Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170713


Dossier : T-2044-16

Référence : 2017 CF 684

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

FREDERICK SHARP ET TERESA SHARP

demandeurs

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire introduite le 28 novembre 2016, par M. Frederick Sharp et Mme Teresa Sharp (les demandeurs), qui contestent la légalité de la décision du ministre du Revenu national (défendeur) datée du 1er novembre 2016, par laquelle il a délivré une demande officielle de renseignements (la demande de renseignements), conformément aux paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.). En résumé, les demandeurs allèguent que la demande de renseignements a été délivrée dans le but surtout d’établir leur responsabilité criminelle, violant ainsi indûment leur droit à la protection de la vie privée et leur droit de garder le silence, ainsi que leurs droits à la protection contre l’auto-incrimination, protégés par les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (la Charte). Cependant, à ce stade précoce de la procédure, la Cour n’est priée que de statuer sur les deux requêtes introduites respectivement par les demandeurs et le défendeur, après qu’on eut découvert que les allégations ou les déclarations présentées dans l’avis de requête et dans un affidavit invoqué par les demandeurs faisaient référence à des documents fabriqués.

[2]  Le 19 décembre 2016, les demandeurs ont produit, à l’appui de leur demande, un affidavit de Mme Dianne Kaiser, assistante juridique de l’avocat des demandeurs, David J. Martin, souscrit le 25 novembre 2016 (l’affidavit de Mme Kaiser). Mme Kaiser affirme au paragraphe 11 qu’en juillet 2016, un agent du Programme des enquêtes criminelles de l’Agence du revenu du Canada (Agence) a communiqué avec un individu (l’individu) censément lié au demandeur Frederick Sharp, le priant de coopérer à titre de témoin dans une poursuite criminelle de nature fiscale qui devait être introduite contre le demandeur. Pour appuyer sa déclaration, Mme Kaiser a joint en pièce H de son affidavit des copies d’une correspondance caviardée entre l’avocat de l’individu, Riley Burr, du cabinet Houser and Tupper LLP, et M. Murray Walker, un agent du « Programme des enquêtes criminelles » du Bureau des services fiscaux de Vancouver de l’Agence. Elle avait aussi joint des lettres de M. Burr adressées à l’individu. Est également jointe à l’affidavit de Mme Kaiser, en pièce I, une lettre en date du 24 novembre 2016 de M. Ian Donaldson, avocat, demandant le caviardage de la pièce H pour préserver l’anonymat de l’individu. Malgré la demande d’anonymat présentée dans la lettre en date du 24 novembre 2016, les deux parties et leurs avocats respectifs à la présente instance ont publiquement fait référence dans leurs présentations écrites et déclarations orales à M. Anand Nagin comme étant l’individu mentionné dans la correspondance présentée en pièce H de l’affidavit de Mme Kaiser.

[3]  Le 28 février 2017, le défendeur a déposé une requête demandant le rejet de la demande, au motif que le dépôt de ces lettres, qui étaient fabriquées, constitue un recours abusif à la Cour, qui en fin de compte a nui à la procédure et miné l’intégrité de l’appareil judiciaire. En fait, le défendeur a découvert non seulement que M. Burr n’avait jamais reçu ni écrit ces lettres, mais aussi qu’aucune personne portant le nom de Murray Walker n’avait jamais travaillé à l’Agence pendant la même période, ni au Bureau des services fiscaux de Vancouver, ni à la Division des enquêtes criminelles de l’Agence, à quelque poste que ce soit, pendant la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2016 (affidavit de Riley R. Burr souscrit le 25 janvier 2017, et affidavit de Kimberley MacLeod souscrit le 27 janvier 2017). Dans son affidavit, M. Burr explique n’avoir jamais reçu la lettre, et n’avoir jamais correspondu ni transigé avec un agent de l’Agence portant ce nom. Par ailleurs, M. Burr affirme que les lettres portaient l’ancien en-tête du cabinet qui n’était plus utilisé par le bureau du cabinet dont l’adresse figurait sur la lettre. M. Burr, qui ne représente aucune partie au présent dossier, a aussi expressément affirmé qu’il ne souhaitait pas que les lettres qu’il aurait prétendument rédigées soient versées au dossier public, sans une mention explicite précisant qu’il n’en était pas l’auteur.

[4]  Le 28 février 2017, les demandeurs ont présenté une requête en vue de modifier leur demande et de faire retirer les lettres fabriquées du dossier de la Cour. Les demandeurs, qui s’appuient sur l’affidavit déposé par M. Sharp en réponse à la requête du défendeur et souscrit le 8 mars 2017, soutiennent que l’administration de la justice ne subirait pas le contrecoup du retrait de l’affidavit de Mme Kaiser du dossier de la Cour, lequel inclut les documents fabriqués. Ils avancent que M. Sharp aurait commis une « erreur honnête » dans ses échanges avec M. Nagin. À première vue, les lettres fabriquées semblaient authentiques et étaient visiblement pertinentes par rapport aux questions fondamentales de la demande, puisqu’elles évoquaient une enquête criminelle de l’Agence en cours concernant M. Sharp. En tout temps, M. Sharp a cru que les lettres étaient authentiques, et renforçaient en fait sa conviction, appuyée par des déclarations faites dans les médias, qu’il faisait l’objet d’une enquête de l’Agence pour responsabilité criminelle.

[5]  Le défendeur ne demande plus la radiation de l’avis de requête, mais serait satisfait d’une ordonnance de la Cour disposant des deux requêtes de la manière suivante :

a)  modification de l’avis de requête en date du 25 novembre 2016, sous la forme de l’Annexe A joint à l’avis de requête des demandeurs;

b)  radiation du paragraphe 11 et des pièces H et I de l’affidavit de Dianne Kaiser souscrit le 25 novembre 2016, au motif qu’ils font référence à des documents fabriqués.

c)  toute copie de l’affidavit de Dianne Kaiser souscrit le 25 novembre 2016 qui doit être déposée à la Cour devra clairement indiquer que le paragraphe 11 et les pièces H et I ont été radiés sur ordonnance de la Cour;

d)  le défendeur a droit à des dépens forfaitaires de 8 000 $, y compris les débours payables immédiatement.

[6]  Les demandeurs sont d’accord avec les recours susmentionnés aux sous-alinéas a), b) et d), mais au lieu du recours indiqué au sous-alinéa c) ci-dessus, ils sollicitent une ordonnance accordant l’autorisation de retirer l’affidavit de Mme Kaiser du dossier de la Cour et de le remplacer par l’affidavit souscrit par Dianne Kaiser le 1er février 2017, lequel est joint comme Annexe B de la requête des demandeurs.

[7]  Comme l’indiquent les observations faites devant la Cour, le seul point de divergence entre les parties concerne la question de savoir si l’élément de preuve radié devrait demeurer au dossier. Le défendeur estime qu’il faudrait le conserver, mais avec une note — chaque fois que l’affidavit de Mme Kaiser est inclus au dossier des demandeurs pour signification et dépôt conformément à l’article 309 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, avec les modifications (les Règles) — selon laquelle le paragraphe 11 et les pièces H et I ont été radiés sur ordonnance de la Cour. Les demandeurs, pour leur part, estiment que la manière la plus pratique et la plus simple de procéder serait simplement de remplacer l’affidavit de Mme Kaiser par un affidavit identique, dans lequel l’élément de preuve radié serait soustrait.

[8]  Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’ai pris en considération, entre autres, le fait que selon l’article 306 des Règles, l’affidavit de Mme Kaiser et les pièces en annexe sont réputés avoir été déposés par les demandeurs le 19 décembre 2016, lorsque la preuve de leur signification a été déposée au greffe. De surcroît, l’article 74 des Règles autorise la Cour à ordonner qu’un document qui n’a pas été déposé dans le respect des Règles ou conformément à une ordonnance de la Cour ou à une loi du Parlement soit retiré du dossier de la Cour. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Le fait que l’affidavit de Mme Kaiser fasse référence à des documents fabriqués ou contienne des documents fabriqués qui, aux dires des demandeurs auraient été fabriqués à leur insu et sans leur participation, n’altère en rien le fait que ces documents ont été dûment signifiés et déposés à la Cour avec leur consentement.

[9]  Aujourd’hui, aucun motif impérieux ne justifie que dans l’intérêt de l’administration de la justice, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour autoriser le retrait de l’affidavit de Mme Kaiser du dossier de la Cour. Les demandeurs n’ont posé aucune question concernant l’authenticité des lettres fabriquées avant de les inclure dans l’affidavit de Mme Kaiser. Les demandeurs doivent subir les conséquences de leur négligence, ainsi que les dépens de ces requêtes, ce que j’estime parfaitement raisonnable. Il ne s’agit pas d’une situation où un avocat a fait quelque chose qui n’était pas autorisé, au détriment de son client. En fait, lorsqu’il a admis ignorer que les lettres qui lui avaient été remises par M. Nagin étaient fabriquées, M. Sharp a payé à M. Nagin des frais d’avocat pour retenir les services de M. Donaldson, et a assisté à une rencontre entre M. Donaldson et M. Nagin. Les demandeurs affirment que ne pas retirer l’affidavit de Mme Kaiser [traduction] « pourrait créer de la confusion et des problèmes administratifs et logistiques pour les parties [et] le greffe de la Cour ». Je ne suis pas d’accord. Les lettres fabriquées devraient demeurer dans le dossier de la Cour. La présente ordonnance et les présents motifs sont publics. De plus, la Cour ordonne que toute copie de l’affidavit de Mme Kaiser qui sera déposée à la Cour devra indiquer clairement que le paragraphe 11 et les pièces H et I ont été radiés sur ordonnance de la Cour. Ainsi, il n’y a aucun risque de confusion.

[10]  Pour ces motifs, les requêtes seront autorisées en partie. Je conclus que le recours proposé relativement aux deux requêtes au paragraphe 28 des observations écrites du défendeur datées du 22 juin 2017 est approprié dans les circonstances en l’espèce, ce qui transparaît dans l’ordonnance accompagnant les présents motifs.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-2044-16

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. Les requêtes présentées respectivement par les demandeurs et le défendeur sont accueillies en partie;

  2. L’avis de requête en date du 25 novembre 2016 doit être modifié, sous la forme de l’Annexe A joint à l’avis de requête des demandeurs;

  3. Le paragraphe 11 et les pièces H et I de l’affidavit de Dianne Kaiser souscrit le 25 novembre 2016 sont radiés, au motif qu’ils font référence à des documents fabriqués ou contiennent des documents fabriqués;

  4. Toute copie de l’affidavit de Dianne Kaiser souscrit le 25 novembre 2016 qui doit être déposée à la Cour devra clairement indiquer que le paragraphe 11 et les pièces H et I ont été radiés sur ordonnance de la Cour;

  5. Le défendeur a droit à des dépens forfaitaires de 8 000 $, y compris les débours payables immédiatement.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2044-16

INTITULÉ :

FREDERICK SHARP ET TERESA SHARP c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juillet 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juillet 2017

COMPARUTIONS :

Bridget Gilbride

Mark D. Andrews, c.r.

POUR LES DEMANDEURS

Neva Beckie

Carl Januszczak

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.