Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160722


Dossier : IMM-5723-15

Référence : 2016 CF 863

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

SIMMI NARANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 20 novembre 2015 (la décision), par laquelle une agente des visas (l’agente) a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF).

II.                CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une citoyenne de l’Inde. Elle détient plusieurs diplômes et certificats, dont une maîtrise en informatique et une maîtrise en administration des affaires. La demanderesse a travaillé de 2002 à 2009 comme directrice principale adjointe chez Bajaj Capital. En février 2004, elle a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des TQF.

[3]               D’octobre 2009 à janvier 2015, la demanderesse a travaillé pour V Client Wealth Management (VCWM), une entreprise en démarrage créée en 2009. Elle y a occupé le poste de conseillère en placements, gérant la couverture d’assurance des clients et calculant les primes de particuliers et de groupes. Après la naissance de son deuxième enfant, VCWM lui a permis de travailler à la maison, ce qui lui donnait plus de temps pour s’occuper de sa famille. Par la suite, ses interactions avec VCWM se sont limitées aux communications qu’elle avait avec Pramod Sharma, son superviseur et directeur de l’entreprise, à qui elle envoyait son travail par courriel une fois qu’il était terminé.

[4]               En mars 2014, lorsque le gouvernement du Canada a décidé d’éliminer l’arriéré des demandes de TQF, la demande de la demanderesse a été retirée et elle a reçu un remboursement des frais relatifs à la demande. La demanderesse a présenté une nouvelle demande de résidence permanente en mai 2014.

[5]               En janvier 2015, une agente des visas a communiqué avec VCWM par téléphone. L’employé qui a répondu, Ramesh Pandy, a dit que la demanderesse n’y travaillait pas. Cependant, lorsque M. Sharma a pris l’appel, il a confirmé l’emploi et l’entente de travail à la maison. Le même jour, la demanderesse a parlé à une agente des visas, qui lui a posé plusieurs questions au sujet de son travail chez VCWM. Elle a répondu aux questions de l’agente des visas au sujet de son entente de travail et a indiqué qu’elle n’était pas au courant des responsabilités attribuées récemment aux nouveaux employés de l’entreprise.

[6]               Le 21 mai 2015, la demanderesse a reçu une lettre du Haut-commissariat du Canada, l’informant qu’elle pourrait être interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations (la lettre d’équité procédurale). La demanderesse y a donné suite le 9 juin 2015 en soumettant des documents justificatifs. Elle a précisé la durée et la nature de son emploi chez VCWM ainsi que ses fonctions, son entente de travail à la maison et son salaire. Elle a expliqué que VCWM était en voie d’effectuer une importante réorganisation et que, pour cette raison, son employeur n’était pas en mesure de fournir des détails précis concernant le cadre de travail, les congés et les augmentations de salaire. Elle a fait valoir que l’employé de VCWM à qui l’agente des visas avait parlé en premier lieu avait dû être pris au dépourvu et que, pour sa part, si elle avait paru nerveuse ou distraite, ce devait être parce qu’elle était en visite chez sa sœur au moment où elle avait reçu appel.

[7]               En janvier 2015, la demanderesse a informé le Haut-commissariat du Canada qu’elle avait quitté son poste chez VCWM et avait commencé à travailler pour Alankrit Capitale (Alankrit). Elle n’a pas révélé à Alankrit qu’elle avait demandé à immigrer au Canada une deuxième fois en mai 2014, car elle savait qu’en tant qu’entreprise en démarrage celle-ci exigeait un engagement à temps plein et pour une durée indéterminée. Elle craignait de ne pas obtenir son appui.

[8]               En juillet 2015, la demanderesse a quitté son poste chez Alankrit. Le 6 novembre 2015, elle a reçu deux appels téléphoniques de la part d’une agente des visas, qui lui a posé des questions au sujet de son emploi chez Alankrit. Elle lui a dit qu’elle n’avait pas travaillé depuis le 24 juillet 2015 et lui a donné le nom de son ancien superviseur. La demanderesse a expliqué qu’elle n’avait pas communiqué avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) au sujet de son changement de situation professionnelle et qu’elle n’avait pas commencé à chercher un nouvel emploi parce qu’un conseiller lui avait recommandé d’attendre la réponse de CIC à sa demande de TQF. Trente minutes plus tard, elle a reçu un deuxième appel de la part de l’agente des visas qui a déclaré que, selon Alankrit, elle travaillait toujours pour l’entreprise et était allée au travail la veille, mais était en congé cette journée-là et serait de retour le lendemain. La demanderesse a répété qu’elle n’avait eu aucun contact avec l’entreprise depuis son dernier jour de travail en juillet 2015 et dit qu’elle ne savait pas pourquoi Alankrit avait affirmé le contraire. Mis à part ces conversations téléphoniques, la demanderesse affirme qu’elle n’a reçu aucune lettre mentionnant les préoccupations de CIC quant à son emploi, et elle a présumé que ses explications avaient été acceptées.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[9]               La décision faisant l’objet du présent contrôle consiste en une lettre datée du 20 novembre 2015 et les notes correspondantes dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC). L’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas droit à un visa de résidence permanente parce qu’elle est interdite de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 40(1)(a) de la Loi pour avoir fait une présentation erronée sur des faits importants.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[10]           La demanderesse soulève les questions suivantes dans la présente demande :

1.      L’agente a-t-elle manqué aux principes d’équité procédurale en omettant de faire part à la demanderesse de ses préoccupations d’une manière qui lui aurait permis de répondre de façon appropriée ?

2.      La décision de l’agente est-elle déraisonnable ?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. En revanche, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque la jurisprudence est muette ou qu’elle semble incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que l’analyse des quatre facteurs par la cour de révision est nécessaire : Agraira c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[12]           La première question en litige concerne l’équité procédurale et sera examinée selon la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79. L’évaluation par un agent d’immigration de la question de savoir si un demandeur a fait une fausse déclaration est une question de fait. Par conséquent, la deuxième question sera examinée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable : Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 302, aux paragraphes 9 et 10 ; Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1283, au paragraphe 22.

[13]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[14]           Les dispositions de la Loi qui suivent sont pertinentes en l’espèce :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

VII.          ARGUMENTS

A.                Nouveaux éléments de preuve

[15]           Le défendeur soutient que l’affidavit de M. Ankur Gautum, l’ancien employeur de la demanderesse chez Alankrit, déposé dans le cadre de la présente demande devrait être radié parce que l’agente n’en avait pas été saisie au moment de rendre sa décision et qu’il ne peut donc pas être utilisé maintenant pour contester celle-ci.

[16]           La demanderesse affirme que l’affidavit est un nouvel élément de preuve qui est validement porté devant la Cour, car il ne porte pas sur le fond, mais fait plutôt partie de l’argument relatif à l’équité procédurale : Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 530, au paragraphe 39. Elle affirme que le contenu de l’affidavit a été soumis pour démontrer qu’elle aurait pu obtenir des éléments de preuve de son ancien employeur qui auraient répondu aux préoccupations de l’agente si on lui en avait donné l’occasion.

[17]           Le défendeur soutient qu’il n’y a aucun fondement justifiant l’inclusion exceptionnelle de nouveaux éléments de preuve et que la demanderesse devrait être en mesure de démontrer qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale simplement en faisant valoir qu’elle a été privée de la possibilité de présenter une contre-preuve pour dissiper les doutes de l’agente.

B.                 Demanderesse

[18]           La demanderesse dit avoir été décontenancée lorsqu’elle a reçu la décision puisqu’il n’y avait aucune raison de mentir dans sa demande au sujet de son emploi chez VCWM ou Alankrit. Elle soutient que l’agente a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité fondées sur des éléments de preuve extrinsèques. Bien que la lettre d’équité ait été envoyée à la demanderesse, elle ne mentionnait pas toutes les préoccupations de l’agente et ne permettait donc pas à la demanderesse d’y répondre : Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 468 ; Vandi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 515.

[19]           Le fait, pour l’agente, d’avoir appelé la demanderesse le 6 novembre 2015 afin de vérifier la déclaration de l’employé d’Alankrit, selon laquelle la demanderesse y travaillait encore, ne suffisait pas pour satisfaire à son obligation d’équité procédurale. Rien n’indiquait à la demanderesse que l’agente soupçonnait qu’elle ait fait de fausses déclarations ni que l’appel aurait une incidence sur sa demande de résidence permanente. L’agente semblait être satisfaite de la réponse de la demanderesse ; si cette dernière avait su que la question demeurait un problème, elle aurait pu obtenir une déclaration solennelle de son ancien employeur afin d’éclaircir la question. La demanderesse soutient que l’agente aurait dû la convoquer à une entrevue en personne, lui envoyer une autre lettre d’équité procédurale ou effectuer un suivi téléphonique afin d’exprimer ses préoccupations : Arshi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF no 490, au paragraphe 5 ; Amin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 206, aux paragraphes 29 et 32.

[20]           Même si les notes du SMGC étaient lues conjointement à la décision, celle-ci n’explique pas les conclusions de fausses déclarations, car il y est simplement dit que la demanderesse a fait de fausses déclarations au sujet de son [traduction] « expérience de travail comme conseillère en assurances et en placements ». Les notes font état des préoccupations soulevées par l’appel de l’agente à VCWM, mais elles ne précisent pas si l’appel à Alankrit ont également joué un rôle dans la décision. Les motifs peuvent être brefs, mais doivent renseigner la demanderesse sur l’analyse qui sous-tend la décision. Ce n’est pas le cas en l’espèce, et la demanderesse n’est pas en mesure de comprendre les motifs de la décision et, plus précisément, de savoir si l’agente a conclu qu’elle avait fait une fausse déclaration en raison de l’appel fait à son plus récent employeur : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323 ; VIA Rail Canada Inc c Canada (Office national des transports), [2000] ACF no 1685, aux paragraphes 21 et 22.

[21]           La demanderesse est instruite, a occupé divers postes dans le secteur des finances et des assurances, et satisfait à toutes les exigences linguistiques, et pourtant elle a attendu plus de 12 ans avant de présenter sa demande de TQF. Elle affirme qu’en raison de facteurs hors de sa volonté, d’anciens employeurs ont donné des renseignements irréfléchis ou inexacts à l’agente des visas. Elle a donné suite aux préoccupations soulevées par l’agente dans la lettre d’équité procédurale, mais elle n’a pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations invoquées dans la décision défavorable. La décision devrait être annulée.

C.                 Défendeur

[22]           Le défendeur a présenté plusieurs observations au sujet du devoir d’équité procédurale envers la demanderesse dans la présente affaire. L’équité procédurale n’exige pas que l’agente avise la demanderesse de ses préoccupations lorsque celles-ci sont directement liées à la Loi. De plus, en l’espèce, en tant que personne qui demande un visa, la demanderesse devrait seulement s’attendre à un minimum d’équité procédurale, car aucun droit substantiel n’est en litige. Par conséquent, il n’incombait pas à l’agente de signaler les préoccupations soulevées par la preuve de la demanderesse ni de se renseigner davantage : Parmar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1532, au paragraphe 36 ; Dash c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1255, au paragraphe 27.

[23]           Le défendeur soutient que, lorsque l’agente a tenté de vérifier l’emploi de la demanderesse, de nombreuses incohérences sont ressorties des conversations téléphoniques avec la demanderesse, M. Sharma chez VCWM et les employés d’Alankrit. L’agente a communiqué avec la demanderesse par téléphone et en lui envoyant la lettre d’équité procédurale, lui donnant ainsi la possibilité d’expliquer ces incohérences. Les réponses de la demanderesse étaient faibles et insatisfaisantes. Il était loisible à l’agente de refuser la demande au titre de la catégorie des TQF sous prétexte que la demanderesse avait fait une fausse déclaration quant à ses antécédents professionnels, particulièrement compte tenu du fait que les renseignements fournis par M. Sharma et l’employé d’Alankrit n’étaient nullement ambigus.

[24]           Des incohérences sont ressorties des appels téléphoniques avec VCWM en ce qui concerne l’organisation de l’entreprise, les salaires, les échelles salariales et les congés que la demanderesse avait pris entre le début et la fin de son emploi. En ce qui concerne l’emploi de la demanderesse chez Alankrit, son employeur avait indiqué qu’elle était au travail la veille et devait être de retour le lendemain. Or, la demanderesse avait déclaré à l’agente qu’elle était sans emploi à ce moment-là. Sa seule explication pour cette incohérence était qu’elle ne savait pas ce que l’employé d’Alankrit cherchait à prouver en affirmant qu’elle travaillait encore pour l’entreprise, et qu’il était peut-être occupé à faire autre chose ou avec des clients au moment de l’appel. Le défendeur affirme que la demanderesse n’avait pas droit à une deuxième lettre relative à l’équité procédurale parce qu’elle avait déjà eu l’occasion de donner une réponse au téléphone.

[25]           Le défendeur soutient que la décision et les motifs sont adéquats. Les notes du SMGC rendent compte de manière détaillée de toutes les contradictions qui sont apparues à l’occasion des diverses conversations téléphoniques avec l’agente. De plus, l’agente énonce clairement sa conclusion selon laquelle, à la lumière de tous les renseignements fournis, la demanderesse avait fait de fausses déclarations au sens du paragraphe 40 (1) de la Loi. Cela montre sans équivoque que l’agente a fondé cette conclusion et le rejet ultérieur de la demande sur tous les renseignements obtenus au cours de ses vérifications.

VIII.       ANALYSE

[26]           L’affidavit de M. Ankur Gautum n’est pas admissible. L’affidavit est soumis pour montrer que, si elle en avait vraiment eu l’occasion, la demanderesse aurait pu obtenir des éléments de preuve auprès de son ancien employeur afin de clarifier les doutes éprouvés par l’agente. Un tel élément de preuve n’est pas essentiel à la décision concernant l’équité procédurale. La question est de savoir si la demanderesse a eu une possibilité raisonnable de donner suite aux préoccupations de l’agente, et non ce qu’elle aurait pu dire ou faire si elle en avait eu l’occasion. Voir la décision Madadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716, aux paragraphes 6 et 7 ; Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25, au paragraphe 21.

[27]           En l’espèce, la question principale est de savoir si la demanderesse a eu une occasion juste et véritable de dissiper les doutes quant à sa crédibilité suscités par les conversations de l’agente avec ses employeurs, au cours desquelles ces derniers avaient fourni des renseignements à son sujet qui contredisaient les renseignements qu’elle-même avait fournis ou ne concordaient pas avec eux.

[28]           La demanderesse affirme que la lettre d’équité procédurale qu’elle a reçue ne mentionne pas les doutes soulevés par la conversation téléphonique de l’agente avec son ancien employeur au sein de l’entreprise Alankrit, et que le coup de téléphone que l’agente lui a passé le 6 novembre 2015 ne libère pas entièrement celle-ci de son devoir d’équité.

[29]           Le 21 mai 2015, la demanderesse a reçu une lettre d’équité procédurale l’informant des préoccupations de l’agente après une conversation avec Ramesh Pandy, de VCWM, qui contredisait ses déclarations, et elle y a répondu le 9 juin 2015.

[30]           Comme la décision et les notes du SMGC l’indiquent clairement, l’agente avait de bonnes raisons de ne pas accepter les explications de la demanderesse et de conclure qu’elle n’était pas crédible :

[traduction] La demanderesse a envoyé les documents suivants :

– une lettre de sa part

– des imprimés de courriels que nous lui avons envoyés en réponse à ses demandes de renseignements sur le traitement de sa demande

– la lettre de démission

– la lettre d’embauche à un nouvel emploi

La demanderesse déclare que la personne qui a répondu à notre appel était « dans le feu de l’action » et n’a donc pas pu porter toute son attention aux questions que nous lui posions. Je n’accorde pas de poids à cette déclaration parce que notre interlocuteur a clairement affirmé à plusieurs reprises qu’il n’y avait aucun employé du nom de la demanderesse qui travaillait dans son entreprise. Jamais il n’a laissé entendre qu’il n’était pas en mesure de fournir des renseignements fiables.

J’ai conclu que l’explication de la demanderesse relative au caractère prétendument erroné des renseignements présentés par le directeur de l’entreprise n’était pas crédible. Le directeur est en mesure de fournir des renseignements faisant autorité à propos de son entreprise et de ses employés. Au moment de la vérification, le directeur n’a donné aucune indication que certains documents pouvaient être inaccessibles, incomplets ou inexacts ou encore qu’il ne serait pas en mesure de fournir des renseignements fiables.

La demanderesse affirme maintenant que l’entreprise traverse une phase de transition, que les rôles et les responsabilités des membres du personnel ne sont pas encore coulés dans le béton et qu’il règne un flou concernant notamment les congés, le versement des salaires et les augmentations salariales. Je ne donne pas de poids à ces explications parce que le directeur n’en a pas fait mention au moment de la vérification.

Elle affirme maintenant qu’elle était en congé de maternité. Cependant, au moment de la vérification, elle avait indiqué qu’elle n’avait jamais été en congé pour une période prolongée.

De surcroît, elle déclare que, au moment de notre appel, elle avait été distraite par son fils qui était malade et que cela l’avait rendue nerveuse. Je ne prête pas de poids à cette déclaration parce qu’elle n’avait rien mentionné à ce sujet au moment de la vérification.

La demanderesse a peut-être fait de fausses déclarations sur son expérience de travail en soumettant une lettre d’emploi qui n’était pas authentique.

Cela aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi parce que cela aurait pu fait croire à l’agente que la demanderesse satisfaisait aux exigences de la Loi en ce qui a trait à l’expérience de travail.

Notre lettre d’équité procédurale expliquait les dispositions de l’article 40.

[31]           Pour ce qui concerne l’équité procédurale, la demanderesse ne conteste pas cet aspect de la décision. Par conséquent, si cet aspect de la décision est raisonnable, il est suffisant pour conclure à une fausse déclaration indépendamment de la manière dont l’agente aurait traité ses conversations avec Alankrit.

[32]           L’argument principal de la demanderesse concernant l’équité procédurale est que le fait que l’agente lui ait téléphoné le 6 novembre 2015 et l’ait interrogée au sujet des déclarations faites par M. Ankur Gautum, de l’entreprise Alankrit, n’était pas suffisant pour satisfaire au devoir d’équité. L’argument de la demanderesse sur cette question est le suivant :  

[traduction]

L’appel téléphonique de l’agente à la demanderesse le 6 novembre 2015 au cours duquel celle-ci l’a interrogée au sujet de la déclaration de l’employé, selon laquelle elle travaillait toujours chez Alankrit Capitale, n’était pas suffisant pour satisfaire au devoir d’équité procédurale de l’agente. S’il est vrai que l’agente a donné à la demanderesse un compte rendu de sa conversation téléphonique avec l’employeur lorsqu’elle a communiqué avec cette dernière, elle ne lui a pas fait part de ses préoccupations quant à de possibles fausses déclarations de sa part (se contentant de simplement porter cette information à son attention) ni signifié que cet appel pourrait avoir une incidence sur sa demande de résidence permanente.   Selon les notes du SMGC, tout ce que l’agente aurait demandé à la demanderesse après lui avoir raconté ce qui était ressorti de la conversation avec l’employeur est : « Voulez-vous dire quelque chose à ce sujet ? ».

29)       Il est également consigné dans les notes du SMGC que la demanderesse a déclaré à l’agente qu’elle ne savait pas pourquoi l’employé aurait dit qu’elle travaillait toujours au sein de l’entreprise puisqu’elle avait quitté son poste plusieurs mois auparavant. La demanderesse a noté dans son affidavit que l’agente a semblé satisfaite de cette réponse. La demanderesse a aussi fait remarquer que, si elle avait compris que ces conversations avaient semé des doutes dans l’esprit de l’agente, elle aurait pu obtenir une déclaration solennelle (semblable à celle qui est jointe à la présente demande) dans laquelle l’employeur aurait pu clarifier ce qui s’était passé afin de dissiper ces doutes.

30)       Par conséquent, la conversation téléphonique de l’agente avec la demanderesse au sujet de cette question n’était pas suffisante pour satisfaire à l’obligation d’équité, car l’agente n’a pas fait part de ses doutes de manière à ce que la demanderesse puisse effectivement les apaiser. Compte tenu de la nature de ces doutes, la demanderesse a fait valoir qu’elle aurait dû être convoquée à une entrevue pour être interrogée de vive voix. À tout le moins, l’agente aurait dû rédiger une autre lettre d’équité procédurale ou effectuer un suivi téléphonique pour faire part de ses doutes à la demanderesse. Étant donné que l’agente n’en a rien fait, elle a manqué aux principes d’équité procédurale.

[Notes de bas de page omises]

[33]           Sur ce point, les notes du SMGC font état de ce qui suit :

[traduction]

Date de l’appel : le 6 novembre 2015

Dossier : E000180582

Vérification à faire de l’emploi de la demanderesse chez Alankrit Capitale  

J’ai appelé au numéro de téléphone fixe de l’entreprise. Un homme a décroché le téléphone. Il s’est identifié comme étant Ankur Gautam, le propriétaire. Puis-je parler avec Mme Simmi Narang ? — Elle est absente aujourd’hui.

A-t-elle travaillé hier ? – oui.

Sera-t-elle présente demain ? — Bien sûr. S’il y a une urgence, je peux vous donner son numéro de cellulaire. 

Non, ça va. Merci. Nous avons mis fin à l’appel.

J’ai ensuite appelé la demanderesse sur son téléphone cellulaire.

La demanderesse a décroché le téléphone. — Elle a confirmé son identité. — Je me suis présentée.

Madame, où travaillez-vous en ce moment ? — En vérité, j’ai quitté mon emploi chez Alankrit Capitale le 24 juillet 2015 et j’en ai informé mon agente, qui doit certainement avoir transmis l’information à votre bureau.

Quelle était votre poste ? — Directrice de succursale.

Pourquoi avez-vous quitté l’entreprise ? — L’entreprise souffrait de pertes considérables et le propriétaire m’a demandé de démissionner. Vous savez, il est aussi mon ancien collègue. Aussi, je tiens à vous dire que cela fait presque douze ans que nous attendons. Pourquoi est-ce si long ? J’ai été interrogée en janvier de cette année et j’étais très nerveuse. Je n’arrivais pas à répondre avec assurance à l’agente des visas. Toute ma famille est au Canada : mes beaux-parents, mon beau-frère. Nous sommes les seuls qui restent ici.

Madame, toutes les demandes sont traitées séparément et il faut satisfaire à toutes les exigences prescrites par la Loi. Cependant, vous pouvez savoir en tout temps où en est le traitement de votre demande en écrivant à notre bureau de l’immigration de Delhi. Nous vous répondrons.

Je l’ai remerciée et j’ai raccroché.

Date de l’appel : le 6 novembre 2015

Dossier : E000180582

Comme on me l’a conseillé de le faire, j’ai appelé la demanderesse une autre fois – Quand avez-vous parlé pour la dernière fois à votre employeur, M. Gautam ? — Le 31 juillet 2015.

Quand avez-vous quitté votre poste ? — Le 24 juillet 2015

Madame, j’ai parlé à votre employeur ce matin et il m’a dit que vous étiez en congé aujourd’hui, mais que vous étiez au bureau hier et que seriez au bureau demain également, alors que vous m’avez dit que vous aviez quitté votre poste en juillet 2015. Voulez-vous dire quelque chose à ce sujet ?

Je ne sais pas ce que M. Gautam veut prouver en disant cela. Je ne sais pas pourquoi il vous a dit que j’étais au bureau hier et que je serai au bureau demain, car j’ai quitté mon poste en juillet 2015. Peut-être était-il occupé avec autre chose ou se trouvait-il avec des clients.

Je l’ai remerciée et j’ai raccroché.

ÉVALUATION RELATIVE À L’ARTICLE 40 : J’ai évalué l’ensemble des faits de la présente affaire, y compris toute réponse ou réaction de la demanderesse à la démarche d’équité procédurale ainsi que les documents à l’appui. D’après la prépondérance des probabilités, la demanderesse a, selon mon évaluation, directement ou indirectement fait de fausses déclarations ou omis de dévoiler certains faits importants relatifs à ses antécédents professionnels. Il s’agit d’une fausse déclaration au sujet d’un objet pertinent qui a entraîné ou risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR en faisant frauduleusement croire à l’agent chargé de l’évaluation que le demandeur avait de l’expérience dans la ou les professions mentionnées dans la demande et, par conséquent, amener l’agent à conclure que le demandeur satisfaisait aux exigences de la Loi.

Je suis donc d’avis que la demanderesse est interdite de territoire au Canada au titre de l’article 40 de la Loi. La demande est rejetée.

[L’original contient des erreurs]

[34]           Les notes établissent très clairement que la demanderesse a été invitée à se prononcer sur les incohérences entre sa propre version des faits, selon laquelle elle a quitté son poste chez Alankrit en juillet 2015, et la version de M. Gautum, selon laquelle elle était au bureau la veille et reviendrait le lendemain, laissant entendre que la demanderesse travaillait encore au sein de la compagnie.

[35]           Selon la demanderesse, l’agente ne lui a pas indiqué que ces incohérences pouvaient être interprétées comme une fausse déclaration, se contentant [traduction] « de simplement porter cette information à son attention », car l’agent lui a seulement posé la question [traduction] « Voulez-vous dire quelque chose à ce sujet ? »

[36]           L’agente n’était pas tenue d’informer la demanderesse qu’elle éprouvait des doutes quant à l’authenticité de ses déclarations. Elle n’était pas tenue de fournir un résultat intermédiaire. Voir Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 121, au paragraphe 14. De plus, l’agente indique très clairement qu’il y a une divergence entre les déclarations de la demanderesse et celles de M. Gautum. La demanderesse est une femme très instruite et très intelligente. La réponse qu’elle a donnée indique clairement qu’elle savait que l’agente cherchait à obtenir une explication concernant cette divergence. La demanderesse a été pleinement informée de la question et a amplement eu l’occasion de fournir une explication. En fait, elle en a fourni une, mais elle soutient maintenant qu’elle aurait pu en fournir une meilleure si elle avait bien compris les préoccupations de l’agente. Il est évident, d’après les notes du SMGC, qu’elle comprenait parfaitement ces préoccupations et qu’elle aurait pu éclaircir la situation comme elle le voulait. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

[37]           La demanderesse affirme également que la décision était déraisonnable parce que les motifs sont insuffisants. Selon elle, ses employeurs avaient fourni des renseignements inexacts à l’agente tandis qu’elle avait, pour sa part, fourni des réponses raisonnables.

[38]           L’insuffisance des motifs ne suffit pas à justifier un contrôle judiciaire. Voir Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 21 et 22. Aucun des motifs invoqués par la demanderesse n’est corroboré par la décision elle-même.

[39]           La lettre de refus indique sans équivoque à la demanderesse qu’elle a fait de fausses déclarations au sujet de son expérience de travail comme consultante en assurances et en placements et que cette conclusion est fondée sur :

[traduction] […] tous les renseignements que vous avez fournis, les renseignements obtenus au moyen de la vérification menée par ce bureau et votre réponse à notre lettre datée du 21 mai 2015 […]

[40]           Les notes du SMGC fournissent aussi un compte rendu complet de la façon dont les incohérences ont été relevées et dont la demanderesse a eu une possibilité raisonnable d’éclaircir la situation, ce qu’elle n’a pas fait à la satisfaction de l’agente. Je ne crois pas que les motifs auraient pu être plus clairs.

[41]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5723-15

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

SIMMI NARANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Russel

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Mme Jacqueline Swaisland

POUR LA DEMANDERESSE

 

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.