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Date : 20161019


Dossier : IMM-1190-16

Référence : 2016 CF 1168

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

ALBERT PUNA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION :

[1]               Le demandeur, Albert Puna, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 11 février 2016 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté son appel et confirmé la décision de la Section de l’immigration (SI) selon laquelle il est interdit de territoire pour fausses déclarations, en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (« LIPR »).

II.                FAITS ET PROCÉDURES

[2]               M. Puna est citoyen de l’Albanie. En 1999, il a soumis une demande d’immigrer au Canada à partir de l’Italie. L’année suivante, il a fait un séjour d’un mois chez sa sœur au Canada. En septembre 2005, il est entré au Canada en utilisant un faux passeport, et il a demandé l’asile sous un nom d’emprunt. Après avoir été invité à répondre à des questions sur son identité, il a retiré sa demande. Le 10 novembre 2010, M. Puna s’est vu accorder le statut de résident permanent du Canada dans la catégorie du regroupement familial, à titre de conjoint d’une citoyenne canadienne, Lori Thomsen.

[3]               M. Puna a rencontré Mme Thomsen en septembre 2006, et ils se sont mariés en décembre de la même année. Ils ont cohabité du 5 novembre 2006 au 20 avril 2007. Le demandeur est retourné en Albanie le 20 avril 2007. Mme Thomsen a présenté une demande de parrainage au nom du demandeur qui a été reçue au bureau des visas le 1er juin 2007. Mme Thomsen a fait 2 séjours de 10 jours chez le demandeur en Albanie, en août 2008 et en août 2010.

[4]               Le 9 novembre 2010, Mme Thomsen a officiellement retiré sa demande de parrainage du demandeur. Le bureau des visas de Rome en a été informé le lendemain, mais le demandeur était déjà parti pour le Canada. Il est arrivé avant que le bureau des visas puisse délivrer l’avis officiel du retrait. M. Puna a été accueilli par sa sœur à Vancouver. Il affirme qu’il a alors tenté de joindre sa femme par téléphone, par courriel et par Skype, sans succès. Dans son affidavit, M. Puna affirme qu’il a rencontré sa femme à Vancouver le 21 novembre 2010, et que c’est seulement à ce moment qu’il a appris qu’elle avait retiré sa demande de parrainage et que son mariage était rompu.

[5]               Dans l’avis de demande en matière familiale déposé le 19 novembre 2010, Mme Thomsen déclare que la séparation a eu lieu le 23 avril 2009. Par contre, dans l’affidavit à l’appui de sa requête en divorce déposée le 28 octobre 2011, elle indique que la date de la séparation est le 19 septembre 2010. Le divorce a été prononcé le 18 janvier 2012. Le 21 janvier 2014, M. Puna a épousé une citoyenne du Venezuela avec qui il a eu un enfant né au Canada.

[6]               Le 16 juillet 2014, le demandeur a comparu devant la SI. Parmi les éléments de preuve examinés par la SI se trouvait une déclaration solennelle d’un agent d’immigration qui, lors d’un échange téléphonique, avait demandé à Mme Thomsen la date exacte à laquelle elle avait informé le demandeur que leur mariage était rompu. Se fondant sur l’ensemble de la preuve, y compris le témoignage du demandeur, le président de l’audience a conclu que M. Puna était interdit de territoire pour fausse déclaration, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[7]               L’instruction de l’appel interjeté par M. Puna auprès de la SAI, par lequel il réclamait l’annulation de la décision ou, subsidiairement, qu’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire soit accordée, a eu lieu le 11 février 2016 et la décision de la SI a été confirmée. La présente demande sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAI.

III.             LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]               La SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations. Elle n’a pas reconnu que le demandeur et Mme Thomsen n’avaient pas discuté de la rupture de leur mariage lors de leurs communications, avant son arrivée au Canada. Aucune preuve matérielle ne contredit la date de la séparation mentionnée sur la requête en divorce. Cette information n’a pas été communiquée aux autorités de l’immigration avant l’arrivée du demandeur au Canada. Selon la prépondérance des probabilités, la SI a conclu que le demandeur est un résident permanent interdit de territoire au Canada pour avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. En conséquence, une mesure d’exclusion a été prise contre le demandeur.

[9]               La SAI a rejeté le témoignage du demandeur selon lequel il ignorait que son mariage avait été rompu ou que la demande de parrainage avait été retirée. La SAI souligne à cet égard qu’il incombe à la personne qui cherche à entrer au Canada de divulguer les renseignements : Bodine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848. La SAI a conclu que le demandeur avait manqué à son obligation de divulguer tous les faits importants se rapportant à sa demande de parrainage. La conclusion d’interdiction de territoire tirée par la SI a donc été confirmée.

[10]           Afin de déterminer si des motifs d’ordre humanitaire suffisants justifiaient la prise d’une mesure spéciale discrétionnaire aux termes de l’alinéa 67(1)c), la SAI a appliqué les facteurs pertinents que le juge O’Keefe énonce dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, au paragraphe 11 : (1) la gravité des fausses déclarations; (2) l’expression de remords; (3) le temps passé au Canada et le degré d’enracinement; (4) la présence de membres de la famille du demandeur au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille; (5) l’importance des épreuves que subirait le demandeur s’il était renvoyé; (6) les intérêts supérieurs d’un enfant directement touché par la décision.

[11]           Après avoir examiné chacun des facteurs susmentionnés, la SAI a conclu qu’en dépit de certains éléments favorables, notamment l’intérêt supérieur de l’enfant et le degré d’enracinement du demandeur au Canada, il n’existait pas de motifs suffisants justifiant la prise d’une mesure spéciale. Le tribunal a noté par exemple que le demandeur n’avait pas produit d’élément de preuve démontrant qu’il serait contraire à l’intérêt de son fils de vivre en Albanie avec lui. Son fils pourra toujours choisir de revenir au Canada à quelque moment que ce soit dans le futur et profiter pleinement des possibilités que le pays lui offre en matière d’éducation et de carrière. Même si ses intérêts constituaient un facteur favorable, la SAI a conclu qu’ils ne l’emportaient pas sur les autres facteurs défavorables, notamment la gravité des fausses déclarations.

IV.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES :

[12]           Les dispositions pertinentes de la LIPR sont rédigées comme suit :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

V.                QUESTIONS EN LITIGE :

[13]           Le demandeur a soulevé plusieurs questions que l’on peut résumer comme suit :

a)                  Quelle est la norme de contrôle?

b)                  La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur était interdit de territoire en raison d’une fausse déclaration à l’égard d’un fait important?

c)                  La SAI a-t-elle commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ultime concernant la prise en compte de motifs d’ordre humanitaire?

VI.             ANALYSE :

A.                La norme de contrôle

[14]           Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle applicable à la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant est celle de la décision correcte. Autrement, la norme est celle de la décision raisonnable. Le défendeur soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les questions.

[15]           La Cour convient avec le défendeur que la décision de la SAI de refuser de prendre une mesure spéciale repose sur son appréciation des faits dont fait état le dossier. Par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique à l’appréciation que fait la SAI de la preuve et de l’exercice du pouvoir discrétionnaire lié aux motifs d’ordre humanitaire : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; Philistin c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1333.

[16]           L’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant par la SAI commande l’application de la norme de la décision raisonnable : Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, aux paragraphes 44 et 45.

(1)               La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur était interdit de territoire pour avoir fait une présentation erronée sur un fait important?

[17]           Sur cette question, le demandeur conteste essentiellement les conclusions de fait de la SI et de la SAI relativement à sa connaissance de la situation de son mariage au moment de son départ pour le Canada. Il prétend qu’il ignorait que son mariage était rompu et qu’il n’avait donc aucune obligation de faire cette révélation à l’agent d’immigration à son arrivée à l’aéroport de Vancouver. De plus, le demandeur fait valoir que la conclusion selon laquelle il aurait dû être au courant de la rupture de son mariage reposait sur du ouï-dire sous la forme d’un entretien réalisé avec son ex-épouse.

[18]           Les règles de preuve applicables aux instances de la SI et de la SAI diffèrent de celles des cours de justice, tel qu’en dispose l’alinéa 175b) de la LIPR. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’est liée par aucune règle légale ou technique de présentation de la preuve, et elle peut recevoir des témoignages par ouï-dire : Bailey c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 938; Temahagali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 2041, 198 FTR 127 (CF); Bruzzese c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 230. La Commission doit vérifier si un élément de preuve est crédible et fiable, même s’il peut ne pas être autrement recevable dans le cadre d’une instance civile ou criminelle : Jaballah (Re), 2003 CFPI 640, [2003] 4 RCF 345.

[19]           Tel que le prévoit l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, une fausse déclaration peut être faite directement ou indirectement, ou découler d’une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent. Cette définition s’appliquerait par exemple si un répondant tarde à informer le ministre défendeur d’un changement dans la relation avec la personne parrainée ou le retrait de la demande de parrainage.

[20]           À mon avis, il était loisible à la SI et la SAI de tenir compte de la déclaration solennelle de l’agent indiquant que Mme Thomsen avait annoncé au demandeur que leur mariage était rompu avant son départ pour le Canada. Même si Mme Thomsen ne se souvenait pas du moment exact de cette conversation, la SI et la SAI pouvaient raisonnablement, compte tenu de la preuve, parvenir à la conclusion qu’elle avait eue lieu avant le départ du demandeur pour le Canada. La SI a également eu le privilège d’entendre le témoignage direct du demandeur. À titre de répondante, Mme Thomsen avait également l’obligation d’informer le ministre de tout changement important de la situation. Elle a choisi d’attendre que le demandeur soit parti pour communiquer l’information. Je ne vois aucune raison de modifier la conclusion de fausse déclaration.

(2)               La SAI a-t-elle commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ultime concernant la prise en compte de motifs d’ordre humanitaire?

[21]           Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en ne concluant pas que sa famille et lui-même connaîtraient des difficultés s’il était renvoyé du Canada. Il se fonde sur l’arrêt Kanthasamy, précité, pour faire valoir que la Cour suprême du Canada a supprimé du critère des difficultés les éléments « inhabituel, injustifié et démesuré » lorsqu’il s’agit d’examiner des motifs d’ordre humanitaire.

[22]           De l’avis de la Cour, le demandeur interprète mal l’arrêt Kanthasamy de la Cour suprême, précité. Même si les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy peuvent s’appliquer de manière générale à l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la LIPR de tenir compte de motifs d’ordre humanitaire, il convient de rappeler que la décision sous‑jacente porte sur l’exercice de ce pouvoir dans le contexte particulier d’une demande de mesure spéciale aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR. La Cour suprême n’a pas abolit la norme des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées ». Elle conclut plutôt que l’expression a « vocation descriptive et ne crée pas, pour l’obtention d’une dispense, trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le par. 25(1) » de la LIPR (Kanthasamy, précité, au paragraphe 33).

[23]           À mon avis, la SAI n’a pas tranché la demande du demandeur d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire, y compris l’intérêt supérieur de son fils, en lui imposant de remplir trois seuils à franchir pour obtenir cette dispense. Il appert que la SAI a tenu compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer si les facteurs favorables surpassaient ceux qui étaient défavorables à l’octroi d’une dispense. Il est indéniable que le renvoi entraînera son lot de difficultés pour le demandeur et sa famille, mais il s’agit là d’une conséquence malheureuse du défaut de se conformer aux règles et aux procédures d’immigration. De plus, en l’espèce, le demandeur a choisi de s’engager dans une nouvelle relation pendant qu’il faisait toujours l’objet des présentes procédures.

[24]           Aucune question n’a été proposée pour certification.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1190-16

INTITULÉ :

ALBERT PUNA c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 19 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Howard P. Eisenberg

Pour le demandeur

Prathima Prashad

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eisenberg & Young LLP

Hamilton (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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