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Date : 20160823


Dossier : T-956-13

Référence : 2016 CF 955

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 août 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

DAVID ANTHONY

demandeur

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, tel que modifié, d’une décision rendue par un représentant du ministre du Revenu national le 2 mai 2013. La décision faisant l’objet du contrôle a refusé au demandeur une déduction personnelle pour des frais de location engagés afin de louer deux machines, qu’il a utilisées pour gagner un revenu en 2001, au motif que les machines ont été louées au nom de sa société, D.A. Machining Consulting Inc., et que ces dépenses étaient déductibles du revenu gagné par la société.

I.                   Contexte

[2]               Le demandeur, David Anthony, est machiniste indépendant. En 2000, l’associée du demandeur, AKM Machinery Sales Inc. (AKM), a fait l’acquisition d’une fraiseuse et d’un tour. En 2001, parce que le demandeur soupçonnait son associée de lui cacher des revenus, il a commencé à facturer ses clients directement en employant sa dénomination commerciale, D.A. Machining Consulting, tout en payant son associée pour l’utilisation des machines. En août 2001, après que le demandeur eut déménagé à un autre endroit, il a fait le nécessaire pour acquérir les machines d’AKM, par l’intermédiaire de CIT Financial Ltd. [CIT], laquelle a acheté les machines puis les a cédées en location à la société du demandeur, D.A. Machining Consulting Inc. Le demandeur affirme qu’il avait l’intention de procéder à un transfert libre d’impôt des actifs de D.A. Machining Consulting à sa société en 2002; cependant, son comptable n’a pas, à ce moment, effectué le transfert prévu.

[3]               En avril 2005, les déclarations de revenus du demandeur pour les années d’imposition 2001 et 2002 ont fait l’objet d’une vérification par l’Agence du revenu du Canada (ARC). L’ARC a trouvé des revenus non déclarés et elle a refusé certaines déductions liées à des dépenses, y compris la déduction pour amortissement que le demandeur avait réclamée à l’égard des deux machines. À la suite d’une rencontre entre le demandeur, son comptable et un vérificateur de l’ARC concernant les nouvelles cotisations, l’ARC a proposé au demandeur, dans une lettre datée du 1er février 2007, de régler les questions se rapportant aux années d’imposition 2001 et 2002, si ce dernier signait une renonciation à son droit d’appel pour lesdites années d’imposition à l’égard de son revenu et de ses dépenses d’entreprise. Le demandeur soutient avoir compris des propos de son comptable qu’il pourrait encore, malgré la signature de la renonciation, interjeter appel des questions concernant les deux machines, auprès de la Cour canadienne de l’impôt. Cependant, cette dernière a rejeté son appel dans un jugement daté du 17 octobre 2007, concluant que le demandeur était lié par la renonciation qu’il avait signée et que le paragraphe 169(2.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) [la LIR] interdisait tout droit d’appel des nouvelles cotisations pour son année d’imposition 2001 en lien avec ses dépenses d’entreprise (voir : Anthony c. La Reine, 2007 CCI 606, [2008] 2 CTC 2398).

[4]               En novembre 2010, le demandeur a déposé une demande de redressement d’une T1 pour son année d’imposition 2001, sollicitant que le ministre établisse sa responsabilité fiscale pour ladite année afin de permettre une déduction pour dépenses de location en lien avec les deux machines. Cette demande a cependant été rejetée, dans une lettre datée du 21 septembre 2011, pour le motif que l’objet du paragraphe 152(4.2) n’était pas de contester l’exactitude d’une cotisation traitée précédemment, ou de s’y opposer, au moyen d’une objection. En conséquence, le 19 janvier 2012, le comptable du demandeur a écrit à l’ARC pour demander un second examen administratif concernant les loyers des deux machines pour l’année d’imposition 2001. Cependant, cette seconde demande a également été rejetée. Dans une lettre datée du 2 mai 2013, le représentant du ministre a déclaré ce qui suit :

[traduction] Relativement aux loyers des machines versés à CIT Financial Ltd, au nom de votre société, nous ne pouvons accueillir votre demande de déduction s’élevant à 22 370 $. La convention de bail a été conclue entre CIT Financial Ltd., à titre de bailleur, et D. A. Machining Consulting Inc, à titre de preneur à bail. Selon les faits en l’espèce, ces machines ont été utilisées par D. A. Machining Consulting Inc. pour gagner un revenu. Les dépenses de location engagées sont déductibles du revenu gagné par D. A. Machining Consulting Inc. En l’espèce, les dépenses ont été payées par vous, à titre d’actionnaire de D. A. Machining Consulting Inc. En conséquence, les dépenses de location ne peuvent être déduites de votre déclaration d’impôt sur le revenu T1 personnelle, et votre demande pour des déductions supplémentaires de votre revenu personnel pour l’année d’imposition 2001 est rejetée.

[5]               Maintenant, le demandeur demande que la Cour casse la décision rendue par le représentant du ministre et renvoie la question afin qu’elle soit traitée par un autre représentant.

II.                Questions en litige

[6]               La présente demande soulève les questions suivantes :

1.                  La Cour fédérale est-elle à juste titre saisie de l’affaire?

2.                  Dans l’affirmative, la documentation soumise par le demandeur, et qui n’a pas été présentée au représentant du ministre, devrait-elle être acceptée ou examinée par la Cour?

3.                  Quelle est la norme de contrôle appropriée?

4.                  La décision faisant l’objet d’un contrôle a-t-elle été rendue de manière si inéquitable, ou était-elle si déraisonnable, qu’elle doit être cassée?

III.             Analyse

A.                La Cour fédérale est-elle à juste titre saisie de l’affaire?

[7]               Bien qu’aucune des parties n’ait mis en doute la compétence de notre Cour pour entendre et trancher la présente affaire, il est néanmoins préférable d’examiner cette question, puisque la Cour ne devrait pas présumer qu’elle a compétence à l’égard d’une question qui excède sa compétence. Pour l’examen de cette question, je commence par faire remarquer que le paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C., 1985, ch. T-2 (LCCI), confère à la Cour canadienne de l’impôt la « compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels [...] sur les questions découlant de l’application [de diverses lois, notamment] [...] la Loi de l’impôt sur le revenu [...] dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle ». Cette cour a également compétence exclusive pour entendre et trancher des questions qui lui sont soumises en vertu de l’article 173 ou 174 de la LIR (paragraphe 12(3) de la LCCI).

[8]               En outre, l’article 18.5 de Loi sur les Cours fédérales dessaisit la Cour fédérale de sa compétence en droit administratif pour toute question qui peut être résolue par un appel à la Cour de l’impôt (voir : Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140, au paragraphe 21, [2014] 5 CTC 26 [Sifto]). Par conséquent, même si la Cour fédérale a de vastes pouvoirs en matière de contrôle judiciaire, elle ne peut pas traiter des affaires portées en appel devant la Cour de l’impôt (voir : Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. 2013 CAF 250, au paragraphe 27, [2014] 2 RFC 557 [JP Morgan]).

[9]               Lorsqu’elle est confrontée à une demande de contrôle judiciaire concernant des questions soulevées relativement à la LIR, la Cour doit analyser la demande « globalement, pour en comprendre la nature essentielle, plutôt que de s’attacher aux questions de forme » (arrêt Sifto, au paragraphe 25). Elle doit également être attentive aux « plaideurs habiles » qui peuvent « faire paraître des questions relevant de la Cour canadienne de l’impôt comme s’il s’agissait de questions de droit administratif alors qu’il n’en est rien » (JP Morgan, au paragraphe 49). En outre, il est clair que la compétence de la Cour fédérale comprend le contrôle judiciaire de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, à condition que la question ne soit pas, par ailleurs, susceptible d’appel (voir : Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, au paragraphe 8, [2007] 2 RCS 793).

[10]           Pour saisir la Cour fédérale lorsque la LIR est mise en cause, un demandeur doit : 1) montrer qu’un contrôle judiciaire peut être exercé en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales; et 2) « énoncer un motif de contrôle connu en droit administratif ou susceptible d’être reconnu en droit administratif » (JP Morgan, aux paragraphes 68 à 70). Dans l’affaire JP Morgan, la Cour d’appel fédérale a déterminé (au paragraphe 70) trois motifs de contrôle judiciaire connus en droit administratif, à savoir : a) l’absence de compétence, b) l’irrecevabilité quant à la procédure, et c) l’irrecevabilité quant au fond (c.-à-d. une décision qui n’est pas raisonnable).

[11]            Les articles 18 et 18.1 de Loi sur les Cours fédérales traitent de la compétence de la Cour fédérale ainsi que des délais et des recours accessibles relatifs à une demande de contrôle judiciaire. En l’espèce, le demandeur a respecté les délais prescrits pour sa demande de contrôle judiciaire et demande un redressement relevant de la compétence de notre Cour, à savoir que la décision datée du 2 mai 2013 soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour réexamen par un autre représentant du ministre. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur satisfait à la première exigence établie dans l’arrêt JP Morgan (aux paragraphes 68 et 69; voir aussi Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, aux paragraphes 24 à 29, [2013] 3 RCF 605).

[12]           Le deuxième volet du critère de l’arrêt JP Morgan soulève la question de savoir si la demande énonce un motif de contrôle connu en droit administratif ou qui est susceptible d’être reconnu en droit administratif. En l’espèce, le demandeur soulève des questions d’irrecevabilité quant à la procédure et quant au fond, faisant valoir que le représentant du ministre n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents ou qu’il a mal apprécié les faits, et qu’il a omis à tort d’exercer son pouvoir discrétionnaire, en vertu des dispositions d’allègement pour les contribuables. Ces questions, à leur tour, soulèvent la question de savoir si elles relèvent un moyen recevable en droit administratif à l’égard duquel notre Cour a compétence.

[13]           Je suis d’avis que les questions soulevées par le demandeur dans la présente demande relèvent un moyen recevable en droit administratif, et par conséquent, je conclus que la Cour a compétence pour entendre et trancher la demande de contrôle judiciaire du demandeur. La présente conclusion se trouve confirmée par de nombreuses affaires où notre Cour s’est déclarée compétente et a exercé sa compétence pour procéder au contrôle judiciaire d’un exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, en vertu du paragraphe 152(4.2) de la LIR (voir : p. ex., Ford c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1057, appel rejeté 2016 CAF 128 (CanLII); Sullivan c. Canada, 2014 CF 486 (CanLII), 455 FTR 159; Lambert c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1236 (CanLII); Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266, 440 NR 201 [Abraham]; White c. Canada (Procureur général), 2011 CF 556, 390 FTR 36; Caine c. Canada Agence du revenu, 2011 CF 11 (CanLII), 382 FTR 111; Hoffman c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 310 (CanLII) [Hoffman]; Leblanc c. Canada (Procureur général), 2010 CF 688, 371 FTR 191 [LeBlanc]; Lemerise c. Canada (Procureur général), 2010 CF 116 (CanLII); Nicholls c. Canada Agence du revenu, 2010 CAF 30 (CanLII); Taylor c. Canada, 2008 CF 1317 (CanLII), [2009] 2 CTC 173; Beaulieu c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1236 (CanLII), [2009] 3 CTC 149; Costabile c. Canada (Agence du revenu), 2008 CF 943 (CanLII), [2009] 1 CTC 193; Lanno c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153 (CanLII), [2005] 2 CTC 327 [Lanno]; Hindle c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CF 625 (CanLII), [2004] 3 CTC 178; et Plattig c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1074 (CanLII), [2004] 1 CTC 93).

B.                 Les documents soumis par le demandeur, qui n’ont pas été présentés au représentant du ministre, devraient-ils être acceptés ou examinés par la Cour?

[14]           La défenderesse prétend que certains documents au dossier de la preuve n’ont pas été présentés au représentant du ministre lorsqu’il a rendu la décision faisant l’objet du contrôle et que de tels documents ne devraient pas être acceptés en preuve ni examinés par la Cour dans son examen de la décision. Plus précisément, la défenderesse énumère les documents suivants, lesquels ne devraient pas faire partie du dossier aux fins du contrôle judiciaire : notamment, une lettre datée du 15 mai 2013 expédiée au représentant du ministre; un exposé des faits et des circonstances, daté du 1er juillet 2013, préparé par le spécialiste en déclarations de revenus du demandeur; un protocole d’entente intervenu entre le demandeur et sa société, daté du 27 septembre 2014; une liste sommaire des loyers des machines; un document de travail, daté du 20 décembre 2006 et une lettre, datée du 1er février 2007.

[15]           Je suis d’accord avec la défenderesse que seuls les documents et renseignements soumis au représentant du ministre peuvent être examinés par une cour de révision dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Règle générale, le dossier de la preuve soumis à l’appui d’un contrôle judiciaire doit habituellement se limiter à celui dont disposait le décideur; autrement, une demande de contrôle judiciaire risquerait de se transformer en un procès sur le fond, alors qu’un contrôle judiciaire consiste en fait à évaluer la légalité de l’action de nature administrative (voir : Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 14 à 20, 428 NR 297 [Association des universités], citée dans l’arrêt Gaudet v. Canada (Attorney General), 2013 CAF 254, au paragraphe 4, [2013] ACF no 1189 (QL); voir aussi : Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux paragraphes 13 à 28, [2015] ACJ no 1396 (QL)).

[16]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, il est reconnu peu d’exceptions au principe général interdisant à la Cour d’admettre des éléments de preuve qui n’ont pas été soumis au décideur, « et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive » (voir l’arrêt : Association des universités, au paragraphe 20). En l’espèce, les documents qui n’ont pas été soumis au représentant du ministre font-ils partie de ces exceptions, comme noté dans l’arrêt Association des universités?

[17]           La première exception s’applique à des situations où des affidavits sont parfois « nécessaires pour porter à l’attention de la [Cour] des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale ». En l’espèce, je ne considère pas les documents supplémentaires comme étant de nature telle à faire partie de cette exception, puisqu’ils n’offrent pas d’éléments de preuve servant à déterminer si la décision visée par le contrôle a été rendue de façon inéquitable sur le plan de la procédure. La seconde exception s’applique quand « un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée ». Là encore, je ne considère pas, en l’espèce, les documents supplémentaires comme étant de nature telle à faire partie de cette exception, puisque le dossier de la preuve soumis au représentant du ministre contenait des documents sur lesquels ce dernier pouvait fonder sa conclusion quant à qui était responsable des loyers et avait droit à une déduction à leur égard. La troisième exception peut s’appliquer lorsque la Cour admet « en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire ». À cet égard, la Cour d’appel fédérale a souligné que « l’[o]n doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond » (Association des universités, au paragraphe 20). Encore une fois, je ne considère pas, en l’espèce, les documents supplémentaires comme étant de nature telle à faire partie de cette exception.

[18]           En conséquence, aucun des documents supplémentaires n’est admissible en preuve, et ils doivent être écartés. Dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre, la Cour ne pouvait tenir compte de ces documents, et elle ne l’a pas fait.

C.                 Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[19]           Les parties prétendent que la norme de contrôle applicable concernant la décision rendue par le représentant du ministre est la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord (voir : Lanno aux paragraphes 4 à 7; voir aussi Hoffman au paragraphe 5 et Abraham au paragraphe 33).

[20]           Par conséquent, bien que la Cour puisse intervenir « si le décideur a ignoré des éléments de preuve importants ou pris en compte des éléments qui sont inexacts ou dénués d’importance » (James c. Canada (Procureur général), 2015 CF 965, au paragraphe 86, 257 ACWS (3d) 113), elle ne devrait pas le faire si la décision contestée est intelligible, transparente et justifiable, et qu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. Les motifs répondent aux critères établis « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.

[21]           En outre, il faut considérer la décision contestée comme un tout et la Cour doit s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, [2013] 2 RCS 458). De plus « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 R.C.S. 339.

[22]           En l’espèce, la décision rendue en application du paragraphe 152(4.2) de la LIR est discrétionnaire. Le paragraphe 152(4.2) de la LIR ne confère pas au demandeur un droit à un allègement; au contraire, il n’accorde au demandeur que le « droit de demander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour établir une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation » (Abraham, au paragraphe 26). La portée d’un contrôle judiciaire à l’égard d’une décision rendue en vertu du paragraphe 152(4.2) est, par conséquent, « assez étroite » (voir : LeBlanc, au paragraphe 25); et comme l’a noté la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c. Barron, [1997] ACF no 175 (QL), au paragraphe 5, [1997] 2 CTC 198, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire concerne une décision rendue dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 152(4.2), la Cour peut intervenir et annuler la décision visée « seulement si celle-ci a été prise de mauvaise foi, si l’instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte de faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit ».

D.                La décision faisant l’objet d’un contrôle a-t-elle été rendue de manière si inéquitable, ou était-elle si déraisonnable, qu’elle doit être cassée?

[23]           Le demandeur prétend que le représentant du ministre a mal apprécié ou négligé des éléments de preuve pertinents, plus précisément le fait que sa société était inactive et que, par conséquent, le ministre avait omis, de façon inappropriée et arbitraire, d’exercer son pouvoir discrétionnaire, en vertu des dispositions d’allègement pour les contribuables. Selon le demandeur, il était injuste de la part du représentant du ministre de ne pas avoir fait le « rapprochement » entre les dépenses qu’il a engagées pour payer les loyers relatifs aux deux machines et le revenu gagné grâce à l’utilisation des machines, et il en découle une iniquité, compte tenu d’arrêts tels que Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 RCS 147, 222 NR 81 [Canderel] et Imperial Financial Services Ltd. v Minister of National Revenue, [1991] 1 CTC 2031, 91 DTC 184 [Imperial Financial]. Le demandeur déclare que bien que le nom de sa société figurait sur le bail conclu avec CIT, la société était en fait inactive et qu’il a gagné, à titre de particulier, le revenu provenant de l’utilisation des machines et, par conséquent, il prétend qu’il devrait pouvoir déduire les dépenses liées aux loyers qu’il a payés.

[24]           L’invocation par le demandeur des affaires Canderel et Imperial Financial est mal fondée. Ces affaires ont tranché des litiges concernant le calcul des bénéfices aux fins d’impôt sur le revenu et ne concernant pas, comme en l’espèce, la détermination de la personne ayant droit à une déduction pour les loyers payés à l’égard des deux machines. En outre, le principe du rapprochement des produits et des charges n’est pas une règle de droit qui dicte ou exige que les dépenses soient toujours rapprochées des bénéfices, il ne s’agit que d’un principe comptable dont la Cour peut ou ne pas tenir compte, selon les faits et les circonstances propres à l’affaire. À cet égard. le juge Iacobucci, rédigeant les motifs de la Cour suprême dans l’arrêt Canderel, a affirmé ce qui suit :

43        […] je vais maintenant me demander quelle est exactement la question à laquelle il faut répondre lorsqu’on tente de déterminer le bénéfice d’un contribuable aux fins de l’impôt. Un bon point de départ est la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire West Kootenay, précitée, où le juge MacGuigan a dit ceci, à la p. 745 :

[...] la méthode applicable est celle qui donne l’image la plus fidèle du revenu du contribuable, qui le représente le plus fidèlement et proprement et qui permet le meilleur « rattachement » des charges et des produits.

44        En Cour d’appel fédérale, le juge Stone a considéré que ce passage étayait sa conclusion selon laquelle le principe comptable du rattachement avait été érigé en règle de droit. En toute déférence, à la lumière des observations que j’ai faites précédemment, je ne souscris évidemment pas à ce point de vue. À mon avis, l’intérêt de cet énoncé est qu’il confirme une proposition beaucoup plus juste : le critère juridique du « bénéfice » devrait viser à déterminer quelle méthode comptable dépeint le mieux la situation financière du contribuable concerné. Si ce but est atteint par l’application du principe du rattachement, qu’il en soit alors ainsi. Par contre, si une autre méthode convient, si elle est permise en vertu des principes commerciaux reconnus et si elle n’est pas interdite par la Loi ou par quelque autre règle de droit précise, il n’existe alors aucun principe autorisant le ministre à insister pour que ce soit le principe du rattachement ‑‑ ou d’ailleurs quelque autre méthode -- qui soit utilisé.

[25]           Essentiellement, le demandeur soutient que parce qu’au bout du compte il a engrangé le bénéfice produit grâce à l’utilisation des deux machines et qu’il a payé des impôts sur ce bénéfice, la déduction des loyers pour les machines devrait également être « rapprochée » et lui être offerte et attribuée. Cet argument, cependant, est fondamentalement erroné parce qu’il ne tient pas compte du fait essentiel de l’affaire, c’est-à-dire que la convention de bail conclue avec CIT relative aux machines était au nom de la société du demandeur et non au nom du demandeur. Le demandeur a choisi de percevoir des revenus générés par l’utilisation des machines à titre de particulier, plutôt que par l’intermédiaire de sa société, alors il ne peut se fonder sur un principe comptable pour écarter la réalité juridique du bail et prétendre que le coût des loyers devraient lui être attribués à titre de particulier et, par conséquent, déduits de son revenu personnel, pour l’année d’imposition 2001. Je suis d’avis qu’il était raisonnable que le représentant du ministre refuse d’accorder au demandeur une déduction personnelle relative aux loyers, puisque la société du demandeur, et non ce dernier, était responsable du paiement de ces loyers, en vertu de la convention de bail et, comme l’a noté le représentant du ministre, les dépenses de location étaient déductibles du revenu gagné par la société.

[26]           J’écarte l’observation du demandeur selon laquelle le représentant du ministre n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve pertinents ou a mal interprété les faits, de manière à rendre sa décision inéquitable sur le plan de la procédure ou, par ailleurs, déraisonnable. Le demandeur ne souligne aucun élément contenu dans le dossier de la preuve qui démontre que le représentant du ministre a mal interprété ou ignoré des faits substantiels. Il est vrai que la décision n’aborde pas expressément l’affirmation du demandeur voulant que sa société était inactive, et que le représentant du ministre a ignoré ou mal apprécié ce fait, que le demandeur qualifie d’important. Toutefois, il n’est pas entièrement exact d’affirmer, comme le fait le demandeur, que sa société était inactive, puisque, bien qu’elle ne touchait pas de revenus, elle était néanmoins active dans la mesure où elle a contracté une obligation mensuelle quant aux loyers. En outre, même si la société du demandeur n’était qu’une coquille vide, il s’agissait d’une coquille qui était pourtant partie à la convention de bail avec CIT et qui protégeait le demandeur contre une responsabilité personnelle à l’égard des loyers. Je suis d’avis qu’il n’était pas déraisonnable de la part du représentant du ministre de déterminer que la société du demandeur, plutôt que ce dernier, devrait bénéficier de la déduction pour les loyers puisqu’elle en était responsable. Comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans l’arrêt R v Friedberg, [1991] FCJ No 1255 (CAF), conf. par [1993] 4 RCS 285, une affaire où un contribuable s’est vu refuser une déduction pour un don en argent versé à un musée, visant l’acquisition d’une collection de textiles, parce qu’il n’avait acquis un titre de propriété à l’égard de la collection :

5          [traduction] En droit fiscal, la forme a de l’importance. Une simple intention subjective, en l’espèce comme dans d’autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d’une opération aux fins de l’impôt. [...] si un contribuable omet de prendre les mesures formelles appropriées, peut-être que des impôts devront être payés. Autrement, l’Agence du revenu du Canada et les tribunaux devraient procéder à des analyses interminables afin de déterminer les intentions réelles, cachées derrière certaines transactions. […] la preuve d’une intention subjective ne peut servir à « corriger » des documents qui pointent clairement dans une direction en particulier.

[27]           En bref, je conclus que la décision du représentant du ministre était raisonnable et qu’elle n’a pas été rendue de manière inéquitable sur le plan de la procédure.

IV.             Conclusion

[28]           En l’espèce, l’intervention de la Cour n’est pas requise. La décision rendue par le représentant du ministre est justifiable, transparente et intelligible, en plus de se situer dans une gamme de résultats possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[29]           La défenderesse a demandé les dépens. Puisque la demande a été rejetée, les dépens auxquels la défenderesse a droit lui seront remboursés en fonction du montant convenu par les parties. Si les parties sont incapables de convenir du montant de ces dépens dans un délai de 15 jours suivant la date du présent jugement, la défenderesse sera, dès lors, libre de demander une taxation des dépens en conformité avec les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : la demande de contrôle judiciaire est rejetée; les dépens auxquels la défenderesse a droit lui seront remboursés en fonction du montant convenu par les parties; attendu que, si les parties sont incapables de convenir du montant de ces dépens dans un délai de 15 jours suivant la date du présent jugement, la défenderesse sera, dès lors, libre de demander une taxation des dépens par un officier taxateur, en conformité avec les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

« Keith M. Boswell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-956-13

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DAVID ANTHONY c. AGENCE DU REVENU DU CANACA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Osborne G. Barnwell

 

Pour le demandeur

 

Laurent Bartleman

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osborne G. Barnwell

Avocat

North York (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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