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Date : 20170518


Dossier : IMM-4439-16

Référence : 2017 CF 511

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2017

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

DEBORAH OLI DIANDRA MUGISHA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Deborah Oli Diandra Mugisha, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 14 octobre 2016, selon laquelle elle ne peut se prévaloir de l’exception prévue à l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS), et selon laquelle sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est par conséquent irrecevable aux termes de l’alinéa 101(1)e) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Burundi. Elle est arrivée au Canada en provenance des États-Unis le 14 octobre 2016, avec l’intention de demander le statut de réfugié. Elle a été accueillie au point d’entrée par sa tante (JSN), qui est également citoyenne du Burundi et résidente permanente du Canada depuis 2013.

[3]  La demanderesse a présenté non seulement ses propres documents d’identité, mais également ceux de son père. La demanderesse et JSN ont toutes deux été interrogées par un agent de l’ASFC.

[4]  La demanderesse et JSN ont affirmé que JSN avait appris pour la première fois à la fin de 2014 que la mère de JSN avait un autre fils, qui serait le demi-frère de JSN. JSN a pris contact avec son demi-frère en janvier 2015. Il est le père de la demanderesse.

[5]  L’agent de l’ASFC qui a interrogé la demanderesse et JSN a estimé que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait un parent au Canada et a par conséquent conclu qu’elle ne pouvait revendiquer le statut de réfugié au Canada en vertu de l’ETPS. En tirant cette conclusion, l’agent de l’ASFC a noté que lorsque JSN est arrivée au Canada, elle a déclaré avoir une sœur nommée GN, déjà au Canada, et aucune des deux sœurs n’a fait état de l’existence de ce demi-frère, le père de la demanderesse. Il a également souligné que la demanderesse ne savait rien à propos de sa tante, JSN.

[6]  L’agent de l’ASFC a également fait des commentaires concernant les documents d’identité de la demanderesse présentés à l’appui de sa demande d’asile, affirmant qu’ils ne comportaient aucune caractéristique de sécurité, avaient été produits en l’absence de la demanderesse et lui avaient été postés alors qu’elle se trouvait aux États-Unis.

[7]  Le délégué du ministre a confirmé la décision de l’agent de l’ASFC pour les mêmes motifs, reproduisant essentiellement la plupart des notes de l’agent de l’ASFC, à l’exception d’une référence au passeport de la demanderesse.

[8]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse avance un certain nombre d’arguments, y compris que l’agent de l’ASFC et le délégué du ministre [les fonctionnaires] n’ont pas tenu compte des éléments de preuve corroborant le fait que JSN est la tante de la demanderesse.

[9]  Le défendeur affirme que la décision des fonctionnaires est raisonnable puisqu’il incombait à la demanderesse d’établir qu’elle avait un membre de sa famille au Canada pour pouvoir présenter une demande d’asile au Canada. Le défendeur affirme également que les fonctionnaires ont examiné les documents de la demanderesse. Toutefois, ils ont conclu de façon raisonnable que les documents n’étaient pas fiables, pour un certain nombre de raisons, y compris l’absence de caractéristiques de sécurité et le fait qu’ils ont été émis en son absence.

[10]  Il n’est pas nécessaire que je résume de façon plus détaillée les observations des parties, parce que je suis d’avis que la décision devrait être annulée, pour les motifs qui suivent.

[11]  En soulignant que JSN et sa sœur GN n’avaient pas déclaré l’existence du père de la demanderesse dans leurs formulaires d’immigration, les fonctionnaires ont par erreur fait référence à GN comme étant la sœur de JSN. Il est clair d’après le dossier certifié du tribunal [DCT] que GN n’était pas la sœur de JSN, mais sa demi-sœur. Elles ont le même père (DCT, pages 37, 44, 55), contrairement à JSN et au père de la demanderesse, qui ont la même mère (DCT, pages 37, 78 et 80). Comme GN n’avait aucun lien avec le père de la demanderesse, elle n’avait aucune raison de l’inclure comme membre de sa famille quand elle a rempli ses formulaires de demande d’asile en 2007. En outre, il semble d’après le DCT que JSN a présenté une demande d’asile en 2010. Quand elle a rempli ses formulaires, elle ne connaissait pas l’existence de son demi-frère, le père de la demanderesse. Comme il apparaît clairement que les fonctionnaires se sont appuyés sur l’omission alléguée de déclarer l’existence du demi-frère pour soutenir leur décision, il ne fait pas de doute que l’erreur est déterminante.

[12]  Je suis également d’avis que la décision des fonctionnaires est déraisonnable puisqu’elle ne satisfait pas au principe de « justification, [...] transparence et [...] intelligibilité » énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[13]  Les deux fonctionnaires affirment que les documents déposés par la demanderesse ne comportent pas de caractéristiques de sécurité et ont été émis en l’absence de la demanderesse. Ils ne donnent pas plus d’explications et ne concluent pas directement que les documents déposés ne sont pas authentiques ou qu’ils ne leur accordent pas beaucoup de poids. On ne sait également pas clairement à quelles [traduction] « caractéristiques de sécurité » les fonctionnaires font référence, puisque tous les documents comportent ce qui semble être des numéros, des cachets et des signatures officielles. La Cour a déjà soutenu que les cachets officiels et les signatures sur les documents d’identité constituaient des caractéristiques de sécurité (Adesida c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 256, aux paragraphes 19 à 22; Elhassan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1247, au paragraphe 22; Zheng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 877, aux paragraphes 18 et 19).

[14]  De plus, les fonctionnaires font référence à des documents au pluriel, sauf en ce qui concerne une carte d’identité nationale à laquelle ils font référence au singulier. J’ai examiné le DCT et il contient les cartes d’identité nationale de la demanderesse et de son père. La décision n’indique pas clairement à quelle carte d’identité les fonctionnaires font référence. Les motifs invoqués par les fonctionnaires n’indiquent pas non plus clairement sur quoi ils se basent pour affirmer que les documents de la demanderesse ont été produits en son absence et lui ont été envoyés par la poste.

[15]  La demanderesse a présenté un certain nombre de documents qui semblent établir sa relation avec son père et la relation de son père avec JSN au Canada. Si les fonctionnaires étaient d’avis que les documents de la demanderesse n’étaient pas authentiques, ils auraient dû aborder la question plus en détail.

[16]  Même si je reconnais l’obligation de retenue envers la décision du délégué du ministre, j’estime que cette décision est déraisonnable puisqu’elle manque de « justification, [...] transparence et [...] intelligibilité » et qu’elle doit être annulée puisqu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[17]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire doit être renvoyée à un autre agent de l’ASFC et à un autre délégué du ministre pour nouvel examen. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4439-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent de l’ASFC et à un autre délégué du ministre pour nouvel examen.

  3. Il n’y a pas de question certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4439-16

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DEBORAH OLI DIANDRA MUGISHA c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mai 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 18 mai 2017

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

Pour la demanderesse

Lorne McClenaghan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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