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Date : 20160531


Dossier : T-1013-15

Référence : 2016 CF 604

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2016

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

JAMES T. GRENON

demandeur

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En 2013, le ministre du Revenu national a obtenu une ordonnance (communément appelée une « ordonnance conservatoire ») qui autorise l’Agence du revenu du Canada (ARC) à prendre des mesures immédiates afin de recouvrer les impôts dus par M. James T. Grenon. Sans une ordonnance conservatoire, les impôts ne peuvent être perçus tant que le contribuable n’a pas eu la possibilité d’interjeter appel d’une cotisation établie ou de s’y opposer. À la suite de cette ordonnance, l’ARC a recouvré 12,75 millions de dollars auprès de M. Grenon en mars 2014.

[2]               Toutefois, en août 2014, les parties ont consenti à l’annulation de l’ordonnance conservatoire. En mars 2015, les 12,75 millions de dollars ont été rendus à M. Grenon.

[3]               M. Grenon a demandé des intérêts sur son paiement pour la période pendant laquelle le ministre a retenu la somme (du 27 mars 2014 au 13 mars 2015). Le ministre a refusé cette demande au motif qu’aucun intérêt n’est à payer sur une somme versée par suite d’une ordonnance conservatoire, même si cette ordonnance est par la suite annulée. M. Grenon affirme que la décision du ministre était déraisonnable et contraire à la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (voir en annexe les dispositions citées). Il me demande d’annuler la décision du ministre et d’ordonner à celui-ci de payer immédiatement les intérêts dus.

[4]               À mon avis, la décision du ministre n’était pas déraisonnable. Elle était fondée sur une interprétation justifiable des dispositions pertinentes de la Loi. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[5]               La seule question à trancher est de savoir si la décision du ministre était déraisonnable.

II.                Le cadre législatif

[6]               Lorsqu’un contribuable reçoit une cotisation, il peut s’y opposer ou en interjeter appel. Toutefois, des intérêts seront ajoutés à la cotisation sauf si le contribuable verse un paiement volontaire pendant qu’il exerce les recours à sa disposition. Pendant ce temps, le contribuable peut demander le remboursement du paiement volontaire (p. ex. pendant que son appel est en instance devant la Cour canadienne de l’impôt), conformément au paragraphe 164(1.1). Selon cette disposition, lorsqu’une personne a demandé au ministre le remboursement d’un paiement, « le ministre, si aucune autorisation n’a été accordée en application du paragraphe 225.2(2) à l’égard du montant de la cotisation, avec diligence, rembourse les sommes versées sur ce montant [...] ». Les intérêts sont payables au contribuable sur les sommes remboursées (conformément au paragraphe 164(3)).

[7]               Le renvoi au paragraphe 225.2(2) dans le paragraphe 164(1.1) est important en l’espèce, car il fait allusion à une ordonnance conservatoire. En d’autres termes, le ministre n’est pas tenu de rembourser les sommes versées par un contribuable si les sommes ont été obtenues à la suite d’une ordonnance conservatoire. L’obligation énoncée au paragraphe 164(3) de payer les intérêts ne s’appliquerait pas, car, même si les sommes perçues en exécution d’une ordonnance conservatoire peuvent être remboursées, l’obligation de le faire ne découle pas du paragraphe 164(1.1) en soi.

[8]               Si une ordonnance conservatoire est annulée, le contribuable a le droit de recouvrer les sommes qu’il a versées en application de celle-ci. Il n’existe aucune disposition particulière disposant que des intérêts doivent être payés sur ces sommes. Cependant, le juge qui annule une ordonnance peut rendre d’autres ordonnances qu’il juge appropriées dans les circonstances (paragraphes 225.2(11) et (12)).

III.             La décision du ministre de refuser de payer les intérêts était-elle déraisonnable?

[9]               M. Grenon soutient que les paragraphes 164(1.1) et 164(3) de la Loi exigent clairement du ministre qu’il paye des intérêts sur les sommes versées par un contribuable qui, comme dans son cas, s’oppose à une cotisation ou en interjette appel. Il précise que si son appel est rejeté, il devra verser des intérêts sur tout intérêt qui lui a été payé à l’égard d’un remboursement par le ministre (paragraphe 164(4)). Selon lui, cette disposition serait redondante s’il ne pouvait pas être remboursé aux termes du paragraphe 164(1.1). Pour ce qui est du renvoi au paragraphe 225.2(2) dans le paragraphe 164(1.1), M. Grenon prétend qu’il ne s’applique pas lorsqu’une ordonnance conservatoire a été annulée.

[10]           Je ne suis pas d’accord avec les observations de M. Grenon. À mon avis, l’interprétation du ministre des dispositions pertinentes était raisonnable.

[11]           Il appert clairement que le paragraphe 164(1.1) ne s’applique tout simplement pas aux sommes perçues au titre d’une ordonnance conservatoire. Le fait que M. Grenon ait déposé une objection à l’encontre de sa cotisation et qu’il en ait interjeté appel ne veut pas nécessairement dire qu’il se conforme aux termes de cette disposition, car celle-ci ne s’applique pas lorsqu’une ordonnance conservatoire a été accordée à l’égard des cotisations établies. Par conséquent, l’obligation correspondante de payer des intérêts sur des sommes remboursées aux termes du paragraphe 164(1.1) ne s’applique pas non plus à M. Grenon. Ne s’applique pas non plus la disposition (paragraphe 164(4)) qui exige que les demandeurs n’ayant pas eu gain de cause paient des intérêts sur des paiements et des intérêts aux termes du paragraphe 164(1.1). Contrairement à ce que fait valoir M. Grenon, la disposition n’est pas redondante, mais n’a tout simplement rien à voir avec sa situation.

[12]           En ce qui concerne l’autre argument de M. Grenon – c.-à-d. que l’inapplicabilité du paragraphe 164(1.1) aux sommes perçues au titre d’une ordonnance conservatoire ne peut être maintenue lorsque l’ordonnance est annulée –, j’estime que son interprétation nécessiterait d’ajouter dans la disposition des mots qui n’y apparaissent pas. En effet, M. Grenon fait valoir que l’article obligerait le ministre à rembourser un contribuable « si aucune autorisation n’a été accordée en application du paragraphe 225.2(2) ou [traduction] si une autorisation a été accordée en application du paragraphe 225.2(2), mais a par la suite été annulée (texte souligné ajouté) ».

[13]           L’interprétation de M. Grenon serait contraire à l’intention du législateur, tel qu’elle est exprimée dans la Loi, de traiter les paiements volontaires de façon plus généreuse que les paiements involontaires. Le premier peut porter intérêt, mais pas le second.

[14]           Compte tenu des éléments de preuve, il semble que M. Grenon pensait que laisser aux mains du ministre la somme perçue au titre de l’ordonnance conservatoire annulée faisait en sorte qu’elle soit considérée comme un paiement volontaire relativement aux impôts dont il était redevable, et que cette somme pouvait générer des intérêts à son crédit. En novembre 2014, après l’annulation de l’ordonnance conservatoire, il écrivit à l’ARC :

[traduction]

Je préférerais verser une somme importante imputable sur ces prétendus impôts, mais j’ai besoin de la confirmation de l’ARC que j’aurai droit, sur demande, à un remboursement avec intérêts et à tout moment, avant une décision de la Cour à l’encontre de ma personne (il s’agit d’un droit dont un contribuable peut normalement se prévaloir).

[15]           En février 2015, le ministre a répondu en affirmant que les intérêts n’étaient pas payables sur ces sommes. Le ministre a reconnu que M. Grenon avait droit d’effectuer des paiements volontaires à l’égard de nombreuses nouvelles cotisations qui faisaient encore l’objet du processus d’opposition. Toutefois, il semble que le ministre n’a jamais souscrit entièrement aux conditions que M. Grenon souhaitait fixer pour ces paiements. Les directives demandées par M. Grenon étaient admissibles, y compris la demande des intérêts énoncée ci-dessus. Comme je l’ai expliqué, aucune loi n’imposait au ministre l’obligation de satisfaire à cette demande. Les discussions entre les parties ont échoué, et en février 2015, M. Grenon a, sans équivoque, demandé un remboursement au lieu d’effectuer des paiements volontaires.

[16]           Le ministre reconnaît que M. Grenon avait droit au remboursement des sommes. Le ministre était également prêt à convertir ces sommes en paiements volontaires. Si les sommes avaient été remboursées à M. Grenon et que ce dernier avait alors effectué un paiement volontaire à l’égard de ses impôts, il aurait eu droit à des intérêts sur celles-ci pour la période durant laquelle le ministre avait les sommes en sa possession. En revanche, si M. Grenon avait donné une directive non équivoque d’effectuer des paiements volontaires, le ministre aurait été en mesure d’accepter ces paiements. Mais les faits sont différents. Après l’exécution de l’ordonnance conservatoire, le ministre a conservé les sommes jusqu’à ce qu’elles soient rendues à M. Grenon en mars 2015. M. Grenon n’a jamais effectué de paiement volontaire qui aurait déclenché l’obligation légale de payer les intérêts en vertu du paragraphe 164(3) de la Loi. À mon avis, les sommes saisies en vertu d’une ordonnance conservatoire ne peuvent pas être considérées comme des paiements volontaires de la part de M. Grenon, et ce, même si M. Grenon a pu volontairement laisser ces sommes entre les mains du ministre.

[17]           Par conséquent, je ne peux pas conclure que la décision du ministre était déraisonnable.

IV.             Conclusion et dispositif

[18]           Le ministre a raisonnablement interprété la Loi comme n’imposant aucune obligation de payer des intérêts à l’égard de sommes saisies en vertu d’une ordonnance conservatoire. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

« James W. O’Reilly »

Juge


Annexe

Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl)

Income Tax Act, RSC 1985, c 1 (5th Supplement)

Remboursement sur opposition ou appel

Repayment on objections and appeals

164 (1.1) Sous réserve du paragraphe (1.2), lorsqu’un contribuable demande au ministre, par écrit, un remboursement ou la remise d’une garantie, alors qu’il a :

164 (1.1) Subject to subsection 164(1.2), where a taxpayer

a) soit signifié, conformément à l’article 165, un avis d’opposition à une cotisation, si le ministre, dans les 120 jours suivant la date de signification, n’a pas confirmé ou modifié la cotisation ni établi une nouvelle cotisation à cet égard;

(a) has under section 165 served a notice of objection to an assessment and the Minister has not within 120 days after the day of service confirmed or varied the assessment or made a reassessment in respect thereof, or

b) soit appelé d’une cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt,

(b) has appealed from an assessment to the Tax Court of Canada,

le ministre, si aucune autorisation n’a été accordée en application du paragraphe 225.2(2) à l’égard du montant de la cotisation, avec diligence, rembourse les sommes versées sur ce montant ou remet la garantie acceptée pour ce montant, jusqu’à concurrence de l’excédent du montant visé à l’alinéa c) sur le montant visé à l’alinéa d):

and has applied in writing to the Minister for a payment or surrender of security, the Minister shall, where no authorization has been granted under subsection 225.2(2) in respect of the amount assessed, with all due dispatch repay all amounts paid on account of that amount or surrender security accepted therefor to the extent that

c) le moins élevé des montants suivants :

(c) the lesser of

(i) le total des sommes ainsi versées et de la valeur de la garantie,

(i) the total of the amounts so paid and the value of the security, and

(ii) le montant de cette cotisation;

(ii) the amount so assessed exceeds

d) le total des montants suivants :

(d) the total of


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1013-15

 

INTITULÉ :

JAMES T. GRENON c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 décembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Ronald J. Robinson

 

Pour le demandeur

 

Michael Lema

 

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald J. Robinson

Avocat

Calgary (Alberta)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-ministre et sous-procureur général

Calgary (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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