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Date : 20151201


Dossiers : T-349-14

T-350-14

T-351-14

T-352-14

Référence : 2015 CF 1332

[TRADUCTION FRANÇAISE NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ECLECTIC EDGE INC

demanderesse

et

GILDAN APPAREL (CANADA) LP

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En août 2008, la demanderesse Eclectic Edge Inc. [Eclectic] a déposé des demandes d’enregistrement relatives à quatre marques de commerce contenant les mots « valentine » et « secret », lesquelles demandes étaient fondées sur l’emploi projeté en liaison avec plusieurs produits de la nature de vêtements, de sous-vêtements et de lingerie pour femmes [les marques VALENTINE SECRET]. Bien qu’elle soit l’un des prédécesseurs en titre de la demanderesse, la défenderesse Gildan Apparel (Canada) LP [Gildan] s’est opposée à l’enregistrement en raison de l’existence d’une probabilité raisonnable de confusion avec sa propre marque de commerce déposée SECRET et de nombreuses autres marques de commerce contenant le mot SECRET [les marques SECRET]. En décembre 2013, la registraire des marques de commerce [la registraire] a repoussé les quatre demandes d’Eclectic.

[2]               Eclectic interjette maintenant appel de ces décisions devant la Cour fédérale en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce du Canada, LRC 1985, c T-13 [la Loi]. Eclectic soutient que les décisions de la registraire sur la question de la probabilité de confusion étaient erronées, compte tenu de plusieurs faits pertinents et importants, y compris des nouveaux éléments de preuve montrant que le mot « secret » fait l’objet d’un usage répandu sur le marché des vêtements et sous-vêtements pour femmes. En conséquence, affirme-t-elle, Gildan ne peut revendiquer l’exclusivité sur le mot « secret » et la Cour devrait rendre une ordonnance annulant les décisions de la registraire. Gildan répond que la registraire a reconnu à juste titre la probabilité de confusion existant entre les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic et ses propres marques SECRET ainsi que sa famille de marques de commerce SECRET bien connues, qui sont employées au Canada depuis plus de 40 ans sur le marché de la bonneterie, des sous‑vêtements et d’autres articles connexes de vêtements pour femmes. Gildan ajoute que les nouveaux éléments de preuve présentés en appel ne changent en rien la situation et que les décisions de la registraire ne devraient pas être modifiées.

[3]               Le différend qui oppose les parties est exacerbé par le fait que la Cour fédérale a récemment rendu des décisions divergentes au sujet de la probabilité de confusion entre des marques de commerce contenant le mot « secret » sur le marché des sous-vêtements, de la lingerie, des dessous et d’autres articles connexes de vêtements pour femmes[1]. Dans une affaire, il a été décidé que les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic n’étaient pas susceptibles de créer de la confusion avec les marques de commerce VICTORIA’S SECRET. Dans une autre, il a été jugé que la marque de commerce WOMEN’SECRET était susceptible de créer de la confusion avec les marques SECRET de Gildan. La Cour doit maintenant décider, en se fondant sur la preuve portée à son attention, si les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic sont susceptibles de créer de la confusion avec les marques SECRET de Gildan.

[4]               Les questions à trancher dans le présent appel sont donc les suivantes :

  • Quelle est la norme de contrôle qui s’applique au présent appel?
  • Les nouveaux éléments de preuve déposés en appel auraient-ils eu une incidence importante sur les décisions de la registraire?
  • Les conclusions de la registraire selon lesquelles les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic étaient susceptibles de créer de la confusion avec les marques SECRET de Gildan et n’étaient pas distinctives par rapport à celles-ci étaient-elles correctes ou raisonnables au vu de la preuve?

[5]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je ne suis pas convaincu que les nouveaux éléments de preuve déposés par Eclectic et par Gildan dans le présent appel auraient eu une incidence importante sur les décisions de la registraire. En conséquence, la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve portée à l’attention de la registraire, les nouveaux éléments de preuve présentés en appel, toutes les circonstances de l’espèce et les règles de droit applicables, je suis d’avis que les conclusions de la registraire selon lesquelles les marques VALENTINE SECRET sont susceptible de créer de la confusion avec les marques SECRET de Gildan et ne sont pas distinctives sont raisonnables et font partie des « issues possibles acceptables » pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En conséquence, je rejetterai l’appel.

II.                Le contexte

A.                Les faits

[6]               Le 1er août 2008, Eclectic a déposé des demandes visant à enregistrer les quatre marques VALENTINE SECRET suivantes :

  • Demande n° 1,405,838 : mot servant de marque « VALENTINE SECRET » [le mot servant de marque VALENTINE SECRET] :

  • Demande n° 1,405,840 : dessin-marque « VALENTINE SECRET » et dessin [le dessin‑marque VALENTINE SECRET] :

         Demande n° 1,405,839 : dessin-marque « VALENTINE SECRET LINGERIE » et dessin [le dessin-marque VALENTINE SECRET Lingerie] :

 

         Demande n° 1,405,835 : dessin-marque « VS A SECRET THAT WOMEN LOVE… » et dessin [le dessin-marque VALENTINE SECRET VS] :

 

[7]               Chaque marque de commerce se rapporte aux marchandises décrites comme suit dans les demandes d’Eclectic : bandanas (mouchoirs de cou); sorties de bain; caleçons de bain; maillots de bain, vêtements de plage; bas (collerettes); corsages (lingerie); soutien-gorge; camisoles; vêtements de gymnastique; corsets (dessous); caleçons (vêtements); robes de chambre; robes; étoles de fourrure; gaines; gants (vêtements); chasubles (plastrons); tricots (vêtements); mitaines; jupons; pochettes pour vêtements; pull-overs; vêtements prêt-à-porter, nommément vêtements de nuit, sous-vêtements et lingerie; doublures confectionnées (parties de vêtements); peignoirs (pour le bain); écharpes; maillots; slips (sous-vêtements); costumes; costumes (pour la baignade); vêtements de dessous absorbants (sous-vêtements); chandails; combinaisons-culottes (sous‑vêtements); tee-shirt; collants [les marchandises visées par les demandes].

[8]               Après que les demandes ont été annoncées, le prédécesseur en titre de Gildan, Manufacturier de Bas de Nylon Doris Ltée/Doris Hosiery Mills Ltd, plus tard connu sous le nom de Doris Inc. [Doris][2], s’est opposé aux demandes d’Eclectic dans une déclaration déposée le 29 janvier 2010. Dans ses oppositions, Gildan a soulevé plusieurs motifs d’opposition, dont les suivants :

         Selon les alinéas 38(2)a) et 30i) de la Loi, Eclectic ne pouvait être convaincue qu’elle avait le droit d’employer les marques VALENTINE SECRET, eu égard à l’emploi ou à l’enregistrement antérieur des marques déposées SECRET de Gildan;

  • Selon les alinéas 38(2)b) et 12(1)d) de la Loi, les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic n’étaient pas enregistrables, parce qu’elles créaient de la confusion avec les marques SECRET de Gildan [le motif fondé sur l’enregistrabilité];
  • Selon les alinéas 38(2)c) et 16(3)a) et b) de la Loi, Eclectic n’avait pas droit à l’enregistrement des marques VALENTINE SECRET, parce que celles-ci créaient de la confusion avec les marques SECRET de Gildan [le motif fondé sur le droit à l’enregistrement];
  • Selon l’alinéa 38(2)d) de la Loi, les marques VALENTINE SECRET n’étaient pas distinctives, parce qu’elles ne distinguaient pas véritablement les marchandises d’Eclectic en liaison avec lesquelles Eclectic projetait de les employer des marchandises ou services d’autres propriétaires, en l’occurrence, Gildan, ni n’étaient adaptées à les distinguer ainsi [le motif fondé sur le caractère distinctif].

[9]               Au soutien de ses oppositions devant la registraire, Gildan a fourni deux affidavits signés par M. Michael Poirier, président de Doris [les Affidavits de Poirier], et déposé des observations écrites. Essentiellement, Gildan a fait valoir qu’elle avait déposé une demande relative à la marque de commerce SECRET dès le 28 juillet 1966, qu’elle a commencé à employer en liaison avec de la bonneterie pour femmes en 1967. Gildan a également soutenu avoir élargi son portefeuille de marques SECRET au fil des années afin de créer une famille de nombreuses marques de commerce contenant le mot « secret », lesquelles marques sont employées en liaison avec des sous‑vêtements féminins.

[10]           Eclectic a déposé une contre-déclaration dans laquelle elle a nié les allégations et affirmé que ses demandes étaient conformes à la Loi. Elle a fait valoir que l’adoption, l’emploi et l’enregistrement au Canada, par des tierces parties, de marques de commerce contenant le mot « secret » en liaison avec des sous-vêtements féminins diminuaient sensiblement la portée de la protection à laquelle les marques de commerce de Gildan pourraient avoir droit. Eclectic a contre-interrogé M. Poirier au sujet des affidavits que celui-ci a signés. Cependant, elle n’a pas produit d’éléments de preuve de son propre chef au soutien de ses demandes devant la registraire.

[11]           Le 5 décembre 2013, la registraire a repoussé les quatre demandes.

B.                 Les décisions de la registraire

[12]           Les décisions de décembre 2013 de la registraire ont toutes été signées par Mme Cindy R. Folz, commissaire de la Commission des oppositions des marques de commerce [la Commission], qui a rendu quatre décisions à peu près identiques au sujet de chacune des quatre marques VALENTINE SECRET.

[13]           Dans un premier temps, la registraire a refusé de tenir compte des éléments de preuve qu’Eclectic a tenté de déposer, au cours des contre-interrogatoires de M. Poirier, relativement à différents enregistrements de marques de commerce de tierces parties contenant le mot « secret ». Elle a estimé qu’il était inapproprié de présenter cette preuve sur « l’état du registre » au moyen d’un contre-interrogatoire. La registraire a également souligné qu’elle porterait principalement son attention sur cinq des marques SECRET de Gildan (soit l’objet des enregistrements nos LMC 151,062, LMC 298,736, LMC 603,410, LMC 649,866 et LMC 503,802), parce que la réponse à la question de confusion entre les marques VALENTINE SECRET et ces cinq marques précises permettrait de réellement trancher le litige.

[14]           La registraire a d’abord rejeté l’allégation de Gildan selon laquelle Eclectic ne respectait pas les exigences de l’alinéa 30i) de la Loi et ne pouvait être convaincue qu’elle avait le droit d’employer les marques VALENTINE SECRET au Canada au moment de la production de la demande, compte tenu de l’emploi et de l’enregistrement antérieurs des marques SECRET. À cet égard, la registraire a souligné l’absence d’éléments de preuve montrant qu’Eclectic avait agi de mauvaise foi ou avait adopté ses marques de commerce alors qu’elle savait que celles-ci créaient de la confusion avec les marques de commerce de Gildan.

[15]           La registraire a ensuite reconnu que la principale question à trancher en ce qui concerne les autres motifs d’opposition de Gildan était de savoir s’il existait une probabilité de confusion entre les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic pour ce qui est des marchandise visées par les demandes et au moins une des 59 marques SECRET déposées de Gildan. Soulignant l’évolution des marques SECRET de Gildan et des produits SECRET en liaison avec lesquels elles sont employées, la registraire a exposé le critère en matière de confusion qui est prévu dans les dispositions de la Loi et élaboré dans la jurisprudence. Par suite de ses analyses, la registraire a tiré une conclusion favorable à Gildan en ce qui a trait au motif d’opposition fondé sur l’enregistrabilité et au motif d’opposition fondé sur le droit à l’enregistrement, compte tenu de l’alinéa 16(3)a) de la Loi, ainsi qu’au motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif.

[16]           Lorsqu’elle a examiné les facteurs énumérés à l’article 6 de la Loi pour évaluer la probabilité de confusion, la registraire a conclu que tous ces facteurs favorisaient Gildan.

[17]           En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent des marques (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a)), la registraire a décidé que le mot servant de marque VALENTINE SECRET, le dessin-marque VALENTINE SECRET et le dessin-marque VALENTINE SECRET VS d’Eclectic possédaient le même degré de caractère distinctif inhérent que les marques SECRET de Gildan. Cependant, le dessin-marque VALENTINE SECRET Lingerie n’a pas été jugé aussi fort en soi que les marques de Gildan, parce qu’il décrivait le genre de marchandises visées par la demande correspondante. La registraire a également conclu que la preuve de Gildan établissait que les marques SECRET de celle-ci étaient devenues bien connues, sinon célèbres au Canada en liaison avec la bonneterie et les sous-vêtements et que, étant donné qu’Eclectic n’avait produit aucun élément de preuve relatif à l’emploi de ses marques, ce facteur favorisait Gildan. La registraire a aussi commenté la preuve relative à l’emploi et à la réputation des marques SECRET au Canada, y compris les données que M. Poirier a fournies au sujet des ventes élevées de produits SECRET faites entre 1986 et 2009 par l’intermédiaire de milliers de points de vente au détail au Canada, notamment des magasins à rayons et des boutiques spécialisées, au sujet des dépenses que Gildan a faites pendant cette même période pour promouvoir et annoncer les produits SECRET arborant les marques SECRET et au sujet des produits sous licence vendus par Doris.

[18]           La registraire a ensuite conclu que le facteur de la période d’emploi des marques de commerce (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)b)) favorisait Gildan, parce qu’il n’y avait aucun élément de preuve montrant que les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic avaient été en usage au Canada.

[19]           Quant au genre de marchandises, services ou entreprises (facteur énoncé à l’alinéa (5)c)), la registraire a conclu que plusieurs des marchandises d’Eclectic étaient identiques ou très semblables aux produits SECRET de Gildan en ce sens qu’elles se composaient toutes d’articles vestimentaires. Étant donné qu’un grand nombre de marchandises d’Eclectic étaient étroitement apparentées aux produits SECRET ou les recoupaient, ce facteur favorisait Gildan.

[20]           Pour ce qui est de la nature du commerce (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)d)), la registraire a souligné qu’Eclectic n’avait présenté aucun élément de preuve en ce qui concerne les voies de commercialisation en liaison avec ses marques VALENTINE SECRET. Étant donné qu’il n’y avait aucune raison de présumer qu’il existait une différence importante entre les voies de commercialisation en liaison avec chacune des marques de commerce des parties, la registraire a conclu que ce facteur favorisait également Gildan.

[21]           Quant au degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e)), la registraire a conclu à l’existence d’un certain degré de ressemblance entre, d’une part, le mot servant de marque VALENTINE SECRET, le dessin-marque VALENTINE SECRET et le dessin-marque VALENTINE SECRET Lingerie et, d’autre part, les marques SECRET. La registraire a toutefois souligné que le degré de ressemblance n’était pas aussi élevé dans le cas du dessin-marque VALENTINE SECRET VS. Elle a reconnu qu’au moment d’examiner le degré de ressemblance entre les marques, il fallait prendre celles-ci dans leur totalité. Elle s’est d’abord demandé si les marques présentaient un aspect particulièrement frappant ou unique. Elle a reconnu que le mot « secret » était l’aspect le plus important des marques SECRET de Gildan, puisqu’il en constituait le seul élément. Elle a également conclu que le mot « secret » était l’aspect le plus important des dessins-marques VALENTINE SECRET et VALENTINE SECRET Lingerie d’Eclectic. Étant donné que les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic comprenaient la marque SECRET de Gildan dans son intégralité, la registraire a conclu qu’il y avait un certain degré de ressemblance entre les marques de commerce des parties dans la présentation, le son et les idées qu’elles suggéraient (ou une certaine ressemblance dans le cas du dessin-marque VALENTINE SECRET VS).

[22]           Je souligne en passant que, dans son analyse, la registraire a estimé que le mot « secret » constituait l’aspect le plus important de la marque uniquement dans le cas de deux marques d’Eclectic, soit le dessin-marque VALENTINE SECRET et le dessin-marque VALENTINE SECRET Lingerie. Dans le cas du mot servant de marque VALENTINE SECRET et du dessin‑marque VALENTINE SECRET VS, elle a simplement souligné que ces marques comprenaient la marque de commerce SECRET de Gildan dans son intégralité.

[23]           La registraire a également examiné les autres circonstances de l’espèce et en a relevé deux : l’existence d’une famille de marques de commerce SECRET et la notoriété des marques SECRET de Gildan. Elle a conclu que Gildan avait établi l’existence d’une famille de marques de commerce contenant le mot « secret » pour la bonneterie et les dessous. Elle a ajouté que les consommateurs qui sont familiarisés avec les marques SECRET de Gildan seraient plus enclins à présumer que les marques VALENTINE SECRET faisaient partie de la famille de marques de Gildan en raison de la présence de l’élément SECRET, ce qui augmente la probabilité de confusion. Quant à la notoriété, la registraire était convaincue que les marques SECRET de Gildan étaient bien connues, sinon célèbres au Canada et que cette notoriété et cette réputation avaient été reconnues dans d’autres décisions de la Cour fédérale et de la Commission.

[24]           Qui plus est, la registraire a cité la décision que la Cour fédérale a rendue en octobre 2013 dans l’affaire Cortefiel CA c Doris Inc, 2013 CF 1107 [Cortefiel] (confirmée en appel dans l’arrêt Cortefiel SA c Vêtements Gildan Canada LP, 2014 CAF 255), où la Cour fédérale a  confirmé une décision par laquelle la registraire avait conclu à l’existence d’une probabilité raisonnable de confusion entre la marque WOMEN’SECRET et les marques SECRET de Gildan. La registraire a souligné que, comme dans la décision Cortefiel, la preuve présentée en l’espèce donnait à penser que les consommateurs étaient assez familiarisés avec les marques SECRET au point de présumer probablement que des marchandises identiques ou très semblables en liaison avec les marques VALENTINE SECRET proviendraient de la même source.

[25]           Dans ces circonstances, la registraire a conclu qu’Eclectic ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les marques VALENTINE SECRET ne risquaient pas d’être confondues avec les marques SECRET de Gildan et, elle a repoussé les demandes d’Eclectic. Elle a affirmé que sa conclusion reposait principalement sur la notoriété des marques SECRET, sur le degré de ressemblance entre les marques des parties et sur le manque d’intérêt d’Eclectic à l’égard des procédures.

[26]           En appel devant la Cour fédérale, les deux parties ont produit de nouveaux éléments de preuve. Eclectic a déposé trois affidavits visant à démontrer que le mot « secret » est largement employé sur le marché des sous-vêtements féminins. Cette nouvelle preuve concernant l’état du registre et l’état du marché se composait des affidavits de M. Sandro Romeo [l’affidavit de Romeo], de Mme Caroline D’Amours [l’affidavit de D’Amours] et de Mme Judith Lee [l’affidavit de Lee], qui sont tous des employés de Thomson CompuMark [CompuMark], firme de recherche en propriété intellectuelle. Gildan a présenté un élément de preuve additionnel sous la forme d’un troisième affidavit de M. Poirier [le troisième affidavit de Poirier], afin de fournir d’autres détails sur l’emploi des marques SECRET par Gildan, de présenter des données à jour sur les ventes, la promotion et l’annonce des produits SECRET et de décrire les mesures d’exécution de la loi que Gildan a prises pour protéger ses marques SECRET contre des demandes d’enregistrement et des emplois de marques de commerce susceptibles de créer de la confusion.

C.                La question de la courtoisie judiciaire

[27]           La présente affaire revêt un intérêt particulier en raison de récentes décisions que la Cour fédérale a rendues dans le domaine des sous-vêtements féminins et qui concernent des questions et éléments de preuve similaires et mettent en cause quelques-unes des mêmes parties au présent appel. Effectivement, en se fondant sur ces précédents, les deux parties invoquent le principe de la courtoisie judiciaire au soutien de leurs positions respectives. Eclectic affirme que le principe de la courtoisie judiciaire devrait inciter la Cour fédérale à suivre les conclusions qu’a tirées le juge Manson dans la récente décision Eclectic Edge Inc c Victoria's Secret Stores Brand Management, Inc, 2015 CF 453 [Eclectic Edge], qui concernait les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic et les marques de commerce VICTORIA’S SECRET. À l’inverse, Gildan fait valoir que le principe de la courtoisie judiciaire devrait plutôt conduire la Cour fédérale à faire siennes les conclusions de fait et de droit qu’a tirées la juge Tremblay‑Lamer dans l’affaire Cortefiel au sujet de la marque de commerce WOMEN’SECRET et des marques SECRET de Gildan.

[28]           Je ne suis pas d’accord avec les parties sur cette question de la courtoisie judiciaire et je ne suis pas convaincu que la doctrine de la courtoisie judiciaire est déterminante en l’espèce. Le principe de la courtoisie judiciaire ne s’applique qu’aux décisions portant sur des questions de droit et ne s’applique nullement aux conclusions de fait tirées dans deux causes lorsque l’ensemble des faits ou les éléments de preuve ne sont pas identiques. Telle est la situation en l’espèce.

(1)               Le principe de la courtoisie judiciaire

[29]           Le juge Martineau a récemment décrit l’objet qui sous-tend la doctrine de la courtoisie judiciaire dans la décision Alyafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 952 [Alyafi], au paragraphe 45 :

[L]e principe de courtoisie judiciaire vise donc à empêcher la création de courants jurisprudentiels opposés et à encourager la certitude du droit. De façon générale, un juge devrait donc suivre une décision sur la même question d’un de ses collègues, à moins que la décision précédente se distingue sur les faits, qu’une question différente se pose, que la décision soit manifestement erronée ou que l’application de la décision créerait une injustice. La courtoisie judiciaire exige une bonne part d’humilité et de respect mutuel. Si la primauté du droit ne tolère pas l’arbitraire, la courtoisie judiciaire, sa fidèle compagne, s’en remet à la raison et au bon jugement de chacun. À défaut d’un jugement final du plus haut tribunal, le respect de l’opinion d’autrui peut être d’une merveilleuse éloquence. Bref, la courtoisie judiciaire c’est l’élégance incarnée dans la personne du magistrat respectueux de la valeur des précédents.

[30]           L’élégance à laquelle le juge Martineau fait allusion dans la décision Alyafi s’applique aux questions de droit. Dans l’arrêt Allergan Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CAF 308, la Cour d'appel fédérale a commenté la doctrine de la courtoisie judiciaire dans le contexte du droit des brevets et affirmé sans équivoque, aux paragraphes 43 et 44, que le principe s’appliquait uniquement aux conclusions de droit :

[43] […] Cette doctrine est parfois qualifiée de version modifiée du stare decisis, c’est‑à‑dire une application horizontale plutôt que verticale de ce principe (House of Sga’nisim c. Canada (Attorney General), 2011 BCSC 1394, au paragraphe 74). Selon le stare decisis, le juge doit suivre l’enseignement des décisions rendues par les tribunaux supérieurs. Bien qu’elle n’ait pas la même force, la doctrine de la courtoisie judiciaire vise à ce que la même question de droit ne soit pas tranchée différemment par les membres du même tribunal; il s’agit de promouvoir la certitude du droit (Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), [1995] A.C.F. no 1430, 64 C.P.R. (3d) 65, aux pages 67 et 68 (C.F. 1re inst.)).

[44] En tant que variante du stare decisis le principe de la courtoisie judiciaire ne joue qu’en ce qui concerne les questions de droit et non les conclusions de fait. Comme l’a expliqué la Cour d’appel de l’Ontario dans Delta Acceptance Corporation Ltd. c. Redman, [1966] 2 O.R. 37, au paragraphe 5 de la page 785 (C.A.) :

[traduction] Le seul élément de la décision d’un juge qui s’impose du juge subséquent réside dans le principe constituant le fondement de la décision.

[Non souligné dans l’original]

[31]           En conséquence, un juge ne doit pas écarter les conclusions de droit tirées par un autre juge de la Cour fédérale, à moins d’être convaincu qu’il est nécessaire de le faire et de pouvoir faire état de motifs convaincants à l’appui. Comme l’a expliqué le juge Lemieux dans la décision Almrei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1025 [Almrei], au paragraphe 61, le principe de la courtoisie judiciaire « signifie qu’une décision essentiellement semblable qui est rendue par un juge de notre Cour devrait être adoptée dans l’intérêt de favoriser la certitude du droit ». Cependant, il existe des exceptions à ce principe, notamment les cas où l’ensemble de faits ou les éléments de preuve ne sont pas les mêmes pour les deux causes et les cas où la question à trancher est différente [décision Almrei, au paragraphe 62].

[32]           Toutefois, cela ne signifie pas qu’il faille traiter de manière peu élégante ou peu respectueuse les décisions rendues par d’autres juges de la Cour fédérale sur des questions de fait similaires, bien au contraire. Cela signifie cependant qu’il n’y a pas lieu d’accorder plus d’importance à la doctrine de la courtoisie judiciaire qu’au rôle du juge de première instance en ce qui concerne l’évaluation de la preuve portée à son attention.

(2)               Les précédents invoqués par les parties

[33]           Bien qu’elles concernent également des différends en matière de marques de commerce dans le marché des sous-vêtements féminins et qu’elles comportent donc une certaine ressemblance avec le présent appel, les décisions que les parties ont invoquées au soutien de leur thèse relative à la courtoisie judiciaire ont trait à des parties et à des marques différentes et mettent en lumière des conclusions fondées sur leurs propres circonstances factuelles.

[34]           Dans l’affaire Cortefiel, la juge Tremblay-Lamer a révisé une décision par laquelle la Commission avait repoussé une demande d’enregistrement de la marque de commerce WOMEN’SECRET en liaison avec des vêtements pour femmes, qu’avait contestée le prédécesseur en titre de Gildan, Doris. Dans cette affaire-là, les deux parties avaient produit de nouveaux éléments de preuve en appel. La demanderesse avait déposé de nouveaux éléments de preuve relatifs à l’usage du mot « secret » par des tierces parties et fait que des magasins de vente au détail vendaient des articles de lingerie arborant des marques de commerce qui renfermaient le mot « secret(s) ». Pour sa part, Doris avait produit des affidavits de M. Poirier concernant des accords de licence relatifs à l’emploi de la famille de marques de commerce « SECRET » et les mesures que Doris avait prises pour s’opposer à l’emploi par des tiers de marques de commerce contenant le mot « secret(s) ». La juge Tremblay-Lamer a conclu que ces éléments de preuve n’auraient pas eu d’incidence importante sur l’évaluation faite par la Commission, car ils étaient très répétitifs et ne rehaussaient pas la force de la preuve (décision Cortefiel, aux paragraphes 31 à 33).

[35]           La juge Tremblay-Lamer a donc appliqué la norme de la décision raisonnable et conclu que la Commission avait agi de façon raisonnable en concluant que les consommateurs connaissaient suffisamment la marque de commerce SECRET de Doris et croiraient probablement que les marchandises identiques ou étroitement liées à la marque WOMEN’SECRET proviennent de la même source (décision Cortefiel, au paragraphe 48). La juge Tremblay-Lamer a également décidé que la Commission avait agi de façon raisonnable en concluant que la marque WOMEN’SECRET créait de la confusion, compte tenu des similitudes générales des marques, y compris l’élément commun « secret », l’aspect peu nouveau de la marque et de son dessin, dont son premier mot générique, « women », ainsi que la notoriété des marques SECRET de Doris. En conséquence, elle a conclu qu’il était assez probable que le consommateur ordinaire, plutôt pressé, croirait que les marchandises offertes par la demanderesse en liaison avec WOMEN’SECRET provenaient de Doris. Qui plus est, la juge Tremblay-Lamer a conclu que, même si Doris n’avait pas contesté la position de toutes les tierces parties faisant usage du mot « secret », la registraire avait conclu raisonnablement que la preuve laissait croire que Doris avait fait preuve de diligence raisonnable en protégeant ses marques SECRET afin d’éviter de miner leur caractère distinctif (décision Cortefiel, aux paragraphes 87 et 88).

[36]           Gildan soutient que cette décision a répondu pour l’essentiel aux arguments qu’Eclectic a formulés en l’espèce au sujet de marques de commerce et de noms commerciaux de tierces parties contenant le mot « secret » et au sujet du caractère apparemment insuffisant des activités d’exécution de la loi que Gildan a exercées pour contrôler l’usage du mot « secret » en liaison avec ses marchandises.

[37]           Dans l’affaire Eclectic Edge, le juge Manson était saisi de l’appel d’une décision de la Commission mettant en cause Victoria’s Secret Stores Brand Management Inc. [VS] et Eclectic relativement aux quatre mêmes marques VALENTINE SECRET en litige dans le présent appel. Les deux parties avaient également produit de nouveaux éléments de preuve en appel dans cette affaire-là. Eclectic a déposé des affidavits signés par les trois mêmes personnes que dans la présente affaire, soit M. Romeo, Mme D’Amours et Mme Lee, lesquels affidavits portaient sur ce qui semble être les mêmes recherches et les mêmes renseignements au sujet des emplois par des tierces parties de marques de commerce et de noms commerciaux contenant le mot « secret ». VS avait également produit de nouveaux éléments de preuve concernant le contrôle en matière de licences des marques de commerce de VS au Canada. Dans cette affaire-là, le juge Manson a conclu que les nouveaux éléments de preuve de VS étaient importants pour le contrôle sous licence approprié des marques de commerce de VS au Canada, de même que pour la portée de la protection des marques de commerce de celle-ci au Canada (décision Eclectic Edge, au paragraphe 40). Le juge Manson a également conclu que les nouveaux éléments de preuve d’Eclectic sur l’usage commun du mot « secret » dans des marques de commerce ainsi que sur le marché par des tierces parties au Canada pour de la lingerie, des vêtements pour femmes et des produits connexes, dont la Commission d’opposition n’avait pas tenu compte, allaient « au cœur même de la décision de la Cour au sujet de la probabilité de confusion » et étaient importants.

[38]           Le juge Manson a donc appliqué la norme de la décision correcte à la décision de la Commission. Il a finalement conclu que trois des quatre marques VALENTINE SECRET n’étaient pas susceptibles de créer de la confusion avec les marques de commerce de VS, compte tenu des nouveaux éléments de preuve déposés au sujet de l’emploi répandu des marques de commerce en liaison avec le mot « secret » et des différences dans l’apparence et le son entre les marques en cause. Lorsqu’il a examiné le degré de ressemblance, le juge Manson a souligné ce qui suit : « Il ressort des nouveaux éléments de preuve que le mot SECRET est employé de manière relativement fréquente au Canada par des tierces parties en liaison avec de la lingerie, ainsi que des vêtements et des sous-vêtements pour femmes »; de plus, « le nombre élevé d’enregistrements de marque de commerce et de sociétés indiqués dans les recherches faites au Canada est suffisant pour démontrer le caractère commun de l’emploi que font du mot SECRET, en liaison avec de la lingerie et des vêtements pour femmes, un certain nombre de tierces parties au pays » (décision Eclectic Edge, au paragraphe 80). Les marques de commerce SECRET que possède et qu’emploie Gildan ont semblé particulièrement notables aux yeux du juge Manson. Cependant, le dessin-marque VALENTINE SECRET VS d’Eclectic a été considéré comme une marque susceptible de créer de la confusion avec les marques VICTORIA’S SECRET et comme une marque non distinctive.

[39]           Dans le présent appel, Eclectic soutient qu’elle a produit exactement les mêmes nouveaux éléments de preuve que dans l’affaire Eclectic Edge au sujet de l’existence de marques de commerce et de noms commerciaux de tierces parties qui renferment le mot « secret » et au sujet du caractère insuffisant des activités d’exécution de la loi de Gildan et que, par conséquent, la Cour devrait en arriver à la même conclusion que le juge Manson et infirmer les décisions de la registraire.

[40]           Par souci d’exhaustivité, je mentionne également la décision plus ancienne que la Commission a rendue dans l’affaire Doris Hosiery Mills Ltd c Victoria’s Secret Inc, [1991] COMC n° 304, 39 CPR (3d) 131 [Victoria’s Secret], où le prédécesseur en titre de Gildan s’est opposé aux efforts de VS en vue d’enregistrer la marque de commerce VICTORIA’S SECRET, soutenant que cette marque créerait de la confusion avec sa propre marque de commerce SECRET. Il s’agit d’une décision qui a été rendue par la Commission et qui ne lie donc pas la Cour fédérale. Cependant, je souligne que la Commission a conclu à l’époque qu’il y avait une probabilité raisonnable de confusion entre la marque de commerce VICTORIA’S SECRET de VS employée en liaison avec de la lingerie et des sous-vêtements pour femmes et la marque de commerce SECRET de Doris. Cependant, la Commission n’a pas conclu à l’existence d’une probabilité raisonnable de confusion relativement aux autres marchandises et services visés par la demande de VS, y compris les vêtements de nuit, les fragrances et les services liés à l’exécution de ventes par correspondance et de ventes dans des magasins de détail. Depuis cette  décision, tel qu’il est mentionné dans les éléments de preuve portés à l’attention de la Cour, Gildan et VS ont conclu une entente permettant la coexistence des marques de commerce VICTORIA’S SECRET et SECRET sur le marché canadien.

[41]           La question que le juge Manson a analysée dans l’affaire Eclectic Edge était de savoir s’il y avait une probabilité de confusion entre les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic et les marques de commerce VICTORIA’S SECRET de VS. Dans la décision Cortefiel, la question sur laquelle la juge Tremblay-Lamer s’est penchée était de savoir s’il y avait une probabilité de confusion entre les marques de commerce WOMEN’SECRET de Cortefiel et les marques SECRET de Doris. Ces deux questions étaient différentes de celle qui est soulevée en l’espèce, soit la question de savoir s’il existe une probabilité de confusion entre les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic et les marques SECRET de Gildan. De plus, comme je l’expliquerai de façon plus détaillée ci-dessous, même s’il existe des similitudes évidentes entre les dossiers de preuve de chacune de ces affaires-là et la présente affaire, il y a aussi des différences importantes.

[42]           J’en arrive donc à la conclusion que je ne puis m’en remettre à la doctrine de la courtoisie judiciaire pour suivre et adopter l’un ou l’autre de ces précédents, étant donné que le présent appel porte sur une question et sur des faits différents et qu’il oppose des parties différentes. Bien entendu, je conserverai à l’esprit les conclusions que mes collègues de la Cour fédérale ont tirées dans ces affaires Cortefiel et Eclectic Edge, puisqu’il existe certains recoupements avec la présente affaire, mais je ne suis pas lié par ces décisions et je dois trancher le présent appel en me fondant sur la preuve et sur les arguments portés à mon attention.

III.             Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

[43]           Les principes régissant la norme de contrôle à appliquer au présent appel ne sont pas contestés. Le paragraphe 56(5) de la Loi prévoit que, lors d’un appel fondé sur l’article 56, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire. Bien que les décisions du registraire soient normalement assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable, lorsque des éléments de preuve additionnels sont présentés en appel et que ces éléments auraient pu avoir une influence importante sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Molson Breweries c John Labatt Ltd, [2000] 3 RCF 145 [Molson Breweries], aux paragraphes 24 à 29). En pareil cas, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire (décision Eclectic Edge, au paragraphe 9). Dans les autres cas, la Cour s’en remet à la décision du registraire et, s’il était raisonnablement loisible à celui-ci d’en arriver aux conclusions en question, la Cour n’interviendra pas (décision Cortefiel, au paragraphe 34).

[44]           Le critère applicable consiste à se demander si les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence importante sur les conclusions de fait qu’a tirées le registraire dans la décision initiale (Molson Breweries, au paragraphe 29; Diamant Elinor Inc c 88766 Canada Inc, 2010 CF 1184 [Diamant], au paragraphe 41). L’évaluation de la nouvelle preuve exige que la Cour se demande dans quelle mesure cette preuve est plus probante que celle qui a été soumise au registraire (décision Diamant, au paragraphe 43; Advance Magazine Publishers Inc c Farleyco Marketing Inc, 2009 CF 153 [Farleyco], au paragraphe 98). La nouvelle preuve doit être suffisamment importante sur le plan de la valeur probante (Vivat Holdings Ltd. c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707 [Vivat], au paragraphe 27). De plus, elle devrait avoir du poids et ne devrait pas consister en une simple répétition des éléments déjà mis en preuve sans accroître la force probante de ceux-ci (Garbo Group Inc. c Harriet Brown & Co (1999), 3 CPR (4th) 224 [Garbo], au paragraphe 37; décision Cortefiel, aux paragraphes 16 et 17). Enfin, l’importance est considérée sous un angle qualitatif, et non quantitatif (décision Vivat, au paragraphe 27; Hawke & Co Outfitters LLC c Retail Royalty Co, 2012 CF 1539, au paragraphe 31).

[45]           Même si la nouvelle preuve doit être telle qu’elle aurait eu un effet sur la décision du registraire, cela ne signifie pas nécessairement qu’elle aurait modifié sa conclusion finale (Worldwide Diamond Trademarks Limited c Canadian Jewellers Association, 2010 CF 309 [Canadian Jewellers], au paragraphe 40). En d’autres termes, la Cour peut en arriver à la même conclusion que la Commission, même en présence des nouveaux éléments de preuve.

[46]           Les nouveaux éléments de preuve seront habituellement considérés comme des éléments suffisamment importants lorsqu’ils apportent un éclairage nouveau sur le dossier ou qu’ils vont bien au-delà de la preuve dont disposait le registraire. Avant de pouvoir décider si elle doit reprendre l’examen de l’affaire depuis le début ou se contenter de vérifier si la décision de la commissaire est raisonnable, la Cour doit d’abord examiner les nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés dans le cadre de l’appel (décision Farleyco, au paragraphe 87).

[47]           Ainsi que l’a affirmé la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Molson Breweries, il importe de souligner que l’expression procès « de novo » n’est pas tout à fait appropriée pour décrire la nature de l’appel prévue à l’article 56, puisque les décisions de la Commission méritent une certaine déférence (au paragraphe 27) :

[27] Dans l'affaire McDonald's Corp. c. Silcorp Ltd. (McDonald's Corp.), le juge Strayer (alors juge puiné), commentant cette citation du juge Ritchie, a expliqué que, bien que la Cour doive demeurer libre de revoir la décision du registraire, cette décision ne doit pas être rejetée à la légère.

Il semble clair qu'en matière d'oppositions, lorsque le litige porte essentiellement sur des faits relatifs à la confusion ou au caractère distinctif, la décision du registraire ou de la Commission constitue une conclusion de fait et non l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la Cour ne devrait pas réviser cette décision avec autant de retenue que s'il s'agissait de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. La Cour est donc libre d'examiner les faits afin d'établir si la décision du registraire ou de la Commission était exacte; cependant cette décision ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles; voir Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp. (1968), 57 C.P.R. 1 à la p. 8, 1 D.L.R. (3d) 462, [1969] R.C.S. 192, aux p. 199 et 200 (C.S.C.). Bien qu'à diverses reprises, la Cour d'appel fédérale ait jugé qu'en appel, la Cour avait l'obligation d'établir si le registraire avait ou non rendu une décision « manifestement erronée » ou s'il avait simplement « eu tort », il semble que le juge saisi d'un appel semblable à l'espèce soit tenu de tirer ses propres conclusions quant à l'exactitude de la décision du registraire. Ce faisant, il doit toutefois tenir compte de l'expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire ou la Commission et surtout prendre en considération, le cas échéant, le fait que de nouvelles preuves, dont ne disposait pas la Commission, ont été déposées devant lui. 

[Non souligné dans l’original]

[48]           Même si la preuve est jugée importante, la Cour doit encore faire preuve d’une certaine déférence au registraire et le fait d’admettre et d’examiner un nouvel élément de preuve n’empêche pas en soi « que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent » (Mattel Inc. c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 [Mattel], aux paragraphes 36 et 37). Dans la décision Garbo, le juge Evans a affirmé que, même si le paragraphe 56(5) de la Loi peut laisser croire que les conclusions de fait auxquelles la preuve renvoie doivent être examinées suivant la norme de la décision correcte, « il ne s’ensuit pas nécessairement que la même norme doit s’appliquer aux conclusions tirées par la registraire à l’égard d’autres faits » (décision Garbo, au paragraphe 23). En d’autres termes, la norme de la décision correcte devrait s’appliquer aux conclusions de fait sur lesquelles la preuve additionnelle a une incidence importante, mais les autres conclusions de fait demeurent susceptibles de contrôle selon la norme plus déférente de la décision raisonnable, eu égard à la compétence spécialisée du registraire (décision Canadian Jewellers, au paragraphe 43).

B.                 Les nouveaux éléments de preuve déposés en appel auraient-ils eu une incidence importante sur les décisions de la registraire?

[49]           Eclectic soutient que les éléments de preuve additionnels présentés en appel vont bien au‑delà de la preuve dont la registraire était saisie et sont beaucoup plus importants que celle‑ci et que, par conséquent, la Cour devrait tenir une nouvelle audience sans tenir compte de la décision de la registraire. Pour sa part, Gildan affirme que les nouveaux éléments de preuve déposés par les parties n’étaient pas vraiment nouveaux et n’auraient pas eu d’incidence importante sur les conclusions de la registraire. De l’avis de Gildan, les nouveaux éléments de preuve renforcent plutôt la conclusion selon laquelle les quatre marques VALENTINE SECRET dont Eclectic demande l’enregistrement ne sont pas distinctes par rapport aux marques SECRET que Gildan emploie et contrôle effectivement. Par conséquent, la norme de la décision raisonnable devrait s’appliquer.

[50]           Les deux parties ont produit de nouveaux éléments de preuve en appel. Dans le cas d’Eclectic, ces nouveaux éléments de preuve se composent de l’affidavit de Romeo, de l’affidavit de D’Amours et de l’affidavit de Lee. Ces affidavits fournissaient simplement des renseignements sur l’état du registre et sur l’état du marché. Ils ont servi à présenter les résultats des recherches de marques de commerce contenant le mot « secret » dans le registre des marques de commerce canadiennes, dans les sources de common law canadiennes, dans les registres de noms officiels d’entreprises au Canada et dans des bases de données électroniques. En ce qui concerne Gildan, le nouvel élément de preuve se limitait au troisième affidavit de Poirier et portait principalement sur les mesures d’exécution de la loi que Gildan a prises pour protéger les marques SECRET.

[51]           Pour les motifs exposés ci-après, je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve additionnels que les parties ont présentés dans l’appel sont substantiels à un point tel qu’ils auraient eu une incidence importante sur les conclusions et les évaluations de la registraire. Après un examen approfondi, je ne puis conclure que les nouveaux éléments de preuve auraient apporté « un éclairage nouveau » au dossier original ou « qu’ils vont bien au-delà » de la preuve dont la registraire était saisie ou encore qu’ils sont suffisamment importants et significatifs sur le plan de la qualité et de la valeur probante. En conséquence, la norme de contrôle qui sera appliquée dans le présent appel est celle de la décision raisonnable.

(1)               Éléments de preuve additionnels d’Eclectic

(a)               L’affidavit de Romeo

[52]           L’affidavit de Romeo présente les résultats d’une recherche menée dans la base de données des marques de commerce canadiennes et dans les registres des noms de domaine Internet en vue de trouver le mot « secret » de pair avec des « vêtements et sous-vêtements pour femmes, produits de beauté, services de vente au détail » liés aux produits, ainsi que les catégories internationales 3, 25 et 35. M. Romeo est un analyste en recherches de marques de commerce pour la firme de recherche en propriété intellectuelle CompuMark. Il a effectué les deux volets d’un travail de recherche de dilution complète : base de données sur les marques de commerce canadiennes et registres des noms de domaine Internet (nombre d’occurrences), pour le mot « secret », qu’Eclectic avait commandée dans le cadre du présent appel [recherche du nombre d’occurrences]. Cette recherche est conçue pour informer un client du nombre d’occurrences d’un mot d’une marque de commerce dans une industrie précise.

[53]           M. Romeo a fait une recherche dans la base de données du registre de marques de commerce de CompuMark, qui est établie en consignant périodiquement les enregistrements de marque de commerce qui figurent dans le registre des marques de commerce canadiennes. La recherche de M. Romeo a révélé un certain nombre d’enregistrements et de demandes en instance pour des marques de commerce comprenant le mot « secret ». Voici notamment ce qu’elle a permis de découvrir :

         315 enregistrements et demandes en instance pour des marques de commerce comportant le mot « secret » en vue de leur emploi en liaison avec des vêtements, des produits de beauté ou des ventes au détail de vêtements ou de produits de beauté;

         99 entités détiennent des enregistrements de marque de commerce ou des demandes en instance pour l’enregistrement de marques de commerce comprenant le mot « secret » en vue de leur emploi en liaison avec des vêtements, des produits de beauté ou des ventes au détail de vêtements ou de produits de beauté.

[54]           Selon Eclectic, les 315 enregistrements et demandes en instance trouvés par M. Romeo comprenaient les marques de commerce suivantes :

         80 marques de commerce contenant le mot SECRET, qui appartiennent à VS;

         93 marques de commerce utilisant le mot SECRET, que Gildan a enregistrées en vue de leur emploi avec des dessous, des sous-vêtements et de la lingerie;

         La marque SECRET TREASURES, enregistrée par Wal-Mart Stores, Inc. [Wal-Mart] en vue de son emploi en liaison avec des vêtements de nuit et de la lingerie;

         La marque SECRETS FROM YOUR SISTER, enregistrée par Secrets From Your Sister Inc. en vue de son emploi en liaison avec des services de magasins de vente au détail comportant de la lingerie féminine;

         La marque LADY’S SECRET & Design, enregistrée par le Groupe JLF en vue de son emploi en liaison avec des articles de chaussures pour femmes;

         La marque EUROPEAN SECRET, enregistrée par Henchy Monheit, faisant affaires sous le nom de Design Par Anne Monette, en vue de son emploi en liaison avec des coiffes;

         Une demande d’enregistrement de la marque SUZY’S SECRET, déposée par Suzy’s Inc. en liaison avec des vêtements pour femmes, en instance;

         La marque OSTOMYSECRETS, enregistrée par ConvaTecInc. en vue de son emploi en liaison avec des sous-vêtements pour les personnes qui utilisent des poches de stomie.

[55]           Pour effectuer la recherche de noms de domaine, M. Romeo s’est servi de la base de données des noms de domaine de CompuMark, qui met à jour les données relatives aux noms de domaine émanant de tous les registraires de noms de domaine agréés par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, afin d’inclure les noms de domaine enregistrés comportant plusieurs suffixes. M. Romeo a cherché des noms de domaine incluant le préfixe « secret » et les mots clothing (vêtements), apparel (habillement), undergarment (dessous), underwear (sous‑vêtements), cosmetic (produits de beauté), makeup (maquillage) et retail (vente au détail). La recherche a produit 67 noms de domaine enregistrés comportant le mot « secret ».

[56]           Gildan n’a pas contre-interrogé M. Romeo sur l’affidavit que celui-ci a déposé. Cependant, dans son troisième affidavit, M. Poirier a répondu aux conclusions présentées dans l’affidavit de Romeo au sujet de l’état du registre. M. Poirier a affirmé que, des 315 marques de commerce relevées par M. Romeo, 99 ne couvraient pas de produits de la classe internationale 25, qui concerne les vêtements, et ne devraient donc pas être prises en compte. Des autres marques de commerce, 93 appartenaient effectivement à Gildan, 80, à VS et quatre, à Eclectic. M. Poirier a ajouté que six des marques de commerce énumérées n’avaient pas encore été approuvées par le registraire. Selon Gildan, cela ne laissait que 39 marques de commerce à prendre en compte. Dans ses observations, Gildan a fait valoir que dix de ces marques de commerce faisaient l’objet d’une opposition de la part de Gildan et que les autres ne couvraient pas de produits liés au domaine du vêtement, d’articles de bonneterie ou de sous-vêtements féminins, ni ne se rapportaient à des vêtements relatifs à des articles de promotion.

[57]           En ce qui concerne les résultats de la recherche qu’a menée M. Romeo pour trouver des noms de domaine enregistrés contenant le mot « secret », Gildan affirme dans ses observations qu’un grand nombre de ces sites Web sont inaccessibles ou inactifs ou qu’ils sont en construction et que de nombreux autres sont des sites Web étrangers (certains sont rédigés entièrement en coréen et d’autres affichent des prix en euros). De plus, certains sites Web que M. Romeo a relevés n’ont manifestement aucune pertinence et concernent, par exemple, la cryptanalyse ou la pornographie adulte. Enfin, citant la décision ITV Technologies, Inc c WIC Television Ltd, 2003 CF 1056 [ITV Technologies], aux paragraphes 22 à 24, Gildan ajoute que l’affidavit de Romeo ne prouve pas l’accès à ces différents sites Web par des Canadiens et que « la simple existence de ces sites » n’établit pas qu’ils étaient consultés par des Canadiens ou qu’ils étaient connus d’eux.

(b)               L’affidavit de D’Amours

[58]           L’affidavit de D’Amours présente également les résultats d’une recherche menée dans certains registres de noms d’entreprises et d’autres bases de données électroniques en vue de relever le mot « secret » employé en liaison avec des « vêtements et sous-vêtements pour femmes, des produits de beauté et des services de vente au détail » liés aux produits. Mme D’amours s’est occupée des deux volets de la recherche du nombre d’occurrences commandée par Eclectic, soit les sources de common law canadiennes et les registres des noms officiels d’entreprises au Canada. Elle est elle aussi une employée de CompuMark, pour laquelle elle a travaillé pendant quinze ans comme analyste en recherche de marques de commerce ayant effectué principalement des recherches de marques de commerce.

[59]           Mme D’amours a mené sa recherche à l’aide des sources de common law canadiennes et des registres de noms officiels d’entreprises au Canada de CompuMark. Les sources de common law canadiennes contiennent les marques de commerce, les noms commerciaux et les noms d’entreprise trouvés et publiés dans des répertoires d’entreprise, des revues commerciales, des bases de données électroniques et d’autres sources du marché. Pour ce qui est de la recherche des noms officiels d’entreprises au Canada, Mme D’amours a spécifiquement consulté la base de données du système NUANS, qui inclut les noms de société en vigueur et les noms d’entreprise enregistrés des sociétés enregistrées à l’échelon fédéral, et ce, pour toutes les provinces sauf le Québec. D’autres bases de données ont servi à chercher les sociétés et les noms d’entreprise enregistrés au Québec.

[60]           Dans la mesure du possible, Mme D’amours a restreint sa recherche aux résultats liés aux vêtements et aux sous-vêtements pour femmes, aux produits de beauté et aux services de vente au détail liés aux produits susmentionnés. Selon Eclectic, les résultats obtenus ont été les suivants :

         170 sociétés ou noms d’entreprise enregistrés comprenant le mot « secret » dans leur dénomination au sein de la base de données du système NUANS, qui couvre l’ensemble du Canada à l’exception du Québec;

         5 entités situées au Québec qui semblent : a) avoir un nom comprenant le mot « secret », b) qui emploient la marque de commerce SECRET ou c) qui distribuent des produits portant la marque de commerce SECRET;

         49 inscriptions dans la base de données tenue par Dun & Bradstreet, pour des entités comportant le mot « secret » dans leur dénomination; 19 de ces entités semblent être actives dans le domaine des vêtements;

         12 entreprises comportant le mot « secret » dans leur dénomination et un numéro « CA » que le gouvernement du Canada a attribué dans le but d’identifier les fabricants de vêtements.

[61]           Mme D’amours n’a pas été contre-interrogée au sujet de son affidavit et M. Poirier n’a pas commenté, dans son troisième affidavit, les résultats de la recherche qu’elle avait menée. Cependant, Gildan conteste également dans ses observations le contenu de l’affidavit de D’Amours. Elle fait valoir que l’affidavit ne présentait pas la ventilation des produits de la catégorie à laquelle les résultats appartenaient et que la catégorie de produits couverts était large et allait bien au-delà des sous-vêtements féminins. Ainsi, seulement 17 des noms d’entreprise non liés à Gildan qui ont été relevés lors de la recherche de Dun & Bradstreet concernent la catégorie générale des vêtements à laquelle les marchandises en cause appartiennent. Selon Gildan, les résultats de la recherche de Mme D’amours ne permettent pas de savoir si les entreprises étaient encore actives ou si elles offraient les marchandises en liaison avec le mot « secret » au Canada et aux consommateurs canadiens. Gildan ajoute que peu de renseignements ont été fournis, hormis le nom et l’emplacement de l’entreprise et une description générale du type de commerce.  

(c)                L’affidavit de Lee

[62]           L’affidavit de Lee présente également les résultats d’une recherche menée sur le Web en vue de trouver le mot « secret » en liaison avec les [traduction] « vêtements et les sous-vêtements pour femmes, les produits de beauté et les services de vente au détail » liés aux produits. Mme Lee a effectué le volet recherche (étendue) de la common law sur le Web d’une recherche de dilution complète en vue de trouver le mot SECRET. Ce travail faisait également partie de la recherche du nombre d’occurrences commandée par Eclectic. Mme Lee travaillait elle aussi pour CompuMark. Son travail consiste principalement à mener des recherches de marques de commerce sur le Web et à communiquer avec la clientèle.

[63]           La recherche de Mme Lee visait à fournir de l’information sur le nombre d’occurrences d’un mot ou d’une combinaison de mots qui sont employés sur Internet à titre de marques de commerce, de noms commerciaux ou de noms d’entreprise dans un secteur industriel précis. Pour effectuer la recherche, Mme Lee s’est servie de l’application de recherche interne de CompuMark, qui regroupe des informations tirées des moteurs de recherche bien connus Bing, Google et Yahoo. Divers termes ont fait l’objet de recherches en vue de trouver des sites Web axés sur les vêtements et les sous-vêtements pour femmes, les produits de beauté et les services de vente au détail liés aux produits, dans lesquels le mot « secret » occupe une place importante.

[64]           À l’instar des recherches de M. Romeo et de Mme D’amours, la recherche de Mme Lee a permis de relever un nombre important d’entités commerciales utilisant apparemment le mot « secret » comme partie d’une marque de commerce employée en liaison avec des vêtements et d’autres produits connexes. Selon Eclectic, les résultats de la recherche sont les suivants :

         29 sites Web d’entreprises qui semblent opérationnelles dans le secteur des vêtements pour femmes, ou des services de vente au détail liés à ces vêtements, y compris THE CLOTHES SECRET, SECRET LOCATION, SECRET BRA, SECRETFASHION.COM, THE SECRET BOUTIQUE et MY SECRET LINGERIE STORE;

o   21 entreprises semblent être des détaillants de vêtements pour femmes;

o   six entreprises semblent être des fabricants de vêtements pour femmes vendus en liaison avec une marque de commerce contenant le mot « secret » (et non liés à Gildan);

o   12 entreprises semblent être soit des détaillants, soit des fabricants de lingerie ou de sousvêtements pour femmes.

[65]           Mme Lee n’a pas été contre-interrogée au sujet de son affidavit. Encore là, Gildan conteste cet élément de preuve dans ses observations. Elle souligne que l’affidavit de Lee comportait de nombreux résultats de recherche non pertinents dans le domaine de la beauté et des produits de beauté. De plus, il ne fournissait aucun renseignement au sujet des ventes des marchandises en cause à des consommateurs canadiens ni ne permettait de savoir si les entreprises avaient même vendu des produits en liaison avec la bonneterie ou des sous-vêtements féminins. Gildan ajoute que Mme Lee n’a pas confirmé dans son affidavit si les entreprises relevées étaient encore actives ou si des consommateurs canadiens avaient consulté ces sites Web.

(2)               L’élément de la preuve additionnel de Gildan

[66]           Gildan a produit elle aussi un nouvel élément de preuve, soit le troisième affidavit de Poirier, dans lequel sont exposés des faits additionnels concernant l’emploi et l’expansion continus par Gildan des marques SECRET et de la famille de marques de commerce SECRET, ainsi que le contrôle qu’elle a exercé sur les marques en question et les accords de licence qu’elle a conclus, de même que les données mises à jour au sujet des ventes, de la promotion et de l’annonce des produits SECRET et au sujet des mesures continues d’exécution de la loi que Gildan a prises pour protéger l’utilisation des marques SECRET et de la famille de marques de commerce SECRET.

[67]           Le troisième affidavit de Poirier a mis en lumière le fait que Gildan avait engagé de nombreuses procédures d’opposition, qu’elle avait envoyé de nombreuses lettres de mise en demeure et qu’elle avait intenté des actions en contrefaçon à l’encontre de tierces parties ayant employé des marques de commerce qui comprennent le mot SECRET. Ces procédures ou actions visaient des marques de commerce comme SECRETS FROM YOUR SISTER, WOMEN’SECRET, SECRET TREASURES et VICTORIA’S SECRET.

[68]           Dans son troisième affidavit, M. Poirier a mentionné explicitement les procédures d’opposition et les actions de Gildan à l’encontre de différentes marques de commerce de VS employant le nom VICTORIA’S SECRET et précisé que ces actions avaient été réglées au moyen d’une entente conclue entre VS et Gildan. M. Poirier a également souligné dans son affidavit que l’entente conclue avec VS contient des dispositions obligeant les parties à vendre leurs produits au moyen de voies de commercialisation différentes, de façon à empêcher tout risque raisonnable de confusion. M. Poirier a aussi mentionné le règlement confidentiel de la procédure engagée contre Wal-Mart à l’égard de la marque de commerce SECRET TREASURES. Ces deux règlements remontent à l’année 2000.

[69]           Eclectic n’a pas contre-interrogé M. Poirier au sujet de ce troisième affidavit. Cependant, elle a souligné dans ses observations que cet affidavit contenait peu d’éléments de preuve au sujet des mesures prises pour empêcher l’utilisation au Canada de marques de commerce comprenant le mot « secret ». Même si cet élément de preuve montre que Gildan a pris des mesures d’exécution de la loi à l’égard d’un [traduction] « bon nombre » de marques de tierces parties, il démontre aussi que Gildan n’a pas pris de mesures similaires à l’égard de nombreuses marques de commerce de tierces parties contenant le mot « secret ». De plus, Eclectic soutient qu’aucun détail n’est fourni au sujet de la réparation sollicitée relativement à la marque de commerce SECRETS FROM YOUR SISTER.

(3)               Conclusion concernant l’importance des nouveaux éléments de preuve

[70]           Après avoir examiné et analysé les éléments de preuve additionnels produits par les parties, je suis d’avis qu’ils n’auraient pas eu d’incidence importante sur les conclusions de la registraire et sur sa décision au sujet de la probabilité de confusion. Plus précisément, je suis d’avis que, une fois distillés, les nouveaux éléments de preuve ont peu de valeur probante et sont peu significatifs. Essentiellement, les éléments additionnels ne renforcent la preuve portée à l’attention de la registraire, en raison des failles qu’ils comportent.

[71]           Il est vrai que les nouveaux éléments de preuve d’Eclectic semblent comporter une grande quantité de données et d’exemples sur l’état du registre et sur l’état du marché ainsi que sur l’emploi apparemment courant du mot « secret » par des tierces parties dans des marques de commerce, des noms commerciaux, des noms d’entreprise et des sites Web. Je reconnais également que, contrairement à la situation qui prévalait dans l’affaire Cortefiel, la registraire n’a pas analysé dans ses décisions cette question de l’usage courant du mot « secret » dans les marques de commerce de tierces parties en liaison avec des sous-vêtements féminins, ni n’a commenté directement les mesures d’exécution de la loi prises par Gildan. Cependant, lorsqu’ils sont analysés et interprétés de concert avec les nouveaux éléments de preuve de Gildan sur les mesures continues d’exécution de la loi qu’elle a prises relativement à l’utilisation des marques SECRET et de la famille de marques de commerce SECRET, les nouveaux éléments de preuve fiables et pertinents au sujet de l’état du registre sont extrêmement restreints. À mon avis, ils ne peuvent être considérés comme des éléments suffisamment significatifs et importants sur le plan qualitatif. Dans la même veine, les éléments de preuve concernant l’état du marché ne sont pas pertinents à plusieurs égards et n’établissent pas de façon convaincante que les entreprises et les sites Web mentionnés dans les affidavits sont employés ou consultés par des Canadiens ou concernent en nombre suffisant le secteur des sous-vêtements féminins.

[72]           En d’autres mots, les seuls chiffres présentés par Eclectic sur l’état du registre et sur l’état du marché se résument à peu de choses lorsqu’ils sont analysés et, à mon avis, ils n’auraient pas eu une incidence importante sur la détermination de la registraire au sujet de la probabilité de confusion.

a)            État du registre

[73]           Je souligne que, dans la décision Eclectic Edge, en se fondant sur ce qui semble être des affidavits très semblables de M. Romeo, Mme D’amours et Mme Lee, le juge Manson a conclu que le mot « secret » était employé de manière apparemment assez fréquente au Canada par des tierces parties en liaison avec de la lingerie, ainsi que des vêtements et des sous-vêtements pour femmes. Cependant, contrairement à la situation qui existait dans cette affaire-là, dans le présent appel, l’affidavit de M. Romeo au sujet de l’état du registre couvre des secteurs d’activité qui dépassent la portée des marchandises en cause et a été affaibli par la preuve qu’a présentée M. Poirier au sujet des mesures d’exécution de la loi prises par Gildan.

[74]           D’abord, la recherche menée par M. Romeo couvrait les « produits de beauté » et les « services de vente au détail », en plus des vêtements et des sous-vêtements. Les renseignements sur les marques de commerce employant le mot « secret » dans ces espaces commerciaux ne sont nullement pertinents en l’espèce et n’ont donc aucune importance. Les marchandises en cause ne comprennent pas de produits de beauté ou de services de vente au détail; les demandes d’Eclectic sont toutes liées à la catégorie des vêtements pour femmes. Les produits SECRET que Gildan vend ne comprennent pas de produits de beauté et Gildan n’offre pas non plus de services de vente au détail ni n’utilise les marques SECRET en liaison avec des produits de beauté. Je souligne en passant que cette situation est différente de celle qui a été examinée dans la décision Eclectic Edge relativement à l’entreprise de VS. Qui plus est, il n’y a aucun élément de preuve établissant de façon convaincante que les sous-vêtements féminins sont vendus au moyen des mêmes voies de commercialisation ou se trouvent dans le même voisinage que les produits de beauté. De plus, M. Poirier estime que les marques de commerce, les entreprises et les sites Web du secteur des produits de beauté et de la beauté ne sont pas pertinents quant à l’entreprise de Gildan liée à la marque SECRET.

[75]           Ce constat a pour effet d’éliminer une partie importante des marques de commerce qui pourraient être des marques de commerce concurrentes et qui auraient été révélées dans l’affidavit de Romeo. Comme M. Poirier l’a souligné, des 315 marques de commerce que M. Romeo a relevées, près du tiers n’appartiennent pas au secteur du vêtement.

[76]           En deuxième lieu, parmi les 315 marques de commerce relevées par M. Romeo, 93 sont des marques de commerce liées à Gildan et à la famille de marques SECRET. Ces marques de commerce sont manifestement dénuées de toute pertinence comme éléments de preuve de l’emploi par des tierces parties en l’espèce, parce qu’elles concernent uniquement la défenderesse. De plus, ces éléments de preuve apparemment « nouveaux » avaient déjà été portés à l’attention de la registraire. Par ailleurs, 80 autres marques de commerce figurant sur la liste de M. Romeo appartiennent à VS. Dans les cas de ces marques de commerce VICTORIA’S SECRET, je souligne que, lorsqu’il a été contre-interrogé au sujet de ses affidavits, M. Poirier a mentionné que Gildan avait réglé les oppositions et les actions engagées contre VS au moyen d’une entente de coexistence. Cette entente de mars 2000 a pour effet d’empêcher VS de vendre ses produits VICTORIA’S SECRET par l’entremise de points de vente appartenant à des tiers. Même si la registraire n’a pas mentionné directement cette entente dans sa décision, elle avait été portée à son attention et faisait partie du dossier et son existence est réputée avoir été connue. Dans son troisième affidavit, M. Poirier a répété les renseignements en y ajoutant d’autres détails, soulignant que les marques de commerce de Gildan et de VS ne sont pas annoncées par les mêmes voies de commercialisation par suite de l’entente : le champ d’action de VS se limite à ses propres magasins spécialisés, tandis que les produits SECRET de Gildan sont vendus dans des magasins à rayons et d’autres magasins de détail appartenant à des tierces parties.

[77]           En conséquence, les nouveaux éléments de preuve concernant les marques de commerce de VS sont répétitifs, du moins en partie. De plus, même s’il semble y avoir environ 80 marques de commerce déposées appartenant à VS, ce fait n’aurait pas eu une incidence importante sur la détermination de la probabilité de confusion, ni même une incidence quelconque. Il appert de la preuve présentée par M. Poirier que Gildan tolère les marques de commerce de VS, parce qu’elles ne sont pas exploitées au moyen des mêmes voies de commercialisation et ne peuvent l’être. Par conséquent, elles ne sont pas considérées ou perçues comme des marques faisant partie du même marché. Le consommateur ordinaire serait donc habitué à associer les marques SECRET et les marques de commerce VICTORIA’S SECRET à différentes voies de commercialisation et à différents types de magasins et ne pourrait pas raisonnablement penser qu’elles proviennent de la même source. Dans ces circonstances, je ne crois pas qu’il soit permis de dire que la preuve concernant la présence des marques de commerce déposées de VS montre que le mot « secret » est employé de manière relativement fréquente au Canada dans le secteur pertinent. Même si les marques de commerce de VS sont enregistrées et employées au Canada, elles ne sont pas exploitées sur le même marché que les marques SECRET de Gildan et ne sont pas susceptibles de créer de la confusion dans le marché des sous-vêtements féminins.

[78]           En troisième lieu, comme c’était le cas dans l’affaire Cortefiel, la preuve concernant les emplois des marques SECRET par des tierces parties montre que Gildan a agi avec diligence pour protéger ses marques de commerce SECRET. Dans le troisième affidavit de Poirier et dans ses observations, Gildan décrit plusieurs des procédures d’opposition et des actions engagées contre d’autres parties qui emploient le mot « secret » en liaison avec des sous-vêtements féminins. Des actions ont été introduites devant la Cour fédérale contre Secrets From Your Sister Inc. et plusieurs entités liées à VS. De plus, des procédures d’opposition ont été engagées à l’encontre de demandes d’enregistrement de différentes marques de commerce, y compris WOMEN’SECRET, SUZY’S SECRET, VICTORIA’S SECRET et OLGA SECRET SHAPERS.

[79]           Dans ses observations, Eclectic a ciblé de façon précise les marques de commerce SECRET TREASURES, SECRETS FROM YOUR SISTER, LADY’S SECRET & Design, EUROPEAN SECRET, SUZY’S SECRET et OSTOMYSECRETS. Selon Eclectic, il s’agirait là d’exemples importants de l’emploi du mot « secret » par des tierces parties. Un examen de cette preuve et des observations de Gildan révèle qu’il  ne s’agit pas d’exemples probants de l’usage répandu dans des marques de commerce liées aux marchandises en cause et employées en liaison avec des sous-vêtements féminins. La marque SECRETS FROM YOUR SISTER a été contestée par Gildan et tous les vêtements ont été supprimés de la demande; il n’y a aucun élément de preuve établissant l’emploi de cette marque de commerce en liaison avec des sous-vêtements féminins. La marque LADY’S SECRET & Design est enregistrée en vue de son emploi en liaison avec des chaussures spécialisées pour femmes et non des sous-vêtements. La marque EUROPEAN SECRET se rapporte à des types de coiffe précis. La marque SUZY’S SECRET a été contestée par Gildan et la demande a été refusée dans le cas des produits faisant partie des sous-vêtements féminins. La marque OSTOMYSECRET concerne uniquement les personnes qui utilisent des poches de stomie. Il appert également de la preuve de M. Poirier que Gildan ne s’opposait plus à l’emploi de bon nombre de marques de commerce contenant le mot « secret » (comme SECRET CENTRAL, OLGA SECRET SHAPERS ou SECRETS FROM MY SISTER), parce que tous les articles de vêtements avaient été radiés des demandes.

[80]           En ce qui concerne la marque SECRET TREASURES, Gildan a conclu une entente de coexistence avec Wal-Mart en 2000 et M. Poirier a précisé en contre-interrogatoire que la marque de commerce n’était plus employée. La registraire a été saisie de cette preuve. Qui plus est, il n’y a aucun élément de preuve établissant l’emploi subséquent de la marque de commerce par Wal-Mart depuis l’an 2000.

[81]           En conséquence, une fois que sont supprimées de l’affidavit de Romeo les marques de commerce contestées par Gildan et celles qui ne couvrent pas de marchandises liées à des vêtements, plus précisément de la bonneterie ou de la lingerie, peu de marques figurent encore sur la liste de plus de 300 exemples de M. Romeo. Eu égard à cet examen, je suis d’avis que la preuve d’Eclectic concernant l’état du registre ne permet pas de conclure à un emploi important, par des tierces parties, de marques de commerce contenant le mot « secret » à un point tel que l’usage de ce mot serait courant dans le commerce. Contrairement à ce que la preuve semble avoir révélé dans l’affaire Eclectic Edge, il ne s’agit pas d’une situation où subsiste un nombre suffisamment élevé d’enregistrements de marques de commerce et de sociétés révélés par les recherches faites au Canada pour démontrer l’emploi courant que font un certain nombre de tierces parties au Canada du mot SECRET en liaison avec des sous-vêtements féminins. Plus précisément, la mention des marques SECRET appartenant à Gildan, qui constituait un élément important relevé par le juge Manson dans la conclusion que la Cour fédérale a tirée dans l’affaire Eclectic Edge, n’est pas un facteur qui appuie l’argument de l’emploi courant en l’espèce. Bien au contraire, le fait que Gildan a enregistré plus de 90 marques de commerce contenant le mot « secret » favorise plutôt la thèse de Gildan.

[82]           J’aimerais formuler une dernière remarque. Dans l’affaire Eclectic Edge, après avoir cité les commentaires que la Cour d'appel fédérale avait formulés dans l’arrêt Kellogg Salada Canada Inc. c Canada (Registraire des marques de commerce), [1992] ACF n° 562 [Kellogg], aux pages 358 à 360, le juge Manson a affirmé que, « [q]uand deux marques de commerce contiennent un élément commun qui figure par ailleurs dans un certain nombre d’autres marques de commerce, la nature commune de l’élément sur le marché amène les consommateurs à accorder davantage d’attention aux autres caractéristiques non communes des marques et à faire une distinction entre les deux marques en litige en se fondant sur les autres caractéristiques, ce qui amoindrit de ce fait la probabilité de confusion » (décision Eclectic Edge, au paragraphe 80; Molson Co. c John Labatt Ltd. (1994), 88 FTR 16 (CAF) [Molson], au paragraphe 8). Eclectic a invoqué le même argument et a également cité cet arrêt Kellogg. Je souscris aux commentaires précités, dans la mesure où les mots « employées dans le même marché » sont clairement sous‑entendus ou y sont ajoutés.

[83]           L’arrêt Kellogg montre clairement en effet que ce principe bien reconnu s’applique aux marques de commerce « employées dans le même marché ». Ce principe exige que les marques qui comprennent les éléments communs « fassent l’objet d’un emploi assez répandu dans le marché à l’intérieur duquel les marques examinées sont ou seront utilisées ». L’emploi sur le marché constitue un élément clé : lorsque plusieurs parties utilisent le même mot dans le même espace commercial, aucune ne peut affirmer que sa marque de commerce se démarque ou est distinctive en raison de l’emploi qu’elle fait de ce mot. Cependant, dans la présente affaire, il n’y a aucun élément de preuve semblable établissant un emploi et une présence commerciaux importants et permettant de conclure que des marques de commerce de tierces parties sont couramment employées sur le marché. À mon avis, Eclectic n’a pas présenté d’éléments de preuve convaincants au sujet de l’ampleur et de la durée de l’emploi de marques de commerce pertinentes de tierces parties sur le marché des sous-vêtements féminins au Canada. La preuve révèle plutôt la cessation de certains emplois en raison d’actions et d’oppositions engagées par Gildan. C’est là une situation bien différente de celle qui a été examinée dans l’arrêt Kellogg et de la preuve présentée dans l’affaire Eclectic Edge.

[84]           La simple possibilité que des marques de commerce soient enregistrées ou que leur enregistrement soit demandé ne suffit pas en soi pour montrer qu’elles sont courantes dans le commerce, surtout lorsque ces enregistrements ou demandes font l’objet d’une opposition ou d’une contestation. Eclectic soutient que Gildan n’a pas présenté d’éléments de preuve établissant qu’elle avait pris des mesures d’exécution de la loi en vue d’empêcher l’emploi des marques de commerce au Canada, hormis les cas où elle s’est opposée à l’enregistrement de marques de commerce. Cependant, il incombait à Eclectic de démontrer l’emploi commercial des marques de commerce comportant apparemment l’élément commun et non seulement d’affirmer que certaines marques de commerce « semblent » être employées. Eclectic ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

b)            État du marché

[85]           En ce qui concerne l’état du marché, Eclectic affirme de la même façon que les nouveaux  éléments de preuve révèlent l’existence de nombreux emplois non enregistrés du mot « secret » dans des noms de domaine, des noms commerciaux et des sites Web liés aux marchandises en cause et au secteur des sous-vêtements féminins. Après avoir examiné les affidavits de Romeo, de D’Amours et de Lee, je ne suis pas convaincu que tel est le cas. Les nouveaux éléments de preuve présentés per Eclectic comportent une faible valeur probante d’un emploi répandu du mot « secret » dans le domaine des vêtements pour femmes en général ou plus précisément dans les domaines de la bonneterie et des sous-vêtements féminins.

[86]           Une fois de plus, les recherches mentionnées dans les affidavits de Romeo, D’Amours et Lee sur l’état du marché couvrent des produits de beauté et des services de vente au détail, qui ne sont pas pertinents, de sorte que les résultats gonflent indûment les données déclarées par l’ajout de marques de commerce et de noms commerciaux qui ne sont pas liés aux marchandises en cause ou qui n’appartiennent pas au secteur des sous-vêtements féminins. La preuve fait état de nombreux résultats se rapportant à des secteurs commerciaux aussi variés que le voyage, l’alimentation, la protection de la vie privée, les services aux entreprises, le téléphone ou la pornographie. Les éléments de preuve se rapportant à ces autres secteurs aussi différents de ceux des vêtements, de la beauté ou des produits de beauté n’auraient pas eu une incidence importante sur les décisions de la registraire. Cette couverture étendue affaiblit les trois affidavits produits par Eclectic. Les marques de commerce et noms commerciaux employés dans les espaces commerciaux des produits de beauté ou des services de vente au détail étaient peut-être pertinents dans le cas de VS (qui est active dans ces domaines) dans l’affaire Eclectic Edge. Cependant, ils ne le sont pas dans le cas de Gildan et des produits SECRET.

[87]           De plus, comme l’a souligné Gildan, plusieurs sites Web mentionnés dans les nouveaux éléments de preuve faisant état de noms de domaine qui renferment le mot « secret » étaient inaccessibles, inactifs ou étrangers (parce qu’ils étaient basés, par exemple, en Chine, en Corée ou aux États-Unis), de sorte qu’ils ne sont pas pertinents. D’autres sites ne sont pas pertinents non plus pour différentes raisons, comme les sites Web concernant la pornographie adulte, les bijoux ou la distribution. Dans le cas d’autres sites Web, rien n’indiquait qu’ils offraient des marchandises ou des services de vente au détail liés à de la bonneterie ou à des sous-vêtements féminins ou encore des vêtements portant la marque de commerce ou le nom du magasin. Enfin, dans d’autres cas, aucun renseignement n’a été fourni au sujet de l’emplacement des entreprises ou des sites Web ou de la nature de l’entreprise concernée.

[88]           Qui plus est, la preuve présentée par Mme D’amours et par Mme Lee est sensiblement affaiblie, à mon avis, par l’absence de confirmation du fait que les entités mentionnées dans les résultats des recherches poursuivaient des activités au Canada ou vendaient des produits à des Canadiens. La preuve ne permet pas de savoir si les sites Web mentionnés sont accessibles depuis le Canada ou s’ils offrent des services destinés à être achetés par des résidents canadiens. Les résultats ne permettent pas non plus de savoir si des personnes du Canada ont consulté les sites mentionnés ou de connaître la mesure dans laquelle des consommateurs canadiens les ont consultés.

[89]           Ainsi, dans les cas de 19 des sociétés ou noms d’entreprises enregistrés au Canada qui, selon l’affidavit de D’Amours, renferment le mot « secret » en liaison avec le domaine des vêtements, ou des entreprises qui sont présentes sur le Web dans le secteur des vêtements pour femmes selon l’affidavit de Lee, il n’y a aucun élément de preuve établissant l’emploi réel par des consommateurs canadiens. Je conviens également avec Gildan que, très souvent, la liste des résultats de recherche provenant de la base de données sur les marques de commerce et des registres de noms d’entreprise fournit peu de renseignements au-delà du nom de l’entreprise, de son emplacement et du type général de commerce. En conséquence, nous ne savons pas si ces entreprises étaient encore actives ou si leurs marchandises étaient offertes à des consommateurs canadiens en liaison avec le mot « secret ».

[90]           Je reconnais que, d’après un examen de l’affidavit de D’Amours et de l’analyse que Gildan a faite de la preuve, les recherches ont permis d’obtenir certains noms d’entreprises et de personnes-ressources, des chiffres de vente annuels, des données sur les domaines d’exportation et les catégories d’entreprises et ont montré que certaines entités semblaient vendre des sous‑vêtements. Toutefois, je ne suis pas convaincu que ces éléments auraient été suffisamment significatifs et probants pour avoir une incidence importante sur les décisions de la registraire, eu égard au reste de la preuve.

[91]           Les renvois à l’affidavit de Lee permettent de bien saisir les limites de la preuve présentée. Dans ses observations, Eclectic a mentionné explicitement les marques THE CLOTHES SECRET, SECRET LOCATION, SECRET BRA, SECRETFASHION.COM, THE SECRET BOUTIQUE et MY SECRET LINGERIE STORE. Il s’agirait, là encore, d’exemples importants de l’emploi du mot « secret » par des tierces parties d’après les données révélées par Mme Lee. Cependant, un examen de ces éléments de preuve et des observations de Gildan montre à nouveau que ce ne sont pas là des exemples probants. La marque THE CLOTHES SECRET se rapporte à de la marchandise d’occasion et au dépôt-vente; l’expression SECRET LOCATION semble concerner une entreprise de services de vente au détail et ne renvoie nullement à de la bonneterie ou à des sous-vêtements; la marque SECRET BRA semble être employée au Royaume-Uni; il n’y a aucun renseignement au sujet de l’emplacement des entreprises  SECRETFASHION.COM ou THE SECRET BOUTIQUE et aucune d’elles ne semble offrir des sous-vêtements féminins; enfin, MY SECRET LINGERIE STORE est un site américain. Dans le cas de nombreux autres sites Web qu’Eclectic n’a pas ciblés et qui sont apparemment liés aux vêtements, aucun renseignement n’est fourni au sujet de l’emplacement des sites en question ou de la mesure dans laquelle ils vendent des sous-vêtements féminins à des Canadiens.

[92]           Le fait que des centaines de noms et marques soient mentionnés dans les affidavits de Romeo, de D’Amours et de Lee n’est pas pertinent. Ce n’est pas la quantité ou les chiffres seuls qui importent, mais plutôt la qualité des éléments de preuve montrant l’emploi réel du nom commun « secret » en liaison avec les marchandises en cause et dans le secteur pertinent au Canada.

[93]           À la lumière de ce qui précède, je ne crois pas que les nouveaux éléments de preuve d’Eclectic sont convaincants ou que leur valeur probante est suffisante pour permettre de conclure que des tierces parties ont employé les noms renfermant le mot « secret » de telle sorte que l’usage de celui-ci est courant dans le commerce. À mon avis, ces nouveaux éléments de preuve n’auraient pas été suffisamment significatifs pour avoir une incidence importante sur l’évaluation et les conclusions de la registraire au sujet de la probabilité de confusion.

[94]           En conséquence, je ne considérerais pas le présent appel comme une révision de novo et la norme de contrôle applicable sera celle de la décision raisonnable. Cela signifie que, si la décision de la registraire appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour ne sera pas autorisée à intervenir, malgré le fait que son évaluation de la preuve dont elle disposait aurait pu mener à une issue différente (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

[95]           J’ajouterais que, même si j’avais conclu que les nouveaux éléments de preuve étaient suffisamment significatifs pour avoir une incidence importante sur les décisions de la registraire, ils ne m’auraient pas incité à en arriver à une conclusion différente de celle de la registraire au sujet de la probabilité de confusion entre les marques VALENTINE SECRET et les marques SECRET, sauf peut-être en ce qui concerne le dessin-marque VALENTINE SECRET VS, dont le degré de ressemblance est plus ténu. La preuve relative à l’emploi du mot « secret » est, au mieux, marginale et ajoute simplement une circonstance à prendre en compte lors de l’analyse générale de la confusion. Même si j’avais appliqué la norme de la décision correcte, en conservant à l’esprit la déférence dont il faut faire preuve à l’égard des conclusions de la registraire non touchées par cette nouvelle preuve, je n’aurais pas conclu que la preuve d’Eclectic sur l’usage apparemment courant du mot « secret » aurait constitué une circonstance de l’espèce suffisante pour modifier la conclusion générale sur la probabilité de confusion et l’absence de caractère distinctif entre les marques de commerce des parties.

C.                Les conclusions de la registraire selon lesquelles les marques  VALENTINE SECRET d’Eclectic étaient susceptibles d’être confondues avec les marques SECRET de Gildan et n’étaient pas distinctives par rapport à celles-ci étaient-elles correctes ou raisonnables au vu de la preuve?

[96]           La Cour doit maintenant se demander si, selon la norme de la décision raisonnable, les conclusions de la registraire au sujet de la probabilité de confusion et de l’absence de caractère distinctif entre les marques VALENTINE SECRET et les marques SECRET devraient être révisées et annulées. La détermination de la confusion est liée à la question du caractère distinctif, car, lorsqu’il est jugé qu’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce, cette marque ne peut être considérée comme une marque distinctive. Dans sa décision, la registraire s’est demandé s’il y avait confusion entre les deux marques de commerce à trois dates précises : la date de la décision de la registraire (5 décembre 2013) au sujet de l’enregistrabilité; la date de production de la demande (1er août 2008) en ce qui concerne l’existence d’un droit et la date de production de la déclaration d’opposition (29 janvier 2010) en ce qui a trait au caractère distinctif. Ce sont là les dates pertinentes aux fins du présent appel. Bien que ces dates soient différentes, le critère en matière de confusion est essentiellement le même.

[97]           Les parties ont fait savoir au cours des plaidoiries que les conclusions de la registraire au sujet du motif de non-conformité fondé sur l’alinéa 30i) ne sont pas en jeu dans le présent appel. La seule question que la Cour doit trancher est de savoir si les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic sont susceptibles de créer de la confusion avec les marques SECRET de Gildan et si elles sont distinctives ou non. Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’avis que les conclusions de la registraire au sujet de la probabilité de confusion sont raisonnables et ne devraient pas être modifiées. Les éléments de preuve additionnels déposés en appel n’auraient pas touché les conclusions de la registraire.

1.              Le critère en matière de confusion

[98]           Pour déterminer si des marques de commerce créent de la confusion au sens du paragraphe 6(2) de la Loi, il faut savoir si « l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale ». Ainsi que l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 [Veuve Clicquot], au paragraphe 20, et répété dans l’arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, [2011] 2 RCS 387 [Masterpiece], au paragraphe 40, le critère applicable « est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la [marque], […] alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques ». Ce client ordinaire ou cet acheteur qui n’est pas sur ses gardes penserait-il probablement que les marques de commerce proviennent de la même source et que le produit d’un commerçant est relié au produit d’un autre commerçant?

[99]           La question n’est pas de savoir si les produits d’Eclectic peuvent être confondus avec ceux de Gildan, mais plutôt de savoir que le consommateur pourrait croire que les deux produits proviennent de la même source et si, dans le cas où Eclectic et Gildan poursuivent leurs activités dans la même région, les clients ayant un souvenir général des marques SECRET présumeraient probablement l’existence d’un lien entre les deux marques lorsqu’ils seraient confrontés pour la première fois aux marques VALENTINE SECRET. L’appréciation de la confusion est une question de première impression et de souvenir imparfait. Pour savoir s’il y a probabilité de confusion entre deux marques de commerce, il faut appliquer le critère de la première impression, qui exige un examen général des marques de commerce en cause, plutôt qu’une étude minutieuse de celles‑ci, et vise à relever les similitudes (Miss Universe, Inc c Bohna, [1995] 1 CF 614 (CAF), à la page 6).

[100]       Dans l’arrêt Mattel, au paragraphe 56, la Cour suprême du Canada a précisé qu’il faut accorder une certaine confiance à ce consommateur et présumer qu’il fera preuve de prudence dans certaines circonstances, puisqu’il n’est ni « un crétin pressé », ni un acheteur prudent et diligent. De plus, ce consommateur sera le type de personne qui est susceptible d’acheter les marchandises en question (Baylor University c Governor and Co of Adventurers Trading into Hudson's Bay (2000), 8 CPR (4th) 64 (CAF), au paragraphe 27).

[101]       Selon le paragraphe 6(5) de la Loi, pour décider s’il y a confusion, il faut tenir compte de « toutes les circonstances de l’espèce », y compris les cinq circonstances expressément énumérées dans la disposition. Ces critères au regard desquels la question de la confusion doit être examinée sont les suivants : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. Il faut montrer beaucoup de déférence à l’égard du registraire lorsqu’il s’agit de pondérer les divers facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi.

[102]       Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada, cette liste de facteurs n’est pas exhaustive et un poids différent sera attribué à différents facteurs selon le contexte (arrêt Veuve Clicquot, au paragraphe 27, et arrêt Mattel, au paragraphe 73). De plus, il faut examiner chaque marque de commerce séparément (arrêt Masterpiece, aux paragraphes 47 et 48; Constellation Brands Inc c Domaines Pinnacle Inc, 2015 CF 1083, aux paragraphes 37 à 43). Même s’il faut examiner la marque comme un tout et non la disséquer pour en faire un examen détaillé, la Cour peut tout de même en faire ressortir des caractéristiques particulières susceptibles de jouer un rôle déterminant dans la perception du public (United Artists Corp c Pink Panther Beauty Corp, (1998) 80 CPR (3d) 247 (CAF) [Pink Panther], à la page 263).

[103]       Enfin, le dernier facteur mentionné, soit le degré de ressemblance, est souvent le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion étant donné que, si les marques ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire (arrêt Masterpiece, au paragraphe 49). Dans l’arrêt Masterpiece, au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada a donné d’autres explications au sujet du facteur du « degré de ressemblance » :

[62] La ressemblance est définie comme étant le rapport entre des objets de même espèce présentant des éléments identiques. Cette définition comprend l’idée de similitude; voir la définition de « ressemblance » dans Le Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (2010, p. 2220). Le mot « degré de ressemblance » à l’al. 6(5)e) de la Loi sous‑entend que ce n’est pas seulement dans les cas où les marques de commerce en cause sont identiques qu’il y a probabilité de confusion : des marques comportant un certain nombre de différences peuvent aussi engendrer une probabilité de confusion.

[104]       Dans le contexte des procédures d’opposition, il incombe à la partie qui demande l’enregistrement de la marque de commerce (en l’occurrence, Eclectic) de prouver selon la prépondérance des probabilités que la marque projetée n’est pas susceptible de créer de la confusion (Doris Hosiery Mills Ltd c Warnaco Inc, 2004 CF 1781 [Warnaco], au paragraphe 8).

[105]       À mon avis, Eclectic ne s’est pas acquittée du fardeau qu’elle avait de prouver que la registraire a agi de façon déraisonnable en concluant que les marques VALENTINE SECRET créent de la confusion avec les marques SECRET de Gildan. La registraire a évalué toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, conformément au paragraphe 6(5) de la Loi et aux exigences élaborées dans la jurisprudence à l’égard du critère en matière de confusion, et les conclusions qu’elle a tirées au sujet de la probabilité de confusion étaient raisonnables.

2.      Les conclusions de la registraire au sujet des alinéas 6(5)a) à d)

[106]       Les parties ne contestent pas vraiment les conclusions de fait de la registraire au sujet des facteurs énoncés aux alinéas 6(5)a) à d) de la Loi. Ce qui est contesté, ce sont les conclusions concernant le degré de ressemblance (alinéa 6(5)e)) et les circonstances de l’espèce. Néanmoins, je commenterai brièvement les conclusions de la registraire au sujet des quatre premiers éléments du paragraphe 6(5).

[107]       En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a)), la registraire a conclu que le mot servant de marque VALENTINE SECRET, le dessin-marque et le dessin‑marque VS d’Eclectic possédaient le même degré de caractère distinctif inhérent que les marques SECRET de Gildan. Cependant, le dessin-marque VALENTINE SECRET Lingerie n’a pas été considéré comme une marque aussi forte en soi que les marques de Gildan, parce qu’il décrivait le genre des marchandises visées par la demande. La registraire a également conclu que Gildan avait établi que ses marques SECRET étaient devenues bien connues, sinon célèbres au Canada en liaison avec la bonneterie et les sous-vêtements. De plus, la registraire a mentionné la preuve présentée dans les affidavits de Poirier au sujet de l’emploi et de la réputation des marques SECRET au Canada. Les chiffres que M. Poirier a fournis au sujet des ventes au détail montraient que, au cours de la période allant de 1986 à 2013, Gildan avait fait des ventes importantes des produits SECRET au Canada, lesquelles ventes dépassaient 1,1 milliard de dollars au total, et dépensé plus de 40 millions de dollars en frais de promotion. M. Poirier a également présenté des données établissant d’importantes ventes au détail au moyen d’accords de licence conclus avec Doris.

[108]       Je souligne également que, dans les décisions Warnaco et Cortefiel de la Cour fédérale, ainsi que dans les décisions de la Commission comme celles de l’affaire Victoria’s Secret et de l’affaire Doris Hosiery Mills Ltd c Suzy’s Inc, [2009] COMC n° 117, 78 CPR (4th) 196 [Suzy’s Secret], il a été reconnu que les marques SECRET et la famille de marques SECRET étaient devenues bien connues au Canada. Dans la décision Eclectic Edge, il a aussi été conclu que toutes les marques VALENTINE SECRET avaient un caractère distinctif inhérent, sauf le dessin-marque VS.

[109]       Cependant, aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de l’emploi par Eclectic de ses marques. Il était donc manifestement raisonnable de la part de la registraire de conclure que ce premier facteur favorisait Gildan.

[110]       La registraire a également conclu que le facteur de la période d’emploi des marques de commerce (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)b)) favorisait Gildan, car il n’y avait aucun élément de preuve montrant que les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic avaient été employées au Canada. À l’inverse, les affidavits de Poirier ont mis en lumière le fait que Gildan a adopté la marque de commerce SECRET en liaison avec de la bonneterie pour la première fois voilà plus de 40 ans, puis a continuellement employé les marques SECRET depuis ce temps au Canada, élargi la gamme de produits SECRET à différents produits de sous-vêtements féminins et a continué à enregistrer des marques de commerce contenant le mot SECRET. Il était raisonnable de la part de la registraire de conclure que ce facteur favorisait Gildan.

[111]       En ce qui concerne le genre de marchandises, services ou entreprises (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)c)), la registraire a conclu que plusieurs des marchandises d’Eclectic étaient identiques ou très semblables aux produits SECRET de Gildan, en ce sens qu’elles se composaient toutes d’articles vestimentaires, bien qu’il n’y ait aucun élément de preuve concernant l’emploi réel de la marque de commerce. Les principales catégories sont les sous‑vêtements, la lingerie, les dessous et les vêtements de nuit. Selon les éléments de preuve fournis par M. Poirier, les produits SECRET de Gildan se composent d’une grande variété d’articles de bonneterie et de sous-vêtements, y compris des dessous, des sous-vêtements, de la lingerie, des vêtements de nuit et d’autres articles vestimentaires. Étant donné qu’un grand nombre de produits d’Eclectic étaient  étroitement apparentés aux produits SECRET ou les recoupaient, ce facteur favorisait Gildan. Encore là, il s’agissait d’une conclusion raisonnable de la part de la registraire.

[112]       Quant à la nature du commerce (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)d)), la registraire a souligné qu’Eclectic n’avait produit aucun élément de preuve concernant les voies de commercialisation en liaison avec ses marques VALENTINE SECRET. Étant donné qu’il n’y avait pas de raison de présumer qu’il existait une différence importante entre les voies de commercialisation en liaison avec les marques de commerce de chacune des parties, la registraire a conclu qu’il était assez probable que les marchandises en cause soient distribuées par les mêmes voies de commercialisation. Pour déterminer si les marques VALENTINE SECRET créent de la confusion avec les marques SECRET de Gildan, il faut examiner non seulement les pratiques commerciales actuelles, mais également la possibilité qu’Eclectic exerce ses activités de toute manière qui lui est permise. Ce facteur de la nature du commerce favorisait également Gildan et la registraire en est arrivée à une conclusion raisonnable à cet égard.

[113]       Je souligne que la nouvelle preuve d’Eclectic au sujet de l’état du registre ou de l’état du marché ne touche aucune de ces conclusions de fait que la registraire a tirées.

3.      Le degré de ressemblance

[114]       Le dernier facteur énoncé à examiner est le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent (facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e)). Sur ce point, la registraire a conclu qu’il y avait un certain degré de ressemblance entre, d’une part, le mot servant de marque VALENTINE SECRET, le dessin‑marque VALENTINE SECRET et le dessin-marque VALENTINE SECRET Lingerie et, d’autre part, les marques SECRET, dans la présentation ou le son et dans les idées que ces marques suggèrent. La registraire a toutefois ajouté que la ressemblance n’était pas aussi forte dans le cas du dessin-marque VALENTINE SECRET VS.

[115]       Lorsqu’elle s’est penchée sur le degré de ressemblance, la registraire a reconnu qu’il fallait prendre les marques de commerce dans leur totalité. Elle s’est d’abord demandé si la marque de commerce présentait un aspect particulièrement frappant ou unique, conformément à la démarche que la Cour suprême du Canada avait exposée dans l’arrêt Masterpiece. La registraire a reconnu que le mot « secret » était l’aspect le plus important des marques SECRET de Gildan, puisqu’il en était également le seul élément. Elle a aussi conclu que le mot « secret » était l’aspect le plus important des dessins-marques VALENTINE SECRET et VALENTINE SECRET Lingerie d’Eclectic, puisqu’il « apparaît en caractères plus gros et plus stylisés » que le mot « valentine ».

[116]       Lorsque j’examine le dessin-marque VALENTINE SECRET et le dessin-marque VALENTINE SECRET Lingerie, je suis convaincu qu’il était raisonnable de la part de la registraire de conclure que le mot « secret » était l’aspect le plus frappant ou le plus important, étant donné qu’il apparaissait en caractères plus gros et plus stylisés. Il était certainement loisible et équitable de sa part de souligner que l’utilisation de caractères plus gros et plus visibles pour écrire le mot pouvait attirer l’attention du consommateur sur celui-ci. Je souligne en passant que, contrairement à ce que soutient Eclectic, la registraire a conclu que le mot « secret » était l’aspect le plus frappant ou le plus important uniquement dans le cas de ces deux marques VALENTINE SECRET d’Eclectic. Elle n’en est pas venue à cette conclusion dans le cas des deux autres marques. En ce qui a trait au mot servant de marque VALENTINE SECRET et au dessin-marque VALENTINE SECRET VS, elle s’est fondée uniquement sur le fait que ces marques de commerce d’Eclectic comprenaient la marque de commerce SECRET de Gildan dans son intégralité, ce qui est une affirmation non seulement raisonnable, mais également exacte.

[117]       Eclectic reproche à la registraire de ne pas avoir employé la bonne démarche lorsqu’elle a choisi les éléments de ses marques de commerce qui étaient les plus « frappants ou importants » pour les comparer avec les marque SECRET de Gildan. Selon Eclectic, même si la registraire a reconnu qu’il fallait prendre les marques de commerce dans leur totalité, elle a ensuite relevé erronément l’élément le plus frappant ou le plus important de la marque. Je ne suis pas d’accord. Les décisions de la registraire montrent clairement que celle-ci a d’abord examiné les marques dans leur totalité, puis a effectivement suivi la démarche que la Cour suprême du Canada avait exposée dans l’arrêt Masterpiece au moment de se demander si un élément est frappant ou unique. L’analyse de la registraire s’apparente à l’examen plus détaillé que la Cour suprême du Canada a fait lorsqu’elle a conclu que le mot « Masterpiece » était l’élément distinctif de la marque, et non le mot « Living » : « examiner la marque de commerce dans son ensemble ne veut pas dire qu’il faut faire abstraction d’une composante dominante de celle-ci qui aurait une incidence sur l’impression générale du consommateur moyen […] Il en est ainsi parce que même si le consommateur regarde la marque dans son ensemble, il se peut qu’un certain aspect de celle-ci soit particulièrement frappant […] (arrêt Masterpiece, au paragraphe 84) ».

[118]       Étant donné que les quatre marques VALENTINE SECRET d’Eclectic comprenaient la marque de commerce SECRET de Gildan dans son intégralité, il y avait un certain degré de ressemblance entre les marques de commerce des parties dans la présentation et le son et dans les idées qu’elles suggèrent (ou une certaine ressemblance dans le cas du dessin-marque VALENTINE SECRET VS). En d’autres termes, la registraire a examiné les marques dans leur ensemble et a relevé ce qui traduisait, pour certaines marques, le contenu et l’aspect le plus frappant. À mon avis, il s’agissait là d’une conclusion raisonnable de la part de la registraire, eu égard à la preuve. En fait, c’était la bonne conclusion à tirer dans le cas des marques de commerce autres que le dessin-marque VALENTINE SECRET VS.

[119]       En raison de la présence du mot « secret », le degré de ressemblance est tel que le consommateur ordinaire croirait probablement, à partir de sa première impression, qu’un produit VALENTINE SECRET provient de la même source qu’un produit SECRET et présumerait que Gildan a élargi sa gamme de produits pour inclure les marchandises d’Eclectic et ajouter les marques VALENTINE SECRET à sa marque SECRET.

[120]       Je souscris à l’avis du juge Manson lorsqu’il a affirmé, dans la décision Eclectic Edge (au paragraphe 80), que la registraire ne devrait pas décortiquer la marque de commerce en ses éléments constitutifs et doit l’examiner dans son ensemble sur la base d’une première impression auprès du public visé. C’est précisément ce qu’a fait la registraire en l’espèce : elle a d’abord examiné les marques dans leur ensemble, puis s’est demandé s’il y avait chez certaines marques un élément frappant ou unique. J’ajoute que, dans l’affaire Cortefiel, la Cour fédérale avait également jugé raisonnable la conclusion de la registraire selon laquelle les marques de commerce WOMEN’SECRET et SECRET étaient semblables, notamment parce que la marque WOMEN’SECRET regroupait la totalité de la marque de commerce enregistrée SECRET et que le mot « secret » était la caractéristique la plus distinctive de la marque.

[121]       Cela étant dit, comme je l’ai mentionné plus haut, j’en serais peut-être arrivé à une autre conclusion dans le cas du dessin-marque VALENTINE SECRET VS, où le mot « secret » fait partie d’une expression plus longue sous les lettres « VS » inscrites bien en vue, et à l’égard duquel la registraire avait affirmé que ces lettres constituaient les éléments dominants. Cependant, je ne puis dire que les conclusions de la registraire n’appartiennent pas aux issues possibles et acceptables, eu égard au fait que la marque de commerce comprend le mot « secret » dans son intégralité, ainsi qu’aux autres facteurs que la registraire a pris en compte. Il est indéniable que les éléments de preuve additionnels restreints qui ont été présentés sur l’état du registre et sur l’état du marché n’auraient pas eu d’incidence sur cette conclusion dans le cas de cette marque précise.

[122]       Eclectic reproche à la registraire de ne pas avoir tenu compte de l’idée suggérée par la marque VALENTINE SECRET, soit un secret associé au nom « Valentine » et à la Saint‑Valentin. Pour cette raison, Eclectic soutient qu’il n’y avait pas de ressemblance entre les marques. Elle ajoute que les marques VALENTINE SECRET ne sont pas similaires parce que, hormis le fait qu’elles comportent le mot commun « secret », elles n’ont pas la même apparence et le son n’est pas le même lorsqu’elles sont prononcées. Eclectic souligne que les marques SECRET de Gildan évoquent uniquement l’idée d’un secret, laquelle idée est également suggérée par de nombreuses autres marques de commerce comportant le mot « secret ». Je reconnais que la registraire n’a pas commenté dans ses décisions la présence du mot « valentine ». Cependant, compte tenu des observations qu’elle a formulées au sujet de la présence de l’élément commun « secret » dans les deux marques, je ne suis pas convaincu que cette omission est suffisante pour rendre ses décisions déraisonnables. Les décisions auraient peut-être été plus claires ou plus complètes si la registraire y avait exprimé son point de vue sur cet élément des marques VALENTINE SECRET, mais je ne suis pas convaincu que cette omission rend ses décisions déraisonnables ou fait en sorte qu’elles n’appartiennent plus aux issues possibles acceptables. Les motifs du décideur demeureront valides même s’ils n’incluent pas tous les éléments qu’il aurait été préférable d’englober (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 15).

[123]       Je suis convaincu que la registraire a appliqué le critère qui convenait dans ses décisions et qu’elle a analysé les marques VALENTINE SECRET comme un tout. La conclusion selon laquelle les marques se ressemblent et sont similaires parce que les marques VALENTINE SECRET regroupent l’intégralité de la marque SECRET ne constitue pas une erreur susceptible de révision, ni la conclusion selon laquelle, dans le cas du dessin-marque VALENTINE SECRET et du dessin‑marque VALENTINE SECRET Lingerie, le mot « secret » est la caractéristique la plus distinctive de ces marques. En conséquence, il était raisonnable de la part de la registraire de considérer le degré de ressemblance comme un élément clé lui permettant de conclure qu’il était assez probable que le consommateur ordinaire, plutôt pressé, croirait que les marchandises offertes par Eclectic en liaison avec les marques VALENTINE SECRET proviennent de Gildan.

[124]       Comme je l’ai mentionné plus haut, les nouveaux éléments de preuve montrant apparemment que le mot « secret » figurait dans un grand nombre d’autres marques de commerce et noms commerciaux employés en liaison avec des sous-vêtements féminins ne sont pas convaincants. Gildan a contesté la plupart, sinon la totalité des enregistrements de marques de commerce contenant le mot « secret » en liaison avec des sous-vêtements féminins et il n’y a aucun élément de preuve établissant de façon convaincante l’emploi par des Canadiens. Compte tenu des autres facteurs donnant à entendre qu’il existe une probabilité de confusion entre les marques VALENTINE SECRET et les marques SECRET, je ne suis pas convaincu que les quelques exemples de marques de commerce, de noms commerciaux, d’entreprises ou de sites Web qui contiennent le mot « secret » en liaison avec les marchandises en cause sont suffisants pour rendre déraisonnables les décisions de la registraire.

4.      Les autres circonstances de l’espèce

[125]       En ce qui concerne les autres circonstances de l’espèce, la registraire en a relevé deux : la notoriété associée aux marques SECRET de Gildan et l’existence d’une famille de marques de commerce SECRET. Eclectic conteste les deux conclusions, qu’elle juge déraisonnables. Je ne suis pas d’accord.

[126]       En ce qui a trait à la notoriété, la registraire estimait que les marques SECRET de Gildan étaient devenues bien connues, sinon célèbres au Canada et a souligné que la notoriété et la réputation des marques SECRET de Gildan avaient été reconnues dans des décisions de la Cour fédérale et de la Commission (Cortefiel; Victoria’s Secret; Suzy’s Secret). Les affidavits de Poirier comportaient également des données montrant des ventes et des dépenses de promotion élevées à l’égard des produits SECRET, lesquelles données ont été mises à jour dans le troisième affidavit de Poirier. Il est reconnu dans la jurisprudence que les marques fortes ayant acquis de la notoriété ont droit à une protection plus étendue (arrêt Pink Panther, à la page 267). Aucun élément de preuve visant à contester la notoriété des marques SECRET n’a été présenté. De plus, aucun élément de preuve ne montre que, lorsqu’elle a examiné les autres circonstances de l’espèce, la registraire a accordé trop d’importance à la notoriété des marques SECRET de Gildan. Je souligne également que les éléments de preuve additionnels présentés sur l’usage apparemment courant du mot « secret » ne sont pas suffisamment probants pour donner lieu à une modification des conclusions de la registraire en ce qui concerne la notoriété des marques SECRET.

[127]       La registraire a également conclu que Gildan avait établi l’existence d’une famille de marques de commerce contenant le mot « secret » pour la bonneterie et les dessous. À la lumière de ce constat, la registraire a conclu que les consommateurs qui sont familiarisés avec les marques SECRET de Gildan seraient plus enclins à présumer que les marques VALENTINE SECRET faisaient partie de la famille de marques de Gildan en raison de la présence du mot SECRET, ce qui augmentait la probabilité de confusion.

[128]       Eclectic soutient que la registraire a eu tort de tenir compte de ce facteur et de considérer l’existence d’une famille de marques de commerce contenant le mot « secret » comme une autre circonstance de l’espèce. Eclectic conteste l’allégation de Gildan selon laquelle elle possède une famille de marques, car Gildan emploie simplement la marque de commerce SECRET suivie de mots qui décrivent les marchandises vendues. Eclectic affirme que les consommateurs ne considéreraient pas cet usage comme un emploi de marques de commerce différentes contenant le mot « secret ». De plus, les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic ne suivent pas la forme des marques SECRET, étant donné que le mot « valentine » précède le mot « secret » au lieu de le suivre directement ou d’être employé avec la préposition « by ». En conséquence, Eclectic fait valoir que Gildan n’a pas démontré qu’elle avait employé l’une ou l’autre des marques de commerce faisant partie de la famille de marques de telle sorte que la famille deviendrait renommée auprès des consommateurs.

[129]       Je ne suis pas convaincu que la conclusion de la registraire au sujet de la famille de marques SECRET de Gildan est déraisonnable. Je conviens avec Gildan qu’il n’est pas nécessaire qu’un ordre strict soit suivi en ce qui a trait à l’utilisation de marques liées d’une famille, car des variations sont autorisées dans le cadre de l’emploi des marques. En tout état de cause, le mot « secret » est sans conteste l’aspect frappant des marques SECRET, ainsi que le mot qui est commun aux trois marques employées en liaison avec les produits SECRET, conférant à chacune des marques SECRET son caractère distinctif. Bien entendu, chaque marque de commerce doit être examinée séparément (arrêt Masterpiece, aux paragraphes 47 et 48). Cependant, il y a au dossier des éléments de preuve appuyant la conclusion de la registraire selon laquelle l’existence d’une famille de marques SECRET contribue à la grande renommée et à la grande réputation associées aux marques SECRET, comme le montrent les ventes et revenus élevés découlant des produits SECRET. Cette réalité est également reconnue dans d’autres décisions de la Cour fédérale et de la Commission (Cortefiel; Victoria’s Secret; Suzy’s Secret). Je souligne que les éléments de preuve et les questions en litige présentés à ce sujet dans ces autres décisions sont semblables à ceux de la présente affaire, ce qui rehausse le poids à accorder à ces précédents.

[130]       À mon avis, la registraire a agi de façon raisonnable en soupesant la preuve et en concluant, à la lumière de celle-ci, que les consommateurs canadiens sont suffisamment familiarisés avec la marque de commerce SECRET et la famille de marques SECRET de Gildan et que les consommateurs ordinaires présumeraient probablement que des marchandises identiques ou très semblables en liaison avec la marque VALENTINE SECRET proviennent de la même source. La registraire s’est fondée à cet égard sur les affidavits de Poirier montrant que, au fil des années, Gildan a adopté une série de marques de commerce contenant le mot « secret » et a élargi sa gamme de produits SECRET. Le consommateur moyen ayant un souvenir général de la gamme de produits SECRET de Gildan déduirait probablement que les marques VALENTINE SECRET constituent un ajout logique identifiant un autre produit de la gamme de produits de Gildan.

[131]       Je souligne que ces questions de la famille de marques de commerce ou de la notoriété n’ont pas été des facteurs que la registraire ou la Cour a pris en compte dans l’affaire Eclectic Edge.

[132]       Eclectic soutient que sa preuve additionnelle concernant l’état du registre et l’état du marché constitue une autre circonstance de l’espèce à prendre en compte, ce qui rendrait les décisions de la registraire à tout le moins déraisonnables. Je ne suis pas d’accord. Pour les motifs décrits plus haut lors de l’analyse de l’importance de cette nouvelle preuve, je ne suis pas convaincu que la nouvelle preuve concernant l’état du registre et l’état du marché est suffisante pour modifier les conclusions de la registraire sur la probabilité de confusion. Lorsqu’ils sont distillés, notamment en ce qui concerne les mesures d’exécution de la loi prises par Gildan, ces nouveaux éléments de preuve confirment l’exercice par celle-ci d’un contrôle approprié sur sa famille de marques SECRET et le fait qu’elle ne tolère pas l’emploi de marques de commerce contenant le mot « secret » dans ses voies de commercialisation.

[133]       Les nouveaux éléments de preuve ne démontrent pas un emploi réel, par des tierces parties, de marques de commerce contenant le mot « secret » au Canada en liaison avec les marchandises en cause dans le domaine des sous-vêtements féminins. Une très grande partie de la preuve fournie par Eclectic renvoie à l’emploi du mot « secret » en liaison avec des produits de beauté, des services de vente au détail ou d’autres secteurs, pour lesquels Gildan ne bénéficie pas d’une protection au moyen de ses marques SECRET et ne sollicite pas non plus cette protection. Les enregistrements de marques de commerce, les noms commerciaux ou les sites Web comportant le mot « secret » à l’égard de marchandises non liées ou situées à l’extérieur du Canada ne sont pas pertinents non plus quant à la décision de la registraire sur la probabilité de confusion.

[134]       Je conviens avec Gildan que la preuve par affidavit présentée par Eclectic ne permet pas de tirer des inférences au sujet de l’emploi de marques de commerce ou de noms commerciaux sur le marché canadien ou du fait que le mot « secret » serait couramment employé dans des sous-vêtements féminins au Canada. Il convient d’accorder une importance minime à cette preuve, qui est loin d’être suffisante pour rendre déraisonnable la conclusion de la registraire au sujet de la confusion. La preuve confirme plutôt que les marques SECRET sont très distinctives. En fait, la nouvelle preuve ne touche pas les principales conclusions de la registraire au sujet de la  notoriété des marques SECRET et au sujet du degré de ressemblance, qui constituent le fondement de ses conclusions sur la probabilité de confusion.

[135]       Selon la norme de la décision raisonnable, les décisions de la registraire ne devraient pas être annulées à la légère. Les nouveaux éléments de preuve ne dépouillent pas la décision de la valeur de la compétence spécialisée de la registraire, ni ne l’éliminent. Compte tenu de l’ensemble de la preuve et des facteurs à évaluer aux termes de la Loi, je suis convaincu que la conclusion de la registraire au sujet de la probabilité de confusion était raisonnable et que les éléments de preuve additionnels ne modifient pas cette conclusion.

5.      Caractère distinctif

[136]       En ce qui concerne la question du caractère distinctif, étant donné que je suis d’avis que les conclusions de la registraire au sujet de la confusion sont raisonnables, j’estime que ses conclusions selon lesquelles les marques VALENTINE SECRET d’Eclectic ne sont pas distinctives sont également raisonnables. Pour que le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif soit retenu, Gildan doit démontrer que, à la date de production de la déclaration d’opposition, ses marques SECRET étaient devenues suffisamment connues pour nier le caractère distinctif des marques VALENTINE SECRET. Eclectic n’a présenté aucun nouvel élément de preuve montrant qu’elle a employé ses marques de commerce en liaison avec les marchandises visées par la demande à la date de l’opposition de Gildan.

[137]       Comme c’était le cas dans l’affaire Cortefiel, la preuve relative aux efforts diligents que Gildan a déployés pour protéger et faire valoir ses droits sur les marques SECRET appuie le caractère raisonnable des décisions de la registraire. Même si Gildan n’a peut-être pas contesté la position de toutes les tierces parties qui font usage du mot « secret », la preuve présentée par M. Poirier comportait un nombre abondant d’exemples montrant que Gildan a constamment fait preuve de diligence pour protéger ses marques afin d’éviter de miner leur caractère distinctif (décision Cortefiel, au paragraphe 87).

IV.             Conclusion

[138]       La registraire a bien énoncé le critère à appliquer pour savoir s’il y avait une probabilité raisonnable de confusion entre les marques VALENTINE SECRET et les marques SECRET. Par suite de son analyse, la registraire a conclu que cette probabilité existait. Je conviens avec la registraire qu’un consommateur ordinaire qui n’a qu’un souvenir imparfait des marques SECRET serait probablement porté à croire, à la vue des marques VALENTINE SECRET, que les marchandises offertes par Eclectic en liaison avec les marques VALENTINE SECRET proviennent de Gildan.

[139]       Compte tenu de la preuve et des différents facteurs en cause, je n’aurais peut-être pas été enclin à conclure que la prépondérance des probabilités favorisait une conclusion similaire dans le cas du dessin-marque VALENTINE SECRET VS. Cependant, en l’absence d’éléments de preuve additionnels qui auraient eu une incidence importante sur les décisions de la registraire, il ne m’appartient pas de substituer mon opinion à celle de la registraire quant au poids à attribuer aux différents facteurs énoncés dans la Loi. Un examen des décisions de la registraire montre sans conteste que les décisions en question sont raisonnables et appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En fait, elles étaient généralement bien fondées.

[140]       En conséquence, je rejette l’appel fondé sur l’article 56 de la Loi.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      L’appel est rejeté avec dépens.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-349-14

T-350-14

T-351-14

T-352-14

INTITULÉ :

ECLECTIC EDGE INC c GILDAN APPAREL (CANADA) LP

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbEc)

DATE DE L’AUDIENCE :

26 MAI 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1er DÉCEMBRE 2015

COMPARUTIONS :

Janet M. Fuhre

Jaimie Bordman

PoUr LA DEMANDERESSE

Geneviève Bergeron

Daniel Grodinsky

PoUr LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ridout & Maybee s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

PoUr LA DEMANDERESSE

Borden Ladner Gervais s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

PoUr LA DÉFENDERESSE

 



[1] Dans le présent jugement, l’expression « sous-vêtements féminins » sera employée pour désigner la bonneterie, les sous‑vêtements, les dessous, la lingerie, les vêtements de nuit, les robes d’intérieur et d’autres articles connexes de vêtements pour femmes.

[2] Dans le présent jugement, Gildan s’entend de Gildan et de ses prédécesseurs en titre détenant les marques SECRET.

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