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Date : 20160217


Dossier : T-2570-14

Référence : 2016 CF 212

Ottawa (Ontario), le 17 février 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

LA DEHESA, S.A.S.

demanderesse

et

LABORATOIRE HOME INSTITUT PARIS, S.A.S.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               En vertu du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [Loi], la Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire des marques de commerce ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce qu’une inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

[2]               La présente demande d’ordonnance de modification du registre a été déposée à la Cour le 18 décembre 2014 et vise la marque de commerce « LES KARITÉS (& DESSIN) », laquelle a été enregistrée sous le numéro 617,574 le 25 août 2004 [la Marque]. Comme le permet l’article 58 de la Loi, la demanderesse a procédé par avis de demande, plutôt que par action.

[3]               Les conclusions recherchées aujourd’hui par la demanderesse se retrouvent dans son avis de demande amendé du 21 août 2015. Essentiellement, la demanderesse recherche une ordonnance de la Cour aux fins que soient modifiées ou biffées dans le dossier 1,160,756, les inscriptions de cession et de titre enregistrées en faveur de la défenderesse, de sorte que le nom de la demanderesse apparaisse dorénavant à titre de propriétaire courant de la Marque.

[4]               Le présent jugement final fait suite à l’audition qui a été tenue à Montréal le 8 février 2016. Ayant considéré les représentations écrites et orales des procureurs à la lumière des preuves admissibles et des principes de droit applicables, la Cour a décidé d’ordonner la modification du registre afin de radier le nom de la défenderesse en tant que propriétaire inscrit de la Marque, puisque les inscriptions figurant actuellement dans le dossier 1,160,756 n’expriment pas les droits existants de la demanderesse qui doit toujours être considérée comme le propriétaire courant de la Marque.

[5]               Tout d’abord, la Cour rejette toute objection de la défenderesse à l’effet que la demanderesse ne serait pas une « personne intéressée » au sens de l’article 57 de la Loi. Le registraire s’est estimé incompétent pour procéder à une modification du registre. Or, la demanderesse dont le nom apparaît actuellement au registre à titre d’ancien propriétaire de la Marque a un intérêt réel pour demander aujourd’hui à la Cour que son nom apparaisse plutôt au registre à titre de propriétaire courant de la Marque. Les arguments de la demanderesse sont bien fondés en l’espèce.

[6]               Les deux cessions de la Marque enregistrées le 1er octobre 2014 au nom de Home Institut Paris s.a.s. (changement de titre du 2 avril 2008) et de la défenderesse (changement de titre du 21 juin 2011) n’ont jamais eu lieu et ces inscriptions au registre sont fausses et trompeuses en l’espèce. Bien que le paragraphe 1 de l’attestation de cession se retrouvant au dossier du registraire et signée le 17 septembre 2014 par Me Michel-J. Lanctôt, agent, au nom de Home Institut Benelux s.a.s., ne cause pas problème – la demanderesse tirant aujourd’hui bénéfice de cet acte gratuit posé sans mandat apparent – il en va autrement des déclarations fausses ou trompeuses qui sont faites par Me Lanctôt et M. Frédéric Grange aux paragraphes 2 et 3 de l’attestation de cession et qui causent préjudice à la demanderesse.

[7]               Bien que l’affidavit daté du 5 février 2015 de M. Juan Carlos Cuellar ne soit pas admissible en preuve – parce que les conditions de réception d’un affidavit étranger en vertu des articles 53 et 54 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, et/ou des articles 52 et 53 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 ne sont pas toutes remplies – cela ne change rien au fait que l’attestation de cession complétée le 17 septembre 2014 et transmise le 23 septembre 2014 au registraire est un document hautement irrégulier dont le contenu même est en partie faux et inexact, tandis que les affirmations gratuites et non corroborées faites aux paragraphes 2 et 3 de l’attestation de cession sont contredites par les déclarations mêmes de M. Grange dans l’affidavit daté du 13 mai 2015 et les diverses pièces qui l’accompagnent.

[8]               D’une part, selon la preuve documentaire au dossier de la Cour, le 2 avril 2008, la demanderesse n’a pas cédé ses droits dans l’enregistrement de la Marque à la société Home Institut Paris s.a.s. Il est, en effet, manifeste à la lecture du contrat de licence de marque, intervenu le 2 avril 2008 entre la demanderesse et Home Institut Paris s.a.s., qu’il n’y a eu aucune cession de la Marque entre ces deux entités. Ce vice fondamental dans la cession du 2 avril 2008 dont se réclame aujourd’hui la défenderesse est déterminant et justifie la Cour d’ordonner que soient également biffées les changements de titre inscrits au registre le 1er octobre 2014 dans le dossier 1,160,756, à l’exception de la cession de la Marque intervenue le ou avant le 2 avril 2008 entre Home Institut Benelux, société anonyme de Droit Luxembourgeois, et La Dehesa s.a.s. [la demanderesse].

[9]               D’autre part, aucune preuve convaincante ou élément matériel au dossier ne permet à la Cour de conclure qu’il y a eu un changement du titre de la demanderesse ou qu’une cession de la Marque est intervenue le ou après le 2 avril 2008 par l’opération de la loi – notamment le 21 juin 2011 – comme le prétend la défenderesse, de sorte que le propriétaire courant de la Marque est toujours la demanderesse. Le droit étranger n’a pas été mis en preuve devant cette Cour. Les décisions et les jugements rendus à l’étranger qu’allègue la défenderesse à la suite de la procédure de redressement judiciaire (insolvabilité) visant Home Institut Paris s.a.s. ne constituent pas une cession de la Marque et ne sont pas opposables à la demanderesse, et ce, même s’il semble que le contrat de licence de marque du 2 avril 2008 a pu être cédé à la défenderesse.

[10]           En clair, la poursuite du contrat de licence après le 21 juin 2011 et l’exécution ou non, pendant la durée dudit contrat, par la défenderesse – le licencié – de ses obligations contractuelles envers la demanderesse – le concédant – n’ont aucun effet juridique au Canada sur le titre de propriété de la Marque du concédant. Il n’appartient pas à cette Cour de se prononcer, dans le cadre d’une demande de modification du registre, sur la légalité de la résiliation – le 15 mars 2012 ou à une date ultérieure – du contrat de licence de marque du 2 avril 2008, qui est lui-même régi par la Loi française.

[11]           Compte tenu du résultat, la demanderesse aura droit à ses dépens, incluant les dépens qui ont pu être accordés à la demanderesse avant la date du présent jugement et qui pourront également être taxés avec les dépens et débours taxables accordés aujourd’hui par la Cour.

[12]           Tant dans son avis de demande du 18 décembre 2014 que dans son avis de demande amendé du 21 août 2015, la demanderesse prie la Cour de lui accorder les dépens, sur la base avocat-client. Toutefois, après avoir considéré l’ensemble du dossier et les représentations des parties, la Cour refuse d’accorder cette dernière demande. En effet, compte tenu du caractère sommaire des présentes procédures et du fait qu’aucun témoin n’a été entendu devant la Cour, considérant également qu’il existe toujours un contentieux entre les parties relativement à la résiliation unilatérale du contrat de licence et à ses effets juridiques, j’estime qu’il n’est pas opportun d’exprimer aujourd’hui un jugement quelconque concernant le comportement des parties avant la date de l’institution des présentes procédures. D’ailleurs, certaines allégations d’inconduite antérieure que se font mutuellement les deux parties semblent relever de la compétence d’autres instances. C’est notamment le cas des reproches formulés par la demanderesse à l’endroit du procureur de la défenderesse au sujet de l’attestation de cession fournie en septembre 2014 au registraire. Enfin, je ne suis pas satisfait que la conduite de la défenderesse dans la présente instance, depuis le 18 décembre 2014, soit répréhensible, scandaleuse ou outrageante.


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande présentée par la demanderesse en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 ET ORDONNE que les inscriptions suivantes du registre des marques de commerce dans le dossier 1,160,756 à l’égard de la marque de commerce « LES KARITÉS (& DESSIN) » [la Marque] soient modifiées ou biffées de façon :

a)         à radier le nom de Laboratoires Home Institut Paris s.a.s. à titre de propriétaire courant de la Marque;

b)         à radier le changement du titre et la cession (2 avril 2008) entre La Dehesa s.a.s. et Home Institut Paris s.a.s.;

c)         à radier le changement du titre et la cession (21 juin 2011) entre Home Institut Paris s.a.s. et Laboratoires Home Institut Paris s.a.s.;

d)        à radier le nom de La Dehesa s.a.s. à titre d’ancien propriétaire de la Marque; et

e)         à ajouter le nom de La Dehesa s.a.s. à titre de propriétaire courant de la Marque.


LE TOUT AVEC DÉPENS en faveur de la demanderesse, la demande de la demanderesse à l’effet que les dépens lui soient accordés sur la base avocat-client étant refusée par la Cour. Les dépens qui ont pu être accordés à la demanderesse avant la date du présent jugement pourront également être taxés avec les dépens et débours taxables accordés aujourd’hui par la Cour.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2570-14

 

INTITULÉ :

LA DEHESA, S.A.S. c LABORATOIRE HOME INSTITUT PARIS, S.A.S.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Rachid Benmokrane

Me Geneviève St-Cyr Larkin

 

Pour la demanderesse

Me Michel-J. Lanctôt

 

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brouillette & Associés, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

Lanctôt & Associés

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

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