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Date : 20160107


Dossiers : T-382-15

T-383-15

Référence : 2016 CF 20

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

Dossier : T-382-15

ENTRE :

KABUSHIKI KAISHA MITSUKAN GROUP HONSHA

demanderesse

et

SAKURA-NAKAYA ALIMENTOS LTDA.

défenderesse

Dossier : T-383-15

ET ENTRE :

KABUSHIKI KAISHA MITSUKAN GROUP HONSHA

demanderesse

et

SAKURA-NAKAYA ALIMENTOS LTDA.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’appels interjetés à l’encontre de deux décisions, rendues par le registraire des marques de commerce – Commission des oppositions des marques de commerce – (le registraire), datées du 30 décembre 2014, rejetant l’opposition de Kabushiki Kaisha Mitsukan Group Honsha (la demanderesse) à l’enregistrement du mot servant de marque SAKURA (demande nº 1 520 586) et du dessin de marque SAKURA ET DESSIN (demande nº 1 520 821) par Sakura-Nakaya Alimentos Ltda. (la défenderesse). Puisque les faits sont les mêmes dans les deux demandes, les deux appels seront entendus simultanément en l’espèce. Les appels sont interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi).

[2]               Bien qu’elle ait envoyé une lettre pour informer la Cour de son intention de prendre part aux présents appels, la défenderesse n’a déposé aucun dossier et n’a pas assisté à l’audience. Dans une lettre datée du 20 novembre 2015 (trois jours avant la tenue de l’audience), la défenderesse a fait savoir que les parties avaient entrepris des négociations en vue d’un règlement, et a demandé à la Cour d’en tenir compte au moment de prononcer son jugement en l’espèce. À la fin de l’audience ex parte le 23 novembre 2015, la Cour, convaincue que la demanderesse ne s’opposait pas à la demande de la défenderesse, a indiqué aux parties qu’aucune décision ne serait rendue en l’espèce avant le 23 décembre 2015.

[3]               Comme la Cour n’a reçu aucune autre communication de la part des parties au sujet des négociations, elle est prête à rendre son jugement dans les deux appels.

II.                Contexte

[4]               Les 24 et 25 mars 2011, la défenderesse a déposé des demandes d’enregistrement pour, respectivement, l’emploi proposé du mot servant de marque SAKURA et du dessin de marque SAKURA ET DESSIN (les marques de commerce) en association avec des sauces et condiments, à savoir la sauce au soya, la sauce au poivre, la sauce teriyaki (sauce orientale à base de sauce au soya), la sauce barbecue, la sauce Worcestershire, la sauce aigre-douce et la sauce à l’ail.

[5]               Le 19 juin 2012, la demanderesse, une entreprise japonaise, a déposé une déclaration d’opposition à l’encontre de l’enregistrement des deux marques de commerce. La demanderesse a affirmé qu’à la date du dépôt des demandes faisant l’objet d’une opposition, de même qu’à toute date pertinente, la marque de commerce SAKURA déposée par la défenderesse prêtait à confusion avec une marque de commerce, à savoir SAKURA, que la demanderesse ou son distributeur titulaire d’une licence pour le marché nord-américain, Mizkan Americas Inc (Mizkan), avait employé ou avait fait connaître au Canada pour du vinaigre ou des produits de même nature que les produits visés par les demandes faisant l’objet d’une opposition. Par conséquent, la demanderesse a soutenu que la demande faisant l’objet d’une opposition devrait être refusée, en vertu des alinéas 38(2)c) et 16(3)a) de la Loi. La demanderesse a également fait valoir que la marque de commerce SAKURA déposée par la défenderesse n’était pas distinctive, au sens de l’article 2 de la Loi.

[6]               L’opposition de la demanderesse à l’enregistrement des marques de commerce a été rejetée par le registraire, au motif que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau initial de produire suffisamment d’éléments de preuve admissibles pour qu’il soit raisonnablement possible de conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition.

[7]               En ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a) de la Loi, le registraire a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé que la marque de commerce alléguée SAKURA était employée ou connue au Canada avant le 25 mars 2011 (la date pertinente). À cet égard, le registraire a fait remarquer que parmi les douzaines de copies de commandes et d’échantillons de factures qui ont été déposées par la demanderesse pour étayer le présent motif d’opposition, seulement trois dataient d’avant la date pertinente, et que ces trois documents ont été envoyés par Mizkan à des entreprises ayant une adresse au Canada pour la vente du produit « 4.2% Sakura Rice Vgr Label: Mitsukan ». Bien que le registraire ait déterminé que les échantillons de factures corroborent les affirmations de la demanderesse selon lesquelles son vinaigre était vendu au Canada avant la date pertinente, il a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que les factures étaient associées aux produits au moment du transfert de propriété ou de possession. Par conséquent, le registraire a conclu que les seuls éléments de preuve pouvant démontrer que la demanderesse employait la marque de commerce SAKURA en association avec son vinaigre, au sens du paragraphe 4(1) de la Loi, étaient les étiquettes apposées sur les caisses contenant le vinaigre SAKURA. Or, puisque les étiquettes ne précisaient pas que la demanderesse était propriétaire de la marque de commerce SAKURA, le registraire devait déterminer si un contrat de licence, au sens du paragraphe 50(1) de la Loi, avait été conclu entre la demanderesse et Mizkan.

[8]               Pour étayer son affirmation selon laquelle il existait un contrat de licence entre Mizkan et la demanderesse, la demanderesse a présenté un document intitulé « Confirmatory License » (licence confirmatoire). À la suite de son analyse de ce document, le registraire a déterminé que puisque le contrat de licence n’avait été conclu que le 13 décembre 2011, sans référence à des événements passés ou à des contrats antérieurs, l’emploi de la marque de commerce SAKURA par Mizkan avant le 13 décembre 2011 n’a pas profité à la demanderesse.

[9]               Par conséquent, le registraire a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau initial de démontrer que sa marque de commerce SAKURA était déjà employée ou connue au Canada avant la date pertinente, en vertu de l’alinéa 16(3)a) de la Loi.

[10]           En ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’article 2 de la Loi, le registraire a conclu que la seule preuve d’emploi qui pourrait profiter à la demanderesse était l’emploi par Mizkan entre la date d’entrée en vigueur du contrat de licence (le 13 décembre 2011) et la date pertinente pour le présent motif d’opposition, qui est considérée comme la date de production de la déclaration d’opposition (à savoir, le 19 juin 2012).

[11]            Or, compte tenu du faible volume de ventes à un seul client au Canada et de la période d’emploi relativement brève au sens de l’article 50 de la Loi, le registraire n’était pas convaincu que la présumée marque de commerce SAKURA était devenue suffisamment connue pour faire perdre à la marque de commerce SAKURA proposée par la défenderesse son caractère distinctif au Canada en date du 19 juin 2012.

[12]           La demanderesse ne conteste pas les conclusions du registraire. Cependant, s’appuyant sur la preuve qu’elle a déposée devant la Cour, la demanderesse affirme qu’elle a corrigé les lacunes cernées par le registraire et que cette preuve additionnelle aurait donc influencé sensiblement les conclusions tirées par ce dernier. Plus particulièrement, la demanderesse fait valoir que la preuve, à savoir la déclaration solennelle de Koji Nozawa, directeur du marketing chez Mizkan, démontre que son emploi de la marque de commerce SAKURA avait en tout temps respecté les exigences prévues à l’article 50 de la Loi depuis 1998, soit depuis bien avant les 24 et 25 mars 2011, dates auxquelles la défenderesse avait déposé des demandes d’enregistrement.

[13]           La demanderesse soutient que la Cour devrait tenir compte de cette nouvelle preuve, puisque la déclaration solennelle de M. Nozawa démontre que Mizkan est une filiale de la demanderesse qui agit à titre de distributeur des produits de celle-ci en Amérique du Nord. M. Nozawa a également expliqué que le document « Confirmatory License » signé par la demanderesse et par Mizkan avait été rédigé dans le but de confirmer l’existence d’un contrat de licence verbal que les deux entreprises avaient conclu plus tôt et qui était en vigueur au moins depuis 1998 et jusqu’au 13 décembre 2011.

[14]           La demanderesse affirme que le témoignage de M. Nozawa démontre qu’elle s’est acquittée de son fardeau de prouver que la marque de commerce SAKURA avait été employée au Canada en vertu d’une licence, conformément à l’article 50 de la Loi, avant le 25 mars 2011 et par la suite. Par conséquent, la demanderesse demande à la Cour de refuser les marques de commerce de la défenderesse, puisque la nouvelle preuve démontre que la demanderesse a déjà employé la marque de commerce SAKURA et que celle-ci prête à confusion avec les marques de commerce de la défenderesse.

[15]           Comme il a été indiqué précédemment, la preuve déposée par la demanderesse pour étayer ses appels interjetés à l’encontre des décisions du registraire n’a pas été contestée par la défenderesse.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[16]           À mon avis, les deux questions suivantes sont soulevées en l’espèce :

  1. Il s’agit de déterminer si la nouvelle preuve présentée par la demanderesse devant la Cour aurait influencé sensiblement les conclusions tirées par le registraire selon lesquelles l’emploi de la marque de commerce SAKURA par Mizkan avant le 11 décembre 2012 n’a pas profité à la demanderesse.
  2. Dans l’affirmative, il s’agit de déterminer si les marques de commerce SAKURA des parties prêtent à confusion.

[17]           En règle générale, les questions de fait ou de droit qui relèvent de l’expertise du registraire peuvent être examinées par rapport à la norme de caractère raisonnable. Autrement dit, la Cour n’interviendra que s’il est clair que le registraire a rendu une décision erronée; voir la décision Chypre (Commerces et Industries) c. Les Producteurs Laitiers du Canada, 2010 CF 719, au paragraphe 28, 393 FTR 1 [Producteurs Laitiers du Canada] et la décision Restaurants la Pizzaiolle inc. c. Pizzaiolo Restaurants inc., 2015 CF 240, au paragraphe 40).

[18]           Au sens du paragraphe 56(5) de la Loi, la norme de contrôle de la décision raisonnable peut laisser place à la norme de la décision correcte lorsqu’une preuve additionnelle est présentée devant la Cour. En pareil cas, la Cour peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi et en arriver à sa propre conclusion. Cependant, comme l’a expliqué le juge Yves de Montigny, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans Producteurs Laitiers du Canada, il n’en ira ainsi que si la nouvelle preuve est pertinente dans la mesure où elle comble une lacune ou remédie à des déficiences identifiées par le registraire ou qu’elle ajoute substantiellement à ce qui a déjà été soumis. Par contre, dans l’hypothèse où cette nouvelle preuve ne serait que répétitive et ne bonifierait pas la force probante de la preuve déjà soumise, la norme de la décision raisonnable continuera de s’appliquer (voir Producteurs Laitiers du Canada, au paragraphe 28; voir aussi la décision Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (C.A.), [2000] 3 C.F. 145, au paragraphe 51).

[19]           La jurisprudence de la Cour indique clairement que la nouvelle preuve ne peut écarter la norme déférente de la décision raisonnable que s’il peut être démontré qu’elle a influencé sensiblement les conclusions de fait tirées par le registraire ou la façon dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire (décision Hawke & Company Outfitters LLC c. Retail Royalty Company, 2012 CF 1539, au paragraphe 31, 424 FTR 164 [Retail Royalty Co]). Autrement dit, une preuve « qui ne fait que compléter ou confirmer des conclusions antérieures ou qui se rapporte à des faits postérieurs à la date pertinente ne suffit pas pour écarter » le fardeau. En outre, « le critère est un critère de qualité et non de quantité »; voir la décision Conseil canadien des ingénieurs professionels c. APA – Engineered Wood Assn., au paragraphe 36, et la décision Wrangler Apparel Corporation c. Timberland Company, 2005 CF 722, au paragraphe 7, 272 FTR 270.

[20]           Si la nouvelle preuve présentée par la demanderesse est jugée importante, le rôle de la Cour consiste alors à « décider la question au mérite à partir des éléments de preuve » dont elle dispose; voir l’arrêt Maison Cousin (1980) inc. c. Cousins Submarines inc., 2006 CAF 409, au paragraphe 4, [arrêt Maison Cousin] et l’arrêt Accessoires d’Autos Nordiques Inc. c. Société Canadian Tire Limitée, 2007 CAF 367, au paragraphe 30. Bien que la Cour hésite habituellement à substituer sa propre décision à celle du registraire, si elle dispose d’éléments de preuve que le registraire n’a pas pris en considération « la Cour considérera généralement cette affaire comme s’il s’agissait d’un procès de novo et peut renverser la décision du registraire si la nouvelle preuve l’exige »; voir la décision Cordon Bleu International Ltd. c. Renaud Cointreau & Cie, au paragraphe 23. À cet égard, la Cour n’a aucune obligation de réserve face à la décision du délégué. Elle doit plutôt décider la cause à partir des éléments de preuve dont elle dispose, et des règles de droit qui s’y appliquent (Maison Cousin, précité, au paragraphe 7).

[21]           La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé ce principe dans l’arrêt Cathay Pacific Airways Limited c. Air Miles International Trading B.V., 2015 CAF 253, au paragraphe 15 :

[15] La Cour suprême a défini ainsi les effets de l’article 56 dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, au paragraphe 35 :

[...] Lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l’affaire comme s’il s’agissait d’une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1987] A.C.F. nº 849 (QL) (C.A.)). L’article 56 laisse croire que le législateur voulait qu’il soit procédé à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion. [...]

IV.             Analyse

A.                La nouvelle preuve présentée devant la Cour par la demanderesse aurait-elle influencé sensiblement les conclusions tirées par le registraire?

[22]           Comme il a été mentionné précédemment, la principale question en l’espèce consiste à déterminer si la nouvelle preuve présentée par la demanderesse démontre qu’un contrat de licence avait été conclu entre cette dernière et Mizkan avant la date pertinente, et si la demanderesse exerce un contrôle direct ou indirect sur les caractéristiques ou la qualité des produits distribués par Mizkan et qui sont vendus en association avec la marque de commerce SAKURA. Pour les motifs suivants, j’estime que la demanderesse s’est acquittée de ce fardeau.

[23]           La partie pertinente de l’article 50 de la Loi se lit comme suit :

50. (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial — ou partie de ceux-ci — ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

50. (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade-mark to use the trade-mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the goods or services, then the use, advertisement or display of the trade-mark in that country as or in a trade-mark, trade-name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade-mark in that country by the owner.

[24]           Il est bien établi que pour se conformer aux exigences prévues au paragraphe 50(1) de la Loi, un demandeur doit démontrer qu’il avait conclu un contrat de licence avec le titulaire de licence avant la date pertinente et que le concédant « contrôle directement ou indirectement les caractéristiques et la qualité des [produits] »; voir la décision Fairweather Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1248, aux paragraphes 51 et 52, 301 FTR 263, conf. par 2007 CAF 376 et la décision Wells’ Dairy Inc. c. U L Canada Inc., au paragraphe 42, (Wells’ Dairy). Aucune preuve de contrat de licence formel n’est nécessaire pour prouver l’existence d’un contrat de licence aux termes de l’article 50 de la Loi (décision 3082833 Nova Scotia Company c. Lang Michener LLP, 2009 CF 928 [Nova Scotia]; Wells’ Dairy, précitée, au paragraphe 38; TGI Friday’s of Minnesota Inc. c. Canada (Registrar of Trade Marks), [1999] 241 NR 362, sub nom Lindy v Canada (Registrar of Trade Marks), au paragraphe 9, 88 ACWS (3d) 201. Le juge Kelen a déclaré ce qui suit dans Nova Scotia, au paragraphe 32 :

[32] […] L’existence d’un contrat de licence peut s’inférer des faits [et] [...] [i]l n’est pas nécessaire que la licence soit octroyée par écrit (Cushman & Wakefield, Inc. c. Wakefield Realty Corp., 2004 CF 210, 247 F.T.R. 180, au paragraphe 56). Toutefois, le fait qu’il existe une forme de contrôle entre les sociétés de la requérante ne permet pas en soi d’établir que l’emploi de la marque de commerce était contrôlé et d’en déduire qu’un contrat de licence existait (Cheung Kong (Holdings) Ltd. c. Living Realty Inc., [2000] 2 C.F. 501, 179 F.T.R. 161, aux paragraphes 44 et 45). Le contrôle doit être démontré.

[25]           Dans la décision Empresa Cubana Del Tabaco (Sociale Cubatabaco) c. Shapiro Cohen, 2011 CF 102, 383 FTR 164, le juge Kelen a expliqué, au paragraphe 84, les trois manières dont le contrôle peut être démontré :

[84] Il y a, pour le propriétaire inscrit d’une marque de commerce, essentiellement trois manières de démontrer l’effectivité de son contrôle afin de bénéficier de la présomption du paragraphe 50(1) de la Loi :

1. il peut explicitement affirmer sous serment qu’il exerce effectivement le contrôle prévu : voir, par exemple, Mantha & Associés/Associates c. Central Transport Inc. (1995), 64 C.P.R. (3d) 354 (C.A.F.), par. 3;

2. il peut produire des preuves démontrant qu’il exerce effectivement le contrôle nécessaire : voir, par exemple, Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, par. 3 à 6;

3. il peut produire une copie du contrat de licence qui prévoit expressément l’exercice d’un tel contrôle.

[26]           J’estime que l’affidavit de M. Nozawa déposé devant la Cour fait partie de la première des catégories susmentionnées, puisque M. Nozawa fait la déclaration sous serment suivante :

[traduction] En vertu de la licence verbale visant la marque de commerce SAKURA qui était en vigueur au moins depuis 1998 jusqu’au 13 décembre 2011 et qui couvrait également le Canada, [...] [la demanderesse] était responsable du contrôle de la qualité de tous les biens produits par Mizkan qui ont été vendus sous la marque de commerce SAKURA pendant cette période.

[27]           À mon avis, et en l’absence de toute contre-preuve ou de réfutation de la part de la défenderesse, l’affidavit de M. Nozawa constitue une preuve non contredite selon laquelle la demanderesse exerce un contrôle de la qualité des vinaigres de riz distribués par Mizkan et contenus dans les caisses sur lesquelles sont apposées les étiquettes indiquant la marque de commerce SAKURA. J’estime également que compte tenu du témoignage non contredit de M. Nozawa et du dossier dont dispose la Cour, on peut déduire qu’un contrat de licence verbal a été conclu entre la demanderesse et Mizkan et que le document contractuel intitulé « Confirmatory License » conclu entre les parties a été signé pour confirmer l’existence de leur contrat de licence verbal.

[28]           Ainsi, la nouvelle preuve présentée par la demanderesse permet de combler les lacunes cernées par le registraire, à savoir que le témoignage de M. Nozawa démontre que l’emploi de la marque de commerce SAKURA a profité à la demanderesse depuis au moins 1998, et qu’elle aurait influencé sensiblement la décision du registraire selon laquelle la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve initial, conformément au paragraphe 16(3) de la Loi.

[29]           Comme l’a expliqué le registraire, la demanderesse doit s’acquitter du fardeau de preuve initial de démontrer que sa marque de commerce SAKURA était employée ou connue au Canada avant la date pertinente et qu’elle n’avait pas été abandonnée à la date du dépôt de chacune des demandes; voir la décision Joseph Seagram & Sons Ltd v Seagram Real Estate Ltd, [1984] 3 CPR (3d) 325, au paragraphe 5, TMOB no 69, et l’arrêt John Labatt Ltd v Molson Companies Limited, [1990] 30 CPR (3d) 293, au paragraphe 36, 36 FTR 70.

[30]           Pour démontrer l’emploi antérieur, la demanderesse a fourni deux documents censés attester des commandes de vinaigre de marque SAKURA datées de 1999 et 2012 ainsi qu’un certain nombre d’échantillons de factures. Bien que les commandes indiquent que du vinaigre de marque SAKURA a été vendu au Canada au moins depuis le 21 décembre 1999, j’estime qu’elles ne constituent pas une preuve convaincante que la demanderesse vendait du vinaigre SAKURA au Canada en vertu d’un contrat de licence verbal conclu avec Mizkan, puisque ni le nom de cette entreprise ni celui de la demanderesse ne figurent sur ces documents.

[31]           Par contre, le registraire a tiré une conclusion de fait selon laquelle les échantillons de factures étayent les affirmations de M. Nozawa indiquant que le vinaigre de la demanderesse a été vendu au Canada avant la date pertinente. Parmi les échantillons de factures fournis, seuls les trois premiers permettent de démontrer un emploi antérieur, puisque les autres factures datent d’après la date pertinente. Ces trois factures indiquent que depuis le 19 juillet 2010, Mizkan a vendu au Canada 240 caisses de vinaigre de la demanderesse sur lesquelles était apposée l’étiquette SAKURA, dont le total des ventes s’élevait à 4 172 $. Étant donné qu’il existe une preuve des ventes et que la demanderesse a démontré que la marque de commerce SAKURA figurait sur les caisses contenant sa marchandise au moment du transfert de celle-ci, conformément au paragraphe 4(1) de la Loi, je suis convaincu que la demanderesse s’est acquittée de son fardeau de preuve initial de démontrer l’emploi antérieur de la marque de commerce SAKURA (décision Aerosol Fillers Inc (1980) v Plough (Canada) Ltd, [1981] 1 FC 679, au paragraphe 11, 5 ACWS (2d) 317, et décision Playboy Enterprises Inc v Germain, [1988] 1 FC 163, au paragraphe 13, 13 FTR 178).

[32]           En outre, la preuve acceptée par le registraire démontre que la demanderesse n’avait pas abandonné la marque de commerce SAKURA avant la date pertinente du 19 juin 2012. À cet égard, le registraire a conclu qu’entre le 13 décembre 2011, soit la date de la signature du contrat de licence confirmatoire, et le 19 juin 2012, Mizkan a vendu 120 caisses de vinaigre SAKURA, ce qui représente des ventes totales d’environ 2 300 $.

[33]           Puisque je conclus que la demanderesse s’est acquittée de son fardeau de preuve initial, conformément à l’alinéa 16(3)a) de la Loi, et que la marque n’a pas été abandonnée, je dois déterminer si la marque de commerce SAKURA de la demanderesse prête à confusion avec les marques de commerce de la défenderesse.

B.                 Les marques de commerce SAKURA des parties prêtent-elles à confusion?

[34]           Le critère en matière de confusion est établi au paragraphe 6(5) de la Loi, qui est libellé comme suit :

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

[…]

[…]

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[35]           Comme je l’ai expliqué dans Pizzaiolle, précitée, le critère en matière de confusion est appliqué dans l’optique du consommateur moyen. Comme je l’ai dit au paragraphe 54 de cette décision :

[54] […] pour déterminer s’il y a confusion entre deux marques de commerce, l’une que l’on cherche à faire enregistrer et une autre déjà enregistrée ou employée antérieurement, l’on doit se demander si, comme première impression dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé, la vue de la marque dont on cherche à obtenir l’enregistrement est susceptible de donner l’impression, alors qu’il n’a qu’un souvenir vague de la marque déjà enregistrée ou employée antérieurement et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les deux marques, que les marchandises ou services liés à ces marques sont fabriqués, vendus ou fournis, selon le cas, par la même personne (Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 RCS 824 [Veuve Clicquot Ponsardin] au para 20; Masterpiece, précitée, au para 40; et Miss Universe, Inc c Bohna, [1995] 1 CF 614 (QL) [Miss Universe] aux para 10-11).

[36]           En règle générale, le fardeau de démontrer qu’il n’existe aucune confusion entre les marques appartient au demandeur (Pizzaiolle, au paragraphe 57). En l’espèce, puisque la défenderesse n’a déposé aucun document devant la Cour, j’ai examiné les observations qu’elle a présentées au registraire.

[37]           En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent de la marque de commerce SAKURA, je partage l’avis de la demanderesse selon lequel les marques des deux parties comportent le même mot étranger et possèdent à peu près le même degré de caractère distinctif inhérent. Par conséquent, il s’agit d’un facteur neutre.

[38]           En ce qui concerne la période depuis laquelle chaque marque est employée, puisque la marque de la défenderesse est une marque de commerce à emploi projeté, elle n’a jamais été employée au Canada. Comme je l’ai mentionné précédemment, la preuve laisse croire que la marque de commerce de la demanderesse est employée au Canada au moins depuis le 19 juin 2010. Ce facteur est en faveur de la demanderesse.

[39]           Pour ce qui est de la nature des marchandises, la demanderesse affirme que les activités des parties se chevauchent, puisque celles-ci vendent toutes les deux des produits alimentaires de même catégorie, à savoir des condiments qui rehaussent le goût des aliments. La défenderesse a toutefois affirmé devant le registraire que bien que les marchandises correspondent à des produits alimentaires, leurs descriptions diffèrent clairement, en particulier du fait que le vinaigre ne figure pas dans la liste de marchandises de la défenderesse. J’estime que ce facteur est en faveur de la demanderesse, puisque même si la défenderesse ne vend pas de vinaigre, les vinaigres et les sauces appartiennent au même type de catégorie de produits alimentaires, et les marchandises des deux parties pourraient donc être vendues par les mêmes voies de commercialisation et, éventuellement par les mêmes détaillants (Beavertails Brands Inc c. 465708 Ontario Inc, 2014 COMC 90, au paragraphe 36).

[40]           En ce qui concerne la nature du commerce, la Cour suprême du Canada a estimé que la Cour devait considérer « ce que fait l’intimée mais aussi ce que celle-ci pourrait faire, compte tenu de l’absence de restrictions dans l’enregistrement de sa marque de commerce » (Masterpiece, précitée, au paragraphe 53; voir aussi Maison Cousin, précité, au paragraphe 15). Puisque l’enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse ne comporte aucune restriction en l’espèce, les produits de marque SAKURA de la défenderesse pourraient être vendus dans les mêmes points de vente au détail que ceux où sont vendus les produits de la demanderesse. Par conséquent, je conviens que ce facteur est en faveur de la demanderesse.

[41]           J’estime que le degré de ressemblance est élevé, puisque les deux marques partagent le mot SAKURA. La Cour suprême a affirmé ce qui suit dans Masterpiece, au paragraphe 49 :

[49] [...] le degré de ressemblance [est] le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion, et ce même s’il est mentionné en dernier lieu au par. 6(5) (K. Gill et R. S. Jolliffe, Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 8-54; R. T. Hughes et T. P. Ashton, Hughes on Trade Marks (2e éd. (feuilles mobiles)), §74, p. 939). Comme le souligne le professeur Vaver, si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire. En effet, ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires (Vaver, p. 532). En conséquence, certains prétendent que, dans la plupart des cas, l’étude de la ressemblance devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion (ibid.).

[42]           En raison du degré de ressemblance élevé entre les marques, et comme les autres facteurs sont en faveur de la demanderesse, à l’exception du facteur neutre, j’estime que le critère en matière de confusion favorise la demanderesse.

[43]           Par conséquent, l’appel est accueilli et la décision du registraire est annulée. La défenderesse n’est pas autorisée à enregistrer ses marques de commerce associées aux demandes nos 1 520 586 et 1 520 821.

[44]           Étant donné que la demanderesse s’est acquittée de son fardeau de preuve initial conformément à l’alinéa 16(3)a) de la Loi, je n’ai pas à examiner les motifs d’opposition fondés sur l’article 2 de la Loi, puisque la demanderesse ne doit soulever qu’une question sérieuse pour décision, conformément aux paragraphes 38(4) et 38(4) de la Loi (voir également l’arrêt Shell Canada Ltd c. P.T. Sari Incofood Corporation, 2005 CF 1040, au paragraphe 4, infirmé pour d’autres motifs, 2008 CAF 279.

[45]           Comme les appels en l’espèce ont été interjetés en vue de corriger les lacunes cernées par le registraire dans la preuve présentée par la demanderesse pour étayer son opposition aux demandes d’enregistrement de la défenderesse, et non pas pour annuler une erreur commise par le registraire, la demanderesse assumera les dépens à l’égard des présents appels.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  Les appels interjetés dans les dossiers de la Cour T-382-15 et T-383-15 sont accueillis.

2.                  Les décisions rendues par le registraire des marques de commerce en date du 30 décembre 2014 rejetant l’opposition de la demanderesse à l’encontre des demandes nos 1 520 586 et 1 520 821 visant l’enregistrement des marques de commerce SAKURA et SAKURA ET DESSIN, respectivement, sont annulées.

3.                  Les demandes nos 1 520 586 et 1 520 821 visant l’enregistrement de marques de commerce SAKURA et SAKURA ET DESSIN, respectivement, sont rejetées.

4.                  Le registraire des marques de commerce doit exécuter la présente ordonnance.

5.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

T-382-15 ET T-383-15

 

DOSSIER :

T-382-15

INTITULÉ :

KABUSHIKI KAISHA MITSUKAN GROUP HONSHA c. SAKURA-NAKAYA ALIMENTOS LTDA.

ET DOSSIER :

T-383-15

INTITULÉ :

KABUSHIKI KAISHA MITSUKAN GROUP HONSHA c. SAKURA-NAKAYA ALIMENTOS LTDA.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 novembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

Le 7 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS :

LE 13 JANVIER 2016

COMPARUTIONS :

Barry Gamache

Pour la demanderesse

Aucune comparution

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROBIC, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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