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Date : 20170214


Dossier : IMM-1645-16

Référence : 2017 CF 186

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

RAVNEET BHATTI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 15 avril 2016 (la décision) par laquelle un agent d’immigration (l’agent) de l’ambassade du Canada à Varsovie a refusé d’accorder à la demanderesse la résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  La demanderesse est une citoyenne de l’Inde âgée de 30 ans. En septembre 2014, elle a déposé une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Elle déclarait qu’elle exerçait une profession inscrite sous le code 1123 (publicité, marketing et relations publiques) dans la Classification nationale des professions. À l’appui de sa demande, la demanderesse a présenté des lettres de recommandation de la société Apus Life, lesquelles confirmaient qu’elle y occupait un poste de coordonnatrice du marketing depuis juillet 2012.

[3]  L’agent chargé de l’examen initial a exprimé des doutes à l’égard des documents d’emploi produits par la demanderesse, qui selon lui étaient [traduction] « incomplets » et « de mauvaise qualité », et il a recommandé une vérification des renseignements par téléphone. Le 16 novembre 2016, un fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a appelé Apus Life et la demanderesse, qui a alors révélé qu’elle avait démissionné de son poste en juillet 2015.

[4]  Après cette vérification téléphonique, l’agent de réexamen a relevé des incohérences entre les réponses de la demanderesse et celles du personnel d’Apus Life. En particulier, la demanderesse avait donné les réponses suivantes : elle n’était pas en mesure d’identifier des clients parce que la politique d’entreprise d’Apus Life exigeait qu’elle traite avec eux sur une base personnelle et non par l’entremise de leur société; Apus Life avait des clients à Pathankot et à Rohtak (dans le Haryana); le personnel se réunissait sur une base mensuelle; ses comptables, dont Arijit, se présentaient quelques fois par mois au bureau; les objectifs de vente allaient de 2 à 5 lakhs par mois. Ces réponses contredisaient celles des employés d’Apus Life, qui ont déclaré notamment que la demanderesse avait occupé un poste de supervision qui n’était pas lié au marketing; que les clients étaient toujours identifiés par le nom de leur société; qu’Apus Life n’avait aucun client à Pathankot ni ailleurs dans le Haryana; que des réunions du personnel avaient lieu tous les samedis; que les comptables, Virender et Rakesh, se présentaient au bureau une fois par mois, et que les objectifs de vente étaient de 10 lakhs par mois.

[5]  La demanderesse a été informée de ces doutes dans une lettre relative à l’équité procédurale datée du 10 décembre 2015. Il était indiqué dans la lettre qu’étant donné les incohérences significatives entre ses réponses et celles des employés d’Apus Life à l’occasion de la vérification téléphonique, l’agent de réexamen avait eu des doutes quant à l’expérience de coordonnatrice du marketing qu’elle prétendait avoir acquise chez Apus Life. Il était aussi mentionné dans la lettre que l’agent de réexamen avait l’impression que la demanderesse avait délibérément fait une présentation erronée à CIC quant à un objet pertinent, ce qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Il a conséquemment informé la demanderesse que son dossier faisait l’objet d’un examen et qu’elle pourrait être déclarée interdite de territoire pour fausses déclarations aux termes de l’article 40 de la Loi, auquel cas cette interdiction de territoire courait pour une période de cinq ans. En conclusion, la lettre informait la demanderesse qu’elle disposait d’un délai de 30 jours pour répondre aux doutes exprimés par l’agent.

[6]  La réponse à la lettre relative à l’équité procédurale est parvenue à CIC le 14 janvier 2016. La demanderesse y joignait des documents attestant de son expérience comme coordonnatrice du marketing chez Apus Life sous la forme de trois déclarations solennelles signées par elle-même et par des représentants d’Apus Life, ainsi que de deux formulaires 16 de déclaration fiscale établis par Apus Life pour 2014 et 2015.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]  Dans une lettre du 15 avril 2016, l’agent des visas informait la demanderesse d’une décision portant qu’elle n’était pas admissible à l’immigration au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

[8]  L’agent des visas avait établi que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pour cause de fausses déclarations en application de l’article 40 de la Loi. Il avait conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse avait produit une lettre de recommandation frauduleuse qui contenait une présentation erronée quant à son expérience comme coordonnatrice du marketing chez Apus Life. Dans sa réponse du 17 décembre 2015 à la lettre relative à l’équité procédurale, la demanderesse n’a pas tenté de dissiper les doutes suscités par ses déclarations concernant son expérience professionnelle. Elle a conséquemment été déclarée interdite de territoire au Canada pour une période de cinq ans à compter de la date de la décision.

[9]  Dans les notes entrées au Système mondial de gestion des cas (SMGC), l’agent de réexamen recommandait de refuser la demande pour cause de fausses déclarations car, au vu des incohérences entre les réponses recueillies lors de la vérification téléphonique ainsi que de l’incapacité de la demanderesse d’identifier au moins un client de son ancien employeur, il avait des doutes concernant l’expérience professionnelle déclarée. L’agent chargé de contre-vérifier les fausses déclarations a confirmé le rejet de la demande au motif que dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, la demanderesse n’avait donné aucune explication satisfaisante de sa méconnaissance des aspects les plus élémentaires du programme de marketing d’Apus Life et n’avait donc pas dissipé les doutes qui y étaient exprimés.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[10]  La demanderesse estime que la présente demande soulève les questions suivantes :

  • a) L’agent des visas a-t-il commis une erreur en rejetant la demande de résidence permanente de la demanderesse le 15 avril 2016?

  • b) L’agent des visas a-t-il commis une erreur en reprochant à la demanderesse d’avoir soumis une lettre de recommandation frauduleuse d’Apus Life sans lui donner la possibilité de répondre?

[11]  Pour sa part, le défendeur soutient que la question à trancher dans la présente demande est la suivante :

  • a) La décision de l’agent des visas était-elle raisonnable?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[12]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’une analyse de la norme de contrôle n’est pas toujours nécessaire. Lorsque la jurisprudence est claire quant à la norme de contrôle applicable à une question en litige devant la Cour, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[13]  En l’espèce, la première question soulevée par la demanderesse porte sur l’appréciation d’une demande de résidence permanente par un agent des visas, laquelle soulève des questions mixtes de fait et de droit et doit donc être examinée selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Young, 2016 CAF 183, au paragraphe 7; Odunsi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 208, au paragraphe 13.

[14]  Comme elle met en cause l’équité procédurale, la norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si la lettre relative à l’équité procédurale aurait dû informer la demanderesse des doutes de l’agent des visas concernant les documents justificatifs : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa].

[15]  Lorsqu’une décision est examinée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour doit intervenir uniquement si la décision contestée n’est pas raisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[16]  Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1):

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced;

VII.  THÈSES DES PARTIES

A.  Thèse de la demanderesse

1)  Équité procédurale

[17]  Selon la demanderesse, l’agent des visas a enfreint les principes de l’équité procédurale en concluant que la lettre de recommandation était frauduleuse sans l’avoir auparavant avisée des doutes qu’elle soulevait et sans lui donner la possibilité de répondre. La lettre relative à l’équité procédurale mentionne uniquement les doutes qu’ont suscités chez l’agent les incohérences entre les réponses recueillies lors de la vérification par téléphone, que la demanderesse a tenté de dissiper en produisant une déclaration solennelle et d’autres documents justificatifs. Par ailleurs, les notes du SMGC font état de doutes dont la demanderesse n’a jamais été informée concernant un lien de parenté entre elle et l’auteur de la lettre de recommandation, une information par ailleurs inexacte.

[18]  Dans la décision et les motifs, il n’est jamais question de doutes concernant les documents justificatifs, et il n’y est pas expliqué pourquoi la lettre a été jugée frauduleuse. Notre Cour a déterminé que lorsqu’un agent conclut qu’une lettre n’est pas crédible ou qu’elle est frauduleuse, le demandeur devrait avoir la possibilité de donner sa version dans un entretien, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce : Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 219, au paragraphe 28. De ce fait, l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse.

2)  Caractère raisonnable de la décision

[19]  La demanderesse reproche à l’agent des visas de ne pas avoir fait un examen approprié de la preuve documentaire et d’avoir accordé une importance démesurée à la vérification par téléphone, ce qui dénote à son avis une fermeture d’esprit et l’absence d’une véritable appréciation des éléments de preuve favorables et défavorables.

[20]  À son avis, l’agent aurait dû accorder un poids plus favorable aux documents justificatifs. L’examen initial avait établi que ces documents étaient favorables et qu’ils attestaient d’une expérience correspondant aux descriptions de la Classification nationale des professions. C’est à tort qu’ils ont été jugés comme étant [traduction] « de mauvaise qualité ». De plus, les incohérences relevées entre les réponses durant les appels de vérification n’ont rien d’anormal considérant que le fonctionnaire de CIC n’a pas parlé à des employés d’Apus Life, mais à des employés d’autres sociétés occupant les mêmes bureaux. Cette explication est corroborée au paragraphe 7 des notes du SMGC, selon lesquelles Neetu aurait affirmé lors de la vérification par téléphone qu’elle travaillait pour la division Hecures et non pour Apus Life.

[21]  La demanderesse a joint divers documents à sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, y compris les déclarations solennelles de tiers qui connaissaient ses antécédents professionnels, ainsi que des certificats fiscaux se rapportant à son emploi chez Apus Life et attestant qu’elle avait au moins une année d’expérience professionnelle, soit la période minimale d’admissibilité au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Ces documents ne font pas l’objet d’une analyse raisonnable, claire et intelligible dans les motifs de la décision. Les renseignements recueillis durant les vérifications par téléphone y retiennent toute l’attention.

[22]  Essentiellement, la demanderesse soutient que la décision est à la fois incorrecte et déraisonnable et que, par conséquent, elle doit être annulée et renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

B.  Thèse du défendeur

1)  Équité procédurale

[23]  Le défendeur observe que l’agent des visas a donné à la demanderesse la possibilité de répondre aux préoccupations concernant son dossier. La lettre relative à l’équité procédurale faisait état des doutes soulevés par les incohérences entre les réponses de la demanderesse et celles des employés d’Apus Life durant la vérification par téléphone. Il était également mentionné dans cette lettre que la demanderesse faisait l’objet d’un examen pour avoir fait une présentation erronée au sens de l’article 40 de la Loi. Même si la lettre relative à l’équité procédurale ne faisait pas expressément allusion aux préoccupations quant au caractère possiblement frauduleux de la lettre de recommandation, il reste que si la demanderesse ne pouvait pas prétendre qu’elle avait été coordonnatrice du marketing chez Apus Life, la lettre de recommandation était frauduleuse. Les préoccupations concernant la lettre de recommandation étaient donc implicites dans la lettre relative à l’équité procédurale, et le fait qu’elles n’étaient pas explicites n’avait aucune incidence sur la possibilité d’y répondre de la demanderesse.

[24]  Dans sa réponse, elle traite de presque toutes les incohérences relevées dans la preuve, ce qui donne l’impression qu’elle a bien compris la nature des doutes soulevés par sa demande. En revanche, elle ne cite aucun élément de preuve dont la communication aurait eu une incidence sur sa cause et, de ce fait, elle échoue à démontrer que la lettre relative à l’équité procédurale était incomplète.

[25]  En ce qui a trait aux certificats fiscaux, le défendeur fait valoir que l’agent des visas n’avait aucune obligation de donner à la demanderesse la possibilité de répondre aux doutes les concernant. En fait, il n’avait rien à dire au sujet des certificats fiscaux. Ces documents attestaient simplement que la demanderesse avait été employée et rémunérée par Apus Life pendant un certain temps, ce que l’agent des visas ne contestait pas. Ses seuls doutes concernaient la véracité des déclarations de la demanderesse au sujet de son expérience comme coordonnatrice du marketing. Comme les certificats fiscaux n’indiquaient pas le poste qu’elle avait occupé, l’agent des visas n’était nullement tenu de lui donner une possibilité de donner une réponse à leur égard.

[26]  De la même manière, les déclarations solennelles de tiers ne dissipaient pas les doutes générés par les incohérences entre les réponses recueillies durant la vérification par téléphone puisqu’elles n’expliquaient pas de façon satisfaisante pourquoi la demanderesse n’avait pas au moins une connaissance élémentaire du programme de marketing d’Apus Life. Comme elle avait déjà été avisée des doutes suscités par ces incohérences et comme elle avait déjà eu la possibilité d’y répondre, l’agent des visas n’était pas obligé de lui donner une seconde fois cette possibilité.

2)  Caractère raisonnable de la décision

[27]  Le défendeur estime que les motifs de la décision sont justifiés, transparents et intelligibles.

[28]  La décision expose clairement pourquoi la lettre de recommandation a été jugée frauduleuse. Plus particulièrement, il est ressorti de la vérification par téléphone que la demanderesse ne connaissait pas les aspects les plus élémentaires du programme de marketing d’Apus Life, ce qui donnait à penser que la lettre de recommandation dans laquelle il est indiqué qu’elle avait été coordonnatrice du marketing depuis plus d’un an était frauduleuse.

[29]  Il émane de la décision que l’agent des visas, après les avoir mis en balance, n’a pas jugé bon de faire primer la preuve documentaire sur les éléments de preuve issus de la vérification téléphonique. Dans la décision He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 33, au paragraphe 28, la Cour a conclu qu’un agent des visas peu convaincu de la plausibilité des explications données n’avait pas fait preuve de fermeture d’esprit en accordant plus d’importance aux éléments de preuve recueillis lors d’un appel de vérification téléphonique plutôt qu’à ceux découlant d’une lettre relative à l’équité procédurale. Le même constat vaut pour l’agent des visas en cause ici, qui ne peut être taxé d’avoir fait preuve de fermeture d’esprit simplement parce qu’il a donné la préséance à la vérification par téléphone. Il est clair qu’il a pris en considération d’autres éléments de preuve. Par exemple, il a indiqué dans les notes du SMGC qu’un signataire de l’un des documents ajoutés par la demanderesse est revenu sur les déclarations qu’il avait faites durant la vérification téléphonique.

[30]  En réplique à l’argument de la demanderesse selon lequel les documents justificatifs n’étaient pas de mauvaise qualité et auraient dû être évalués de manière plus favorable, le défendeur signale que cette mauvaise qualité se remarquait d’emblée et que c’est d’ailleurs pour cette raison que la vérification par téléphone a été jugée nécessaire. Pour ce qui est de l’argument de la demanderesse selon lequel les éléments de preuve issus de la vérification téléphonique auraient dû recevoir un poids moindre étant donné que le fonctionnaire de CIC n’a pas parlé à des employés d’Apus Life, le défendeur rétorque que le numéro de téléphone qui a été utilisé est celui qu’elle avait indiqué, et qu’il lui revenait de fournir les coordonnées exactes des personnes à contacter. D’ailleurs, ces employés travaillaient pour des sociétés qui n’étaient pas sans lien avec Apus Life; par exemple, Hecures en est une filiale et partage ses bureaux, numéros de téléphone et effectifs. À cela s’ajoute le traitement cavalier qu’un dirigeant d’Apus Life a réservé au fonctionnaire de CIC, sans aucune raison, et qui contredit l’affirmation de la demanderesse selon laquelle il n’aurait pas parlé aux bonnes personnes. Enfin, le défendeur estime qu’il est inopportun de la part de la demanderesse de tenter maintenant d’expliquer les incohérences. Ces explications auraient dû figurer dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale.

[31]  Et comme il a été observé précédemment, puisque les certificats fiscaux ne donnent pas la preuve que la demanderesse a été coordonnatrice du marketing, il n’y avait pas lieu de les mentionner expressément dans les motifs. Par surcroît, même s’il est indiqué dans les notes que l’un des auteurs de la lettre de recommandation était un cousin de la demanderesse, il n’était pas nécessaire de l’en informer puisque cette observation n’a eu aucune incidence sur la décision et sur la conclusion de l’inauthenticité de sa déclaration concernant son expérience de coordonnatrice du marketing chez Apus Life. Cette conclusion découlait de la mauvaise qualité des documents justificatifs, des incohérences entre les réponses données durant la vérification par téléphone, de même que de l’incapacité de la demanderesse de donner des renseignements élémentaires sur le programme de marketing au sein duquel elle prétendait avoir travaillé pendant trois ans.

[32]  En bref, le défendeur estime que la décision était raisonnable et conforme à l’obligation d’équité.

VIII.  DISCUSSION

A.  Généralités

[33]  Dans sa demande initiale, la demanderesse déclarait qu’elle avait été coordonnatrice du marketing pendant [traduction] « DEUX OU TROIS ANS », et qu’elle avait donc une bonne expérience professionnelle. Voici la description qu’elle y donnait de ses attributions principales :

[traduction]

1.  Définir l’objectif des campagnes de marketing et préparer les plans de publicité qui en découlent.

2.  Mettre en œuvre les campagnes de marketing et de publicité. Participer à des projets de marketing en ligne, y compris le référencement payant, les médias sociaux et la publicité dans la presse écrite.

3.  Concevoir des stratégies commerciales et de planification du marketing en coordination avec le gestionnaire pour atteindre les objectifs mensuels.

4.  Établir les bons de commande et les factures.

5.  Préparer les rapports sur le marketing fondés sur le suivi des ventes.

6.  Stimuler la notoriété de marque de la société.

7.  Informer les clients des caractéristiques essentielles des produits vendus par la société.

8.  Participer à la collecte de matériel de marketing au besoin et gérer les dossiers liés à des projets graphiques.

9.  Agir à titre de principale ressource pour les rétroactions des clients, répondre rapidement à leurs questions et maintenir une relation solide et pérenne avec la clientèle.

10.  Tenir à jour la liste des adresses électroniques pour les communications internes et externes.

11.  Donner des comptes rendus clairs sur les progrès mensuels et trimestriels aux intervenants internes et externes.

12.  Assurer la liaison entre la société et les fabricants.

13.  Vaquer aux tâches quotidiennes (accueil des clients, interactions avec les agences si nécessaire, etc.).

14.  Réaliser les objectifs mensuels de recouvrement, fixés par la société de temps à autre.

15.  Prêter assistance au responsable dans les tâches courantes ainsi que pour la coordination des activités et tâches de marketing au besoin.

[34]  L’agent des visas a relevé que la demanderesse avait produit [traduction] « des documents d’emploi incomplets et de mauvaise qualité (trois lettres, mais aucun bulletin de paie, relevé bancaire ou document fiscal ». Par conséquent, il a jugé nécessaire de vérifier les renseignements sur [traduction] « le poste, les responsabilités, les attributions, le salaire, les vacances, les résidences, etc. » de la demanderesse.

[35]  En raison des incohérences significatives qui sont ressorties de cette vérification, l’agent des visas a formulé la remarque suivante dans une lettre relative à l’équité procédurale adressée à la demanderesse : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que vous avez réellement acquis l’expérience professionnelle déclarée comme coordonnatrice du marketing chez Apus Life. » Cette conclusion est importante. L’agent des visas n’a pas conclu que la demanderesse n’a jamais travaillé chez Apus Life ou qu’elle n’y avait pas le titre de coordonnatrice du marketing. Il a conclu qu’elle n’avait pas fait la preuve de l’expérience déclarée, et qu’elle avait même tenté de l’induire en erreur sur ce point.

[36]  La question de l’« expérience » est aussi mise en relief dans la décision finale :

[traduction]

Compte tenu des incohérences entre les réponses de la demanderesse et celles de ses collègues, de même que de l’incapacité de celle-ci d’identifier au moins un client de la société, je ne suis pas convaincu qu’elle a réellement acquis l’expérience de coordonnatrice du marketing chez Apus Life déclarée dans sa demande. Je recommande le rejet de sa demande pour cause de fausses déclarations.

[Non souligné dans l’original.]

[37]  Il faut garder à l’esprit les doutes concernant l’« expérience » de la demanderesse au moment d’examiner ses arguments et les documents qu’elle a produits en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. C’est important. En effet, il n’est jamais question des doutes de l’agent des visas concernant son « expérience » comme coordonnatrice du marketing dans ses arguments et les documents justificatifs qu’elle a produits, et ils ne corroborent pas non plus ses déclarations à ce sujet dans sa première demande.

[38]  Dans la décision intégrale qui se trouve dans les notes du SMGC, l’agent des visas dresse les conclusions suivantes :

[traduction]

La demanderesse a présenté des documents indiquant qu’elle a été coordinatrice du marketing chez Apus Life de juillet 2012 à septembre 2014. Elle a produit deux lettres de recommandation signées par la directrice, Sonali Singh, et par le directeur général, Sangram Singh. Le 13 novembre 2015, afin de vérifier les renseignements sur son emploi, des appels téléphoniques ont été faits à Apus Life et à la demanderesse.

L’équipe de vérification a d’abord parlé à Neetu, qui travaillait chez Apus Life pendant la période d’emploi déclarée par la demanderesse. À la question concernant le poste occupé par cette dernière chez Apus Life, Neetu a répondu qu’elle supervisait du personnel. Lorsqu’il lui a été demandé quels étaient les objectifs de vente de la demanderesse, Neetu a répondu 10 lakhs. Invitée à identifier des clients d’Apus Life, Neetu a nommé Maya Drugs, Sichar et B.D. Pharma dans le Bengale occidental. Interrogée sur les mêmes sujets, la demanderesse a répondu que les objectifs de vente mensuels étaient de 2,5 à 5 lakhs. Incapable de nommer des clients, elle s’est justifiée en affirmant qu’elle traitait toujours avec eux sur une base individuelle. Lorsqu’on lui a demandé d’être plus précise, elle a fourni le nom de deux hommes et indiqué les villes d’où ils venaient. La demanderesse n’a pas su identifier le comptable agréé de la société.

Une lettre relative à l’équité procédurale envoyée le 17 décembre 2015 enjoignait à la demanderesse de clarifier les incohérences soulevées par la vérification téléphonique du 13 novembre 2015. Elle a fourni trois déclarations solennelles et deux formulaires 16 de déclaration fiscale établis par Apus Life pour 2014 et 2015. J’ai examiné tous les renseignements au dossier, y compris la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale du 13 novembre 2015. La demanderesse a joint à cette réponse les déclarations solennelles de deux employés d’Apus Life qui avaient répondu à la vérification par téléphone et qui, contrairement à ce qu’ils avaient déclaré à ce moment, affirmaient dorénavant qu’elle travaillait bel et bien chez Apus Life comme coordinatrice du marketing. Sangram Singh, le directeur général d’Apus Life qui a signé la lettre initiale de recommandation de la demanderesse, a affirmé dans sa déclaration solennelle qu’elle était coordinatrice du marketing et qu’il n’avait pas pu parler au fonctionnaire de CIC parce qu’il était trop occupé, mais qu’il pourrait volontiers répondre à d’autres questions de vérification. Je souligne que Sangram Singh est l’époux de Sonali Singh, la directrice d’Opus [sic] Life, qui est aussi la sœur d’un cousin de la demanderesse. Compte tenu des incohérences entre les réponses de la demanderesse et celles de ses collègues, de même que de l’incapacité de celle-ci d’identifier au moins un client de la société, je ne suis pas convaincu qu’elle a réellement acquis l’expérience de coordonnatrice du marketing chez Apus Life déclarée dans sa demande. Je recommande le rejet de sa demande pour cause de fausses déclarations.

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Examen des fausses déclarations

Selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse semble avoir fait une présentation erronée sur son expérience de coordonnatrice du marketing chez Apus Life de juillet 2012 à septembre 2014. Il est ressorti des vérifications téléphoniques rigoureuses effectuées par le bureau des visas de New Delhi auprès d’Apus Life et de la demanderesse que celle-ci ne connaissait pas les aspects les plus élémentaires du programme de marketing de la société.

Cette présentation erronée sur un fait important aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi puisqu’elle aurait rendu la demande conforme aux instructions ministérielles et aux exigences minimales en matière d’expérience.

Le 17 décembre 2015, nous avons signifié à la demanderesse une lettre relative à l’équité procédurale dans laquelle ces doutes étaient exposés en détail. Sa réponse et les documents justificatifs fournis à l’appui n’ont pas dissipé mes doutes puisqu’ils n’expliquent pas de manière satisfaisante pourquoi elle ne connaît pas les aspects élémentaires du programme de marketing d’Apus Life. Je conclus par conséquent que ces renseignements présentent peu d’intérêt.

Les exigences minimales en matière d’expérience ne sont pas remplies. La demande est rejetée.

La demanderesse est interdite de territoire au Canada au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, et elle le demeurera pour une période de cinq ans à compter d’aujourd’hui, conformément à l’alinéa 40(2)a)[.]

[39]  La demanderesse a soulevé des questions touchant à l’équité procédurale et au caractère raisonnable de la décision, que je vais aborder à tour de rôle ci-après. Cependant, elle a mis en relief des points différents à l’audition de la demande et dans ses observations écrites, et j’en tiendrai compte.

B.  Équité procédurale

[40]  Dans ses observations écrites, la demanderesse fait valoir ce qui suit :

[traduction]

18.  Il est allégué ce qui suit dans la décision : [traduction] « Il semble que vous [la demanderesse] avez fait une présentation erronée concernant votre emploi de coordonnatrice du marketing chez Apus Life, et que vous avez produit une lettre de recommandation frauduleuse d’Apus Life. »

19.  Toutefois, les lettres relatives à l’équité procédurale et les motifs de la décision ne mentionnent nulle part que la lettre de recommandation provenant d’Apus Life était frauduleuse. Cette allégation apparaît seulement dans la décision. Qui plus est, la décision n’appuie sur aucun motif l’allégation concernant le caractère frauduleux de la lettre de recommandation produite par Apus Life au bénéfice de la demanderesse.

20.  Selon les lettres relatives à l’équité procédurale, [traduction] « des incohérences significatives ont été constatées entre vos réponses [celles de la demanderesse] et celles des employés d’Apus Life. Je ne suis pas convaincu que vous possédez réellement l’expérience professionnelle déclarée comme coordinatrice du marketing chez Apus Life. »

21.  En réponse aux lettres relatives à l’équité procédurale, la demanderesse a soumis sa propre déclaration solennelle, dans laquelle elle explique les incohérences alléguées, ainsi que divers documents de tiers qui attestent qu’elle possède l’expérience professionnelle déclarée. Ces documents comprennent des déclarations solennelles de tiers qui connaissent son expérience professionnelle, ainsi que des formulaires 16 qui avaient été produits par Apus Life en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu de 1961 avant les appels de vérification et avant l’envoi de lettres relatives à l’équité procédurale.

22.  Les motifs de la décision ne tiennent pas compte des documents fiscaux qu’Apus Life, l’ancien employeur de la demanderesse, avait soumis aux autorités gouvernementales avant les appels de vérification et que la demanderesse a remis au bureau des visas en réponse aux lettres relatives à l’équité procédurale. Ces documents fiscaux attestent des retenues fiscales sur le salaire de Ravneet Bhatti lorsqu’elle était employée d’Apus Life Private Limited.

23.  Les certificats qu’Apus Life a produits en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu de 1961 et que la demanderesse a fournis en réponse aux lettres relatives à l’équité procédurale visaient les périodes du 1er avril 2014 au 31 mars 2015 et du 1er avril 2015 au 10 juillet 2015. Ces documents confirment donc qu’elle possède une expérience professionnelle de plus d’une année, soit la période minimale d’admissibilité au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

24.  Dans la décision Kaur c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, la Cour fédérale a retenu que, lorsqu’un agent établit qu’une lettre n’est pas crédible ou qu’elle est frauduleuse, le demandeur doit être convoqué à un entretien afin de répondre à ces doutes.

25.  Le bureau des visas n’a envoyé aucune autre lettre pour faire part à Mme Bhatti des doutes soulevés par les documents fournis après sa réponse aux lettres relatives à l’équité procédurale. Aucun entretien n’a été organisé.

26.  La focalisation de l’agent sur les renseignements donnés durant les appels de vérification et son indifférence à l’égard de la preuve documentaire dénotent une fermeture d’esprit et l’absence d’une véritable appréciation des éléments de preuve favorables et défavorables.

27.  Le bureau des visas a omis d’informer la demanderesse des doutes suscités par les documents qu’elle avait présentés, y compris la lettre de recommandation, les déclarations solennelles de tiers et les documents produits en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu de 1961, et a de ce fait manqué à ses obligations d’équité procédurale et de justice naturelle envers elle. Il s’agit d’un signe supplémentaire de fermeture d’esprit. La décision est par conséquent incorrecte.

[Renvois omis.]

[41]  La lettre relative à l’équité procédurale qui a été signifiée à la demanderesse était ainsi rédigée :

[traduction]

Le paragraphe 16(1) dispose ainsi :

16(1)  L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis.

Vous avez déclaré dans votre demande et les documents fournis à l’appui que vous avez été coordonnatrice du marketing (CNP 1123) chez Apus Life de juillet 2012 à juillet 2015. Je relève que lors d’un entretien téléphonique qui a eu lieu le 13 novembre 2015, vous avez répondu à une série de questions sur l’expérience professionnelle déclarée. Des appels subséquents ont été faits à Apus Life. Des incohérences significatives ont été constatées entre vos réponses et celles des employés d’Apus Life. Je ne suis pas convaincu que vous possédez réellement l’expérience professionnelle déclarée comme coordinatrice du marketing chez Apus Life.

Par conséquent, j’estime que vous ne remplissez pas les exigences de l’alinéa 75(2)a) et que vous avez délibérément tenté de m’induire en erreur sur un objet pertinent, ce qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. J’envisage par conséquent de recommander à mon superviseur de vous déclarer interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Une telle déclaration vous vaudrait une interdiction de territoire au Canada pour une période de cinq ans en application de l’alinéa 40(2)a) :

40(1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

40(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

[42]  Pour l’essentiel, l’agent des visas informait la demanderesse de ce qui suit dans la lettre relative à l’équité procédurale : [traduction] « Des incohérences significatives ont été constatées entre vos réponses et celles des employés d’Apus Life, [et] vous avez délibérément tenté de m’induire en erreur sur un objet pertinent, ce qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi ». L’agent conclut qu’il envisage de recommander que la demanderesse soit déclarée interdite de territoire au sens de l’alinéa 40(2)a). En l’espèce, l’objet pertinent a trait à [traduction] « l’expérience professionnelle déclarée ».

[43]  Il est manifeste que la demanderesse a été avisée des incohérences significatives qui avaient été relevées entre ses réponses et celles des employés d’Apus Life aux questions du fonctionnaire de CIC, ainsi que de la conclusion de l’agent des visas concernant la présentation erronée qu’elle avait faite dans sa demande de résidence permanente concernant sa bonne expérience professionnelle comme coordonnatrice du marketing chez Apus Life. L’agent des visas utilise la phrase suivante : [traduction] « Vous avez déclaré dans votre demande et les documents fournis à l’appui [...] ». Ce choix de mots ne laisse aucun doute sur le fait qu’il ne prêtait foi ni auxdits documents ni aux déclarations de la demanderesse concernant ses soi-disant [traduction] « attributions principales ». La lettre de recommandation fait partie des documents justificatifs.

[44]  Les documents fiscaux ne sont pas évoqués parce qu’ils ne révèlent rien sur l’« expérience » réelle de la demanderesse. Tout ce que l’agent des visas peut en déduire est que la demanderesse a travaillé pour Apus Life et qu’elle a déclaré y avoir été [traduction« coordonnatrice du marketing ». Ils ne dissipent pas ses doutes concernant son [traduction] « expérience professionnelle déclarée ».

[45]  La demanderesse a également remis à l’agent des visas des déclarations de tiers dans le but d’élucider les incohérences entre les éléments de preuve recueillis durant les vérifications par téléphone. Toutefois, comme il l’indique dans ses motifs, ces déclarations n’ont pas dissipé les doutes de l’agent : [traduction] « Deux employés sont revenus sur leurs déclarations et affirment désormais que la demanderesse a bel et bien travaillé chez Apus Life comme coordinatrice du marketing », et les déclarations n’expliquent pas de manière adéquate les « incohérences entre les réponses [de la demanderesse] et celles de ses collègues », ni comment il est possible qu’elle ne puisse pas identifier au moins un client de la société, ce qui serait une grave lacune pour quelqu’un qui prétend avoir été coordinatrice du marketing. Autrement dit, aucune force probante n’a été accordée aux documents justificatifs supplémentaires qu’elle a fournis en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale puisqu’ils n’attestent pas de [traduction] « l’expérience professionnelle déclarée » de la demanderesse. L’« expérience professionnelle déclarée » est liée en grande partie aux relations avec la clientèle, mais la demanderesse en nomme seulement une poignée et les documents justificatifs ne parlent pas de son expérience réelle.

[46]  L’agent des visas lui a exposé ses doutes suffisamment en détail, et elle aurait dû avoir une bonne idée de ce qu’elle devait inclure dans sa réponse, dont il fait par ailleurs une évaluation juste et suffisamment motivée. L’agent n’avait aucune obligation de fournir un [traduction] « résultat intermédiaire » à la demanderesse, ni de lui donner d’autres possibilités de répondre à ses doutes persistants (voir Liao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 Canlii 16440, aux paragraphes 23 à 25).

[47]  Dans sa réponse, la demanderesse soulève une autre question d’ordre procédural quand elle affirme que la prépondérance que l’agent des visas a accordée à la vérification par téléphone témoigne d’un esprit fermé à l’égard de ses réponses à la lettre relative à l’équité procédurale. Ce choix de l’agent ne témoigne pas du tout d’un « esprit fermé ». Il lui était loisible d’accorder plus d’importance aux réponses spontanées des personnes interrogées lors des appels de vérification téléphonique, d’autant plus que la demanderesse n’a pas su le convaincre qu’elle possédait réellement [traduction] « l’expérience professionnelle déclarée ».

[48]  La demanderesse ajoute qu’on ne lui a jamais transmis la note dans laquelle l’agent des visas indique que [traduction] « Sangram Singh est l’époux de Sonali Singh, la directrice d’Apus Life. qui est aussi la sœur du cousin de la demanderesse principale », ce qui est inexact.

[49]  Je reconnais que cette information ne lui a pas été communiquée. La demanderesse estime qu’en faisant valoir cet élément de preuve extrinsèque et vague, l’agent des visas a manqué à l’équité procédurale.

[50]  Une lecture d’ensemble de la décision ne laisse aucun doute quant à l’absence d’obligation de communiquer cette information à la demanderesse. L’agent des visas a certes relevé cette information, mais elle n’a pas eu d’incidence sur sa décision finale, qui reposait plutôt sur ses conclusions que la documentation était incomplète, qu’il y avait des incohérences entre les réponses recueillies durant la vérification téléphonique, que la demanderesse n’avait pas été en mesure de donner des renseignements élémentaires sur Apus Life et, ce qu’il a jugé plus préoccupant encore, qu’elle avait été incapable [traduction] « d’identifier au moins un client de la société » et, partant, d’établir qu’elle possédait « l’expérience professionnelle déclarée ». La relation entre la demanderesse et Sangram Singh n’est aucunement déterminante dans l’appréciation des éléments qui ont suscité des doutes, savoir la présentation erronée sur son « expérience professionnelle déclarée » et son défaut de présenter un quelconque document réfutant ce constat.

[51]  Je ne relève aucun manquement à l’équité procédurale dans la décision.

C.  Caractère raisonnable de la décision

[52]  La demanderesse affirme que [traduction] « la décision était également déraisonnable », mais son exposé des arguments n’énonce aucun motif étayant cette allégation.

[53]  En fait, la question du caractère raisonnable est évoquée pour la première fois dans sa réponse à l’exposé des arguments du défendeur. Selon le droit strict, cette réponse n’est pas admissible et la demanderesse n’a pas valablement présenté ses arguments à la Cour. Toutefois, pour la rassurer, je précise que j’ai pris en compte toutes les questions qui la préoccupent et que j’ai examiné dans leur intégralité tous ses arguments sur le caractère raisonnable, pour constater que même s’ils avaient été présentés correctement, ils n’auraient eu aucune incidence sur mes conclusions.

[54]  Selon la demanderesse, il était inopportun de la part de l’agent des visas de prétendre que sa demande était de mauvaise qualité puisque l’examen initial de son expérience professionnelle était favorable et semblait appuyer sa demande. Il ressort toutefois de l’ensemble de la décision qu’une vérification a été nécessaire parce que la demanderesse a soumis [traduction] « des documents d’emploi incomplets et de mauvaise qualité (trois lettres, mais aucun bulletin de paie, relevé bancaire ou document fiscal ».

[55]  La demanderesse reproche également à l’agent des visas d’avoir parlé à des personnes qui travaillaient pour d’autres sociétés qu’Apus Life, son ancien employeur, lors de la vérification téléphonique. Toutefois, la preuve révèle clairement que l’agent des visas a composé le numéro indiqué par la demanderesse et qu’il a parlé à des employés d’Apus Life et de sociétés affiliées. Hecures est une filiale d’Apus Life et partage les mêmes bureaux, le même numéro de téléphone et les mêmes effectifs. L’employé qui a répondu à l’appel du fonctionnaire de CIC lui a confirmé qu’il avait composé le numéro d’Apus Life.

[56]  Quoi qu’il en soit, comme la demanderesse n’évoque aucune de ces questions dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, il ne peut être reproché à l’agent des visas de ne pas en avoir tenu compte à cette étape du processus.

[57]  La demanderesse fait maintenant grief au fonctionnaire de CIC de ne pas avoir parlé à des personnes qui la connaissaient bien. Pourtant, il a téléphoné chez Apus Life et demandé à parler à M. Singh, qui a refusé de coopérer et l’a accusé d’avoir fait perdre leur temps à ses employés. M. Singh était le directeur de la demanderesse, et l’agent des visas n’est certainement pas responsable de son refus de coopérer.

[58]  Il appert que la demanderesse n’a pas établi que la décision comporte une erreur susceptible de révision mettant en cause son caractère raisonnable.

[59]  Dans sa plaidoirie, elle a fait valoir que la preuve extrinsèque susmentionnée constituait un manquement à l’équité procédurale. Or, comme je l’ai déjà mentionné, la relation entre la demanderesse et Sangram Singh n’a aucunement joué sur l’élément central de la décision, savoir la présentation erronée sur son « expérience » comme coordonnatrice du marketing.

[60]  Quant à la question du caractère raisonnable de la décision, la demanderesse a centré sa plaidoirie sur la nature des documents fournis en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, qui selon elle attestent qu’elle a été [traduction] « coordinatrice du marketing » chez Apus Life. Apparemment, elle n’a pas bien saisi que le nœud de la décision repose sur son défaut de faire la preuve de son [traduction] « expérience professionnelle déclarée » dans sa demande de résidence permanente. La jurisprudence de notre Cour est constante sur ce point : la demanderesse devait produire une preuve indépendante pour dissiper les doutes de l’agent des visas (voir Mehreen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 533). Dans le présent dossier, le cœur du litige tient à la présentation erronée de la demanderesse concernant son [traduction] « expérience professionnelle déclarée », et non à la question de savoir si elle a vraiment travaillé chez Apus Life ou si des documents (comme des déclarations fiscales) la désignent comme coordonnatrice du marketing.

[61]  Dans sa plaidoirie, la demanderesse n’a pas établi qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale ou que la décision est déraisonnable.

[62]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour d’avril 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1645-16

 

INTITULÉ :

RAVNEET BHATTI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Paul R. Hesse

 

Pour la demanderesse

 

Aliyah Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado Law

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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