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Date : 20170418


Dossier : T-1970-14

T-1373-15

Référence : 2017 CF 371

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

Dossier : T-1970-14

ENTRE :

SUCCESSION DE NEWTON D. BILES

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

Dossier : T-1373-15

ET ENTRE :

SUCCESSION DE NEWTON D. BILES

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               La présente décision porte sur deux demandes de contrôle judiciaire qui ont été entendues conjointement. Dans le dossier T-1970-14 [1er contrôle judiciaire], la demanderesse souhaite obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre du Revenu national [le ministre] d’effectuer une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2004 conformément à une « entente » qui serait survenue entre des représentants de l’Agence du revenu du Canada [ARC] et la demanderesse. Dans le dossier T-1373-15 [2e contrôle judiciaire], la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de modifier et cotiser de nouveau sa déclaration de revenus de 2004 afin de réduire le produit de disposition d’un bien immobilier.

[2]               La 1re demande de contrôle judiciaire vise à faire respecter une proposition formulée par un vérificateur de l’ARC afin de négocier la valeur du bien [la proposition]. Pour sa part, le second contrôle judiciaire conteste notamment le refus de proroger le délai prévu pour déposer un avis d’opposition.

La demanderesse souhaite que les refus soient renvoyés avec des directives précises pour nouvelle détermination de la cotisation de l’année d’imposition 2004.

[3]               La mesure de redressement demandée dans le dossier T-1970-14 est une ordonnance :

1.         Enjoignant au ministre d’effectuer une nouvelle cotisation conformément à la proposition formulée par le Bureau des services fiscaux de Toronto-Centre du ministre le ou vers le 13 mai 2013 ou à la proposition formulée par le Bureau des services fiscaux de Toronto-Centre du ministre le ou vers le 18 février 2014;

2.         Adjugeant les dépens, plus la TVH.

La mesure de redressement demandée pour le dossier T-1373-15 est une ordonnance :

1.         Annulant la décision du ministre communiquée le ou vers le 4 août 2015 rejetant la requête de la demanderesse de modifier sa déclaration de revenus pour l’année financière 2004 et de proroger le délai prévu pour contester la nouvelle cotisation de l’année financière 2004 de la demanderesse;

2.         Enjoignant au ministre d’accepter la requête de la demanderesse visant à modifier sa déclaration de revenus de 2004 comme étant une prorogation du délai prévu pour contester la nouvelle cotisation de l’année en question; ou

3.         Enjoignant au ministre d’effectuer une nouvelle cotisation de l’année d’imposition 2004 de la demanderesse afin de réduire le produit de disposition d’un bien immobilier sis au 7, Austin Terrace, Toronto (Ontario) à la juste valeur marchande correspondante, soit la valeur du prix de vente de l’année financière 2008 et d’ajuster le gain en capital en conséquence.

4.         Adjugeant les dépens, plus la TVH.

II.                 Contexte

[4]               Newton D. Biles est décédé le 7 septembre 1978. Son testament créait une fiducie testamentaire au bénéfice de son épouse, Evelyn Biles. Les actifs de la fiducie comprenaient l’immeuble du 7, Austin Terrace, Toronto [l’immeuble].

[5]               En décembre 1998, Evelyn Biles a transféré les parts qu’elle détenait dans l’immeuble à elle-même et à sa fille, Shirley Scott, qui sont devenues tenantes conjointes, sans aucune contrepartie. Même au moment de l’audience, il y avait confusion à savoir si le transfert s’est fait à partir de la pleine possession alléguée d’Evelyn Biles de l’immeuble pour créer une tenance conjointe ou s’il s’agissait plutôt d’un transfert de sa part de 50 % de l’immeuble, laquelle part devait être transformée en tenance conjointe.

[6]               Après le transfert de 1998, les actes de vente ont dû être modifiés puisqu’ils étaient assujettis au système de titres fonciers de l’Ontario.

[7]               Evelyn Biles est décédée le 26 juin 2004. Puisqu’elle était la bénéficiaire de la fiducie de conjoint, il y a eu disposition réputée de l’immeuble à la juste valeur marchande [JVM] que la demanderesse a déclaré être de 2 885 000 $ (« 2,8 millions »). Cette valeur a été établie par l’évaluateur de la demanderesse et les représentants de la succession d’Evelyn Biles. La demanderesse a déclaré un produit de disposition de ses parts dans l’immeuble au montant de 737 278 $ et a inclus dans ses revenus de 2004 sa part de gains en capital imposables provenant de la disposition réputée d’une somme de 297 611 $.

[8]               Même si l’ARC possédait ces calculs, la demanderesse ne lui a divulgué qu’une partie du rapport de l’évaluateur. Les raisons sous-tendant ce dossier abrégé n’ont pas été données et l’ARC n’a apparemment pas demandé la production de l’évaluation complète.

[9]               En 2008, l’ARC a effectué un audit des obligations fiscales de la demanderesse pour les années d’imposition 2004 et 2005. Elle a rejeté une partie de l’exemption pour résidence principale demandée pour l’immeuble, ce qui a augmenté le gain en capital imposable de la demanderesse.

[10]           Le 29 septembre 2008, l’immeuble a été vendu pour la somme de 2 250 000 $ (« 2,25 millions »). La vente a eu lieu plus de trois ans après le gain en capital; par conséquent, la demanderesse ne pouvait reporter sa perte en capital et l’appliquer à son gain de 2004. La vente s’est déroulée environ un mois après l’échéance du délai prévu pour déposer un avis d’opposition pour la cotisation de l’année d’imposition 2004.

La demanderesse a qualifié de « profit inattendu » pour le ministre la différence entre la valeur déclarée de 2,8 millions et la valeur de vente réelle de l’immeuble de 2,25 millions.

[11]           Le 23 octobre 2008, le comptable de la demanderesse a écrit au ministre, lui demandant d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour cotiser de nouveau l’année d’imposition 2004 de manière à tenir compte de la JVM de l’immeuble, qui s’élevait à 2,25 millions. La requête a été rejetée du fait que la période normale de nouvelle cotisation pour l’année 2004 était arrivée à échéance.

[12]           En résumé, la demanderesse avait surévalué l’immeuble, avait subi une perte sur la JVM déclarée et s’était retrouvée hors délai pour s’opposer à la cotisation.

[13]           La demanderesse a ensuite demandé que la lettre du 23 octobre soit considérée comme un avis d’opposition.

[14]           Cette requête a été rejetée, car la lettre n’était pas conforme aux exigences procédurales; en effet, elle n’était pas adressée au chef des appels et ne mentionnait pas qu’il s’agissait d’une opposition. Après demande de réexamen, l’ARC a une fois de plus rejeté la demande.

[15]           Le 16 février 2012, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire de ce refus final.

[16]           Sur consentement, le juge Hughes de la Cour fédérale a annulé la décision et renvoyé l’affaire au ministre pour [traduction] « pour nouvel examen au second palier d’examen par une ou plusieurs personnes n’ayant pas été impliquées dans cette affaire par le passé ».

A.                 La proposition

[17]           L’ARC a demandé à Lori Scott, aidée par la vérificatrice Christina Ling, d’effectuer le nouvel examen. Elles ont rencontré l’avocat de la demanderesse, et Mme Ling lui a présenté une « proposition » visant à régler l’affaire. Les parties ont une perspective différente de cette proposition; une caractéristique que nous retrouvons dans l’ensemble de ces contrôles judiciaires.

[18]           La demanderesse décrit ainsi la proposition :

a)         Les gains et pertes en capital de la demanderesse pour les années 2004 et 2008 respectivement seront modifiés;

b)         Shirley Scott modifiera ses déclarations pour l’année d’imposition 2004 et 2008 afin qu’elles tiennent compte de sa part de 50 % dans l’immeuble d’Austin;

c)         Il n’y aura aucun rajustement des revenus ou des pertes de l’immeuble d’Austin déclarés dans la demande avant la disposition effective de 2008;

d)         Le coût de base rajusté de l’immeuble d’Austin aux fins de modification de la déclaration de revenus de Mme Scott pour l’année d’imposition 2008 sera fondé sur la juste valeur marchande de l’immeuble en 1974 (au moment du décès de M. Biles) si Mme Scott n’avait pas à déclarer la disposition réputée en 2004 en raison du décès de Mme Biles.

Le défendeur décrit ainsi la proposition :

a)         Infirmer les gains en capital inclus dans le revenu de la demanderesse pour l’année d’imposition 2004 résultant de la disposition réputée du 7, Austin Terrace;

b)         Infirmer les pertes en capital subies par la demanderesse au cours de l’année d’imposition 2008 résultant de la disposition effective du 7, Austin Terrace;

c)         Modification par Shirley Scott (fille de Newton Biles) de ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2004 et 2008 afin qu’elles tiennent compte de sa supposée possession de 50 % de l’immeuble du 7, Austin Terrace.

[19]           Peu importe la version applicable, Patricia Northey, une haute fonctionnaire, a décidé de confirmer la proposition, dans la mesure où elle était faite par écrit et signée par les personnes concernées, et que ces personnes renoncent à tout droit d’appel ou de recours. Mme Northey souhaitait également qu’une entente intervienne avec Shirley Scott et qu’une seconde soit conclue avec la succession, et ce, conformément à une politique interne sur les ententes survenant aux termes d’une vérification.

[20]           Les incohérences relatives à la nature de la proposition imprègnent également les hypothèses sous-tendant la proposition. Le défendeur soutient que la proposition était sujette à l’établissement des faits quant à la preuve de la propriété légale de l’immeuble, ce qui s’est révélé un problème. La demanderesse soutient que toutes les approbations aux fins de la proposition étaient en place et que les parties ont conclu une entente à laquelle le défendeur essaie à présent de se soustraire.

[21]           Les mémoires des faits et du droit de chacune des parties illustrent bien leurs points de vue divergents.

                    Le défendeur a fait valoir que Mme Ling travaillait en ayant la compréhension erronée que la demanderesse avait disposé de tous ses intérêts dans l’immeuble en 1998. Lori Scott a ensuite poussé ses recherches et réalisé que certaines transactions du registre foncier n’avaient pas été enregistrées adéquatement sur les déclarations de revenus et que, par conséquent, l’ébauche de proposition ne reflétait pas avec exactitude la propriété légale de l’immeuble. Mme Scott a renvoyé l’affaire pour qu’elle soit examinée de façon plus approfondie, et Julie Wong, de la Division des successions et fiducies, [traduction] « a effectué un examen en profondeur de l’affaire et a recommandé qu’aucun rajustement ne soit appliqué aux responsabilités fiscales de la demanderesse pour l’année d’imposition 2004 » (mémoire du défendeur au paragraphe 13). Selon Mme Wong, la demanderesse possédait des intérêts dans l’immeuble.

Mme Northey, décideuse ultime, a en définitive décidé de ne pas faire droit à la requête de la demanderesse.

                    La demanderesse prétend que la proposition a été formulée par la Division de la vérification et que le ministère de la Justice a soulevé des questions à cet égard. La demanderesse ajoute que Mme Northey, « l’autorité déléguée ayant le pouvoir de prendre une décision sur cette affaire », a approuvé la proposition moyennant le respect des conditions précitées.

La demanderesse fait valoir que le ministre n’a pas déposé l’avis du ministère de la Justice du 7 mai 2013 et qu’il [traduction] « n’a invoqué aucun fondement pour rejeter l’avis de son avocat et n’a pas nié que cet avis confirmait la légalité de la proposition ou sa conformité à la Loi, ce que le ministre semble maintenant contester » (mémoire de la demanderesse dans le dossier T-1373-15, au paragraphe 8). Une lettre d’acceptation de la proposition comprenant les renonciations aux droits d’opposition et d’appel a été rédigée, sans toutefois être envoyée.

[22]           Lori Scott de l’ARC a découvert des anomalies dans la chaîne de titres de l’immeuble. Mme Wong de l’ARC a approfondi les recherches et confirmé les anomalies, ce qui l’a menée à recommander que les responsabilités fiscales de la succession ne fassent l’objet d’aucun rajustement.

Mme Northey a finalement acquiescé à cette recommandation interne.

B.                 Décision

[23]           Comme le déclare la lettre de décision, l’objectif du nouvel examen était de se pencher sur la décision rejetant la demande de rajustement de la déclaration de revenus de 2004 en vertu du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch. 1 (5e suppl) [LIR].

152 (4.2) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer, à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable — particulier (sauf une fiducie) ou succession assujettie à l’imposition à taux progressifs — pour une année d’imposition, le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l’année ou la réduction d’un montant payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie, le ministre peut, si le contribuable demande pareille détermination au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de cette année d’imposition, à la fois :

152 (4.2) Notwithstanding subsections (4), (4.1) and (5), for the purpose of determining — at any time after the end of the normal reassessment period, of a taxpayer who is an individual (other than a trust) or a graduated rate estate, in respect of a taxation year — the amount of any refund to which the taxpayer is entitled at that time for the year, or a reduction of an amount payable under this Part by the taxpayer for the year, the Minister may, if the taxpayer makes an application for that determination on or before the day that is 10 calendar years after the end of that taxation year,

a) établir de nouvelles cotisations concernant l’impôt, les intérêts ou les pénalités payables par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie;

(a) reassess tax, interest or penalties payable under this Part by the taxpayer in respect of that year; and

b) déterminer de nouveau l’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 122.9(2), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année ou qui est réputé, par le paragraphe 122.61(1), être un paiement en trop au titre des sommes dont le contribuable est redevable en vertu de la présente partie pour l’année.

(b) redetermine the amount, if any, deemed by subsection 120(2) or (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) or (3), 122.9(2), 127.1(1), 127.41(3) or 210.2(3) or (4) to be paid on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year or deemed by subsection 122.61(1) to be an overpayment on account of the taxpayer’s liability under this Part for the year.

[24]           La lettre de décision décrit la requête de la demanderesse comme sollicitant a) de permettre un report rétrospectif de pertes de 2008 à 2004, ou b) de rajuster le produit de la disposition réputée de 2004 afin de refléter le montant réel de la vente. De plus, la requête a été qualifiée de demande visant à traiter la lettre du 23 octobre 2008 comme un avis d’opposition et une exemption de la période usuelle de trois ans pour les nouvelles cotisations.

[25]           La lettre de décision en vient à la conclusion suivante :

                    Le report rétrospectif de pertes n’a pas été approuvé, car la disposition aurait dû être faite dans l’année de la date du décès ou dans les trois ans du gain en capital. La disposition de l’immeuble a eu lieu quatre ans après le décès d’Evelyn Biles.

                    Le rajustement du produit net de la disposition réputée de l’immeuble en 2004 a été refusé, étant donné que la JVM utilisée en 2004 était celle d’un évaluateur engagé par la succession et qu’aucune autre information (à l’exception de la disposition de 2008) n’a été fournie pour démontrer que la JVM de 2004 était surévaluée.

                    La propriété bénéficiaire de l’immeuble était en fait de 50/50 entre Evelyn Biles et la succession, jusqu’après le décès de Mme Biles. En outre, le gain en capital imposable pour l’année financière 2004 a été sous-estimé, mais l’ARC n’a pas rajusté cette année financière pour augmenter le revenu imposable parce qu’elle était frappée de prescription.

                    La demande visant à traiter la lettre du 23 octobre 2008 comme un avis d’opposition a été rejetée, étant donné que cette demande a été formulée après l’échéance du délai prévu pour déposer un avis d’opposition, soit un an après le dépôt de la déclaration ou 90 jours après l’envoi par la poste de l’avis de cotisation, et étant donné que les renseignements fournis étaient insuffisants pour démontrer que la demanderesse était dans l’impossibilité de déposer son avis d’opposition en temps opportun.

                    La proposition n’était pas conforme à la loi et ne pouvait être mise en application.

III.               Analyse

[26]           Si la Cour n’a pas l’intention d’examiner toutes les dispositions législatives pertinentes, elle souhaite néanmoins faire remarquer ce qui suit : a) à l’égard de la prorogation du délai prévu pour déposer un avis d’opposition, le paragraphe 166(1) de la LIR octroie à la Cour de l’impôt la compétence de proroger le délai dans certaines circonstances et b) le paragraphe 152(4.2) de la LIR octroie au ministre le pouvoir discrétionnaire d’effectuer une nouvelle cotisation de la déclaration d’un contribuable au-delà de la période de nouvelle cotisation normale, avec le consentement.

A.                 Questions en litige

[27]           Les questions en litige sont les suivantes :

1.                  La Cour a-t-elle la compétence de trancher les questions concernant les décisions à l’égard des avis d’opposition ou des demandes de prorogation du délai prévu pour signifier un avis d’opposition (soit la décision rendue en vertu de l’article 166.1)?

2.                  La décision du ministre de refuser de cotiser de nouveau la demanderesse (en vertu du paragraphe 152(4.2)) était-elle raisonnable?

3.                  La demanderesse peut-elle solliciter l’ordonnance de type mandamus décrite à le dossier T-1970-14?

B.                 Norme de contrôle

[28]           Il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse selon une norme de contrôle à l’égard des questions concernant le délai de dépôt d’un avis d’opposition (soit l’article 166.1). Comme l’a mentionné l’arrêt Canada (Revenu national) c. ConocoPhillips Canada Resources Corp., 2014 CAF 297, 247 ACWS (3d) 717, refus de l’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada, 36304 (8 octobre 2015) [ConocoPhillips], ces questions ne sont pas à proprement dites de la compétence de la Cour.

[29]           Il convient de mentionner que cette décision n’avait pas été rendue lorsque le juge Hughes a renvoyé l’affaire pour nouvel examen. Par conséquent, l’argument de la demanderesse, selon qui le défendeur n’a pas respecté l’ordonnance du juge Hughes, est sans fondement.

[30]           La demanderesse affirme qu’elle est en droit de présenter sa demande à la Cour, particulièrement à l’égard du refus du défendeur d’exercer son pouvoir discrétionnaire en décidant d’y faire entrave, puisqu’elle ne peut le faire devant la Cour de l’impôt.

[31]           Je fais mien le raisonnement de la juge Mactavish dans la décision Gordon c. Canada (Procureur Général), 2016 CF 643, 267 ACWS (3d) 738, qui déclare que l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire constitue en soi une erreur susceptible de révision et mènera à l’annulation de la décision. La juge résume ainsi l’état du droit sur cette question :

[25]      Il existe une certaine confusion quant à la norme de contrôle appropriée à appliquer en matière d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[26]      Traditionnellement, une telle entrave était susceptible de révision en se fondant sur la norme de la décision correcte : Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, au paragraphe 33, 366 N.R. 301.

[27]      Par contre, la Cour d’appel fédérale a récemment adopté la position selon laquelle, suivant l’arrêt Dunsmuir, une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire devrait faire l’objet d’une révision selon la norme de la décision raisonnable puisqu’il s’agit d’un type d’erreur de fond. La Cour d’appel fédérale a toutefois veillé à préciser qu’une décision qui découle d’une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire est toujours en dehors du cadre des issues possibles acceptables, et est en soi déraisonnable : Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 FCA 299, aux paragraphes 23 à 25, 425 N.R. 341.

[28]      En l’espèce, il suffit de déclarer que l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire est une erreur susceptible de révision en vertu de l’une ou l’autre des normes de contrôle, et l’issue sera la même, soit l’annulation de la décision : JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, aux paragraphes 71 à 73, 450 N.R. 91; voir aussi Stemijon Investments, précité, au paragraphe 23. Autrement dit, si la déléguée du ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la décision qu’elle a prise devrait être annulée, quelle que soit la norme de contrôle appliquée.

[32]           En ce qui concerne les questions visées au paragraphe 152(4.2), il est établi que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable (Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266, refus de la demande d’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada, 35141 (28 mars 2013)). Cette norme est applicable à toutes les questions soulevées en l’espèce, à l’exception de la question à savoir si le ministre, par l’intermédiaire de l’ARC, s’est soustrait à une entente de proposition. Le fait de s’en remettre au jugement du ministre pour établir s’il a conclu une entente et s’y est ensuite soustrait irait à l’encontre de toute notion de justice. Le fait de s’appuyer sur le jugement d’une personne sur ses propres actions soulève toutes les préoccupations inhérentes à une contestation fondée sur la crainte raisonnable de partialité. La décision du ministre sur cette question doit donc être correcte.

C.                 Article 161.1

[33]           La demanderesse tente d’éviter les restrictions imposées par l’article 161.1 et la compétence de la Cour de l’impôt en réorientant l’affaire comme en étant une qui fait intervenir la question de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. À mon avis, il s’agit d’une erreur. L’affaire n’en est pas une de pouvoir discrétionnaire, mais de conformité au cadre strict des dispositions sur l’avis d’opposition établies par le législateur. Il n’y a pas de vide dans le système fiscal que la Cour doit combler.

[34]           Le fait que la demanderesse ne peut bénéficier des dispositions relatives à la prorogation des délais prévus ne constitue pas une lacune juridique. La demanderesse était hors délai et n’a pas respecté les dispositions précises traitant de la prorogation des délais prévus pour déposer un avis d’opposition. Comme l’a confirmé la décision ConocoPhillips, elle ne peut utiliser la Cour fédérale comme moyen détourné pour éviter l’application de la disposition et la compétence de la Cour de l’impôt.

[35]           Selon la décision Conocophillips Canada Resources Corp. v. Canada (National Revenue) Court (s) Database: Federal Court, 2016 FC 98, 262 ACWS (3d) 1087, la Cour a la compétence de se pencher sur ces questions uniquement dans les cas de mauvaise foi ou d’entrave au pouvoir discrétionnaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[36]           Même si la demanderesse admet que la lettre du 23 octobre était hors délai pour être considérée comme un avis d’opposition, elle soutient que le ministre a fait entrave à son pouvoir discrétionnaire ou a refusé de l’exercer lorsqu’il a prononcé la phrase suivante pour justifier sa décision de ne pas proroger le délai : [traduction] « l’ARC n’aurait tiré aucun avantage d’une prorogation de délai ». La demanderesse affirme que cette phrase démontre que le ministre considère qu’une prorogation de délai est uniquement justifiée lorsqu’elle est à l’avantage de l’ARC, comme si ce type de considération était à sens unique.

[37]           La demanderesse interprète mal les mots du ministre. Ceux-ci ne sous-entendent pas que le ministre n’en tire pas avantage; il est difficile de voir quelle prorogation de délai serait à l’avantage de l’ARC. Cette phrase doit être interprétée dans le contexte de la référence à la demande étant hors délai et offrant trop peu de renseignements. Elle n’est rien de plus qu’une reconnaissance selon laquelle les lacunes de la demande rendaient inutile un examen plus approfondi par l’ARC.

[38]           Le ministre n’a donc pas fait entrave à son pouvoir discrétionnaire et ne peut être considéré comme ayant refusé de rendre une décision, comme le prétend également la demanderesse. En énumérant les raisons pour rejeter la requête de la demanderesse, le ministre confirme avoir rendu une décision.

[39]           Par conséquent, la Cour ne peut et ne doit pas accueillir le redressement demandé à l’égard de la prorogation de délai. En outre, le défendeur s’est conformé à l’ordonnance du juge Hughes.

D.                 Paragraphe 152(4.2)

[40]           La question est de savoir si la décision de ne pas effectuer une nouvelle cotisation de la demanderesse était raisonnable. En réalité, il s’agit d’une attaque fondée sur la présomption selon laquelle l’ARC s’est soustraite à l’entente de proposition.

[41]           La demanderesse soulève également deux autres questions : 1) le refus du ministre de rajuster le produit réputé de la disposition (2,8 millions $) pour l’année d’imposition 2004 afin de refléter le montant de disposition réel de 2,25 millions $ réalisé en 2008 et 2) la décision de ne pas effectuer une nouvelle cotisation, conformément à la proposition.

[42]           Le fardeau de la preuve à l’égard du refus de rajuster le produit réputé de la disposition incombe à la demanderesse. En l’espèce, le montant de 2,8 millions $ provient de l’évaluation de la demanderesse, et non celle de l’ARC, et le montant a été déterminé d’après un avis de tierce partie.

[43]           La demanderesse a déclaré une JVM de 2,8 millions $, mais n’a pas fourni le rapport d’évaluation complet à l’ARC. L’ARC n’avait aucune raison de s’écarter de la valeur déclarée par la demanderesse.

[44]           Le fait qu’en 2008, la vente de l’immeuble a rapporté la somme de 2,25 millions $ ne démontre pas que la JVM de 2004 était de 2,25 millions $. Sans plus de détails, il est difficile de voir pourquoi il était déraisonnable de la part du ministre de se fonder sur la propre évaluation de la demanderesse.

[45]           En ce qui a trait à la présomption de « se soustraire » à la proposition, avant d’examiner si l’ordonnance de type mandamus constitue le redressement approprié et s’il devrait prévoir des directives précises, la demanderesse doit démontrer que la proposition a été acceptée.

[46]           Comme il a été mentionné, même en ce moment, les parties ne s’entendent pas sur le la proposition ni sur ses fondements. Il est manifeste que Lori Scott a constaté des problèmes avec la chaîne de titres. La proposition découle de la reconnaissance d’une erreur de la part d’un vérificateur selon laquelle la fiducie avait disposé de ses intérêts dans l’immeuble en 1998. Le rétablissement des faits réels relativement à la chaîne de titres était une condition préalable nécessaire à la mise en œuvre de la proposition. Le problème relatif aux intérêts détenus par la fiducie dans l’immeuble en 1998 et en 2004 a été abordé un peu plus tôt dans ces motifs.

[47]           Par conséquent, en l’absence d’une entente relativement à la chaîne de titres, non seulement il n’y avait pas d’entente entre les parties à propos de la proposition, mais encore, cette proposition ne pouvait pas être légalement mise en œuvre. Une nouvelle cotisation ne peut être faite en contravention de la loi.

[48]           La compréhension que l’ARC avait de la chaîne de titres s’est précisée au fil de son examen de l’affaire. Elle peut être résumée comme suit :

                    Avant la formulation de la proposition, les documents indiquent que l’ARC était sensible à la question de savoir quelle partie de l’immeuble a été transférée à Shirley Scott. Les notes du 23 mars 2013 indiquent que les documents fournis par l’avocat ne répondent pas à la question de savoir [traduction] « si le 50 % transféré à Shirley Scott en 1998 provenait de la fiducie ou de la part de sa mère ».

                    L’ARC a d’abord conclu que la fiducie de conjoint avait transféré sa part à Shirley Scott en 1998, de telle façon que l’immeuble était possédé à 50 % par Shirley Scott et à 50 % par Evelyn Biles. L’ARC souligne que ce transfert en 1998 aurait nécessité que la fiducie de conjoint déclare une disposition réputée ainsi que tout gain ou toute perte en capital. Toutefois, aucune déclaration de disposition n’a été enregistrée.

                    Certains nouveaux faits sont cependant apparus à ce moment. Par exemple, en faisant des recherches, l’ARC a découvert que le titre de possession légal de l’immeuble a été modifié en 2006 pour la succession de Newton D. Biles et Paul Biles. De plus, Paul Biles a déclaré à l’ARC que la modification de titre survenue en 1998 était pour éviter l’homologation du testament d’Evelyn Biles.

                    En définitive, l’ARC a conclu qu’il n’y avait pas eu disposition de l’immeuble de la fiducie de conjoint en 1998, mais que le transfert de titre survenu en 1998 se limitait à la part de 50 % détenue par Evelyn Biles et que [traduction] « ce transfert de la part de 50 % d’Evelyn Biles en 1998 constituait une stratégie utilisée par Mme Biles et ses bénéficiaires pour éviter d’avoir à payer la taxe d’homologation de l’Ontario ».

[49]           Ainsi, à mon avis, il n’y a pas eu d’entente de proposition en fonction de laquelle la demanderesse pourrait fonder sa plainte voulant que le ministre se soit soustrait à la proposition.

Même si une entente était survenue, celle-ci était sujette à la confirmation des faits et de sa légalité, conditions qui n’ont pas été remplies.

[50]           Dans la mesure où il y a eu une décision de ne pas poursuivre avec la proposition, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre refusant d’exécuter la proposition était raisonnable.

[51]           Considérant qu’il n’y a pas de fondement au contrôle judiciaire, les questions relatives à une ordonnance précise ne sont pas pertinentes.

IV.              Conclusion

[52]           Pour tous ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR rejette les demandes de contrôle judiciaire avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1970-14 et T-1373-15

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

SUCCESSION DE NEWTON D. BILES c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE :

Le 18 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Leigh Sommerville Taylor

 

Pour la demanderesse

 

Laurent Bartleman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Sommerville Taylor Professional Corporation

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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