Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151127


Dossier : T-838-15

Référence : 2015 CF 1322

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2015

En présence de M. le juge Bell

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

ABDELLATIF GOUZA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 22.1 de la Loi sur la citoyenneté, LCR (1985), c C-29 [la Loi], visant la décision rendue le 21 avril 2015 d’une  juge de la citoyenneté approuvant la demande de citoyenneté canadienne d’Abdellatif Gouza [M. Gouza].

II.                Contexte et faits allégués

[2]               M. Gouza indique qu’il est arrivé pour la première fois au Canada en 2001. De 2001 à 2004, il a fait des études à St-Hubert, Québec, pour tenter d’obtenir son brevet de pilote. Il dit avoir obtenu son brevet de pilote privé le 20 septembre 2002, mais il s’agissait seulement du premier volet du processus pour devenir pilote professionnel. En 2005, il a interrompu ses études pour retourner au Maroc, après s’être marié. Il affirme qu’à son retour au Canada en 2007, il n’est pas retourné aux études.

[3]               M. Gouza a présenté une demande de citoyenneté le 11 mai 2010, et la période de référence se situe entre le 17 mars 2007 et le 11 mai 2010. Dans sa demande de citoyenneté, il a déclaré 1 108 jours de présence et 42 jours d’absence, pour un total de 1 150 jours au cours de la période visée.

[4]               Il déclare qu’il est retourné au Maroc en janvier 2010 pour une durée de 42 jours. Il affirme qu’il s’agissait du seul voyage entrepris pendant la période de référence et, qu’à son retour au Canada, il a repris ses études pour devenir pilote. Il a terminé ses études au début de 2012. Parce qu’il n’avait pas complété le nombre d’heures de vol nécessaires pour piloter un avion commercial, il devait occuper des emplois non reliés à son champ d’étude.

[5]               M. Gouza s’est présenté à une entrevue devant un agent le 17 septembre 2012, date à laquelle il a aussi complété et réussi l’examen de connaissance du Canada. Il a aussi complété un questionnaire sur la résidence qu’il a retourné, accompagné de documents justificatifs, le 15 mars 2013. Il s’est présenté à une audition devant la juge de la citoyenneté le 23 février 2015.

III.             Décision contestée

[6]               Le 21 avril 2015, la juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté canadienne de M. Gouza. Elle a conclu que selon la prépondérance des probabilités et selon le critère de la résidence employé par le juge Muldoon dans la décision Pourghasemi (Re), [1993] ACF no 232, 62 FTR 122 [Pourghasemi], M. Gouza a démontré avoir respecté l’obligation de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

[7]               La juge de la citoyenneté s’est d’abord penchée sur la préoccupation soulevée par l’agent de la citoyenneté concernant le voyage de M. Gouza lors de la période de référence. La juge de la citoyenneté a conclu qu’il n’y avait pas d’incohérence à ce sujet puisque M. Gouza avait déclaré ce voyage d’une durée de 42 jours. Ces informations étaient conformes aux renseignements figurant sur sa demande et sur son questionnaire sur la résidence, et conforme au calcul effectué par l’agent de la citoyenneté et au rapport du Système intégré d’exécution des douanes [rapport SIED].

[8]               Avant l’audience, la juge de la citoyenneté avait demandé à M. Gouza de fournir certains documents tels que des avis d’imposition, des relevés bancaires et des renseignements au sujet de ses études. Dans sa décision, la juge de la citoyenneté indique que les documents présentés confirment les déclarations verbales de M. Gouza. Elle lui a posé des questions au sujet de l’absence d’avis d’imposition pour l’année 2007. Elle a accepté ses explications.

[9]               La juge de la citoyenneté a aussi noté que M. Gouza racontait son histoire de façon claire et franche, et donnait des réponses précises à toutes les questions qui lui étaient demandées. La juge de la citoyenneté ne relève aucune contradiction ou incohérence dans ses explications. La crédibilité de M. Gouza n’est donc pas en jeu dans la présente affaire.

IV.             Question en litige

[10]           Après avoir révisé les prétentions des parties et leurs dossiers respectifs, je propose la question en litige suivante : est-ce que la décision de la juge de la citoyenneté, acceptant que M. Gouza ait satisfait au critère de la présence effective, est raisonnable?

V.                Norme de contrôle

[11]           La norme de contrôle applicable à la décision d’un juge de la citoyenneté sur les exigences en matière de résidence est celle de la décision raisonnable, étant donné qu’une telle décision comporte des questions de fait et de droit (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Matar, 2015 CF 669, [2015] ACF no 683 au para 11; Kohestani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 373, [2012] ACF no 443 au para 12). Une décision est raisonnable si elle est suffisamment motivée pour permettre à cette Cour de comprendre le processus décisionnel (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 au para 16 [Newfoundland Nurses’]) et si cette décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47 [Dunsmuir]).

VI.             Dispositions législatives

[12]           En vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi (reproduit à l’Annexe A), telle qu’elle existait à l’époque de la présente demande de contrôle judiciaire, la personne qui demande la citoyenneté doit démontrer qu’elle a résidé au Canada pendant au moins trois des quatre années qui ont précédé la date de sa demande, soit 1 095 jours.

VII.          Analyse

[13]           La juge de la citoyenneté a évalué la demande de M. Gouza selon l’alinéa 5(1)c) de la Loi et d’après le critère de la présence effective, tel qu’élaboré par cette Cour dans Pourghasemi, précité. M. Gouza devait démontrer, selon la prépondérance de la preuve, qu’il satisfait à cette exigence de présence effective (Taleb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1147, [2015] ACF no 1181 au para 18 [Taleb]).

[14]           Tout d’abord, je rejette l’argument du ministre selon lequel la décision de la juge de la citoyenneté n’est pas raisonnable parce qu’elle s’est fiée uniquement aux explications verbales de M. Gouza pour combler les lacunes à son dossier. Au contraire, la jurisprudence indique qu’une telle approche est non seulement permissible, mais le fait de poser des questions pour susciter des réponses peut même être requis par devoir d’équité procédurale (Taleb, précité aux para 17 et 21).

[15]           Selon le ministre, la décision El Falah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 736, [2009] ACF no 1402 [El Falah] démontre qu’un juge de la citoyenneté ne peut combler les lacunes d’une demande avec les prétentions du demandeur. À mon avis, il s’agit d’une interprétation erronée qui ne s’applique pas en l’espèce. Les faits dans El Falah impliquaient un demandeur qui recherchait le contrôle judiciaire du refus de lui accorder la citoyenneté, soutenant que le juge de la citoyenneté n’avait pas pris suffisamment compte de ses déclarations orales. La décision El Falah démontre qu’un juge n’a pas l’obligation d’accorder une valeur probante aux prétentions d’un demandeur ou de s’en tenir uniquement à ses déclarations. La juge de la citoyenneté serait ainsi libre d’évaluer les déclarations à la lumière de l’ensemble de la preuve au dossier.

[16]           Cette interprétation est conforme au fardeau de preuve qui revient au demandeur dans le cadre du processus de demande de citoyenneté. La conclusion contraire proposée par le ministre, soit que les déclarations verbales sans corroboration sont insuffisantes, ne peut tenir et la Loi n’exige pas une telle corroboration (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Lee, 2013 CF 270, [2013] ACF no 311 au para 38 [Lee]).

[17]           En l’espèce, la juge de la citoyenneté a évalué la crédibilité de M. Gouza. Il convient de rappeler qu’une conclusion basée sur l’évaluation de la crédibilité mérite un haut degré de déférence (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vijayan, 2015 CF 289, [2015] ACF no 263 au para 64). Le ministre n’a d’ailleurs pas véritablement contesté la décision sur ce point, préférant plutôt s’attaquer à la suffisance et à la qualité de la preuve présentée.

[18]           Le ministre prétend aussi que la décision est déraisonnable car la juge de la citoyenneté aurait dû procéder à une analyse explicite de chacune des lacunes identifiée dans le Gabarit de  l’agent et indiquer « en quoi les doutes étaient dissipés et quels éléments de preuve lui avaient permis d’accorder la demande de citoyenneté du défendeur » (Mémoire du ministre au para 47). Je ne suis pas d’accord avec cette prétention. Un contrôle judiciaire n’est pas l’occasion de réviser minutieusement, ou d’examiner à la loupe, la décision contestée. En l’espèce, la juge de la citoyenneté a déclaré s’être fiée aux explications de M. Gouza afin de combler les lacunes de son dossier.

[19]           Quoi qu’il en soit, il convient de rappeler que selon l’arrêt Newfoundland Nurses’, précité, l’insuffisance des motifs ne peut en soi constituer une raison pour casser une décision en contrôle judiciaire. La question est plutôt de savoir si les motifs permettent à la cour de révision de comprendre le raisonnement entrepris afin d’en apprécier le caractère raisonnable (Newfoundland Nurses’, précité au para 17). J’en conviens qu’il aurait été préférable que la juge de la citoyenneté étoffe davantage ses motifs, toutefois, sa décision énonce clairement les bases de sa conclusion d’accorder la citoyenneté à M. Gouza.

[20]           Contrairement aux cas où la cour de révision se dit incapable de déterminer comment le juge de la citoyenneté est parvenu à sa décision, comme ce fut le cas dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Safi, 2014 CF 947, [2014] ACF no 1020, la juge  de la citoyenneté, en l’espèce, nous fournit la conclusion suivante au paragraphe 27 de sa décision :

Après avoir écouté attentivement le demandeur pendant notre rencontre, qui a duré près d’une heure, et examine subséquemment tous les documents au dossier, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur s’est acquitté du fardeau de la prévue qui lui incombait, comme l’exige la loi.

Je suis d’avis que cette conclusion se rapproche davantage de celle du juge de la citoyenneté dans Lee, où la juge Strickland a déterminé que des motifs indiquant que la décision repose largement sur le rapport SIED sont suffisants pour comprendre le raisonnement de la juge de la citoyenneté (Lee, précité au para 50).

[21]           La même conclusion s’impose par analogie en l’espèce : dans la mesure où la décision de la juge de la citoyenneté énonce clairement qu’elle se fie aux documents additionnels et aux explications de M. Gouza pour combler les lacunes au dossier, il n’est pas le rôle du juge en contrôle judiciaire de réévaluer cette preuve (Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, [2014] ACF no 472 au para 99; Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v Abdulghafoor, 2015 FC 1020, [2015] FCJ No 1017 au para 16; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 61). J’en conclu que le processus décisionnel de la juge de la citoyenneté est justifié, transparent et intelligible, et que sa décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » (Dunsmuir, précité au para 47).

VIII.       Conclusion

[22]           La décision de la juge de la citoyenneté voulant que M. Gouza ait satisfait à l’exigence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi selon le critère de la présence effective au Canada est raisonnable. L’intervention de cette Cour n’est donc pas requise.


JUGEMENT

LA COUR :

REJETTE la demande de contrôle judiciaire sans dépens et ne certifie aucune question.

« B. Richard Bell »

Juge


ANNEXE A

Attribution de la citoyenneté

Grant of citizenship

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-838-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c ABDELLATIF GOUZA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 novembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 novembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Isabelle Brochu

 

pour le demandeur

 

Nawal Benrouayenne

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

 

Nawal Benrouayenne

Avocat

Longueuil (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.