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Date : 20160819


Dossier : T-1475-15

Référence : 2016 CF 951

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 août 2016

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

WEI ZHANG

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi) d’une décision rendue par un juge de la citoyenneté en date du 4 août 2015, qui a accepté la demande de citoyenneté du défendeur. Le demandeur fait valoir que le défendeur n’a pas satisfait aux exigences en matière de résidence établies à l’alinéa 5(1)c) de la Loi pendant la période pertinente, soit du 21 novembre 2003 au 21 novembre 2007. Plus précisément, le demandeur soutient que le défendeur n’a pas fourni une preuve suffisante de résidence au Canada pour la période du 1er avril 2004 au 17 octobre 2007.

[2]               La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               Le défendeur est citoyen de la Chine. Il est arrivé au Canada et a obtenu le statut de résident permanent le 8 octobre 2002. Il a soumis une demande de citoyenneté canadienne le 21 novembre 2007, dans laquelle il a déclaré 41 jours d’absence et 1 419 jours de présence.

[4]               Dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers, préparé par un analyste aux services du demandeur, il est noté que le défendeur [traduction] « n’a pas fourni une preuve de résidence pour la période entre le 1er janvier 2004 et le 17 octobre 2007 ». Dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers, diverses préoccupations à l’égard de la demande du défendeur ont été signalées et communiquées au juge de la citoyenneté pour qu’il puisse effectuer un examen plus poussé. Voici quelques-unes de ces préoccupations :

                                  i.          il y a la question à savoir si la validité de son passeport a été prolongée au Canada ou à Beijing;

                                 ii.         le défendeur a soumis des éléments de preuve limités et aléatoires relativement aux relevés d’institutions bancaires et de cartes de crédit, ainsi que de factures Rogers et Fido;

                                iii.        le montant de location indiqué sur le bail est plus élevé que le revenu déclaré, ce qui ne comprend pas les montants requis pour subvenir aux besoins de sa femme et de ses deux enfants;

                                iv.        le défendeur s’est seulement prévalu des services de l’Assurance-santé de l’Ontario pour deux mois au cours de la période pertinente de quatre ans;

                                 v.         il n’a présenté aucune preuve sur la fréquentation scolaire de ses enfants, son bénévolat et l’emploi de sa femme.

[5]               Lors de l’audience, le défendeur a présenté un passeport original. Il avait seulement fourni une copie de son passeport dans sa demande. Après avoir examiné le passeport original, le juge de la citoyenneté a demandé au défendeur de fournir d’autres documents à l’appui de sa demande. Peu après l’audience, le défendeur a fourni ce qui suit :

                                i.            conventions de bail pour la période du 1er avril 2005 au 1er octobre 2007 ainsi que des reçus de location de la chambre principale non meublée pour la période de mars 2003 à mars 2007;

                              ii.            résumé de la fréquentation scolaire de l’un de ses fils;

                            iii.            son relevé d’emploi pour la période du 1er mai 2007 au 31 octobre 2007;

                            iv.            renseignements de la déclaration de revenus pour 2007.

[6]               Le juge de la citoyenneté a appliqué le critère strict de la présence effective établie dans la décision Re Pourghasemi [1993] ACF no 232 et a déterminé, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur avait démontré qu’il avait été présent au Canada pendant le nombre de jours de présence déclaré, et qu’il satisfaisait par conséquent au critère de résidence aux termes de la Loi.

II.                Question en litige et norme de contrôle

[7]               À l’audience, le demandeur a laissé tomber les arguments avancés dans ses observations écrites, à savoir que l’audience était inéquitable sur le plan procédural. La seule question qu’il reste à trancher est celle à savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que le défendeur satisfaisait aux exigences en matière de résidence.

[8]               La norme de contrôle à appliquer pour l’examen d’une décision d’un juge de la citoyenneté aux termes de la Loi est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Suleiman, 2015, CF 891, au paragraphe 18).

III.             Observations

[9]               Le demandeur soutient que le revenu déclaré et prouvé du défendeur n’est pas suffisant pour subvenir aux besoins de sa famille de quatre personnes et pour faire l’achat d’une maison, ce que le défendeur a fait à l’automne 2007. Puisque le juge de la citoyenneté a décidé d’appliquer le critère strict de la présence effective, le demandeur allègue également que le défendeur devait prouver qu’il résidait au Canada pendant cette période effective. Un bon indicateur de résidence est le revenu déclaré. Le demandeur soutient que le défendeur n’avait pas un revenu suffisant pour subvenir aux besoins de sa famille.

[10]           Le demandeur fait également valoir que le juge de la citoyenneté [traduction] « n’a pas établi un lien entre les faits présentés » dans ses motifs pour octroyer la citoyenneté puisqu’il n’a pas fait mention d’autres éléments de preuve pertinents pris en considération avant de prendre sa décision. Étant donné le manque d’éléments de preuve dans le dossier, le demandeur souligne que la conclusion ne cadre pas avec la preuve. Il ajoute que l’octroi de la citoyenneté n’est pas un [traduction] « processus d’approbation automatique » et que les motifs de la décision n’expliquent ni la façon dont le défendeur satisfait au critère appliqué, ni la raison pour laquelle le juge de la citoyenneté a néanmoins conclu qu’il satisfaisait à ce critère.

[11]           Le demandeur allègue surtout ce qui suit : [traduction] « si le juge de la citoyenneté a examiné le passeport ' très attentivement ' », comme il soutient l’avoir fait dans ses motifs, il a donc fait une mauvaise appréciation des éléments de preuve puisque ces éléments sèment le doute sur la présence effective du défendeur pendant la période pertinente.

[12]           Le défendeur affirme qu’il n’y a pas eu une [traduction] « autorisation automatique » en l’espèce puisque le demandeur a pris huit ans à traiter sa demande. Il note que l’audience relative à la citoyenneté a eu lieu le 6 juillet 2015, moment où le juge de la citoyenneté a demandé au défendeur de soumettre des documents supplémentaires, probablement en raison des préoccupations signalées dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers. Après l’audience, le défendeur a donc soumis d’autres documents, y compris les dossiers de fréquentation scolaire de l’un de ses fils, une convention de bail, un relevé d’emploi pour la période du 1er mai au 31 octobre 2007, sa déclaration de revenus pour 2007, des avis de cotisation pour 2004, 2005, 2006 et 2007, et quelques éléments de preuve pour chaque année de la période de 2003 à 2008.

[13]           Le défendeur souligne que le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers indique tout simplement que, selon les timbres dans le passeport, [traduction] « il est possible que le défendeur était en Chine » au moment de la prolongation de son passeport. Le juge de la citoyenneté indique avoir examiné attentivement le passeport original. Le défendeur avance aussi que le demandeur cherche à faire réévaluer les éléments de preuve, alors que le juge de la citoyenneté avait le pouvoir discrétionnaire de déterminer si la preuve était satisfaisante.

[14]           Le défendeur ajoute que le juge de la citoyenneté est mieux placé pour apprécier la preuve. Ce juge a rencontré le défendeur en personne, il a traité les préoccupations signalées dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers, il a examiné de près les documents essentiels et il s’est déclaré satisfait des résultats obtenus en application du critère.

IV.             Analyse et conclusion

[15]           Le demandeur a déclaré 1 419 jours de présence effective. Aux termes du critère strict de présence effective, une personne qui présente une demande de citoyenneté doit prouver que, dans les quatre ans (1 460 jours) qui ont précédé la date de sa demande, elle a résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) en tout.

[16]           En l’espèce, il est important de savoir si la validité du passeport du demandeur a été prolongée à Beijing le 29 avril 2005. Si tel est le cas, cela signifie que le défendeur n’était pas présent au Canada à un moment où il a déclaré l’être. Le demandeur allègue que le juge de la citoyenneté a mal interprété le passeport puisque cette preuve [traduction] « sème le doute » à l’égard du nombre de jours de présence du défendeur. Toutefois, un doute n’est pas une preuve. Lorsqu’il y a un doute à l’égard d’une demande, cette préoccupation est notée dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers pour que le juge de la citoyenneté puisse la traiter à l’audience. En l’espèce, le juge de la citoyenneté a examiné et a traité la préoccupation signalée.

[17]           Dans ses motifs de décision, il indique avoir soulevé la question liée au passeport. Il a interrogé le défendeur sur le lieu de prolongation du passeport. Le défendeur affirme ne pas s’en souvenir puisque la prolongation de son passeport a été effectuée il y a dix ans. Le juge de la citoyenneté indique avoir ensuite examiné attentivement le passeport original du défendeur. Il n’a pas trouvé un timbre d’entrée en Chine [traduction] « aux alentours de cette période ». Dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers, il était indiqué que le défendeur avait seulement soumis une copie de son passeport annulé dans sa demande. Lors de l’audience, le défendeur a présenté son passeport original. Le juge de la citoyenneté avait donc devant lui un élément de preuve qui n’avait pas été présenté à l’analyste ayant préparé le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers.

[18]           Le juge de la citoyenneté a aussi noté qu’il y avait deux dates en 2007 dans le passeport qui pouvaient être des timbres d’entrée et de sortie. Il a donc demandé au défendeur de fournir des documents relativement à son domicile au Canada pendant la période pertinente. Le défendeur a alors soumis les documents supplémentaires (tels qu’ils sont décrits dans la section du contexte ci-dessus). Le juge de la citoyenneté a examiné ces documents, après quoi il a conclu que le défendeur satisfaisait à l’exigence en matière de résidence.

[19]           Le demandeur n’est pas d’accord avec la qualité des éléments de preuve et de leur appréciation par le juge de la citoyenneté. Par contre, rien dans la Loi ni dans la jurisprudence ne laisse entendre que le demandeur n’a pas su présenter la forme de preuve exigée. Le juge de la citoyenneté doit tout simplement être convaincu qu’un demandeur s’est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Askari, 2014 CF 592, au paragraphe 14).

[20]           En l’espèce, le sommaire du juge de la citoyenneté, quoique concis, confirme qu’il s’est penché sur les préoccupations signalées dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers. Il a tenu une longue audience au cours de laquelle il a interrogé le défendeur et a accepté ses réponses. Il a examiné les documents fournis dans la demande, a pris en considération le questionnaire sur la résidence et le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers et a demandé au défendeur de fournir d’autres documents. Selon la conclusion du juge de la citoyenneté, rien pendant ou après l’audience, ne lui a permis de [traduction] « soulever des éléments valides pour contester les arguments du défendeur à l’égard de ses jours de présence effective ».

[21]           Il n’est pas pertinent en l’espèce de déterminer si la Cour ou le demandeur aurait traité les éléments de preuve différemment ou en serait arrivé à la même conclusion. Les éléments de preuve ne peuvent pas être réévalués. La décision est raisonnable si, après examen du dossier, il est déterminé que les motifs fournis satisfont aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité et que la décision appartient aux issues possibles acceptables, tel qu’il est établi dans la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Cela signifie aussi qu’une cour de révision faisant preuve d’une déférence envers le tribunal spécialisé doit accorder une             « reconnaissance respectueuse du vaste éventail de décideurs spécialisés qui rendent couramment des décisions — qui paraissent souvent contre‑intuitives aux yeux d’un généraliste — dans leurs sphères d’expertise, et ce en ayant recours à des concepts et des termes souvent propres à leurs champs d’activité ». (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 13).

[22]           Je conclus que les motifs fournis par le juge de la citoyenneté démontrent pourquoi il en a tiré sa conclusion. Ces motifs respectent les critères établis dans la décision Dunsmuir. Je suis aussi consciente que ce juge a eu l’occasion d’interroger directement le défendeur et d’examiner les documents fournis par ce dernier, après quoi il a tiré une conclusion basée sur son expérience en qualité de juge de la citoyenneté.

[23]           La demande est en conséquence rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1475-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. WEI ZHANG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 août 2016

COMPARUTIONS :

Jocelyn Espejo-Clarke

 

Pour le demandeur

 

Robert I. Blanshay

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Robert I. Blanshay

Société professionnelle

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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