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Date : 20160819


Dossier : T-797-15

Référence : 2016 CF 950

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 août 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

MICROSOFT CORPORATION

demanderesse

et

SHUFENG LIU ALIAS ANDY LIU ET 2352273 ONTARIO INC. FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE IFIX COMPUTERS

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse a déposé un avis de demande en application du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 [la Loi], demandant entre autres un jugement déclaratoire portant que les défendeurs ont violé le droit d’auteur de la demanderesse dans neuf logiciels, une injonction permanente interdisant aux défendeurs de violer le droit d’auteur de la demanderesse dans ces logiciels et l’imposition de dommages-intérêts préétablis et punitifs pour avoir prétendument vendu des copies non autorisées de logiciels de Microsoft dans le cadre d’un processus appelé « copie illégale sur disque dur ». La demanderesse s’est désistée de son recours à l’égard de la société défenderesse, 2352273 Ontario Inc. (faisant affaire sous le nom de iFix Computers), de sorte que l’affaire concerne maintenant uniquement la demande à l’égard de M. Liu.

I.                   Contexte

[2]               Avant d’entreprendre la présente demande, la demanderesse et M. Liu ont réglé deux instances distinctes de violation du droit d’auteur, la première en 2010 et la seconde en 2012. Le règlement de 2012 a abouti à un jugement de la Cour, rendu sur consentement le 20 juillet 2012, en vertu duquel il était interdit à M. Liu de violer le droit d’auteur de la demanderesse dans de nombreux logiciels de Microsoft. Un troisième cas de violation par M. Liu aurait eu lieu le 20 août 2012 ou aux alentours de cette date, à la suite de quoi la demanderesse a envoyé une mise en demeure à M. Liu.

[3]               Les circonstances entourant la demande en l’espèce portent sur deux cas de violation présumée par M. Liu, la première en octobre 2013 et la seconde en février 2015.

[4]               Le 24 octobre 2013, Simon McCullough, un détective privé engagé par la demanderesse, s’est rendu dans une boutique de matériel informatique appelée « iFix Computers ». Dans la boutique, un homme prénommé Andy a proposé à M. McCullough de lui vendre un ordinateur IBM remis à neuf incluant le système d’exploitation Windows 7. Lorsque M. McCullough a demandé si la copie de Windows 7 incluait un DVD ou une licence, Andy lui a répondu qu’aucune licence ou aucun DVD n’était inclus pour le système d’exploitation. Après que M. McCullough a indiqué à Andy qu’il avait besoin de Microsoft Word, ce dernier lui a dit que le logiciel pouvait être installé pour 20 $, encore une fois sans licence ou DVD. M. McCullough a alors indiqué qu’il achetait l’ordinateur, et Andy a entrepris d’installer Microsoft Office 2007 Standard à partir de fichiers sur une clé USB qu’il a branchée sur l’ordinateur. Andy a informé M. McCullough qu’il devait payer comptant pour l’ordinateur et les logiciels, et que des autocollants sur l’ordinateur portable et la pile indiquaient la date d’achat et seraient suffisants pour la garantie de 90 jours. Avant de quitter la boutique, M. McCullough a obtenu d’Andy une carte d’affaires indiquant que son nom était Andy Liu, le défendeur individuel en l’espèce (qui est aussi connu sous le nom de Shufeng Liu). M. McCullough a ensuite envoyé les données prélevées sur l’ordinateur à IP Services, Inc. [IPSI], une entreprise embauchée par la demanderesse pour identifier et analyser les logiciels, CD-ROM, DVD, certificats d’authenticité, clés de produit, manuels d’instruction, emballages et autres composants de logiciels contrefaits, en infraction et authentiques.

[5]               Le 2 février 2015, on a demandé à M. McCullough de retourner chez iFix Computers et d’acheter un ordinateur remis à neuf. Lorsqu’il s’est rendu à la boutique iFix Computers le 3 février 2015, il a rencontré un homme nommé Henry, qui était présent le 24 octobre 2013 lorsque M. McCullough a acheté l’ordinateur IBM à M. Liu. M. McCullough a demandé un devis pour un ordinateur remis à neuf avec le système d’exploitation Windows 7 Professional, un logiciel antivirus et la suite Microsoft Office. Henry a indiqué à M. McCullough qu’il pouvait lui fournir un ordinateur Lenovo remis à neuf avec le système d’exploitation demandé pour 199,99 $, que le logiciel antivirus coûterait 35 $ et que Microsoft Office 2007 coûterait 40 $. M. McCullough a regardé Henry installer Office 2007 sur l’ordinateur à partir d’un disque dur externe qui lui avait été remis par M. Liu. Lorsque Henry a montré à M. McCullough que le système d’exploitation Windows 7 Professional et le logiciel Office 2007 avaient bien été installés sur l’ordinateur, ce dernier a également remarqué qu’aucun certificat d’authenticité n’était apposé sur l’ordinateur; il s’est ensuite assuré qu’aucune licence ni aucun DVD n’étaient fournis pour le système d’exploitation ou pour le logiciel. Avant que M. McCullough ne quitte la boutique, Henry lui a indiqué qu’Andy était le propriétaire de la boutique, et M. McCullough a obtenu une autre carte d’affaires portant le nom d’Andy Liu. M. McCullough a ensuite recueilli des données préliminaires sur le système d’exploitation et les logiciels installés sur l’ordinateur Lenovo et les a fait parvenir à IPSI pour analyse.

[6]               Le 25 février 2015, Cindy Yard, analyste judiciaire chez IPSI, a terminé son analyse des données recueillies par M. McCullough sur l’ordinateur Lenovo. Mme Yard a conclu qu’il n’y avait pas de certificat d’authenticité pour le système d’exploitation Windows 7 Professional, et qu’il n’y avait pas non plus d’image de restauration sur un support logiciel ou sur le disque dur. Elle a également établi que le logiciel Office Enterprise 7 installé sur l’ordinateur et la clé de produit utilisée pour l’installation n’étaient autorisés que pour les titulaires d’une licence en volume de Microsoft et que l’ordinateur Lenovo contenait des copies non autorisées des logiciels Office, installées sans les composantes requises ou par voie de copie illégale sur disque dur. Mme Yard a également confirmé, à partir de son examen de l’analyse effectuée par un autre enquêteur judiciaire d’IPSI en novembre 2013, que l’ordinateur IBM vendu à M. McCullough le 24 octobre 2013 contenait des copies illégales sur disque dur du système d’exploitation Windows 7 Home Premium et du logiciel Office Standard 2007.

[7]               Cette demande devait d’abord être entendue par le juge McDonald le 4 novembre 2015, mais cette audience a été ajournée (avec dépens payables immédiatement à la demanderesse) afin de permettre aux défendeurs de retenir les services d’un avocat et d’un interprète certifié en mandarin pour M. Liu; le juge McDonald a également émis une injonction contre les défenseurs leur interdisant de violer le droit d’auteur de Microsoft jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue en l’espèce. L’audition de la demande a été ajournée de nouveau par le juge McDonald le 10 décembre 2015, afin de permettre à M. Liu de déposer des documents en réponse au dossier de demande de la demanderesse; les dépens afférents à cet ajournement restent à déterminer. Le 20 janvier 2016, M. Liu a déposé un affidavit expliquant les circonstances de la vente de l’entreprise défenderesse à un tiers. La demanderesse a retiré la demande contre l’entreprise défenderesse le 25 janvier 2016. Le 30 mars 2016, le juge chargé de la gestion de l’instance a ordonné que l’on donne à M. Liu jusqu’au 4 avril 2016 pour signifier et déposer tout témoignage par affidavit supplémentaire, et jusqu’au 4 mai 2016 pour déposer un dossier de réponse. Il a également ordonné que la nouvelle date d’audience soit impérative pour M. Liu. L’affaire a donc été entendue le 6 juin 2016, et M. Liu s’est représenté lui-même.

II.                Questions en litige

[8]               La demanderesse soulève les questions suivantes :

1.                  M. Liu a-t-il violé le droit d’auteur de Microsoft dans les logiciels Microsoft?

2.                  Si tel est le cas, quelles réparations doivent être accordées à la demanderesse?

III.             Analyse

A.                M. Liu a-t-il violé le droit d’auteur de Microsoft dans les logiciels Microsoft?

[9]               Il n’est pas contesté que la demanderesse est titulaire du droit d’auteur pour les neuf logiciels énumérés à l’annexe A de son avis de demande, c’est-à-dire Microsoft Windows 7 Professional (numéro d’enregistrement 1074271), Microsoft Office Access 2007 (numéro d’enregistrement 1061087), Microsoft Office Excel 2007 (numéro d’enregistrement 1060929), Microsoft Office InfoPath 2007 (numéro d’enregistrement 1075220), Microsoft Office OneNote 2007 (numéro d’enregistrement 1075221), Microsoft Office Outlook 2007 (numéro d’enregistrement 1060931), Microsoft Office PowerPoint 2007 (numéro d’enregistrement 1061313), Microsoft Office Publisher 2007 (numéro d’enregistrement 1060932), et Microsoft Office Word 2007 (numéro d’enregistrement 1060933). D’ailleurs, M. Liu n’a pas mis en question l’existence du droit d’auteur dans les programmes ou contesté le fait que la demanderesse en soit titulaire; même s’il l’avait fait, l’article 34.1 de la Loi prescrit que, jusqu’à preuve contraire, les programmes sont présumés protégés par le droit d’auteur et la demanderesse est réputée être titulaire du droit d’auteur.

[10]           La demanderesse s’appuie sur l’article 3 et le paragraphe 27(1) de la Loi. L’article 3 interdit la reproduction d’œuvres protégées par le droit d’auteur et protège le droit du titulaire du droit d’auteur de produire ou de reproduire l’œuvre et, dans le cas d’un programme informatique, le droit de louer le programme. Le paragraphe 27(1) de la Loi prescrit ce qui suit : « Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir ».

[11]           Il existe en l’espèce une preuve convaincante qui établit, selon la prépondérance des probabilités, que lors des deux visites de M. McCullough à la boutique iFix Computers, il a acheté et on lui a vendu des copies non autorisées des programmes informatiques pour lesquels la demanderesse détient le droit d’auteur. Le 24 octobre 2013, M. Liu a vendu à M. McCullough des copies non autorisées des programmes de la demanderesse; il a personnellement manipulé et chargé les programmes depuis une clé USB vers l’ordinateur IBM acheté par M. McCullough. Je conclus sans hésitation, selon la prépondérance des probabilités, que M. Liu a reproduit et copié à cette occasion les programmes informatiques de la demanderesse et en a vendu des copies non autorisées à M. McCullough. M. Liu a clairement violé le droit d’auteur de la demanderesse quant à ses programmes informatiques à cette occasion.

[12]           Cependant, la vente de logiciels non autorisés à M. McCullough le 3 février 2015 est problématique et moins claire que ce qui s’est produit le 24 octobre 2013, puisque c’est le collègue de M. Liu, Henry, qui a vendu le logiciel et l’a installé sur l’ordinateur Lenovo. La demanderesse soutient que M. Liu est responsable de la violation survenue à cette occasion puisqu’il était sur place et qu’il y a participé en fournissant le disque dur externe à partir duquel les programmes non autorisés ont été copiés sur l’ordinateur. La demanderesse affirme que M. Liu a approuvé cette violation et cite à cet égard la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 RCS 339 [CCH], dans lequel la juge en chef McLachlin a déclaré ce qui suit :

38        « Autoriser » signifie « sanctionner, appuyer ou soutenir » (« sanction, approve and countenance ») : Muzak Corp. c. Composers, Authors and Publishers Association of Canada, Ltd., [1953] 2 R.C.S. 182, p. 193; De Tervagne c. Belœil (Ville), [1993] 3 C.F. 227 (1re inst.). Lorsqu’il s’agit de déterminer si une violation du droit d’auteur a été autorisée, il faut attribuer au terme « countenance » son sens le plus fort mentionné dans le dictionnaire, soit [traduction] « approuver, sanctionner, permettre, favoriser, encourager » : voir The New Shorter Oxford English Dictionary (1993), vol. 1, p. 526.  L’autorisation est néanmoins une question de fait qui dépend de la situation propre à chaque espèce et peut s’inférer d’agissements qui ne sont pas des actes directs et positifs, et notamment d’un degré suffisamment élevé d’indifférence : CBS Inc. c. Ames Records & Tapes Ltd., [1981] 2 All E.R. 812 (Ch. D.), p. 823-824.  Toutefois, ce n’est pas autoriser la violation du droit d’auteur que de permettre la simple utilisation d’un appareil susceptible d’être utilisé à cette fin.  Les tribunaux doivent présumer que celui qui autorise une activité ne l’autorise que dans les limites de la légalité : Muzak, précité.  Cette présomption peut être réfutée par la preuve qu’il existait une certaine relation ou un certain degré de contrôle entre l’auteur allégué de l’autorisation et les personnes qui ont violé le droit d’auteur : Muzak, précité; De Tervagne, précité. Voir également J. S. McKeown, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 21-104, et P. D. Hitchcock, « Home Copying and Authorization » (1983), 67 C.P.R (2d) 17, p. 29-33.

[13]           L’argument de la demanderesse, à savoir que M. Liu a autorisé la violation le 3 février 2015 et qu’il a aussi violé lui-même le droit d’auteur de la demanderesse ce jour-là, n’est pas convaincant. La preuve quant à la nature et à l’étendue de la relation entre M. Liu et Henry n’est pas complètement claire. Il n’est pas établi clairement, par exemple, si M. Liu était, directement ou indirectement, l’employeur d’Henry à l’époque, ou si M. Liu avait suffisamment de contrôle ou d’autorité sur les actes d’Henry pour établir une responsabilité du fait d’autrui ou une responsabilité conjointe quant à la violation survenue le 3 février 2015. Quoi qu’il en soit, la preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, que le collègue de M. Liu a violé le droit d’auteur de la demanderesse quant à ses programmes informatiques le 3 février 2015. La question est cependant de savoir si M. Liu l’a également fait à cette date.

[14]           Même si M. Liu était présent le 3 février 2015 et qu’il a remis à Henry un disque dur externe à partir duquel les programmes non autorisés ont été copiés sur l’ordinateur Lenovo, les éléments de preuve démontrent ce qui suit : M. Liu n’a pas autrement participé personnellement à la copie des programmes de la demanderesse; il n’a pas fait la vente à M. McCullough le 3 février 2015; il n’a pas installé les programmes sur l’ordinateur Lenovo; il n’a pas expressément demandé ou permis à Henry de copier les programmes de la demanderesse; et rien dans les éléments de preuve ne démontre que M. Liu était le propriétaire du disque dur externe ou qu’il y a chargé des copies non autorisées des programmes de la demanderesse. Même s’il est possible que M. Liu ait fourni à Henry le disque dur externe à partir duquel les programmes ont été copiés sur l’ordinateur, il n’a, contrairement à son collègue, commis aucune violation le 3 février 2015. À mon avis, quelqu’un qui ne fait que fournir l’équipement susceptible d’être utilisé pour violer le droit d’auteur n’est aucunement responsable de toute violation subséquente du droit d’auteur qui peut survenir lorsque cet équipement est utilisé par une autre personne pour contrefaire une œuvre protégée par le droit d’auteur. D’ailleurs, le disque dur externe que M. Liu a remis à son collègue le 3 février 2015, et que ce dernier a ensuite utilisé pour violer le droit d’auteur de la demanderesse, est semblable aux photocopieuses libre-service mises à la disposition des usagers d’une bibliothèque dans l’affaire CCH (voir les paragraphes 42 à 46).

[15]           En résumé, je conclus et déclare que le défendeur, M. Liu, a violé le droit d’auteur de la demanderesse quant aux cinq programmes Microsoft suivants, le 24 octobre 2013 : Windows 7 Home Premium, Office Excel 2007, Office Outlook 2007, Office PowerPoint 2007 et Office Word 2007. Bien que la preuve démontre que le droit d’auteur de la demanderesse quant aux autres programmes énumérés à l’annexe A a été violé le 3 février 2015, la preuve à cet égard est que ce n’est pas M. Liu qui a autorisé ou effectué les activités de contrefaçon à cette date.

B.                 Quelles réparations doivent être accordées à la demanderesse?

[16]           La demanderesse demande à la Cour de déclarer que le droit d’auteur subsiste dans les différents programmes énumérés à l’annexe A de son avis de demande, qu’elle est la titulaire du droit d’auteur de ces programmes et que M. Liu a violé son droit d’auteur quant à ces programmes et a incité ou autorisé la violation par les clients de iFix Computers. Cependant, le jugement déclaratoire demandé est trop large parce que les éléments de preuve ont démontré que M. Liu n’avait violé les droits d’auteur que pour cinq des programmes de la demanderesse, le 24 octobre 2013. Par conséquent, la Cour déclarera que le droit d’auteur subsiste quant aux différents programmes informatiques énumérés à l’annexe A de l’avis de demande de la demanderesse, que la demanderesse détient le droit d’auteur de ces programmes et que M. Liu a violé le droit d’auteur de la demanderesse pour cinq des programmes informatiques de la demanderesse le 24 octobre 2013, à savoir Microsoft Windows 7 Home Premium, Microsoft Office Excel 2007, Microsoft Office Outlook 2007, Microsoft Office PowerPoint 2007 et Microsoft Office Word 2007.

[17]           La demanderesse a aussi demandé : (1) des dommages-intérêts préétablis de 180 000 $ en application de l’article 38.1 de la Loi; (2) des dommages-intérêts punitifs et exemplaires de 250 000 $ contre M. Liu; (3) une injonction interdisant à M. Liu de continuer de contrefaire les programmes informatiques de la demanderesse; (4) des intérêts antérieurs et postérieurs au jugement; et (5) ses dépens relatifs à la présente demande sur une base avocat-client, majorés des taxes applicables. Je vais aborder chacun de ces éléments à tour de rôle.

(1)               Dommages-intérêts préétablis

[18]           Le paragraphe 38.1(1) de la Loi est libellé comme suit :

Dommages-intérêts préétablis

Dommages-intérêts préétablis

38.1 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages-intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), les dommages-intérêts préétablis ci-après pour les violations reprochées en l’instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables :

38.1 (1) Subject to this section, a copyright owner may elect, at any time before final judgment is rendered, to recover, instead of damages and profits referred to in subsection 35(1), an award of statutory damages for which any one infringer is liable individually, or for which any two or more infringers are liable jointly and severally,

a) dans le cas des violations commises à des fins commerciales, pour toutes les violations — relatives à une œuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur —, des dommages-intérêts dont le montant, d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence;

(a) in a sum of not less than $500 and not more than $20,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for each work or other subject-matter, if the infringements are for commercial purposes; and

b) dans le cas des violations commises à des fins non commerciales, pour toutes les violations — relatives à toutes les œuvres données ou tous les autres objets donnés du droit d’auteur —, des dommages-intérêts, d’au moins 100 $ et d’au plus 5 000 $, dont le montant est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence.

(b) in a sum of not less than $100 and not more than $5,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for all works or other subject-matter, if the infringements are for non-commercial purposes.

[19]           Dans son mémoire des faits et du droit, la demanderesse a choisi de demander des dommages-intérêts préétablis. Selon la demanderesse, les circonstances en l’espèce sont telles que le montant maximum des dommages-intérêts préétablis devrait lui être accordé pour la contrefaçon par M. Liu de chacun des neuf programmes énumérés à l’annexe A de son avis de demande. La demanderesse réclame donc des dommages-intérêts préétablis totalisant 180 000 $, en vertu du paragraphe 38.1(5) de la Loi. Cependant, compte tenu de ma conclusion ci-dessus, à savoir que M. Liu n’a contrefait que cinq des programmes de la demanderesse, il n’y aura aucune adjudication de dommages-intérêts pour les contrefaçons du 3 février 2015.

[20]           Le paragraphe 38.1(5) de la Loi exige de la Cour qu’elle tienne compte de tous les facteurs pertinents dans l’évaluation des dommages-intérêts préétablis. Le paragraphe visé se lit comme suit :

Facteurs

Factors to consider

38.1 (5) Lorsqu’il rend une décision relativement aux paragraphes (1) à (4), le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants :

38.1 (5) In exercising its discretion under subsections (1) to (4), the court shall consider all relevant factors, including

a) la bonne ou mauvaise foi du défendeur;

(a) the good faith or bad faith of the defendant;

b) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle-ci;

(b) the conduct of the parties before and during the proceedings;

c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question;

(c) the need to deter other infringements of the copyright in question; and

d) dans le cas d’une violation qui est commise à des fins non commerciales, la nécessité d’octroyer des dommages-intérêts dont le montant soit proportionnel à la violation et tienne compte des difficultés qui en résulteront pour le défendeur, du fait que la violation a été commise à des fins privées ou non et de son effet sur le demandeur.

(d) in the case of infringements for non-commercial purposes, the need for an award to be proportionate to the infringements, in consideration of the hardship the award may cause to the defendant, whether the infringement was for private purposes or not, and the impact of the infringements on the plaintiff.

[21]           Dans la détermination du montant approprié à accorder au titre des dommages-intérêts préétablis en l’espèce, je note d’abord qu’il ne s’agit pas d’un cas de violation commise à des fins non commerciales, et donc que le quatrième facteur énuméré au paragraphe 38.1(5) n’est pas pertinent. Je note également qu’il n’y a aucune preuve à l’égard des ventes de logiciels non autorisés par M. Liu non plus que du montant des éventuels profits générés par les activités de contrefaçon du 24 octobre 2013, ou, d’ailleurs, pour quelque autre date. Par conséquent, l’absence de cette preuve distingue cette affaire d’autres affaires comme Microsoft Corporation c. 9038-3746 Québec Inc., 2006 CF 1509, 305 FTR 69 [9038-3746 Québec], et Louis Vuitton Malletier S.A. c. Yang, 2007 CF 1179, 62 CPR (4th) 362 [Yang], dans lesquelles le montant maximum des dommages-intérêts préétablis a été accordé à l’égard de chaque violation en raison des profits substantiels réalisés par les contrefacteurs dans ces affaires. Enfin, comme l’a fait remarquer la Cour dans le jugement Polsat c. Radiopol Inc., 2006 CF 584, au paragraphe 37, [2007] 1 FCR 444 : « […] la mission essentielle qui est confiée au juge chargé d’évaluer les dommages-intérêts préétablis réclamés au lieu des dommages-intérêts et des profits consiste à en arriver à une appréciation raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances et ce, dans le but de parvenir à une solution équitable ».

[22]           Bien que les trois facteurs pertinents énumérés au paragraphe 38.1(5) pèsent tous contre M. Liu, il ne serait pas approprié d’accorder à la demanderesse le montant maximum de dommages-intérêts préétablis pour chaque cas de contrefaçon, et ce, pour différentes raisons. Premièrement, la conduite de M. Liu avant et durant la procédure n’a pas été aussi déplorable que l’a été celle de l’un des défendeurs individuels dans l’affaire 9038-3746 Québec (voir les paragraphes 113 et 114). Deuxièmement, la demanderesse a établi en l’espèce que M. Liu avait violé son droit d’auteur à une seule occasion, quoique pour cinq de ses programmes informatiques. Enfin, accorder le montant maximum de dommages-intérêts préétablis pour chaque violation par M. Liu se traduirait par une somme totale de 100 000 $, un montant hors de proportion avec le profit qu’il pourrait avoir réalisé sur les activités de contrefaçon du 24 octobre 2013.

[23]           Néanmoins, lorsque le comportement du contrefacteur fait fi de l’ordre public et démontre la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations futures du droit d’auteur (voir : 9038-3746 Québec, au paragraphe 113, et Yang, aux paragraphes 21 à 25), cela suffit à accorder un montant substantiellement plus élevé que le montant minimum des dommages‑intérêts préétablis. En l’espèce, M. Liu n’a pas respecté les conditions des ententes de règlement de 2010 et de 2012, à la suite desquelles il avait versé à la demanderesse des sommes de 2000 $ et de 7 000 $, respectivement. Il n’a pas non plus respecté l’ordonnance de la Cour datée du 20 juillet 2012, qui lui interdisait de violer le droit d’auteur de la demanderesse quant à ses programmes informatiques en installant, en vendant ou en offrant à la vente des copies non autorisées des programmes. Il existe un besoin clair et convaincant de dissuader M. Liu de se livrer à toute activité de violation du droit d’auteur vis-à-vis des programmes informatiques de la demanderesse, et un montant substantiel de dommages-intérêts préétablis doit être adjugé contre lui en raison de sa violation en l’espèce.

[24]           Compte tenu de l’ensemble des circonstances de cette affaire, incluant les activités de contrefaçon antérieures de M. Liu, ainsi que du montant des dommages-intérêts préétablis accordés par la Cour dans les jugements Setanta Sports Canada Limited c. 840341 Alberta Ltd. (Brew’in Taphouse), 2011 CF 709, 396 FTR 1, et Microsoft Corporation c. 1276916 Ontario Ltd., 2009 CF 849, 347 FTR 248 [Microsoft], j’évalue et j’accorde des dommages-intérêts préétablis de 10 000 $ pour chaque contrefaçon des programmes informatiques de la demanderesse qui ont été illégalement copiés et distribués par M. Liu le 24 octobre 2013. Il est donc ordonné à M. Liu de payer à la demanderesse une somme totale de 50 000 $ au titre des dommages-intérêts préétablis en vertu de l’article 38.1 de la Loi.

(2)               Dommages-intérêts punitifs

[25]           Le paragraphe 38.1(7) de la Loi prescrit que le choix de demander des dommages-intérêts préétablis ne supprime pas le droit du titulaire du droit d’auteur à des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs. Des dommages-intérêts punitifs peuvent être accordés lorsque l’une des parties a eu une conduite malveillante, opprimante et abusive, qui choque le sens de dignité de la cour et qui représente un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable. L’arrêt faisant autorité en matière de dommages punitifs est celui de la Cour suprême dans Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 RCS 595 [Whiten], dans lequel le juge Binnie a déclaré ce qui suit :

36        Exceptionnellement, des dommages-intérêts punitifs sont accordés lorsqu’une conduite « malveillante, opprimante et abusive [...] choque le sens de la dignité de la cour » : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 196.  Ce critère limite en conséquence de tels dommages-intérêts aux seules conduites répréhensibles représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable.  Parce qu’ils ont pour objet de punir le défendeur plutôt que d’indemniser le demandeur (la juste indemnité à laquelle ce dernier a droit ayant déjà été déterminée), les dommages‑intérêts punitifs chevauchent la frontière entre le droit civil (indemnisation) et le droit criminel (punition).

[26]           Des dommages-intérêts punitifs ne doivent cependant être accordés que dans la mesure où toutes les autres pénalités et sanctions ont été prises en considération et « jugées insuffisantes pour réaliser les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation » (Whiten, au paragraphe 123).

[27]           Les facteurs pertinents à considérer pour déterminer si des dommages-intérêts punitifs doivent être accordés ont été notés par la Cour dans la décision Yang, sous la plume du juge Snider :

[47]      [...] Selon le résumé qu’en a fait la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse dans 2703203 Manitoba Inc. c. Parks, 47 C.P.R. (4th) 276, au paragraphe 38, infirmé en partie par 57 C.P.R. (4th) 391 (C.A. de la N.-É.), les facteurs pertinents à prendre en compte sont les suivants :

•     le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée;

•     l’intention et la motivation du défendeur;

•     le caractère prolongé de la conduite inacceptable du défendeur;

•     le fait que le défendeur ait caché sa conduite répréhensible ou tenté de la dissimuler;

•     le fait que le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs ;

•     le fait que le défendeur ait ou non tiré profit de sa conduite répréhensible.

[28]           Au cours des dernières années, la Cour a accordé contre des défendeurs individuels, pour la violation du droit d’auteur, des dommages-intérêts punitifs allant de 15 000 $ à 100 000 $. Par exemple, dans la décision Mitchell Repair Information Company L.L.C. c. Long, 2014 CF 562, 456 FTR 206, des dommages-intérêts punitifs de 15 000 $ ont été accordés; dans Adobe Systems Incorporated c. Thompson (Appletree Solutions), 2012 CF 1219 [Adobe Systems], une somme de 15 000 $ a également été accordée à chacun des trois demandeurs, pour un total de 45 000 $. Dans les décisions Microsoft, Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga Enterprises (Canada) Inc., 2011 CF 776, [2013] 1 FCR 413 [Louis Vuitton 2011], et Microsoft Corporation c. PC Village Co. Ltd., 2009 CF 401, 345 FTR 57, une somme de 50 000 $ a été accordée; enfin, dans les décisions Yang et 9038-3746 Québec, des dommages-intérêts punitifs de 100 000 $ ont été accordés contre un défendeur individuel.

[29]           La preuve montre que M. Liu a poursuivi ses activités de contrefaçon même après l’ordonnance sur consentement prononcée par la Cour le 20 juillet 2012. Ce manque de respect et ce mépris à l’endroit de la Cour et de ses processus ne peuvent être tolérés ou admis, et des dommages-intérêts punitifs et exemplaires seraient appropriés sur cette seule base. La preuve montre de plus que les actes de M. Liu étaient délibérés et qu’il s’est engagé dans ce que la demanderesse a qualifié de [traduction] « schéma de récidive de violations similaires du droit d’auteur depuis au moins 2009 ». Bien qu’il n’existe aucune preuve que M. Liu ait tenté de cacher ou de dissimuler ses actes répréhensibles, il est plus que probable qu’il savait que ses activités de contrefaçon du 24 octobre 2013 et fort probablement à d’autres occasions aussi étaient illégales, en particulier compte tenu des ententes de règlement de 2010 et 2012, de l’ordonnance prononcée par la Cour le 20 juillet 2012 et du fait qu’il a reçu plusieurs lettres de mise en demeure portant sur ses violations du droit d’auteur de la demanderesse pendant plusieurs années. Par ailleurs, bien qu’aucune preuve n’ait été présentée quant au montant des profits générés par les activités de contrefaçon de M. Liu le 24 octobre 2013 ou à toute autre date, il est raisonnable de conclure que M. Liu a tiré profit de ses activités de contrefaçon, du moins dans une certaine mesure, parce que son entreprise d’informatique était active depuis huit ans environ lorsque M. McCullough a visité la boutique iFix Computers pour la deuxième fois en février 2015. Dans l’ensemble, les éléments de preuve démontrent que M. Liu se préoccupe peu du processus légal et a obligé la demanderesse à consacrer beaucoup de temps et d’argent à la protection et au respect de son droit d’auteur quant à ses programmes informatiques contre M. Liu.

[30]           Je conclus par conséquent qu’il existe des motifs valables d’accorder des dommages‑intérêts punitifs et exemplaires en l’espèce en raison de la conduite répréhensible de M. Liu, de la nécessité de la dénoncer, et pour dissuader M. Liu de se livrer à l’avenir à toute violation du droit d’auteur de la demanderesse quant à ses programmes informatiques. La demanderesse réclame des dommages-intérêts punitifs et exemplaires de 250 000 $ contre M. Liu. La demanderesse affirme que ce montant est similaire aux dommages-intérêts punitifs accordés pour la violation du droit d’auteur dans des affaires récentes, et signale les montants de dommages-intérêts punitifs accordés dans les jugements Adobe Systems, 9038-3746 Québec, Louis Vuitton 2011 et Louis Vuitton Malletier S.A. v. 486353 B.C. Ltd., 2008 BCSC 799, [2008] BCWLD 5075 [Louis Vuitton 2008].

[31]           Ces affaires, cependant, n’appuient pas le montant des dommages-intérêts réclamés par la demanderesse en l’espèce. Dans les jugements 9038-3746 Québec et Louis Vuitton 2011, les défendeurs individuels, contrairement à M. Liu en l’espèce, s’étaient livrés à des activités de contrefaçon à grande échelle; des dommages-intérêts punitifs de 100 000 $ ont été adjugés contre un défendeur individuel dans le jugement 9038-3746 Québec alors que des dommages-intérêts punitifs de 50 000 $ ont été adjugés contre l’un des défendeurs individuels dans le jugement Louis Vuitton 2011. Dans le jugement Louis Vuitton 2008, des dommages-intérêts punitifs de 200 000 $ ont été adjugés contre l’un des défendeurs individuels, mais contrairement à la situation en l’espèce, les activités de contrefaçon dans cette affaire s’étaient produites dans de multiples établissements de vente au détail et durant plusieurs années, malgré une ordonnance de type Anton Piller, la saisie de centaines d’articles contrefaits en vertu de cette ordonnance, un jugement de la Cour portant injonction permanente et la signification de nombreuses mises en demeure. Le montant total des dommages-intérêts punitifs accordés dans le jugement Adobe Systems était de 45 000 $, ce qui est loin des 250 000 $ réclamés par la demanderesse en l’espèce.

[32]           Il convient de faire remarquer que la Cour d’appel fédérale a récemment déclaré, dans le jugement Kwan Lam v. Chanel S. de R.L., 2016 FCA 111, au paragraphe 25 [Lam], une affaire portant sur de multiples contrefaçons des marques de commerce de Chanel, qu’il [traduction] « est donc tout à fait possible, en fonction de ces facteurs, que des dommages-intérêts punitifs d’un montant de 250 000 $ soient la réparation appropriée dans un cas comme celui en l’espèce, et ce, même si ceux-ci sont plus élevés que ce que la jurisprudence a précédemment établi ». Cependant, la Cour d’appel, dans le jugement Lam a aussi signalé (au paragraphe 23) que [traduction] « des dommages-intérêts punitifs de cette ampleur, dépassant ceux octroyés dans d’autres décisions, doivent être justifiés en fonction des critères juridiques applicables et des faits propres à l’espèce, et exigent une explication plus étoffée que celle donnée par le juge de première instance ». La décision du juge de première instance dans l’affaire Lam a été annulée par la Cour d’appel et la requête en procès sommaire a été renvoyée pour nouvelle décision, de sorte qu’il reste à voir si les dommages-intérêts punitifs de 250 000 $ accordés dans le jugement Lam seront maintenus.

[33]           La requête de la demanderesse pour des dommages-intérêts punitifs de 250 000 $ contre M. Liu est déraisonnable et ne devrait pas être accueillie parce que ce montant dépasse de loin les montants accordés dans d’autres jugements, comme ceux précités, dans lesquels la nature et l’ampleur des actes répréhensibles commis par les défendeurs individuels étaient plus graves que ceux de M. Liu en l’espèce. De plus, la demanderesse fournit peu d’explications ou de justifications à l’appui de dommages-intérêts punitifs dépassant de façon marquée le montant des dommages-intérêts préétablis demandés par la demanderesse.

[34]           Comme l’a fait remarquer la Cour dans le jugement Louis Vuitton 2011 (au paragraphe 169) : « Le montant des dommages‑intérêts exemplaires et punitifs doit être suffisamment élevé pour faire réfléchir les défendeurs. » Compte tenu de l’ensemble des circonstances en l’espèce, y compris la nature et l’ampleur des actes répréhensibles commis par M. Liu, de la nécessité de les dénoncer, et afin de dissuader M. Liu de violer à l’avenir le droit d’auteur de la demanderesse quant à ses programmes informatiques, et en tenant compte du montant des dommages-intérêts punitifs accordés dans les jugements précités, j’évalue et j’accorde à la demanderesse des dommages-intérêts punitifs et exemplaires de 50 000 $ contre le défendeur, M. Liu. Il est donc ordonné à M. Liu de payer à la demanderesse la somme de 50 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs et exemplaires.

(3)               Injonction

[35]           Le défendeur, M. Liu, a violé les droits d’auteur de la demanderesse quant à certains de ses programmes informatiques le 24 octobre 2013 et il est donc justifié de rendre permanente l’injonction intérimaire émise par le juge McDonald et d’émettre une injonction contre lui selon les conditions énoncées ci-dessous afin de protéger le droit d’auteur détenu par la demanderesse quant à ses programmes informatiques contre toute violation en cours ou future.

(4)               Intérêt

[36]           Les intérêts antérieurs et postérieurs au jugement sont régis par les articles 36 et 37 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. La cause d’action et la violation en l’espèce sont survenues dans la province de l’Ontario, de sorte que les règles de droit en matière d’intérêts antérieurs et postérieurs au jugement qui régissent les rapports entre particuliers en vigueur en Ontario s’appliquent au calcul et à l’octroi des intérêts antérieurs et postérieurs au jugement en l’espèce.

[37]           Le paragraphe 128(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires L.R.O. 1990, ch. C.43, édicte que la personne qui a droit à une ordonnance de paiement d’une somme d’argent a le droit de demander que l’ordonnance lui accorde des intérêts sur cette somme, calculés au taux d’intérêt antérieur au jugement, depuis la date à laquelle la cause d’action a pris naissance jusqu’à la date de l’ordonnance. Aux termes du paragraphe 128(4), cependant, il ne peut être accordé d’intérêts antérieurs au jugement sur les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, sur les dépens de l’instance ou sur les intérêts antérieurs au jugement accumulés. Par conséquent, la demanderesse a uniquement droit aux intérêts antérieurs au jugement sur la somme de 50 000 $ accordée à titre de dommages-intérêts préétablis, pour la période allant du 24 octobre 2013, inclusivement, à la date du présent jugement.

[38]           Le tableau d’intérêts publié en vertu du Règl. de l’Ont. 339/07 indique que le taux d’intérêt pour les intérêts antérieurs au jugement était de 1,3 % le 24 octobre 2013 et est resté inchangé jusqu’au 31 mars 2015, date à laquelle il a été abaissé à 1,0 %; il a été de nouveau abaissé à 0,8 % le 1er janvier 2016. Le taux de 1,3 % a été en vigueur pendant 523 jours à compter de la date de la cause d’action en l’espèce; ceci donne droit à la demanderesse, pour cette période, à des intérêts antérieurs au jugement de 931,37 $. Le taux de 1,0 % a été en vigueur pendant 275 jours après le 31 mars 2015; ceci donne droit à la demanderesse, pour cette période, à des intérêts antérieurs au jugement de 376,71 $. Le taux de 0,8 % est en vigueur depuis le 1er janvier 2016, soit 232 jours avant la date du présent jugement; ceci donne droit à la demanderesse, pour cette période, à des intérêts antérieurs au jugement de 253,55 $. Au total, par conséquent, la demanderesse a droit à des intérêts antérieurs au jugement de 1 561,63 $.

[39]           Le paragraphe 129(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario édicte que la somme d’argent due aux termes d’une ordonnance, y compris les dépens devant être liquidés ou ceux fixés par le tribunal, porte intérêt au taux d’intérêt postérieur au jugement, à compter de la date de l’ordonnance. Le tableau d’intérêts publié en vertu du Règl. de l’Ont. 339/07 indique que le taux d’intérêt actuel pour les intérêts postérieurs au jugement est de 2,0 %. Par conséquent, le défendeur, M. Liu, devra payer à la demanderesse des intérêts postérieurs au jugement sur les sommes accordées ci-dessus au titre des dommages-intérêts préétablis et des dommages-intérêts punitifs et exemplaires, ainsi que sur le montant des dépens établis ci-dessous, calculés à compter de la date du présent jugement au taux actuel de 2,0 % et à tout taux d’intérêt postérieur au jugement déterminé et publié conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires et au Règl. de l’Ont. 339/07.

(5)               Dépens

[40]           Dans son mémoire des faits et du droit, la demanderesse sollicite l’adjudication d’une somme forfaitaire de 30 000 $ payable par M. Liu, appuyé par un mémoire de frais pour des dépens en excédent de ce montant. À l’audience, la demanderesse a présenté une ébauche de mémoire de frais totalisant 71 686,14 $, incluant des frais de 64 393,40 $, des débours de 2 191,80 $ et la TVH. Bien que l’ébauche de mémoire de frais soit d’une certaine utilité pour la Cour dans l’établissement d’un montant approprié pour les dépens, le fait d’accorder des dépens sur la base de cette ébauche de frais reviendrait à accorder à la demanderesse les dépens de sa demande sur une base avocat-client. L’adjudication des dépens sur cette base est appropriée lorsqu’une partie a fait preuve d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante (voir le jugement Yang, au paragraphe 59; voir également l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, 2002 SCC 13, au paragraphe 86, [2002] 1 RCS 405). À mon avis, ce n’est pas le cas en l’espèce. Par conséquent, conformément à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, j’accorde à la demanderesse des dépens pour un montant forfaitaire fixe de 40 000 $ (taxes, débours et autres dépenses compris); ce montant inclut les dépens payables à la demanderesse pour l’ajournement de l’audience le 10 décembre 2015.

IV.             Conclusion

[41]           En conclusion, pour les motifs précités, la demande déposée par la demanderesse en vertu du paragraphe 34(4) de la Loi est partiellement accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande de la demanderesse est accueillie en partie.

2.                  Les différents logiciels énumérés à l’annexe A de l’avis de demande de la demanderesse, c’est-à-dire Microsoft Windows 7 Professional (numéro d’enregistrement 1074271), Microsoft Office Access 2007 (numéro d’enregistrement 1061087), Microsoft Office Excel 2007 (numéro d’enregistrement 1060929), Microsoft Office InfoPath 2007 (numéro d’enregistrement 1075220), Microsoft Office OneNote 2007 (numéro d’enregistrement 1075221), Microsoft Office Outlook 2007 (numéro d’enregistrement 1060931), Microsoft Office PowerPoint 2007 (numéro d’enregistrement 1061313), Microsoft Office Publisher 2007 (numéro d’enregistrement 1060932), et Microsoft Office Word 2007 (numéro d’enregistrement 1060933) [collectivement, les programmes de Microsoft], sont protégés par le droit d’auteur.

3.                  Microsoft Corporation est le titulaire du droit d’auteur sur les programmes de Microsoft.

4.                  Le défendeur Shufeng Liu, alias Andy Liu, a violé le droit d’auteur de Microsoft Corporation quant à cinq des programmes informatiques de la demanderesse le 24 octobre 2013, à savoir, Microsoft Windows 7 Home Premium, Microsoft Office Excel 2007, Microsoft Office Outlook 2007, Microsoft Office PowerPoint 2007 et Microsoft Office Word 2007.

5.                  Le défendeur Shufeng Liu, alias Andy Liu, devra payer immédiatement à Microsoft Corporation la somme de 50 000 $ à titre de dommages-intérêts préétablis au sens de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42.

6.                  Le défendeur Shufeng Liu, alias Andy Liu, devra payer immédiatement à Microsoft Corporation la somme de 50 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs et exemplaires.

7.                  Le défendeur Shufeng Liu, alias Andy Liu, ses préposés, employés et agents, ainsi que toute société ou entreprise dans laquelle il détient ou détiendra à l’avenir, directement ou indirectement, une participation majoritaire, ou de laquelle il est ou sera à l’avenir un dirigeant ou un administrateur, selon le cas, et toute personne agissant selon les instructions des précités, se voient chacun interdire de façon permanente de violer, directement ou indirectement, les droits de Microsoft Corporation, et de, sans s’y limiter :

1)                  contrefaire, directement ou indirectement, le droit d’auteur de Microsoft Corporation quant aux programmes de Microsoft ou à tout autre programme informatique pour lequel Microsoft Corporation détient ou détiendra le droit d’auteur (collectivement, les programmes);

2)                  produire ou reproduire, ou faire produire ou reproduire, directement ou indirectement, la totalité ou une partie importante d’un programme sous quelque forme matérielle que ce soit, incluant, sans s’y limiter, installer ou faire installer des copies non autorisées des programmes sur des ordinateurs ou en faire des copies non autorisées;

3)                  vendre, distribuer, exposer en vue de la vente ou offrir en vente (ou avoir en sa possession dans l’un des buts précités), directement ou indirectement, des copies de l’un ou l’autre des programmes ou de composants ou documents violant le droit d’auteur de Microsoft;

4)                  importer au Canada, directement ou indirectement, des copies de l’un ou l’autre des programmes ou de composants ou documents violant le droit d’auteur de Microsoft;

5)                  vendre, distribuer, exposer en vue de la vente ou offrir en vente (ou avoir en sa possession dans l’un des buts précités), directement ou indirectement, des copies de l’un des programmes ou des composants ou documents connexes d’une façon qui soit contraire aux limites ou aux conditions de licence figurant sur les programmes ou les composants ou documents connexes, ou les accompagnant;

6)                  vendre, distribuer, exposer en vue de la vente ou offrir en vente (ou avoir en sa possession dans l’un des buts précités), ou importer, directement ou indirectement, tous composants ou documents associés aux programmes, incluant les certificats d’authenticité, les étiquettes de certificat d’authenticité, les accords de licence (y compris les accords de licence d’utilisateur), les manuels et cédéroms ou DVD, seuls ou d’une manière non autorisée par Microsoft Corporation;

7)                  vendre, distribuer, exposer en vue de la vente ou offrir en vente (ou avoir en sa possession dans l’un des buts précités), ou importer, directement ou indirectement, tous composants ou documents contrefaits associés aux programmes qui violent le droit d’auteur de Microsoft, incluant les certificats d’authenticité, les étiquettes de certificat d’authenticité, les accords de licence (y compris les accords de licence d’utilisateur), les manuels et cédéroms ou DVD;

8)                  utiliser les programmes à d’autres fins que celles autorisées par Microsoft Corporation, de quelque manière que ce soit;

9)                  contrefaire les programmes, de quelque manière que ce soit;

10)              demander ou ordonner à d’autres personnes de commettre l’un des actes précités, les autoriser, les assister, les encourager ou les inciter à le faire;

11)              violer, de quelque manière que ce soit, le droit d’auteur quant à toute autre œuvre pour laquelle Microsoft détient le droit d’auteur, incluant, sans s’y limiter, toute œuvre apparue après la date de début de la présente instance.

8.                  Le défendeur Shufeng Liu, alias Andy Liu, devra payer immédiatement à Microsoft Corporation la somme de 1 561,63 $ à titre d’intérêts antérieurs au jugement.

9.                  Le défendeur Shufeng Liu, alias Andy Liu, devra payer immédiatement à Microsoft Corporation un montant forfaitaire fixe de 40 000 $ (taxes, débours et autres dépenses compris) à titre de dépens.

10.              Le défendeur Shufeng Liu, alias Andy Liu, devra payer immédiatement à Microsoft Corporation des intérêts postérieurs au jugement sur les montants précités accordés à titre de dommages-intérêts en vertu de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, de dommages-intérêts punitifs et exemplaires et de dépens, calculés à compter de la date du jugement au taux actuel de 2,0 % et aux taux futurs déterminés conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires L.R.O. 1990, ch. C.43, et au Règl. de l’Ont. 339/07.

« Keith M. Boswell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-797-15

 

INTITULÉ :

MICROSOFT CORPORATION c. SHUFENG LIU ALIAS ANDY LIU ET 2352273 ONTARIO INC. FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE IFIX COMPUTERS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 août 2016

 

COMPARUTIONS :

Vik Tenekjian

Andrew Moeser

 

Pour la demanderesse

 

Andy Liu, par l’entremise de son interprète

Sheena Ta-Kun Lee-Lo

 

Pour le défendeur

SHUFENG LIU ALIAS ANDY LIU

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gilbert’s LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

 

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