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Date : 20170220


Dossier : IMM-3086-16

Référence : 2017 CF 200

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

KARINA RIOS MATA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’immigration (l’agent) ordonnant l’exclusion de la demanderesse du Canada aux termes du sous-alinéa 228(1)c)(iii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) parce qu’elle n’a pas prouvé qu’elle détenait les visa et autres documents exigés au paragraphe 20(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[2]  La demanderesse, une citoyenne des États-Unis, conteste le caractère raisonnable de la mesure d’exclusion et soutient que l’agent des visas a commis une erreur dans son évaluation de sa double intention (qui l’autoriserait par ailleurs à obtenir la résidence temporaire au Canada). La demanderesse conteste également la conclusion de l’agent selon laquelle elle a des liens limités avec son pays de résidence déclaré. Le défendeur, dans sa réponse, affirme que la demanderesse, bien qu’elle puisse s’estimer fondée à contester la conclusion ou l’analyse de l’agent, n’a cependant pas démontré le caractère déraisonnable de la mesure d’exclusion.

[3]  C’est au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) qu’il appartient de délivrer et de faire exécuter les mesures de renvoi et d’exclusion. Comme la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse vise en l’espèce une mesure d’exclusion, la Cour a ordonné à l’audience que le ministre remplace le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre d’unique défendeur dans le cadre de la présente instance.

[4]  Depuis le 1er août 2016, la demanderesse est mariée à un résident de Montréal (fiancé) qu’elle a rencontré en janvier 2015. Le 13 juillet 2016, la demanderesse s’est présentée au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle et a dû se soumettre à un interrogatoire secondaire. Elle a été interrogée par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui a voulu savoir le but de sa visite au Canada. L’agent a ensuite contacté le fiancé de la demanderesse afin de confirmer tous les renseignements pertinents.

[5]  À la conclusion de son enquête, l’agent a pris une mesure d’exclusion à l’endroit de la demanderesse au motif qu’elle n’était pas une visiteuse de bonne foi et qu’elle cherchait à être admise au Canada afin d’obtenir le statut de résidente permanente et de vivre avec son fiancé, ce qui est contraire à la Loi et au Règlement.

[6]  La Cour a déjà reconnu qu’une telle mesure d’exclusion constitue une décision administrative prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Cela étant, il faut traiter cette décision avec la plus grande retenue au vu de l’expertise et de l’expérience de l’agent des visas en la matière (Ouedraogo c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 810, [2016] ACF no 803, aux paragraphes 21 à 23, citant l’affaire Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 RCF 409, aux paragraphes 18 à 22, 33 et 38). Essentiellement, la demanderesse conteste le bien-fondé de la décision de l’agent. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable (Sibomana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 853, [2012] ACF no 950, au paragraphe 18; Barua c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 172, [2015] ACF no 152, au paragraphe 15).

[7]  La demanderesse soutient que les personnes comme elle peuvent entrer au Canada à titre de résidents temporaires, puis demander le statut de résident permanent. Elle fait également valoir que ses séjours passés au Canada témoignent d’antécédents positifs au regard du respect des règles d’immigration. Cela démontre selon elle qu’elle fait preuve de bonne foi dans sa double intention, laquelle est autorisée par la Loi. Par conséquent, la décision de l’agent est déraisonnable. De son côté, le défendeur soutient que l’agent des visas n’a pas tiré une conclusion déraisonnable à l’issue de son évaluation de la double intention alléguée de la demanderesse. Par ailleurs, la preuve versée au dossier tend fortement à démontrer que l’unique intention de la demanderesse, lorsqu’elle a apparemment tenté d’entrer au pays au poste frontalier le 13 juillet 2016, était de rester au Canada (Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 619, [2009] ACF no 796, au paragraphe 14). Il était du ressort du représentant du ministre de rendre une décision en se fondant sur les éléments de preuve qu’il estimait correspondre le plus à la réalité et de privilégier ces éléments au détriment des diverses explications de la demanderesse (Solopova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690, [2016] ACF no 662, au paragraphe 25 [Solopova]). Cela étant, il était raisonnable de la part de l’agent d’accorder plus d’importance à tous les facteurs énumérés dans son rapport.

[8]  Il semble, d’après ses antécédents de voyage dans le Système intégré d’exécution des douanes (SIED) (dossier certifié du tribunal à la page 27), que la demanderesse était déjà venue au Canada en la qualité de visiteuse détentrice d’un passeport valide des États-Unis en 2014, 2015 et 2016. Elle n’a jamais eu de visa de résidence temporaire valide. J’ai examiné avec soin l’affidavit de la demanderesse et n’ai vu aucune indication dans le dossier permettant de conclure qu’elle avait explicitement mentionné à l’agent qu’elle devait se marier le 1er août 2016 en Californie et qu’elle y avait de la famille. Par conséquent, toute preuve extrinsèque présentée par la demanderesse dans son affidavit à ce sujet doit être exclue. Quoi qu’il en soit, même si je partais du principe que ces nouveaux faits avaient été mentionnés à l’agent, j’arrive tout de même à la conclusion que la mesure d’exclusion était raisonnable en l’espèce.

[9]  Tout d’abord, le paragraphe 11(1) de la Loi accorde à l’agent d’immigration le pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa à l’étranger qui n’est pas interdit de territoire et qui se conforme à la Loi et au Règlement. De plus, l’alinéa 20(1)b) de la Loi indique que l’étranger qui cherche à entrer au Canada est tenu de prouver, pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par la Loi et le Règlement, mais, plus important encore, qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Une fois qu’il aura apporté la preuve de tous ces éléments, l’agent délivrera un visa de résident temporaire à l’étranger, sous réserve qu’il respecte l’ensemble des exigences énoncées à l’article 179 de la Loi. Si l’étranger est déclaré interdit de territoire au titre de l’article 41 de la Loi, l’agent peut prendre une mesure d’exclusion ou une mesure de renvoi, conformément au sous‑alinéa 228(1)c)(iii) du Règlement et à l’alinéa 20(1)a) de la Loi.

[10]  Ensuite, le paragraphe 22(2) de la Loi énonce clairement que l’intention que l’étranger a de s’établir au Canada ne l’empêche pas de devenir résident temporaire si l’agent se voit présenter la preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. C’est de cette disposition qu’il est question lorsque l’on parle de « double intention » dans la jurisprudence, et c’est ce principe qu’invoque la demanderesse pour demander le contrôle judiciaire. De fait, il est généralement admis par la Cour qu’une personne « peut avoir la double intention d’immigrer et de respecter les règles de droit applicables au sujet du séjour temporaire » (Kachmazov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 53, [2009] ACF no 88, au paragraphe 15, citant Bondoc c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 842, [2008] ACF no 1063, au paragraphe 28).

[11]  En l’espèce, je suis d’avis que l’agent a tenu compte de la double intention de la demanderesse, même s’il ne l’a pas mentionné explicitement dans son rapport. Bien que la demanderesse fasse valoir qu’elle aurait fini par quitter le pays pour son mariage, les éléments de preuve versés au dossier étaient suffisants pour inciter l’agent à croire qu’elle aurait outrepassé sa période de séjour autorisée. Dans l’affaire qui nous occupe, l’agent a de toute évidence tenu compte de plusieurs facteurs dans la déclaration de la demanderesse, notamment le fait qu’elle a peu, voire pas, de liens avec son pays de résidence déclaré, les États-Unis. En effet, la demanderesse n’exerce aucun emploi depuis janvier 2016 et n’a aucun domicile ou lieu de résidence dans l’État de Géorgie, où elle vivait avant. Qui plus est, la demanderesse dispose de peu de moyens pour subvenir à ses besoins et ceux-ci lui proviennent essentiellement de son fiancé. Lors de son interrogatoire, la demanderesse a révélé qu’elle avait vendu son véhicule et que les quelques biens qu’elle a laissés en Géorgie sont entreposés chez un ami. Elle a ajouté que son fiancé vit à Montréal à leur adresse commune et qu’elle était impatiente de vivre avec lui. La preuve révèle également que la demanderesse n’a pas vécu en Géorgie en 2016 puisqu’elle a passé six mois au Canada et le reste de l’année au Mexique. Enfin, la demanderesse n’avait aucun billet pour retourner aux États-Unis, ce qui a poussé l’agent à conclure qu’elle n’avait aucune raison impérieuse d’y retourner et que son intention était plutôt de demeurer au Canada avec son fiancé. L’agent a également pris en considération les déclarations de son fiancé, qui a confirmé que la demanderesse vivait à Montréal avec lui et qu’elle n’avait à l’heure actuelle aucune adresse fixe ni aucun emploi aux États-Unis. Son fiancé a également affirmé que la demanderesse avait l’intention de rester au Canada avec lui et qu’elle ne retournait aux États-Unis que pour de courtes visites à sa famille.

[12]  La demanderesse a admis avoir peu de liens avec l’État de Géorgie à l’heure actuelle, mais a assuré qu’elle entretient des liens serrés avec les membres de sa famille en Californie, où elle vit en ce moment. D’ailleurs, elle et son fiancé ont décidé de se marier en Californie afin, justement, que des membres de sa famille proche puissent y assister. La demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur quand il a tiré une conclusion défavorable du fait qu’elle n’exerce aucun emploi ni n’a de résidence fixe en Géorgie et estime qu’il n’a pas tenu compte du fait qu’elle a vécu une période de transition avant son mariage. Le défendeur rétorque que la demanderesse ne cherche qu’à embellir la preuve qu’elle avait présentée en offrant des explications ex post facto qui n’avaient pas été présentées à l’agent ou en réitérant les explications ayant été rejetées par ce dernier. De fait, la demanderesse a demandé à la Cour de substituer son opinion à celle de l’agent en alléguant que des conclusions différentes peuvent être tirées de la preuve qui ne figurait pas dans le dossier.

[13]  Je suis d’accord avec le défendeur. Il était raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse avait fourni une preuve insuffisante de liens avec son pays de résidence qui la motiveraient à quitter le Canada au moment où elle serait tenue de le faire. Ce que cherche à accomplir la demanderesse, en somme, est de proposer d’autres explications pour justifier les conclusions de l’agent. De plus, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve au dossier et de substituer ses propres conclusions à celles des agents des visas (Solopava, au paragraphe 33, citant Babu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 690, [2013] ACF no 744, aux paragraphes 20 et 21). Dans la mesure où la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour n’interviendra pas dans la décision de l’agent. C’est manifestement le cas en l’espèce.

[14]  Pour les motifs énumérés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les conseils n’ont proposé aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3086-16

 

INTITULÉ :

KARINA RIOS MATA c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Ingrid E. Mazzola

 

Pour la demanderesse

Evan Liosis

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochefort & Associés

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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