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Date : 20170329


Dossier : IMM-3979-16

Référence : 2017 CF 328

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

KAMARIYA NDIKUMANA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’égard d'une décision [la Décision] rendue le 31 août 2016 par monsieur Lanthier, agent principal d’immigration [l’Agent], refusant à la demanderesse, madame Kamariya Ndikumana, un statut de résidente permanente pour motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[2]  Madame Ndikumana est une citoyenne du Burundi âgée de 68 ans.  En juin 2003, elle est arrivée au Canada. Peu après, madame Ndikumana a fait une demande pour obtenir le statut de réfugié, qui lui a été refusé en juillet 2004.  Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a également été refusée par la Cour fédérale.

[3]  Compte tenu d’une suspension temporaire des mesures de renvoi [STR] vers le Burundi qui existait à l’époque et qui fut en place jusqu’en 2009, madame Ndikumana est demeurée au Canada malgré le rejet de sa demande.  Madame Ndikumana a fait une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire [demande CH] en 2008, et compte tenu des mesures mises en place après la levée de la STR, madame Ndikumana a pu rester au pays en attendant l’issue de sa demande.  Une deuxième mesure suspendant les renvois vers le Burundi a été mise en place en décembre 2015, quand le gouvernement canadien a annoncé un sursis administratif aux renvois [SAR].  Ce SAR est toujours en vigueur aujourd’hui.

[4]  La demande CH de madame Ndikumana a été rejetée en 2011 et une seconde demande effectuée en 2012 a également été rejetée en 2013.  Une décision négative a aussi été rendue en 2013 dans le contexte de son examen des risques avant renvoi [ERAR].  Depuis, madame Ndikumana est restée au Canada sans statut.

[5]  En février 2016, madame Ndikumana a, pour la troisième fois, déposé une demande CH. Cette demande a été refusée par l’Agent le 31 août 2016.  C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.  L’Agent a conclu que madame Ndikumana n’a pas satisfait aux critères permettant l’octroi d’un statut de résident permanent pour motifs humanitaires, bien qu’il ait reconnu que madame Ndikumana habite au Canada depuis plus de 12 ans, et qu’elle se soit intégrée dans la société de plusieurs façons, notamment par son emploi et le bénévolat qu’elle fait dans la communauté.  Or, l’Agent a donné peu de poids à l’établissement dans son analyse, compte tenu du fait que son séjour au Canada est le résultat à la fois de circonstances hors de son contrôle et du choix qu’elle a fait de rester au Canada sans statut après la levée de la première STR en 2009, et après l’échec de sa demande d’ERAR.

[6]  Pour ce qui est des conditions défavorables dans le pays d’origine, l’Agent a conclu qu’il y a une importante crise sociopolitique au Burundi, mais que, comme le gouvernement canadien a mis en place un SAR en décembre 2015, elle n’y retournerait pas immédiatement.  Madame Ndikumana pourrait demeurer au Canada tant que le SAR reste en vigueur, et donc l’Agent n’a accordé que peu de poids aux difficultés auxquelles madame Ndikumana pourrait faire face.  L’agent a aussi identifié d’autres éléments qu’il a observés qui ne pouvaient pas supporter l’octroi de statut de résidente permanente, y compris les faits suivants:

  • Madame Ndikumana demeurera au Canada sans statut en attendant la levée du sursis, ce qui est quelque chose de normal, mais qu’elle pourrait cependant obtenir un permis de travail ;
  • Les femmes vivent de la violence et de la discrimination au Burundi, mais que comme madameNdikumana n’a pas fait d’allégations spécifiques à ce sujet, seul un certain poids serait accordé à cet élément ;
  • Les allégations de persécution faites par madame Ndikumana n’étaient pas crédibles et elle n’a pas su faire la preuve de ce qu’elle avançait.

[7]  L’Agent a conclu, en analysant tous les éléments du dossier, que madame Ndikumana n’avait pas réussi à démontrer la présence de considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’octroi du statut de résident permanent.  La demande CH a donc été rejetée.

II.  Analyse

[8]  Madame Ndikumana soulève les deux questions suivantes:

  1. L’équité procédurale : Y-a-t-il eu une violation de l’équité procédurale en concluant au manque de crédibilité sans donner l’occasion à madame Ndikumana de répondre à ces préoccupations au sujet de sa demande ?

  2. Des conclusions déraisonnables: L’agent a-t-il erré en tirant des conclusions déraisonnables et trop restrictives, eu égard à la preuve ?

[9]  Ces deux questions touchent respectivement les deux normes de contrôle, soit celle de la décision correcte, et celle de la décision raisonnable.  La première question d’équité procédurale s’analyse sous le critère de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79), où la Cour doit entreprendre sa propre analyse et peut la substituer au raisonnement du décideur, s’il s’avère que la Cour est en désaccord (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 50 [Dunsmuir]).

[10]  Or, la deuxième question, à savoir si l’Agent a erré dans les questions de fait et de droit dans son analyse de la demande CH, se révise sous la norme de contrôle de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 43-44 [Kanthasamy]).  En vertu du critère de la décision raisonnable, la question est de savoir si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au para 47).

1.   L’équité procédurale

[11]  Madame Ndikumana allègue qu’il y a eu une violation de l’équité procédurale en ne lui permettant pas de répondre aux questions de crédibilité soulevées par l’Agent.  Elle affirme que le défaut de lui accorder une entrevue est incompatible avec le droit de participation qu’exige l’obligation d’équité procédurale.

[12]  Cette question doit s’analyser sous l’angle de la décision correcte.  La Cour conclut que, contrairement à ce qu’affirme madame Ndikumana, l’Agent n’avait pas à la convoquer en entrevue, ou accorder « une participation valable au processus décisionnel », pour lui laisser l’occasion de défendre sa crédibilité.

[13]  Le contenu de l’obligation d’équité procédurale varie selon les circonstances de chaque affaire, et l’obligation d’équité sera respectée si une personne a eu l’occasion de présenter sa position pleinement et équitablement (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 189 au para 45 [Kisana]; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 21 et 30).

[14]  Dans le cas des demandes CH, il ne fait aucun doute qu’il incombe au demandeur de faire la preuve de ses allégations, et qu’à ce titre, « l’agent n’est pas tenu de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations » (Kisana au para 45).  La Cour d’appel a souligné, de plus, qu’un agent chargé de répondre à une demande CH n’a aucune obligation de demander plus d’information si la preuve n’est pas suffisamment convaincante (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 38 aux para 9-10).

[15]  Bref, dans le cadre d’une demande CH, il est bien établi qu’un demandeur n’a pas droit à une entrevue, et l’agent n’est pas obligé de lui donner la chance de répondre aux problèmes de crédibilité de sa demande (Azziz v Canada (Citizenship and Immigration), 2015 FC 850 aux para 19-21).  Je ne trouve donc aucune violation d’équité procédurale en l’espèce.

2.   Des conclusions déraisonnables ?

[16]  Madame Ndikumana allègue que la décision de l’Agent est déraisonnable eu égard à la preuve pour trois raisons.  Premièrement, elle critique le fait que l’Agent a accordé peu de poids aux conditions difficiles au Burundi, en invoquant le SAR vers ce pays.  Deuxièmement, elle affirme que de rester au Canada sans statut si sa demande était rejetée, compte tenu du SAR, lui poserait plusieurs contraintes, et de conclure autrement est déraisonnable.  Troisièmement, elle a présenté de la preuve à l’effet que les femmes sont victimes de discrimination et de violence au Burundi, et elle prétend qu’elle n’avait pas besoin de faire des allégations spécifiques ou personnelles à ce sujet.  Elle allègue, dans la même veine, que l’Agent n’a pas considéré tous les aspects de sa demande et ce, dans une manière trop restrictive et déraisonnable.

[17]  Tout d’abord, l’Agent a accordé peu de poids au fait qu’il existe des conditions difficiles au Burundi compte tenu du fait que, même en cas de refus, madame Ndikumana n’y retournerait pas compte tenu du SAR. Cette conclusion est raisonnable.  Les faits sont très similaires à la cause Nicolas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 903 [Nicolas], dans laquelle le juge Noël a conclu que la décision de refuser la demande CH au motif que la dame n’avait pas pu prouver les conditions défavorables en Haïti, malgré une STR en vigueur, était raisonnable (Nicolas au para 32).

[18]  Ce n’est donc pas parce qu’une STR (ou un SAR) est en vigueur qu’un agent est nécessairement obligé d’accorder une demande CH.  En effet, il est largement accepté que « dans le contexte d’une demande CH, l’existence d’une STR relativement à un pays particulier ne peut pas automatiquement mener à une issue précise, qu’elle soit favorable ou défavorable » (Likale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 43 au para 40 [Likale]; voir aussi Alcin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1242 au para 55).

[19]  En l’espèce, il ne serait pas déraisonnable de conclure que madame Ndikumana va continuer de bénéficier du SAR, et qu’elle n’aura donc pas à affronter les conditions actuelles au Burundi.

[20]  Dans la cause Likale, il a d’ailleurs été conclu que la décision de l’agente était raisonnable car le demandeur n’avait pas démontré que le retour dans son pays lui causerait des difficultés inhabituelles ou démesurées « une fois que la STR sera levée » (Likale au para 36).  La Cour a conclu qu’il était raisonnable de noter que « le demandeur peut continuer de bénéficier de [la] STR et de demeurer au Canada », et que cette analyse était conforme aux valeurs humanitaires (Likale au para 38).

[21]  La conclusion selon laquelle madame Ndikumana n’aura pas à souffrir des conditions actuelles au Burundi, considérant qu’une STR est actuellement en cours, est donc raisonnable.

[22]  Ensuite, concernant la question des problèmes liés au fait de devoir rester au Canada sans statut advenant un refus de la demande CH, les conclusions de l’agent sont encore une fois raisonnables.  Comme dans la cause Likale, la demanderesse n’a pas réussi à démontrer que le fait de rester au Canada sans statut pour une période indéterminée, compte tenu de la STR, lui causerait une difficulté inhabituelle, et une telle conclusion est donc raisonnable (Likale au para 13).

[23]  L’Agent a bel et bien analysé cet argument en ce qui concerne madame Ndikumana.  Il a conclu que, bien que le fait de demeurer au Canada sans statut puisse causer des inconvénients, c’est une conséquence normale d’avoir décidé de rester au Canada sans statut (au moins pendant les années entre la levée de la STR en 2009, et du SAR en 2015).  La conclusion de l’Agent possède donc tout à fait les attributs du caractère raisonnable.

[24]  Finalement, la conclusion de l’Agent concernant la violence et la discrimination contre les femmes au Burundi est également raisonnable.  Madame Ndikumana affirme que, puisqu’elle est une femme et puisque l’Agent reconnait que les femmes vivent des difficultés au Burundi, il est déraisonnable de soulever le fait qu’elle n’a pas avancé d’allégations spécifiques à ce sujet. Madame Ndikumana se fonde sur la décision Kanthasamy pour appuyer ses dires, qui stipule que « la discrimination peut être inférée lorsqu’un demandeur établit qu’il appartient à un groupe qui est victime de discrimination » (Kanthasamy au para 53).

[25]  Contrairement à ce qu’affirme madame Ndikumana, je ne suis pas d’avis que l’Agent a erré sur ce point.  En vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, un demandeur doit démontrer l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées (Kanthasamy au para 26). Dans le cadre de son analyse, le décideur a soupesé toutes les considérations humanitaires pertinentes, incluant le fait que les femmes vivent des conditions difficiles au Burundi. C’est donc à bon droit que le décideur a traité des conditions difficiles pour les femmes au Burundi, tout en mentionnant que madame Ndikumana n’avait pas mentionné de risque personnalisé.  Le fait que madame Ndikumana n’ait pas fait mention d’un risque personnalisé n’est donc pas une erreur, surtout considérant que l’Agent a bel et bien analysé le risque général des femmes au Burundi.

[26]  Deuxièmement, madame Ndikumana conteste la décision de l’Agent, car elle affirme qu’il a analysé sa demande et les circonstances invoquées de façon trop restrictive, exigeant que les difficultés soient inhabituelles, injustifiées et démesurées.  La Cour n’est cependant pas d’accord avec elle sur ce point.

[27]  Il est à mentionner que ce n’est pas le rôle de cette Cour d’apprécier de nouveau les différents éléments de preuve ou l’importance relative donnée par le décideur aux différents facteurs (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113 au para 99). Aussi longtemps que la décision fait partie des issues possibles et acceptables dans les circonstances, un décideur doit se garder de substituer sa propre opinion à celle d’un agent (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 17).

[28]  En affirmant que l’Agent a appliqué un seuil trop élevé aux différents critères, madame Ndikumana demande en fait à la Cour de peser à nouveau les différents facteurs analysés par l’Agent, ce que la Cour doit pourtant bien se garder de faire. Tant que la décision est transparente, intelligible et qu’appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, une Cour doit se garder d’intervenir (Dunsmuir au para 47).  C’est le cas ici, et il n’y a donc pas d’erreur sur ce point.

III.  Conclusion

[29]  Conséquemment, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3979-16

 

INTITULÉ :

KAMARIYA NDIKUMANA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Carl Alphonse

 

Pour le demandeur

 

Me Laoura Christodoulides

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Carl Alphonse

Avocat(e)

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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