRIE DE KELLY LAKE c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 31 AOÛT 2017

COMPARUTIONS :

Priscilla Kennedy

Pour les demandeurs

Kathleen Pinno

Linda Fleury

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour la défenderesse

 

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