Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20160815

Dossier : T-2084-14

Référence : 2016 CF 933

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 août 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA/THE CANADIAN BROADCASTING CORPORATION

demanderesse

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur des intérêts opposés : il y a d’une part le principe de la publicité des débats judiciaires, qui est profondément enraciné dans notre système judiciaire, et d’autre part la protection de la confidentialité des plaintes d’agression sexuelle entendues en cour martiale. Comme c’est le cas dans n’importe quel autre tribunal, les débats des cours martiales sont publics. Dans le cas de poursuites pour des infractions sexuelles, une interdiction de publication peut être ordonnée afin de protéger l’identité et la vie privée d’un plaignant. Toutefois, les membres du public, y compris les médias, peuvent quand même être présents dans la salle d’audience. Il s’agit ici de savoir si une interdiction de publication empêche l’accès à l’identité du plaignant, contenue dans les dossiers de la Cour, une fois l’instance en cour martiale terminée.

II.                Contexte

A.                Demande d’accès aux décisions d’une cour martiale

[2]               Rachel Houlihan, une journaliste travaillant à l’émission « The Fifth Estate » de la Société Radio-Canada (la SRC), fait enquête sur les poursuites en matière d’agression sexuelle entendues par le système de justice militaire canadien. Le 12 juin 2013, elle a fait parvenir un courriel au capitaine Amber Bineau, officier des Affaires publiques au ministère de la Défense nationale, pour demander tous les documents relatifs à une affaire d’agression sexuelle en particulier entendue en cour martiale en 2008. Dans une réponse envoyée le même jour, le capitaine Bineau a informé Mme Houlihan qu’elle avait demandé la transcription et la décision, mais qu’en raison d’une interdiction de publication, le Cabinet du juge militaire en chef devait effectuer des prélèvements dans les documents avant de les communiquer. Une semaine plus tard, le capitaine Bineau a fait parvenir à Mme Houlihan une copie expurgée de la décision demandée, mais l’a informée que la partie restante de sa requête demanderait un peu de temps.

[3]               Le 21 juin 2013, Mme Houlihan a envoyé un autre courriel au capitaine Bineau lui demandant pourquoi la décision n’avait pas été publiée en ligne.

[4]               Le 2 août 2013, le capitaine Bineau a informé Mme Houlihan de ce qui suit :

[traduction] Les décisions de la Cour sont publiées sur le site Web du Cabinet du juge militaire en chef une fois que le juge militaire présidant l’instance a examiné la décision transcrite et a approuvé sa publication. Les décisions visées par une interdiction de publication nécessitent un examen approfondi et une consultation afin de garantir que les documents sont expurgés conformément aux ordonnances de la Cour, et qu’ils respectent la législation fédérale, notamment la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur le casier judiciaire. Au cours de cet examen, il est possible que les renseignements pouvant permettre d’identifier un plaignant ou un témoin soient supprimés. Avant 2010, les documents de la Cour visés par une interdiction de publication étaient fournis sur demande. Depuis 2010, les juges militaires rédigent leurs décisions respectives dans un format permettant la publication des décisions des cours martiales sur le site Web du Cabinet du juge militaire en chef, y compris les décisions pour lesquelles la Cour a ordonné une interdiction de publication.

[5]               Le 10 décembre 2013, le capitaine Bineau a écrit à Mme Houlihan pour lui demander si elle voulait toujours recevoir la transcription relative à la décision de la cour martiale de 2008. Mme Houlihan a répondu qu’elle ne pensait pas avoir besoin de toute la transcription et qu’elle confirmerait plus tard. Elle a également demandé les décisions dans quatorze (14) autres affaires datant de 2004 et concernant des allégations d’agression sexuelle ou des allégations de nature similaire.

[6]               Le 26 mars 2014, le capitaine Bineau a envoyé les quatorze (14) décisions à Mme Houlihan. Six (6) des décisions comportaient des passages expurgés ou des substitutions de mots. Toutes les décisions, sauf une, contenaient une mise en garde indiquant que la cause faisait l’objet d’une ordonnance interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit l’identité du ou de la plaignant(e) ou des renseignements qui permettraient de la découvrir. La majorité des mises en garde indiquaient que les interdictions de publication étaient imposées en vertu des paragraphes 486(3) et 486(4) du Code criminel, LRC 1985, ch. C-46, tels qu’ils étaient libellés en 2004.

B.                 Application aux cours martiales

[7]               Dans une autre affaire en cour martiale concernant une accusation d’agression sexuelle faisant l’objet d’une interdiction de publication, la SRC a déposé, le 24 avril 2014, un avis de demande au Cabinet du juge militaire en chef en vue d’obtenir une copie non expurgée de la décision et la transcription ou l’enregistrement audio de cette affaire, y compris une copie de toute interdiction de publication ordonnée par la cour martiale. La SRC a aussi demandé une déclaration selon laquelle les enregistrements audio, les transcriptions et autres dossiers des cours martiales sont en principe accessibles au public et ne sont pas assujettis aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, ch. P-21.

[8]               Le 28 août 2014, le juge militaire d’Auteuil a rejeté la demande de la SRC au motif qu’il n’avait pas compétence pour entendre la demande.

[9]               Le 9 octobre 2014, la SRC a déposé son avis de demande à la Cour.

[10]           Durant toute la procédure, la SRC a affirmé qu’elle ne souhaitait pas publier les renseignements faisant l’objet d’une interdiction de publication et qu’elle s’était engagée à ne pas le faire. La SRC a indiqué qu’elle cherchait à obtenir les noms des plaignants afin qu’un reporter puisse communiquer avec eux pour les inviter à raconter leur histoire.

III.             Cadre législatif

[11]           Le système de justice militaire canadien se compose d’une structure judiciaire à deux niveaux, soit celui des procès sommaires, qui permettent de juger les infractions mineures d’ordre militaire, et celui des cours martiales, qui traitent des infractions plus graves et sont présidées par un juge militaire seul ou par un juge militaire accompagné d’un comité de hauts gradés des Forces canadiennes. Il n’existe pas de cour martiale permanente. Les cours martiales sont plutôt constituées au besoin et convoquées uniquement lorsque c’est nécessaire pour donner suite à des accusations précises aux termes du Code de discipline militaire (Directrice des poursuites militaires c. Juge militaire en chef, 2007 CAF 390, au paragraphe 5 [DPM c. JMC]).

[12]           En vertu du paragraphe 179(1) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, ch. N-5 (la LDN), une cour martiale a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses ordonnances et toutes autres questions relevant de sa compétence, les mêmes attributions qu’une cour supérieure de juridiction criminelle.

[13]           Le paragraphe 180(1) de la LDN prescrit que les débats de la cour martiale sont publics, sous réserve des exceptions énoncées au paragraphe 180(2). L’article 180 de la LDN se lit comme suit :

180(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), les débats de la cour martiale sont publics, dans la mesure où la salle d’audience le permet.

(2) Lorsqu’elle le juge nécessaire soit dans l’intérêt de la sécurité publique, de la défense ou de la moralité publique, soit dans l’intérêt du maintien de l’ordre ou de la bonne administration de la justice militaire, soit pour éviter toute atteinte aux relations internationales, la cour martiale peut ordonner le huis clos total ou partiel.

(3) Les témoins ne sont admis en cour martiale que pour interrogatoire ou avec sa permission expresse.

(4) La cour martiale peut ordonner l’évacuation de la salle d’audience pour ses délibérations.

[14]           Les fonctions de l’administrateur des cours martiales (ACM) sont énoncées aux articles 165.18 à 165.2 de la LDN, de même qu’à l’article 101.17 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). Plus particulièrement, l’ACM assume les responsabilités suivantes :

a)      diriger le Cabinet du juge militaire en chef et en superviser le personnel, à l’exception des juges militaires;

b)      convoquer les cours martiales générales et les cours martiales permanentes;

c)      nommer les membres de la cour martiale générale;

d)     affecter un sténographe judiciaire à chaque cour martiale ou audition devant un juge militaire;

e)      établir et gérer le rôle de la cour martiale et des auditions devant un juge militaire;

f)       tenir un dossier pour chaque cour martiale ou audition devant un juge militaire;

g)      conserver l’enregistrement et le procès-verbal de chaque cour martiale ou audition devant un juge militaire.

[15]           En vertu du paragraphe 165.19(3) de la LDN, l’ACM exerce ses fonctions sous la direction générale du juge militaire en chef. Le Cabinet du juge militaire en chef a été créé par un arrêté ministériel d’organisation et constitue une unité des Forces canadiennes intégrée à la Force régulière. Son rôle est défini dans l’arrêté d’organisation no 3763 des Forces canadiennes émis au nom du chef d’état-major de la défense. Plus précisément, le Cabinet du juge militaire en chef assume les responsabilités suivantes :

a)      nommer les juges militaires chargés de présider les cours martiales permanentes et les cours martiales générales spéciales;

b)      nommer les juges militaires chargés d’agir à titre de juge-avocat dans les cours martiales disciplinaires et générales;

c)      nommer les présidents et les membres des cours martiales disciplinaires et générales;

d)     assurer les services de sténographie judiciaire et fournir les transcriptions des débats des cours martiales.

[16]           De plus, le juge militaire en chef peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil et après avoir consulté un comité des règles établi par règlement du gouverneur en conseil, établir des règles concernant, entre autres choses, les procès-verbaux des procès en cour martiale et de toute autre instance, de même que l’accès public aux documents, pièces et autres éléments se rapportant à toute instance (alinéas 165.3e) et 165.3f) de la LDN).

[17]           Bien que le Cabinet du juge militaire en chef ait préparé une ébauche de politique sur la publication des renseignements des cours martiales datée du 17 septembre 2004, la preuve n’est pas claire quant à savoir si la politique a été adoptée. Dans un courriel daté du 23 septembre 2014, l’ACM a informé l’avocat de la SRC que son bureau n’était pas parvenu à trouver une copie signée de la politique et que rien n’indiquait que la politique ait jamais été publiée ou rendue accessible au public. Elle a en outre indiqué qu’elle considérait que cette ébauche de politique était nulle et sans effet.

IV.             Questions en litige

[18]           Bien qu’elles aient été formulées différemment par les parties, les questions suivantes se posent dans le cas de la demande de contrôle judiciaire :

a)      La présente demande de contrôle judiciaire est-elle hors délai?

b)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

c)      Le refus continu de l’ACM de fournir des copies non expurgées des décisions faisant l’objet d’une interdiction de publication est-il légitime?

d)     Quelles sont les mesures de réparation qui devraient être accordées, le cas échéant?

V.                Analyse

A.                La demande de contrôle judiciaire est-elle hors délai?

[19]           Le procureur général du Canada (PGC) affirme que la demande de contrôle judiciaire a été déposée en dehors du délai de trente (30) jours prescrit au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F-7. La décision de refuser de fournir les décisions des cours martiales non expurgées a été initialement communiquée à Mme Houlihan le 12 juin 2013, et de nouveau le 2 août 2013, quand on l’a informée que les décisions faisant l’objet d’une interdiction de publication devaient être expurgées afin de supprimer tout renseignement qui pourrait permettre d’identifier un plaignant ou un témoin. Le PGC affirme que la SRC n’a pris aucune mesure pour contester cette décision avant avril 2014, et n’a fourni aucune explication pour justifier le retard à poursuivre l’affaire. Le PGC affirme également que même après que les quatorze (14) décisions en cause eurent été fournies à Mme Houlihan le 26 mars 2014, la SRC a attendu jusqu’au 8 octobre 2014 pour déposer son avis de demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour. La décision de la SRC de déposer une demande auprès du Cabinet du juge militaire en chef en avril 2014 ne justifie pas le défaut par la SRC de respecter le délai de trente (30) jours prévu par la loi.

[20]           La SRC soutient que l’objection du PGC est elle-même prescrite, puisque le 9 octobre 2014, la protonotaire Tabib a enjoint le greffe de la Cour fédérale d’accepter le dépôt de l’avis de demande. La SRC soutient également que quoi qu’il en soit, l’objection du PGC est sans fondement pour les raisons suivantes. Premièrement, la SRC a épuisé [traduction] « tous les mécanismes internes de responsabilisation prévus au sein du système de justice militaire » en portant l’affaire devant le Cabinet du juge militaire en chef. Deuxièmement, le délai de trente (30) jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique à une « décision » ou à une « ordonnance » d’un administrateur fédéral. Le contrôle judiciaire est également disponible dans les cas où il y a une même série d’actes qui est illégale, et qui se poursuivra à moins que la Cour n’intervienne. Troisièmement, même si le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique, il conviendrait en l’espèce que la Cour accorde une prorogation du délai pour le dépôt de la demande de contrôle judiciaire. Enfin, le rejet de la demande de contrôle judiciaire n’aurait aucune utilité pratique, étant donné que la SRC ou une autre partie pourrait présenter des demandes similaires à l’avenir et demander un contrôle judiciaire de la décision de l’ACM.

[21]           Je conviens avec la SRC que la demande de contrôle judiciaire concerne une même série d’actes et que par conséquent, la demande de contrôle judiciaire n’est pas prescrite.

[22]           Il est bien établi dans la jurisprudence qu’une demande de contrôle judiciaire déposée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales peut englober davantage qu’une décision ou une ordonnance. En vertu du paragraphe 18.1(1), une demande peut être présentée par « quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». Le terme « objet » peut inclure une série d’actes pour laquelle un recours est disponible en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales (Krause c. Canada, [1999] 2 CF 476, au paragraphe 21, [1999] FCJ no 179 (CAF) (QL) [Krause]; May c. CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130, au paragraphe 10 [May]; Airth c. Canada (Revenu national), 2006 CF 1442, aux paragraphes 9 et 10 [Airth]).

[23]           Le délai de trente (30) jours pour déposer une demande de contrôle judiciaire prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique uniquement pour une décision ou une ordonnance d’un office fédéral. Lorsque la demande de contrôle judiciaire ne concerne pas une « décision » ou une « ordonnance », le délai prévu au paragraphe 18.1(2) ne s’applique pas (Krause, aux paragraphes 23 et 24; May, au paragraphe 10; Airth, au paragraphe 5; Société Telus Communications c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1, aux paragraphes 28 et 29).

[24]           Les parties conviennent, et je suis d’accord, qu’il n’est pas contesté que l’ACM constitue un « office fédéral », au sens des paragraphes 2(1), 18(1) et 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Le refus de l’ACM de fournir des copies non expurgées des décisions demandées et l’accès aux dossiers des cours martiales est une décision de nature administrative, et la Cour peut procéder au contrôle judiciaire de cette décision.

[25]           Toutefois, il s’agit ici de décider si la SRC demande le contrôle judiciaire d’une « décision » ou d’une « ordonnance », ou plutôt de l’« objet » d’une demande.

[26]           La SRC conteste le refus continu de l’ACM de fournir des copies non expurgées des décisions des cours martiales faisant l’objet d’une interdiction de publication. La demande de contrôle judiciaire ne découle pas d’une seule décision de l’ACM. La SRC a plutôt demandé, à différents moments, un certain nombre de décisions visées par une interdiction de publication et, à chaque occasion, l’ACM a informé la SRC qu’elle devait, conformément à l’interdiction de publication, supprimer tout renseignement qui pourrait divulguer l’identité du plaignant ou d’un témoin dans l’affaire. À mon avis, c’est la pratique continue de l’ACM d’expurger les décisions des cours martiales faisant l’objet d’une interdiction de publication qui est présumée illégitime et visée par le contrôle judiciaire.

[27]           De plus, le recours demandé par la SRC dans son avis de demande de contrôle judiciaire confirme également que c’est une série d’actes qui est en cause : le recours demandé inclut une déclaration selon laquelle la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’applique pas aux dossiers des cours martiales, ainsi qu’une ordonnance de mandamus pour que l’ACM remette à la SRC des copies non expurgées des décisions demandées. Même si je reconnais que la SRC demande également une ordonnance annulant la décision de l’ACM de refuser de communiquer des copies non expurgées des quatorze (14) décisions en cour martiale, je ne crois pas que ce recours en particulier s’éloigne de la conclusion selon laquelle c’est une série d’actes qui est en cause. Fondamentalement, la SRC conteste la pratique adoptée par l’ACM d’expurger les décisions de la cour martiale qui font l’objet d’une interdiction de publication.

[28]           Même si je devais conclure que la SRC a tardé à déposer sa demande de contrôle judiciaire, je crois qu’une prorogation du délai est indiquée en l’espèce.

[29]           Les quatre (4) facteurs à considérer pour savoir s’il faut accorder ou non une prorogation de délai sont énoncés dans l’affaire Canada (Procureur Général) c. Hennelly, [1999] FCJ no 846, au paragraphe 3 (CAF) (QL). Pour que sa demande soit accueillie, le demandeur doit démontrer : 1) une intention constante de poursuivre sa demande; 2) que la demande est bien fondée; 3) que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; 4) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

[30]           En l’espèce, la SRC a démontré une intention constante de poursuivre l’affaire par sa demande au Cabinet du juge militaire en chef. De plus, le 23 juin et le 20 septembre 2014, la SRC a demandé s’il existait une copie de la politique sur la publication des renseignements des cours martiales produite par le juge militaire en chef. La SRC a reçu la réponse à sa demande le 23 septembre 2014 et a déposé son avis de demande de contrôle judiciaire le 9 octobre 2014. La SRC a à maintes reprises fait valoir que l’ACM n’avait pas le pouvoir d’expurger des renseignements dans les décisions des cours martiales.

[31]           La demande est également fondée, étant donné qu’il est depuis longtemps reconnu par les tribunaux que le principe de la publicité des débats judiciaires est l’une des pierres angulaires de la démocratie. En outre, le PGC n’a pas démontré que le retard dans le dépôt de la demande lui a causé un préjudice. En fait, le PGC ne s’est pas prononcé au sujet de la demande de prorogation de délai présentée par la SRC. Enfin, l’explication de la SRC selon laquelle elle souhaitait épuiser les mécanismes internes du système de justice militaire avant de déposer une demande de contrôle judiciaire à la Cour est raisonnable en l’espèce.

[32]           Même s’il ne s’agit pas expressément d’un facteur à considérer pour déterminer si une prorogation de délai doit être accordée, je ne vois aucun avantage à conclure que la demande de contrôle judiciaire est hors délai. Rien n’empêcherait la SRC de demander l’accès à une autre décision d’une cour martiale faisant l’objet d’une interdiction de publication, puis de demander un contrôle judiciaire de toute décision de refuser l’accès à une version non expurgée de ladite décision. Si c’était le cas, la même conduite serait en cause. Comme les parties ont déjà débattu le bien-fondé de la demande, je considère que trancher la question à ce moment serait une façon beaucoup plus judicieuse d’utiliser les ressources de la Cour (Airth, au paragraphe 12).

B.                 Quelle est la norme de contrôle applicable?

[33]           La première étape lorsque vient le temps d’établir la norme de contrôle applicable est de vérifier si le degré de retenue judiciaire devant être accordé à une catégorie précise de question en litige a déjà été arrêté de manière satisfaisante par la jurisprudence. Si ce n’est pas le cas, la cour de révision doit procéder à une analyse contextuelle de la décision afin d’arrêter la bonne norme de contrôle en tenant compte d’un certain nombre de facteurs pertinents, notamment : 1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative; 2) la raison d’être du tribunal; 3) la nature de la question en cause; 4) l’expertise du tribunal (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57, 62 et 64, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[34]           La SRC affirme que la question de savoir si la Loi sur la protection des renseignements personnels s’applique aux dossiers des cours martiales sans égard au principe de la publicité des débats judiciaires soulève une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte. La SRC s’appuie sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt DPM c. JMC, où la Cour a conclu que la décision de la juge militaire en chef de refuser de convoquer une cour martiale au motif que cela contreviendrait au principe de la publicité des débats judiciaires soulevait une question de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

[35]           Le PGC soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique. La décision en cause dans l’arrêt DPM c. JMC n’est pas déterminante, étant donné que la décision fait référence à une décision de la juge militaire en chef, un officier judiciaire, et non de l’ACM. En outre, la décision est antérieure à la reformulation de l’analyse en deux étapes concernant la norme de contrôle établie dans l’arrêt Dunsmuir.

[36]           Dans l’affaire DPM c. JMC, la Cour d’appel fédérale a examiné le principe de la publicité des débats judiciaires dans le contexte du refus, par la juge militaire en chef, de désigner un juge militaire parce que l’acte d’accusation et les documents l’accompagnant contenaient des renseignements classifiés. La juge militaire en chef était d’avis que le fait de désigner un juge militaire lorsque l’acte d’accusation est classifié équivaudrait à confirmer la tenue d’un procès à huis clos. Devant ce refus, l’ACM n’a pas accepté de convoquer une cour martiale permanente parce qu’il lui était impossible d’identifier le juge militaire dont le nom apparaîtrait sur l’ordonnance.

[37]           En l’espèce, la SRC conteste le refus continu de l’ACM de communiquer les décisions non expurgées des cours martiales qui faisaient l’objet d’une interdiction de publication. La position de l’ACM est que pour se conformer aux interdictions de publication et à la Loi sur la protection des renseignements personnels, elle devait supprimer tout renseignement qui pourrait permettre d’identifier les plaignants avant de communiquer des copies des décisions à la SRC. À l’exception de la décision dans l’affaire DPM c. JMC, qui ne porte pas directement sur cette question, je n’ai pas connaissance d’un autre précédent concernant une décision de l’ACM portant sur les questions soulevées en l’espèce. Par conséquent, la seconde étape de l’analyse énoncée dans Dunsmuir est nécessaire.

[38]           Après avoir examiné les facteurs pertinents, je conclus que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.

[39]           Premièrement, les fonctions de l’ACM sont principalement administratives et ses décisions ne sont pas protégées par une clause privative de la LDN. Toutefois, je reconnais que l’absence d’une clause privative n’est pas déterminante (Dunsmuir, au paragraphe 52; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 25, [2009] 1 RCS 339).

[40]           Deuxièmement, bien que le régime de la cour martiale soit unique et que l’ACM ait une expertise dans son administration, l’interprétation d’une interdiction de publication ne fait pas appel à l’interprétation que fait l’ACM de sa loi constitutive. Elle a plutôt trait à l’interprétation du terme « publier » que l’on trouve dans les dispositions du Code criminel relativement aux interdictions de publication dans les instances concernant des infractions de nature sexuelle. La question n’est pas exclusive à l’ACM. De plus, le fait d’établir si les interdictions de divulgation prévues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels s’appliquent aux dossiers des cours martiales constitue également une question de droit. En ce qui concerne ces deux questions, l’expertise de l’ACM n’est pas plus importante que celle de la Cour ou de toute autre cour supérieure.

[41]           Troisièmement, comme il est dit précédemment, le rôle de l’ACM est entièrement de nature administrative et son travail est de gérer le Cabinet du juge militaire en chef et de superviser le personnel du Cabinet, à l’exception des juges militaires. L’ACM ne tranche pas des questions de droit.

[42]           Enfin, la nature de la question en litige est d’une importance cruciale pour le système judiciaire. La question de savoir si les interdictions de publication en vertu du Code criminel nécessitent que les décisions ou les dossiers de la Cour soient expurgés avant d’être communiqués au public est une question qui se pose non seulement dans le régime des cours martiales, mais aussi dans tous les procès criminels concernant des poursuites pour des infractions de nature sexuelle pour lesquelles une interdiction de publication a été ordonnée. Il faut également prendre en considération deux (2) intérêts opposés, soit le principe de la publicité des débats judiciaires et la protection de la vie privée, qui sont tous deux inscrits dans notre système judiciaire canadien.

C.                 Le refus continu de l’ACM de fournir des copies non expurgées des décisions faisant l’objet d’une interdiction de publication est-il légitime?

[43]           La SRC affirme que le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique aux cours martiales et qu’il s’étend à toutes les facettes du processus des cours martiales, y compris aux pièces et au dossier de ses débats. Il s’applique également après la conclusion des instances. Une interdiction de publication constitue une restriction limitée du principe de la publicité des débats judiciaires. Lorsqu’un juge impose une interdiction de publication concernant l’identité d’un plaignant, les membres du public et les médias ne sont pas exclus de la salle d’audience et ils conservent l’accès aux débats et aux dossiers de la Cour. Même si le législateur a expressément prévu des restrictions plus rigoureuses concernant l’accès du public aux débats de la Cour, comme les audiences à huis clos ou la mise sous scellés des dossiers de la Cour, une interdiction de publication ne constitue pas une ordonnance de mise sous scellés.

[44]           La SRC affirme en outre que même si l’ACM avait le pouvoir d’étendre la portée de l’interdiction de publication, il n’a pas appliqué le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835, au paragraphe 73 (QL) [Dagenais] et reformulé dans l’arrêt R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, au paragraphe 32, [2001] 3 RCS 442 [Mentuck], qui établit les conditions en vertu desquelles les tribunaux peuvent limiter la publicité des débats judiciaires. Si l’ACM avait appliqué le critère, aucune justification potentielle ne satisferait au critère.

[45]           Le PGC affirme que l’ACM a à juste titre supprimé les noms des plaignants dans six (6) décisions des cours martiales. Dans chacune des quatorze (14) cours martiales, le juge militaire qui présidait a imposé une interdiction de publication en vertu des paragraphes 486(3) ou 486(4), ou les deux, du Code criminel (tels qu’ils étaient libellés en 2004). Alors que l’on parle communément d’« interdiction de publication », la loi actuelle fait référence non seulement à la publication, mais également à la diffusion ou à la transmission de renseignements. Une fois ordonnées, les interdictions de publication sont impératives et demeurent en vigueur jusqu’à ce qu’elles soient levées par un tribunal, une fois la preuve faite que les circonstances ont radicalement changé. En l’absence d’une ordonnance levant l’interdiction, l’ACM ne peut faire fi de l’exigence imposée par les juges militaires de ne pas publier les noms des plaignants dans une décision du tribunal accessible publiquement.

[46]           Le PGC affirme de plus que l’objectif principal d’une interdiction de publication ordonnée en vertu de l’article 486 est de protéger la vie privée des plaignants et de favoriser la confiance dans le système de justice. Permettre la publication et la diffusion des décisions des cours martiales où les plaignants sont identifiés serait contraire à l’objectif d’une interdiction de publication. L’interdiction doit être interprétée comme une mesure restreignant l’identification des plaignants sur tout document qui pourrait permettre de les relier aux faits de l’affaire.

[47]           Le PGC affirme aussi que le cadre Dagenais/Mentuck ne s’applique pas, étant donné que la SRC ne conteste pas la légalité de l’interdiction de publication et que rien dans la conduite de l’ACM n’a violé la liberté d’expression de la SRC.

[48]           Enfin, le PGC soutient que le principe de publicité des débats judiciaires n’a jamais été élargi de manière à inclure le droit des médias de communiquer avec les victimes de crimes en dehors des instances judiciaires, des années après la conclusion des procès. En l’espèce, la SRC est entièrement en mesure de rapporter les débats des cours martiales. Elle a reçu les quatorze (14) décisions et les documents obtenus lui permettent de savoir ce qui a transpiré des débats de la Cour. Obtenir les noms des plaignants n’ajoutera pas à sa compréhension des débats.

[49]           À mon avis, l’ACM a commis une erreur en concluant que les interdictions de publication exigeaient la suppression des noms des plaignants avant de fournir un accès aux décisions des cours martiales demandées. J’en suis venue à cette conclusion après avoir analysé le principe de la publicité des débats judiciaires, les interdictions de publication, de manière générale et dans le contexte du Code criminel, les limites relatives au principe de la publicité des débats judiciaires, la distinction entre « publier » l’information et « accéder » à l’information contenue dans un dossier de la Cour, et l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels aux dossiers des cours martiales. Tous ces éléments sont examinés dans les paragraphes qui suivent.

(1)               Principe de la publicité des débats judiciaires

[50]           La Cour suprême du Canada a à maintes reprises affirmé l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires. Dès 1982, le juge Dickson a écrit dans l’arrêt A.G. (Nova Scotia) c. MacIntyre, [1982] 1 RCS 175 (WL), au paragraphe 59, que « le secret est l’exception et [...] la publicité est la règle » et, au paragraphe 62, qu’« on devrait appliquer la règle de l’accessibilité du public et la règle accessoire de la responsabilité judiciaire ». Plus tard, dans l’arrêt Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 RCS 480, au paragraphe 22 [Nouveau-Brunswick], le juge La Forest a décrit le principe de la publicité des débats judiciaires comme étant « l’une des caractéristiques d’une société démocratique »; il a ensuite écrit, au paragraphe 23, que « [g]râce à ce principe, le public a accès à l’information concernant les tribunaux, ce qui lui permet ensuite de discuter des pratiques des tribunaux et des procédures qui s’y déroulent, et d’émettre des opinions et des critiques à cet égard ». En 2005, dans l’arrêt Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, au paragraphe 1, [2005] 2 RCS 188 [Toronto Star Newspapers], le juge Fish a écrit : « [d]ans tout environnement constitutionnel, l’administration de la justice s’épanouit au grand jour – et s’étiole sous le voile du secret ». Plus récemment, dans l’arrêt Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, au paragraphe 1, [2011] 1 RCS 19, la juge Deschamps a fait l’observation suivante :

Le principe de la publicité des débats judiciaires revêt une importance cruciale dans une société démocratique. Il garantit aux citoyens l’accès aux tribunaux, leur permettant ainsi de commenter le fonctionnement de ces institutions et les procédures qui s’y déroulent. L’accès du public aux tribunaux assure également l’intégrité des procédures judiciaires en ce que la transparence qu’il génère garantit que justice est rendue non pas de manière arbitraire, mais bien conformément à la primauté du droit.

Voir également Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 RCS 1326, aux paragraphes 9 à 11, [1989] SCJ no 124 (QL); Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, aux paragraphes 23 à 27, [2004] 2 RCS 332; Société Radio-Canada c. La Reine, 2011 CSC 3, au paragraphe 12, [2011] 1 RCS 65 [Société Radio-Canada], et A.B. c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46, aux paragraphes 11 et 13, [2012] 2 RCS 567 [Bragg Communications Inc].

[51]           Le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique à toutes les facettes d’une procédure judiciaire. Il comprend également l’accès aux pièces et aux enregistrements audio des audiences (Société Radio-Canada, au paragraphe 12; Singer c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 3 (QL), au paragraphe 6).

[52]           Il n’est pas contesté que le principe de la publicité des débats judiciaires vaut également pour les cours martiales. Il est prescrit par l’article 180 de la LDN. Le juge militaire désigné pour présider une instance en cour martiale, comme tout autre juge, sera appelé à mettre en balance la revendication de non-divulgation et le principe de la publicité des débats judiciaires et à décider si les renseignements doivent être rendus accessibles au public (DPM c. JMC, au paragraphe 38).

(2)               Interdictions de publication

[53]           Même si le principe de la publicité des débats judiciaires est reconnu comme un pilier d’une société démocratique, les tribunaux ont aussi affirmé de façon répétée que d’autres intérêts, comme le caractère confidentiel des plaintes en matière d’agression sexuelle, ont aussi leur importance (Canadian Newspaper Co. c. Canada (P. G.), [1988] 2 RCS 122, au paragraphe 15 (QL) [Canadian Newspapers]; Bragg Communications Inc, aux paragraphes 11, 17, 25 et 29).

[54]           Afin de mettre en balance ces intérêts divergents, les tribunaux ont utilisé un certain nombre de mesures pour assurer une atteinte minimale au principe de la publicité des débats judiciaires tout en protégeant d’autres intérêts. Une interdiction de publication constitue l’une des nombreuses formes de recours qui limitent le principe de la publicité des débats judiciaires.

[55]           À la page I-7 de son ouvrage intitulé The Law of Publication Bans, Private Hearings and Sealing Orders (Toronto, Carswell, 2006) [feuillets mobiles, mis à jour en 2016], l’auteur James Rossiter définit l’interdiction de publication comme [traduction] « une interdiction d’origine législative ou judiciaire de divulguer les renseignements, habituellement dans une publication ou une émission, qui font l’objet de l’interdit ».

[56]           Une interdiction de publication peut être impérative ou discrétionnaire. Si elle est impérative, elle peut être automatique ou à la demande d’une partie. Si elle est discrétionnaire, elle peut être fondée sur une loi ou une règle de common law. L’interdiction peut aussi être limitée dans le temps ou d’une durée infinie (Rossiter, aux pages I-7 et I-8).

[57]           Dans l’arrêt Dagenais, précité, le juge en chef Lamer a énuméré quelques avantages découlant des ordonnances d’interdiction de publication. Ces avantages incluent : 1) empêcher l’influence du jury; 2) accroître au maximum les chances que les témoins se présentent et témoignent; 3) protéger les témoins vulnérables; 4) préserver la vie privée des personnes concernées dans le processus criminel; 5) accroître au maximum les chances de réadaptation des jeunes contrevenants; 6) inciter les gens à signaler les infractions de nature sexuelle; 7) épargner à ceux qui sont concernés les coûts sur les plans financier et émotif des solutions de rechange aux ordonnances de non-publication, comme le report du procès, le changement de lieu; 8) maintenir la sécurité nationale (Dagenais, au paragraphe 83). Il a également souligné quelques-unes des raisons de ne pas ordonner une interdiction de publication. Plus précisément, l’absence d’une interdiction permettra de : 1) accroître au maximum les chances que des individus porteurs de renseignements pertinents prennent connaissance de l’affaire et communiquent de nouveaux renseignements; 2) éviter le parjure en soumettant les témoins à l’examen public; 3) empêcher toute action préjudiciable par l’État ou les tribunaux en assujettissant le processus de justice criminelle à l’examen public; 4) diminuer le crime au moyen de sa désapprobation publique; 5) promouvoir la discussion en public de questions importantes (Dagenais, au paragraphe 84).

[58]           Dans le contexte des procès pour des infractions de nature sexuelle, les interdictions de publication ont également pour objet de protéger la vie privée des plaignants. Dans l’arrêt Canadian Newspapers, la Cour suprême du Canada a confirmé que les interdictions de publication, dans les affaires d’agression sexuelle, encouragent les victimes d’agression sexuelle à porter plainte en leur épargnant le traumatisme occasionné par la gêne et l’humiliation qui résulteraient si l’affaire recevait une grande publicité. Les interdictions de publication incitent les victimes à dénoncer les auteurs d’agression sexuelle, ce qui en rend la poursuite et la condamnation plus faciles (Canadian Newspapers, au paragraphe 15).

[59]           Lorsque l’interdiction de publication est discrétionnaire, le juge doit appliquer le critère de Dagenais/Mentuck énoncé par la Cour suprême du Canada pour décider si une interdiction de publication devrait être ordonnée. Une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si : 1) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque; 2) ses effets positifs sont plus importants que ses effets négatifs sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice (Mentuck, au paragraphe 32). Lorsque l’interdiction de publication est impérative, il n’est pas nécessaire de mettre les intérêts en balance.

[60]           En 2004, les interdictions de publication dans les instances concernant des infractions de nature sexuelle étaient ordonnées en vertu des paragraphes 486(3) et 486(4) du Code criminel, qui étaient ainsi libellés :

486(3) Sous réserve du paragraphe (4), le juge ou le juge de paix peut rendre une ordonnance interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit l’identité d’un plaignant ou celle d’un témoin ou des renseignements qui permettraient de la découvrir lorsqu’une personne est accusée […].

486(4) Le juge ou le juge de paix est tenu :

a) d’aviser dès que possible les témoins âgés de moins de dix-huit ans et le plaignant, dans des procédures engagées à l’égard d’une infraction mentionnée au paragraphe (3), de leur droit de demander une ordonnance en vertu de ce paragraphe;

b) de rendre une ordonnance en vertu de ce paragraphe si le plaignant, le poursuivant ou l’un de ces témoins le lui demande.

[Non souligné dans l’original.]

[61]           Aujourd’hui, elles sont régies par l’article 486.4 du Code criminel :

486.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le juge ou le juge de paix qui préside peut rendre une ordonnance interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin dans les procédures relatives à :

a) l’une des infractions suivantes :

[…]

486.4(2) Dans les procédures relatives à des infractions visées aux alinéas (1)a) ou b), le juge ou le juge de paix qui préside est tenu :

a) d’aviser dès que possible les témoins âgés de moins de dix-huit ans et la victime de leur droit de demander l’ordonnance;

b) de rendre l’ordonnance, si le poursuivant, la victime ou l’un de ces témoins lui en fait la demande.

[Non souligné dans l’original.]

[62]           Bien que le Code criminel, dans sa version anglaise, contienne désormais le terme « transmitted » en plus des termes « published » or « broadcast », je ne crois pas que ce changement dans la loi influe sur le résultat de la présente demande de contrôle judiciaire.

(3)               Autres restrictions concernant le principe de la publicité des débats judiciaires

[63]           En plus des interdictions de publication, il existe un certain nombre d’autres formes de recours que les tribunaux peuvent utiliser pour restreindre le principe de la publicité des débats judiciaires.

[64]           Par exemple, les audiences à huis clos ou les ordonnances d’exclusion peuvent empêcher le public d’assister à une audience. Ces mesures sont plus restrictives que les interdictions de publication parce qu’elles ont pour effet de s’assurer que le public ne pourra divulguer ce qui a été dit à l’audience. Cette forme de restriction du principe de la publicité des débats judiciaires peut être fondée sur une disposition législative (Code criminel, paragraphe 486(1)) ou sur une règle de common law selon la compétence inhérente du juge (Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, aux paragraphes 56, 91 et 96, [2007] 3 RCS 253 [Vancouver Sun]; Rossiter, aux pages I-11 et I-12).

[65]           Une ordonnance de mise sous scellés, aussi appelée ordonnance de confidentialité, permet de restreindre l’accès du public aux renseignements que contient un dossier de la Cour. En général, lorsqu’une ordonnance de mise sous scellés est rendue, les renseignements confidentiels sont placés dans une enveloppe séparée confiée à la garde de la Cour et à laquelle le grand public n’aura pas accès (Vancouver Sun, aux paragraphes 91 et 95; Toronto Star Newspapers Ltd, au paragraphe 18; Rossiter, aux pages I-13 et I-14).

[66]           Les tribunaux ont également déjà ordonné que certains types de renseignements figurant dans les documents publics que contient le dossier public de la Cour soient caviardés, expurgés ou révisés. De cette façon, le public conserve l’accès aux documents, mais les renseignements de nature délicate sont protégés (R v Twitchell, 2009 ABQB 644 (QL), au paragraphe 45 [Twitchell]).

[67]           Les parties peuvent également demander une ordonnance d’anonymat; dans un tel cas, des initiales ou un pseudonyme seront utilisés dans les dossiers de la Cour et durant l’audience. Une ordonnance d’anonymat permettra au public d’assister à l’audience et d’examiner les dossiers de la Cour, mais il ne pourra connaître l’identité de la personne ayant réclamé l’anonymat. Par exemple, dans l’affaire Bragg Communications Inc, l’appelante avait déposé une demande en vue d’obtenir une ordonnance obligeant le fournisseur de services Internet à divulguer l’identité de la personne ayant utilisé une adresse IP pour publier un profil Facebook en utilisant sa photographie, une version légèrement modifiée de son nom et d’autres détails qui l’identifiaient. Elle a demandé à la Cour la permission de procéder de façon anonyme ainsi qu’une ordonnance de non-publication visant le contenu du profil Facebook. En appel, la Cour suprême du Canada a conclu qu’elle pouvait procéder de façon anonyme. Elle a également conclu qu’une interdiction de publication n’était pas nécessaire si son identité était protégée (Bragg Communications Inc, aux paragraphes 9 et 30; voir également Rossiter, aux pages I-14 et I-15).

[68]           Les tribunaux peuvent également ordonner qu’un témoin témoigne derrière un écran ou autre dispositif lui permettant de ne pas être vu du public (Code criminel, paragraphe 486(1); Vancouver Sun, au paragraphe 56).

[69]           Ces exemples ne sont aucunement exhaustifs. Cependant, dans chaque cas, la Cour cherchera à assurer une atteinte minimale au principe de la publicité des débats judiciaires, de manière que le public puisse conserver autant que possible un accès aux débats de la Cour.

(4)               Distinction entre « publier » l’information et « accéder » à l’information

[70]           Les tribunaux ont établi une distinction entre le concept de publication et celui de la fourniture d’un accès. Dans Flahiff c. Cour Du Québec, 1998 CanLII 13149 (QC CA) [Flahiff], deux (2) appelants ont fait appel d’une ordonnance autorisant l’accès à certains mandats de perquisition, sous prétexte qu’elle portait atteinte à leur droit à un procès juste et équitable. La Cour d’appel du Québec a conclu que ce n’était pas le fait d’accéder aux documents qui menaçait leur droit à un procès juste et équitable, mais la possibilité d’une publication prématurée et d’une publicité déloyale avant le procès. Afin de mettre en balance leur droit à un procès juste et équitable et le principe de la publicité des débats judiciaires, la Cour a ordonné que la presse soit autorisée à avoir accès aux mandats de perquisition, mais sous réserve d’une interdiction de publication (Flahiff, aux paragraphes 24 et 25).

[71]           La Cour d’appel de l’Ontario a adopté le même raisonnement dans l’affaire R. v. Ottawa Citizen Group Inc. [2005] OJ no 2209, 75 OR (3d) 590 (QL) [Ottawa Citizen Group]. La Cour a accueilli un appel d’une ordonnance de mise sous scellés parce que le juge du procès n’avait pas envisagé une solution de rechange raisonnable à l’ordonnance de mise sous scellés, et notamment, une ordonnance autorisant les médias à avoir accès aux noms des personnes visées par les mandats de perquisition tout en interdisant leur publication dans tout article ou éditorial (Ottawa Citizen Group, aux paragraphes 43 et 48).

[72]           Même si on ne peut considérer qu’elles ont force exécutoire, et aucun élément de preuve n’a été présenté concernant leur application, les politiques d’accès des tribunaux soumises par la SRC à l’audience montrent que les tribunaux font une distinction entre accès et interdiction de publication. Par exemple, la politique de la Cour supérieure de justice de l’Ontario déclare ce qui suit :

Dans les cas où une ordonnance de non-publication est rendue par le tribunal (par exemple, en vertu de l’article 486.4 sur les infractions sexuelles ou de l’article 517 sur la mise en liberté provisoire par voie judiciaire ou les enquêtes sur le cautionnement) ou entre automatiquement en vigueur (par exemple, en vertu de l’article 542 sur les enquêtes préliminaires), les dossiers et les documents du tribunal demeurent accessibles au public. Le personnel avise la personne intéressée que le dossier ou le document demandé fait l’objet d’une ordonnance de non-publication et que la publication, la diffusion ou la transmission de l’information visée par l’interdiction de publication constituerait une violation de la loi.

[Non souligné dans l’original.]

(Ministère du Procureur général de l’Ontario, Division des services aux tribunaux, Politiques et procédures de la Division des services aux tribunaux en matière d’accès public aux dossiers, aux documents et aux pièces judiciaires (2006), mis à jour, art. 2.2.6)

[73]           En Alberta, le document intitulé Public and Media Access Guide, 2013, prescrit ce qui suit à la page 16 :

[traduction] Des interdictions de publication peuvent être exigées en vertu de la loi ou d’une ordonnance de la Cour. Les interdictions de publication empêchent la publication de certains renseignements liés à une instance d’un tribunal. Une interdiction de publication empêchera la publication des renseignements dans les médias écrits, à la radio, à la télévision ou par Internet. Les interdictions de publication permettent de restreindre la publication des renseignements et non l’accès à ces renseignements. Une interdiction de publication n’empêche pas la consultation, la recherche ou la copie pour usage personnel, à moins que des restrictions soient prévues par la loi ou par une ordonnance de la Cour.

[Non souligné dans l’original.]

(Alberta Courts, Public and Media Access Guide, 1er août 2013, art. 2.4 (e))

[74]           En ce qui concerne le Cabinet du juge militaire en chef, même si une ébauche de politique sur la publication des renseignements des cours martiales a été préparée en 2004, il semble qu’elle n’ait pas été adoptée et l’ACM considère qu’elle est nulle et sans effet.

[75]           Alors que les deux parties conviennent que le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique au système des cours martiales, elles ne s’entendent pas sur la portée des interdictions de publication ordonnées en 2004. Le PGC prétend qu’en fournissant une copie non expurgée des décisions des cours martiales, l’ACM « publie » en fait l’identité des plaignants. La SRC allègue de son côté que l’interprétation que fait le PGC équivaut à convertir l’interdiction de publication en une ordonnance de mise sous scellés.

[76]           À l’exception de cinq (5) décisions, toutes les décisions des cours martiales qui ont été communiquées à la SRC contenaient la mise en garde suivante :

Subject to sub-section (sic) 486(3) and 486(4) of the Criminal Code and section 179 of the National Defence Act, the court has directed that the identity of the complainant and any information that would disclose the identity of the complainant shall not be published in any document or broadcast in any way.

[Non souligné dans l’original.]

[77]           Les mises en garde apparaissant dans la version française des décisions se lisaient comme suit :

Cette cause fait l’objet d’une ordonnance interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit l’identité de la plaignante ou des renseignements qui permettraient de la découvrir.

[Non souligné dans l’original.]

[78]           L’avocate du PGC a indiqué à l’audience qu’elle croyait que les mises en garde reproduites ci-dessus constituaient l’ordonnance de non-publication. Elle ne croyait pas qu’il pouvait y avoir d’ordonnances distinctes de non-publication parce que les interdictions de publication étaient impératives. Aucun élément de preuve n’a été présenté concernant les circonstances en vertu desquelles les interdictions de publication ont été ordonnées et rien n’indique non plus si une forme quelconque d’ordonnance préventive a été demandée et envisagée. Par conséquent, je dois présumer, pour les besoins de mon analyse, que les mises en garde constituent les ordonnances d’interdiction de publication et qu’aucune autre ordonnance préventive n’existe.

[79]           Même si je reconnais qu’il est important d’encourager les victimes à se manifester et de protéger leur vie privée, je ne peux être d’accord avec la position du PGC selon laquelle fournir, sur demande, une copie d’une décision non expurgée équivaut à « publier » selon la définition du paragraphe 486(3) de la version de 2004 du Code criminel ou de l’article 486.4 de la version actuelle du Code criminel.

[80]           Lorsqu’une ordonnance d’interdiction de publication est rendue, les membres du public, y compris les médias, peuvent quand même assister à l’audience et avoir accès à l’identité du plaignant et aux renseignements personnels le concernant. Si le juge croit qu’une plus grande protection est requise, il peut ordonner l’exclusion du public durant le témoignage du plaignant en vertu du paragraphe 486(1) du Code criminel (version de 2004 et version actuelle). Il peut également ordonner que le plaignant témoigne sous un pseudonyme ou que le nom du plaignant et autres renseignements personnels soient expurgés du dossier public.

[81]           En outre, aux termes des politiques d’accès des tribunaux dont on a fait mention précédemment, un membre du public qui se présenterait au greffe et demanderait à voir un dossier de la Cour visé par une interdiction de publication serait autorisé à consulter le contenu du dossier.

[82]           Si une personne peut assister à l’audience et examiner le dossier, je ne vois aucune raison de rejeter une demande en vue d’obtenir une copie non expurgée d’un document qui ne fait pas l’objet d’une ordonnance de caviardage, de mise sous scellés ou d’anonymat.

[83]           De plus, lorsque la Cour suprême du Canada a examiné l’objectif des interdictions de publication dans les procès pour agression sexuelle dans l’affaire Canadian Newspapers, elle a parlé de la nécessité de protéger les victimes du « traumatisme [...] si l’affaire recevait une grande publicité ». Elle a aussi parlé de la crainte des victimes « de la publicité ou de l’humiliation » (Canadian Newspapers, aux paragraphes 15 et 18). Fournir un accès à un dossier de la Cour non expurgé ou fournir, sur demande, une copie d’une décision non expurgée ne peut être considéré comme une « grande publicité ».

[84]           À mon avis, le terme « publier » dans le contexte des ordonnances d’interdiction de publication rendues par les juges militaires en vertu du paragraphe 486(3) du Code criminel doit être interprété comme signifiant une interdiction de diffuser l’information au grand public ou, autrement dit, de fournir un accès généralisé à l’information, par écrit ou par Internet.

[85]           Toute autre conclusion rendrait absurde la distinction entre les différentes formes de mesures de protection comme les ordonnances de caviardage, les interdictions de publication, les ordonnances de mise sous scellés et les ordonnances d’exclusion. Les agents du greffe auraient la difficile tâche d’interpréter la portée des interdictions de publication et les intentions des juges lorsqu’ils rendent de telles ordonnances. De plus, en gardant à l’esprit que les interdictions touchent non seulement l’identité des plaignants, mais aussi tous les renseignements qui permettraient de les identifier, je me demande comment, en termes pratiques, seraient gérées les interdictions de publication sur le plan opérationnel et, plus particulièrement, si les renseignements permettant d’identifier les personnes seraient supprimés avant d’être ajoutés au dossier de la Cour ou seulement lorsque quelqu’un demanderait à consulter le dossier. Dans ce dernier cas, la responsabilité de décider quels renseignements doivent être expurgés reviendrait une fois de plus aux agents du greffe.

[86]           Je souligne que le terme « diffuser » a été interprété par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt FN (Re), 2000 CSC 35, [2001] 1 RCS 880 [FN]. Dans cette affaire, l’appelant, un adolescent aux termes de la Loi sur les jeunes contrevenants, LRC 1985, ch. Y-1 (la LJC), a présenté une demande à la Section de première instance de la Cour suprême de Terre-Neuve en vue d’obtenir une ordonnance d’interdiction au motif que le tribunal pour adolescents avait outrepassé sa compétence en fournissant régulièrement une copie de son dossier aux commissions scolaires. La Cour suprême du Canada a examiné les dispositions de la LJC et, en ce qui a trait à la nécessité de confidentialité dans les affaires touchant les jeunes contrevenants, la Cour a souligné que la LJC avait établi deux (2) régimes distincts, mais qui se renforcent mutuellement, pour contrôler les renseignements concernant les jeunes contrevenants. Le premier ensemble de dispositions commençant au paragraphe 38(1) établit une interdiction générale « de diffuser, par quelque moyen que ce soit, le compte rendu » permettant de lier un jeune contrevenant à une infraction ou à des procédures prévues par la LJC. Le second régime, établi par les articles 40 à 44, s’applique à la tenue et à l’utilisation des dossiers de la Cour. La Cour a conclu que le terme « diffuser » utilisé au paragraphe 38(1) de la LJC devait être interprété en fonction de l’objet visé et que le terme comprenait la communication de renseignements protégés à une collectivité ou à une partie d’une collectivité qui n’est pas autorisée à les recevoir. La Cour a conclu que la diffusion, pour être conforme aux dispositions de la LJC interdisant la communication des renseignements, devrait être plus étroitement ajustée qu’une diffusion générale de tous les rôles à toutes les commissions scolaires.

[87]           Je ne crois pas que l’interprétation du terme « diffuser » faite par la Cour suprême du Canada dans l’affaire FN puisse être appliquée en l’espèce. En interprétant le terme « diffuser », la Cour a explicitement indiqué que c’était dans le contexte de la LJC. La LJC établissait clairement une distinction entre les concepts de publication et d’accès aux dossiers de la Cour. En particulier, l’article 44.1 de la LJC prescrivait que tout dossier traitant de questions relatives à des procédures intentées dans le cadre de la LJC pourrait être consulté uniquement par les personnes nommées dans l’article. Dans tous les autres cas, une autorisation judiciaire était nécessaire. De plus, le paragraphe 46(1) prescrivait explicitement qu’il est interdit de donner accès pour consultation à un dossier conservé en application des articles 40 à 43 de la LJC ou de remettre des reproductions, des épreuves ou des négatifs de celui-ci ou des renseignements qu’il contient, lorsque l’accès ou la remise permettrait d’identifier l’adolescent. Les dispositions du Code criminel relatives aux interdictions de publication dans les instances concernant des infractions de nature sexuelle ne contiennent aucune restriction de ce type concernant l’accès aux dossiers de la Cour.

[88]           Le PGC s’est aussi appuyé sur d’autres décisions pour soutenir son argument selon lequel le concept de « publication » inclut le fait de donner accès à une décision non expurgée dans un dossier public de la Cour.

[89]           L’une d’elles est la décision Twitchell, précitée. Dans cette affaire, la Couronne a déposé une demande en vue d’obtenir une ordonnance de mise sous scellés et une interdiction de publication concernant certains documents de la Cour au dossier. Les médias se sont opposés à la demande. La Cour du banc de la Reine de l’Alberta a fait l’observation qu’une ordonnance de mise sous scellés était plus intrusive qu’une interdiction de publication et qu’elle ne devrait être utilisée que comme mesure exceptionnelle, par opposition à l’interdiction de publication qui pouvait être considérée comme une intrusion plus limitée dans le principe de la publicité des débats judiciaires (paragraphe 24). La Cour a ajouté qu’une interdiction de publication n’empêche pas les médias ou les particuliers d’observer et d’examiner les procédures des tribunaux; elle interdit seulement à ces parties de communiquer leurs observations à d’autres (paragraphe 25). La Cour a conclu qu’il fallait protéger l’identité de témoins et d’un plaignant, de même que leurs renseignements personnels, et que le plus haut degré de protection, sous la forme d’une ordonnance de mise sous scellés, était approprié en l’espèce (paragraphe 44). La Cour a toutefois indiqué que l’ordonnance de mise sous scellés n’était pas le bon terme. En fait, il existait un moyen moins intrusif de protéger les noms, les numéros de téléphone, les adresses, les métiers et les emplois et autres renseignements personnels permettant d’identifier une personne et c’était [traduction] « en expurgeant simplement ces renseignements des documents avant que les personnes intéressées ne puissent y avoir accès » (paragraphe 45).

[90]           Alors que cette décision souligne l’importance de la confidentialité des plaignants, à mon avis, elle renforce l’argument selon lequel les interdictions de publication se distinguent des ordonnances de caviardage ou de mise sous scellés et que les interdictions de publication n’ont pas pour but d’empêcher l’accès à des renseignements de nature délicate. Elle confirme aussi que les juges aux procès ont à leur disposition un certain nombre de mesures pour restreindre le principe de la publicité des débats judiciaires lorsqu’il peut également être important de protéger d’autres intérêts.

[91]           Le PGC s’est aussi appuyé sur la décision D.M.(S.) v. R., 2002 ABQB 1132 (QL), que je considère également non convaincante. Dans cette affaire, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’ordonner une interdiction de publication dans une instance civile, parce que l’interdiction de publication ordonnée dans le contexte d’une procédure criminelle était toujours en vigueur, et qu’il suffirait de mettre une note au dossier de la procédure civile concernant l’interdiction de publication en vigueur. Même si je conviens que cette décision reconnaît l’objectif public qui est d’encourager les victimes à se manifester [traduction] « sans craindre d’être humiliées ou embarrassées publiquement », elle n’appuie pas la proposition selon laquelle les interdictions de publication empêchent d’obtenir l’accès à une décision non expurgée.

[92]           Enfin, le PGC s’est appuyé sur deux (2) autres arrêts émanant de la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour soutenir son argument selon lequel les interdictions de publication empêchent l’accès à des documents non expurgés divulguant l’identité des plaignants. Premièrement, dans l’arrêt McClelland, Woods, et al. v. Stewart, Asplin, et al., 2006 BCSC 1948 (QL), la plaignante voulait obtenir l’accès à des documents durant les interrogatoires préalables d’une action au civil concernant des allégations d’agression sexuelle. En particulier, la plaignante voulait obtenir les dossiers de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) relatifs à un certain nombre de plaignants ou témoins de la procédure criminelle contre le défendeur et pour laquelle des interdictions de publication avaient été ordonnées en vertu de l’article 486 du Code criminel. L’avocat de la plaignante demandait également une ordonnance pour modifier les interdictions de publication. La Cour a conclu que les renseignements que contenaient les dossiers de la GRC concernant l’identité de plaignants ou témoins inconnus étaient assujettis à la protection offerte par les interdictions de publication et que si la GRC était libre de fournir à des tiers l’accès à des renseignements pouvant permettre d’identifier un plaignant ou un témoin, cela contreviendrait à l’objet de l’article 486. La Cour a indiqué que l’avocat pourrait consulter une version expurgée des dossiers afin d’empêcher l’identification des personnes concernées.

[93]           La seconde décision est l’arrêt The British Columbia College of Teachers v. British Columbia (Attorney General), 2010 BCSC 847. Le Collège souhaitait obtenir une copie de la transcription d’une enquête préliminaire tenue en lien avec les accusations portées contre le défendeur. Il souhaitait utiliser la transcription dans une instance disciplinaire contre le défendeur, un ancien membre du Collège. Deux (2) interdictions de publication avaient été imposées par le juge qui avait présidé l’enquête préliminaire : la première concernait les éléments de preuve en vertu du paragraphe 539(1) du Code criminel, et la deuxième concernait tout renseignement qui pourrait permettre d’identifier l’enfant plaignant en vertu du paragraphe 486.4(2) du Code criminel. Les parties avaient admis que l’interdiction de publication en l’espèce devait se poursuivre et le Collège avait accepté de recevoir la transcription dans une version expurgée où n’apparaissait pas le nom du plaignant. Malgré l’assurance du requérant qu’il ne publierait pas la transcription à laquelle il voulait avoir accès, la Cour a conclu que la divulgation au Collège de tout renseignement qui lui permettrait d’identifier le plaignant constituerait une divulgation ne respectant pas l’interdiction de publication. La Cour a ordonné que la transcription ne soit pas communiquée au Collège jusqu’à ce que la Couronne l’ait révisée et ait expurgé les renseignements qui pourraient permettre d’identifier le plaignant.

[94]           Avec tout mon respect, je ne crois pas que ces deux (2) arrêts soient convaincants ni qu’ils lient la Cour, et ce, pour les raisons suivantes. Ces arrêts ne permettent pas clairement de dire si les parties s’appuyaient sur le principe de la publicité des débats judiciaires et la distinction entre les différentes formes de recours auxquelles les juges au procès avaient accès. Cependant, il est encore plus important de noter qu’en fin de compte, les deux juges ont exercé leur compétence inhérente et modifié les conditions des interdictions de publication en autorisant la production des documents dans un format expurgé. Contrairement aux juges dans ces deux (2) affaires, l’ACM n’a pas le pouvoir inhérent de modifier les interdictions de publication ni le pouvoir d’expurger des renseignements des décisions en l’absence d’une ordonnance judiciaire l’autorisant à le faire.

[95]           Dans ses observations écrites et pendant sa plaidoirie, le PGC a soutenu que le principe de la publicité des débats judiciaires n’inclut pas le droit de communiquer directement avec les plaignants et c’est exactement ce qu’une interdiction de publication a pour but d’empêcher. Je ne crois pas que le fait que la SRC ait l’intention de communiquer avec les plaignants nommés influe sur son droit d’obtenir une copie non expurgée des décisions des cours martiales ou d’accéder aux dossiers de la Cour. Comme l’a expliqué le juge MacPherson de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Ottawa Citizen Group, aux paragraphes 60 et 61 :

[traduction]

60        Si la Cour rendait une ordonnance autorisant l’accès aux noms, mais interdisant leur publication, Mme Jaimet apprendrait l’identité des cibles des mandats de perquisition. Elle pourrait communiquer avec ces personnes, ce qui cadre avec le rôle de collecte d’information que suppose la liberté de presse garantie par la Constitution : voir Société Radio-Canada, précité, par. 24. La presse, lorsqu’elle enquête sur une affaire, peut communiquer avec tout citoyen canadien.

61        Les cibles des mandats de perquisition devraient répondre à la journaliste. Leurs réponses, je suppose, pourraient correspondre à toute la gamme possible de réponses, allant de « Sortez de chez moi, je n’ai rien à dire » à « Quel bonheur de vous voir, oui j’ai une histoire à raconter, veuillez entrer ».

[96]           En résumé, en l’absence d’une ordonnance autorisant le caviardage ou la mise sous scellés de l’identité des plaignants, ou le maintien de leur anonymat, au moment où les interdictions de publication initiales ont été ordonnées, je conclus que l’ACM n’avait pas le pouvoir, en sa capacité d’administrateur du Cabinet du juge militaire en chef, d’expurger les renseignements des décisions et d’empêcher l’accès à ces décisions.

(5)               Application de la Loi sur la protection des renseignements personnels

[97]           En répondant à Mme Houlihan le 2 août 2013, l’ACM a indiqué que les décisions visées par les interdictions de publication nécessitaient un examen approfondi avant d’être communiquées, afin de garantir le respect des lois fédérales, notamment la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[98]           La SRC affirme que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’applique pas aux cours martiales, et que même si elle s’appliquait, les dossiers de la Cour, y compris les décisions, relèveraient d’une exception. L’ACM n’apparaît pas dans la liste de l’annexe à la Loi sur la protection des renseignements personnels où sont indiquées les institutions gouvernementales auxquelles la Loi s’applique. Le bureau de l’ACM est distinct du ministère de la Défense nationale ou des Forces canadiennes, et il serait contraire à l’indépendance institutionnelle garantie par la Constitution d’intégrer le bureau de l’ADM au sein du ministère de la Défense nationale pour les besoins de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Agir ainsi donnerait au ministère de la Défense nationale le contrôle sur les dossiers de l’ACM. La SRC affirme également que si la Loi sur la protection des renseignements personnels s’applique à l’ACM, il faudrait aussi qu’elle s’applique à d’autres tribunaux, y compris notre cour. Même si la Loi sur la protection des renseignements personnels s’appliquait, la communication des renseignements demandés sous une forme non expurgée serait autorisée en vertu des exceptions prévues aux alinéas 8(2)a), 8(2)b) et 8(2)m) et au paragraphe 69(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Pour soutenir cet argument, la SRC s’appuie sur la décision du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs dans l’affaire El-Helou c Service administratif des tribunaux judiciaires, 2012 CanLII 30713 (CA TPFD) [El-Helou].

[99]           Le PGC affirme que la Loi sur la protection des renseignements personnels s’applique au Cabinet du juge militaire en chef, étant donné qu’il fait partie des Forces canadiennes et que les obligations aux termes de la Loi s’appliquent à toutes les institutions gouvernementales, ce qui inclut le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes. L’ACM, à titre de membre de ce cabinet, est assujetti à la même chaîne de commandement et, par conséquent, aux mêmes obligations en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ainsi, l’ACM a l’obligation de protéger les renseignements personnels des plaignants. L’existence des interdictions de publication, combinée aux principes de la Loi sur la protection des renseignements personnels, justifiait la décision de l’ACM de protéger l’identité des plaignants. Le PGC affirme en outre qu’aucune des exceptions avancées par la SRC ne s’applique à la divulgation de l’identité des plaignants.

[100]       À mon avis, la Loi sur la protection des renseignements personnels ne soutient pas l’interprétation de l’ACM selon laquelle les noms des plaignants doivent être expurgés et ne doivent pas être communiqués à la SRC. Même si les protections prévues par la Loi sur la protection des renseignements personnels peuvent s’appliquer aux dossiers administratifs de l’ACM sur lesquels je n’ai pas à trancher, la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit une exception importante à l’obligation d’une institution de protéger les renseignements personnels. En vertu du paragraphe 69(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, l’interdiction relative à l’utilisation et à la communication de renseignements personnels prévue aux articles 7 et 8 ne s’applique pas aux renseignements personnels auxquels le public a accès. En rejetant, dans l’affaire El-Helou, l’argument selon lequel la Loi sur la protection des renseignements personnels exige que le dossier d’une procédure quasi judiciaire soit gardé confidentiel, le juge Martineau, en sa capacité de président du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs, a résumé ses motifs de la façon suivante :

[78]      Le principe de la publicité des débats judiciaires est une des pierres angulaires du système juridique canadien. Ce principe s’applique non seulement à l’audience elle-même, mais aussi à tout le déroulement de l’instance avant la tenue de l’audience. Il s’applique aux actes de procédure et, en l’espèce, à la demande, aux exposés des précisions et aux preuves à l’appui qui sont déposés conformément à la Loi et aux Règles.

[79]      Le principe de la publicité des débats judiciaires peut être limité de certaines manières. Par exemple, le privilège de l’indicateur de police jouit d’une protection absolue et n’accorde aucune latitude aux tribunaux. Le principe peut aussi être restreint par la loi. Toutefois, les tribunaux exercent habituellement leur pouvoir discrétionnaire de limiter la publicité des débats judiciaires en appliquant le critère Dagenais/Mentuck. Ainsi, lorsqu’on demande à un décideur de rendre diverses ordonnances conservatoires qui limiteraient l’accès à des renseignements dans une instance, celui-ci exerce son pouvoir discrétionnaire. Le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique au Tribunal, et ce dernier doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider s’il convient de limiter ce principe.

[80]      La LPRP ne saurait limiter la portée du principe de la publicité des débats judiciaires dans la présente instance. Des exceptions prévues à la LPRP s’appliquent en l’espèce : l’exception de l’usage compatible avec les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis (alinéa 8(2)a)), l’exception de la communication aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou leurs règlements (alinéa 8(2)b)) et l’exception des raisons d’intérêt public (alinéa 8(2)m)). Compte tenu du principe de la publicité des débats judiciaires, qui est protégé par la Charte, et du fait que ce principe s’applique au Tribunal, les renseignements personnels qui sont obtenus par le Tribunal dans le cadre de ses fonctions quasi judiciaires sont publics. Par conséquent, l’exception importante qui est prévue au paragraphe 69(2) de la LPRP s’applique elle aussi.

[101]       Dans l’affaire Lukács c. Canada (Transport, Infrastructure et Collectivités), 2015 CAF 140, la Cour d’appel fédérale s’est aussi penchée sur l’exception concernant les renseignements « auxquels le public a accès » prévue au paragraphe 69(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En l’espèce, le demandeur, un défenseur des droits des passagers, demandait l’accès à des documents non expurgés contenant des renseignements permettant d’identifier des personnes et qui faisaient partie du dossier relatif à une instance de règlement d’un différend quasi judiciaire. Dans leur réponse au demandeur, les défendeurs ont reconnu qu’il leur fallait respecter le principe de la publicité des débats judiciaires. Ils ont toutefois fait valoir que dans leur cas, à la différence des tribunaux judiciaires, l’application du principe était circonscrite par les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Avant de fournir les documents demandés, les défendeurs ont retiré les parties qui contenaient des renseignements personnels, en application de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le demandeur affirmait que puisque les documents demandés avaient été versés dans les archives publiques des défendeurs, le public avait accès à ces documents et, de ce fait, l’interdiction de communication prévue au paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’appliquait pas à sa demande, en vertu du paragraphe 69(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Cour d’appel fédérale a conclu que l’argument du demandeur était convaincant et que ce dernier était autorisé à recevoir les documents demandés.

[102]       Conformément à ce qui a été mentionné précédemment dans les présents motifs, les débats des cours martiales sont présumés publics, en vertu du paragraphe 180(1) de la LDN. Par extension, les dossiers des cours martiales le sont aussi. Compte tenu de ma conclusion concernant l’objectif et la portée des interdictions de publication ordonnées en 2004 et de l’absence d’une ordonnance de caviardage, de mise sous scellés ou d’anonymat, les renseignements que l’ACM souhaite protéger font partie du dossier public et, à ce titre, relèvent de l’exception prévue au paragraphe 69(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[103]       En conclusion, je juge que l’interprétation de l’ACM n’est pas défendable. L’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels définit les renseignements personnels, et ils englobent plus que le simple nom d’une personne. Si les interdictions de divulgation prévues en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels s’appliquaient, l’ACM devrait expurger non seulement les renseignements personnels au sujet du plaignant, mais aussi les renseignements personnels concernant tous les participants à l’instance, y compris les témoins et l’accusé. Les exceptions prévues à la loi sœur de la Loi sur la protection des renseignements personnels, soit la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, ch. A-1, exigeraient également que l’on tienne compte du processus de caviardage.

[104]       En résumé, je ne vois rien qui puisse me permettre de conclure que les interdictions sur l’usage et la divulgation des renseignements personnels prévues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels pourraient s’appliquer aux décisions des cours martiales.

D.                Mesures de réparation

[105]       Dans son avis de demande de contrôle judiciaire, la SRC demande : 1) une ordonnance annulant la décision de l’ACM de refuser de fournir des copies non expurgées des décisions des cours martiales indiquées dans l’annexe à sa demande; 2) une directive pour que l’ACM fournisse à la SRC des copies non expurgées des dossiers de la Cour demandés; 3) une déclaration selon laquelle la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’applique pas aux dossiers de la Cour demandés ou aux dossiers des cours martiales, y compris les décisions, transcriptions, enregistrements audio ou pièces d’une cour martiale.

[106]       Dans sa plaidoirie, la SRC a expliqué que le jugement déclaratoire qu’elle demande est constitué de deux (2) parties et a proposé un libellé en ce sens : premièrement, que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’applique pas aux dossiers de la Cour, y compris les décisions, transcriptions, pièces ou autres dossiers des cours martiales administrés par l’ACM et peut-être le juge militaire en chef et, deuxièmement, que sur demande d’un membre du public, l’ACM communique aux médias, sur avis, des copies de toutes les décisions et transcriptions, ou des enregistrements audio des audiences, dans un format non expurgé, en l’absence de toute ordonnance de mise sous scellés rendue par le juge militaire, et en conformité avec le principe de publicité des débats judiciaires.

[107]       La position du PGC est qu’il ne serait pas approprié que la Cour dise à un autre tribunal comment elle devrait traiter les demandes d’accès à des documents qui font partie des dossiers de la Cour. En outre, le PGC affirme que huit (8) des quatorze (14) décisions ne comportent aucun caviardage et ne peuvent faire l’objet d’une directive.

[108]       Je ne crois pas qu’il s’agit en l’espèce d’un cas où un jugement déclaratoire serait indiqué, nonobstant ma conclusion selon laquelle le refus de l’ACM de fournir des copies non expurgées des décisions des cours martiales demandées est illégitime. Je suis d’accord avec le PGC qu’il serait inapproprié que la Cour impose au Cabinet du juge militaire en chef une façon de faire lorsqu’il doit traiter de demandes d’accès à l’information. Chaque tribunal a compétence sur ses propres archives ou dossiers. Cela inclut la responsabilité de s’assurer que l’accès aux dossiers respecte les lois applicables et la garantie constitutionnelle de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

[109]       Je juge également qu’une déclaration concernant l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels n’est pas nécessaire. Les tribunaux tirent souvent des conclusions sur l’applicabilité des lois dans leurs motifs, sans avoir recours à un jugement déclaratoire. Selon le tribunal, de telles conclusions auront ou non un effet exécutoire.

[110]       En ce qui concerne la réparation impérative, la SRC s’appuie sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55, au paragraphe 14, où la Cour a conclu qu’une ordonnance impérative peut être rendue quand la Cour ne dispose que d’un seul recours juridique pour faire appliquer la loi. Comme il a été mentionné précédemment, la SRC demande une directive pour que l’ACM fournisse à la SRC des copies non expurgées des dossiers de la Cour demandés.

[111]       Je juge que la directive demandée par la SRC dépasse la portée des demandes de la SRC à l’ACM. Mme Houlihan a au départ demandé une décision et une transcription d’un dossier particulier de la cour martiale. Elle a reçu une copie expurgée de la décision. Quand on lui a demandé si elle avait toujours besoin d’une copie de la transcription, elle a indiqué qu’elle n’était pas nécessaire à ce moment-là. Quand elle a demandé les quatorze (14) décisions des cours martiales, elle n’a pas demandé la transcription des débats. Sur les quatorze (14) décisions, huit (8) n’avaient pas été expurgées. La SRC a ensuite demandé au Cabinet du juge militaire en chef la décision et la transcription ou l’enregistrement audio d’un autre dossier de la cour martiale. Cette décision n’était pas incluse dans la liste des décisions établie dans l’annexe de l’avis de demande déposé par la SRC. Après avoir examiné les demandes présentées et les réponses reçues, je comprends que tout ce qui manque, ce sont les six (6) décisions où des passages ont été supprimés. Je juge également que la demande n’est pas suffisamment bien définie, puisqu’aucun élément de preuve n’a été déposé pour expliquer ce qui constitue en fait le « dossier » des cours martiales. Par conséquent, je ne suis pas prête à rendre l’ordonnance demandée par la SRC.

[112]       J’en arrive maintenant à la demande de la SRC pour que soit annulée la décision de l’ACM de refuser de fournir des copies non expurgées des décisions des cours martiales indiquées dans l’annexe de sa demande. Même si j’ai qualifié le refus de l’ACM de « pratique continue » dans mon analyse en vue d’établir si la demande a été déposée en retard, je suis tout de même d’avis que la décision de l’ACM de fournir des copies expurgées des décisions dans six (6) instances des cours martiales communiquées à la SRC le 26 mars 2014 peut et doit être annulée. Je suis également d’avis que l’affaire doit être renvoyée à l’ACM pour un réexamen conformément aux présents motifs, étant donné l’absence d’éléments de preuve concernant les circonstances en vertu desquelles les interdictions de publication ont été ordonnées et l’existence d’autres mesures de protection.

[113]       Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision de l’administrateur des cours martiales de fournir des copies expurgées des six (6) décisions des cours martiales communiquées à la Société Radio-Canada le 26 mars 2014 est ainsi annulée et l’affaire est renvoyée à l’administrateur des cours martiales en vue d’un réexamen conformément aux présents motifs.

3.      En vertu d’une entente entre les parties elles-mêmes, chaque partie doit assumer ses propres dépens.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-2084-14

 

INTITULÉ :

LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA/THE CANADIAN BROADCASTING CORPORATION c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 décembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 15 août 2016

COMPARUTIONS :

Colin Baxter

Benjamin Grant

Pour la demanderesse

Elizabeth Richards

Mathew Johnson

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conway Baxter Wilson LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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