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Date : 20170619


Dossier : T-1765-13

Référence : 2017 CF 590

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2017

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

PREMIUM SPORTS BROADCASTING INC.

demanderesse

et

9005-5906 QUÉBEC INC. (faisant affaire sous la raison sociale RESTO-BAR MIRABEL) et STEVE CARON

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La demanderesse, Premium Sports Broadcasting Inc. [Premium], allègue que les défendeurs, Resto-Bar Mirabel et M. Steve Caron, ont diffusé le combat de « Ultimate Fighting Championship » [UFC] à la carte (Pay-per-View) le 16 mars 2013 [le Combat] sans y avoir été autorisés et qu’ils ont ainsi contrevenu  aux articles 21, 24 et 35 de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42, et aux paragraphes 9(1)c) d) et e) de la Loi sur la radiocommunication, LRC 1985, c R-2.

[2]               Premium détient au Canada les droits de diffusion d’un certain nombre d’évènements sportifs, dont ceux en lien avec les championnats de combats UFC à la carte et il n’est pas contesté qu’elle détenait les droits de diffuser le Combat en direct du Centre Bell à Montréal. Le programme à la carte du Combat débutait à 22h00 et prévoyait plusieurs combats dont le premier opposait MM. Mike Ricci et Colin Fletcher.

[3]               9005-5906 Québec Inc., faisant affaires sous la raison sociale Resto-Bar Mirabel [Resto-Bar Mirabel], est un établissement de restauration et de bar situé à Mirabel [le resto-bar ou l’établissement de Resto-Bar Mirabel], dont Steve Caron est le seul administrateur.

[4]               Premium a présenté une requête en jugement sommaire à l’encontre des défendeurs suivant les règles 213 à 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, dont elle s’est désistée peu avant l’audience. Les défendeurs ont quant à eux présenté une requête en procès sommaire en vertu de la règle 216, laquelle fait l’objet du présent jugement.

[5]               Ainsi, en bref, la Cour se range à la position des parties et conclut que le procès sommaire constitue un véhicule procédural approprié en l’instance. Par ailleurs, sur le fond du litige, la Cour conclut que Premium  n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les défendeurs ont diffusé le Combat et rejettera donc l’action.

II.                Contexte factuel

[6]               Le 4 avril 2013, Premium adresse une lettre de mise en demeure à Resto-Bar Mirabel, alléguant que cette dernière a diffusé le Combat sans autorisation et sans en payer les droits, et l’enjoignant de lui verser la somme de 9 000,00$.

[7]               Le 28 octobre 2013, Premium dépose une action contre 49 défendeurs, dont Resto-Bar Mirabel et Steve Caron, alléguant qu’ils ont diffusé le Combat sans autorisation. Premium leur réclame alors la somme de 300 000,00$. Le 16 décembre 2013, les défendeurs déposent leur défense, nient avoir diffusé le Combat et précisent avoir plutôt tenu, le 16 mars 2013, une soirée de danse de type « Harlem Shake », animée par trois disc-jockeys.

[8]               Le 13 novembre 2013, madame la juge Kane prononce une injonction interlocutoire contre les défendeurs, dont Resto-Bar Mirabel et Steve Caron, et notamment, (1) interdit la diffusion des combats UFC « Pay-per-View » sans autorisation écrite de Premium ou de Zuffa International LLC; (2) ordonne le dévoilement de la source, de la description et des moyens par lesquels ils ont eu accès aux combats UFC de Premium et les moyens utilisés pour intercepter, décoder, décrypter ou télécharger par internet ces événements; (3) ordonne le maintien et la préservation des informations et appareils utilisés dans un tel contexte; (4) ordonne la production, suite à une demande à cet effet par Premium, des relevés de comptes pouvant être pertinents aux questions en litige entre les parties.

[9]               Le 19 novembre 2013, par voie de lettre adressée à Premium, les défendeurs nient avoir diffusé le Combat.

[10]           Le 22 décembre 2014, Premium dépose un avis de requête en jugement sommaire et, le 23 septembre 2015, les défendeurs déposent un avis de requête en procès sommaire.

[11]           Entre 2013 et 2015, Premium s’entend avec un certain nombre de défendeurs et obtient des jugements par défaut contre d’autres, de sorte que seuls Resto-Bar Mirabel et Steve Caron subsistent à titre de défendeurs nommés.

[12]           En mars 2017, Premium abandonne sa réclamation de 300 000,00$ et suggère plutôt qu’un montant de 15 000,00$ serait approprié dans les circonstances.

[13]           Quelques jours avant l’audience, Premium se désiste de sa requête en jugement sommaire et ne conteste pas le choix de la requête en procès sommaire comme véhicule procédural pour régler le présent litige.

III.             Preuve et positions des parties

A.                Preuve et position de Premium

[14]           Il n’est pas en jeu que les défendeurs n’avaient pas le droit de diffuser le Combat.

[15]           Or, Premium soutient que Resto-Bar Mirabel « a été vue » en train de diffuser le Combat. À cet effet, Premium soumet notamment en preuve le rapport d’observation de M. Anthony Collin, enquêteur privé employé par Garda, daté du 16 mars 2013; l’affidavit de M. Collin daté du 22 octobre 2013; l’affidavit de M. Yves Lefebvre, superviseur de M. Collin chez Garda, daté du 28 octobre 2015; le rapport d’observation de M. Collin amendé le 10 avril 2013 par M. Lefebvre; l’affidavit de M. Rod Keary, directeur des opérations chez Premium, daté du 29 septembre 2014; et un nombre d’autres rapports d’observation concernant d’autres établissements, tous complétés par M. Collin le 16 mars 2013. Premium a également introduit en preuve les contre-interrogatoires de MM. Steve Caron, Simon Langevin et Mickael Carreau.

(1)               Rapport d’observation et affidavit de M. Anthony Collin

[16]           M. Collin s’est présenté à l’établissement de Resto-Bar Mirabel le 16 mars 2013 et a noté ses constatations dans un rapport d’observation.

[17]            Dans ce rapport d’observation, M. Collin a noté (1) l’heure de début à 22h et l’heure de fin à 22h10; (2) que quatre téléviseurs d’environ 50 pouces étaient en fonction et que les combattants identifiés étaient Mike Ricci et Colin Fletcher; (3) que le Combat en était au 1er round; (4) des couleurs de maillots bleu et orange; et (5) le logo de Vidéotron comme celui identifié sur l’écran des téléviseurs.

[18]           M. Collin a par ailleurs signé un affidavit le 22 octobre 2013, affidavit initialement déposé dans le cadre de la requête en jugement sommaire. M. Collin y affirme alors être arrivé à l’établissement de Resto-Bar Mirabel à approximativement 22h (« at approximately 10:00 p.m. »), où il pouvait voir le Combat présenté sur quatre écrans de téléviseurs (« I could see the UFC 158 event being shown on four television screens »). M. Collin y affirme aussi que le propriétaire du resto-bar lui aurait dit « qu’ils » présenteraient l’événement principal, soit le combat entre Saint-Pierre et Diaz (« The owner told me that they would be presenting the main UFC event, “St. Pierre v. Diaz”. ») et qu’il pouvait voir les logos de Videotron, de UFC, de Tapout et d’Ecko.

(2)               Affidavit de M. Yves Lefebvre

[19]           Par ailleurs, M. Lefebvre, dans son affidavit, affirme avoir contacté M. Collin le ou vers le 10 avril 2013, par téléphone, afin d’obtenir des détails additionnels et de les inclure dans le rapport d’observation de M. Collin du 16 mars précédent. M. Lefebvre affirme avoir ensuite modifié le rapport d’observation de M. Collin pour y ajouter: « Je suis arrivé un peu après 22h. En entrant j’ai vue `l’écran les combatants qui entraient dans le ring et leur nom était affiché a l’écran. J’ai aussi demander au propriétaire s’il présentais le combat principale et il a dit oui »  [sic].

[20]           Par ailleurs, toujours dans le même affidavit, M. Lefebvre affirme paradoxalement que M. Collin lui aurait confirmé être arrivé au resto-bar juste avant 22h (« just before 10 pm »).

[21]           En plus du rapport d’observation amendé, M. Lefebvre a joint à son affidavit d’autres rapports d’observation complétés par M. Collin le soir du 16 mars 2013, dont un en lien avec le bar Le Step, situé à Ste-Sophie, et dans lequel M. Collin indique être arrivé sur place à 22h25, soit 15 minutes après l’heure de la fin de son observation au resto-bar.

(3)               Affidavit de M. Rod Keary

[22]           Dans son affidavit, M. Keary fait quant à lui état des activités de Premium, des dommages subis par cette dernière lorsque des événements dont elle détient les droits de diffusion sont diffusés sans autorisation, ainsi que des différentes manières d’accéder à des transmissions satellites de façon illégale. Il réfère également au contenu de l’affidavit de M. Collin, et notamment au fait que M. Collin a indiqué avoir vu un logo Vidéotron sur les téléviseurs des défendeurs.

[23]           M. Keary joint à son affidavit plusieurs pièces dont la copie d’une page du site Internet de Resto-Bar Mirabel indiquant « Venez assister a tous les plus grand évènement spéciaux en direct sur nos écrans géants » [sic] et « Que ce soit hockey, boxe, UFC, Nascar F1 et plus encore faite votre réservation en-ligne dès maintenant » [sic].

(4)               Position de Premium à l’égard de la défense des défendeurs

[24]           En plus de sa preuve, Premium soulève la faiblesse de la défense présentée par les défendeurs.

[25]           Elle soumet que leur version des faits n’est pas crédible et souligne des incohérences dans les différents affidavits et dans les contre-interrogatoires des déposants. Par exemple, M. Caron affirme, dans son affidavit, que les quatre téléviseurs du resto-bar étaient en fonction durant toute la soirée du 16 mars 2013, et qu’il était tout à fait possible qu’ils aient diffusé la partie gratuite du programme UFC précédant le Combat. Lors de son contre-interrogatoire, M. Caron a toutefois soutenu que deux téléviseurs diffusaient une partie de hockey et deux autres la partie gratuite du Combat. Premium souligne que cette réponse contredit les propos qu’a tenus M. Simon Langevin lorsque contre-interrogé, à l’effet que les quatre téléviseurs diffusent tous le même événement sportif, lequel est déterminé selon les demandes de la clientèle. De façon similaire, Premium réfère aux propos de M. Mickael Carreau, un des disc-jockeys invités pour la soirée, qui a indiqué lors de son contre-interrogatoire que la danse n’avait commencé qu’à partir de minuit. Premium plaide ainsi qu’il est plausible que les défendeurs aient diffusé le Combat avant le début de leur soirée dansante.

[26]           Premium soumet également que la Cour peut tirer une inférence négative du fait que les défendeurs ont refusé de produire des éléments de preuve, qu’ils en ont détruits certains, notamment des équipements électroniques, et qu’ils ont refusé que Premium interroge certains témoins potentiels.

[27]           De surcroît, Premium attire l’attention de la Cour sur le fait que les défendeurs ont décidé de ne pas contre-interroger MM. Collin et Lefebvre, et soumet que la Cour doit en tirer une inférence négative (règle 216(4) et Louis Vuitton Malletier SA c Singga Enterprises (Canada) Inc, 2011 CF 776 au para 99 [Louis Vuitton]). Selon Premium, le fait pour les défendeurs de ne pas avoir contre-interrogé MM. Collin et Lefebvre les empêche de produire des éléments de preuve destinés à contredire leurs témoignages.

B.                 Preuve et position des défendeurs

[28]           Les défendeurs affirment ne pas avoir diffusé le Combat le 16 mars 2013, mais avoir plutôt tenu une soirée de danse de type « Harlem Shake ».

[29]           Ils ont offert en preuve les affidavits de M. Steve Caron, administrateur de Resto-Bar Mirabel; de M. Mickael Carreau, gérant du resto-bar; et de M. Simon Langevin, disc-jockey invité le soir du 16 mars 2013.

[30]           Les défendeurs ont également déposé la transcription de leur contre-interrogatoire de M. Keary.

(1)               Affidavit de M. Steve Caron

[31]           Dans son affidavit, M. Caron affirme que plus de 6 000 invitations promouvant la soirée de danse ont été envoyées par l’entremise du réseau social Facebook et que plus de 200 personnes ont accepté cette invitation. Une capture d’écran de la page Facebook de l’événement est jointe à son affidavit pour appuyer cette affirmation. Il affirme aussi que trois disc-jockeys ont été invités pour l’événement et qu’ils ont été rémunérés par le biais du prix d’entrée exigé des participants.

[32]           M. Caron affirme aussi s’être déjà informé du coût d’une licence pour présenter des événements de télé à la carte, lequel varie de 750,00$ à 10 000,00$. M. Caron affirme ne pas s’en être procuré une, trouvant le prix trop élevé compte tenu de sa clientèle et du chiffre d’affaires de Resto-Bar Mirabel.

[33]           Outre  la capture d’écran de la page Facebook de l’événement, les pièces suivantes sont jointes au soutien de l’affidavit de M. Caron: deux lettres des procureurs des défendeurs adressées aux procureurs de Premium et datées  du 19 et 29 novembre 2013 respectivement; l’affidavit d’une enquêtrice privée de Garda qui s’est présentée dans un autre établissement ciblé par Premium, incluant des preuves recueillies par l’enquêtrice pour démontrer que le Combat avait été diffusé dans cet établissement; ainsi que les factures et autres données de facturation des procureurs des défendeurs dans le présent dossier.

(2)               Affidavit de M. Mickael Carreau

[34]           M. Carreau affirme qu’il travaillait comme disc-jockey à l’établissement de Resto-Bar Mirabel entre 17h et 3h le soir du 16 mars 2013, qu’une  une soirée de danse sous le thème « Harlem Shake » y a commencée vers 22h et que le resto-bar n’avait pas présenté le Combat durant la soirée « Harlem Shake ».

(3)               Affidavit de M. Simon Langevin

[35]           L’affidavit de M. Langevin est à l’effet qu’il travaillait à titre de gérant au resto-bar entre 17h et 3h durant la soirée du 16 mars 2013. Son affidavit contient les mêmes affirmations que celui de M. Carreau.

(4)               Contre-interrogatoire de M. Rod Keary

[36]           Dans le cadre du contre-interrogatoire de M. Keary, les défendeurs ont déposé en preuve: un DVD comprenant un extrait du Combat; l’extrait d’une carte des combats donnée à M. Collin où on peut voir M. Mike Ricci portant un maillot bleu et M. Colin Fletcher portant un maillot orange; des échanges de courriels entre les procureurs des parties; une capture d’écran de Google Maps illustrant la distance entre l’établissement de Resto-Bar Mirabel et le bar Le Step de Sainte-Sophie; les détails du forfait Vidéotron de Resto-Bar Mirabel, indiquant l’abonnement à la chaine TVA Sports, ainsi que des copies de factures de Vidéotron adressées à Resto-Bar Mirabel pour la période couvrant le 16 mars 2013.

(5)               Position des défendeurs

[37]           À l’égard du rapport d’observation de M. Collin, les défendeurs plaident que ce document est insuffisant pour prouver qu’ils ont diffusé le Combat, et rappellent que même M. Lefebvre considérait que le rapport comportait des lacunes, ayant lui-même demandé des précisions à M. Collin.

[38]           Les défendeurs notent les lacunes suivantes: (1) le rapport ne mentionne pas l’existence d’une file d’attente ou l’exigence d’un pourboire pour entrer au resto-bar, alors qu’un pourboire était exigé à la porte dès 22h; (2) M. Collin n’a recueilli aucun élément matériel de preuve, tel que des photographies, pour appuyer son rapport; (3) M. Collin a noté des maillots de couleur bleue et de couleur orange, tandis que les photos prises durant le Combat illustrent que l’un des combattants portait un maillot blanc et l’autre un maillot gris; (4) selon différents rapports complétés par M. Collin, celui-ci aurait quitté le resto-bar à 22h10 et serait arrivé au bar Le Step de Sainte-Sophie à 22h25, soit 15 minutes plus tard, alors qu’il faut 30 minutes pour se rendre d’un point à l’autre selon les données du site internet Google Maps. De surcroît, les défendeurs contredisent l’affirmation de M. Collin à l’effet que le propriétaire du resto-bar lui aurait dit que le combat entre Saint-Pierre et Diaz serait présenté, M. Caron affirmant n’avoir confirmé à personne la diffusion du Combat.

[39]           Les défendeurs réfèrent à l’affidavit de M. Keary qui affirme qu’à 22h07, seul le combattant Colin Fletcher était visible à l’écran et que Mike Ricci serait entré dans l’arène après 22h10. Selon la chronologie présentée par M. Keary, le combat Fletcher-Ricci n’était pas encore commencé à 22h10 (Réponses à l’interrogatoire écrit de Rod Keary, aux para 17-18), heure à laquelle M. Collin affirme avoir terminé l’observation au resto-bar. Au surplus, cette chronologie des événements contredit la note du rapport d’observation de M. Collin indiquant que le Combat en était au 1er round.

[40]           M. Lefebvre contredit quant à lui M. Keary puisqu’il affirme que la première ronde de ce Combat était en cours avant 22h10 (Affidavit d’Yves Lefebvre au para 5).

[41]           Les défendeurs soulignent également qu’ils n’utilisent pas les sports pour attirer leur clientèle, mais qu’ils font plutôt appel à d’autres types d’événements et de diffusions comme des spectacles d’humour. En effet, la présence de quatre restaurants La Cage aux Sports dans un rayon de 15 kilomètres de leur établissement exige de Resto-Bar Mirabel qu’il se distingue en présentant une offre différente de celle de ses compétiteurs.

[42]           À l’égard du site internet de Resto-Bar Mirabel, les défendeurs précisent que celui-ci promeut les événements de UFC en général, et non pas précisément ceux à la carte. Ils soumettent qu’aucune mention de leur site internet n’invite les gens qui cherchent à regarder un événement sportif à la carte à fréquenter leur établissement.

[43]           Somme toute, les défendeurs rappellent que la demanderesse a le fardeau de prouver les faits nécessaires pour fonder sa réclamation et ils plaident que cette preuve n’a pas été faite.

[44]           Selon les défendeurs, la meilleure preuve présentée par Premium est le rapport d’observation de M. Collin. Or, les différentes versions des faits présentées par les témoins de Premium ne permettent pas de confirmer l’heure même à laquelle M. Collin est arrivé au resto-bar le 16 mars 2013. Il faut choisir entre (1) 22h tel qu’indiqué dans le rapport d’observation de M. Collin; (2) approximativement 22h, tel qu’indiqué dans l’affidavit de M. Collin; (3) un peu avant 22h, comme l’affirme M. Lefebvre dans son affidavit; ou (4) un peu après 22h, tel qu’indiqué dans la version amendée du rapport d’observation, version d’ailleurs amendée par M. Lefebvre et non par M. Collin.

[45]           Or, l’heure est, selon les défendeurs, cruciale puisque la soirée UFC était disponible gratuitement avant 22h. Après 22h, il y avait sur les ondes de TVA Sports une émission UFC toujours gratuite, et aussi le Combat à la carte.

[46]           Au surplus, le départ de M. Collin à 22h10 ne lui aurait pas permis de « voir » le premier round du Combat au resto-bar, ni même l’arrivée des combattants dans le ring, ce qui semble confirmé par sa désignation erronée de la couleur des maillots. Au surplus, si M. Collin a quitté le resto-bar à 22h10, il n’a pas pu arriver au bar Le Step de Ste-Sophie à 22h25.

[47]           Selon les défendeurs, la faiblesse de cette preuve rend d’autant plus crédible leur preuve à l’effet qu’une soirée de danse s’est tenue le 16 mars 2013: celle-ci avait été annoncée, l’endroit a été préparé, les téléviseurs ont été fermées. Le disc-jockey a installé des lumières et faisait jouer une musique dansante pour la clientèle, constituée de jeunes femmes et hommes venus pour cet événement.

[48]           À l’égard de la règle 216(4), qui stipule que la Cour peut tirer des conclusions défavorables du fait qu’une partie ne procède pas au contre-interrogatoire du déclarant d’un affidavit ou qu’elle ne dépose pas de preuve contradictoire, les défendeurs soumettent que: (1) ils ont contre-interrogé M. Keary; (2) M. Collin n’a pas déposé d’affidavit dans le cadre du procès sommaire, mais seulement dans le cadre du jugement sommaire; (3) ils ont présenté une preuve contradictoire. Ainsi, aucune conclusion défavorable ne devrait être tirée par la Cour suivant la règle 216(4).

[49]           Finalement, les défendeurs soumettent qu’ils ont droit à leurs honoraires extrajudiciaires dans le cadre du présent litige suite aux allégations non fondées avancées par Premium qui constituent un abus de procédure. Référant à la règle 400, ils demandent à cette Cour de condamner Premium au paiement de 4 865,18$, représentant la somme des honoraires extrajudiciaires encourus jusqu’au dépôt et à la signification de leur défense, en plus d’une somme forfaitaire de 5 000,00$ pour les services rendus depuis, incluant la préparation de la requête en procès sommaire, ainsi que les dépens.

IV.             Questions en litige

[50]           La Cour doit d’abord déterminer si le procès sommaire constitue le véhicule procédural approprié en l’espèce.

[51]           Si tel est le cas, et tel que le soulèvent avec justesse les parties, il importe ensuite de déterminer si Premium a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les défendeurs ont diffusé le Combat. La Cour ne traitera donc des allégations de contravention à la Loi sur le droit d’auteur et à la Loi sur la radiocommunication qu’en cas de réponse positive à cette question.

V.                Analyse

A.                Le procès sommaire constitue-t-il le véhicule procédural approprié ?

[52]            Le procès sommaire est d’abord prévu à la règle 215(3). Ainsi, si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, tenir un procès sommaire sous le régime de la règle 216 (Manitoba c Canada, 2015 CAF 57 au para 16).

[53]           Suivant la règle 216(5), la Cour rejettera la requête en procès sommaire si : a) les questions soulevées ne se prêtent pas à la tenue d’un procès sommaire; ou b) un procès sommaire n’est pas susceptible de contribuer efficacement au règlement de l’action. À moins qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de trancher les questions en litige dans le cadre de la requête, la Cour peut rendre jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier si elle est convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, et ce, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire (règle 216(6)).

[54]           La partie requérante a le fardeau de prouver que la tenue d'un procès sommaire est appropriée (Collins c Canada, 2014 CF 307 au para 39 [Collins]). Pour établir s'il y a lieu de tenir un procès sommaire, le tribunal doit considérer des facteurs tels que :

                      le montant en question;

                      la complexité de l'affaire;

                      l'urgence de son règlement;

                      tout préjudice que sont susceptibles de causer les lenteurs d'un procès complet;

                     le coût d'un procès complet en comparaison du montant en question;

                     la question de savoir si la crédibilité est un enjeu fondamental;

                     la marche de l'instance;

                     tous autres facteurs qui s'imposent à l'examen (Louis Vuitton au para 96; Wenzel Downhole Tools Ltd v National-Oilwell Canada Ltd, 2010 FC 966 aux para 36-38; Collins au para 40).

[55]           Selon la jurisprudence, le recours au procès sommaire est en outre justifié lorsque :

                     les questions en litige sont bien définies et leur solution permettra d'accélérer le déroulement ou le règlement de l'action ou de ce qui en reste entre les parties;

                     les faits nécessaires pour répondre aux questions ressortent clairement de la preuve;

                     la preuve n'est pas controversée et la crédibilité n'est pas en jeu;

                     bien qu'elles soient nouvelles, les questions de droit peuvent être réglées aussi facilement qu'elles le seraient par ailleurs à l'issue d'un procès complet (0871768 BC Ltd c Aestival (Navire), 2014 CF 1047 au para 58).

[56]           Si la Cour rejette la requête en procès sommaire en tout ou en partie, elle peut ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale (règle 216(8)). Au contraire, si « la Cour estime qu'une affaire peut être instruite dans le cadre d'un procès sommaire, elle doit instruire l'affaire sur le fond dans le cadre de la même requête » (Collins au para 41).

[57]           Les défendeurs soutiennent que la présente cause devrait être jugée dans le cadre d’un procès sommaire. Par leur requête en procès sommaire, les défendeurs demandent à cette Cour (1) de décider la véritable question litigieuse par voie de procès sommaire; (2) de déclarer qu’ils n’ont pas diffusé le Combat le 16 mars 2013; (3) de rejeter l’action entamée contre eux par Premium; et (4) d’ordonner à Premium de leur payer 4 865,18$ en honoraires extrajudiciaires encourus jusqu’au dépôt de la défense, une somme forfaitaire de 5 000,00$ pour les services fournis depuis, ainsi que les dépens.

[58]           Selon les défendeurs, un procès sommaire est justifié puisque (1) la question en litige est bien définie; (2) les faits nécessaires pour résoudre la question sont exposés dans les affidavits produits en preuve; (3) aucun autre élément de preuve n’a besoin d’être présenté; (4) la crédibilité n’est pas un enjeu majeur en ce que par la seule preuve documentaire, il est possible de rendre une décision juste et éclairée; (5) les parties ont eu la chance d’interroger par écrit et à l’oral et de contre-interroger; (6) le principe de proportionnalité milite donc en faveur de l’instruction de l’affaire par procès sommaire.

[59]           La Cour partage l’avis des parties et considère que le procès sommaire constitue le véhicule approprié, notamment compte tenu du montant demandé, de la complexité de l’affaire et de la preuve présentée pour trancher l’affaire.

B.                 Premium a-t-elle prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les défendeurs ont diffusé le Combat?

[60]           La Cour conclut que Premium n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les défendeurs ont diffusé le Combat.

[61]           La Cour note les représentations de Premium, au demeurant fort habiles, pour minimiser la faiblesse de sa propre preuve et détourner l’attention de la Cour sur certaines faiblesses de la position des défendeurs. Premium se comporte comme si son fardeau en était un de preuve prima facie lui permettant de déplacer la charge de la preuve sur les défendeurs. Cependant, tel n’est pas le cas. Il n’incombe pas aux défendeurs de prouver qu’ils n’ont pas diffusé le Combat, mais bien à Premium de prouver qu’ils l’ont diffusé. Ainsi, les lacunes que Premium soulève dans la preuve des défendeurs ne lui permettent pas de remplir ou de renverser son propre fardeau de preuve.

[62]           La prépondérance des probabilités, soit la norme qui s’applique habituellement en matière civile, exige de la Cour qu’elle examine « la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu » (FH c McDougall, 2008 CSC 53 au para 49. En anglais: « to determine whether it is more likely than not that an alleged event occurred »).

[63]           La Cour constate que la preuve présentée par Premium repose essentiellement sur le rapport d’observation de M. Collin qui affirme avoir été témoin de la diffusion du Combat. Or, cette preuve est empreinte de contradictions ou d’incohérences importantes notamment eu égard à l’heure à laquelle ce dernier est arrivé chez la défenderesse Resto-Bar Mirabel, et au contenu diffusé sur les téléviseurs alors qu’il était présent.

[64]           La Cour souscrit à la position des défendeurs que l’heure d’arrivée et de départ de M. Collin au resto-bar constitue un élément déterminant en l’espèce considérant que le Combat n’était diffusé qu’à partir de 22h00. Or, et tel que mentionné aux paragraphes 17 à 21 du présent jugement, plusieurs scénarios différents ont été soumis en preuve par MM. Collin et Lefebvre quant à l’heure à laquelle M. Collin était effectivement présent au resto-bar.

[65]            Somme toute, la Cour conclut que Premium n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les défendeurs ont diffusé le Combat le 16 mars 2013.

[66]           La Cour ne considère pas approprié dans les circonstances d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de tirer des conclusions défavorables du fait que les défendeurs n’ont pas contre-interrogé M. Collin (Collins au para 81).

VI.             Dépens

[67]           Les défendeurs soumettent qu’ils ont droit aux honoraires extrajudiciaires dans le cadre de ce litige suite aux allégations abusives et non fondées de Premium, qui a déposé une action qui, à sa face même, était vouée à l’échec. Ils plaident également que cet abus de procédure visait à intimider M. Caron puisqu’aucun élément de preuve ni allégation au soutien de l’action de Premium ne permettent de soulever le voile corporatif et ainsi de rechercher la responsabilité de M. Caron.

[68]           Tel que l’a récemment rappelé notre Cour, « [i]l a maintenant été bien établi que les dépens avocat-client ne sont accordés qu’en de très rares occasions, par exemple lorsqu’une partie a eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante ou dans le cas d’une question d’intérêt public » (Stryker Corporation c Umano Medical Inc, 2016 CF 378 au para 53).

[69]           La Cour ne considère pas être en présence de circonstances extraordinaires justifiant l’octroi de dépens sur la base avocat-client.

[70]           Suivant le pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé par la règle 400, la Cour octroie les dépens aux défendeurs pour une somme forfaitaire de 5 000,00$.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.    La requête en procès sommaire est accordée.

2.    L’action de Premium Sports Broadcasting Inc. est rejetée.

3.    Les dépens sont accordés en faveur de 9005-5906 Québec Inc. (faisant affaire sous la raison sociale RESTO-BAR MIRABEL) et Steve Caron pour une somme totale de 5 000,00$.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1765-13

INTITULÉ :

PREMIUM SPORTS BROADCASTING INC. AND 9005-5906 QUÉBEC INC. (faisant affaire sous la raison sociale RESTO-BAR MIRABEL) et STEVE CARON

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 AVRIL 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 19 juin 2017

COMPARUTIONS :

Me Kevin Fisher

Pour la demanderesse

Me Greg Moore

Pour les défendeurS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gardiner Roberts LLP

Avocat(e)

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Joli-Coeur Lacasse S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

Pour les défendeurS

 

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