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Date : 20170606


Dossier : IMM-2432-16

Référence : 2017 CF 550

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

KELROY SONNEL JOHNSON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               M. Johnson, le demandeur, s’est vu refuser le statut de résident permanent au titre de la catégorie des époux et conjoints de fait. Après avoir interrogé M. Johnson et sa conjointe le 24 mai 2016, l’agent d’immigration (l’agent) a conclu qu’il ne répondait pas à la définition d’époux en vertu de l’alinéa 124a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement). Plus précisément, l’agent n’était pas convaincu que M. Johnson entretenait une relation authentique et, de ce fait, il ne satisfait pas aux exigences de l’article 4 du Règlement. 

[2]               En formulant cette demande, M. Johnson me demande de déclarer qu’il répond aux exigences d’immigration au Canada ou, à titre subsidiaire, que j’annule la décision et que je renvoie l’affaire à un autre agent pour un nouvel examen. Il soutient que : 1) le processus était inéquitable sur le plan procédural; 2) l’agent a fait fi des éléments de preuve documentaire importants; et 3) la décision est déraisonnable.

[3]               Ayant examiné les observations écrites et orales des parties, la présente demande peut être tranchée sur la question de l’équité procédurale sans qu’il soit nécessaire d’aborder les autres questions. Comme il indiqué ci-dessous, je suis convaincu que le processus était inéquitable sur le plan procédural, que le caractère inéquitable a eu une incidence sur la décision et que l’intervention de notre Cour est justifiée. La demande est accueillie.

II.                Contexte

[4]               M. Johnson est citoyen de Saint-Vincent-et-les Grenadines. Il est arrivé au Canada en novembre 2004 en tant que visiteur et est resté au Canada depuis lors. Il a rencontré sa conjointe le 1er mai 2014 et ils ont commencé à vivre ensemble le 30 mai 2014.

[5]               M. Johnson l’a demandée en mariage en septembre 2014 et ils se sont mariés à Toronto (Ontario) en août 2015. Une demande de résidence permanente en vertu de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada a été soumise en septembre 2015.

[6]               Le 24 mai 2016 vers 11 h 50, M. Johnson a reçu un appel téléphonique de l’agent lui demandant d’assister le jour même à une entrevue au bureau de l’immigration avant 14 h. L’agent a informé M. Johnson que le but de l’entrevue était d’établir son identité. M. Johnson a signalé qu’il ne pouvait pas être au bureau avant 14 h et l’agent lui a demandé de se présenter avant 14 h 30. L’agent a également informé M. Johnson que sa conjointe n’avait pas besoin d’être présente.

[7]               Avant d’arriver au bureau, M. Johnson a parlé à sa conjointe et, bien qu’elle ne fût pas obligée d’assister à l’entrevue, elle a choisi de l’accompagner. L’agent a interrogé M. Johnson et sa conjointe séparément et ensemble. L’entrevue a donné lieu à des réponses incohérentes à un certain nombre de questions et c’est pour ce motif que la demande de résidence permanente a été rejetée.

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               Dans ses motifs, l’agent commence par indiquer que l’entrevue a eu lieu à des fins d’identité et que M. Johnson a été informé que sa conjointe n’était pas tenue d’y assister. Les motifs indiquent que M. Johnson s’est présenté, comme demandé, à l’entrevue et qu’il était accompagné de sa conjointe, bien que la présence de cette dernière ne fût pas requise. De plus, les motifs précisent que [traduction] « [M. Johnson] et [sa conjointe] ont été interrogés séparément et que les mêmes questions leur ont été posées ».

[9]               L’agent a relevé un certain nombre de divergences dans les renseignements fournis. L’agent indique qu’il y a de graves préoccupations en matière de crédibilité, car les réponses données ne permettaient pas de savoir exactement quand le demandeur et sa conjointe se sont rencontrés et ont commencé à cohabiter, pourquoi plusieurs solutions pour la demande de résidence permanente avaient été envisagées et pourquoi un document relatif aux empreintes digitales soumis à l’appui de la demande de parrainage de conjoint avait été établi à la même date qu’ils avaient commencé à cohabiter. L’agent a également constaté des incohérences concernant la question de savoir si la conjointe de M. Johnson travaillait ou fréquentait l’école, le nom de la sœur de celui-ci et la date à laquelle il a retenu les services d’un consultant en immigration. L’agent déclare, en s’appuyant sur une évaluation globale de la preuve documentaire et des incohérences, ce qui suit : [traduction] « Je ne suis pas convaincu qu’ils entretiennent une relation authentique. » La demande a été rejetée.

IV.             Norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle qui s’applique lors de l’examen des questions relatives à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Kozak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, au paragraphe 44). La Cour doit déterminer si l’obligation d’agir de manière équitable a été satisfaite dans le contexte particulier de l’affaire dont la Cour est saisie (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 21 [Baker]).

V.                Analyse

[11]           M. Johnson fait valoir que l’agent a agi de manière injuste. Il a été informé dans un court délai qu’il devait se présenter à une entrevue aux fins d’établissement de son identité. Malgré l’avis, l’entrevue ne s’est pas limitée aux questions d’identité et sa conjointe a également été interrogée. Il soutient que cela était contraire aux procédures du défendeur qui stipulent que « les agents doivent donner aux demandeurs un avis adéquat concernant le processus ou l’entrevue qui donnera lieu à une décision... [et] ils doivent expliquer clairement aux demandeurs les documents qu’ils doivent soumettre pour répondre à leurs questions ». (Citoyenneté et Immigration Canada, « Manuel – OP 1 : Procédures » à la section 8 Équité procédurale (Ottawa : CIC, tel qu’il était libellé à l’époque)). M. Johnson prétend que l’omission de l’informer lui, ainsi que sa conjointe ou son avocat, du nouveau but de l’entrevue ou du fait que l’entrevue conduirait à une décision finale était inéquitable sur le plan procédural.

[12]           Le défendeur rétorque que les questions posées par l’agent étaient des questions de base, ordinaires, qui ne nécessitaient aucune préparation ou consultation. Le défendeur soutient que les questions posées n’étaient pas de nature juridique et, par conséquent, que la présence d’un avocat n’était pas nécessaire pour répondre aux questions posées. Le défendeur soutient en outre que, dans ces circonstances, l’avis donné de la décision de l’agent de procéder à une entrevue qui comprenait une évaluation de la nature authentique du mariage était adéquat en soi et que, par extension, il n’y a pas eu violation des principes de la justice naturelle. À titre subsidiaire, en s’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43), le défendeur soutient que même si M. Johnson n’avait pas eu droit aux garanties d’ordre procédural requises, l’erreur était purement technique et ne justifie pas l’octroi d’une mesure de réparation. Je ne saurais être d’accord.

[13]           L’obligation d’équité varie et dépend d’une appréciation du contexte dans lequel se pose la question (Baker, au paragraphe 21; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, au paragraphe 40). 

[14]           Dans la décision Bushra v. Canada (Immigration, Refugees, and Citizenship), (2016 FC 1412 [Bushra]), le juge Henry Brown a conclu que la demanderesse avait été traitée injustement, un agent des visas ayant organisé une entrevue qui portait sur certaines considérations d’ordre humanitaire sans que ces préoccupations aient été mentionnées dans l’avis donné à la demanderesse. De même, dans la décision Bin Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (2008 CF 1227 [Chen]), les demandeurs ont plaidé devant le juge Leonard Mandamin que le fait que l’agent n’avait pas expliqué dans l’avis relatif à la tenue de l’entrevue que les questions mettraient en avant l’authenticité du mariage constituait une violation de l’équité procédurale. Le juge Mandamin a admis et a constaté qu’il y a une norme d’équité plus élevée lorsque l’article 4 du Règlement s’applique (Chen, au paragraphe 33). Il a affirmé ce qui suit aux paragraphes 34 et 35 :

[35]      Les demandeurs n’ont pas été informés que la question du mariage avait une importance cruciale quant à leur demande de visa de résident permanent. Si les demandeurs avaient été informés à l’avance de cette question, de la possibilité de se voir refuser un visa de résident permanent et de la conséquence de se voir déclarer interdits de territoire, ils auraient pu obtenir des documents supplémentaires et présenter des arguments précis à l’agente.

[36]      Je conclus que l’agente a privé les demandeurs de l’équité procédurale en ne mentionnant pas à l’avance l’objet visé par l’examen et que, ainsi, elle n’a pas donné aux demandeurs l’occasion de présenter d’autres documents et d’autres arguments.

[Non souligné dans l’original.]

[15]           En l’espèce, M. Johnson a été informé que l’entrevue aborderait les questions liées à l’identité. Il a été informé que sa conjointe n’avait pas besoin de venir à l’entrevue, même si elle l’a fait. Il a été prévenu un peu plus de 2,5 heures à l’avance que l’entrevue, destinée à répondre aux préoccupations quant à son identité, aurait lieu. Il n’a pas été informé que le but de l’entrevue avait été modifié, que le fait de changer le but de l’entrevue permettrait d’aborder une question fondamentale pour sa demande de résidence permanente en tant que conjoint ou que l’entrevue entraînerait une décision soudaine et déterminante. Compte tenu de ces faits, il est difficile d’envisager que l’avis donné à la suite de la décision de l’agent de poser immédiatement des questions liées à l’article 4 du Règlement puisse être considéré comme un « adéquat » comme l’a suggéré le défendeur ou qu’elle soit équitable sur le plan procédural dans le contexte de l’article 4 du Règlement à la lumière de la jurisprudence de notre Cour.

[16]           Je ne peux pas non plus conclure que cette erreur constituait simplement une violation technique qui ne justifie pas l’octroi d’une mesure de réparation. Comme cela a été mentionné dans les décisions Bushra et Chen, si les demandeurs dans ces cas avaient reçu un avis reflétant adéquatement la nature de l’entrevue, ils auraient pu se préparer et agir différemment, et ils auraient pu présenter des arguments plus précis à l’agent (Bushra, au paragraphe 20; Chen, au paragraphe 34).

[17]           Je suis d’avis que le raisonnement des juges Brown et de Mandamin est applicable à la présente demande. L’argument du défendeur selon lequel plusieurs incohérences découlent de questions simples et ordinaires qui n’auraient pas nécessité d’examen ou de préparation ne tient pas compte du fait que plusieurs préoccupations portaient sur la prise en compte d’événements survenus par le passé. Si M. Johnson et sa conjointe avaient reçu un avis adéquat expliquant qu’ils seraient interrogés sur l’authenticité de leur mariage, ils se seraient peut-être préparés différemment et ils auraient peut-être été mieux préparés à concilier leurs souvenirs individuels des dates qui intéressaient l’agent et présenter des arguments précis sur leur mariage, y compris la possibilité de présenter des documents supplémentaires. L’une des raisons d’être d’un avis est qu’il permet à un individu de réfléchir et de se rappeler des dates d’événements passés. En réalité, M. Johnson fait valoir que plusieurs des incohérences relevées par l’agent ont fait l’objet de clarifications lors d’un nouvel interrogatoire.

[18]           Si M. Johnson et sa conjointe avaient été informés de la nature de l’entrevue, leurs réponses auraient peut-être été plus précises, moins confuses et l’issue aurait peut-être été différente.

VI.             Conclusion

[19]           Le fait qu’il n’a pas été donné à M. Johnson un avis suffisant de la nature et du but de l’entrevue était inéquitable sur le plan procédural. Je suis incapable de conclure que le manquement à l’équité était simplement technique. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour qu’elle soit réexaminée par un autre agent.

[20]           Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour qu’elle soit réexaminée par un autre décideur.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2432-16

 

INTITULÉ :

KELROY SONNEL JOHNSON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Aminder K. Mangat

Sandra Dzever

 

Pour le demandeur

 

Bridget A. O’Leary

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aminder K. Mangat

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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