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Date : 20151218


Dossiers : T-291-14

T-1481-14

Référence : 2015 CF 1392

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2015

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

CALIAN LTD.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

défendeurs

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

IDENTIQUES À LA VERSION CONFIDENTIELLE DÉJÀ PRONONCÉE

[1]               La Cour est saisie d’un recours en révision, présenté par Calian Ltd. [la demanderesse ou Calian] en application de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la Loi], visant deux décisions, essentiellement identiques, par lesquelles le ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada [TPSGC] a refusé d’expurger des parties de documents d’entreprise confidentiels de la demanderesse conformément à la Loi. À l’exception des expurgations demandées, la demanderesse consent à la communication de ces documents.

[2]               À mon avis, il y a lieu de faire droit à la présente demande, et ce, pour deux raisons. Premièrement, les taux relatifs au personnel de la demanderesse, que le responsable de l’institution a refusé d’expurger, devraient être considérés comme visés par les exceptions prévues aux alinéas 20(1)c) et d) de la Loi. Deuxièmement, le responsable de l’institution a commis une erreur en n’envisageant pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 20(5) de la Loi, omettant ainsi de s’acquitter de l’obligation que la loi lui impose. En conséquence, les deux décisions en litige sont infirmées et renvoyées en vue d’une nouvelle décision.

I.                   Les faits

[3]               La demanderesse est une entreprise établie à Ottawa. Sa Division des services d’affaires et de technologie fournit des services de placement souples, à court et à long terme, de professionnels hautement spécialisés et d’autres chercheurs, tels que des ingénieurs, des spécialistes en technologies de l’information et des consultants en soins de santé. Cette division complète les effectifs de ses clients d’un bout à l’autre du Canada et aux quatre coins du globe en fournissant des services de placement, à court et à long terme, de divers professionnels, comme des ingénieurs, des spécialistes en technologies de l’information et des professionnels des soins de santé. Une part importante des activités de la demanderesse est liée à la fourniture de services de personnel au gouvernement du Canada.

[4]               Le 4 septembre 2009, TPSGC a lancé une demande d’offre à commandes [DOC] pour le recrutement d’adjoints en recherche au Collège militaire royal [CMR]. Le CMR, université militaire nationale du Canada, est situé à Kingston (Ontario). Il a entre autres pour mission de fournir des services de recherche au ministère de la Défense nationale [MDN] ainsi qu’à d’autres ministères. La DOC exigeait des soumissionnaires qu’ils indiquent les taux relatifs au personnel ou prix unitaires [les taux relatifs au personnel] pour chaque catégorie de main-d’œuvre ou type de spécialiste qu’ils fourniraient. Les taux relatifs au personnel dans chacune des nombreuses catégories de services devaient être rajustés chaque année pendant les cinq années que durerait le contrat accordé à la suite de la DOC. Celle‑ci obligeait également les soumissionnaires à se conformer à diverses clauses.

[5]               La demanderesse a présenté une offre en réponse à la DOC. Le 30 novembre 2009, elle a remporté la soumission et s’est vue accorder l’offre à commandes W0046-08001/001/TOR [l’offre à commandes 2010-14] en vue du « recrutement d’adjoints en recherche ». La demanderesse est donc devenue le fournisseur exclusif de personnel de recherche spécialisé au CMR pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014.

[6]               Il s’agissait du troisième approvisionnement concurrentiel pour lequel la demanderesse soumissionnait et qu’elle remportait pour recruter des adjoints en recherche au CMR, ayant déjà remporté des offres à commandes lancées en 1997 ainsi qu’en 2002 [l’offre à commandes 2003‑09].

[7]               La soumission que la demanderesse a remportée dans le cadre de l’offre à commandes 2010-14 contenait des taux relatifs au personnel qui s’appliquaient à un vaste éventail de domaines spécialisés et techniques, dont des spécialistes en contre-terrorisme, en science et génie de l’environnement, en science et génie nucléaires, en communication, en acoustique sous-marine, en matériaux techniques avancés, en recherche opérationnelle ainsi qu’en modélisation et en simulations mathématiques.

[8]               La complexité des services de recherche requis par le CMR est établie en fonction des études et de l’expérience attendues de la part du personnel que Calian doit recruter. Le MDN a estimé que près du tiers de ces personnes devaient détenir une maîtrise ou un doctorat, et qu’une sur dix devrait détenir un doctorat et avoir produit sous son nom plus d’une vingtaine de publications pertinentes. Calian est obligée de tenir une liste de candidats qualifiés et, sur demande, d’entreprendre des recherches à l’échelle nationale et internationale en vue de trouver de tels candidats. L’énoncé des travaux applicable à l’offre à commandes 2010-14 soulignait qu’il était [traduction« essentiel d’attirer des chercheurs qualifiés de haut calibre pour effectuer les travaux et maintenir un environnement stable et attrayant pour assurer la rétention du personnel ».

[9]               La DOC contenait environ cent catégories différentes d’adjoints en recherche et de professionnels, y compris ceux faisant partie de la même catégorie de main-d’œuvre. Il existe de nombreux niveaux de compétence différents au sein des mêmes catégories de main-d’œuvre. Les taux relatifs à chaque catégorie changent chaque année pendant les cinq années que dure la DOC. C’est donc dire que les taux unitaires [aussi appelés « taux relatifs au personnel »] fixent environ 500 prix différents pendant la durée du contrat (100 catégories multipliées par cinq ans).

II.                La clause de divulgation

[10]           La DOC et le contrat qui y a fait suite contenaient la clause de divulgation suivante :

Divulgation de renseignements

L’offrant accepte que ses prix unitaires ou ses taux contenus dans l’offre à commandes soient divulgués par le Canada et convient qu’il n’aura aucun droit de réclamation contre le Canada, l’utilisateur désigné, leurs employés, agents ou préposés en ce qui a trait à ladite divulgation.

III.             Pas de divulgation antérieure des taux relatifs au personnel

[11]           La preuve de la demanderesse sur le sens de cette clause figure dans l’affidavit de M. Jerry Johnston, vice-président des opérations de la demanderesse. Cette preuve repose presque entièrement sur l’expérience directe que ce dernier a acquise auprès de la demanderesse, expérience qui remonte à la première DOC de la demanderesse en 1997 et, avant cela, à la date de son entrée au service de celle-ci, en 1992. Il n’a pas été contre-interrogé. La preuve de M. Johnston est la suivante :

  1. pendant toutes les années qu’il a passées au service de Calian, M. Johnston n’a pu se souvenir d’une seule occasion où le gouvernement, malgré les objections de la demanderesse, a divulgué des taux de facturation détaillés dans des contrats;
  2. de plus, ces renseignements avaient toujours été protégés par le gouvernement en vertu des dispositions de l’article 20 de la Loi, même s’ils avaient été l’objet d’un certain nombre de demandes d’accès déposées en vertu de la Loi;
  3. au vu de cette pratique, il était déraisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse ait compris que l’intention du gouvernement au sujet de la clause de divulgation était que celle-ci s’appliquait aux taux de facturation détaillés [taux relatifs au personnel, corr.] rattachés à la DOC de 2010-14;
  4. pendant qu’il examinait la réponse de la demanderesse à la demande d’accès à l’information la plus récente, M. Johnston a consulté des collègues de travail chez Calian à propos de la raison pour laquelle, à leur avis, de telles clauses de divulgation étaient incluses dans des offres à commande;
  5. d’après leur meilleure compréhension collective, fondée sur leur expérience et les discussions tenues au fil des ans avec des autorités contractantes du gouvernement, la disposition en matière de divulgation devait être incluse dans les offres à commandes parce qu’elle permettrait de partager ces taux entre les divers ministères ayant accès à une offre à commandes, et non parce que cela permettrait de divulguer les taux au public, en particulier à des concurrents;
  6. au fil des ans, un certain nombre de demandes d’accès avaient été déposées en vue d’obtenir la communication de renseignements semblables aux taux relatifs au personnel qui sont aujourd’hui en litige. Dans chaque cas, cependant, les contrats proprement dits ont été communiqués, mais les responsables d’institution ont expurgé ce que l’on appelle maintenant les taux relatifs au personnel, c’est-à-dire les prix unitaires des services de recherche fournis dans le cadre des DOC.

IV.             La demande d’accès de 2009 – Les prix unitaires ont été expurgés en application de l’alinéa 20(1)c)

[12]           Outre ce qui précède, la demanderesse a fourni une preuve non contredite et détaillée à propos d’une demande d’accès déposée en 2009 en vue d’obtenir essentiellement les mêmes renseignements que ceux qui sont maintenant demandés. Cette demande concernait l’offre à commandes antérieure de la demanderesse pour le CMR, soit l’offre à commandes 2003‑09. La demande d’accès à l’information de 2009 était rédigée comme suit :

[traduction] Une copie d’un contrat existant entre TPSGC et Calian, un entrepreneur de la Défense, en vue de la fourniture de personnel d’adjoints en recherche au CMR. Le contrat expire le 31 mars 2009.

[13]           Le responsable de l’institution a communiqué le contrat de 2009, mais il en a expurgé la totalité des renseignements de la demanderesse qui étaient assimilables aux taux relatifs au personnel qui sont en litige dans la présente demande. Pour procéder à ces expurgations, le responsable de l’institution a appliqué l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Cette disposition exige que l’on considère comme une exception les « renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité ».

[14]           Fait important à signaler, l’offre à commandes 2003-09 contenait elle aussi une clause de divulgation, dont le libellé est quasi identique à celui de la clause qui est en litige en l’espèce :

[traduction] L’offrant accepte que ses prix unitaires ou ses taux contenus dans l’offre à commandes soient divulgués par le Canada et convient qu’il n’a aucun droit de réclamation contre le Canada, le ministre, l’utilisateur désigné, leurs employés, agents ou préposés, ou l’un quelconque d’entre eux, en ce qui a trait à ladite divulgation.

[15]           À titre comparatif, la clause de divulgation qui est en litige en l’espèce (voir le paragraphe 10) est libellée en ces termes :

L’offrant accepte que ses prix unitaires ou ses taux contenus dans l’offre à commandes soient divulgués par le Canada et convient qu’il n’aura aucun droit de réclamation contre le Canada, l’utilisateur désigné, leurs employés, agents ou préposés en ce qui a trait à ladite divulgation.

[16]           À mon humble avis, il n’y a aucune différence entre la clause de divulgation qui est en litige en l’espèce et celle qui l’était en 2009, dans laquelle, comme dans le cas présent, la position initiale du responsable de l’institution a été de communiquer les prix unitaires/les taux relatifs au personnel.

[17]           À l’époque des expurgations effectuées en 2009, le décideur était le MDN. Dans le cas de la présente demande, le décideur est TPSGC. Il semble que certains éléments des services d’administration des marchés du MDN aient été transférés du MDN à TPSGC; cependant, aucune différence appréciable n’a été relevée entre les deux ministères pour les besoins des présentes instances réunies.

V.                La demande d’accès dont il est question en l’espèce et son traitement

[18]           La demande d’accès qui est maintenant en litige est datée du 29 octobre 2013, et il y est demandé de produire les documents suivants :

[traduction] Veuillez produire une copie de la totalité des contrats, modifications de contrat, lettres et courriels concernant le numéro de contrat W0046-08001/001/TOR (R-D militaire) pour la période du 2009-11-30 au 2013-03-01.

[19]           Pour traiter cette demande, TPSGC a entrepris le processus suivant, qui n’a suscité aucune objection, à part le refus de procéder à des expurgations. Premièrement, TPSGC a réuni une série de documents contenant des renseignements de tiers potentiellement confidentiels de la demanderesse. Il les a ensuite transmis à cette dernière dans une lettre datée du 21 novembre 2013 et lui a demandé de faire part de ses observations sur les renseignements susceptibles d’être communiqués, déclenchant ainsi le processus de consultation relatif aux renseignements de tiers qui est exposé à l’article 27 de la Loi :

27. (1) Le responsable d’une institution fédérale qui a l’intention de communiquer un document fait tous les efforts raisonnables pour donner au tiers intéressé, dans les trente jours suivant la réception de la demande, avis écrit de celle-ci ainsi que de son intention, si le document contient ou s’il est, selon lui, susceptible de contenir des secrets industriels du tiers, des renseignements visés aux alinéas 20(1)b) ou b.1) qui ont été fournis par le tiers ou des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement, selon lui, d’entraîner pour le tiers les conséquences visées aux alinéas 20(1)c) ou d).

27. (1) If the head of a government institution intends to disclose a record requested under this Act that contains or that the head has reason to believe might contain trade secrets of a third party, information described in paragraph 20(1)(b) or (b.1) that was supplied by a third party, or information the disclosure of which the head can reasonably foresee might effect a result described in paragraph 20(1)(c) or (d) in respect of a third party, the head shall make every reasonable effort to give the third party written notice of the request and of the head’s intention to disclose within 30 days after the request is received.

[20]           Dans une lettre datée du 18 décembre 2013, la demanderesse s’est opposée à ce que TPSGC divulgue les renseignements en question, demandant que ses taux relatifs au personnel soient expurgés : les renseignements caviardés devaient inclure les renseignements semblables à ceux pour lesquels on avait demandé et obtenu une expurgation en 2009.

VI.             La décision du 3 janvier 2014 par laquelle TPSGC a refusé de procéder aux expurgations – La première décision faisant l’objet du présent contrôle

[21]           Le 3 janvier 2014, TPSGC a rendu une décision conformément à l’article 28 de la Loi. Il a conclu que certaines parties des documents demandés étaient partiellement soustraits à la divulgation. Cependant, rompant avec une pratique qui remontait à 1997, le responsable de l’institution a refusé de supprimer les taux relatifs au personnel de la demanderesse, se contentant de déclarer ceci : [traduction« comme la clause de divulgation de renseignements a déjà été intégrée dans l’offre à commandes [2010-2014], les prix unitaires et les taux ne peuvent pas être considérés comme des renseignements confidentiels relatifs à un tiers qui nuiraient à votre compétitivité, et nous sommes donc tenus de les communiquer ».

[22]           Cette décision a amené la demanderesse à déposer une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 44 de la Loi – dossier T-291-14 –, ce qui a donné lieu à la production d’un dossier certifié du tribunal.

VII.          La décision du 5 juin 2014 par laquelle TPSGC a refusé de procéder aux expurgations – La seconde décision faisant l’objet du présent contrôle

[23]           Quand la demanderesse a reçu et examiné le dossier certifié du tribunal, il est devenu évident qu’il y avait d’autres documents qu’il aurait fallu inclure dans le processus de consultation original, mais qui ne l’avaient pas été.

[24]           Par conséquent, le 2 mai 2014, TPSGC a lancé une seconde série de consultations et a demandé à connaître la position de la demanderesse sur les documents additionnels. En réponse, celle-ci a demandé, par lettre datée du 21 mai 2014, que l’on procède à l’expurgation des taux relatifs au personnel.

[25]           Le 5 juin 2014, TPSGC a rendu une seconde décision conformément à l’article 28 de la Loi. Une fois de plus, il a décidé que certaines parties de ces documents additionnels étaient partiellement soustraits à la divulgation, mais il a refusé d’expurger les taux relatifs au personnel. Comme il l’avait fait auparavant, TPSGC a simplement déclaré : [traduction« […] la clause de divulgation de renseignements a déjà été intégrée dans l’offre à commandes [2010-2014], les prix unitaires et les taux ne peuvent pas être considérés comme des renseignements confidentiels relatifs à un tiers qui nuiraient à votre compétitivité, et nous sommes tenus de les communiquer ».

[26]           C’est ainsi que la demanderesse a déposé la seconde demande de contrôle judiciaire. Il s’agit du dossier T-1481-14.

VIII.       Les deux demandes sont essentiellement identiques : réunion des deux demandes

[27]           Les deux demandes soulèvent les mêmes questions et, par une ordonnance de la Cour, elles ont été réunies. Les justifications données par TPSGC pour ne pas procéder aux expurgations sont les mêmes dans les deux décisions qui font l’objet du présent contrôle. Il n’y a pas de différence marquée dans l’objet des deux demandes de contrôle judiciaire, à savoir les taux relatifs au personnel de la demanderesse, les frais de voyage et de subsistance, de même que les taux relatifs aux heures supplémentaires, comme il est indiqué dans sa réponse à la DOC de 2010-14. Par souci de commodité, je qualifie en l’espèce l’ensemble des renseignements confidentiels qui sont en litige de « taux relatifs au personnel ». Les deux demandes ont été instruites ensemble et les présents motifs s’appliquent par conséquent aux deux sans distinction, et une copie de ceux‑ci sera versée dans chacun des deux dossiers de la Cour.

IX.             La décision faisant l’objet du présent contrôle

[28]           Le présent contrôle a trait aux décisions prises par TPSGC, le 3 janvier 2014 et le 5 juin 2014, de ne pas expurger les taux relatifs au personnel de la demanderesse. La demanderesse ne s’est autrement pas opposée à la communication des documents.

X.                Les questions en litige

[29]           La demanderesse a également demandé que des passages soient expurgés en application de l’alinéa 20(1)b) et de l’article 18 de la Loi mais, à mon avis, les questions déterminantes sont les suivantes :

A.                Les taux relatifs au personnel de la demanderesse peuvent-ils être expurgés en application de l’alinéa 20(1)c) de la Loi, et sont-ils touchés par la clause de divulgation?

B.                 Les taux relatifs au personnel de la demanderesse peuvent-ils être expurgés en application de l’alinéa 20(1)d) de la Loi, et sont-ils touchés par la clause de divulgation?

C.                 Le responsable de l’institution était-il tenu d’envisager l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’expurger les taux relatifs au personnel que lui confère le paragraphe 20(5) de la Loi et, dans l’affirmative, l’a-t-il fait?

XI.             Les dispositions législatives applicables

[30]           Les dispositions législatives applicables sont les articles 18 et 20 de la Loi :

18. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant :

18. The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains

a) des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques appartenant au gouvernement du Canada ou à une institution fédérale et ayant une valeur importante ou pouvant vraisemblablement en avoir une;

(a) trade secrets or financial, commercial, scientific or technical information that belongs to the Government of Canada or a government institution and has substantial value or is reasonably likely to have substantial value;

b) des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité d’une institution fédérale ou d’entraver des négociations — contractuelles ou autres — menées par une institution fédérale;

(b) information the disclosure of which could reasonably be expected to prejudice the competitive position of a government institution or to interfere with contractual or other negotiations of a government institution;

c) des renseignements techniques ou scientifiques obtenus grâce à des recherches par un cadre ou employé d’une institution fédérale et dont la divulgation risquerait vraisemblablement de priver cette personne de sa priorité de publication;

(c) scientific or technical information obtained through research by an officer or employee of a government institution, the disclosure of which could reasonably be expected to deprive the officer or employee of priority of publication; or

d) des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement de porter un préjudice appréciable aux intérêts financiers d’une institution fédérale ou à la capacité du gouvernement du Canada de gérer l’économie du pays ou encore de causer des avantages injustifiés à une personne. Ces renseignements peuvent notamment porter sur :

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to be materially injurious to the financial interests of a government institution or to the ability of the Government of Canada to manage the economy of Canada or could reasonably be expected to result in an undue benefit to any person, including such information that relates to

(i) la monnaie canadienne, son monnayage ou son pouvoir libératoire,

(i) the currency, coinage or legal tender of Canada,

(ii) les projets de changement du taux d’intérêt bancaire ou du taux d’emprunt du gouvernement,

(ii) a contemplated change in the rate of bank interest or in government borrowing,

(iii) les projets de changement des taux tarifaires, des taxes, impôts ou droits ou des autres sources de revenu,

(iii) a contemplated change in tariff rates, taxes, duties or any other revenue source,

(iv) les projets de changement dans le mode de fonctionnement des institutions financières,

(iv) a contemplated change in the conditions of operation of financial institutions,

(v) les projets de vente ou d’achat de valeurs mobilières ou de devises canadiennes ou étrangères,

(v) a contemplated sale or purchase of securities or of foreign or Canadian currency, or

(vi) les projets de vente ou d’acquisition de terrains ou autres biens.

(vi) a contemplated sale or acquisition of land or property.

[…]

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

[…]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

[…]

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

[…]

(5) Le responsable d’une institution fédérale peut communiquer tout document contenant les renseignements visés au paragraphe (1) si le tiers que les renseignements concernent y consent.

(5) The head of a government institution may disclose any record that contains information described in subsection (1) with the consent of the third party to whom the information relates.

XII.          La norme de contrôle applicable

[31]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle quand « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3 [Merck], c’est exactement ce qu’a fait la Cour suprême du Canada en déterminant la norme de contrôle applicable et le degré de déférence dont il faut faire preuve à l’égard de la manière dont un décideur applique l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Je suis d’avis que le même critère s’applique aux alinéas 20(1)b) et 20(1)d). D’après l’arrêt Merck, aucune décision discrétionnaire ne peut être prise en application du paragraphe 20(1) de la Loi. La décision de divulguer des renseignements ou non est contrôlée judiciairement en fonction de la norme de la décision correcte. La Cour se doit de déterminer si les exceptions prévues ont été appliquées correctement aux documents demandés.

[32]           De plus, il n’y a dans la présente affaire aucune décision discrétionnaire. Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers le décideur. Cela découle de la nature impérative des premiers mots du paragraphe 20(1) de la Loi : « [l]e responsable d’une institution fédérale est tenu […] de refuser la communication de documents […] ». Dans l’arrêt Merck, la Cour suprême du Canada a indiqué (au paragraphe 53) :

Aucune décision discrétionnaire du responsable de l’institution n’est en cause dans la présente affaire. Selon l’art. 51 de la Loi, le juge siégeant en révision doit décider si « le responsable [de l’] institution fédérale est tenu de refuser la communication […] d’un document » et, dans l’affirmative, il doit ordonner à ce dernier de ne pas le communiquer. Il s’ensuit que dans les cas où un tiers, telle Merck en l’espèce, demande à la Cour fédérale, en vertu de l’art. 44 de la Loi, de « contrôler » la décision du responsable de l’institution de communiquer tout ou partie d’un document, le juge de la Cour fédérale doit déterminer si ce dernier a correctement appliqué les exceptions aux documents visés : […] Ce processus a parfois été qualifié d’examen de novo de la question de savoir si le document en cause est soustrait à la communication : […] Le terme « de novo » n’est peut‑être pas, à proprement parler, celui qu’il convient d’utiliser; toutefois, il n’y a aucun désaccord dans ces affaires quant au rôle du juge siégeant en révision dans un tel contexte : il doit décider si les exceptions ont été correctement appliquées relativement aux documents en cause. Les articles 44, 46 et 51 sont les dispositions législatives les plus pertinentes qui s’appliquent au présent contrôle.

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[33]           Cette règle de droit a été bien résumée par le juge Rennie (alors juge de la Cour fédérale) dans la décision Porter Airlines Inc. c Canada (Procureur général), 2014 CF 392, où il a déclaré que la norme de contrôle est la décision correcte (voir les paragraphes 15 et 16) : « [l]a norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en l’espèce est celle de la décision correcte. […] En l’espèce, il s’agit donc de savoir si le Ministère a bien cerné la nature des documents en cause lorsqu’il a décidé qu’ils n’étaient visés par aucune exception à la communication sous le régime de la Loi. »

[34]           L’arrêt Merck est également important parce qu’il souligne la nécessité de soumettre à une analyse fondée sur la preuve, au cas par cas, l’exception revendiquée. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a souligné à maintes reprises que cette analyse est subordonnée aux éléments de preuve, de même que la nécessité de veiller à ne pas trop généraliser les conclusions tirées dans des affaires données :

[149]    […] Toutefois, la preuve au dossier aura une grande incidence à cet égard.

[150]    J’insiste sur ce dernier point. Une fois les principes juridiques pertinents établis, la question de savoir si tel ou tel dossier est confidentiel ou non constitue principalement une question de fait. Il faut donc se garder de trop généraliser les conclusions tirées dans des affaires données en omettant de tenir compte de la preuve soumise à la cour dans le cadre de celles‑ci. […] Le point essentiel est que ces principes ne s’appliquent pas automatiquement; ils doivent être pris en compte en fonction de la preuve au dossier.

[151]    Il me semble que le conflit qui oppose les parties sur ce point porte davantage sur une question de fait que sur une question de principe juridique.

[…]

[211]    Je passe maintenant aux observations des parties concernant les types de préjudice qu’un tiers peut invoquer pour se prévaloir de l’exception prévue à l’al. 20(1)c). Il revient au juge siégeant en révision de décider si la preuve démontre que la divulgation risquerait vraisemblablement de causer un préjudice du type visé à l’al. 20(1)c). Je le mentionne afin de souligner que la jurisprudence peut certes établir les principes généraux d’application de la disposition, mais qu’en bout de ligne l’analyse des circonstances particulières et de la preuve dans chaque cas comporte une composante factuelle importante.

[Non souligné dans l’original.]

XIII.       Observations des parties et analyse

[35]           La demanderesse soutient que ses taux relatifs au personnel tombent sous le coup de plusieurs exceptions légales de nature impérative et qu’il est donc nécessaire que TPSGC les expurge de ses documents. Il aurait fallu, ajoute-t-elle, prendre en compte le pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 20(5), mais cela n’a pas été fait. À l’encontre de cet argument, les défendeurs disent qu’aucune des dispositions ne s’applique, essentiellement à cause de la présence de la clause de divulgation. Leur opposition à l’égard du paragraphe 20(5) a été forcément atténuée, car ils se fondent sur le consentement prévu au paragraphe 20(1) et le fait relativement évident que les décisions sous-jacentes ne disent rien à propos du pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 20(1).

[36]           À mon avis, les dispositions déterminantes en l’espèce sont les alinéas 20(1)c) et d), de pair avec le paragraphe 20(5), que je vais maintenant examiner. J’analyserai l’alinéa 20(1)b) et l’article 18 vers la fin des présents motifs.

A.                Les taux relatifs au personnel de la demanderesse peuvent-ils être expurgés en application de l’alinéa 20(1)c) de la Loi, et sont-ils touchés par la clause de divulgation?

[37]           L’alinéa 20(1)c) oblige à expurger les documents de tiers qui contiennent « des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité ».

[38]           L’arrêt Merck établit les principes juridiques suivants, qui régissent la prise en compte et l’application de l’alinéa 20(1)c) :

  1. il incombe à la partie demanderesse d’établir son droit à l’exception, lequel dépend de la nature des renseignements et du contexte particulier de l’affaire : « […] le tiers doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’exception prévue par la loi s’applique. Cependant, la preuve qui sera nécessaire pour satisfaire à cette norme dépendra de la nature de la thèse que le tiers cherche à faire valoir et du contexte particulier de l’affaire. » (Merck, au paragraphe 94);
  2. « […] Le tiers qui invoque une exception prévue à l’al. 20(1)c) de la Loi doit démontrer qu’il existe beaucoup plus qu’une simple possibilité qu’un préjudice soit causé, mais il n’est pas tenu d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice se produira effectivement » : Merck, au paragraphe 199. Et de conclure la Cour, au paragraphe 206 : « [e]n conclusion, la formulation acceptée du critère, à savoir le “risque vraisemblable de préjudice probable”, exprime la nécessité d’établir que la divulgation occasionnera un risque de préjudice selon une norme qui est beaucoup plus exigeante que la simple possibilité ou conjecture, mais qui n’atteint cependant pas celle d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la divulgation occasionnera effectivement un tel préjudice »;
  3. les types de préjudice qu’englobe l’alinéa 20(1)c) sont de nature disjonctive : « [i]l suffit au tiers de démontrer que la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou des profits financiers ou de nuire à sa compétitivité. Autrement dit, le tiers n’a pas à démontrer que l’“atteinte” à sa compétitivité cause également un “préjudice” », Merck, au paragraphe 212.

XIV.       La nature des taux relatifs au personnel

[39]           Les taux relatifs au personnel de la demanderesse sont les prix, au micro-niveau, que celle-ci touchera pour chaque spécialiste faisant partie du nombre très élevé de catégories de main-d’œuvre différentes, plus les taux de voyage et d’heures supplémentaires applicables. Comme il a déjà été mentionné, il y a environ 500 catégories de main-d’œuvre différentes pendant les cinq années que dure la DOC. Ces prix, au micro-niveau, ne sont pas le prix total payé aux termes du contrat; le prix total payé dépendra du type et de la fréquence des spécialistes qui effectueront des travaux. La demanderesse ne s’oppose pas à ce que l’on divulgue le prix total payé dans le cadre de la DOC, pas plus que le reste du contrat lui-même. Elle se soucie uniquement des taux relatifs au personnel, ainsi que des taux de voyage et d’heures supplémentaires.

[40]           La demanderesse souhaite que l’on expurge maintenant les taux relatifs au personnel, comme cela a été fait dans le passé. Je suis d’accord, et ce, pour les raisons suivantes.

[41]           Selon mon évaluation, les taux relatifs au personnel, tant sur le plan individuel que global, sont le facteur le plus important du succès de la soumission de la demanderesse; il s’agissait d’un élément crucial pour la compétitivité de la demanderesse, ainsi que pour sa capacité de remporter le contrat dans le cadre du processus d’appel d’offres hautement concurrentiel de la DOC. Je fonde entre autres cette conclusion sur le fait que la décision d’adjuger la DOC était évaluée à 60 % en fonction du prix et à 40 % en fonction du mérite technique, ainsi que sur la nature hautement concurrentielle du processus des DOC.

[42]           Dans les DOC antérieures, il y avait un « prix de base » pour chaque catégorie de main‑d’œuvre. Ce prix était fixé par l’État. Les soumissionnaires étaient cependant tenus de proposer ce que l’on appelait un [traduction] « prix entièrement imputé » pour chaque catégorie de main-d’œuvre. Le [traduction] « prix entièrement imputé » était « global » : non seulement il incluait le « prix de base » fixé par l’État, mais encore il devait inclure la marge bénéficiaire du soumissionnaire qui permettait de supporter les frais généraux, de même que tous les frais de soumission connexes et le profit du soumissionnaire pour chaque catégorie. En déduisant le « prix de base » publié du prix entièrement imputé, les concurrents et d’autres étaient en mesure de déterminer la marge bénéficiaire brute globale, qui englobait les frais généraux, d’autres frais et le profit.

[43]           La différence que l’on relève dans la DOC concernant l’offre à commandes 2010‑14 est importante, et ce, pour plusieurs raisons. L’État n’a pas fourni de « prix de base » pour chaque catégorie de main-d’œuvre; au lieu de cela, chaque soumissionnaire devait proposer un prix « global » complet pour chacune des catégories. À cause de ce changement, la demanderesse a dû établir les taux relatifs au personnel à partir de zéro. La demanderesse et tous les soumissionnaires ont dû fixer le prix complet à facturer en prenant pour base les résultats liés aux niveaux de rémunération individuels, les frais généraux confidentiels de la demanderesse, d’autres frais connexes, de même qu’un élément de profit.

[44]           Détail important, la demanderesse a pu se fonder sur ses propres analyses opérationnelles internes pour fixer chacun des nombreux taux relatifs au personnel dans sa soumission, et c’est ce qu’elle a fait.

[45]           La preuve incontestée, à laquelle je souscris, est que la détermination, à partir de zéro, des taux relatifs au personnel a été fondée sur des renseignements salariaux confidentiels et exclusifs ainsi que sur d’autres informations que la demanderesse elle-même a obtenues des nombreux fournisseurs potentiels particuliers des services de main-d’œuvre spécialisée requis, ou qu’elle a négociés avec eux. Il ressort clairement de l’affidavit de M. Johnston, et ceci n’est pas contesté, que ces renseignements n’étaient pas communiqués publiquement dans le passé. À chacun de ces montants, la demanderesse a ajouté le résultat des analyses opérationnelles qu’elle avait acquises, en plus de ce qui était nécessaire comme frais généraux, autres frais et profit.

[46]           M. Johnston a fourni une preuve crédible et non contredite quant au préjudice qui découlerait d’une divulgation, preuve qui est fiable et à laquelle je souscris :

[traduction

44.       Le préjudice concurrentiel qui découlerait de la divulgation des taux de facturation que Calian a proposés dans le cadre du processus concurrentiel relatif à la DOC de 2009 est nettement supérieur à cause de la manière dont TPSGC a changé ce processus en 2009. Pour chacune des DOC de 1987 et de 2002 concernant une aide à la recherche pour le CMR, ce dernier a fourni à tous les soumissionnaires, pour chaque catégorie d’adjoints en recherche, des « taux de base », qui étaient les taux de rémunération minimaux qu’un entrepreneur pouvait payer au personnel dans chaque catégorie d’expertise. Comme il a été mentionné plus tôt, les soumissionnaires étaient uniquement tenus de fournir le « taux entièrement imputé », qui était le salaire réel et toutes les majorations applicables à rétrofacturer au CMR.

45.       Cependant, dans la DOC de 2009, si j’ai bien compris, TPSGC a refusé de permettre au CMR de spécifier des taux de base pour le personnel. En conséquence, dans la DOC de 2009, aucune indication n’a été donnée aux soumissionnaires quant à un niveau de rémunération acceptable pour le personnel, et il a fallu que chaque soumissionnaire mette au point pour les taux de facturation une stratégie concurrentielle, qui répondait également aux préoccupations relatives au recrutement et au maintien en fonction. À cet égard, Calian s’est fondée sur ses compétences étendues et exclusives en matière de gestion de services de personnel pour mettre au point une matrice de taux de facturation concurrentielle, et sa proposition a été considérée comme étant celle qui présentait le meilleur rapport qualité-prix que TPSGC avait reçue. Permettre de divulguer les taux que Calian a proposés dans le cadre du processus d’approvisionnement concurrentiel permettrait à des concurrents de profiter gratuitement du travail considérable que Calian a effectué, et cette dernière en serait nettement désavantagée parce qu’elle n’aurait pas accès aux renseignements confidentiels de tout autre soumissionnaire.

[47]           À mon humble avis, les taux relatifs au personnel qui sont en litige dans l’offre à commandes 2010-14 contiennent bel et bien une quantité nettement supérieure de renseignements confidentiels que ceux que contenaient les offres à commandes précédentes; ils contiennent des renseignements supplémentaires et très importants, soit le « prix de base » que la demanderesse a elle-même fixé. Auparavant, ce prix était publiquement disponible et fixé par l’État. À mon avis, ce changement rend les taux relatifs au personnel actuels nettement plus commercialement sensibles que les taux « entièrement imputés » qui figuraient dans les offres à commandes antérieures. En fait, l’ancien « taux de base » qui avait été fixé par l’État pour tous les soumissionnaires est devenu une nouvelle variable importante dans le cadre de ce processus d’appel d’offres hautement concurrentiel. Les taux relatifs au personnel qui en découlent sont nettement plus confidentiels que les prix unitaires entièrement imputés qui sont en litige dans l’offre à commandes 2003-09.

[48]           Il n’est certes pas cohérent de la part du responsable de l’institution de refuser d’expurger des renseignements figurant dans l’offre à commandes 2010-14 qui sont nettement plus confidentiels et commercialement sensibles que ceux qu’il expurgeait systématiquement auparavant, et qu’il a expressément expurgés dans l’offre à commandes 2003-09. À mon avis, la divulgation des taux relatifs au personnel risquerait vraisemblablement de causer un préjudice appréciable à la demanderesse, et un risque de préjudice même supérieur à ce qui aurait été le cas auparavant. Je considère qu’il s’agit là d’un facteur dont il faut tenir compte dans l’analyse relative aux risques raisonnables de préjudice qu’il est nécessaire d’effectuer aux termes de l’alinéa 20(1)c), comme nous le verrons plus loin.

XV.          L’historique des relations : les deux parties considèrent les taux relatifs au personnel comme faisant l’objet d’une exception et elles les traitent comme tels

[49]           À mon avis, l’historique général des relations entre les parties est un autre facteur dont il faut tenir compte au moment d’examiner la nature des taux relatifs au personnel et la question des risques raisonnables de préjudice qui est exposée à l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Ces relations situent l’offre à commandes 2010-14 et la demande d’accès dans leurs justes contextes de preuve et de fait.

[50]           Il est bien établi au vu des faits de l’espèce, ainsi que de preuves dignes de foi, que les deux parties considéraient que les taux relatifs au personnel, de même que les taux unitaires « entièrement imputés » analogues antérieurs, faisaient l’objet d’une exception à la divulgation en vertu de la Loi depuis au moins 1997. Plus précisément, nous savons que la demanderesse a suivi un processus quasi identique cinq ans plus tôt au sujet de l’offre à commandes 2003-09 qu’elle a remportée en 2003. Les offres à commandes 2003‑09 et 2010‑14 étaient essentiellement les mêmes : les deux mettaient en cause la même partie contractante gouvernementale, à savoir l’État (représenté par le MDN en 2003 et TPSGC en 2010), les deux avaient pour but de fournir au CMR des services de consultation spécialisés et les deux contenaient des clauses de divulgation essentiellement identiques. La signature de chaque offre à commandes a été suivie des mêmes actions en matière d’accès : des demandes d’accès ont été déposées (en 2009 et en 2014), et la demanderesse y a fait opposition pour des raisons de confidentialité. Le même problème de base s’est posé, soit celui de savoir s’il y avait lieu d’expurger les taux unitaires entièrement imputés des catégories de main-d’œuvre au micro-niveau en 2009 et les taux relatifs au personnel en 2014. Une clause de divulgation essentiellement identique figurait dans les deux offres à commandes. Dans les deux cas, ajouterais-je, les parties étaient – et sont – des entités averties, représentées par de bons avocats.

[51]           Les défendeurs ne sont pas d’accord mais, à mon avis, l’inférence que l’on tire des relations antérieures des parties ainsi que de leur conduite est convaincante quant à ce qui est exigé à l’alinéa 20(1)c) de la Loi. En 2009, l’État a reconnu que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la divulgation des prix unitaires entièrement imputés cause une perte financière appréciable à la demanderesse, procure un gain financier appréciable à un concurrent ou nuise à la compétitivité de la demanderesse. Nous savons que les parties se sont fondées sur l’alinéa 20(1)c) en 2009, mais nous ignorons sur quelle(s) partie(s) de cette disposition le responsable de l’institution a fondé sa décision. Nous savons toutefois que le responsable de l’institution a expurgé de la divulgation les renseignements relatifs aux prix unitaires entièrement imputés, comme l’exige l’alinéa 20(1)c), et qu’il l’a fait même après avoir pris en compte la même clause de divulgation qu’invoquent maintenant les défendeurs.

[52]           Vu la nature confidentielle accrue des renseignements que l’on demande maintenant, le responsable de l’institution aurait dû, à mon humble avis, expurger les taux relatifs au personnel; on pourrait s’attendre encore plus raisonnablement aujourd’hui qu’en 2009 à ce que leur divulgation cause une perte financière appréciable ou nuise à la compétitivité de la demanderesse.

[53]           Aux dires des défendeurs, la décision de 2009 mettait en cause un décideur différent et un sujet différent et, de ce fait, il faudrait en faire abstraction. Ils ajoutent que la demande d’accès de 2009 portait sur des renseignements tombant sous le coup de la Loi sur la production de défense, LRC 1985, c D‑1, et, de plus, que le principe du stare decisis ne s’applique pas aux organismes administratifs, ce qui sous-entend que les responsables d’institution peuvent arriver à des résultats différents à propos de faits essentiellement identiques.

[54]           Ce ne sont pas là des raisons convaincantes pour priver la demanderesse de la protection qu’accorde la loi contre la divulgation publique des taux relatifs au personnel. Les institutions qui ont mis en œuvre et géré les processus de DOC ainsi que les processus visés par la Loi dont il est question en l’espèce sont essentiellement les mêmes, qu’il s’agisse du MDN, qui a procédé à l’expurgation en 2009, ou de TPSGC, qui a refusé de le faire en 2014. L’autorité exécutive dans les deux cas est l’État, agissant par l’entremise du responsable de l’institution compétent. Accepter le contraire reviendrait à voir la forme l’emporter sur le fond. Il n’existe aucune preuve que le transfert des services délégués de gestion ou d’administration des marchés du MDN à TPSGC a fait une différence quelconque pour l’issue de la présente affaire, car la nature des renseignements est la même. Et, comme il a déjà été mentionné, les clauses de divulgation sont essentiellement identiques.

[55]           Les défendeurs ont concédé à juste titre, et je suis d’accord, que TPSGC n’est pas autorisé à agir d’une manière arbitraire.

[56]           À mon humble avis, la présente affaire ne met pas en jeu le principe du stare decisis; la question en litige est plutôt la justesse des décisions prises dans les deux affaires, au vu de la preuve. Quoi qu’il en soit, compte tenu des faits, il n’est pas question ici d’une affaire de stare decisis : comme nous l’avons plus tôt, les taux relatifs au personnel sont plus sensibles commercialement que les prix unitaires considérés antérieurement.

XVI.       Le préjudice causé à la « compétitivité » de la demanderesse au sens de l’alinéa 20(1)c)

[57]           Pour ce qui est du préjudice causé à sa compétitivité, la demanderesse se fonde sur une preuve non contredite, à laquelle je souscris : si les taux relatifs au personnel ne sont pas expurgés, les stratégies confidentielles de fixation des prix et de soumission de la demanderesse seront révélées à ses concurrents. Les soumissions présentées pour ce travail sont hautement concurrentielles. La communication des taux relatifs au personnel permettrait aux concurrents de la demanderesse d’avoir accès à la totalité de ses stratégies de fixation des prix et de soumission.

[58]           Pour ces motifs, je n’ai aucune difficulté à conclure que la communication des taux relatifs au personnel détaillés de la demanderesse permettra à ses concurrents de prendre gratuitement connaissance de l’éventail complet des taux relatifs au personnel établis par la demanderesse en se fondant sur ses compétences et son expérience dans le domaine des affaires. Cette divulgation ferait ainsi pencher la balance en défaveur de la demanderesse, et porterait préjudice à sa capacité de présenter une offre gagnante.

[59]           Je tire cette conclusion en me fondant sur la preuve digne de foi présentée selon laquelle la divulgation de ces renseignements exclusifs donnera aux concurrents un aperçu avantageux des stratégies de soumission de la demanderesse, nuira à la compétitivité de cette dernière ou lui causera des pertes appréciables. De plus, la demanderesse a tout lieu de s’attendre à ce que, une fois que le contrat (y compris toutes les périodes d’option prévues) aura expiré, le même type d’appel d’offres sera lancé de nouveau. C’est donc dire que la divulgation de ce niveau de renseignements au sujet des prix indiqués par la demanderesse dans l’offre à commandes 2010‑14 donnera presque assurément lieu à une aggravation du préjudice concurrentiel causé à l’offre que fera la demanderesse. La divulgation donnerait à ses concurrents entièrement accès à ses renseignements confidentiels en matière de fixation des prix, perturbant ainsi l’égalité des chances de concurrence que le processus des DOC vise à garantir. La divulgation augmenterait la probabilité que la demanderesse ne réussisse pas à présenter la soumission gagnante en offrant à d’autres soumissionnaires des chances accrues de remporter le contrat sans avoir à engager des frais pour la mise au point de pratiques commerciales. Cette preuve de préjudice et de perte financière, déposée là encore par M. Johnston, un cadre de rang très élevé dont la fiabilité et la crédibilité sont admises, n’a pas été sérieusement contestée.

[60]           Le dossier a établi que ce préjudice n’est pas hypothétique; les parties s’attendaient à ce qu’une autre DOC soit lancée à l’expiration de l’offre à commandes 2010-14 (la Cour n’a en main aucune information permettant de savoir si cela a eu lieu ou pas. J’admets que si les concurrents de la demanderesse ont accès aux taux relatifs au personnel que la demanderesse a indiqué dans sa soumission gagnante, ils se serviront de ces renseignements à leur propre avantage concurrentiel, et au désavantage de la demanderesse. Par ailleurs, si les taux relatifs au personnel ne sont pas expurgés, les concurrents de la demanderesse prendraient part au concours en se servant des renseignements relatifs aux prix de cette dernière, mais sans avoir à engager les frais liés à la vaste expérience de la demanderesse en matière de recherche et d’affaires, c’est-à-dire sans qu’il leur en coûte quoi qu’il soit. Cette preuve a été déposée dans le dossier et n’a pas été contredite.

[61]           La demanderesse soutient également, et je suis d’accord avec elle, sous réserve d’une mise en garde générale concernant l’application d’autres affaires aux faits d’une affaire différente, qu’en divulguant le prix du contrat il y a un risque réel et objectif que cette information donne aux concurrents une longueur d’avance ou leur serve de « tremplin » pour établir des offres concurrentielles à l’encontre de la demanderesse en vue de futurs contrats de services de protection de données. Ce risque est plus qu’une simple possibilité : voir, à titre d’autre exemple, la décision Equifax Canada Co. c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2014 CF 487, au paragraphe 30 [Equifax].

[62]           Le passage suivant, tiré de la décision Coradix Technology Consulting Ltd. c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2006 CF 1030, au paragraphe 31 [Coradix], s’applique à la présente affaire :

Dans le cadre du recours prévu à l’article 44, la Cour doit effectuer un examen détaillé des renseignements pour décider si tout ou partie de ceux‑ci doivent être soustraits à la communication. En l’espèce, il y a un certain nombre de cas où, si les renseignements sont considérés isolément, il n’est pas évident que la communication d’un élément précis puisse compromettre la compétitivité de la demanderesse. Toutefois, si les stratégies sont considérées dans leur ensemble, il devient évident que c’est l’ensemble de ces diverses stratégies d’entreprise et de gestion qui constitue la méthode et l’approche adoptées par la demanderesse à l’égard de son activité de base, de la gestion fructueuse des ressources humaines et du contrôle de la qualité. Considérée sous cet angle, il devient évident que si les renseignements étaient communiqués, un concurrent pourrait, dans des soumissions ultérieures, mettre en œuvre ou reprendre à son avantage la méthode de la demanderesse, mais au détriment de la demanderesse sur le plan de la compétitivité.

[Non souligné dans l’original.]

[63]           Je signale que dans la décision Coradix, comme cela a été le cas dans le cadre des relations antérieures de la demanderesse, les responsables d’institution compétents ont convenu d’expurger des données qui étaient assimilables aux taux relatifs au personnel dont il est question en l’espèce. Cela aurait dû être fait aussi dans la présente affaire, comme il a été expliqué ci-dessus et comme il est étoffé ci‑après.

[64]           Dans sa preuve, la demanderesse a aussi fait état d’un risque de préjudice potentiel dû à ce qu’elle a appelé le [traduction] « marchandage de soumissions ». Selon la preuve non contestée de la demanderesse, exposée par son vice-président, digne de foi et expérimenté, autoriser la divulgation des taux relatifs au personnel ouvrirait en fait la voie à une forme indésirable de « marchandage de soumissions », une pratique qui consiste à divulguer l’offre d’un entrepreneur à d’autres entrepreneurs éventuels avant l’adjudication d’un contrat afin de garantir une soumission plus basse. Ce marchandage de soumission, à mon humble avis, est encore une autre conséquence peu souhaitable d’une divulgation qui ferait pencher la balance en défaveur de la demanderesse et qui lui causerait un risque de préjudice dans la prochaine série d’appels d’offres.

XVII.    L’effet de la clause de divulgation

[65]           Les défendeurs, qui n’ont déposé aucune preuve sur les questions qui précèdent, ont présenté un certain nombre d’arguments selon lesquels la clause de divulgation fait échec à la demande de la demanderesse fondée sur l’alinéa 20(1)c). Ils disent que si la demanderesse ne voulait pas accepter la possibilité d’un préjudice concurrentiel, elle n’aurait pas dû présenter une soumission à un organisme gouvernemental fédéral, qui est visé par la Loi. Ils allèguent que le consentement à la clause de divulgation rompt le lien requis entre l’accès du public et la perte ou le préjudice, et établit une distinction avec la décision Equifax parce que, dans celle-ci, il n’y avait pas de clause de divulgation. Ils soutiennent que la preuve de préjudice est conjecturale. En toute déférence, je ne suis pas d’accord.

[66]           J’accepte la preuve selon laquelle il y a un préjudice et un désavantage commercial potentiels, dont il a été traité plus tôt, et je considère que les arguments des défendeurs semblent être en partie un effort qui vise à imposer, en application de l’alinéa 20(1)c), un fardeau plus lourd que celui qu’a autorisé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Merck.

[67]           Bien sûr, je conviens que la demanderesse n’était pas obligée de présenter une soumission. Cet argument est toutefois sans fondement car, s’il était admis, il réduirait à néant toute demande d’exception. Il est également vicié en ce sens qu’il repose sur le fait que l’opinion des défendeurs sur l’affaire est correcte. De façon plus centrale, il passe à côté de la question, à savoir le droit de la demanderesse à une expurgation au vu de la preuve présentée en l’espèce.

[68]           Je conviens qu’aucune clause de divulgation n’était en cause dans l’affaire Equifax. Je me fonde sur la décision rendue dans cette affaire parce qu’on y admet que la divulgation d’un prix unitaire peut donner à un concurrent une longueur d’avance, ou lui permettre d’obtenir gratuitement les prix unitaires de la demanderesse, ce qui donne lieu à plus qu’une simple possibilité de nuire à la compétitivité d’une tierce partie comme la demanderesse. La divulgation des prix unitaires avait cet effet possible dans l’affaire Equifax, et cet effet est le même en l’espèce.

[69]           Il m’est impossible de souscrire à l’affirmation des défendeurs selon laquelle la clause de divulgation empêche la Cour de conclure que les taux relatifs au personnel justifient une exception en application de l’alinéa 20(1)c).

[70]           Il me faut revenir à la loi du Parlement en cause en l’espèce. En raison de l’exception dont il est question dans la présente affaire (l’alinéa 20(1)c)) et de la jurisprudence susmentionnée, la Cour se doit d’examiner les éléments de preuve et les faits pour voir si, dans le cas présent, il y a des « renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité ». À mon avis, pour déterminer ce qui « risquerait vraisemblablement » d’arriver, il est nécessaire d’analyser la totalité des circonstances. La Cour doit prendre en compte la totalité des faits, des facteurs et des circonstances applicables qui « risqueraient vraisemblablement » d’établir les conséquences qui sont énumérées dans la loi.

[71]           L’essentiel de l’argument des défendeurs est que l’analyse requise commence et prend fin par la clause de divulgation apparaissant dans l’offre à commandes 2010-14 qui, disent-ils, a pour effet d’empêcher la demanderesse de demander la protection que prévoit la Loi contre les risques de préjudice mentionnés à l’alinéa 20(1)c). Par souci d’exhaustivité, les défendeurs ont incité la Cour à conclure que la clause de divulgation fait entièrement obstacle aux exceptions que prévoit le paragraphe 20(1) de la Loi.

[72]           À mon avis, cependant, l’argument des défendeurs ne mène pas au rejet de la présente demande. Selon moi, et dans la suite logique de ce qui précède, si la Cour peut prendre en compte l’existence de la clause de divulgation quand elle évalue ce qui « risquerait vraisemblablement » d’arriver selon l’alinéa 20(1)c) (ce qu’elle se doit de faire), il lui faut aussi prendre en compte d’autres faits et facteurs pertinents. Autrement dit, la Loi, en demandant ce qui « risquerait vraisemblablement » d’arriver, oblige la Cour à entreprendre une analyse exhaustive des circonstances pertinentes, et non l’examen tronqué et unidimensionnel que proposent les défendeurs. Plus précisément, bien que je convienne que la Cour doit prendre en compte la clause de divulgation, il lui faut aussi évaluer l’historique des relations entre les parties, leurs expériences antérieures qui remontent à 1997, y compris la demande d’accès de 2009, la décision prise en 2009 de procéder à une expurgation, malgré une clause de divulgation essentiellement identique. Pour les mêmes motifs, la Cour doit aussi évaluer et prendre en considération la compréhension qu’a la demanderesse de la manière dont cette clause devrait être appliquée, et de la raison de son application. Il s’agit là des éléments de l’analyse requise au regard du critère de la loi.

[73]           L’historique des relations antérieures entre ces deux parties a été décrit plus tôt; toutes les demandes d’accès antérieures, qui remontent à 1997, ont eu pour résultat que les renseignements confidentiels de la demanderesse sur ses prix n’ont pas été communiqués. À titre d’exemple récent et précis, le même genre de renseignements sur les prix (sauf qu’ils étaient moins susceptibles d’être préjudiciables) ont été expurgés en 2009 en application de l’alinéa 20(1)c).

[74]           Je souscris à la preuve non contredite de M. Johnston, et obtenue auprès d’autres sources (il a consulté d’autres personnes au sein de son entreprise), selon laquelle, quand elle a présenté une soumission dans le cadre de l’offre à commandes 2010-14, la demanderesse n’avait aucune raison de croire que la clause de divulgation autorisait à communiquer ses renseignements confidentiels sur ses taux relatifs au personnel à ses concurrents ou au public. Compte tenu de la preuve, cette croyance est digne de foi et je la considère comme raisonnable. J’accepte la preuve de M. Johnston selon laquelle la compréhension qu’avait la demanderesse de la clause de divulgation était façonnée par ses années d’expérience et de discussions avec divers agents d’approvisionnement du gouvernement. Et je souscris à sa preuve selon laquelle elle était d’avis que des dispositions telles que les clauses de divulgation 2003‑09 et 2010‑14 n’étaient incluses que pour permettre d’échanger des taux entre diverses entités gouvernementales. À mon avis, il s’agit là d’une interprétation raisonnable de la part du vice-président et d’autres cadres de la demanderesse.

[75]           Selon moi, il faudrait donc interpréter la clause de divulgation d’une manière qui concorde avec ce que je considère comme l’interprétation raisonnable de la demanderesse. Les défendeurs n’ont fourni aucune preuve quant au sens qu’ils donnaient à la clause de divulgation; les faits concordent avec le fait que les parties partagent le point de vue de la demanderesse, en ce sens que c’était l’État qui, dans tous les cas antérieurs, avait convenu de procéder à une expurgation avant le cas qui a mené au présent litige. Dans toutes les circonstances, il était raisonnable que la demanderesse et les défendeurs croient et soient d’avis que si la clause de divulgation autorisait TPSGC à partager les taux relatifs au personnel de la demanderesse avec d’autres ministères, elle n’autorisait pas à les divulguer aux concurrents de la demanderesse ou au public.

[76]           Si on évalue l’affaire de manière générale, et à l’époque de la signature de l’offre à commandes 2010-14, ce qui, je crois, est approprié, la demanderesse s’attendait raisonnablement à ce que toute demande d’accès concernant ses taux relatifs au personnel se solde par un résultat semblable à celui des demandes d’accès de 2009 et des autres, à la suite desquelles l’État avait expurgé des renseignements semblables en application de l’alinéa 20(1)c). En fait, il est probable qu’il s’agissait d’une expectative raisonnable des deux parties, car l’offre à commandes 2010‑14 datait essentiellement de la même époque que la décision, prise en 2009, de communiquer les dossiers après avoir procédé à des expurgations. Ces faits, de pair avec l’interprétation crédible et raisonnable de la demanderesse quant à la nature limitée de la clause de divulgation, et le fait que les taux en question n’ont pas été divulgués contre le gré de la demanderesse ont pour conséquence, à mon humble avis, de priver la clause de divulgation de l’effet déterminant que les défendeurs invoquent; la clause de divulgation ne porte pas un coup fatal à la présente demande.

[77]           Compte tenu de ce qui précède, considéré globalement, et selon une norme nettement supérieure à celle de la simple possibilité, je suis convaincu que la divulgation des taux relatifs au personnel crée un risque raisonnable de préjudice probable pour la demanderesse parce que cette divulgation causera un risque de préjudice qui excède nettement la simple possibilité ou conjecture. À mon avis, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que la divulgation cause une perte financière à la demanderesse et nuise à sa compétitivité.

[78]           Vu ces conclusions, il est justifié de considérer que les taux relatifs au personnel de la demanderesse sont visés par l’exception prévue à l’alinéa 20(1)c) de la Loi.

B.                 Les taux relatifs au personnel de la demanderesse peuvent-ils être expurgés en application de l’alinéa 20(1)d) de la Loi, et sont-ils touchés par la clause de divulgation?

[79]           La demanderesse revendique aussi un droit d’expurgation en application de l’alinéa 20(1)d) de la Loi; cette disposition exige que l’on expurge les documents d’un tiers qui contiennent « des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins ».

[80]           La loi à cet égard établit que le fait de faire obstacle ou de nuire aux négociations menées par un tiers en vue de contrats ou d’autres fins doit être probable et non simplement conjecturale, et ne peut pas consister simplement en une concurrence plus vive : voir Fermes Burnbrae Limitée c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CF 957.

[81]           Là encore, la question est tranchée sur le fondement de la preuve produite en l’espèce, ainsi que l’exige l’arrêt Merck. La preuve de la demanderesse, non contredite elle non plus, est la suivante : si les taux relatifs au personnel, plus précisément les taux unitaires précis, au micro‑niveau, sont divulgués, les autres clients de la demanderesse qui paient actuellement davantage chercheront à payer moins. Il ressort également de la preuve que, dans de telles circonstances, les clients pourraient tenter d’améliorer leur position de négociation, et que cela se ferait aux dépens ou au détriment de la demanderesse. Je suis convaincu qu’il est probable et non purement conjectural que l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que ce préjudice entrave les négociations menées entre la demanderesse et ces tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

[82]           De plus, si les consultants spécialisés de la demanderesse découvrent les taux auxquels sont facturés leurs services, lesquels incluent la rémunération plus l’ensemble des frais généraux, des autres coûts et de la marge bénéficiaire connexes, eux aussi feront probablement pression sur la demanderesse pour être rémunérés à un taux supérieur. Là encore, ce résultat n’est pas purement conjectural, mais fondé sur des preuves.

[83]           Il est probable aussi que ces pressions négatives pour la demanderesse (l’une entraînant une baisse des revenus, l’autre entraînant un accroissement des dépenses) auront une incidence négative sur les négociations menées par la demanderesse avec ses employés et ses fournisseurs éventuels, séparément et en combinaison. La preuve de la demanderesse est que ce risque est plus marqué en raison du prochain appel d’offres. J’accepte la preuve présentée par la demanderesse à cet égard. Aucun élément de cette preuve n’est lié à une crainte de cette dernière quant à une concurrence plus vive.

[84]           Les défendeurs se fondent sur la clause de divulgation et allèguent que le fondement probant de la présente demande présentée en vertu de l’alinéa 20(1)d) est insuffisant et conjectural. Je ne suis pas d’accord.

[85]           Pour ce qui est de la preuve, le dossier établit l’existence d’un risque raisonnable de préjudice probable. Je ne suis pas d’accord pour dire que la preuve de la demanderesse est conjecturale. Au contraire, je conclus qu’elle est crédible et qu’elle repose sur les nombreuses années d’expérience de M. Johnston. Pour ce qui est du sens de la clause de divulgation, ce dernier s’est exprimé en se fondant à la fois sur son expérience et sur celle d’autres membres de son entreprise qu’il avait consultés. Loin d’offrir une simple supposition, M. Johnston est le vice‑président des opérations de la demanderesse. Sa preuve découle de ses connaissances personnelles ainsi que de ses consultations et de son expérience dans le domaine des affaires, qu’il a acquise auprès de la demanderesse pendant plus de deux décennies, c’est-à-dire depuis 1992 – et, plus précisément, depuis la première DOC en 1997. Il s’agit là d’une preuve que je m’attendrais qu’il connaisse. L’avocat du procureur général a eu tout le loisir de contre‑interroger M. Johnston et de déposer des preuves contraires, mais il n’a fait ni l’un ni l’autre. Les avocats n’ont pas plus mis en doute l’expérience ou la crédibilité de M. Johnston. L’avocat du procureur général a bien déposé un affidavit, mais ce dernier ne dit rien sur ces points. Dans les circonstances, il m’est impossible de souscrire à cette contestation de la preuve de M. Johnston.

[86]           Pour essentiellement les mêmes raisons que celles qui ont été exposées plus tôt à propos de l’alinéa 20(1)c), y compris l’évaluation générale du caractère raisonnable du risque d’une entrave contractuelle au sens de l’alinéa 20(1)d), je rejette l’affirmation des défendeurs selon laquelle la clause de divulgation porte un coup fatal à la demande d’expurgation. Si l’on prend en compte la clause de divulgation ainsi que l’historique des relations antérieures, de même que l’interprétation de la nature limitée de la clause elle-même, on ne peut pas dire que la clause de divulgation empêche la demanderesse de bénéficier de cette exception prévue par la loi.

[87]           Dans ces circonstances, je suis convaincu qu’il ressort du dossier, au-delà de la simple conjecture, que l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que la divulgation des taux relatifs au personnel entrave les négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins. Cette entrave est probable et non purement conjecturale, et elle ne consiste pas simplement à aviver la concurrence.

[88]           Une exception est donc justifiée en application de l’alinéa 20(1)d).

C.                 Le responsable de l’institution était-il tenu d’envisager l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’expurger les taux relatifs au personnel que lui confère le paragraphe 20(5) de la Loi et, dans l’affirmative, l’a-t-il fait?

[89]           Indépendamment de ce qui précède, il y a une autre raison pour laquelle ces deux décisions doivent être infirmées. À cet égard et à cause de la clause de divulgation, une autre étape nécessaire dans l’analyse de la Cour consiste à examiner et à décider si le responsable de l’institution a dûment envisagé l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 20(5) de la Loi, dont le texte est le suivant :

20. (5) Le responsable d’une institution fédérale peut communiquer tout document contenant les renseignements visés au paragraphe (1) si le tiers que les renseignements concernent y consent.

20. (5) The head of a government institution may disclose any record that contains information described in subsection (1) with the consent of the third party to whom the information relates.

[Non souligné dans l’original.]

[90]           Comme j’ai conclu que la clause de divulgation ne constitue pas à proprement parler un consentement à divulguer les taux relatifs au personnel confidentiels, sauf à d’autres ministères, il n’est peut-être pas nécessaire d’examiner le paragraphe 20(5). Cette analyse a eu lieu dans le contexte de l’évaluation de ce qui « risquerait vraisemblablement » d’arriver.

[91]           Par souci d’exhaustivité, je dirais qu’à mon humble avis, le responsable de l’institution a également omis de s’acquitter de l’obligation que lui impose la Loi, soit d’envisager l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il disposait pour refuser de divulguer des documents, pouvoir qui est créé par l’emploi du mot « peut » au paragraphe 20(5).

[92]           Les deux raisons qui ont été données par le responsable de l’institution, ou en son nom, pour chaque décision faisant l’objet du présent contrôle sont succinctes :

[traduction] En conséquence, comme la clause de divulgation de renseignements a déjà été intégrée dans l’offre à commandes [2010-2014], les prix unitaires et les taux ne peuvent pas être considérés comme des renseignements confidentiels relatifs à un tiers qui nuiraient à votre compétitivité, et nous sommes donc tenus de les communiquer.

[93]           Selon moi, ces deux décisions sont viciées parce que le décideur a omis d’envisager l’exercice du pouvoir discrétionnaire requis par la loi. Au sujet d’un pouvoir discrétionnaire différent mais libellé de manière identique, au paragraphe 15(1) de la même Loi, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit : « […] la Loi exige que l’intimé envisage l’exercice de son pouvoir discrétionnaire » : voir Attaran c Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182 [Attaran]. Dans cette affaire, le pouvoir discrétionnaire n’avait pas été pris en compte et la demande de contrôle judiciaire a donc été accueillie.

[94]           En l’espèce, rien dans le dossier n’indique que TPSGC a envisagé l’exercice du pouvoir discrétionnaire que prévoit le paragraphe 20(5). Par conséquent, TPSGC ne s’est pas acquitté de l’obligation que la Loi impose, comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale. À cet égard, l’arrêt Attaran énonce le processus en deux étapes qui se rapporte à l’exercice du pouvoir discrétionnaire que prévoit la Loi :

[17]      Pour reprendre les termes de la Cour suprême dans l’arrêt Criminal Lawyers’ Association, au paragraphe 46, un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi doit être exercé en conformité avec les objectifs sous‑jacents à son octroi. Cette affirmation est compatible avec l’arrêt Telezone dans lequel notre Cour a déclaré, au paragraphe 47, « lorsque la Loi confère au responsable d’une institution fédérale le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer un document visé par une exception, la légalité de l’exercice de ce pouvoir doit faire l’objet d’un examen s’appuyant sur les motifs qui permettent normalement, en droit administratif, de revoir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire administratif, notamment le caractère déraisonnable ». Un des motifs de révision d’une décision administrative vise le pouvoir discrétionnaire, qui doit être exercé conformément aux limites imposées dans la loi (voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 56). Ainsi, les parties ne contestent pas que notre Cour peut intervenir si l’intimé n’a pas pris en compte l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 [18]     Si la Cour est convaincue que le pouvoir discrétionnaire a été exercé, la deuxième question consiste à voir si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[95]           Je suis conscient que l’arrêt Attaran portait sur le pouvoir discrétionnaire prévu par le paragraphe 15(1) de la Loi. Je ne vois toutefois pas pourquoi le raisonnement exposé dans cet arrêt ne s’applique pas au pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 20(5) de la même Loi. Les deux dispositions, les paragraphes 15(1) et 20(5), sont libellées de manière très semblable. Le paragraphe 15(1) crée un pouvoir discrétionnaire de refuser une communication, tandis que le paragraphe 20(1) crée un pouvoir discrétionnaire de communication. Les points de départ diffèrent et les facteurs à prendre en considération varieront mais, à mon avis, le pouvoir discrétionnaire est le même, soit celui de communiquer des documents ou non :

15. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives, notamment :

15. (1) The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains information the disclosure of which could reasonably be expected to be injurious to the conduct of international affairs, the defence of Canada or any state allied or associated with Canada or the detection, prevention or suppression of subversive or hostile activities, including, without restricting the generality of the foregoing, any such information

[…]

20.(5) Le responsable d’une institution fédérale peut communiquer tout document contenant les renseignements visés au paragraphe (1) si le tiers que les renseignements concernent y consent.

20.(5) The head of a government institution may disclose any record that contains information described in subsection (1) with the consent of the third party to whom the information relates.

[96]           Les défendeurs invoquent l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] pour demander à la Cour de conclure que la décision du décideur sur le paragraphe 20(5) est raisonnable, compte tenu du paragraphe 15, qui indique : « [la cour] ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ». Bien que rien ne soit dit au sujet du paragraphe 20(5) dans l’une ou l’autre des deux décisions, on me demande de tenir pour acquis qu’on en a bien tenu compte et que le pouvoir discrétionnaire a été dûment exercé en faveur de la communication. Ceci étant dit avec égard, il m’est impossible d’accéder à cette demande. Il n’est pas question en l’espèce d’une affaire dans laquelle je puis incorporer dans cette décision des mots dénotant que l’exercice du pouvoir discrétionnaire a été envisagé et rejeté. Tout ce que j’ai, c’est la loi et deux courtes décisions d’une phrase.

[97]           Dans la décision Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11, le juge Rennie (alors juge de la Cour fédérale) a expliqué pourquoi l’arrêt Newfoundland Nurses ne sauvegardait pas une décision comme celle-là :

L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait au tribunal ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées. Ici, il n’y a même pas de points sur la page.

[98]           Dans la présente situation, il me faudrait rédiger des motifs pour le responsable de l’institution, alors que, à mon humble avis, il n’a même pas pris une décision. C’est à ce responsable – et non à la Cour – qu’il incombe d’envisager et d’exercer le pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 20(5).

[99]           Un examen attentif du libellé des deux décisions confirme que l’exercice de cet important pouvoir discrétionnaire n’a pas été envisagé. Les mots que le décideur a employés sont simplement les suivants : [traduction« les prix unitaires et les taux ne peuvent pas être considérés comme des renseignements confidentiels relatifs à un tiers qui nuiraient à votre compétitivité, et nous devons donc les communiquer ».

[100]       L’emploi du mot [traduction] « donc » dans ces décisions m’incite à conclure que le refus de communiquer les renseignements a été causé uniquement par l’absence d’une exception. Autrement dit, le décideur a décidé de ne pas expurger les renseignements à cause de l’absence d’une exception, un point c’est tout. Il est évident qu’il a envisagé l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose. En agissant ainsi, il a manqué une étape cruciale, soit l’obligation légale de prendre en compte l’exercice du pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 20(5).

[101]       En conséquence, les décisions doivent être infirmées pour omission de prendre en compte l’exception que prévoit le paragraphe 20(5).

D.                Les taux relatifs au personnel de la demanderesse peuvent-ils être expurgés en application de l’alinéa 20(1)b) de la Loi, et sont-ils touchés par la clause de divulgation?

[102]       J’ai dit au départ que je reviendrais à la demande d’exception de la demanderesse fondée sur l’alinéa 20(1)b), et c’est ce que je fais maintenant. Cette disposition exige que le responsable de l’institution retienne ou expurge les renseignements demandés :

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

[…]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers […].

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party […].

[103]       Je souscris à l’argument des défendeurs selon lequel l’alinéa 20(1)b) ne s’applique pas en l’espèce. En bref, après avoir accepté de communiquer des renseignements, conformément à son interprétation de la clause de divulgation, la demanderesse est incapable de satisfaire à l’exigence que les renseignements soient communiqués avec une expectative raisonnable de confidentialité. La demanderesse reconnaît avoir convenu d’autoriser la divulgation des taux relatifs au personnel à d’autres ministères.

[104]       Pour pouvoir revendiquer l’exception que prévoit l’alinéa 20(1)b), la demanderesse doit satisfaire au critère en quatre volets qui a été énoncé dans la décision Air Atonabee Ltd c Canada (Ministre des Transports), [1989] ACF no 453, au paragraphe 34 [Air Atonabee], lequel volet est résumé dans la décision Société canadienne des postes c Commission de la capitale nationale, 2002 CFPI 700, au paragraphe 10. Ces quatre volets exigent que les renseignements demandés correspondent aux critères suivants :

1. il s’agit de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques, selon le sens courant de ces termes;

2. ils sont de nature confidentielle, suivant un critère objectif qui tient compte du contenu des renseignements, de leurs objets et des conditions dans lesquelles ils ont été préparés et communiqués;

3. ils sont fournis à une institution fédérale par un tiers;

4. ils sont traités d’une manière confidentielle de façon constante par ce tiers.

[105]       Bien que les premier et troisième volets soient remplis, j’estime comme le défendeur que ni le deuxième ni le quatrième ne le sont en l’espèce parce que la demanderesse a accepté que les renseignements en question soient divulgués, comme nous l’avons vu plus tôt dans le cadre de l’analyse des alinéas 20(1)c) et d).

[106]       Les taux relatifs au personnel sont assurément de nature confidentielle, mais ils ont été établis et communiqués dans le cadre d’une interprétation de la clause de divulgation qui autorisait à les communiquer à d’autres ministères. À mon avis, cette communication, aussi limitée qu’elle soit, a eu pour effet de situer ces taux relatifs au personnel à l’extérieur du deuxième volet du critère.

[107]       Pour les mêmes raisons, on ne peut pas dire que les renseignements ont été « traités d’une manière confidentielle de façon constante », comme l’exige le quatrième volet du critère énoncé dans la décision Air Atonabee.

[108]       En conséquence, la demande de protection en vertu de l’alinéa 20(1)b) est rejetée. Il n’est pas nécessaire d’examiner la clause de divulgation.

E.                 Les taux relatifs au personnel de la demanderesse peuvent-ils être expurgés en application de l’article 18 de la Loi?

[109]       J’ai dit que je reviendrais à la demande d’expurgation que la demanderesse a fondée sur l’article 18, qui dispose :

18. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant :

18. The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains

a) des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques appartenant au gouvernement du Canada ou à une institution fédérale et ayant une valeur importante ou pouvant vraisemblablement en avoir une;

(a) trade secrets or financial, commercial, scientific or technical information that belongs to the Government of Canada or a government institution and has substantial value or is reasonably likely to have substantial value;

b) des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité d’une institution fédérale ou d’entraver des négociations — contractuelles ou autres — menées par une institution fédérale;

(b) information the disclosure of which could reasonably be expected to prejudice the competitive position of a government institution or to interfere with contractual or other negotiations of a government institution;

c) des renseignements techniques ou scientifiques obtenus grâce à des recherches par un cadre ou employé d’une institution fédérale et dont la divulgation risquerait vraisemblablement de priver cette personne de sa priorité de publication;

(c) scientific or technical information obtained through research by an officer or employee of a government institution, the disclosure of which could reasonably be expected to deprive the officer or employee of priority of publication; or

d) des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement de porter un préjudice appréciable aux intérêts financiers d’une institution fédérale ou à la capacité du gouvernement du Canada de gérer l’économie du pays ou encore de causer des avantages injustifiés à une personne. Ces renseignements peuvent notamment porter sur :

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to be materially injurious to the financial interests of a government institution or to the ability of the Government of Canada to manage the economy of Canada or could reasonably be expected to result in an undue benefit to any person, including such information that relates to

(i) la monnaie canadienne, son monnayage ou son pouvoir libératoire,

(i) the currency, coinage or legal tender of Canada,

(ii) les projets de changement du taux d’intérêt bancaire ou du taux d’emprunt du gouvernement,

(ii) a contemplated change in the rate of bank interest or in government borrowing,

(iii) les projets de changement des taux tarifaires, des taxes, impôts ou droits ou des autres sources de revenu,

(iii) a contemplated change in tariff rates, taxes, duties or any other revenue source,

(iv) les projets de changement dans le mode de fonctionnement des institutions financières,

(iv) a contemplated change in the conditions of operation of financial institutions,

(v) les projets de vente ou d’achat de valeurs mobilières ou de devises canadiennes ou étrangères,

(v) a contemplated sale or purchase of securities or of foreign or Canadian currency, or

(vi) les projets de vente ou d’acquisition de terrains ou autres biens.

(vi) a contemplated sale or acquisition of land or property.

[110]       À mon humble avis, seuls les alinéas 18b) ou d) pourraient vaguement étayer la demande de la demanderesse. Cependant, selon moi, une expurgation ne peut être fondée ni sur l’alinéa 18b) ni sur l’alinéa 18d).

[111]       Pour commencer, l’article 18 débute par les mots « Intérêts économiques du Canada », ce qui, à mon avis, décrit avec justesse ses objets et le contexte dans lequel l’article 18 est censé être appliqué. Sous cet angle, j’ai de la difficulté à voir comment l’article 18 s’applique à la présente affaire, car la demande de la demanderesse ne semble pas être liée aux « intérêts économiques du Canada ». Si c’était le cas, il ne fait aucun doute qu’un grand nombre d’autres contrats gouvernementaux seraient assujettis à l’article 18, ce qui, selon moi, n’est pas l’intention du législateur.

[112]       De plus, aucune preuve ne permet de conclure que l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que la divulgation demandée : a) nuise à la compétitivité d’une institution gouvernementale ou b) entrave des négociations menées par une institution gouvernementale en vue de contrats ou à d’autres fins.

[113]       La demande fondée sur l’alinéa 18b) doit donc être rejetée.

[114]       Pour ce qui est de l’alinéa 18d), je conviens que cette disposition, considérée seule et dans l’abstrait, pourrait étayer d’une certaine manière la thèse de la demanderesse. Cependant, à mon avis, l’alinéa 18d) ne peut pas être évalué en dehors du contexte et des objets pour lesquels il a été adopté. L’article 18 décrit un régime conçu pour autoriser les expurgations ou les exceptions que requièrent les intérêts économiques du Canada, comme son titre l’indique. L’alinéa 18d) doit être lu en harmonie avec le reste de l’article 18. J’applique ici la règle d’interprétation noscitur a sociis qui s’applique aux mots associés; il est possible de discerner le sens d’un mot à partir de ceux qui l’accompagnent. Aucune preuve ne permet de justifier la demande d’expurgation de la demanderesse fondée sur l’alinéa 18d).

[115]       Par conséquent, la demande fondée sur l’alinéa 18d) doit être rejetée elle aussi.

[116]       Compte tenu de ce résultat, il n’est pas nécessaire d’examiner la clause de divulgation sous ce rapport.

XVIII. La réparation

[117]       Bien qu’il soit loisible à la Cour dans certaines circonstances de substituer sa décision à celle du responsable de l’institution – ce que la demanderesse m’a demandé de faire –, cette décision devrait selon moi être renvoyée en vue de la prise d’une nouvelle décision, comme l’ont proposé les défendeurs à titre subsidiaire : Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes c Canada (Ministre des Finances), [1999] 4 RCF 245, au paragraphe 19.

XIX.       Le commissaire à l’information

[118]       Avant de conclure, je souhaite signaler que le commissaire à l’information n’a pas produit de preuve additionnelle. Il soutenait les observations juridiques du codéfendeur, le procureur général du Canada, et a présenté des observations axées sur les questions de droit et de principe; l’avocat du procureur général s’est chargé de la preuve.

XX.          Les dépens

[119]       L’avocat de la demanderesse et celui du procureur général du Canada ont convenu d’une adjudication de dépens globale d’un montant de 5 000 $, ce qui est raisonnable, et je rendrai une ordonnance en ce sens. Les avocats ont également convenu qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés en faveur du commissaire à l’information ou contre lui. Je suis d’accord, et c’est également ce que j’ordonnerai.

XXI.       Conclusion

[120]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie; les décisions du responsable de l’institution ou de son délégué, datées du 3 janvier 2014 et du 5 juin 2014, sont infirmées et renvoyées pour nouvel examen à un décideur différemment constitué; une copie des présents motifs est versée dans chacun des deux dossiers de la Cour mentionnés à la première page des présentes; les dépens réunis des deux présentes demandes de contrôle judiciaire sont par la présente fixés à une somme globale de 5 000 $, que la partie déboutée soit payer à la partie ayant eu gain de cause, et aucuns dépens ne sont payables en faveur ou à l’encontre du commissaire à l’information du Canada.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIERS :

T-291-14

T-1481-14

 

INTITULÉ :

CALIAN LTD. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JuIn 2015

 

MOTIFS PUBLICS du jugement ET JUGEMENT :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 dÉcembrE 2015

 

COMPARUTIONS :

Nicholas McHaffie

Alex Sarabura

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kirk Shannon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

David Demirkan

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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