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Date : 20160719


Dossier : IMM-296-16

Référence : 2016 CF 825

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

IQBAL, KHANDAKER ASHIK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés a été rejetée par un agent d’immigration (agent) ayant conclu que le demandeur est interdit de territoire au Canada pour avoir fait une fausse déclaration en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]               Souvent, la jurisprudence de la Cour reconnaît catégoriquement qu’une fausse déclaration n’est pas nécessairement intentionnelle (Berlin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117, aux paragraphes 16 et 18 [Berlin]).

II.                Introduction

[3]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par le demandeur en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, de la décision d’un agent datée du 4 novembre 2015.

III.             Contexte

[4]               Le demandeur, Khandaker Ashik Iqbal (âgé de 33 ans), est un citoyen du Bangladesh. Il a présenté une demande de résidence permanente en vertu de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (CNP 1123) en mai 2014. Cette demande a été reçue le 14 mai 2014.

[5]               Le 7 septembre 2015, l’agent a indiqué dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) qu’il doute de la crédibilité du demandeur : [traduction]

J’ai passé en revue les résultats de la visite sur les lieux. Mes préoccupations quant à la crédibilité du demandeur principal sont fondées sur l’authenticité de la lettre d’emploi datée du 5 mai 2014. Cette lettre indique que le demandeur principal travaille à Banglalink, comme directeur adjoint principal des communications et des relations publiques, depuis avril 2006. L’enquête a révélé que ce dernier travaille à Banglalink, mais qu’il n’a pas occupé ce poste de 2006 à 2011. Il a plutôt travaillé au service à la clientèle de 2006 à 2010, puis au service de formation de 2011 à juin 2013. Ce n’est qu’à partir du 1er juillet 2013 que le demandeur principal a commencé à travailler comme directeur adjoint principal des communications et des relations publiques. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que le demandeur principal a fait une fausse déclaration relative à son expérience de travail pour satisfaire aux exigences de la catégorie des travailleurs qualifiés.

(Dossier certifié du tribunal [DCT], notes du SMGC, page 6)

[6]               Le 8 septembre 2015, une lettre relative à l’équité procédurale (LEP) datée du 7 septembre 2015 a été envoyée au demandeur. Dans cette lettre, l’agent mentionne ses préoccupations concernant la fausse déclaration du demandeur quant à son expérience de travail en tant que directeur adjoint principal des communications et des relations publiques à Banglalink, du 16 avril 2006 jusqu’au moment de l’évaluation. L’agent était préoccupé par le fait que le demandeur n’avait pas occupé le poste en question pendant la période mentionnée.

[7]               Le 22 septembre 2015, le demandeur a soumis des documents supplémentaires, y compris une lettre d’emploi révisée en date du 21 septembre 2015, laquelle incluait un résumé des différents postes qu’il a occupés à Banglalink.

[8]               Dans une décision datée du 4 novembre 2015, la demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée, et ce dernier a été interdit de territoire pour fausse déclaration en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Plus précisément, l’agent a soulevé des questions au sujet des références fournies par le demandeur, notamment [traduction]

J’ai maintenant terminé mon évaluation de votre demande. La preuve indique que vous avez soumis des références frauduleuses. Cette fausse déclaration de votre expérience de travail avec les entités susmentionnées était un aspect déterminant dans l’évaluation de votre demande. Elle aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi, c’est-à-dire que votre expérience de travail avec l’entité susmentionnée aurait pu faire en sorte que votre demande soit jugée admissible au traitement, et que vous auriez obtenu des points pour de l’expérience que vous n’avez même pas. Ainsi, vous auriez pu être approuvé pour un visa de résident permanent.

(DCT, page 9)

IV.             Questions en litige

[9]               La seule question à trancher est de déterminer si la décision de l’agent quant à l’interdiction de territoire pour fausse déclaration du demandeur est raisonnable.

V.                Norme de contrôle

[10]           La norme de la décision raisonnable s’applique à l’examen de la décision d’un agent d’immigration concernant la fausse déclaration du demandeur quant à son expérience de travail en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Oloumi c. Canada [Citoyenneté et Immigration], 2012 CF 428, au paragraphe 23 [Oloumi]; Paashazadeh c. Canada [Citoyenneté et Immigration], 2015 CF 327, au paragraphe 13).

VI.             Analyse

[11]           Dans Goburdhun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 [Goburdhun], la juge Cecily Y. Strickland a résumé les principes généraux énoncés par la Cour à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR :

[28]      Dans le jugement Oloumi, précité, la juge Tremblay-Lamar énonce les principes généraux découlant du traitement par la Cour fédérale de l’article 40 de la LIPR; les voici résumés ci‑après ainsi que d’autres principes semblables tirés de la jurisprudence :

- il convient d’interpréter l’alinéa 40(1)a) de manière large afin de faire ressortir l’objet qui le sous-tend : Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 25 [Khan];

- l’article 40 est libellé de manière large en vue d’englober les fausses déclarations, même si elles ont été faites par une tierce partie, à l’insu du demandeur (Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 942, au paragraphe 35 [Jiang]; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, aux paragraphes 55 et 56 [Wang]);

- l’exception à cette règle est assez étroite et ne s’applique qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important et où il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté (Medel, précité);

- l’article 40 a pour objectif de dissuader un demandeur de faire une fausse déclaration et de préserver l’intégrité du processus d’immigration. Pour atteindre cet objectif, le fardeau de vérifier l’intégralité et l’exactitude de la demande incombe au demandeur (Jiang, précité, au paragraphe 35; Wang, précité, aux paragraphes 55 et 56);

- les demandeurs ont une obligation de franchise et doivent fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada (Bodine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, au paragraphe 41; Baro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15);

- le demandeur étant tenu responsable du contenu de la demande qu’il signe, on ne peut considérer qu’il croyait raisonnablement ne pas avoir présenté faussement un fait d’importance s’il a omis de revoir sa demande et de vérifier qu’elle était complète et exacte avant de la signer (Haque, précité, au paragraphe 16; Cao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 450, au paragraphe 31 [Cao]);

- pour décider si une fausse déclaration est importante, il est nécessaire de tenir compte du libellé de la disposition ainsi que de l’objet qui la sous‑tend (Oloumi, précité, au paragraphe 22);

- une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante; il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé (Oloumi, précité, au paragraphe 25);

- un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande. L’analyse de la notion de fait important ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande (Haque, précité, aux paragraphes 12 et 17; Khan, précité, aux paragraphes 25, 27 et 29; Shahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 423, au paragraphe 29 [Shahin]);

(Goburdhun, précité, au paragraphe 28)

[12]           En l’espèce, il est évident, d’après les notes du SMGC, que les principales préoccupations de l’agent concernent la lettre d’emploi datée du 5 mai 2014 (lettre d’emploi). Cela se traduit dans sa décision.

[13]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur avait soumis des références frauduleuses puisque la lettre d’emploi, examinée en corrélation avec les renseignements figurant dans la demande, ne peut que mener quiconque à croire que le demandeur occupe un poste de directeur adjoint principal des communications et des relations publiques depuis 2006.

[14]           Bien que l’introduction de la lettre d’emploi vise à clarifier que le demandeur occupe actuellement le poste en question, elle ne dissipe pas nécessairement la confusion entourant le nombre d’années pendant lesquelles il aurait occupé le poste de directeur.

[15]           Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au paragraphe 15, la cour « ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen, mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ». [Non souligné dans l’original.]

[16]           Dans l’affaire présente, le défendeur soutient que le demandeur a fait une fausse déclaration dans sa demande, plus précisément à la question 8 de l’annexe A, où il doit énumérer toutes ses « activités » au cours des 10 dernières années, notamment son titre de poste ou sa fonction. Le demandeur a indiqué qu’il « agissait à titre de directeur adjoint principal du marketing, des communications et des relations publiques » à Banglalink Digital Communications de mai 2006 à mai 2014 (voir DCT, annexe A, page 44). De plus, à la question 12 de l’annexe 3, le demandeur devait énumérer toutes ses fonctions au cours des 10 années précédant la date de sa demande. Il a indiqué « Marketing et relations publiques » dans ses fonctions d’avril 2006 à mai 2014, en plus de préciser dans la colonne « Fonctions principales » ses fonctions à titre de directeur adjoint principal des communications et des relations publiques. Sans aucun doute, les réponses fournies par le demandeur à la question 8 de l’annexe A ainsi qu’à la question 12 de l’annexe 3 pourraient raisonnablement mener un agent à croire que le demandeur occupait un poste de directeur adjoint principal des communications et des relations publiques depuis avril 2006. La jurisprudence de la Cour reconnaît souvent qu’une fausse déclaration n’est pas nécessairement intentionnelle (Berlin, précité, au paragraphe 12; Oloumi, précité; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 378, aux paragraphes 16 et 18; Mahmood c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 433, au paragraphe 22; Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942, au paragraphe 35; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, aux paragraphes 55 à 58).

[17]           La LEP envoyée au demandeur indiquait clairement les préoccupations de l’agent quant au fait que le demandeur n’avait pas occupé ce poste depuis avril 2006. Bien que le demandeur ait clarifié la situation après avoir reçu la LEP, cela ne veut pas dire qu’une fausse déclaration n’a pas été faite; cette lettre a pour but de donner au demandeur une occasion « de démontrer qu’il n’y a eu aucune fausse déclaration ni aucune réticence à dévoiler des faits importants qui auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR » (Brar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 542, au paragraphe 17).

[18]           Par conséquent, il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur était interdit de territoire pour fausse déclaration en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR puisque son formulaire contenait des renseignements trompeurs, lesquels pourraient mener à une erreur dans l’administration de la Loi.

VII.          Conclusion

[19]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-296-16

 

INTITULÉ :

IQBAL, KHANDAKER ASIK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Isabelle Sauriol

 

Pour le demandeur

 

Guillaume Bigaouette

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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