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Date : 20161024


Dossier : T-1519-15

Référence : 2016 CF 1188

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

À Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

BURBERRY LIMITED; ET

BURBERRY CANADA INC.

demanderesses

et

WASSEEM MAHMOOD RAMJAUN

FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE LAGUNA TRADING,

TAMASSA TRADING LTD. ET

FASHION MARKET USA LLC

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente décision vise une audience tenue conformément à une ordonnance rendue le 6 juin 2016 par la juge Elliot (l’ordonnance de justification) et enjoignant au défendeur, Wasseem Mahmood Ramjaun, faisant affaire sous le nom de Laguna Trading (M. Ramjaun), de comparaître devant un juge de notre Cour afin d’expliquer pourquoi il ne devrait pas être reconnu coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi à une ordonnance du juge LeBlanc rendue dans la présente procédure le 11 septembre 2015, ainsi qu’à l’ordonnance du juge Harrington rendue dans la présente procédure le 23 septembre 2015, aux termes des articles 466 et 467 des Règles de la Cour fédérale (les Règles).

[2]  Pour les motifs exposés ci-après, je déclare M. Ramjaun coupable d’outrage au tribunal sous les chefs d’accusation 1 à 3 et 5 à 8 de l’ordonnance de justification.

II.  Contexte

[3]  Le 9 septembre 2015, les demanderesses, Burberry Limited et Burberry Canada Inc. (Burberry) ont introduit l’action à l’origine de la présente procédure pour outrage au tribunal. Burberry se décrit comme une marque de luxe mondiale qui crée, fabrique, fait connaître, distribue et vend des vêtements et des accessoires de qualité supérieure. Elle prétend que M. Ramjaun et les autres défendeurs ont participé à diverses opérations mettant en cause des marchandises Burberry contrefaites et impliquant notamment des infractions de contrefaçon de marque de commerce ainsi que de commercialisation frauduleuse par suite de l’emploi sans autorisation de marques de commerce déposées par Burberry.

[4]  Burberry a intenté la présente action dans la foulée de l’exécution, en juin 2015 au Royaume-Uni, d’une ordonnance Anton Piller prononcée contre Miles Ellingham et son commerce FMI/T/A Fashion Market Int Limited. Plus de 1 100 chemises Burberry contrefaites ont été saisies auprès de M. Ellingham et de son commerce. À la suite de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller, M. Ellingham a désigné « Laguna Trading, 105 La Rose Avenue, Toronto (Ontario), Canada – Waseem Mahmood ». comme source unique des marchandises Burberry contrefaites trouvées en sa possession.

[5]  Le 11 septembre 2015, les demanderesses ont introduit une requête ex parte pour obtenir une ordonnance d’injonction Mareva interdisant à M. Ramjaun de dilapider ses éléments d’actif et stipulant d’autres recours. Le 11 septembre 2015, le juge LeBlanc a rendu une ordonnance par laquelle il imposait diverses interdictions à M. Ramjaun et l’obligeait à faire une déclaration sous serment contenant divers renseignements, notamment la nature, la valeur et l’emplacement de ses éléments d’actifs, ainsi qu’à se prêter à un interrogatoire sous serment après le dépôt de sa déclaration (l’ordonnance Mareva). L’ordonnance Mareva a été signifiée à M. Ramjaun le 11 septembre 2015. Le 23 septembre 2015, avec le consentement des parties, le juge Harrington a ordonné la prorogation de l’ordonnance Mareva à titre interlocutoire jusqu’à ce que la Cour tienne un procès sur la question ou rende une nouvelle ordonnance.

[6]  M. Ramjaun a fourni une déclaration sous serment datée du 18 septembre 2015 et, le 25 septembre 2015, l’avocat de Burberry l’a interrogé sous serment.

[7]  Le 26 février 2016, Burberry a déposé une requête fondée sur le paragraphe 467(1) des Règles pour obtenir une ordonnance de justification contre M. Ramjaun, à qui il était reproché d’avoir effectué des opérations mettant en cause ses éléments d’actif en contravention des ordonnances des juges LeBlanc et Harrington, d’avoir présenté une déclaration sous serment incomplète et d’avoir menti lors de l’interrogatoire sur sa déclaration sous serment. À l’issue d’une audience tenue le 6 juin 2016, la juge Elliot a conclu que Burberry avait établi une preuve prima facie établissant que M. Ramjaun avait commis un outrage au tribunal, et elle a prononcé une ordonnance de justification le sommant de comparaître devant un juge de notre Cour afin d’entendre la preuve concernant les actes qui lui étaient reprochés et de préparer sa défense. Une ordonnance datée du 6 juillet 2016 a fixé la tenue de l’audience au 3 octobre 2016 à Toronto (l’audience sur l’outrage). Par ailleurs, le 6 juin 2016, la juge Elliot a entendu une requête en jugement sommaire présentée par Burberry en application du paragraphe 213 des Règles; la décision à l’égard de cette requête est actuellement en délibéré.

[8]  Conformément au paragraphe 470(1) des Règles, la preuve à l’appui d’une requête en ordonnance pour outrage doit être présentée de vive voix, sauf directive contraire de la Cour. Dans la semaine précédant l’audience sur l’outrage, Burberry a demandé une directive qui d’une part l’autoriserait à incorporer la preuve par affidavit jointe à la requête à l’origine de l’ordonnance de justification au dossier de l’audience sur l’outrage et, de l’autre, qui lèverait l’obligation pour les déposants de Burberry de témoigner de vive voix sur les faits décrits dans l’affidavit. M. Ramjaun a acquiescé à cette demande. Le 30 septembre 2016, j’ai rendu une ordonnance en ce sens. M. Ramjaun a également consenti à ce que l’ordonnance lève l’obligation prévue au paragraphe 467(4) des Règles que lui soient signifiées personnellement la preuve par affidavit et les ordonnances des 6 juin et 6 juillet 2016.

[9]  Dans l’ordonnance que j’ai rendue le 30 septembre 2016, je précisais que les déposants de Burberry pouvaient, sans y être tenus, assister à l’audience sur l’outrage et y témoigner de vive voix. L’ordonnance obligeait toutefois M. Ramjaun à être présent à l’audience, mais le laissait libre de témoigner de vive voix ou non. À l’audience sur l’outrage, la Cour a entendu les témoignages de vive voix de Jennifer Colgan Halter, l’avocate spécialisée en protection de marque de Burberry, ainsi que de M. Ramjaun. Tous les deux ont été contre-interrogés.

[10]  Les parties se sont aussi prononcées sur la question de savoir si la Cour devait entendre les observations sur la sanction appropriée lors de l’audience sur l’outrage ou attendre à une étape ultérieure de la présente procédure en cas de conclusion d’outrage. Burberry était prête à présenter ses observations sur la sanction à l’audience sur l’outrage, mais M. Ramjaun a objecté que ces observations seraient pertinentes seulement si un verdict d’outrage était prononcé. Me fondant sur les directives données par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Winnicki c Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CAF 52, aux paragraphes 12 à 16, je me rallie aux arguments de M. Ramjaun.

III.  Question en litige

[11]  Dans le cadre de l’audience sur l’outrage, la seule question à déterminer est celle de savoir si la preuve établit hors de tout doute raisonnable que M. Ramjaun a commis un outrage au tribunal.

IV.  Discussion

[12]  L’ordonnance de justification donne les précisions suivantes concernant les actes reprochés à M. Ramjaun : [traduction]

  1. Le 16 septembre 2015, Waseem Mahmood Ramjaun a effectué trois opérations bancaires : Il a retiré des fonds de son compte numéro 3297-4971-491 de la Banque de Montréal. Il a contracté un prêt auprès de National Money. Il a effectué un virement de fonds par Interac depuis son compte numéro 3297-3965-622 de la Banque de Montréal.

  2. Le 18 septembre 2015, M. Ramjaun a été sommé de présenter une déclaration sous serment au plus tard le 18 septembre 2015. La déclaration qu’il a présentée était très incomplète puisqu’il n’y a pas mentionné tous ses comptes bancaires ni tous ses éléments d’actifs.

  3. Le 22 septembre 2015, M. Ramjaun a retiré des fonds de son compte numéro 3297-4791-491 de la Banque de Montréal.

  4. Le 25 septembre 2015, il a été contre-interrogé sur sa déclaration sous serment. À plusieurs reprises, M. Ramjaun a menti sous serment.

  5. Le 28 septembre 2015, M. Ramjaun a retiré des fonds de son compte numéro 3297-4971-491 de la Banque de Montréal.

  6. Le 29 septembre 2015, M. Ramjaun a retiré des fonds de son compte numéro 3297-3965-622 de la Banque de Montréal.

  7. Le 30 septembre 2015, M. Ramjaun a retiré des fonds de son compte numéro 3297-3965-622 de la Banque de Montréal.

  8. Le 1er octobre 2015, M. Ramjaun a retiré des fonds de son compte numéro 3297-4791-491 à la succursale 3995 de la Banque de Montréal, et il a ensuite retiré d’autres fonds du même compte dans une autre succursale de la Banque de Montréal.

[13]  Les huit chefs d’accusation d’actes de désobéissance peuvent être répartis en trois catégories. Il est reproché à M. Ramjaun : a) d’avoir effectué diverses opérations liées à ses éléments d’actifs malgré l’interdiction de l’ordonnance Mareva (chefs d’accusation 1, 3, et 5 à 8); b) d’avoir présenté une déclaration sous serment dans laquelle il n’a pas donné la liste complète de ses comptes bancaires et d’autres éléments d’actif, contrevenant ainsi à l’obligation énoncée dans l’ordonnance Mareva à cet égard (chef d’accusation 2); c) d’avoir menti sous serment à plusieurs reprises lors de son contre-interrogatoire sur la déclaration sous serment qu’il a présentée conformément à l’ordonnance Mareva (chef d’accusation 4). J’aborderai chacune des trois catégories séparément.

A.  Opérations (chefs d’accusation 1, 3, et 5 à 8)

[14]  Les éléments de preuve documentaire établissent clairement que M. Ramjaun a effectué les opérations alléguées. Du reste, il l’a lui-même admis, tout en faisant valoir qu’il n’avait aucune intention de désobéir. Il a déclaré sous serment qu’avant de rencontrer son avocat le 1er octobre 2015, il n’avait pas bien saisi les conditions de l’ordonnance Mareva. Il prétend qu’il a compris les obligations auxquelles le tenait l’ordonnance Mareva seulement après le 1er octobre 2015, qu’il a cessé les opérations liées à ses éléments d’actif et dans ses comptes bancaires après cette date, et qu’il s’est strictement conformé aux exigences de l’ordonnance. Il fait valoir que la qualification de l’outrage exige à la fois des éléments matériels et des éléments de faute. Il admet l’existence de l’élément matériel de l’outrage, mais il estime que ses actes ne révèlent aucun élément de faute.

[15]  Pour se disculper, M. Ramjaun plaide qu’il a immigré au Canada de la République de Maurice il y a 10 ans à peine, que sa langue maternelle est le français et qu’il a été scolarisé dans cette langue en Maurice. Il parle en urdu avec ses parents, en créole français avec son épouse canadienne, et en anglais ou en français avec son fils né au Canada. Il communique en anglais avec les clients de son entreprise et avec son avocat. Comme il a seulement fait des études secondaires et que l’anglais est sa troisième ou quatrième langue, il pouvait difficilement comprendre le jargon juridique de l’ordonnance Mareva pendant les deux ou trois premières semaines suivant sa signification, le 11 septembre 2015. Par exemple, il avait mal interprété la signification du mot anglais assets [« éléments d’actif »], dont le sens est plus étroit en créole français (il veut dire « biens matériels ») ou « biens durables »). Il a aussi incorrectement pensé que the Bank [la Banque] dans l’ordonnance Mareva renvoyait seulement à la Banque TD (à laquelle l’ordonnance Mareva enjoignait expressément de bloquer l’actif de M. Ramjaun).

[16]  M. Ramjaun déclare qu’il a engagé un avocat le 16 septembre 2015, qu’il s’est fait expliquer le sens exact des termes utilisés dans l’ordonnance Mareva le 1er octobre 2015, et que c’est seulement après qu’il a compris de quoi il retournait au juste. C’est ce qui explique, selon lui, qu’il a effectué des opérations jusqu’au 1er octobre 2015 en raison de sa mauvaise compréhension de l’ordonnance Mareva. Il n’a jamais fait ces opérations dans l’intention de désobéir à ses conditions. M. Ramjaun a reçu des conseils juridiques à partir du 16 septembre 2015 seulement et, entre cette date et le 1er octobre 2015, il s’est concentré sur la préparation de sa déclaration sous serment et du contre-interrogatoire subséquent. Avant le 1er octobre, il avait reçu des explications très sommaires des conditions de l’ordonnance Mareva.

[17]  Burberry a renvoyé la Cour aux précédents faisant autorité concernant la preuve d’un élément « de faute » dans une procédure d’outrage civil. Dans l’arrêt Merck & co. c Apotex Inc., 2003 CAF 234, au paragraphe 56, la Cour d’appel fédérale rappelle que l’absence d’intention d’entraver la bonne administration de la justice ou de commettre un outrage au tribunal ne constitue pas un moyen de défense opposable à une conclusion d’outrage. En fait, l’absence d’intention peut seulement être considérée comme un facteur atténuant dans la détermination de la peine. Dans la décision LifeGear Inc. c Urus Industrial Corp., 2004 CF 21, aux paragraphes 22 à 24, conf. par 2005 CAF 63, la Cour a retenu que l’élément de faute correspond à la connaissance des termes de l’ordonnance non respectée.

[18]  La Cour suprême du Canada s’est aussi prononcée sur le critère de l’outrage au tribunal civil, y compris l’élément de faute, dans son arrêt récent Carey c Laiken, 2015 CSC 17. Au paragraphe 38, la Cour a ainsi expliqué que l’obligation d’intention :

Il est bien établi en common law canadienne que, pour établir l’outrage civil, il suffit de prouver hors de tout doute raisonnable que son auteur présumé a intentionnellement commis un acte – ou omis d’agir – en violation d’une ordonnance claire dont il avait connaissance : Prescott-Russell, par. 27; College of Optometrists, par. 71; Sheppard, p. 8; TG Industries, par. 17 et 32; Bhatnager, p. 224-225; Sharpe, ¶ 6.190. La Cour d’appel a suivi cette approche. Comme elle l’a fait remarquer, exiger que l’auteur de l’outrage ait eu l’intention de désobéir à l’ordonnance rendrait la norme [traduction] « trop élevée » et ferait en sorte que les « erreurs de droit [deviendraient] un moyen de défense qu’il serait possible d’invoquer contre une accusation d’outrage civil, mais pas contre une accusation de meurtre » (par. 59). L’intention de désobéir ou l’absence d’une telle intention se rapporte plutôt à la peine à infliger par suite d’une conclusion d’outrage : par. 62; voir aussi Sheppard; et Sharpe, ¶ 6 200.

[19]  Ainsi, pour établir l’élément de faute de l’outrage civil, il doit être prouvé que le défendeur a intentionnellement commis un acte interdit par une ordonnance qui lui a été signifiée. Cependant, l’intention de désobéir à l’ordonnance n’est pas requise.

[20]  Dans la présente affaire, M. Ramjaun ne nie pas que l’ordonnance Mareva lui était connue puisqu’elle lui avait été signifiée le 11 septembre 2015. Les actes allégués sont les opérations qu’il a effectuées entre le 16 septembre et le 1er octobre 2015. M. Ramjaun admet qu’il a effectué ces opérations. et il ne nie pas qu’elles violent l’interdiction que lui imposait l’ordonnance Mareva de s’abstenir de toute opération mettant en cause ses éléments d’actif. Il n’est pas requis de prouver que M. Ramjaun a effectué ces opérations dans l’intention de désobéir à l’ordonnance Mareva, mais simplement qu’il avait l’intention de les effectuer, ce qu’il ne nie pas non plus. Par ailleurs, M. Ramjaun soutient ne pas avoir pleinement compris les conditions de l’ordonnance Mareva, notamment à cause de sa piètre compréhension de l’anglais. Cela dit, il ne remet pas en question leur clarté. Si une ordonnance est claire et connue du défendeur, le fait de commettre un acte expressément interdit par celle-ci établit en soi l’outrage. Or, force m’est de constater que M. Ramjaun a intentionnellement effectué les opérations visées par l’allégation d’outrage.

[21]  Il fait valoir qu’il a simplement retiré de l’argent pour payer des dépenses courantes comme des médicaments et des honoraires d’avocat, et pour couvrir les prélèvements automatiques effectués sur son compte bancaire par l’Agence du Revenu du Canada (Agence) par suite d’un arrangement négocié avec cette dernière concernant des impôts dus pour l’année d’imposition précédente. En réponse, Burberry fait observer que M. Ramjaun ne s’est pas prévalu de la possibilité expressément prévue à l’ordonnance Mareva de demander à court préavis une ordonnance l’autorisant à payer des frais courants ainsi que les frais de consultation et de représentation juridiques. Burberry souligne en outre qu’il ressort du dossier que lors du contre-interrogatoire du 25 septembre 2015, l’avocat de Burberry a expliqué à M. Ramjaun qu’il devait demander une ordonnance à la Cour s’il souhaitait retirer de l’argent pour payer ses dépenses courantes ou ses frais d’avocat. M. Ramjaun rétorque que des demandes ont été présentées à Burberry afin qu’elle consente à la prise de telles ordonnances, mais qu’elle a chaque fois rejeté les conditions proposées. Toutefois, reconnaît-il, aucune démarche n’a été entreprise pour obtenir le consentement de Burberry parce que la décision avait été prise de ne pas engager de frais pour solliciter une ordonnance concernant une requête contestée.

[22]  La nature des dépenses ayant donné lieu aux opérations en litige pourrait être pertinente aux fins de la détermination de la sanction appropriée. Cependant, je ne crois pas que la nature des dépenses ou le fait que Burberry n’a pas accédé à une demande de M. Ramjaun soulève un moyen de défense contre des allégations d’outrage au tribunal.

[23]  Je conclus par conséquent que la preuve établit hors de tout doute raisonnable que M. Ramjaun a commis un outrage au tribunal sous les chefs d’accusation 1, 3, et 5 à 8 de l’ordonnance de justification. Comme l’absence alléguée d’une intention de désobéir n’est pas pertinente aux fins de la présente décision, mais seulement aux fins de la détermination de la sanction, et encore, et comme les parties ont envisagé de présenter d’autres observations sur la sanction en cas de conclusion d’outrage, je refuse de statuer sur cette intention à cette étape-ci de la procédure.

B.  Déclaration sous serment incomplète (chef d’accusation 2)

[24]  Cette allégation est liée à l’obligation qu’imposait l’ordonnance Mareva à M. Ramjaun de remettre à Burberry, dans les cinq jours suivant la signification de l’ordonnance, une déclaration sous serment détaillant notamment la nature, la valeur et l’emplacement de ses éléments d’actif partout dans le monde, qu’ils soient détenus en son propre nom, en propriété exclusive ou en propriété partagée. Dans la déclaration faite sous serment le 18 septembre 2015, M. Ramjaun a indiqué qu’il ne détenait aucun élément d’actif à l’extérieur du Canada et que ses seuls éléments d’actif au Canada étaient sa voiture, un compte bancaire personnel dont le solde s’établissait autour de 10 $, son compte d’entreprise à la banque TD (lequel compte était mentionné expressément dans l’ordonnance Mareva et bloqué par celle-ci), un ordinateur portable et des articles ménagers sans valeur.

[25]  L’un des affidavits souscrits par Mme Halter, l’avocate de Burberry spécialisée en protection de marque, fait référence à des comptes non déclarés de la Banque de Montréal. Parmi eux se trouvaient les deux comptes dans lesquels il a fait les opérations visées par l’ordonnance de justification. Il a présenté des documents liés à ces deux comptes lors du contre-interrogatoire du 25 septembre 2015. Mme Halter a également joint à son affidavit des documents liés à d’autres comptes que la Banque de Montréal a transmis directement à Burberry.

[26]  En contre-interrogatoire, M. Ramjaun a déclaré que le compte personnel dont le solde s’établissait autour de 10 $ est l’un des comptes de la Banque de Montréal mentionnés dans sa déclaration (solde de 9 $). Il a aussi déclaré qu’il avait un compte en dollars américains et un autre en dollars canadiens. D’après les registres bancaires joints à l’affidavit de Mme Halter, le compte personnel que M. Ramjaun mentionne dans sa déclaration sous serment est le compte en dollars canadiens numéro 3297-3965-622 de la Banque de Montréal, dont le solde était de 9,39 $ à la mi-septembre 2015. Mme Halter a raison d’affirmer que le compte en dollars américains de la Banque de Montréal (3297-4791-491) n’est pas mentionné dans la déclaration sous serment.

[27]  Elle relève tout aussi correctement que la déclaration ne comporte aucune référence aux autres comptes dont Burberry a obtenu les registres directement auprès de la Banque de Montréal. Cependant, les documents joints à son affidavit indiquent que tous ces comptes (3297-8959-790, 3297-1991-640 et 3297-4791-221) avaient un solde nul, du moins à la date qui y est inscrite, soit le 20 octobre 2015. L’ordonnance Mareva sommait M. Ramjaun de divulguer ses éléments d’actif, mais je ne puis conclure qu’un compte à solde nul constitue un élément d’actif et que l’omission de le mentionner emporte hors de tout doute raisonnable une conclusion d’outrage.

[28]  Quant au compte 3297-4791-491 de la Banque de Montréal (en dollars américains), le dossier indique un solde de 1,05 $ à la date de la déclaration sous serment de M. Ramjaun, le 18 septembre 2015. Même si ce solde peut sembler dérisoire, le compte doit être considéré comme un élément d’actif, au même titre que le compte en dollars canadiens de la Banque de Montréal dont le solde s’établissait à 9,39 $ et qui a été mentionné par M. Ramjaun. Qui plus est, comme le rappelle Burberry, le compte en dollars américains de la Banque de Montréal est l’un de ceux qui ont été utilisés pour effectuer les opérations en litige en septembre 2015. Ce compte avait un solde de plus de 1 000 $ à la date de signification de l’ordonnance Mareva à M. Ramjaun.

[29]  Je suis d’avis par conséquent que la preuve établit hors de tout doute raisonnable que le défaut de mentionner ce compte dans la déclaration sous serment constitue une violation de l’ordonnance Mareva. Il serait tentant de trancher que cette violation est sans importance étant donné le solde négligeable au compte, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une transgression d’une ordonnance de la Cour qui aurait dû être respectée le plus consciencieusement possible. La conclusion d’outrage au tribunal apparaît donc imparable. Je suis conscient que M. Ramjaun a présenté des documents liés à ce compte lors du contre-interrogatoire qui a eu lieu une semaine après le dépôt de sa déclaration sous serment incomplète, et qu’il faut en déduire qu’à ce moment, il ne semblait pas avoir l’intention de dissimuler ce compte. Cependant, comme je l’ai fait observer dans mon analyse des opérations en litige, si l’absence d’intention de désobéir peut être pertinente au moment de déterminer la sanction, elle ne peut constituer une défense contre une allégation d’outrage au tribunal.

C.  Mensonge sous serment (chef d’accusation 4)

[30]  Comme l’ordonnance de justification ne donne pas ces détails, j’ai demandé à Burberry de pointer, lors de l’audience sur l’outrage, lesquelles parmi les déclarations de M. Ramjaun lors du contre-interrogatoire du 25 septembre 2015 elle estimait mensongères. D’ailleurs, cette absence de détail pourrait soulever la question de savoir si, pour ce chef d’accusation précis, l’ordonnance de justification obtenue par Burberry décrivait l’acte reproché à M. Ramjaun de manière assez détaillée pour qu’il puisse connaître la nature des accusations portées contre lui, l’une des conditions d’une conclusion d’outrage prévues au paragraphe 467(1) des Règles. Cependant, puisque M. Ramjaun n’a pas soulevé ce moyen de défense, j’ai examiné ce chef d’accusation sur le fond, d’après la preuve et les observations des parties, et j’ai conclu que la preuve n’étaye pas, hors de tout doute raisonnable, une conclusion d’outrage pour ce qui concerne les déclarations précises que Burberry a mentionnées à la Cour.

[31]  Tout d’abord, Burberry pointe les affirmations que M. Ramjaun a faites lors du contre-interrogatoire du 25 septembre 2015 comme quoi il n’aurait pas vendu de chemises habillées Burberry à Miles Ellingham. Burberry soutient que cette déclaration est fausse et cite à l’appui un élément de preuve indiquant que des chemises habillées Burberry ont été saisies dans une descente au commerce de M. Ellingham, ainsi que le témoignage fourni par affidavit par M. Ellingham par suite d’une ordonnance Anton Pillar au R.-U. et selon lequel « Laguna Trading, 105 La Rose Avenue, Toronto (Ontario), Canada – Waseem Mahmood » était son fournisseur de polos et de chemises habillées Burberry. Burberry souligne que M. Ramjaun pouvait aussi se procurer des chemises habillées Burberry auprès de son fournisseur au Pérou, et qu’il a reconnu avoir obtenu et fourni des échantillons de ces chemises à M. Ellingham. Burberry relève en outre les erreurs sur les étiquettes cousues aux chemises trouvées en possession de M. Ellingham. Ces erreurs sont les mêmes que celles qu’a relevées l’ancienne épouse de M. Ramjaun, Farhat Ramjaun (selon son témoignage par affidavit), sur des étiquettes trouvées dans des boîtes rangées dans le garage de leur domicile.

[32]  À l’audience sur l’outrage, j’ai demandé à Burberry si ces allégations avaient pour objet d’obtenir de la Cour des conclusions qui risquaient de recouper ou, de manière hypothétique, de contredire les conclusions que pourrait tirer la juge Elliott dans sa décision sur la requête en jugement sommaire présentée par Burberry et qui était alors en suspens. Burberry n’a pas nié que c’était possible, mais elle a souligné que des normes de preuve différentes s’appliquent aux conclusions d’outrage et aux conclusions fondant une décision sur une requête en jugement sommaire. M. Ramjaun s’est quant à lui dit préoccupé par la possibilité que des conclusions se recoupent ou se contredisent, et il a demandé à la Cour de ne pas se prononcer sur lesdites allégations dans le cadre de l’audience sur l’outrage au tribunal.

[33]  Cela dit, il n’a pas cité de jurisprudence en soutien à sa proposition à la Cour de s’abstenir de statuer sur des allégations pertinentes quant à la procédure d’outrage au tribunal. Quoi qu’il en soit, considérant qu’une requête en jugement sommaire est en suspens, je me limiterai aux conclusions qui sont absolument nécessaires pour trancher la procédure pour outrage au tribunal.

[34]  Certains éléments de preuve au dossier confirment que M. Ramjaun et M. Ellingham ont négocié en vue d’une opération de vente de chemises habillées Burberry, que M. Ramjaun s’est montré prêt à aller de l’avant avec cette opération et qu’il a proposé des prix dans ce dessein. M. Ramjaun reconnaît que ces négociations ont eu lieu et qu’il a fourni à M. Ellingham des échantillons de chemises habillées Burberry en prévision de l’opération en question. M. Ramjaun a toutefois déclaré et soutenu en défense que cette opération n’a jamais eu lieu, et qu’il a seulement vendu des polos Burberry à M. Ellingham, jamais de chemises habillées.

[35]  D’ailleurs, il a admis qu’il avait vendu des polos Burberry à M. Ellingham. Il a même admis que ces polos étaient contrefaits, encore qu’il tienne à préciser qu’il a toujours pensé qu’ils étaient authentiques. Par conséquent, plaide-t-il, il n’aurait pas pu mentir au sujet de la vente de chemises habillées Burberry. Il a déclaré n’avoir jamais vendu de telles chemises, seulement en avoir fourni quelques échantillons, parce que c’est la vérité.

[36]  Burberry a raison : dans un affidavit joint à l’affidavit de Mme Halter, M. Ellingham a déclaré que M. Ramjaun lui avait fourni des chemises habillées. Toutefois, M. Willingham n’a pas été contre-interrogé dans la présente procédure. J’ai pris connaissance des éléments de preuve documentaire fondant les allégations de Burberry, y compris les éléments saisis lors de la descente chez M. Ellingham par suite d’une ordonnance Anton Piller, mais je ne suis pas convaincu hors de tout doute raisonnable que M. Ramjaun ment quand il affirme qu’il lui a vendu des polos Burberry, mais qu’il lui a seulement fourni des échantillons de chemises, qu’il ne lui en a jamais vendu. À mon avis, Burberry n’a pas fait la preuve hors de tout doute raisonnable que M. Ramjaun a menti à ce sujet lors de son contre-interrogatoire.

[37]  La deuxième allégation de Burberry a trait à une autre déclaration faite par M. Ramjaun lors du contre-interrogatoire du 25 septembre 2015 et selon laquelle les marchandises achetées à son fournisseur péruvien en vue de les vendre à M. Ellingham provenaient de [traduction] « lots d’inventaire ». Selon M. Ramjaun, les marchandises de ces lots étaient assemblées, étiquetées et emballées. Burberry affirme que M. Ramjaun ment. Elle se fonde pour le prouver sur des documents au dossier qui, prétend-elle, sont des bons de sortie délivrés par « Laguna Trading Ltd. ». et sur lesquels figurent une adresse à New York ainsi qu’une attestation comme quoi Laguna Trading Ltd. est le distributeur autorisé de la marque Burberry aux États-Unis. L’ordonnance Anton Piller a permis de saisir d’autres documents de même nature chez M. Ellingham, dont un exemplaire a été joint à l’affidavit de Farhat Ramjaun. Mme Ramjaun affirme avoir trouvé le document dans son ordinateur portable, qui selon elle était parfois utilisé par M. Ramjaun pour ses activités commerciales.

[38]  Burberry estime que M. Ramjaun a prétendu qu’il achetait et vendait des marchandises provenant de lots d’inventaire pour faire croire qu’il ne savait pas que ces marchandises étaient contrefaites. Elle ajoute que même M. Ramjaun a reconnu que les bons de sortie avaient été falsifiés (bien qu’il nie en avoir connu l’existence), et que la découverte de ces documents chez son client ainsi que dans l’ordinateur portable de son ancienne épouse confirme qu’il se savait impliqué dans le commerce de marchandises contrefaites.

[39]  Rien dans la preuve de Burberry ne me convainc hors de tout doute raisonnable que M. Ramjaun ment quand il affirme que les chemises achetées en vue de la vente à M. Ellingham provenaient de lots d’inventaire. Même si M. Ramjaun savait que les chemises étaient contrefaites au moment où l’achat et la vente ont eu lieu, il ne s’agit pas d’une preuve que l’usine péruvienne n’a pas pu lui fournir des chemises complètement assemblées. Au vu de la preuve à ma disposition, je ne peux pas conclure hors de tout doute raisonnable que Burberry a raison quand elle allègue que M. Ramjaun a menti sur ce sujet précis durant le contre-interrogatoire du 25 septembre 2015.

[40]  Je conclus donc que la preuve n’établit pas que M. Ramjaun a commis l’outrage visé au chef d’accusation 4 de l’ordonnance de justification. Je tiens toutefois à préciser que cette conclusion n’a absolument aucune incidence sur la question de savoir si, oui ou non, M. Ramjaun faisait sciemment le commerce de marchandises contrefaites.

V.  Conclusion

[41]  Après avoir conclu que M. Ramjaun s’était rendu coupable d’outrage au tribunal sous les chefs d’accusation 1 à 3 et 5 à 8 (exception faite du chef d’accusation 4) de l’ordonnance de justification, la Cour demande aux parties de lui soumettre leurs observations sur la sanction la plus indiquée compte tenu de l’outrage constaté, ainsi que sur la façon dont il conviendrait d’adjuger les dépens afférents à l’ensemble de la procédure pour outrage au tribunal. Je tiendrai compte de ces observations dans mon ordonnance.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. Le défendeur, Wasseem Mahmood Ramjaun, faisant affaire sous le nom de Laguna Trading, est déclaré coupable d’outrage pour avoir désobéi aux ordonnances prononcées par notre Cour les 11 septembre et 23 septembre 2015.

  2. Les parties devront s’entendre avec l’administrateur concernant une date d’audience sur la sanction à infliger par suite de cette conclusion d’outrage.

  3. Si les parties souhaitent présenter des observations écrites avant l’audience sur la sanction, elles devront s’entendre sur un échéancier pour le dépôt de ces observations et le proposer à la Cour, qui donnera ensuite ses directives concernant l’échéancier.

  4. Les décisions concernant les dépens de la présente requête et la requête en ordonnance de justification fondée sur le paragraphe 467(1) des Règles seront rendues à l’audience sur la sanction.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1519-15

INTITULÉ :

BURBERRY LIMITED ET AL. c WASSEEM MAHMOOD RAMJAUN, FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE LAGUNA TRADING

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 24 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Peter W. Choe

Pour les demanderesses

Daniel L. Brinza

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

Brinza Law Office

Oakville (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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