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Date : 20170214


Dossier : IMM-1352-16

Référence : 2017 CF 182

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

FUAD MUNGWANA ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Fuad Mungwana Ali (le demandeur), aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision rendue par un agent d’immigration, en date du 8 mars 2016, par laquelle il a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir le statut de résident permanent en qualité de réfugié (personne protégée), en application des alinéas 34(1)f) et c) de la LIPR (la décision). L’autorisation a été accordée le 22 août 2016. Une requête déposée au titre de l’article 87 a été examinée dans une ordonnance du juge Noël datée du 10 novembre 2016; les renseignements caviardés se trouvent dans le dossier certifié du tribunal (DCT).

II.  Exposé des faits

A.  Historique de la procédure

[2]  Un bref résumé des antécédents du demandeur avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) permettra de comprendre le fondement de la question dont est actuellement saisie la Cour. Le demandeur est arrivé au Canada en 1998 et a présenté sa demande d’asile peu après; il s’est vu conférer la qualité de réfugié au sens de la Convention en novembre 1999. Il a présenté sa demande de résidence permanente en qualité de personne protégée en mai 2000 et a franchi avec succès la première étape du processus, mais des préoccupations en matière de sécurité ont entraîné un retard dans la deuxième étape du processus.

[3]  En mai 2002, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a fait parvenir au directeur de la Division de l’examen sécuritaire, Direction générale du règlement des cas de CIC, un rapport confidentiel contenant des renseignements au sujet du Parti islamique du Kenya (IPK) et des liens du demandeur avec l’IPK. L’on affirmait dans ce rapport que le demandeur était membre de l’IPK, une organisation terroriste. Le demandeur a été reçu en entrevue en 2001, en 2004, en décembre 2006 et de nouveau en mai 2009.

[4]  Le dossier, y compris le rapport du SCRS de 2002, a été examiné en 2007 par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) (remarque : il ne s’agit pas d’un agent de CIC), lequel a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour appliquer l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Le dossier a été renvoyé à CIC afin que le traitement de la demande de résidence permanente du demandeur se poursuive.

[5]  En décembre 2008, le service des renseignements en matière d’immigration de CIC a établi que les éléments de preuve étaient suffisants pour déclarer le demandeur interdit de territoire. Cette conclusion suivait la réception par l’ASFC d’un deuxième rapport confidentiel du SCRS daté du 10 novembre 2008, dans lequel l’on indiquait encore une fois que le demandeur était membre d’une organisation terroriste, soit l’IPK. À son tour, l’ASFC a mené une analyse et en est arrivée à la même conclusion : le demandeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. L’ASFC en a avisé CIC dans une lettre datée du 18 décembre 2008. L’ASFC a fait parvenir à CIC les deux rapports de 2002 et de 2008 en même temps que cette lettre.

[6]  Le demandeur a de nouveau été reçu en entrevue en mai 2009. Avant cette entrevue, il a reçu une lettre de CIC datée du 13 mai 2009, l’informant que l’objectif de l’entrevue était de discuter de préoccupations concernant son interdiction de territoire en raison de son appartenance à l’IPK. Le 18 juin 2009, CIC a terminé son examen de sécurité et a jugé que le demandeur était interdit de territoire aux termes des alinéas 34(1)f) et c) de la LIPR, estimant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’IPK est un groupe qui s’est livré, se livre ou se livrera à des actes de terrorisme, au sens de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR, qui donne au terme « terrorisme » la définition énoncée par la Cour suprême du Canada au paragraphe 98 de l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 [Suresh]. CIC a conclu que le demandeur avait été membre de l’IPK. L’on indiquait également dans la décision que le demandeur avait aussi demandé une dispense ministérielle.

[7]  Dans une lettre datée du 18 juin 2009, CIC a invité le demandeur à présenter des observations en vue d’obtenir une dispense ministérielle, aux termes de ce qui était à l’époque le paragraphe 34(2) de la LIPR. CIC a informé le demandeur que toute dispense ministérielle découlerait des alinéas 34(1)f) et c) de la LIPR, c.-à-d. des dispositions relatives à l’appartenance à une organisation terroriste. Le demandeur a accusé réception de cette lettre et a répondu en présentant ses arguments.

[8]  CIC a par la suite avisé le demandeur de sa décision du 18 juin 2009 dans une lettre datée du 27 avril 2010, qui l’informait qu’il avait été déclaré interdit de territoire en raison de son appartenance à une organisation terroriste, aux termes des alinéas 34(1)f) et c) de la LIPR. Le demandeur a demandé l’aide de son député, et CIC a fait parvenir la lettre datée du 27 avril 2010 au député. Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision du 18 juin 2009, et il n’a pas non plus demandé à consulter une copie des motifs de CIC et des documents à l’appui.

[9]  Sans doute parce que la LIPR a été modifiée en 2013, CIC a une fois de plus examiné le dossier. À cet égard, CIC a envoyé au demandeur une lettre relative à l’équité procédurale en janvier 2016. La demande de dispense ministérielle présentée par le demandeur était toujours en instance à ce moment. La lettre relative à l’équité procédurale l’avisait de sa possible interdiction de territoire. On pouvait y lire : [traduction] « Les renseignements disponibles laissent croire que CIC pourrait devoir rejeter votre demande de résidence permanente puisqu’il semble que vous pourriez être interdit de territoire aux termes du paragraphe 34(1) » de la LIPR. La lettre l’informait aussi que [traduction] « au Canada, l’IPK est jugé comme une organisation ayant commis des actes de terrorisme, et certains membres pourraient être jugés interdits de territoire au Canada ».

[10]  La lettre relative à l’équité procédurale invitait le demandeur à présenter des observations modifiées. Il l’a fait, une fois de plus.

B.  Résumé des faits

[11]  Le demandeur est un citoyen musulman du Kenya âgé de 55 ans. Le demandeur s’est joint à titre de membre actif à l’aile jeunesse du parti Kenyan African National Union (KANU) à Mombasa, alors qu’il était au secondaire. En 1978, Daniel Arap Moi (Moi) a pris les rênes du KANU, qui s’est transformé, aux dires du demandeur, en un gouvernement de plus en plus répressif, corrompu et antimusulman. Le demandeur a quitté l’aile jeunesse du KANU et est demeuré à l’écart de la politique.

[12]  Toutefois, le demandeur a été l’un des premiers à joindre les rangs de l’IPK lors de sa création en janvier 1992. Il déclare ce qui suit : [traduction] « J’ai été l’une des premières personnes à joindre le parti après sa création par Khalid Balala (Balala) ». Les éléments de preuve dont disposait l’agent de CIC indiquaient que Balala était au départ le [traduction] « chef non couronné et porte-parole » de l’IPK. Balala est plus tard devenu le chef officiel de l’IPK, avant d’être renvoyé du parti à la fin de l’été ou à l’automne 1994.

[13]  Le demandeur a admis librement et à plusieurs reprises son appartenance à l’IPK; par exemple, il s’est décrit à maintes reprises comme un [traduction] « activiste » au sein de l’IPK dans ses demandes écrites de résidence permanente datées de novembre 1999, de juillet 2007 et de janvier 2008.

[14]  L’IPK est décrit comme un parti [traduction] « fondamentaliste » dont l’objectif était d’exprimer les revendications des musulmans de la province côtière du Kenya. Le président Moi a interdit le parti en juillet 1992 en raison de sa nature religieuse. Selon le demandeur, l’IPK [traduction] « n’a jamais visé la violence », [traduction] « personne n’était armé » et [traduction] « ils utilisaient des pierres pour se protéger ». En dépit de la violence dirigée contre le parti, le demandeur soutient que [traduction] « l’IPK est demeuré concentré sur son objectif et dénonçait le fait de combattre la violence par la violence ».

[15]  En 1995, la Criminal Investigation Division (CID) du Kenya a prévenu le demandeur qu’il était sous surveillance. En avril 1998, le demandeur affirme avoir été forcé de monter dans une voiture par des hommes de la CID; il a été battu jusqu’à en perdre conscience, interrogé, torturé, puis gardé captif. Le demandeur s’est échappé et est arrivé au Canada plus tard cette année-là avec l’aide d’un passeur de clandestins. Il a présenté sa demande d’asile en se fondant sur ces événements, et sa demande a été accueillie.

III.  Décision

[16]  Le 8 mars 2016, un agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur à titre de personne protégée, estimant que le demandeur était interdit de territoire aux termes des alinéas 34(1)f) et c) de la LIPR, parce qu’il a été membre d’une organisation à propos de laquelle l’agent avait des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme. L’agent a souligné au début de la décision que le Canada considérait l’IPK comme [traduction] « une organisation ayant commis des actes de terrorisme ». L’agent a souligné plus tard dans la décision que le gouverneur en conseil n’avait pas classé l’IPK comme étant une entité terroriste, et qu’il ne figure pas non plus sur les listes des entités terroristes des ministères de l’intérieur des États-Unis et du Royaume-Uni, ou de la sécurité intérieure de l’Australie.

[17]  Puisque le demandeur n’a pas nié son appartenance à l’IPK, la seule question que devait trancher l’agent était de savoir s’il avait des motifs raisonnables de croire que l’IPK se livre, s’est livré ou se livrera à des actes de terrorisme aux termes de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR.

[18]  L’agent a abondamment cité plusieurs rapports, articles de presse et sites Web accessibles au public, qui [traduction] « indiqueraient que l’IPK s’est livré à des activités terroristes ». L’agent a finalement conclu qu’il avait des motifs raisonnables de croire que l’IPK se livre, s’est livré ou se livrera à des activités terroristes :

[traduction]

Les résultats de ma recherche, corroborés par des renseignements tirés de nombreux rapports présentés par le demandeur, ainsi que par des renseignements au dossier, démontrent que l’IPK a participé à des incidents motivés par des raisons politiques comme des grèves générales à Mombasa et des affrontements violents avec les forces de sécurité et d’autres entités politiques. Le demandeur a aussi reconnu que l’IPK était l’instigateur d’agitations ouvrières suivies de manifestations de masse. Les renseignements au dossier indiquent que le Cheikh Balala avait aussi manifesté publiquement la volonté d’atteindre ses objectifs par des moyens violents, comme des attentats-suicides à la bombe contre des opposants politiques ou le recours à une armée privée pour renverser le régime de Moi. Même s’il est clair que le gouvernement de Moi était également responsable d’une bonne partie des actes de violence perpétrés à l’époque, l’IPK, sous la direction du Cheikh Balala, a aussi eu son rôle à jouer. Les incidents violents, incluant des émeutes, la destruction de biens, notamment le recours à des bombes Molotov contre des ennemis de l’IPK, et les menaces de violence proférées par le Cheikh Balala m’amènent à croire, pour des motifs raisonnables, que l’IPK est une organisation qui s’est livrée, se livre et se livrera à des actes terroristes. Je conclus par conséquent qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f), étant membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme.

CONCLUSION

Par conséquent, je suis convaincu que Fuadi Mungwana Ali est interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, étant membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme, au sens de l’alinéa 34(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[Non souligné dans l’original.]

[19]  C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

IV.  Questions en litige

[20]  La présente affaire soulève les questions suivantes :

  • 1) L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques, notamment des documents d’admissibilité de 2007 et 2009, sans aviser le demandeur de ces décisions ni lui fournir l’occasion de répondre?

  • 2) L’agent a-t-il utilisé la mauvaise définition du terme « terrorisme », à la lumière de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Suresh?

  • 3) La conclusion de l’agent, selon laquelle il avait des motifs raisonnables de croire que l’IPK est un groupe qui se livre, s’est livré ou se livrera à des actes de terrorisme, au sens de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR, est-elle déraisonnable?

V.  Norme de contrôle et cadre législatif

[21]  La Cour suprême du Canada a conclu dans l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114, que l’existence de « motifs raisonnables [de penser] » exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités :

La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile [références omises]. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi.

[22]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi, aux paragraphes 57 et 62, qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Les décisions en matière d’interdiction de territoire rendues en application du paragraphe 34(1) de la LIPR sont examinées en fonction de la norme de la décision raisonnable : Nassereddine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85, la juge Strickland; Najafi c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2014 CAF 262, au paragraphe 56, conf. 2013 CF 876. Les conclusions sur le caractère terroriste d’une organisation ou l’appartenance d’une personne à une organisation terroriste sont susceptibles de révision suivant la norme de la décision raisonnable : Mirmahaleh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1085, au paragraphe 15, le juge Gascon.

[23]  La décision Gazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 94, établit les précédents applicables :

[19]  En outre, je tiens également à préciser dès le départ que les agents d’immigration supérieurs possèdent un degré d’expertise reconnue dans ces affaires : Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 623, au paragraphe 21 [Gutierrez] :

[21]  La Cour d’appel fédérale a déjà jugé que la question de savoir si une personne est « membre » d’une organisation visée par l’alinéa 34(1)f) de la LIPR est une question mixte de droit et de fait susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Poshteh, précité. Il en va de même lorsqu’il s’agit plutôt de déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire que les organisations en question se sont livrées, se livrent ou se livreront à des actes de terrorisme. En fait, ces deux aspects sont intimement liées [sic] et soulèvent tous deux des questions mixtes de droit et de fait sur lesquelles les agents d’immigration ont une certaine expertise, comme l’a également reconnu notre Cour à plusieurs occasions : voir, entre autres, Jalil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 246 aux paras 19-20, [2006] 4 RCF 471 [Jalil]; Daud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 701 au para 6, (disponible sur CanLII) [Daud]; Omer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 478 aux para 8-9, 157 ACWS (3d) 601.

[Non souligné dans l’original.]

[20]  Qui plus est, la Cour d’appel fédérale a affirmé au sujet de l’alinéa 34(1)b) de la LIPR qu’il existe une présomption selon laquelle il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation que la Section d’appel de l’immigration fait de sa propre loi constitutive : Najafi (CAF), précité, au paragraphe 56. Je ne vois pas pourquoi un agent supérieur d’immigration agissant en vertu de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR ne devrait pas jouir de l’avantage de la même présomption de retenue, et j’en conclus ainsi.

[21]  La Cour, dans Gutierrez, a examiné la norme de contrôle en ce qui concerne la norme de preuve en vertu de l’alinéa 34(1)f) :

[22]  D’autre part, il convient de rappeler que la norme de preuve que doit appliquer l’agent d’immigration dans le contexte des articles 34 à 37 de la LIPR est celle des « motifs raisonnables de croire » que les faits mentionnés à ces articles sont survenus, surviennent ou peuvent survenir (LIPR, art 33). Il est bien établi que cette norme exige davantage qu’un simple soupçon, mais n’équivaut pas à la prépondérance des probabilités exigée en matière civile : Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au para 114, [2005] 2 RCS 100; Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 au para 39, [2007] 1 RCS 350.

Par conséquent, le rôle de cette Cour lorsqu’elle est appelée à réviser la décision d’un agent d’immigration prononçant l’interdiction de territoire n’est pas de déterminer s’il y avait bel et bien des motifs raisonnables de croire que l’individu visé s’est livré ou a été membre d’une organisation qui s’est livrée aux actes qu’on lui reproche, mais bien plutôt de se demander si la conclusion de l’agent selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire peut elle-même être considérée comme raisonnable.

[24]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[25]  Le demandeur soutient que la définition que l’agent attribue au terme « terrorisme » est une question de droit susceptible de révision suivant la norme de la décision correcte : Harkat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 122, au paragraphe 55, conf. en partie par 2014 CSC 37. Les questions d’équité procédurale sont également assujetties à la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43. Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[26]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34). De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable (Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62).

VI.  Dispositions pertinentes

[27]  L’article 33 et le paragraphe 34(1) de la LIPR prévoient ce qui suit :

marginale : Interprétation

Rules of interpretation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

Sécurité

Security

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

[28]  Le paragraphe 83.01(1) du Code criminel du Canada, LRC 1985, c C-46 (Code criminel) traite de l’activité terroriste dans les termes suivants :

Définitions

Definitions

83.01 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

83.01 (1) The following definitions apply in this Part.

activité terroriste

terrorist activity means

b) soit un acte — action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger :

(b) an act or omission, in or outside Canada,

(i) d’une part, commis à la fois :

(i) that is committed

(A) au nom — exclusivement ou non — d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique,

(A) in whole or in part for a political, religious or ideological purpose, objective or cause, and

(B) en vue — exclusivement ou non — d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir, que la personne, la population, le gouvernement ou l’organisation soit ou non au Canada,

(B) in whole or in part with the intention of intimidating the public, or a segment of the public, with regard to its security, including its economic security, or compelling a person, a government or a domestic or an international organization to do or to refrain from doing any act, whether the public or the person, government or organization is inside or outside Canada, and

(ii) d’autre part, qui intentionnellement, selon le cas :

(ii) that intentionally

(A) cause des blessures graves à une personne ou la mort de celle-ci, par l’usage de la violence,

(A) causes death or serious bodily harm to a person by the use of violence,

(B) met en danger la vie d’une personne,

(B) endangers a person’s life,

(C) compromet gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population,

(C) causes a serious risk to the health or safety of the public or any segment of the public,

(D) cause des dommages matériels considérables, que les biens visés soient publics ou privés, dans des circonstances telles qu’il est probable que l’une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C) en résultera,

(D) causes substantial property damage, whether to public or private property, if causing such damage is likely to result in the conduct or harm referred to in any of clauses (A) to (C), or

(E) perturbe gravement ou paralyse des services, installations ou systèmes essentiels, publics ou privés, sauf dans le cadre de revendications, de protestations ou de manifestations d’un désaccord ou d’un arrêt de travail qui n’ont pas pour but de provoquer l’une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C).

(E) causes serious interference with or serious disruption of an essential service, facility or system, whether public or private, other than as a result of advocacy, protest, dissent or stoppage of work that is not intended to result in the conduct or harm referred to in any of clauses (A) to (C),

Sont visés par la présente définition, relativement à un tel acte, le complot, la tentative, la menace, la complicité après le fait et l’encouragement à la perpétration; il est entendu que sont exclus de la présente définition l’acte — action ou omission — commis au cours d’un conflit armé et conforme, au moment et au lieu de la perpétration, au droit international coutumier ou au droit international conventionnel applicable au conflit ainsi que les activités menées par les forces armées d’un État dans l’exercice de leurs fonctions officielles, dans la mesure où ces activités sont régies par d’autres règles de droit international. (terrorist activity)

and includes a conspiracy, attempt or threat to commit any such act or omission, or being an accessory after the fact or counselling in relation to any such act or omission, but, for greater certainty, does not include an act or omission that is committed during an armed conflict and that, at the time and in the place of its commission, is in accordance with customary international law or conventional international law applicable to the conflict, or the activities undertaken by military forces of a state in the exercise of their official duties, to the extent that those activities are governed by other rules of international law. (activité terroriste)

VII.  Discussion

A.  Équité procédurale

[29]  Avec respect, et nonobstant les observations de l’avocat, je ne suis pas convaincu que le demandeur a été privé de son droit à l’équité procédurale.

[30]  D’abord, on lui a transmis le DCT intégral dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Il contient le rapport de l’examen mené en 2007 par l’ASFC concernant la possibilité de lancer une procédure au titre du paragraphe 34(1), et aussi la décision de CIC rendue en 2009 selon laquelle le demandeur était interdit de territoire pour les raisons visées aux alinéas 34(1)f) et 34(1)c) de la LIPR, à laquelle était jointes des copies caviardées des rapports de 2002 et de 2008 du SCRS. L’existence même du dossier confirme que, si le demandeur avait demandé le contrôle judiciaire de la décision de 2009 ou demandé son dossier, il aurait reçu les documents sous-jacents, y compris les deux rapports caviardés du SCRS ainsi que le rapport de l’ASFC de 2007.

[31]  Je tiens aussi à souligner que le rapport de l’ASFC de 2007 ne constituait pas une conclusion sur l’admissibilité du demandeur, puisque seul un agent de CIC peut tirer ce genre de conclusions. Le document de l’ASFC est plutôt un dossier interne portant sur l’examen mené par l’ASFC concernant la possibilité de lancer ou non une procédure avec CIC au titre du paragraphe 34(1). L’ASFC a jugé qu’une telle procédure ne serait pas lancée, puisque les éléments de preuve étaient insuffisants à ce moment.

[32]  Je conclus que le demandeur connaissait la décision d’interdiction de territoire rendue par CIC le 18 juin 2009. D’abord, le dossier contient une copie de la lettre de CIC datée du 27 avril 2010 qui lui est adressée, pour l’informer précisément qu’il était interdit de territoire pour les raisons visées aux alinéas 34(1)f) et 34(1)c) de la LIPR. Ensuite, le dossier montre qu’il a par la suite demandé à son député, le regretté Jack Layton, d’obtenir des renseignements relatifs à son dossier, et que CIC a envoyé à M. Layton une copie de la lettre datée du 27 avril 2010, qui, je présume, a ensuite été acheminée au demandeur selon l’usage normal. Enfin, il convient de souligner que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve indiquant qu’il n’avait pas reçu la lettre datée du 27 avril 2010. Autrement dit, la meilleure preuve pour établir s’il avait ou non reçu la décision de 2009 – sa propre preuve – est absente en l’espèce.

[33]  L’on ne sait pas avec certitude si le demandeur a reçu une copie des motifs de la décision d’interdiction de territoire de CIC datés de juin 2009; l’avocat du ministre a indiqué qu’ils ne lui ont pas été envoyés. Cela dit, il n’a pas demandé à les voir lorsqu’il a pris connaissance de la décision en 2010, et n’a pas non plus demandé à les voir à aucun moment depuis. Il n’a pas non plus sollicité de contrôle judiciaire. Il semble plutôt que le demandeur a accepté la décision d’interdiction de territoire de CIC et a concentré ses efforts en vue d’obtenir une dispense ministérielle. Il lui était certes loisible de choisir cette option.

[34]  La question qui reste, puisqu’il ne fait aucun doute qu’il a accepté la décision d’interdiction de territoire, est de savoir si le demandeur peut désormais invoquer un manquement à l’équité procédurale, sept ans plus tard, parce qu’on ne lui aurait pas fourni les renseignements qu’il aurait pu demander en 2010, ce qu’il n’a pas fait, concernant une décision qu’il aurait pu contester en présentant une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, ce qu’il n’a pas fait.

[35]  La décision de 2009 ne peut faire l’objet d’une contestation incidente dans le cadre de la présente procédure.

[36]  Dans les circonstances, je suis d’avis qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. Le demandeur n’aurait pas été autorisé à consulter le reste du dossier de l’agent concernant la décision d’interdiction de territoire de 2009, sauf s’il en avait fait la demande, ce qu’il n’a pas fait, ou s’il avait demandé un contrôle judiciaire, auquel cas le DCT lui aurait été envoyé de plein droit. Il n’a pas demandé non plus de contrôle judiciaire. CIC n’est pas tenu d’envoyer les renseignements équivalents à un DCT aux personnes au sujet desquelles des décisions sont rendues. Par conséquent, à moins d’avoir demandé son dossier complet, ou d’avoir contesté la décision d’interdiction de territoire de juin 2009, il n’aurait pas vu les documents du SCRS et de l’ASFC qu’il aurait dû recevoir, selon ce qu’il affirme maintenant. L’inverse est également vrai : il n’a pas reçu les documents du SCRS ni de l’ASFC parce qu’il n’a ni demandé son dossier complet, ni contesté la décision d’interdiction de territoire de CIC.

[37]  De plus, parce que le demandeur n’a pas contesté la décision de 2009 en dépit du fait qu’il en avait été avisé, l’agent était en droit d’en tenir compte et de s’appuyer dessus et, à mon avis, il était aussi en droit de s’appuyer sur le dossier sous-jacent complet (le DCT).

[38]  En outre, à mon humble avis, la lettre relative à l’équité procédurale résumait explicitement l’essentiel des rapports du SCRS de 2002 et de 2008, la conclusion de l’ASFC et, en fait, la conclusion de 2009 de CIC, soit que [traduction] « au Canada, l’IPK est jugé comme une organisation ayant commis des actes de terrorisme, et certains membres pourraient être jugés interdits de territoire au Canada ». Compte tenu de ce qui précède, il n’y avait pas lieu d’envoyer les rapports du SCRS, dans lesquels l’on avait conclu que l’IPK était considéré comme une organisation terroriste, parce que la lettre relative à l’équité procédurale lui accordait des droits de participation : le demandeur a été informé des motifs de sa possible interdiction de territoire et a été invité à présenter des observations (voir Ardiles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1323, aux paragraphes 29 et 30, citant Dasent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 CF 720, au paragraphe 23, infirmée (1996), 107 FTR 80 N (CAF)). L’agent avait aussi le droit de s’appuyer sur le document de l’ASFC puisqu’il faisait partie de la décision d’interdiction de territoire de 2009, qui était une décision finale que le demandeur n’a pas contestée.

B.  Exactitude de la définition de terrorisme

[39]  Le demandeur allègue, et je suis d’accord, que la définition du terrorisme est une question de droit et qu’elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. À mon humble avis, le poids de la jurisprudence de notre Cour, et de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh, appuie la conclusion selon laquelle la définition du terme « terrorisme » retenue par l’agent était correcte. Les principes d’interprétation des lois applicables lorsque deux lois traitent de sujets semblables (c.-à-d. lorsque deux lois portent sur la même matière) appuient également une telle conclusion. Par conséquent, je ne retiens pas l’argument selon lequel l’alinéa 34(1)c) devrait être interprété uniquement en référence à la définition que propose la Cour suprême dans l’arrêt Suresh.

[40]  Dans sa conclusion quant à savoir si le terme « terrorisme » était imprécis au point d’être inconstitutionnel, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Suresh, souligne de quelle façon le terme « terrorisme » doit être défini :

Le terme « Terrorisme »

93  Le terme « terrorisme » figure à l’art. 19 de la Loi sur l’immigration, qui traite de la non-reconnaissance du statut de réfugié à l’arrivée au Canada. La ministre a considéré que l’art. 19 s’appliquait aux actes terroristes qu’une personne commet après son admission au pays et elle s’est fondée sur de prétendues associations terroristes au Canada pour tenter d’expulser M. Suresh par application de l’al. 53(1)b), qui renvoie à une catégorie de personnes décrite à l’art. 19. Dans les présents motifs, nous n’essaierons pas de définir le terrorisme de façon exhaustive, tâche notoirement difficile; nous nous contenterons plutôt de conclure que ce terme fournit un fondement suffisant pour qu’une décision soit rendue et qu’il n’est donc pas imprécis au point d’être inconstitutionnel. Nous partageons l’opinion du juge Robertson selon laquelle ce terme n’est pas ambigu en soi, « même si toute [s]a portée [...] doit être établie progressivement » (par. 69).

94  On cherchera en vain une définition du terme « terrorisme » qui fasse autorité. La Loi sur l’immigration ne le définit pas. En outre, aucune définition précise n’est reconnue à l’échelle internationale. Vu l’absence de définition faisant autorité, [traduction] « ce terme se prête aux manipulations à des fins politiques, aux conjectures et aux interprétations polémiques », du moins dans les cas limites : mémoire de la Fédération canado-arabe intervenante, par. 8; voir aussi W. R. Farrell, The U.S. Government Response to Terrorism : In Search of an Effective Strategy (1982), p. 6 : [traduction] « Le terme [terrorisme] est assez malléable - - il désigne ce que l’on veut »; O. Schachter, « The Extraterritorial Use of Force Against Terrorist Bases » (1989), 11 Houston J. Int’l L. 309, p. 309 : [traduction] « Aucune définition exhaustive unique du terrorisme international n’a été acceptée par les Nations Unies ou dans une convention multilatérale généralement acceptée »; G. Levitt, « Is “Terrorism” Worth Defining? » 13 Ohio N.U. L. Rev. 97, p. 97 : [traduction] « La recherche d’une définition juridique du terrorisme s’apparente sous certains rapports à la quête du Saint-Graal »; C. C. Joyner, « Offshore Maritime Terrorism: International Implications and the Legal Response » (1983), 36 Naval War C. Rev. 16, p. 20 : [traduction] « La définition exacte [du terrorisme] en droit international se prête encore à la conjecture et à l’interprétation polémique »; J. B. Bell, A Time of Terror : How Democratic Societies Respond to Revolutionary Violence (1978), p. x : [traduction] « La notion même de [terrorisme] agit comme un révélateur de nos convictions les plus chères, de telle sorte qu’un bref entretien sur la question, avec à peu près n’importe qui, révèle une vision particulière du monde et une conception de la nature humaine, ainsi qu’un aperçu de l’avenir souhaité. »

95  Même parmi ceux qui s’entendent sur la définition de ce terme, il existe un grand désaccord quant à savoir qui il vise : voir, par exemple, I. M. Porras, « On Terrorism : Reflections on Violence and the Outlaw » (1994), Utah L. Rev. 119, p. 124 (où l’auteure fait état de l’opinion générale selon laquelle le terme « terrorisme » n’est pas bien défini, mais affirme que [traduction] « tous veulent dire la même chose lorsqu’ils emploient ce terme. Ce n’est pas le sens du mot qui change, mais bien les groupes et les activités que chacun engloberait ou exclurait »); D. Kash, « Abductions of Terrorists in International Airspace and on the High Seas » (1993), 8 Fla. J. Int’l L. 65, p. 72 : [traduction] « [U]n même acte peut être considéré comme un acte de terrorisme par un État et comme un acte de résistance légitime par un autre ». L’exemple le plus frappant de la charge politique de ce terme est peut-être le fait que, à l’époque de l’apartheid, le Congrès national africain de Nelson Mandela était couramment qualifié d’organisation terroriste, non seulement par le gouvernement sud-africain, mais aussi par une bonne partie de la communauté internationale.

96  Nous ne croyons cependant pas que le sens du terme « terrorisme » est à ce point incertain qu’il ne permet pas de fixer des paramètres convenables pour le prononcé d’une décision juridique. Négociée récemment, la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, Rés. AG 54/109, 9 décembre 1999, aborde le problème de la définition sous deux angles. Premièrement, à l’al. 1a) de l’art. 2, elle a recours à une définition fonctionnelle et définit le « terrorisme » comme « [u]n acte qui constitue une infraction au regard et selon la définition de l’un des traités énumérés en annexe ». L’annexe énumère neuf traités que l’on considère habituellement comme concernant les actes de terrorisme, notamment la Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, R.T. Can. 1972 no 23, la Convention sur la protection physique des matières nucléaires (1980), et la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, Doc. NU A/52/164, annexe. Deuxièmement, la Convention complète cette énumération fondée sur des infractions par une définition stipulative du terrorisme à l’al. 1b) de l’art. 2 :

Tout [...] acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque.

97  Dans les observations qu’elle a présentées à notre Cour, la Fédération canado-arabe nous a exhortés à retenir une définition fonctionnelle plutôt que stipulative du terrorisme. Selon elle, définir le terrorisme par référence à des actes de violence précis (par exemple [traduction] « le détournement d’avion, la prise d’otages et l’attentat terroriste à l’explosif ») réduit la politisation de ce terme (mémoire de la Fédération, par. 11-14). Il est vrai que les experts en droit international et les représentants des États sont très en faveur d’une définition fonctionnelle, ce qu’attestent les nombreux instruments juridiques internationaux qui écartent les définitions stipulatives et optent pour l’interdiction d’actes de violence précis. Nous sommes conscients que le terme « terrorisme » se prête à la manipulation, mais nous ne sommes pas persuadés qu’il est nécessaire ou souhaitable d’écarter d’emblée toute définition stipulative au profit d’une énumération susceptible de changer avec le temps et de nécessiter, en fin de compte, que l’on distingue certains actes (proscrits) d’autres actes (non proscrits) en employant un terme comme « terrorisme ». (Soulignons que, dans l’énumération des actes qui pourraient être prohibés suivant une définition fonctionnelle, la Fédération canado-arabe mentionne l’[traduction] « attentat terroriste à l’explosif » — ce qui ne supprime manifestement pas la nécessité de définir le « terrorisme ».)

98  À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Cette définition traduit bien ce que l’on entend essentiellement par « terrorisme » à l’échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l’activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si le terme utilisé dans la Loi sur l’immigration a un sens suffisamment certain pour être pratique, raisonnable et constitutionnel. Nous estimons que c’est le cas.

[Non souligné dans l’original.]

[41]  Comme on peut le constater à partir de cette analyse et de sa conclusion concernant la signification du terme « terrorisme », un terme qui n’était pas défini à l’époque dans les lois canadiennes, la Cour suprême du Canada n’a eu aucune difficulté à déterminer l’essence de sa signification, qu’elle a tiré d’une convention internationale. Il convient de souligner, en lien avec l’argument du demandeur, l’injonction ajoutée par la Cour suprême selon laquelle : « Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme ». Je ne peux pas accepter la thèse selon laquelle le législateur ne peut s’écarter de la définition du terme « terrorisme » établie dans l’arrêt Suresh, alors que la Cour suprême elle-même dit exactement le contraire dans l’arrêt Suresh. En outre, même la Cour suprême a reconnu que la définition n’était pas coulée dans le béton : sa définition n’est pas exhaustive, mais plutôt inclusive, puisqu’elle est précédée du terme « inclut ».

[42]  À mon humble avis, en édictant l’article 83.01 du Code criminel, le législateur a fait exactement ce que la Cour suprême l’autorisait à faire : il a adopté une définition plus détaillée du terme « terrorisme ». Je reconnais que l’article 83.01 du Code criminel définit l’« activité terroriste », expression qui diffère du terme « terrorisme » utilisé dans la LIPR et examiné dans l’arrêt Suresh. Néanmoins, les limites de chaque expression se chevauchent au point que toute distinction entre les deux, à mon humble avis, n’a aucune signification importante. Je les considère comme interchangeables.

[43]  La question devient donc de savoir si la définition qu’on trouve à l’article 83.01 du Code criminel peut être intégrée à la LIPR pour les besoins d’une conclusion aux termes des alinéas 34(1)f) et c). À mon avis, elle peut l’être. Je tire cette conclusion de la doctrine d’interprétation bien établie in pari materia, applicable à l’interprétation de lois qui emploient les mêmes termes et visent les mêmes objectifs. La jurisprudence de la Cour suprême du Canada à cet égard est assez claire :

A)  2747-3174 Québec Inc. c Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 RCS 919, au paragraphe 160 :

160  Ce que Bennion appelle l’approche de « l’interprétation éclairée » est nommée [traduction] « règle d’interprétation moderne » par Sullivan et [traduction] « dynamisme pragmatique » par Eskridge. Toutes ces approches rejettent l’ancienne approche du « sens ordinaire ». Considérant la multiplicité des termes couramment employés pour désigner ces approches, je désignerai ici par « approche moderne » la synthèse des approches contextuelles qui rejettent l’approche du « sens ordinaire ». Selon cette « approche moderne », on doit tout d’abord considérer notamment, outre le texte, le contexte, les autres dispositions de la loi, celles des autres lois in pari materia et l’historique législatif, afin de cerner correctement l’objectif du législateur. Ce n’est qu’après avoir lu les dispositions avec tous ces éléments présents à l’esprit que l’on s’arrêtera sur une définition. Cette méthode d’interprétation « moderne » a l’avantage de mettre en lumière les prémisses sous-jacentes et permet ainsi d’éviter qu’elles passent inaperçues comme ce serait le cas avec la méthode du « sens ordinaire ».

B)  Sharbern Holding Inc. c Vancouver Airport Centre Ltd., 2011 CSC 23, au paragraphe 117 :

[117]  Je reconnais que la Loi, à la différence de la nouvelle loi et des lois connexes, ne prévoyait pas expressément une présomption réfutable. Néanmoins, comme l’indique l’arrêt St. Peter, l’utilisation du mot « réputé » ne crée pas toujours une présomption décisive et irréfutable. C’est l’objet de la loi qu’il faut examiner pour savoir si la présomption est réfutable. En l’espèce, la nouvelle loi et les lois connexes peuvent être utiles pour interpréter l’objet de la présomption légale. Le lord Mansfield a expliqué ce principe dans R. c. Loxdale (1758), 1 Burr. 445, 97 E.R. 394, où il a souligné que [traduction] « [l]es lois différentes qui portent sur la même matière mais qui ont été adoptées à des époques différentes, voire qui n’existent plus, [...] s’interprètent ensemble [...] les unes expliquant les autres » (p. 395). Le juge Estey a formulé une explication plus moderne de ce principe : « ... il est parfois utile pour déterminer le sens d’une loi d’avoir recours à une loi semblable ou comparable du même gouvernement ou d’un autre gouvernement » (Nova, an Alberta Corp. c. Amoco Canada Petroleum Co., [1981] 2 R.C.S. 437, p. 448).

[Non souligné dans l’original.]

C)  R. c Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, au paragraphe 52 :

52  Si on adoptait l’interprétation restrictive qu’a donnée la Cour d’appel au par. 72(1), une ordonnance de vente de la Cour fédérale mettrait fin au pouvoir de la Cour suprême de Terre-Neuve d’ordonner la confiscation. En ce qui a trait à l’interaction entre la Loi sur les pêches et la compétence en matière d’amirauté prévue dans la Loi sur la Cour fédérale, un tel résultat n’est pas conforme au principe d’interprétation qui présume l’harmonie, la cohérence et l’uniformité entre les lois traitant du même sujet.

[Non souligné dans l’original.]

[44]  À mon avis, on peut s’inspirer du sens donné à l’expression « activité terroriste » dans le Code criminel pour interpréter le sens du terme « terrorisme » dans la LIPR. Chacune des expressions vise le terrorisme et, à cet égard, elles sont toutes les deux semblables et comparables. La LIPR considère le terrorisme du point de vue de ceux qui cherchent à entrer au Canada depuis l’extérieur du Canada, et de ceux à qui le Canada peut accorder la résidence permanente ou un autre statut; le Code criminel définit le terrorisme par renvoi à la conduite de personnes au Canada comme à l’étranger. Surtout, la définition de l’expression « activité terroriste » dans le Code criminel s’applique autant à la conduite des personnes à l’extérieur du Canada qu’à celle des personnes au Canada. L’application du Code criminel à la conduite terroriste à l’extérieur du Canada fournit un lien essentiel avec les lois du Canada en matière d’immigration; elle démontre les objectifs communs des deux dispositions. Il est approprié d’employer la définition de l’expression « activité terroriste » énoncée à l’article 83.01 du Code criminel (qui couvre le terrorisme à l’étranger), pour éclairer le sens du terrorisme à l’étranger dans le contexte des alinéas 34(1)f) et c) de la LIPR. Les deux textes de loi ont le même but et le même objet, soit en totalité ou en partie, c’est-à-dire aborder l’activité terroriste et le terrorisme à l’étranger. Ces deux textes législatifs devraient par conséquent être appliqués et interprétés in pari materia en ce qui a trait à la définition des expressions « terrorisme » et « activités terroristes ».

[45]  J’ai effectué l’analyse qui précède parce que le demandeur a tenté d’établir une distinction d’avec les nombreuses décisions antérieures de notre Cour qui font autorité, qui contenaient toutes les mêmes conclusions et confirmaient l’emploi par CIC de la définition de l’expression « activité terroriste » énoncée dans le Code criminel comme étant la définition de l’expression « terrorisme » de la LIPR, notamment : Pzarro Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 623, au paragraphe 29, le juge Mosley, cité dans Rayan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1220, aux paragraphes 59 à 63, la juge Kane, et Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1174, aux paragraphes 58 et 63, la juge Mactavish.

[46]  En résumé et à mon humble avis, la règle de droit est correctement énoncée dans les lignes qui suivent :

[102]  Dans une affaire en droit administratif portant sur l’interprétation de la Loi, il convient de tenir compte de la définition de terrorisme donnée par l’article 34 du Code criminel : Soe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 671.

Toronto Coalition to Stop the War c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, par le juge Mosley.

C.  La conclusion de l’agent selon laquelle l’IPK est un groupe qui s’est livré, se livre ou se livrera à des activités terroristes visées à l’alinéa 34(1)c) de la LIPR était-elle déraisonnable?

[47]  Le demandeur soutient que l’agent a qualifié de manière déraisonnable plusieurs des actes de l’IPK comme étant du terrorisme, en particulier les grèves motivées par des raisons politiques, les agitations ouvrières et les manifestations de masse. Le demandeur soutient en outre que la décision de l’agent est également déraisonnable en raison de son incohérence interne.

[48]  L’incohérence interne est principalement liée au commentaire de l’agent au début de ses motifs, selon lequel [traduction] « au Canada, l’IPK est jugé comme une organisation ayant commis des actes de terrorisme ». À mon avis, cette affirmation est exacte. Comme je l’ai indiqué précédemment, l’ASFC et le SCRS (dans ce dernier cas, dès 2002) étaient d’avis que l’IPK était une organisation terroriste, ce que le demandeur aurait su s’il avait demandé son dossier ou s’il avait contesté la décision d’interdiction de territoire du CIC de 2009. De plus, CIC a tiré la même conclusion dans sa décision du 18 juin 2009, alors que l’on a conclu que le demandeur était interdit de territoire aux termes des alinéas 34(1)f) et c). À mon avis, cette déclaration n’a quoi qu’il en soit aucune conséquence, parce que l’agent a ensuite mené une analyse détaillée des faits, après quoi il a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’IPK est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes terroristes.

[49]  Il est vrai que l’IPK n’est pas inscrit sur la liste des entités terroristes du gouverneur en conseil; toutefois, l’absence d’une telle inscription n’a pas d’effet déterminant sur une décision prise aux termes des alinéas 34(1)f) et c) de la LIPR, ni sur un contrôle judiciaire subséquent comme en l’espèce. La décision d’inscrire sur la liste une entité est prise par le Cabinet fédéral et reflète l’avis du Cabinet.

[50]  Le demandeur soutient que l’agent a agi de façon déraisonnable en considérant les affrontements entre l’IPK et les forces de sécurité comme des activités terroristes ou du terrorisme, puisqu’aucun civil n’y a participé. Le demandeur soutient aussi que l’agent a également agi de façon déraisonnable en considérant les grèves générales motivées par des raisons politiques et les manifestations de masse comme du terrorisme, alors que dans chacun des cas, il s’agissait simplement d’une activité politique.

[51]  En tout respect, je ne suis pas de cet avis. Je débuterai en répétant la conclusion de l’agent quant aux éléments de preuve :

[traduction]

Les résultats de ma recherche, corroborés par des renseignements tirés de nombreux rapports présentés par le demandeur, ainsi que par des renseignements au dossier, démontrent que l’IPK a participé à des incidents motivés par des raisons politiques comme des grèves générales à Mombasa et des affrontements violents avec les forces de sécurité et d’autres entités politiques. Le demandeur a aussi reconnu que l’IPK était l’instigateur d’agitations ouvrières suivies de manifestations de masse. Les renseignements au dossier indiquent que le Cheikh Balala avait aussi manifesté publiquement la volonté d’atteindre ses objectifs par des moyens violents, comme des attentats-suicides à la bombe contre des opposants politiques ou le recours à une armée privée pour renverser le régime de Moi. Même s’il est clair que le gouvernement de Moi était également responsable d’une bonne partie des actes de violence perpétrés à l’époque, l’IPK, sous la direction du Cheikh Balala, a aussi eu son rôle à jouer. Les incidents violents, incluant des émeutes, la destruction de biens, notamment le recours à des bombes Molotov contre des ennemis de l’IPK, et les menaces de violence proférées par le Cheikh Balala m’amènent à croire, pour des motifs raisonnables, que l’IPK est une organisation qui s’est livrée, se livre et se livrera à des actes terroristes. Je conclus par conséquent qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f), étant membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme.

[Non souligné dans l’original.]

[52]  À mon humble avis, il était loisible à l’agent au dossier de tirer ces conclusions en l’espèce, dossier qui comprenait les éléments de preuve suivants :

  • les affrontements en 1992 entre l’IPK et le gouvernement étaient [traduction] « particulièrement violents, alors que des postes de police et des édifices gouvernementaux ont été attaqués et des voitures incendiées »;

  • les manifestations, les grèves et les actes de violence se sont poursuivis tout au long de 1994 dans la région côtière;

  • l’IPK, sous la gouverne de Balala, s’est beaucoup radicalisé;

  • les partisans de Balala, surtout les jeunes, ont affronté les forces de sécurité et ont exercé un certain contrôle grâce aux menaces et à la violence;

  • lors de la grève générale de mai 1993 menée par Balala, des affiches de l’IPK [traduction] « avertissaient que “tous ceux qui violent [les directives de l’IPK] seront considérés comme des ennemis. [...] [N]ous les avisons que l’IPK les attrapera et y mettra le feu” »;

  • une affiche de l’IPK de la même époque comportait une photo du président avec la légende suivante : [traduction] « [S]i vous voyez cet homme, tuez-le! »;

  • Balala a lancé une fatwa réclamant l’assassinat d’un dirigeant du parti United Muslims of Africa (UMA), un parti qui appuyait le gouvernement;

  • les jeunes de l’IPK ont lancé des bombes à leurs opposants à l’été 1993;

  • il y a eu de nombreuses batailles de rues entre la police et les partisans de l’IPK qui [traduction] « essayaient de faire élire leurs membres au parlement au moyen d’une plateforme islamique radicale »;

  • l’IPK a déclaré une [traduction] « guerre totale » au gouvernement en juillet 1992;

  • l’IPK a [traduction] « attisé » les agitations en 1992;

  • l’IPK a attaqué des postes de police et plusieurs édifices gouvernementaux, et des véhicules gouvernementaux ont été incendiés;

  • de violentes agitations à Mombasa en 1992, initiées par l’IPK, ont mené à des manifestations de masse et à des attaques contre des édifices gouvernementaux;

  • en 1992-1993, il y a eu « des affrontements répétés entre des partisans de l’IPK et ceux du parti UMA, qui était loyal au gouvernement... [L]es troubles ont inclus une grève générale à Mombasa et l’incendie de plusieurs bâtiments publics ainsi que des maisons et des bureaux des autres organisations respectives »;

  • des émeutes ont eu lieu dans les rues de Mombasa en mai 1993 à la suite de l’arrestation de Balala, et d’autres affrontements en septembre qui ont amené Balala à annoncer la création d’une branche militaire de l’IPK, et à proférer des menaces de mort à l’endroit de quelques éminents politiciens kényans;

  • Balala a dit à des journalistes qu’il disposait de [traduction] « dix kamikazes entraînés » chargés d’« éliminer » dix dirigeants du gouvernement.

[53]  Ce n’est pas le rôle de la Cour d’examiner les éléments de preuve plus en détail; l’analyse menée jusqu’ici suffira pour les besoins de la présente affaire.

[54]  Je tiens à souligner que tous les renseignements mentionnés ci-dessus se rapportent à la période précédant le moment où Balala a quitté l’IPK à l’été ou à l’automne 1994; le résumé qui précède fait état de la conduite de l’IPK en 1992 et en 1993. Bien qu’il n’y ait pas de composante temporelle à la définition du terrorisme dans le Code criminel, ni aux paragraphes 34(1)f) et c) de la LIPR, il convient de mentionner que le demandeur était un membre « activiste » autoproclamé de l’IPK durant cette même période, en plus d’avoir été le garde du corps personnel de Balala pendant un mois.

[55]  Compte tenu de ce que je viens de résumer, je dois rejeter les arguments selon lesquels les motifs de l’agent n’étaient pas étayés par les éléments de preuve et qu’il n’était pas loisible à l’agent de conclure qu’il avait des motifs raisonnables de croire que l’IPK était une organisation qui se livrait, s’était livrée ou se livrerait à des actes terroristes. Je rejette aussi l’argument selon lequel la décision de l’agent était fondée sur des faits qui ont immédiatement mené à l’expulsion de Balala de l’IPK en 1994, ou qui se sont produits immédiatement après. Il ne fait aucun doute que certains des éléments de preuve sur les activités de l’IPK soulignés par l’agent portent sur une époque extérieure à la période de leadership de Balala, mais il convient de rappeler qu’il n’y a aucune limite temporelle à la définition d’« activités terroristes ».

[56]  Le contrôle judiciaire, au bout du compte, se résume à un examen des motifs vus comme un tout. Il ne s’agit pas d’une chasse au trésor à la recherche d’erreurs. Le contrôle judiciaire, comme le précise la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, s’intéresse principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. En l’espèce, les motifs de l’agent sont transparents et intelligibles. Avec égard, la décision de l’agent est appuyée par les éléments de preuve au dossier. En résumé, elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En outre, la décision n’est pas entachée par un manquement à l’équité procédurale.

VIII.  Question certifiée

[57]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.

IX.  Conclusion

[58]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire, sans aucune question à certifier et aucune ordonnance quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1352-16

 

INTITULÉ :

FUAD MUNGWANA ALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

Pour le demandeur

 

Judy Michaely

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corp.

Avocats

North York (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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